Présentée par:

Jesús Rivera Fernández (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

29 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Date de l’adoption de la décision:

28 octobre 2005

Objet: Rejet de candidature au Conseil supérieur de la magistrature.

Questions de procédure: Même question examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; irrecevabilité ratione materiae.

Questions de fond: Liberté d’association, procédure équitable, non‑discrimination.

Articles du Pacte: 14, par. 1, 22 et 26.

Articles du Protocole facultatif: 3 et 5, par. 2 a).

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑cinquième session

concernant la

Communication n o  1396/2005 **

Présentée par:

Jesús Rivera Fernández (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

29 juillet 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2005,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.1L’auteur de la communication, datée du 29 juillet 2004, est Jesús Rivera Fernández, juge espagnol né en 1957. Il affirme être victime de violations par l’Espagne du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 22, lus conjointement avec l’article 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 19 août 2005, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a accédé à la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1Le 13 juin 2001, l’auteur a présenté sa candidature au Conseil général de la magistrature (ci‑après dénommé le Conseil). Le Conseil est l’organe directeur de la magistrature espagnole. Il est composé de 21 membres, dont 12 sont des magistrats du siège. Ces 12 membres sont désignés par le Congrès. Le 28 juin 2001, un amendement à la loi sur la magistrature a modifié le système de nomination de ces 12 membres du Conseil. Avant l’entrée en vigueur de l’amendement, les juges pouvaient élire librement les candidats qu’ils proposaient au Congrès pour les représenter au Conseil. Depuis l’amendement, 36 candidats au plus doivent être proposés, soit par l’une des associations de juges existantes, soit par des juges n’adhérant à aucune association appuyés par au moins 2 % des juges en fonctions. Les juges adhérant à une association ne peuvent voter que pour les candidats qui font également partie de leur association. Quant aux juges n’adhérant à aucune association qui présentent leur candidature au Conseil, bien qu’ils doivent être appuyés par au moins 2 % des juges en fonctions, ils ne peuvent solliciter cet appui qu’auprès de juges ne faisant pas partie d’une association. La loi dispose également que la composition de toutes les associations de juges ne peut pas être modifiée depuis le 1er juin 2001.

2.2Jusqu’au 12 juin 2001, l’auteur était membre de l’Association professionnelle des magistrats de Murcie, dont il a démissionné afin de présenter une candidature indépendante, appuyée par 40 juges dont aucun ne faisait partie à ce moment-là d’une association de juges. Le 18 juillet 2001, le Président du Conseil a rejeté la candidature de l’auteur au motif qu’elle n’était pas appuyée par le nombre minimum de confrères requis par la loi sur la magistrature.

2.3Le 31 juillet 2001, l’auteur a introduit un recours administratifauprès de la septième section de la troisième chambre du Tribunal suprême. Le 27 septembre 2001, la troisième chambre a rejeté son recours. Elle a estimé que la prérogative du Conseil consistant à communiquer au Congrès une liste de 36 candidats au Conseil ne revêtait qu’un caractère préparatoire et que la décision définitive de nommer les 12 candidats auprès du Roi revenait au Congrès. Ne correspondant pas à une décision administrative type, cette prérogative du Congrès ne pouvait faire l’objet d’un appel. Le 9 octobre 2001, l’auteur a demandé au Tribunal de réexaminer sa décision. Il a déclaré qu’il y avait eu violation du droit à un procès équitable et qu’il avait été victime de discrimination. Le 15 novembre 2001, la chambre a rejeté la demande de réexamen. Le 27 novembre 2001, l’auteur a introduit un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel. Avant que ce recours ne soit tranché, l’auteur a retiré les allégations de violations du droit à un procès équitable et de discrimination. Le 14 novembre 2002, le Tribunal a rejeté le recours.

2.4Le 19 mars 2003, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, alléguant des violations de l’article 11.1 (liberté d’association), lu conjointement avec les articles 14 (interdiction de discrimination), 6.1 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le 11 mai 2004, la Cour a déclaré la requête irrecevable au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits énoncés dans la Convention.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de son droit à la liberté d’association et de son droit à l’égalité devant la loi (par. 1 de l’article 22 lu conjointement avec l’article 26 du Pacte). Il prétend que l’amendement à la loi sur la magistrature a porté atteinte au caractère volontaire du droit à la liberté d’association. Bien qu’il se soit retiré de l’Association professionnelle des juges de Murcie le 12 juin 2001, la loi le considérait encore comme un juge adhérant à une association, le privant ainsi de la possibilité d’appuyer des candidats ne faisant partie d’aucune association comme il en avait l’intention car, selon la loi, ces candidats ne peuvent solliciter un appui qu’auprès de juges n’adhérant pas à une association. Il prétend en outre que les candidats ne faisant partie d’aucune association sont désavantagés par rapport aux autres: i) ils doivent rechercher l’appui de juges n’adhérant pas à une association, ce qui n’est pas exigé des autres candidats; ii) la loi les oblige à obtenir l’appui d’au moins 2 % de tous les juges en fonctions et ne les autorise pas à rechercher uniquement celui des juges ne faisant pas partie d’une association, durcissant ainsi le critère d’éligibilité à la candidature au Conseil; iii) le Président du Conseil leur a refusé l’accès préalable à la liste des juges n’adhérant à aucune association, de sorte qu’ils ne peuvent contacter rapidement des électeurs potentiels et doivent les rechercher eux-mêmes.

3.2L’auteur affirme en outre qu’il y a eu violation de son droit à l’égalité devant les tribunaux (par. 1 de l’article 14 du Pacte): il n’a pas été informé à l’avance de la composition de la septième section de la troisième chambre, de sorte qu’il n’a pu exercer son droit de récuser les juges; le nombre de juges a été relevé arbitrairement de 5 à 7 pour cette affaire; le Président de la troisième chambre a décidé arbitrairement de présider la septième section; trois juges auraient dû se récuser eux-mêmes parce qu’ils étaient membres d’une association de juges qui participait à la procédure. L’auteur prétend en outre que son droit à un accès égal aux tribunaux a été violé car la septième section de la troisième chambre a refusé d’examiner son recours sur le fond, contrairement à ce qu’elle avait fait dans une affaire qui présentait une grande similarité avec la sienne.

3.3L’auteur prétend enfin qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte car les cours ont estimé que la décision du Président du Conseil ne revêtait pas un caractère définitif et ne pouvait donc faire l’objet d’un contrôle juridictionnel. Il affirme que cette façon de qualifier la décision du Président du Conseil est arbitraire et déraisonnable.

3.4L’auteur reconnaît que sa communication au Comité est identique à sa requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais il considère que la Cour européenne n’a pas examiné sa requête sur le fond et qu’on ne peut donc pas considérer qu’elle a examiné «la même question» que celle qu’il soumet au Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Le 11 août 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il fait valoir que les allégations de l’auteur ont déjà été examinées par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a conclu que sa requête «ne laissait apparaître aucune violation des droits énoncés dans la Convention». L’État partie considère que l’arrêt de la Cour européenne correspond à un examen de l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, et conclut que la communication est irrecevable en vertu de cette disposition et compte tenu de la réserve formulée par l’État partie à son égard. Il rappelle la décision adoptée par le Comité le 30 mars 2004 concernant la communication no 1074/2002 (Navarra Ferragut c. Espagne, par. 6.2).

4.2L’État partie fait valoir que la plainte de l’auteur porte sur un droit présumé – celui d’être proposé comme candidat au Conseil général de la magistrature – qui n’est pas protégé par le Pacte et qu’elle ne concerne pas des contestations sur des droits et obligations au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. L’État partie conclut que la communication est incompatible ratione materiae avec le Pacte et, par conséquent, irrecevable.

4.3L’État partie ajoute que la procédure de sélection des membres du Conseil n’impose pas aux candidats l’obligation d’adhérer à une association. Il rappelle que les questions concernant l’évaluation des faits et l’interprétation du droit interne relèvent des tribunaux nationaux, et que les règles relatives à la proposition de candidatures dans une institution nationale n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte. Il conclut que la communication est manifestement infondée, et donc irrecevable.

5.Dans une réponse datée du 6 septembre 2005, l’auteur maintient que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas examiné sa requête sur le fond car elle a adopté sa décision concernant la recevabilité sans l’avoir entendu et sans fournir d’argumentation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 22 (liberté d’association), le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle: le paragraphe 1 de l’article 11 de la Convention européenne telle qu’elle est interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme est suffisamment proche du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte; dès lors que la Commission européenne a déclaré une requête irrecevable, non seulement pour vice de forme, mais aussi pour des motifs reposant sur un examen quant au fond, il est considéré que la même question a été examinée au sens des réserves sur le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif; la Cour européenne ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité portant purement sur la forme en estimant que la requête était irrecevable au motif qu’elle ne faisait «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles». Les mêmes critères s’appliquent en l’espèce. Le fait que l’article 26 du Pacte diffère de l’article 14 de la Convention européenne n’est pas pertinent en l’espèce, car l’auteur a invoqué ces dispositions devant les organes compétents respectifs s’agissant du droit à la liberté d’association, qui est régi de manière similaire par les deux instruments. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et de la réserve formulée par l’Espagne à l’égard de ladite disposition.

6.3En ce qui concerne les allégations de violations du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’élection des membres du Conseil supérieur de la justice ne concerne pas des contestations sur des droits et obligations de caractère civil au sens du paragraphe 1 de l’article 14, et conclut que les allégations de l’auteur concernant l’article 14 sont incompatibles ratione materiae avec ladite disposition et, par conséquent, irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 et du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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