Nations Unies

CAT/OP/ARG/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 novembre 2013

Français

Original: espagnol

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Rapport sur la visite en Argentine du Sous-Comitépour la prévention de la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants * **

Table des matières

Paragraphes Page

I.Introduction1−143

II.Mécanisme national de prévention15−164

III.Situation des personnes privées de liberté17−1025

A.Garde à vue17−345

B.Établissements pénitentiaires35−888

C.Centres de détention pour mineurs89−9317

D.Établissements psychiatriques94−10218

IV.Enquête sur les actes de torture et les mauvais traitements103−11419

Annexes

I.Liste des personnes avec lesquelles le Sous-Comité s’est entretenu22

II.Lieux de détention visités25

I.Introduction

En application de l’article premier et de l’article 11 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après «le Protocole facultatif»), le Sous-Comité pour la prévention de la torture (ci-après «le SPT») a effectué une visite en République argentine du 18 au 27 avril 2012.

Le SPT était représenté par les membres suivants: Víctor Rodríguez-Rescia (chef de la délégation), Marija Definis-Gojanović, Emilio Ginés, Zdenek Hájek, Lowell Goddard et Miguel Sarre.

L’équipe du SPT était assistée de quatre membres du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), ainsi que d’interprètes et d’agents de sécurité de l’ONU.

Pendant sa visite, le SPT a limité ses activités à la province et à la ville autonome de Buenos Aires.

Bien que le présent rapport ne passe pas en revue tous les lieux visités, le SPT se réserve le droit de se référer à l’un d’entre eux quel qu’il soit dans le cadre de son futur dialogueavec l’État partie. L’absence d’observations au sujet d’un établissement particulier visité par le SPT n’est le signe ni d’un avis positif ni d’un avis négatif de sa part concernant celui-ci.

Outre les visites qu’il a effectuées dans des lieux de détention, le SPT s’est entretenu avec différentes autorités gouvernementales, des représentants du système des Nations Unies dans le pays et des membres de la société civile. Il tient à les remercier tous pour les informations précieuses qu’ils lui ont communiquées.

À la fin de sa visite, le SPT a présenté oralement ses observations préliminaires confidentielles aux autorités argentines. L’État partie a présenté ses commentaires à ces observations les 19 et 27 juillet 2012, et le 16 août 2012. Le SPT souhaite exprimer sa gratitude aux autorités argentines qui ont accepté de coopérer et de faciliter les visites. Les observations préliminaires doivent être étudiées de près; elles complètent le présent rapport, ce qui permet d’éviter les redites, sauf s’il y a lieu.

Dans le présent rapport, le SPT expose ses conclusions et recommandations concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté en Argentine. L’expression «mauvais traitements» est utilisée au sens large pour faire référence à toutes les formes de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le SPT demande aux autorités argentines de lui rendre pleinement compte , dans les six mois qui suivront la transmission du présent rapport, des mesures que l ’ État partie aura prises pour donner suite aux recommandations formulées.

Le présent rapport demeurera confidentiel jusqu’à ce que les autorités argentines décident de le rendre public, conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif. La publication du présent rapport ne peut que contribuer à prévenir la torture et les mauvais traitements en Argentine. Le SPT estime qu’une large diffusion des recommandations formulées favoriserait un dialogue national transparent et fructueux sur les questions qui sont abordées dans ce document.

Le SPT tient à appeler l’attention de l’État partie sur le Fonds spécial créé en vertu de l’article 26 du Protocole facultatif. Les recommandations formulées par le SPT dans ses rapports de visite publics peuvent servir de base à l’État partie pour faire une demande de financement de projets spécifiques auprès du Fonds spécial.

Le SPT recommande à l’Argentine de demander la publication du présent rapport conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif.

Après avoir visité différents lieux de détention, le SPT est profondément préoccupé par le risque de représailles que courent certaines personnes privées de liberté avec lesquelles il s’est entretenu, en particulier celles impliquées dans les incidents mentionnés dans le présent rapport.

Le SPT condamne catégoriquement tout acte de représailles. Il formule également à nouveau les recommandations figurant dans ses observations préliminaires et souligne que les personnes qui fournissent des informations à des organes ou à des institutions nationales ou internationales ne doivent pas être punies ni subir de conséquences négatives pour avoir fourni des informations. Le SPT demande à être tenu informé des activités entrepris es par l’État pour empêcher les  représailles et enquêter sur les cas de représailles.

II.Mécanisme national de prévention

En juin 2007, le délai accordé à l’État pour désigner son mécanisme national de prévention a expiré. Après de longues discussions, on est parvenu à un consensus sur un projet de loi portant création du mécanisme national de prévention, qui a été adopté par la Chambre des députés en août 2011. En novembre 2012, ce projet a été adopté par le Sénat avec des modifications relatives à la composition du Comité national de prévention de la torture. Dans le même temps, des mécanismes provinciaux de prévention, dont certains ne respectent pas nécessairement les principes d’indépendance exigés par le Protocole facultatif, ont été créés.

Le SPT se félicite de l’aboutissement du long processus législatif concernant la création du mécanisme de prévention. Dans le même temps, le SPT rappelle ses directives concernant les mécanismes nationaux de prévention, dont le fait que l’État doit en garantir l ’ autonomie opérationnelle et l’indépendance et veiller à ne pas nommer des membres qui occupent une position susceptible de donner lieu à des conflits d ’ intérêts . Le SPT espère que l’État partie adoptera des mesures visant à  respecter ces principes lors de la sélection des membres du Comité national.

III.Situation des personnes privées de liberté

A.Garde à vue

1.Questions d’ordre général

a)Informations concernant les droits des détenus

Des détenus ont indiqué au SPT qu’ils n’avaient pas été dûment informés de leurs droits au moment de leur arrestation, ou qu’ils avaient signé des documents concernant leurs droits sans comprendre de quoi il s’agissait, ou qu’ils n’avaient pas eu le temps de lire ces documents. Le SPT a également noté l’absence, dans la majorité des centres visités, d’informations visibles sur les droits relatifs à la protection de l’intégrité physique et psychique des personnes privées de liberté ainsi que sur les garanties minimales de procédure régulière (Avertissement Miranda). Le fait d’informer les personnes privées de liberté du motif de leur détention et de leurs droits est une garantie fondamentale contre la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements.

L’État partie doit veiller à ce que des instructions soient données aux agents chargés de la mise en détention pour que soit garanti le respect effectif et systématique du droit de toute personne privée de liberté d’être informée oralement et par écrit de ses droits pendant sa détention, dans une langue qu’elle peut comprendre, dès le début de la détention, et à ce que ceci soit enregistré.

Le SPT prend note des informations de l’État partie selon lesquelles, suite à sa visite, un modèle d’affiche sur les droits des détenus a été élaboré. Ces affiches seront apposées à des endroits visibles dans les commissariats où se trouvent des cellules de détention et dans les établissements pénitentiaires.

b)Droit d’informer un tiers de la mise en garde à vue

Le SPT a rencontré un nombre préoccupant de personnes privées de liberté dans les commissariats qui affirmaient n’avoir pas pu faire part de leur détention à une personne de leur choix pendant plusieurs jours.

L’État partie doit prendre des mesures pour garantir que les personnes privées de liberté puissent prévenir ou demander à l ’ autorité compétente de prévenir une personne de leur choix de leur détention et du lieu où elles sont détenues . Cette notification devrait avoir lieu sans délai après la mise en détention initiale ainsi qu ’ après tout transfert d ’ un lieu de détention à un autre. Elle devrait être faite de préférence par téléphone;la date et l ’ heure de l ’ appel téléphonique, ainsi que l ’ identité de la personne prévenue, devraient être consignées .

c)Examen médical et soins médicaux pendant la garde à vue par la police

Parmi les détenus avec lesquels le SPT s’est entretenu, certains ont dit n’avoir pas passé d’examen médical après leur mise en garde à vue. D’autres ont affirmé qu’ils avaient été examinés par un médecin de manière superficielle et en présence d’agents de police, et que les résultats de l’examen médical avaient été transmis à la police.

Dans les commissariats fédéraux et provinciaux visités, le SPT a constaté d’importantes lacunes en matière d’accès aux soins médicaux. Il a également constaté que les équipes de santé ignoraient les principes fondamentaux du Protocole d’Istanbul ou qu’elles ne les utilisaient pas à bon escient, et qu’elles n’avaient aucun protocole sur la façon de consigner, dans leurs rapports médicaux et psychologiques, les cas où il y aurait pu avoir torture et mauvais traitements.

L’État doit prendre des mesures adéquates pour garantir l’accès rapide de toute personne placée en détention à un examen médical gratuit et pour veiller à ce que les médecins agissent en toute indépendance et à ce qu’ils soient formés à l’examen et à la description de possibles cas de torture ou de mauvais traitements, conformément aux dispositions du Protocole d’Istanbul. Les registres doivent porter la trace de ces examens, de l’identité du médecin qui les a effectués et des résultats . Le Protocole d’Istanbul doit servir à élaborer des ra pports médico-psychologiques et  à prévenir la torture.

L’État doit mettre en place un système garantissant aux personnes détenues par la police qui en ont besoin un accès rapide et gratuit aux traitements médicaux.

d)Dotation en personnel

Le SPT a rencontré des membres de la police fédérale argentine et de la police de Buenos Aires lors de ses visites dans des commissariats et a reçu des plaintes concernant les problèmes liés au manque de personnel et à l’insuffisance du budget dans les deux corps de police, ainsi que les mauvaises conditions matérielles de travail.

L’État partie doit veiller à ce que le budget alloué aux polices fédérales et provinciales de tout le pays soit suffisant pour que ces forces soient constituées d’agents motivés et correctement rémunérés, et bénéficient d’une formation adaptée à leurs fonctions et fondée sur les droits de l’homme. Des mécanismes internes de surveillance doivent être mis en place pour garantir que les normes internationales relatives aux droits de l’homme pertinentes soient respectées par les policiers .

2.Conditions de détention

Le SPT a pu constater l’existence de conditions déplorables dans les cellules de plusieurs commissariats provinciaux et fédéraux visités. Par exemple, les cellules des commissariats fédéraux no 3 et no 15 de la ville de Buenos Aires manquaient de lumière et de ventilation; de plus, il n’y avait aucune literie ou la literie existante n’était pas adaptée. Au commissariat provincial no 9 de Lomas de Zamora, les conditions matérielles étaient déplorables et le surpeuplement inquiétant. Au commissariat provincial no 5 de Lomas de Zamora, le SPT a été informé par le personnel que ce commissariat n’était pas autorisé à accueillir des détenus. Le SPT a visité les cellules et constaté qu’elles n’étaient absolument pas en état d’accueillir des détenus. Toutefois, en vérifiant les registres, le SPT a constaté que des détenus avaient séjourné pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, au commissariat. Le même cas s’est reproduit dans d’autres commissariats visités.

Dans plusieurs commissariats, on a constaté que l’accès aux sanitaires était limité et que la ventilation et le chauffage étaient insuffisants. Dans tous les commissariats visités où se trouvaient des détenus, le SPT a reçu des plaintes concernant le manque de nourriture et d’accès à l’air libre et à l’exercice ou à des activités en cas de détention prolongée.

En revanche, le SPT a estimé que les conditions de détention étaient satisfaisantes à la prison départementale Roberto Pettinato de La Plata.

Le SPT recommande à l’État partie de réaliser un audit aux niveaux fédéral et provincial sur les conditions matérielles de vie dans les postes de police qui accueillent effectivement des détenus et de mettre en place un plan d’action pour laver et rénover les locaux lorsque cela s’avère nécessaire. L’État partie doit prendre les mesures nécessaires pour que les conditions de détention dans les locaux de police soient conformes aux normes internationales et satisfassent aux besoins fondamentaux des personnes privées de liberté en matière d’assainissement, de literie, de nourriture, d’eau et de possibilité de faire de l’exercice. Le SPT note que les autorités provinciales envisagent de construire d’autres prisons dans le cadre d’un projet de coopération avec l’ILANUD qui vise à aller plus loin qu’un projet pilote. Cela permettrait progressivement de ne plus utiliser les commissariats existants aux fins de la détention et d’offrir un service intégré d’accès à la justice, notamment à la défense publique, aux services médicaux, etc., outre de meilleures conditions physiques. Le SPT félicite les autorités provinciales pour cette initiative, susceptible d’entraîner une diminution du risque de détention extrajudiciaire, et de prévenir la torture et les mauvais traitements.

Le SPT estime que, au vu de leur état, les commissariats n o 5 et n o 9 de Lomas de Zamora devraient être fermés ou entièrement rénovés .

3.Torture et mauvais traitements

Le SPT a reçu des plaintes réitérées et concordantes de brutalités policières pendant la détention ou le placement en détention commises par les différents corps de sécurité, dont la police fédérale argentine, la gendarmerie et la police de Buenos Aires. Pour de nombreuses personnes avec lesquelles le SPT s’est entretenu, tant des jeunes que des adultes, y compris des femmes enceintes, les coups et la brutalité policière étaient «normaux», permettaient souvent de contrôler le détenu ou de lui soutirer des aveux, ou servaient de représailles lorsque le détenu s’était plaint des conditions de détention. Il s’agissait notamment de coups portés à la tête, à la poitrine et à d’autres parties du corps avec les mains, les pieds, des matraques en caoutchouc, des pierres ou la crosse de l’arme. Même les personnes menottées étaient frappées. Certains témoignages ont fait état de la pratique du simulacre de noyade, de brûlures de cigarettes et même d’amputation des doigts. Le SPT a également reçu des plaintes concernant l’utilisation disproportionnée d’armes à feu par les forces de police au moment de la détention, et le refus de l’accès aux toilettes et aux soins médicaux. Le SPT a pu rencontrer des détenus qui avaient reçu des coups, notamment une femme enceinte au commissariat pour les femmes et les familles de La Plata. Malgré toutes ces informations, et bien que de nombreux cas de torture et de mauvais traitements figurent dans les bases de données des registres établis par les institutions fédérales et provinciales (voir ci-après, par. 103), il n’existe pas de correspondance entre ces faits et les rares enquêtes menées par les ministères publics concernés.

Les autorités argentines doivent adopter des mesures pour prévenir efficacement la torture et les mauvais traitements dans les locaux de la police et veiller à ce que ces pratiques fassent dûment l ’ objet d ’ enquêtes et à ce que leurs auteurs soient dûment punis. Outre les éventuelles plaintes pénales, le système d ’ inspection publique doit être amélioré afin de déterminer la responsabilité personnelle et institutionnelle dans les cas de torture et de mauvais traitements et de fixer les sanctions disciplinaires correspondantes.

B.Établissements pénitentiaires

1.Questions d’ordre général

Lors de ses visites dans les centres, le SPT a eu l’impression que de nombreuses lacunes en matière de gestion et de traitement des détenus portaient la marque d’une structure de système pénitentiaire fortement militarisée et corporative, qui fait obstacle à la mise en place d’une véritable «gouvernance civile» de ces centres. En ce sens, le SPT prend note des informations fournies par les autorités provinciales selon lesquelles des efforts ont été déployés ces dernières années pour renforcer la démilitarisation du service pénitentiaire de Buenos Aires. Le SPT a pu également constater l’existence d’un régime d’enfermement systématique, qui offre aux nombreux détenus très peu de possibilités d’échange et de socialisation en groupe.

Le SPT lance un appel en faveur de mesures rapides et efficaces visant à parvenir à la gouvernance civile du service pénitentiaire comme dans tous les systèmes démocratiques, dont l ’ un des fondements doit être le strict respect des droits de  l ’ homme des personnes privées de liberté.

a)Affectation des détenus aux centres pénitentiaires

De nombreuses personnes privées de liberté se sont plaintes d’être enfermées dans des centres très éloignés de leur famille, vivant ainsi séparées d’une source vitale d’appui et de réconfort. La pratique répandue, consistant à transférer les détenus dans un établissement situé dans une localité reculée de la province ou ailleurs dans le pays affecte les détenus comme leurs proches, et entrave la communication entre les détenus et le tribunal et leur avocat, ainsi que la bonne marche des activités réalisées par les détenus dans les unités. Elle peut constituer une forme de mauvais traitement. Les informations et les plaintes reçues montrent également que les transferts sont utilisés comme une forme de châtiment ou de représailles et qu’ils se font sans informer les familles et dans des conditions dégradantes eu égard au mauvais état des véhicules et aux longues heures que les détenus y passent, parfois même sans nourriture.

Le SPT prend note des informations fournies par l’État sur le fait qu’une série de mesures a été adoptée pour atténuer l’éloignement de la personne privée de liberté de son milieu familial, parmi lesquelles le programme «60 pour 7». En outre, d’après l’État, le programme d’infrastructures publiques lancé en 2008 a mis l’accent sur la construction de places de détention à Buenos Aires.

L ’ État partie doit prendre des mesures pour veiller à ce que les personnes privées de liberté puissent rester dans des établissements pénitentiaires situés à proximité de chez elles. À cet effet, il devra réaliser les études de viabilité pertinentes tenant compte des besoins en matière d ’ espace et de ressources. Des mesures devraient également être prises pour garantir le droit des personnes privées de liberté de s ’ opposer à leur transfert et d ’ être entendues à ce sujet par l ’ autorité compétente, sans que cela entraîne un risque de représailles.

b)Régime interne

Dans certains centres visités, le SPT a constaté que subsistaient des conceptions et des pratiques qui font que les personnes privées de liberté sont considérées comme faisant l’objet d’un traitement progressif, et qui, en fait, aggravent la peine ou la mesure imposée par la justice. Couper les cheveux des détenus contre leur gré, affecter des quartiers à une religion spécifique où les détenus sont autorisés à infliger à d’autres des mesures de correction et procéder à des études clinico-criminologiques attentatoires à l’intimité et à la liberté de conscience des détenus sont autant d’exemples de cela.

Le SPT prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles, suite à sa visite, le service pénitentiaire de Buenos Aires a adopté une décision interdisant expressément de couper les cheveux des détenus contre leur gré, ou toute autre mesure qui porterait atteinte aux choix personnels relatifs à l’aspect ou à l’apparence, et disposant que toute violation de cette décision constituerait une faute grave.

Au niveau fédéral, le SPT a appris que les détenus faisaient régulièrement l’objet d’évaluations pour les faire entrer dans une catégorie spécifique (évaluation des perspectives de réinsertion sociale). Cet élément, ainsi que le comportement en prison, servent de base au classement trimestriel de chaque détenu, qui a des effets sur sa situation pénitentiaire et sur les possibilités de sortie, sous forme de liberté conditionnelle ou de liberté surveillée. Le SPT juge préoccupante cette évaluation par «catégorie» car elle a des effets juridiques sur l’avenir de la personne concernée.

Le SPT considère que le classement des détenus dans les établissements doit se fonder sur leur comportement et non sur des « catégories prédéfinies ». Le SPT demande à l ’ État partie d ’ analyser la compatibilité de cette pratique criminologique avec la protection des droits de l ’ homme des personnes privées de liberté.

c)Détention provisoire

Un pourcentage important de détenus dans les établissements pénitentiaires se trouve en détention provisoire, bien que la situation varie considérablement d’un établissement à l’autre. Par exemple, à l’Unité d’Olmos, il y avait 1 865 prévenus et 202 condamnés le jour de la visite du SPT, tandis qu’à l’Unité 30, il y avait 1 065 condamnés et 335 prévenus. Dans les prisons fédérales, les chiffres officiels indiquent que 55 % des détenus n’ont pas encore été jugés définitivement. Le SPT a observé que les condamnés et les prévenus partageaient généralement les mêmes locaux.

Les autorités provinciales et fédérales ont reconnu la persistance d’un recours excessif à la détention provisoire et des lacunes graves dans la procédure pénale qui empêchent de traiter les affaires conformément aux conditions et dans le temps prévus par la loi, malgré les mesures adoptées ces dernières années pour désengorger les tribunaux. La durée excessive de la détention provisoire donne lieu à des situations où les détenus purgent la peine qui leur est finalement infligée en détention provisoire, ou passent même encore plus de temps en détention provisoire.

Le SPT fait sienne la recommandation du Comité des droits de l ’ homme en ce que l ’ État partie doit prendre des mesures, dans les meilleurs délais, pour réduire le nombre des personnes en détention provisoire et la durée de cette détention, et favoriser le recours à des mesures de sûreté, la mise en liberté sous caution dans l ’ attente d ’ un jugement ou le port du bracelet électronique . Le SPT recommande d ’ effectuer une évaluation sur le recours à la détention provisoire et la durée de cette dernière afin d ’ orienter la pratique judiciaire vers l ’ élimination des évaluations subjectives par « catégorie prédéfinie » ou dangerosité.

L ’ État partie doit garantir la séparation entre les détenus en détention provisoire et les condamnés, conformément aux dispositions des instruments internationaux pertinents .

d)Services de santé

Le SPT a constaté avec préoccupation que l’offre de services médicaux était insuffisante dans les établissements pénitentiaires fédéraux et provinciaux. Le manque de services de santé et de médicaments était évident, par exemple, à l’Unité28 du Centre de détention judiciaire (U28 du service pénitentiaire fédéral), tout comme l’absence de personnel médical à l’Unité46, où même l’assistance médicale d’urgence ne semble pas garantie. Un détenu de l’Unité d’Olmos que le SPT a rencontré avait subi une colostomie l’année précédente et attendait une opération depuis des mois. Depuis son arrivée dans l’Unité plusieurs semaines auparavant, ses demandes d’examen par un médecin n’avaient pas été satisfaites et les conditions d’hygiène dans sa cellule étaient déplorables.

Au complexe pénitentiaire fédéral no1 d’Ezeiza, des détenus se sont plaints au SPT du non-respect de leur vie privée car les examens d’entrée étaient réalisés en présence de personnes étrangères au service médical. Le SPT a noté que ni les détenus ni leurs défenseurs ne recevaient copie des examens médicaux effectués pour blessures et qu’aucun espace n’était réservé aux observations du médecin dans les formulaires.

L ’ État doit garantir une assistance médicale effective dans toutes les prisons, vingt-quatre heures sur vingt-quatre , sept jours sur sept. Tout examen médical, y compris les examens d ’ entrée dans un établissement pénitentiaire, doit se faire dans le strict respect du droit à la vie privée et à la confidentialité . Les rapports médicaux doivent pouvoir inclure une référence à l ’ éventuelle cause d ’ une blessure signalée par la personne privée de liberté.

Le SPT considère préoccupante l’absence de services médicaux adaptés aux femmes. Dans les Unités 46 et 3, par exemple, il n’y avait pas de service gynécologique et les détenues se sont plaintes du fait que les examens étaient réalisés dans les couloirs, de manière dénigrante. Les enfants qui vivaient avec elles ne bénéficiaient pas non plus de soins médicaux réguliers.

L ’ État doit adopter des mesures pour veiller à ce que toutes les femmes, en particulier celles enceintes, aient régulièrement accès à des soins médicaux, dispensés par un personnel de santé qualifié, en toute confidentialité . Il convient de garantir que les enfants qui vivent en prison avec leur mère disposent de services de soins de santé spécialisés et que des spécialistes suivent leur développement.

Le SPT a observé que, bien que des avancées aient été réalisées sur la voie de l’indépendance du service médical grâce à sa séparation du service pénitentiaire, il demeure dans l’orbite du Ministère de la justice et de la sécurité et œuvre en étroite collaboration avec le service pénitentiaire. Cela semble limiter la capacité des professionnels de la santé de déceler en toute indépendance d’éventuels signes de torture et de mauvais traitements chez les détenus qu’ils doivent examiner.

Le SPT recommande que les services médicaux soient directement fournis par le Ministère de la santé aux niveaux fédéral et provincial. Il recommande e n outre à l ’ État partie de mettre en place un système d ’ examens indépendants, conformément au Protocole d ’ Istanbul, afin que des médecins légistes et psychologues qualifiés procèdent à des examens approfondi s lorsque le médecin qui a ausculté le détenu a des raisons de supposer qu’il a subi des actes de torture et/ou des mauvais tra itements .

Le SPT prend note des informations fournies par l’État selon lesquelles, après sa visite, le service pénitentiaire de Buenos Aires a élaboré un modèle d’antécédents cliniques et d’instructions pour les professionnels à utiliser en cas de traumatisme, qui reprend les recommandations du Protocole d’Istanbul. Le service pénitentiaire de Buenos Aires a également organisé un cycle de conférences pour former les professionnels de santé à l’application du Protocole.

2.Conditions de détention

a)Conditions matérielles

Les conditions matérielles des unités pénitentiaires visitées varient énormément. Dans certaines, les cellules ne réunissaient pas les conditions minimales d’accueil de personnes privées de liberté. Par exemple, dans les quartiers 3 et 4 de l’Unité 3, les cuisines étaient en ruine, les murs à nu et les toilettes cassées; de plus, la quasi-totalité des cellules était dépourvue de vitres aux fenêtres. Dans les Unités 46 et 3, on pouvait voir des souris dans la cour et des cafards dans les cellules. Au centre de détention du service pénitentiaire fédéral (U28) de la ville de Buenos Aires, le SPT a observé, outre la présence de cafards et l’absence de ventilation, qu’une cellule d’environ 25 mètres carrés, dotée d’un seul sanitaire et d’une douche non fermée, pouvait accueillir jusqu’à 60 personnes et que beaucoup y passaient plus de la limite légale de vingt-quatre heures. Le SPT a également constaté la présence de cafards, de poux et d’excréments dans les cellules d’isolement, où les personnes n’avaient pas accès à des sanitaires. En outre, les inondations liées aux remontées d’égouts étaient courantes et le système de ventilation ne fonctionnait pas, ce qui, à cause de l’humidité et des températures élevées, rendait le séjour des personnes privées de liberté et le travail des surveillants difficiles.

Le SPT a pu constater que certains établissements pénitentiaires provinciaux et fédéraux n’offraient pas de conditions satisfaisantes pour l’hygiène personnelle. Dans plusieurs unités, tant fédérales que provinciales, le SPT a reçu des plaintes relatives au manque de produits d’hygiène, les détenus devant presque toujours compter sur l’appui de leur famille pour leur en fournir.

Il convient de prendre les mesures qui s’imposent pour pallier les problèmes liés au manque de ventilation, à la présence de vecteurs de maladies et aux installations sanitaires dans les unités concernées.

Le SPT invite instamment l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour que les conditions de détention dans les prisons du pays soient rendues conformes à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. À cet effet, il recommande de réaliser un audit, au niveau national, des conditions matérielles en vue d’établir un plan d’assainissement et de rénovation, qui devra inclure des mesures de prévention du surpeuplement et des incendies.

Le SPT prend note de la décision no 12/12, du 3 juillet 2012, par laquelle la Cour suprême de justice de la nation a décidé de limiter au maximum le nombre de détenus à l’U28 afin de remédier à la situation constatée par le SPT. Le SPT demande à l ’ État partie de lui faire part de l ’ application des mesures de prévention du surpeuplement dans cette unité.

b)Alimentation

Le SPT a constaté, dans plusieurs unités visitées, que la nourriture servie était insuffisante et de mauvaise qualité. Par exemple, à l’Unité 28 du service pénitentiaire fédéral, l’Unité 3 et l’Unité 30, on s’est plaint de ce que des repas ne soient servis que deux fois par jour. Cela a confirmé les informations allant dans ce sens que le SPT avait reçu de différentes sources.

L ’ État partie doit augmenter le nombre de contrôles de la qualité des aliments et veiller à ce que les repas soient préparés dans des conditions d ’ hygiène et en quantité suffisante s , et à ce qu ’ ils contiennent la qualité et la variété nutritive nécessaire s pour préserver la santé des personnes privées de liberté dans toutes les unités . Il importe de mieux contrôler le système d ’ attribution des contrats aux entreprises qui fournissent les repas et la bonne exécution des contrats afin de prévenir les abus.

c)Activités

Même si l’accès à des activités éducatives et professionnelles varie d’un centre à l’autre, ces dernières sont généralement loin d’être satisfaisantes. À l’Unité 30, par exemple, seulement 20 à 30 % des détenus pouvaient suivre une formation ou travailler dans des ateliers. Dans d’autres unités, des griefs ont été formulés contre le faible accès aux activités de formation ou aux activités professionnelles, en particulier à celles qui peuvent améliorer les perspectives d’avenir des détenus après leur sortie. Certaines autorités pénitentiaires ont confirmé que les entreprises qui installaient des ateliers dans les établissements pénitentiaires tiraient profit du niveau extrêmement bas des salaires versés à leurs travailleurs. La pénurie d’enseignants, qui doivent être mis à disposition par le Ministère de l’éducation, ainsi que le manque de salles de classe et de matériel pédagogique comptent parmi les facteurs qui expliquent pourquoi peu de détenus peuvent faire des études.

Le SPT recommande aux autorités compétentes de redoubler d ’ efforts pour améliorer le programme d ’ activités éducatives et professionnelles dans tout le pays afin que tous les détenus puissent en bénéficier et que les revenus qu ’ ils tirent de leur activité professionnelle soient décents.

d)Mise à l’isolement

Dans plusieurs unités, le SPT a constaté que les détenus étaient placés dans des zones à l’écart non seulement en cas de sanction mais également pour d’autres motifs, par exemple leur récente arrivée dans l’unité, la réaffectation ou l’application d’une mesure de protection. Les détenus peuvent passer des semaines, voire des mois, en situation d’isolement sans que ce régime soit lié à leur comportement. Le SPT considère que seuls ceux qui ont été punis devraient se trouver dans ces lieux, pendant une période déterminée et dans le respect des garanties d’une procédure régulière. Le fait de mettre à l’écart la personne qui a besoin d’être protégée constitue une violation de ses droits. L’État est obligé d’offrir une protection sans restreindre les droits de la personne concernée, comme cela se produit lorsqu’elle est mise à l’écart.

Dans certaines unités provinciales, le SPT s’est entretenu avec des personnes qui ont indiqué être en situation d’isolement vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme punition, depuis quatre mois, dans des cellules sans électricité ni ventilation adaptée. L’isolement variait dans d’autres cas où, par exemple, passer une heure par jour dans la cour, ou quinze minutes dans le couloir du lundi au vendredi, était autorisé. Dans tous les cas, le SPT est préoccupé par le fait que l’isolement échappe, dans la pratique, au contrôle judiciaire, comme l’a dit la Défenseure générale de la nation.

Il est urgent que l’État partie revoie le régime actuel d’isolement, dans le système tant fédéral que provincial, afin de garantir les droits des personnes privées de liberté. L’isolement doit constituer une mesure exceptionnelle, strictement limitée dans le temps, et exécutée sous contrôle médical et judiciaire. Il ne doit pas être utilisé comme outil de gestion pénitentiaire. La cellule du détenu doit présenter des conditions respectueuses de l’intégrité physique et de la dignité de la personne privée de liberté.

Le SPT croit comprendre que, pour plusieurs raisons, des mesures de sécurité accrues doivent être prises pour certains détenus. Il est toutefois entendu que ces mesures ne peuvent se transformer en une peine venant s’ajouter à celle prononcée par l’autorité judiciaire car cela serait contraire aux principes d’égalité devant la loi et de non ‑discrimination. Cette exigence d’égalité de traitement est d’autant plus nécessaire quand elle concerne les prévenus. C’est pour cela que le SPT considère que toute mesure de sécurité se transformant en une aggravation déraisonnable des conditions de détention constitue une forme de mauvais traitement des personnes privées de liberté.

e)Contacts avec le monde extérieur

Des griefs ont été exposés au SPT selon lesquels les visites familiales étaient trop courtes et trop sporadiques et que le régime de ces visites ne s’appliquait pas à tous de la même manière. Certains détenus se sont plaints des limites qui étaient imposées à leur droit à une visite intime de leur compagnon ou de leur compagne lorsqu’ils n’étaient pas unis par les liens du mariage. Les familles de détenus ont indiqué au SPT que les procédures d’accès aux centresétaient trop longues.

L’État partie doit veiller à ce que toutes les personnes privées de liberté puissent régulièrement recevoir des visites , y compris de leurs conjoints, que leur union soit reconnue formellement ou non par l’État, et qu’elles ne soient pas limitées pour des raisons de sexe, de nationalité, d’orientation sexuelle ou pour d’autres motifs discriminatoires. La délivrance des cartes d’accès aux visiteurs doit être accélérée et les détenus doivent pouvoir recevoir des appels de leur famille.

Des personnes privées de liberté se sont plaintes au SPT des vexations et des mauvais traitements dont ont été victimes des membres de leur famille venus leur rendre visite. Les plaintes faisaient état de fouilles intrusives, dont l’obligation de se dévêtir, de subir une palpation et même de réaliser des flexions, imposée à tout visiteur, y compris aux mineurs, aux bébés et aux femmes enceintes. Elles ont également fait état d’insultes et de menaces proférées par le personnel pénitentiaire chargé des inspections dissuadant de dénoncer ces mauvais traitements sous peine de représailles contre les proches privés de liberté.

Le SPT recommande à l’État partie de veiller à ce que les fouilles à nu et les fouilles intimes obéissent aux critères de nécessité, de rationalité et de proportionnalité. Si elles sont pratiquées, les fouilles corporelles doivent être réalisées dans des conditions sanitaires adéquates, par du personnel qualifié du même sexe, et être compatibles avec la dignité humaine et le respect des droits fondamentaux. Les fouilles intrusives vaginales et anales doivent être interdites .

Le personnel qui accueille les visiteurs doit être formé à son obligation de respecter les droits de toutes les personnes. Il convient d’installer un système indépendant permettant de dénoncer les mauvais traitements qui prévoit des enquêtes indépendantes et des sanctions.

3.Violence en détention

Le SPT a reçu plusieurs témoignages concordants selon lesquels les personnes privées de liberté sont soumises à un contrôle permettant au personnel pénitentiaire au «contact quotidien» des détenus, sous la direction du chef de pavillon ou du surveillant‑chef, de s’occuper de tout ce qui touche à la transmission des réclamations et des plaintes, à la satisfaction des besoins des détenus et au régime disciplinaire. Ce contrôle s’exerce souvent sur la base du travail de renseignements des limpieza ou fajineros (détenus chargés de nettoyer les sanitaires et les cours), individus privés de liberté qui assurent la liaison entre la population carcérale et l’administration pénitentiaire. À cet égard, le SPT a reçu des plaintes de diverses natures dénonçant le vol d’objets appartenant aux détenus, les menaces, le chantage exercé pour garantir une sécurité accrue ou un meilleur traitement en échange d’argent, l’introduction et la vente de stupéfiants, les agressions physiques, les provocations qui déclenchent des rixes et des conflits entre détenus à des fins de diversion et de contrôle, avec l’assentiment du personnel pénitentiaire, les transferts internes dans des pavillons plus exposés aux conflits ou à des fins d’isolement, la réduction des rations alimentaires et du nombre de visites, ou encore l’accès privilégié à des programmes d’éducation et de travail.

Cet engrenage de menaces et de risques, l’absence de système efficace permettant de porter plainte et d’enquêter sur les abus et la crainte de subir des représailles en cas de plainte font qu’une personne privée de liberté, même si elle n’a pas été directement victime d’actes violents dans le meilleur des cas, vit dans la peur constante d’être agressée ou que l’on s’en prenne à sa famille ou à ses biens. Le SPT a été témoin d’un incident révélateur dans l’Unité1, Lisandro Olmos (U1), au cours duquel un détenu placé à l’isolement a affirmé avoir reçu d’agents pénitentiaires une arme de fabrication artisanale (un couteau) avec pour instruction de tuer un autre détenu, sous la menace de représailles s’il n’obtempérait pas. Quand le SPT a informé les autorités pénitentiaires de la situation, celles-ci ont fait inspecter la cellule et ont découvert l’arme en question.

Le SPT prend note des informations fournies par l’État partie, après sa visite, selon lesquelles l’épisode susmentionné avait donné lieu à l’ouverture d’une procédure administrative, qui avait montré des failles dans les inspections des cellules, dans les contrôle à l’entrée dans la prison, dans l’accès aux cellules et aux pavillons et dans les mécanismes de prévention de la violence. La procédure avait abouti à l’inculpation de quatre agents pour faute disciplinaire. Le SPT constate toutefois que les faits n’ont pas été portés à la connaissance du ministère public et que seule une enquête administrative a été menée, ce qui laisse à penser que les autorités pénitentiaires se comportent comme un État à l’intérieur de l’État. Le SPT espère recevoir d ’ autres renseignements sur l ’ enquête menée et la situation du détenu concerné et espère en particulier qu ’ il n ’ a pas été et qu ’ il n ’ est pas victime d ’éventuelles représailles.

Outre l’incident en question, le SPT s’est rendu compte qu’une ambiance palpable de violences et de craintes régnait dans l’Unité1 à tous les niveaux. D’une manière générale, les détenus ont été réticents à s’entretenir avec les membres du SPT et le comportement des gardiens n’a pas permis, dans une grande mesure, d’organiser des entretiens confidentiels, mais quelques détenus ont évoqué l’existence d’une pratique consistant à déguiser les décès en suicides. En outre, le nombre élevé de personnes détenues dans cette institution, conjugué à la vétusté, à la saleté et au mauvais entretien du bâtiment, font que les détenus vivent dans des conditions inhumaines et sont gérés d’une façon pas moins inhumaine.

Le SPT estime que l ’ Unité 1 Lisandro Olmos doit être fermée ou complètement rénovée.

Le SPT a reçu des témoignages sur le recours à la torture pour faire régner la discipline et pour empêcher les détenus de se plaindre. Parmi les exemples de témoignages, celui d’une personne privée de liberté dans une unité fédérale qui portait des traces de blessures sur un bras après avoir été passée à tabac par le personnel pénitentiaire lors d’une inspection, en la présence du directeur, du sous-directeur et du personnel médical de l’unité. Elle affirmait avoir reçu des coups sur les mains, les pieds et la tête, et avoir été brûlée au fer rouge. Dans une unité du service pénitentiaire de Buenos Aires, le SPT a rencontré des détenues qui disaient avoir été agressées physiquement et verbalement par des gardiens.

Le SPT a reçu des allégations selon lesquelles les gardiens effectuaient des inspections dans les pavillons après les visites du SPT, au cours desquelles ils exigeaient des détenus qu’ils se déshabillent et se livrent à toutes sortes de flexions afin de les punir et de leur faire peur.

Le SPT est préoccupé par le recours récurrent et systématique à des armes et à une force excessive par le système pénitentiaire. Le SPT a été témoin d’une opération de sécurité dans l’Unité3 à l’occasion d’une inspection. D’après plusieurs témoignages, quelques minutes avant, des gardiens avaient tiré des coups de feu avec des balles en caoutchouc et avaient visé, parfois directement, des détenus qui n’obéissaient pas. Les agents pénitentiaires ont obligé chaque détenu à se déshabiller et à fouiller leurs vêtements devant les agents et les autorités pénitentiaires.

Le SPT est aussi préoccupé par le nombre de décès traités comme des suicides et ceux dus à des incendies, ainsi que par l’absence d’enquête permettant de clarifier les faits et d’établir les responsabilités.

Cette situation de violence coïncide avec des informations obtenues auprès d’autres organismes de protection des droits de l’homme durant la visite du SPT, en particulier avec l’adoption de mesures de protection par la Commission interaméricaine des droits de l’homme en faveur de personnes détenues dans les Unités46, 47 et 48 du service pénitentiaire de Buenos Aires.

Le SPT considère que la torture et les mauvais traitements font partie d ’ une situation de violence structurelle dans les établissements de détention et constituent des pratiques fortement enracinées dans la façon de procéder du personnel pénitentiaire en Argentine. Les autorités judiciaires et gouvernementales de la province de Buenos Aires ont présenté au SPT les mesures adoptées pour combattre la torture et les mauvais traitements, mais elles ont indiqué que le système de prévention n ’ en était qu ’ à ses balbutiements, que beaucoup restait à faire et que l ’ obtention de résultats passait par la coordination et la coopération entre les différentes institutions compétentes en la matière.

Le SPT recommande d ’ élaborer et de mettre en œuvre un plan national de lutte contre la violence structurelle dans le système pénitentiaire qui comprenne les mesures suivantes:

a) Améliorer les conditions du personnel pénitentiaire, s ’ agissant de sa formation et de sa remise à niveau permanente dans le domaine des droits de l ’ homme en prison, afin de faire évoluer la culture institutionnelle, l ’ objectif étant d ’ accorder la priorité aux questions de sécurité et de mettre l ’ accent sur l ’ assistance et le traitement respectueux de la dignité des détenus. Les protocoles de formation et de mission du personnel pénitentiaire devront être révisés en ce sens et être adaptés à la doctrine des droits de l ’ homme dans les situations de détention;

b) Veiller à ce que des ressources budgétaires suffisantes soient allouées aux services pénitentiaires pour que puissent être embauchées des personnes motivées, correctement rémunérées et suffisamment nombreuses pour faire face aux besoins des centres;

c) Procéder à une évaluation des postes et des fonctions à tous les niveaux, en particulier en ce qui concerne les agents pénitentia ires en contact direct avec les  détenus;

d) Renforcer les mécanismes externes de contrôle et les politiques efficaces de protection des victimes et témoins d ’ actes de violence, de torture et de mauvais traitements. Dans ce cadre, le SPT recommande de garantir l ’ accès du procureur pénitentiaire aux dossiers administratifs;

e) Établir un système transparent et sans risque s pour que les personnes privées de liberté puissent transmettre leurs plaintes et leurs réclamations administratives en cas de torture et de mauvais traitements ou d ’ actes de toute autre nature. En ce sens, le SPT constate qu ’ après sa visite, le service pénitentiaire de Buenos Aires a décidé d ’ installer un système d ’ urnes pour recueillir les plaintes de façon confidentielle, urnes auxquelles seul le directeur de chaque unité aura accès. Le SPT demande des renseignements sur les résultats et le s effets obtenus au moyen de ce système.

De même, le SPT demande instamment à l ’ État partie de:

a) Réaffirmer sans équivoque l ’ interdiction absolue de la torture et condamner publiquement cette pratique en rappelant que quiconque commet de tels actes, s ’ en rend complice ou participe à la commission de tels actes sera responsable au pénal et au civil, et pourra engager la responsabilité internationale de l ’ État (responsabilité objective);

b) Garantir l ’ ouverture rapide d ’ enquêtes impartiales sur toutes les plaintes de torture et de mauvais traitements dans le système pénitentiaire. En ce sens, il demande à l ’ État partie de lui fournir des données statistiques sur les enquêtes administratives et judiciaires réalisées en cas de décès violents, d ’ actes de torture et de mauvais traitements;

c) Faire en sorte qu ’ en cas de torture et de mauvais traitements, les auteurs présumés soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l ’ enquête et soient destitués de leurs fonctions s ’ ils sont reconnus coupables;

d) Modifier la réglementation en matière d ’ inspection pour garantir le respect de la dignité et les droits des personnes privées de liberté comme ceux des personnes qui leur rendent visite;

e) Établir des règles claires sur l’utilisation des armes à l’intérieur des établissements de détention, pour s’assurer que cette utilisation soit strictement fondée sur les principes de proportionnalité et de nécessité. Il doit être tenu un registre de l’utilisation de tous les moyens de contrainte, y compris ceux qui ne sont pas mortels.

Le SPT prend note de l’information fournie par l’État selon laquelle, après sa visite, une commission a été mise sur pied pour étudier le rôle des détenus appelés limpieza. Le SPT espère être informé des conclusions de cette étude.

Le SPT s’est entretenu avec des détenus des unités de la province de Buenos Aires où est appliqué le programme de prévention de la violence, qui consiste à placer le détenu concerné à l’isolement pendant vingt-trois heures sur vingt-quatre, avec une heure de promenade seul pendant neuf mois. Ce programme ne permettait apparemment pas de résoudre les causes de la violence. Le SPT a pris note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle, après sa visite, on avait procédé à une évaluation du programme et décidé d’y mettre fin immédiatement. Les détenus concernés faisaient désormais l’objet du programme de prévention de la violence au niveau de la province, qui privilégiait le travail en groupe afin d’instaurer des relations harmonieuses et d’apaiser les tensions, avec l’aide de professionnels compétents dans différentes disciplines.

C.Centres de détention pour mineurs

Le SPT a visité les centres fermés d’Almafuerte à La Plata et de Lomas de Zamora. Dans le premier, outre le délabrement des locaux, le SPT a constaté qu’il y régnait un climat d’oppression caractérisé par un régime de détention dans le cadre duquel les détenus se déplaçaient en permanence d’un espace clos à un autre (cellule, réfectoire, école, cour) mais difficilement et sans aucune liberté d’un lieu à l’autre. Ils ne pouvaient pas avoir accès tous les jours à des espaces récréatifs à l’air libre (ça se produisait de façon très sporadique) alors qu’un espace vert se trouvait à côté du centre. Dans la salle commune ou le réfectoire, où les jeunes détenus passaient de nombreuses heures par jour pratiquement désœuvrés, aller aux toilettes s’avérait compliqué: ils devaient demander à un surveillant de leur ouvrir la porte et de les accompagner. Les détenus passaient de nombreuses heures dans leur cellule individuelle. Les sanctions disciplinaires prenaient la forme d’une mise à l’isolement en cellule qui pouvait durer jusqu’à dix jours. Des inspections avaient lieu deux fois par jour, les détenus étant obligés de se dévêtir et de faire des flexions.

Un régime similaire identique est appliqué dans le centre de Lomas de Zamora. Le régime n’y est pas aussi strict que dans le premier centre mais les détenus sont aussi soumis à des restrictions excessives puisqu’ils ne sortent pas tous les jours mais un jour sur deux. Le SPT a reçu des informations concernant l’absence de contrôle judiciaire effectif sur les sanctions imposées aux jeunes détenus dans ces centres. Il arrive que les sanctions ne soient même pas enregistrées pour éviter toute intervention des défenseurs.

Dans les deux centres, on a constaté que les éducateurs manquaient de formation et de connaissances spécialisées, comme ils l’ont reconnu eux-mêmes, et qu’il était donc urgent d’établir des programmes adéquats pour assurer une formation de base et une remise à niveau périodique. De même, on a constaté que les deux centres manquaient de professionnels, notamment d’enseignants et de psychologues, et que ces professionnels disposaient de locaux et de moyens très précaires pour travailler. Dans le centre de Lomas de Zamora, par exemple, chaque élève ne reçoit que quatre-vingt-dix minutes d’enseignement par jour.

De nombreux jeunes, y compris des mineurs, avec lesquels le SPT s’est entretenu, ont dit avoir été passés à tabac et avoir subi d’autres mauvais traitements lorsqu’ils ont été arrêtés par la police et détenus dans des commissariats. De même, ils avaient l’impression qu’ils seraient stigmatisés toute leur vie pour une erreur de jeunesse.

Conformément aux normes internationales , le Sous-Comité recommande à  l ’ État partie:

a) De prendre des mesures pour modifier l ’ approche punitive qui est suivie dans les centres de détention pour mineurs et faire en sorte que le régime appliqué favorise la resocialisation plutôt que l ’ isolement. La pratique de l ’ exercice physique quotidien à l ’ air libre doit être garanti;

b) D ’ élargir l ’ offre de formation afin de faciliter la réinsertion des jeunes dans la société;

c) De préserver et de développer la participation des parents durant toute la période d ’ application des mesures socioéducatives afin que les jeunes puissent rester en contact permanent avec leur famille;

d) De faire en sorte que les jeunes puissent bénéficier gratuitement des services d ’ un avocat indépendant, et accéder à un mécanisme de plainte indépendant et efficace en cas de mauvais traitements;

e) D ’ élaborer un plan pour l ’ amélioration des infrastructures et la formation du personnel qui travaille avec des jeunes détenus aux niveaux fédéral et provincial.

D.Établissements psychiatriques

Le SPT a visité des établissements psychiatriques, notamment des institutions qui accueillent des personnes dont l’admission a été ordonnée par la justice, et des établissements qui accueillent, outre des patients ordinaires, des personnes qui ont été hospitalisées contre leur gré à la suite de procédures civiles.

La loi no 26657 relative à la santé mentale, adoptée en novembre 2010, s’applique à toutes ces situations sur l’ensemble du territoire national. Lors de son adoption, cette loi a été reconnue par tous comme une étape importante permettant de garantir les droits des personnes souffrant d’un handicap intellectuel ou psychosocial, et d’améliorer leur traitement et leur situation. Toutefois, la loi n’a pas encore fait l’objet d’un décret d’application si bien qu’elle est appliquée en partie en fonction des approches, des ressources et de la bonne volonté de chaque institution. L’absence de réglementation s’explique par des divisions qui déchirent la profession et la défense d’intérêts corporatistes par des secteurs qui se sentent exclus et sont insatisfaits du nouveau modèle de services de santé prévu par la loi. De nombreux professionnels du domaine de la santé mentale, avec lesquels le SPT s’est entretenu, ne comprenaient pas bien les dispositions de la loi. Les explications fournies au SPT sur l’application concrète de celle-ci étaient confuses, voire contradictoires.

Le SPT recommande d ’ accélérer l ’ adoption du décret nécessaire pour la bonne application de la nouvelle loi. Un élément important de cette réglementation, dont l ’ élaboration devrait être rapide, est l ’ «organe de révision» compétent pour contrôler le statut des internements.

Le SPT est préoccupé par l’absence de structures qui assureraient la prise en charge des patients jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de recouvrer définitivement leur autonomie. Il s’ensuit que les hôpitaux psychiatriques servent bien souvent de refuges à des personnes qui n’ont pas nécessairement besoin d’être internées, se transformant en lieux d’accueil des personnes sans ressources ni soutien familial.

Le SPT recommande l ’ adoption de mesures visant à éviter le séjour en hôpital psychiatrique de patients pour des raisons socioéconomiques plutôt que médicales, telles que la création de «maisons de mi-parcours».

Le SPT a constaté que les installations des centres de santé mentale qu’il a visitées étaient mal entretenues. La situation de l’Hospital Interdisciplinario Psicoasistencial Borda est particulièrement préoccupante en raison de l’extrême dégradation du bâtiment. Le secteur des admissions et l’espace réservé aux médecins et personnel de garde sont particulièrement décrépis. Les coupures de gaz sont fréquentes depuis plus d’une année dans de nombreux secteurs et les toilettes sont totalement laissées à l’abandon. Le personnel a indiqué que les repas fournis aux patients étaient insuffisants et de mauvaise qualité. Le mobilier et le linge de lit étaient également en piteux état. L’hôpital Borda serait menacé de fermeture parce qu’il occupe un terrain qui pourrait convenir à la construction d’un centre civique, ce qui pourrait expliquer le peu, voire le manque total, d’intérêt pour la modernisation de ses installations et de son équipement et le climat d’anxiété constante qui règne parmi le personnel qui craint sa fermeture. L’hôpital Moyano se trouve dans un même état de détérioration.

Il convient aussi d’évoquer le manque de personnel et d’activités prévues pour les personnes placées en institution. Les médecins, les psychologues et les ergothérapeutes sont trop peu nombreux. Les infirmiers doivent souvent s’occuper d’un grand nombre de patients et, selon certaines allégations, il arrive que des patients restent sans soins. Le SPT a reçu des informations selon lesquelles les médecins faisaient moins de la moitié de leur journée de travail. À l’hôpital Borda, 90 % du personnel ne serait présent que le matin. De même, le SPT a reçu des plaintes selon lesquelles, faute de personnel, on abusait des médicaments pour maîtriser les patients.

Le SPT a visité l’hôpital pénitentiaire central I d’Ezeiza où est appliqué le programme PRISMA. Dans ce cadre, les soins sont fournis par du personnel externe mais le maintien de l’ordre et de la sécurité incombe au personnel pénitentiaire qui, d’après les informations reçues, n’hésite pas à recourir à des mesures de contrainte physique (attacher un patient à son lit, le menacer ou le frapper, notamment). La peur de certains détenus avec lesquels le SPT s’est entretenu était manifeste. Un d’entre eux a montré une cicatrice qu’il portait sur le cou après avoir tenté de s’étouffer avec une corde à la suite de mauvais traitements et d’actes de harcèlement commis par le personnel de sécurité. Un autre patient a indiqué avoir été passé à tabac par des gardiens qui l’accusaient de les avoir insultés et a même montré des traces de bottes qui marquaient encore sa peau. Ce patient avait porté plainte auprès de la justice.

Le SPT recommande à l ’ État d ’ ouvrir une enquête sur le traitement dispensé aux détenus placés en traitement psychiatrique par le personnel pénitentiaire. L ’ État doit également veiller à ce que le personnel reçoive une formation appropriée pour pouvoir travailler avec ce type de détenus.

IV.Enquête sur les actes de torture et les mauvais traitements

Le SPT a pu constater qu’il existe un écart important entre les statistiques relatives aux cas de torture ayant fait l’objet d’une plainte et d’une enquête par les organes judiciaires et celles qui figurent dans les bases de données et les registres des instances publiques qui procèdent à des contrôles, telles que le Bureau du Procureur pénitentiaire et autres institutions liées à l’accès à la justice, comme le ministère public au niveau fédéral ou les services du défenseur public au niveau provincial, comme ceux de la province de Buenos Aires. La situation est la même en ce qui concerne d’autres registres, comme ceux du Comité contre la torture de la Commission provinciale pour la mémoire. Cet important travail de contrôle au moyen de visites, qui complète le mandat préventif du SPT, doit être renforcé et ne doit pas être menacé par les coupures budgétaires et autres qui pourraient affaiblir l’action en faveur de la protection et de la prévention des actes de torture et des mauvais traitements. Le SPT juge très important le travail de recueil de données et d ’ enregistrement des cas de torture et de mauvais traitements. Toutefois, il estime que les instances mentionnées doivent également s ’ employer à renforcer les mécanismes institutionnels de contrôle, y compris les mécanismes judiciaires, afin de parvenir à une meilleure prévention et à moins d ’ impunité.

Le SPT a reçu de nombreuses informations, émanant d’autorités comme d’organismes de la société civile, concernant l’absence d’enquête sur les cas de torture et l’impunité qui en résulte. De nombreux facteurs font obstacle aux enquêtes, notamment:

L’absence de plainte administrative ou judiciaire dans le secteur pénitentiaire en raison de la crainte des victimes de subir des représailles. Les autorités du ministère public dans les provinces ont expliqué qu’elles avaient beaucoup de difficulté à réunir des preuves pour cette raison. D’après elles, les victimes portent plainte mais finissent par se rétracter, et les codes pénitentiaires empêchent les détenus de porter plainte en ayant pleinement confiance;

L’absence de représentation efficace des victimes dans la procédure pénale;

La non-application par les procureurs d’un protocole relatif aux enquêtes sur les cas de torture, alors que celui-ci a été élaboré par le Procureur général de la nation;

L’absence d’enquête systématique permettant d’en savoir plus sur tous les acteurs qui, dans la police comme dans le système pénitentiaire, ont recours à la torture et à des mauvais traitements pour extorquer des avantages économiques ou autres;

Le rôle limité que jouent dans la pratique les juges de l’exécution («jueces de ejecución»), alors que le paragraphe 3 de l’article 25 du Code de procédure pénale de Buenos Aires les habilite à surveiller le traitement réservé aux condamnés privés de liberté.

L’absence de garantie d’indépendance pour tous ceux qui interviennent dans l’accès à la justice pénale, en particulier le ministère public et les services du défenseur public pour les affaires pénales, entrave aussi la réalisation d’enquêtes sur les cas de torture. Le SPT est préoccupé par l’existence dans les différentes provinces d’un système dans lequel le ministère public («Ministerio Público de la Defensa Penal») et les services du défenseur public pour les affaires pénales («Ministerios Públicos Fiscales») sont subordonnés à une même autorité supérieure à la tête du Bureau du Procureur général («Fiscalía»). Cette situation entrave la mise en œuvre de politiques institutionnelles adaptées à chacun de ces services, et diminue leur autonomie fonctionnelle et budgétaire. En outre, cette situation constitue un obstacle à l’exercice du droit à une procédure régulière, le principe de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense n’étant pas respecté alors même que le système public de défense vient en aide à un pourcentage élevé de personnes faisant l’objet d’une procédure pénale.

S’agissant du recours en habeas corpus comme moyen d’améliorer les conditions de détention et de régler les cas de torture et de mauvais traitements, le SPT a été informé du fait que dans la pratique, ce recours facile et rapide est souvent dénaturé de sa vocation première par les tribunaux qui en sont saisis. Souvent, il dénature tant la procédure (qui prévoit une audience et la comparution de la personne concernée devant le juge) que sa finalité et son objectif, le recours n’étant pas traité en temps opportun ou n’aboutissant pas à une réponse appropriée. Il convient aussi d’évoquer l’absence fréquente de suivi de l’application des décisions judiciaires qui sont souvent très génériques ou sont mises en œuvre des mois plus tard. Dans la province de Buenos Aires, l’utilisation de l’habeas corpus comme moyen d’améliorer les conditions de détention a été entravée par la réforme de l’article 417 du Code de procédure pénale, qui permet à l’exécutif de faire appel des décisions judiciaires d’habeas corpus. Actuellement, ce type de recours est très fréquent, ce qui fait que les décisions du juge qui a accordé l’habeas corpus ne sont pas appliquées ou restent en souffrance pendant des mois.

Le SPT s’inquiète aussi de ce que les juges ne qualifient pas les faits d’actes de torture mais de coups et blessures, de contrainte, d’abus d’autorité, d’usage excessif de la force, d’extorsion, etc., qui sont passibles de sanctions beaucoup moins lourdes et de délais de prescription plus courts. Cette pratique a des incidences sur l’existence d’un sous‑registre judiciaire des cas de torture et sur l’impunité.

Le SPT note que depuis l’adoption du décret no 168/11, il incombe à la Direction de l’inspection et du contrôle, qui relève du Sous-Secrétariat de la politique criminelle et des enquêtes judiciaires du Ministère de la justice et de la sécurité de la province de Buenos Aires, d’instruire les dossiers administratifs portant notamment sur les faits de torture et de mauvais traitements dans les établissements pénitentiaires. Il a ainsi été mis fin à la procédure antérieure qui faisait que ces dossiers étaient instruits par le Service pénitentiaire. Le SPT souhaite recevoir des renseignements sur les résultats des procédures qui ont été engagées par la Direction et sur la façon dont elles l ’ ont été.

109. Le SPT juge essentiel, pour combattre l ’ impunité dans les affaires de torture, que l ’ État partie mette en œuvre une politique d ’ enquête criminelle qui prévoit notamment d ’ améliorer les mécanismes de plainte administrative dans l ’ administration pénitentiaire.

110. Le ministère public et les services du défenseur public pour les affaires pénales doivent jouir d ’ une indépendance structurelle et fonctionnelle. De même, ils doivent se doter de protocoles d ’ action qui facilitent les enquêtes sur les affaires de torture, dans le respect des garanties de procédure, et éliminent tous les obstacles au dépôt de plainte et à l ’ établissement des faits a posteriori. La création, prévue par la  Constitution, d ’ une police judiciaire indé pendante sous les ordres de la « Fiscalía » renforcerait encore ce travail d ’ enquête. Cette police devrait pouvoir enquêter sur la responsabilité des agents de police et agents pénitentiaires dans les affaires de torture et de mauvais traitements.

111.Le SPT recommande d ’ adopter des mesures pour modifier le régime des recours dans les procédures en habeas corpus, l ’ objectif étant de ne pas rendre l ’ application effective et opportune des peines correspondantes sans valeur et de nul effet.

112. Le SPT juge important de renforcer la figure du juge de l ’ exécution afin qu ’ il puisse s ’ acquitter de sa fonction de contrôle des conditions de détention des personnes privées de liberté.

113. Le SPT juge positive l ’ existence de registres sur les affaires de torture aux niveaux fédéral et provincial. Afin que ces registres soient un outil efficace pour combattre la torture et l ’ impunité autour d ’ elle, les entités compétentes devraient coordonner leurs efforts pour établir des directives communes sur la façon d ’ enregistrer les affaires.

114. Le SPT prend note avec intérêt des mesures adoptées par la Cour suprême de justice de la province de Buenos Aires en matière de suivi des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et demande des renseignements sur l ’ évaluation de ce suivi, la coopération avec le pouvoir exécutif et les perspectives d ’ action future. De même, il souhaiterait recevoir des informations sur l ’ état d ’ avancement de l ’ avant ‑ projet de registre sur les condamnations pour actes de torture et traitements cruels et inhumains.

Annexes

Annexe I

Liste des personnes avec lesquelles le Sous‑Comités’est entretenu

I.Autorités

A.Autorités fédérales

Luis Alén, Sous-Secrétaire chargé de la protection des droits de l’homme, Secrétariat des droits de l’homme

Andrea Gualde, Directrice nationale des affaires juridiques relatives aux droits de l’homme, Secrétariat des droits de l’homme

Federico Villegas Beltran, Ministre, Ministère des relations extérieures et du culte

Laura Lopresti, Sous-Secrétaire chargé de la gestion pénitentiaire

Victor Hortel, Directeur, Service pénitentiaire fédéral

Jorge Cevallos, Direction nationale du Service pénitentiaire fédéral

Carlos Fagalde, Sous-Secrétaire aux droits de l’enfant, de l’adolescent et de la famille

Natalia Federman, Directrice des droits de l’homme, Ministère de la sécurité

Daniela Moreno, Direction nationale de la santé mentale et des addictions

Graciela Natela, Direction nationale de la santé mentale et des addictions

Stella Maris Martínez, Défenseur général, Bureau du Défenseur général de la nation

Silvia Martínez, Défenseur officiel chargé de la Commission des prisons

Marcos Filardi, membre de la Commission des droits de l’homme

Nicolás Laino, Commission des droits de l’homme

Augusto Aguer, chef du Service des droits de l’homme et de l’administration de la justice, Bureau du Défenseur du peuple de la nation

Francisco Mugnolo, Procureur pénitentiaire de la nation

Mariana Sheehan, Coordinatrice des relations internationales, Bureau du Procureur pénitentiaire de la nation

B.Province de Buenos Aires

Ricardo Casal, Ministre de la justice et de la sécurité

Cesar Albarracín, Sous-Secrétaire de la politique criminelle et des enquêtes judiciaires

Emiliano Baloira, Sous-Secrétaire opérationnel

Christina Fioramonti, sénatrice

Emilio López Muntaner, sénateur

Sergio Alejandre, Sous-Secrétaire à la santé du Ministère de la santé de la province de Buenos Aires

Mario Calvo, Directeur provincial de la santé pénitentiaire

Florencia Piermarini, chef du Service pénitentiaire de Buenos Aires

Pablo Navarro, Secrétaire à l’enfant et à l’adolescent

Yanina Estévez, Sous-Secrétaire chargé des questions de responsabilité pénale des mineurs au Secrétariat de l’enfant et de l’adolescent

Gustavo Nahmias, Sous-Secrétaire aux droits de l’homme

Natalia Savichevich, Directrice provinciale chargée de la politique pénitentiaire

Marcos Erregue, Directeur de l’inspection et du contrôle

Ignacio Nolfi, Sous-Secrétaire du Département des droits de l’homme, de la politique pénitentiaire et des plaintes du Bureau du Procureur général de la province de Buenos Aires

Maximiliano Pagani, Rapporteur du Bureau du Procureur général de la province de Buenos Aires

Carlos Bonicatto, Défenseur du peuple de la province de Buenos Aires

Guillermo Gentile, Secrétaire chargé de la prévention et de la répression de la violence institutionnelle au Bureau du Défenseur du peuple

Carlos Martiarena, Secrétaire des droits de l’homme et des garanties du Bureau du Défenseur du peuple

Cour suprême de la justice de la province de Buenos Aires

C.Système des Nations Unies

Paolo Balladelli, Représentant de l’Organisation panaméricaine de la santé/Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Argentine

Hugo A. Cohen, Conseiller sous-régional pour les questions de santé mentale en Amérique du Sud, Organisation panaméricaine de la santé/Organisation mondiale de la Santé (OMS)

Juan Carlos Domínguez Lostalò, Représentant de l’Institut latino-américain des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants (ILANUD) en Argentine

Nora Luzi, Coordonnatrice du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) chargée des questions de gouvernance démocratique

D.Société civile

Asamblea Permanente por los Derechos Humanos (APDH)

Asociación Civil La Cantora

Asociación Civil Pensamiento Penal

Asociación de Familiares de Detenidos

Asociación por los Derechos en Salud Mental (ADESAM)

Centro de Estudios Legales y Sociales (CELS)

Centro de Estudios en Política Criminal y Derechos Humanos (CEPOC)

Comité Contra la Tortura − Comisión Provincial por la Memoria

Grupo de Mujeres de la Argentina

Instituto de Estudios Comparados en Ciencias Penales y Sociales (INECIP)

Annexe II

Lieux de détention visités

I.Établissements pénitentiaires

Service pénitentiaire fédéral

Complexe pénitentiaire fédéral I − Ezeiza

Complexe pénitentiaire fédéral II − Marcos Paz

Centre de détention judiciaire (Unité 28)

Service pénitentiaire de Buenos Aires

Unité 1 Lisandro Olmos

Unité 3 San Nicolás

Unité 30 General Alvear

Unité 46 San Martín

II.Locaux de police

Police fédérale argentine

Commissariat 3

Commissariat 15

Commissariat 16

Commissariat 30

Police de Buenos Aires

Commissariat Ensenada 3, El Dique

Commissariat Ensenada 2, Puna Lara

Commissariat Lomas de Zamora 9, Parque Barón

Commissariat Lomas de Zamora 5, Villa Fiorito

Commissariat pour les femmes et les familles, La Plata

Prison départementale (Alcaidía Departamental) Roberto Pettinato, La Plata

Police de la ville de Buenos Aires

Section 1

III.Centres pour enfants et adolescents

Centre d’accueil Lomas de Zamora

Institut Almafuerte

IV.Établissements psychiatriques

Hôpital neuropsychiatrique José Tiburcio Borda

Hôpital neuropsychiatrique Braulio Moyano

Hôpital neuropsychiatrique Alejandro Korn

Service psychiatrique central pour les hommes (Unité 20)