NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/CR/30/5

27 mai 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrentième session28 avril‑16 mai 2003

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Turquie

1.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport de la Turquie (CAT/C/20/Add.8) à ses 554e et 557e séances (CAT/C/SR.554 et SR.557), les 2 et 5 mai 2003, et adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de la Turquie, qui expose les nouvelles mesures prises et les faits nouveaux intervenus concernant l’application de la Convention depuis que l’État a soumis son rapport initial, en 1990. Il accueille aussi avec satisfaction les renseignements mis à jour et détaillés ainsi que les réponses circonstanciées données par la délégation de l’État partie.

3.Le Comité déplore néanmoins que l’État partie ait soumis très en retard son rapport qui aurait dû être présenté huit ans plus tôt.

B. Aspects positifs

4.Le Comité prend note des aspects positifs ci‑après:

a)L’abolition de la peine capitale pour les crimes commis en temps de paix;

b)La levée de l’état d’urgence qui était en vigueur depuis longtemps;

c)Les réformes législatives et constitutionnelles adoptées en vue de renforcer la primauté du droit et de rendre la législation conforme à la Convention, notamment la réduction de la durée de la garde à vue, la suppression de l’obligation d’avoir une autorisation administrative pour engager des poursuites à l’encontre d’un fonctionnaire ou d’un agent de l’État et la diminution du nombre des infractions relevant de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État;

d)L’incorporation dans la législation interne du principe qui veut que les éléments obtenus par la torture n’ont pas valeur de preuve dans les procédures judiciaires;

e)La mise en place de conseils de surveillance des prisons, composés de membres d’organisations non gouvernementales siégeant à titre individuel et qui ont pour mandat d’inspecter les établissements pénitentiaires;

f)La présentation au Parlement du projet de loi prévoyant la mise en place de l’institution du médiateur;

g)L’acceptation par l’État partie, dans un esprit de coopération, des visites des organes de surveillance comme les rapporteurs de la Commission des droits de l’homme de l’ONU et la publication des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT).

C. Sujets de préoccupation

5.Le Comité se déclare préoccupé par:

a)Les allégations nombreuses et concordantes indiquant que la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants sont apparemment toujours largement pratiqués sur des personnes gardées à vue;

b)Le fait que la police ne respecte pas toujours les garanties concernant l’enregistrement des détenus;

c)Les allégations selon lesquelles les personnes gardées à vue se voient refuser la possibilité de bénéficier rapidement et comme il convient de l’assistance d’un avocat et d’un médecin et leurs proches ne sont pas informés promptement de leur détention;

d)Les allégations selon lesquelles, malgré les nombreuses plaintes, il est rare que des poursuites soient engagées contre des membres des forces de sécurité pour torture et mauvais traitements et que des sanctions soient prises à leur encontre, les procédures sont d’une durée excessive, les peines prononcées ne sont pas en rapport avec la gravité des crimes, et les fonctionnaires de police accusés de torture sont rarement suspendus de leurs fonctions pendant l’enquête;

e)L’importance accordée aux aveux dans les procédures pénales et le fait que la police et les autorités judiciaires se fondent sur des aveux pour obtenir que des accusés soient condamnés;

f)Les problèmes alarmants qui se posent dans les prisons depuis la création des prisons dites de «type F» qui ont conduit des détenus à faire des grèves de la faim, auxquels plus de 60 personnes ont succombé;

g)Le fait que l’État partie n’exécute pas intégralement les jugements de la Cour européenne des droits de l’homme exigeant le versement d’indemnités équitables.

6.Le Comité est aussi préoccupé par:

a)La formation insuffisante du personnel médical qui s’occupe des détenus aux questions relatives à l’interdiction de la torture;

b)Les allégations selon lesquelles l’expulsion des étrangers en situation illégale vers leur pays d’origine ou des pays voisins s’accompagne souvent de mauvais traitements en violation des garanties prévues à l’article 3 de la Convention;

c)Les informations persistantes faisant état d’actes de harcèlement et de persécutions subis par des défenseurs des droits de l’homme et des organisations non gouvernementales.

D. Recommandations

7. Le Comité recommande à l’État partie:

a) De veiller à ce que les détenus, y compris ceux privés de leur liberté à la suite d’infractions relevant de la compétence des tribunaux de sûreté de l’État, bénéficient dans la pratique des garanties contre les mauvais traitements et la torture, notamment en assurant le respect de leur droit à l’assistance d’un médecin et d’un avocat et de communiquer avec leur famille;

b) De prendre les mesures requises pour faire en sorte que les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies et d’instituer un système de plainte efficace et transparent dans ce domaine;

c) D’abroger la prescription pour les crimes de torture et de mauvais traitements, de juger rapidement en première instance et en appel les affaires où des agents de l’État sont inculpés de torture ou de mauvais traitements et de veiller à ce que les membres des forces de sécurité qui font l’objet d’une enquête ou d’un procès pour torture ou mauvais traitements soient suspendus de leurs fonctions pendant l’enquête et rayés des cadres s’ils sont reconnus coupables;

d) De veiller à ce que des inspections de prisons et d’autres lieux de détention par les magistrats, les procureurs ou d’autres organes indépendants (tels que les conseils de surveillance des prisons) continuent d’être effectuées à intervalles réguliers et à ce que les mesures voulues soient prises par les autorités responsables pour donner suite à tous les rapports d’inspection et à toutes les recommandations formulées;

e) De garantir que les registres de détention par la police soient strictement tenus dès le début du placement en détention en inscrivant également le moment où les détenus sont extraits de leur cellule, et que ces registres puissent être consultés par les familles et les avocats;

f) De résoudre les problèmes qui se posent actuellement dans les prisons du fait de la création des «prisons de type F», en donnant effet aux recommandations du CPT et en engageant un véritable dialogue avec les détenus qui observent une grève de la faim;

g) De revoir la législation et la pratique actuelles de façon à garantir que l’expulsion des étrangers en situation irrégulière soit effectuée dans le respect total des garanties prescrites par les normes internationales en matière de droits de l’homme, notamment la Convention;

h) De veiller à ce qu’une réparation suffisante et équitable soit assurée aux victimes de torture et de mauvais traitements, comprenant une indemnisation financière, des services de réadaptation et un traitement médical et psychologique;

i) De veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte aux défenseurs des droits de l’homme et aux organisations non gouvernementales ainsi qu’à leurs locaux et archives;

j) D’inclure la prévention de la torture dans le Programme turc pour l’éducation dans le domaine des droits de l’homme (1998 ‑2007) et de veiller à faire largement connaître à toutes les autorités toutes les nouvelles dispositions législatives;

k) D’intensifier la formation du personnel médical en ce qui concerne les obligations énoncées dans la Convention, en particulier pour ce qui est de déceler les signes de torture ou de mauvais traitements et d’établir les rapports d’expertise médico ‑légale conformément au Protocole d’Istanbul;

l) D’inclure dans le prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par délit, région, appartenance ethnique et sexe, sur les plaintes dénonçant des actes de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis par des agents de la force publique, ainsi que sur les enquêtes ouvertes et les poursuites, les peines et les sanctions disciplinaires auxquelles elles ont donné lieu;

m) De donner dans le prochain rapport périodique des renseignements sur la mise en œuvre du «programme de retour au village» concernant les personnes déplacées à l’intérieur du pays;

n) De faire largement connaître dans l’État partie les conclusions et recommandations du Comité dans toutes les langues voulues.

8.L’État partie est invité à présenter d’ici le 31 août 2005 son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le troisième.

-----