NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/CR/28/7

6 juin 2002

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTUREVingt‑huitième session29 avril‑17 mai 2002

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESEN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Ouzbékistan

1.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l’Ouzbékistan (CAT/C/53/Add.1) à ses 506e, 509e et 518e séances, le 1er, le 2 et le 8 mai 2002 (CAT/C/SR.506, 509 et 518), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport de l’Ouzbékistan, qui a été soumis dans les délais et conformément à la demande du Comité. Il se félicite des renseignements importants donnés sur les nombreuses réformes entreprises pour rendre la législation nationale conforme aux obligations contractées par l’État partie en vertu de la Convention. Tout en relevant que le rapport contient peu de renseignements sur la mise en œuvre de la Convention dans la pratique, le Comité tient à marquer qu’il a apprécié la mise à jour riche de renseignements faite oralement par les représentants de l’État partie pendant l’examen du rapport, ainsi que la volonté de l’État partie de donner par écrit de plus amples renseignements et les statistiques nécessaires.

B. Aspects positifs

3.Le Comité note les faits nouveaux positifs suivants:

a)La ratification de plusieurs instruments de défense des droits de l’homme importants et la promulgation de nombreuses lois visant à rendre la législation conforme aux obligations qui découlent de ces instruments;

b)L’action éducative menée par l’État partie pour faire connaître aux divers secteurs de la population les normes internationales en matière de droits de l’homme et les grands efforts faits pour coopérer avec les organisations internationales en vue de promouvoir la compréhension des droits de l’homme, y compris en invitant le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme à apporter une coopération technique;

c)Les informations données par l’État partie sur les mesures qu’il prend pour élaborer une nouvelle définition de la torture conforme à celle qui en est donnée à l’article premier de la Convention, et la présentation au Parlement d’un projet de loi tendant à mettre en place un système de plaintes des citoyens en cas de torture;

d)L’assurance donnée par le représentant que l’État partie est résolu à établir un pouvoir judiciaire indépendant;

e)L’annonce par le représentant de l’État partie de la création d’un système de recours contre les décisions des tribunaux et l’introduction de peines de substitution à l’emprisonnement et de la libération sous caution;

f)L’annonce par le représentant que l’État partie avait entrepris de donner suite aux constatations de l’étude officielle sur les plaintes déposées auprès du Médiateur, qui avait révélé un certain nombre de condamnations judiciaires contestables, de cas de torture ou de mauvais traitements commis par des responsables de l’application de la loi et d’un contrôle insuffisant de l’application des normes en matière de droits de l’homme par les organes responsables de l’application de la loi;

g)Le procès et la condamnation à des peines d’emprisonnement, en janvier 2002, de quatre fonctionnaires de police pour actes de torture, et la déclaration faite par le représentant de l’État partie qui a affirmé qu’il s’agissait là d’un tournant marquant la volonté de l’État partie de donner véritablement effet, dans la pratique, à l’interdiction de la torture.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

4.Le Comité reconnaît combien il est difficile de surmonter l’héritage d’un régime autoritaire pour arriver à une forme démocratique de gestion des affaires publiques et relève que cette difficulté est aggravée par l’instabilité qui règne dans la région. Cela étant, le Comité souligne que de telles circonstances ne peuvent pas être invoquées pour justifier l’usage de la torture.

D. Sujets de préoccupation

5.Le Comité est préoccupé par les éléments ci‑après:

a)Les allégations particulièrement nombreuses, persistantes et concordantes faisant état d’actes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants particulièrement brutaux, perpétrés par les agents de l’État chargés de l’application de la loi;

b)Le fait que les personnes privées de liberté ne puissent pas communiquer, immédiatement après leur arrestation, avec un conseil indépendant, avec un médecin ou avec une personne habilitée à faire un examen médical ni avec leurs proches, ce qui est une garantie importante de protection contre la torture;

c)L’insuffisance de l’indépendance et de l’efficacité des services du procureur, en particulier compte tenu du fait que le procureur a compétence pour exercer un contrôle sur la fixation de la durée de la détention avant jugement, qui peut être prolongée jusqu’à 12 mois;

d)Le manque de formation pratique i) des médecins en ce qui concerne la détection des signes de torture ou de mauvais traitements sur les personnes qui sont ou ont été détenues et ii) des responsables de l’application de la loi et des juges, pour engager sans délai des enquêtes impartiales;

e)L’insuffisance de l’indépendance du pouvoir judiciaire;

f)Le refus de facto des juges de tenir compte des éléments produits par les accusés pour montrer qu’ils ont subi des tortures et mauvais traitements, ce qui fait qu’il n’y a pas d’enquête ni de poursuites;

g)Le fait que la définition de la torture figurant dans le Code pénal de l’État partie n’est pas complète et n’est donc pas entièrement conforme à l’article premier de la Convention;

h)Les nombreuses condamnations prononcées sur la foi d’aveux et la persistance de l’application du critère des «affaires criminelles résolues» pour l’avancement des agents de l’État responsables de l’application de la loi, toutes choses qui, conjuguées, créent les conditions propices à l’utilisation de la torture et des mauvais traitements afin de convaincre les personnes arrêtées de «passer aux aveux»;

i)L’absence de transparence dans le système de justice pénale qui fait qu’il n’y a pas de statistiques à la disposition du public sur les détenus, les plaintes pour torture, le nombre d’enquêtes ouvertes sur les plaintes et les résultats de ces enquêtes; de plus, l’État partie n’a pas donné les renseignements qui avaient été demandés lors de l’examen du rapport initial, en novembre 1999, au sujet du nombre de personnes en détention et du nombre de condamnés à mort qui ont été exécutés;

j)L’extradition ou l’expulsion de personnes, y compris de demandeurs d’asile, vers des pays où ils peuvent être exposés au risque de torture.

E. Recommandations

6.Le Comité recommande à l’État partie:

a)De réaliser rapidement des projets de révision des propositions tendant à modifier la loi pénale nationale de façon à y inclure le délit de torture, en pleine conformité avec la définition qu’en donne l’article premier de la Convention, ainsi que de l’assortir d’une peine adéquate;

b)De prendre d’urgence des mesures efficaces i) pour instituer un mécanisme d’enquête sur les plaintes totalement indépendant, extérieur aux services du procureur, à l’intention des personnes placées en détention et ii) de faire en sorte que des enquêtes rapides, impartiales et approfondies soient menées sur les nombreuses allégations de torture portées à la connaissance des autorités, et de poursuivre et de punir, selon qu’il convient, les responsables;

c)De veiller à ce que les personnes qui dénoncent des actes de torture et leurs témoins soient protégés contre des représailles;

d)De garantir, dans la pratique, le respect absolu du principe de l’irrecevabilité des éléments de preuve obtenus sous la torture;

e)De prendre des mesures pour instaurer et garantir l’indépendance des autorités judiciaires dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux normes internationales, en particulier aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature;

f)D’adopter des mesures permettant à un avocat, un médecin et aux membres de la famille de communiquer avec la personne arrêtée dès le tout début de la période de détention et de veiller à ce que les personnes détenues puissent consulter un médecin quand elles le demandent, sans avoir à obtenir l’autorisation des responsables des prisons; de tenir un registre portant le nom de tous les détenus et le jour et l’heure où les notifications de l’avocat, du médecin et des membres de la famille ont eu lieu et les résultats des examens médicaux; ce registre doit pouvoir être consulté par les avocats et toute personne qui en a besoin;

g)D’améliorer les conditions dans les prisons et dans les centres de détention provisoire et d’établir un système permettant l’inspection sans préavis des prisons et des centres de détention provisoire, par des contrôleurs impartiaux et fiables dont les constatations doivent être rendues publiques. L’État partie devrait aussi prendre des mesures pour abréger la période de détention avant jugement et assurer un contrôle judiciaire indépendant de la durée et des conditions de détention provisoire. De plus, seul un tribunal doit être habilité à décider une arrestation;

h)De veiller à ce que les responsables de l’application de la loi, les personnels judiciaires et médicaux et toute personne qui participe à la garde, à l’interrogatoire, au traitement des détenus ou qui est, à un autre titre, en contact avec les détenus reçoivent une formation concernant l’interdiction de la torture et de faire en sorte que les examens qu’ils doivent subir pour être confirmés dans leurs qualifications contiennent un élément portant sur la connaissance des prescriptions de la Convention ainsi qu’une évaluation de leur comportement passé en ce qui concerne le traitement des prisonniers;

i)D’envisager de prendre de nouvelles mesures pour transférer la responsabilité du système pénitentiaire du Ministère de l’intérieur au Ministère de la justice, contribuant ainsi à obtenir un progrès dans les conditions carcérales, conformément à la Convention;

j)De procéder à une analyse des cas de condamnation reposant uniquement sur des aveux depuis l’adhésion de l’Ouzbékistan à la Convention, en reconnaissant que les aveux peuvent très souvent avoir été obtenus par la torture ou les mauvais traitements et, le cas échéant, faire ouvrir sans délai une enquête impartiale et enfin prendre des mesures correctrices appropriées;

k)De veiller à ce que ni dans la législation ni dans la pratique il ne soit possible d’expulser, de renvoyer ou d’extrader un individu dans un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture;

l)D’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention;

m)De donner dans le prochain rapport périodique des données ventilées notamment par âge, sexe, origine ethnique et géographique, sur les lieux de détention civils et militaires ainsi que sur les centres de détention pour mineurs et autres institutions où des personnes peuvent être exposées à la torture ou aux mauvais traitements au sens de la Convention; de donner dans le prochain rapport périodique des renseignements sur le nombre, la nature et l’issue des affaires, disciplinaires et pénales, dans lesquelles des membres de la police et autres responsables de l’application de la loi ont été accusés de torture et d’infractions connexes;

n)De diffuser largement les conclusions et recommandations du Comité et les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen des rapports de l’État partie, notamment auprès des responsables de l’application de la loi, dans les organes d’information et par les moyens de diffusion et de vulgarisation qu’offrent les organisations non gouvernementales;

o)D’envisager de consulter directement les organisations non gouvernementales indépendantes de défense des droits de l’homme pour l’élaboration du prochain rapport périodique.

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