Nations Unies

CAT/C/TCD/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 décembre 2022

Original : français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Tchad *

1.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Tchad à ses 1939e et 1943e séances, les 1er et 3 novembre 2022, et a adopté les présentes observations finales à sa 1965e séance, le 18 novembre 2022.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du deuxième rapport périodique de l’État partie. Il sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports, qui permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité. Le Comité regrette toutefois que le rapport ait été soumis avec sept ans de retard.

3.Le Comité apprécie l’occasion qui lui a été donnée d’engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses orales et écrites apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport périodique. Le Comité salue les efforts déployés pour que des représentants de la Mission permanente de l’État partie à Genève présentent le rapport périodique de l’État partie, mais regrette que, malgré sa décision de reporter la deuxième séance du dialogue du 2 au 3 novembre 2022 afin de satisfaire à la requête de l’État partie, une partie des membres de la délégation de l’État partie initialement annoncée n’aient pas été en mesure de participer au dialogue. Le Comité souhaite rappeler à l’État partie que le dialogue est un élément clef de l’examen du rapport et que c’est une opportunité unique pour le Comité et l’État partie de nouer un dialogue constructif et approfondi, ce qui permet au Comité, parallèlement au rapport soumis par l’État partie et à d’autres renseignements communiqués, de constater les progrès accomplis et d’indiquer à l’État partie les domaines où de nouveaux efforts sont nécessaires. Il exhorte l’État partie à prendre les dispositions idoines pour s’assurer d’être présent et prêt à dialoguer de façon constructive avec lui dans le cadre de l’examen du prochain rapport périodique.

B.Aspects positifs

4.Le Comité constate avec satisfaction que, depuis l’examen du rapport initial de l’État partie, celui-ci a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)Le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en 2022 ;

b)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en 2022 ;

c)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2019 ;

d)La Convention des Nations Unies contre la corruption, en 2018 ;

e)La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en 2009 ;

f)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, en 2009.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser et adopter des lois dans les domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’abolition de la peine de mort, en l’excluant de l’arsenal des peines du Code pénal de 2017 et de la loi no 003/PR/2020 du 28 avril 2020 portant répression des actes de terrorisme en République du Tchad ;

b)La loi no 027/PR/2020 du 23 décembre 2020 portant asile en République du Tchad ;

c)L’ordonnance no 006/PR/2018 du 30 mars 2018 portant lutte contre la traite des personnes en République du Tchad ;

d)La loi no 019/PR/2017 du 28 juillet 2017 portant régime pénitentiaire ;

e)La loi no 029/PR/2015 du 21 juillet 2015 portant ratification de l’ordonnance no 006/PR/2015 du 14 mars 2015, portant interdiction du mariage d’enfants ;

f)La directive présidentielle no 008/PR/EMP/2013 du 10 octobre 2013 portant respect des conditions de l’âge de recrutement au sein de l’armée nationale tchadienne ;

g)La loi no 011/PR/2013 du 17 juin 2013 portant Code de l’organisation judiciaire ;

h)L’ordonnance no 007/PR/2012 du 21 février 2012 portant statut de la magistrature au Tchad ;

i)La loi no 032/PR/2009 portant création d’une école nationale de formation judiciaire.

6.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits humains et de donner effet à la Convention, en particulier :

a)L’adoption, en 2016, de la Stratégie intérimaire de justice juvénile (2017‑2021) ;

b)La mise en place, en 2014, de la Cour criminelle spéciale pour juger les agents de la Direction de la documentation et de la sécurité ;

c)L’adoption, en 2012, d’un plan d’action national de lutte contre les pires formes de travail, le trafic et l’exploitation des enfants (2012-2015) ;

d)L’adoption, en 2014, d’une stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre ;

e)L’établissement, en 2011, du Comité interministériel de suivi des instruments internationaux en matière de droits de l’homme ;

f)La création, en 2011, de la Commission nationale d’accueil et de réinsertion des réfugiés et des rapatriés.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

7.Dans ses précédentes observations finales, le Comité avait demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations concernant : la définition de la torture ; le caractère généralisé des tortures et mauvais traitements, notamment lors d’opérations militaires ; l’impunité ; l’administration de la justice ; les réparations et indemnisations ; et les enfants soldats. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni ces renseignements malgré la lettre de rappel qui lui a été adressée le 28 mars 2011 par le Rapporteur chargé du suivi des observations finales. Compte tenu des informations fournies dans le deuxième rapport périodique de l’État partie, le Comité considère que les recommandations formulées aux paragraphes 13, 17, 22, 24, 28 et 34 de ses précédentes observations finales n’ont pas encore été pleinement appliquées. Ces points sont traités aux paragraphes 19, 37 et 45 des présentes observations finales.

Usage excessif de la force pendant les manifestations qui ont eu lieu au printemps 2021 et à l’automne 2022

8.Le Comité constate avec préoccupation des allégations récurrentes d’usage excessif de la force contre les manifestants au cours de la période considérée. Il est préoccupé par les nombreuses allégations selon lesquelles les forces de sécurité et des éléments armés non identifiés ont, pendant les manifestations qui se sont déroulées dans le contexte de l’élection présidentielle et par suite de la mise en place du Conseil militaire de transition en avril 2021, ainsi que dans le cadre du Dialogue national inclusif et souverain en août et septembre 2022 et au terme de celui-ci en octobre 2022, fait un usage excessif de la force et notamment utilisé des armes létales, faisant des morts et des blessés, parmi lesquels des enfants, procédé à des arrestations arbitraires, des détentions au secret et des transferts de détenus vers la prison de haute sécurité de Koro Toro, infligé des actes de torture et de mauvais traitements, et commis des disparitions forcées. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles certaines dépouilles de manifestants tués dans le cadre des manifestations du 20 octobre 2022 n’auraient toujours pas été restituées à leur famille. Il prend note de l’engagement pris par l’État partie de faire en sorte que les auteurs des actes susmentionnés en répondent devant la justice, notamment en diligentant des enquêtes indépendantes dans chaque ville où il y a eu des manifestations, afin d’établir les faits. Toutefois, il regrette le peu de progrès accomplis dans les enquêtes menées pour établir les faits et l’absence de poursuites engagées à ce jour, ce qui crée un climat d’impunité. Tout en notant avec intérêt les informations selon lesquelles le Premier Ministre du Tchad a, à la suite du dialogue constructif, affirmé la disposition de l’État partie à accueillir une mission d’enquête internationale pour faire la lumière sur les événements du 20 octobre 2022, le Comité souligne l’importance d’une pleine coopération de l’État partie et d’un suivi effectif des conclusions et des recommandations de cette mission. Le Comité s’inquiète également du langage vague et non limitatif contenu dans l’ordonnance no 46 du 28 octobre 1962 relative aux attroupements, en ce qui concerne l’usage de la force dans le cadre de l’exercice du droit de réunion pacifique (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

9. L ’ État partie devrait  :

a) Abroger l ’o rdonnance n o 46 relative aux attroupements, revoir ses autres lois sur le recours à la force et aux armes et élaborer des lignes directrices claires, s ’ il y a lieu, en y intégrant les principes de légalité, de nécessité, de proportionnalité et de précaution, mettre les dispositions législatives et réglementaires régissant le recours à la force, y compris le décret n o 413/ PR / PM / MSPI /2016 du 15 juin 2016 portant C ode de déontologie de la P olice nationale , en conformité avec les normes internationales, notamment les Principes de base sur le recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois et les Lignes directrices des Nations Unies basées sur les droits de l ’ homme portant sur l ’ utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre de l ’ application des lois, et redoubler d ’ efforts pour fournir à tous les membres des forces de l ’ ordre une formation obligatoire et systématique sur ces principes ;

b) Veiller à ce que les tâches de maintien de l ’ ordre public soient assurées, dans toute la mesure possible, par des autorités civiles et faire en sorte que tous les agents puissent être effectivement identifiés à tout moment lorsqu ’ ils sont en service , afin de contribuer à assurer le respect du principe de responsabilité individuelle et une protection contre les actes de torture et les mauvais traitements ;

c) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient rapidement menées sur toutes les allégations décrites ci-dessus et faire en sorte que les auteurs des faits soient poursuivis et punis par des peines appropriées , et que les victimes ou leur famille reçoivent une réparation complète ;

d) Pleinement coopérer avec la mission d ’ enquête internationale proposée par le M édiateur de la Communauté économique des États de l ’ Afrique centrale , afin de faire la lumière sur les événements du 20 octobre 2022, et assurer un suivi effectif des conclusions et des recommandations formulées par cette mission ;

e) Veiller à ce que les dépouilles de toutes les personnes décédées dans le cadre des manifestations du 20 octobre 2022 soient promptement restituées à leur famille.

Définition de la torture

10.Le Comité prend note des dispositions de l’article 10 de la Charte de transition de la République du Tchad, prohibant la torture et les mauvais traitements, et considère que la nouvelle définition de l’infraction de torture énoncée à l’article 323 du Code pénal est globalement conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention. Il s’inquiète toutefois de ce que cette définition n’intègre pas la notion de « toute autre personne agissant à titre officiel » figurant à l’article premier de la Convention, et se limite « aux autorités traditionnelles agissant à titre officiel ». Le Comité s’inquiète également de ce que les actes de torture n’impliquant pas la mort de la victime, la privation permanente de l’usage de tout ou partie d’un membre, d’un organe ou d’un sens, ou une maladie ou une incapacité de travail supérieure à trente jours entraînent des peines équivalentes à des délits, soit de deux à cinq ans d’emprisonnement, ce qui est contraire à l’exigence de l’article 4 de la Convention de rendre la torture passible de peines appropriées qui prennent en considération la grave nature de ce crime. Enfin, le Comité est préoccupé par le fait que le Code pénal ne prévoit pas explicitement l’imprescriptibilité du crime de torture (art. 1er, 2 et 4).

11. L ’ État partie devrait modifier l ’ article 323 du Code pénal pour garantir que la définition de la torture soit entièrement conforme aux dispositions de l ’ article premier de la Convention. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale nº 2 (2007) sur l ’ application de l ’ article 2, qui indique que si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l ’ impunité . L ’ État partie devrait garantir que les peines sanctionnant les actes de torture et mauvais traitements sont à la mesure de la gravité de ces infractions, conformément à l ’ article 4 (par. 2) de la Convention. Le Comité invite également l ’ État partie à adopter les dispositions nécessaires pour prévoir explicitement l ’ imprescriptibilité du crime de torture dans son c ode pénal.

Garanties fondamentales

12.Le Comité prend note des garanties visant à prévenir la torture et les mauvais traitements consacrées par le Code de procédure pénale, mais demeure préoccupé par les informations indiquant que, dans la pratique, les personnes en détention ne bénéficient pas systématiquement de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté. À cet égard, il lui a été signalé : a) que l’exercice du droit de consulter un avocat dès l’interpellation était régulièrement retardé et n’était autorisé qu’après que les interrogatoires menés par les forces de sécurité et le juge d’instruction dans le cadre de l’enquête préliminaire avaient eu lieu ; b) qu’il était fréquent que les personnes soupçonnées d’infraction liée au terrorisme ne bénéficient pas de l’assistance effective d’un avocat ; c) que faire pratiquer un examen médical par un médecin indépendant pour déceler des signes de torture et de mauvais traitements ne constituait pas une pratique courante, en particulier en détention provisoire ; d) que l’exercice du droit de prévenir un proche ou une personne de son choix était souvent retardé ; e) que les personnes arrêtées étaient présentées devant le juge d’instruction plusieurs jours, voire plusieurs semaines après leur arrestation, soit bien au-delà du délai de quarante-huit heures prévu par la législation tchadienne ; et f) que les registres des personnes privées de liberté étaient souvent incomplets et n’étaient pas interconnectés ni centralisés (art. 2).

13. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à ce que toutes les personnes détenues bénéficient, en pratique, dès le début de leur privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales contre la torture, indépendamment du motif de la garde à vue, et notamment des droits suivants :

a) Être informées, dans une langue qu ’ elles comprennent, de la raison de leur arrestation, de la nature de toute accusation portée contre elles et de leurs droits ;

b) Être assistées d ’ un avocat dans les différentes étapes de la procédure judiciaire, y compris pendant les interrogatoires ;

c) Pouvoir d emander et obtenir d ’ être examinées gratuitement par un médecin indépendant ou par un médecin de leur choix, sur demande, hors de portée de voix et hors de la vue des policiers et du personnel pénitentiaire, à moins que le médecin concerné ne demande expressément qu ’ il en soit autrement ;

d) Avoir la garantie que le ur dossier médical est immédiatement porté à l ’ attention d ’ un procureur chaque fois que les conclusions ou des allégations donnent à penser que des actes de torture ont pu être commis ou des mauvais traitements infligés ;

e) Pouvoir i nformer un membre de leur famille, ou toute autre personne de leur choix, de leur détention ;

f) Voir leur détention enregistrée ;

g) Être présentées à un juge sans délai ;

h) Pouvoir contester la légalité de leur détention à n ’ importe quel stade de la procédure.

14. L ’ État partie devrait également fournir une formation adéquate et régulière aux fonctionnaires impliqués dans des activités relatives à la détention , concernant les garanties juridiques , et contrôler le respect de ces dispositions et sanctionner tout manquement de la part des fonctionnaires.

Détention provisoire

15.Tout en notant les garanties introduites par le Code de procédure pénale, qui limitent la détention provisoire à un an maximum en matière délictuelle et à deux ans en matière criminelle, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la durée de détention provisoire dépasse couramment les limites légales (plus de 50 % de la population carcérale étant en attente de jugement). Il s’inquiète en outre du fait que des individus interpellés dans le cadre de la lutte contre le terrorisme seraient exposés à de longues périodes de détention provisoire dépassant largement la durée maximale de trois ans prévue par le Code de procédure pénale avant d’être présentés devant un juge. Enfin, le Comité est préoccupé par le fait que le recours systématique à la détention provisoire contribue directement à la surpopulation carcérale (art. 2).

16.  L ’ État partie devrait :

a) Veiller au contrôle effectif de la pratique de la détention provisoire , en s ’ assurant que celle-ci respecte les dispositions fixant sa durée maximale et qu ’ elle est aussi brève que possible, exceptionnelle, nécessaire et proportionnelle ;

b) Promouvoir activement, au sein des parquets et auprès des juges, le recours à des mesures de substitution à la détention provisoire , conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) ;

c) Réviser tous les dossiers des personnes placées en détention provisoire et libérer immédiatement toutes celles qui y ont déjà passé plus de temps que ne le justifierait la peine de prison maximale dont est passible l ’ infraction qui leur est reprochée.

Commission nationale des droits de l’homme

17.Tout en notant l’adoption de la loi no 28/PR/2018 du 22 novembre 2018 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Commission nationale des droits de l’homme, le Comité s’inquiète de ce que les ressources allouées à la Commission demeurent insuffisantes pour lui permettre de s’acquitter pleinement de ses fonctions, notamment pour ce qui est de se rendre dans les lieux de détention, de recevoir des plaintes concernant des cas présumés de violation des droits humains et d’enquêter sur celles-ci. Il reste également préoccupé par des informations concernant le manque d’indépendance de la Commission vis‑à-vis du pouvoir exécutif, en particulier les allégations d’ingérence dans le processus de sélection et de nomination des membres ainsi que dans les activités et les processus décisionnels de la Commission. Enfin, il est préoccupé par le manque d’informations sur les mesures systématiques prises par l’État partie pour garantir l’application effective des recommandations de la Commission, notamment en ce qui concerne le suivi des enquêtes et des poursuites et l’issue des affaires portant sur des allégations de torture qui ont été transmises par la Commission aux services du Procureur de la République (art. 2, par. 1).

18. L ’ État partie devrait sans attendre prendre les mesures nécessaires pour assurer l ’ autonomie fonctionnelle de la Commission nationale des droits de l ’ homme , y compris en lui garantissant un budget adéquat qui lui permette de recruter du personnel, d ’ établir des antennes régionales et de mener à bien le mandat qui lui est confié, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris) . Il devrait également prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir la pleine indépendance de la Commission à l ’ égard du pouvoir exécutif, notamment pour ce qui a trait au processus de sélection et de nomination des membres ainsi qu ’ aux activités et aux processus décisionnels de la Commission. Enfin, il devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la prise en compte et l ’ application effective des recommandations de la Commission, y compris des mesures visant à vérifier si les organismes publics leur donnent la suite voulue, notamment en ce qui concerne le suivi des plaintes déposées auprès de la Commission pour torture ou mauvais traitements.

Lutte contre le terrorisme

19.S’il a conscience des préoccupations de l’État partie en ce qui concerne sa sécurité nationale, le Comité n’en demeure pas moins préoccupé par les informations dénonçant des cas d’arrestations et de détentions arbitraires, d’extorsions, de déplacements forcés, de refoulements, d’exécutions extrajudiciaires, de tortures, de violences sexuelles et fondées sur le genre et de disparitions forcées perpétrés par des agents de l’État, en particulier les forces de défense tchadiennes, dans le cadre d’opérations antiterroristes, notamment dans la région du lac Tchad, et regrette l’absence d’informations sur les enquêtes ouvertes et les poursuites engagées et sur leur issue, y compris les réparations accordées aux victimes. Il note avec préoccupation que la définition du terrorisme qui figure dans la loi no 003/PR/2020 est vague, trop générale et a été utilisée pour opprimer les personnes qui se montraient critiques à l’égard du Gouvernement. Il est en outre préoccupé par le fait que cette loi prévoit une durée maximale de trente jours de garde à vue et des restrictions excessives aux droits des personnes soupçonnées ou accusées d’avoir participé à des actes terroristes, notamment au droit à une procédure régulière et à un procès équitable et au droit à la liberté et à la sécurité de la personne (art. 2, 11, 12 et 16).

20. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes aux dispositions de la Convention et strictement nécessaires au regard de la situation et des exigences du principe de proportionnalité ;

b) Revoir la définition du terrorisme figurant dans la loi n o 003/PR/2020 afin qu ’ elle soit conforme aux normes internationales , et garantir que les droits des personnes soupçonnées ou accusées d ’ avoir participé à des actes terroristes sont dûment protégés ;

c) Réduire la durée maximale de garde à vue pour les personnes suspectées de terrorisme, en veillant à ce que son renouvellement soit circonscrit à des circonstances exceptionnelles dûment justifiées et respecte les principes de nécessité et de proportionnalité, et en garantissant un contrôle judiciaire de la légalité de la détention ;

d) Mener sans tarder des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations concernant des violations des droits humains , y compris des actes de torture et des mauvais traitements, commises pendant des opérations antiterroristes, poursuivre et sanctionner les responsables, et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours utiles et puissent obtenir pleinement réparation.

Violence sexuelle et fondée sur le genre

21.Le Comité constate avec préoccupation les niveaux élevés de violence conjugale et la persistance de la violence sexuelle, y compris le viol. Il est particulièrement préoccupé par l’insuffisance des mesures législatives et institutionnelles, notamment pour ce qui est de l’application des dispositions pénales relatives à la protection contre les violences conjugales, et par le fait que l’inceste, le viol conjugal et le harcèlement sexuel ne sont pas érigés en infraction. Il juge en outre préoccupantes les informations faisant état d’un faible taux de signalement par les victimes du fait de tabous culturels et de la peur d’être stigmatisées par leur communauté, ainsi que d’un faible taux de poursuite et de condamnation concernant des faits de violence sexuelle et fondée sur le genre. Il s’inquiète aussi vivement des informations selon lesquelles la plupart des cas de violence conjugale et de violence sexuelle font l’objet d’un règlement à l’amiable au moyen d’indemnités financières, sous l’autorité des chefs religieux et coutumiers. Le Comité constate également avec préoccupation la criminalisation de l’adultère à l’article 385 du Code pénal, et le fait que, selon l’article 69 du même code, l’homicide et les blessures sont excusables s’ils ont été commis par l’un des époux sur son conjoint surpris en flagrant délit d’adultère, légalisant ainsi le crime d’honneur, dont les femmes sont les premières victimes. De plus, le Comité s’inquiète des informations faisant état de la persistance des violences sexuelles et sexistes, notamment des viols, subis par des femmes et des filles réfugiées à l’intérieur ou près des camps de réfugiés et des sites de déplacés. Enfin, le Comité exprime sa préoccupation concernant l’insuffisance des mesures de protection et d’assistance aux victimes de violence fondée sur le genre, notamment pour ce qui est des structures d’hébergement et des services de réhabilitation (art. 2 et 16).

22. L ’ État partie devrait :

a) Faire en sorte que tous les cas de violence fondée sur le genre, en particulier ceux qui sont liés à des actes ou à des omissions de la part des pouvoirs publics ou d ’ autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l ’ État partie au regard de la Convention, donnent lieu à une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes ou leur famille obtiennent réparation, notamment sous la forme d ’ une indemnisation adéquate ;

b) Veiller à la stricte application des dispositions pénales relatives à la protection contre l es violence s conjugale s , notamment par l ’ allocation de ressources humaines et financières suffisantes, et modifier le Code pénal afin de criminaliser l ’ inceste, le viol conjugal et le harcèlement sexuel ;

c) Conduire de vastes campagnes d ’ information et de sensibilisation afin de faire prendre conscience à la population et à toutes les parties concernées que les violences conjugales et les violences sexuelles constituent des infractions au regard du droit pénal, et afin de faire tomber les tabous sur ces crimes et d’ éliminer la stigmatisation et l ’ exclusion qui frappent les victimes et les découragent de porter plainte ;

d) Veiller à ce que les pratiques et le droit coutumier ne se substituent pas au droit positif et que leur application n ’ entraîne pas l ’ extinction des poursuites pénales en cas de violence conjugale ou de violence sexuelle ;

e ) Réviser les articles 69 et 385 du Code pénal afin de décriminaliser l ’ adultère et de s ’ assurer que les auteurs de violences conjugales ne so ie nt pas exemptés de poursuite pénale, y compris en cas de flagrant délit d ’ adultère ;

f) Redoubler d ’ efforts pour améliorer la sécurité des camps de réfugiés et des sites de déplacés, afin que les femmes et les filles soient efficacement protégées contre les violences sexuelles et sexistes, et veiller à ce que tout cas donne lieu dans les plus brefs délais à une enquête approfondie , que les auteurs soient traduits en justice −  qu ’ il s ’ agisse d ’ acteurs étatiques ou non étatiques  − , et que les victimes obtiennent une réparation adéquate ;

g) Intensifier ses efforts pour fournir aux victimes et à leur famille protection, assistance et moyens de recours, y compris une indemnisation appropriée et des services d ’ aide psychosociale et de réhabilitation .

Mutilations génitales féminines et autres pratiques traditionnelles préjudiciables

23.Le Comité s’inquiète de la persistance de pratiques traditionnelles préjudiciables profondément enracinées, telles que les mutilations génitales féminines, les mariages d’enfants, le sororat, le lévirat ou la polygamie. Tout en notant l’incrimination des mutilations génitales féminines dans le Code pénal et la mise sur pied d’une brigade de protection des mineurs et des mœurs, le Comité constate avec préoccupation que cette pratique néfaste reste courante dans la majorité des communautés du pays (avec une prévalence de 38,4 % chez les femmes de 15 à 49 ans, dont 46,7 % ont été excisées à un âge compris entre 5 et 9 ans). Il est également préoccupé par l’absence de données statistiques précises, le taux relativement faible de poursuites judiciaires et l’impunité persistante des auteurs. Le Comité regrette également le manque d’informations sur les effets des campagnes de sensibilisation conduites par l’État partie pour éradiquer les mutilations génitales féminines (art. 2 et 16).

24. L ’ État partie devrait garantir la mise en œuvre effective des lois interdisant certaines pratiques traditionnelles préjudiciables, notamment la loi n o 029/PR/2015 portant ratification de l ’ ordonnance n o 006/PR/2015 portant interdiction du mariage d ’ enfants, la loi n o 006/PR/2002 du 15 avril 2002 portant promotion de la santé de reproduction et les dispositions pénales pertinentes, et mener des actions de sensibilisation destinées au grand public et aux médias, ainsi qu ’ aux responsables religieux et communautaires. L ’ État partie devrait, en particulier, intensifier ses efforts pour éliminer les mutilations génitales féminines, notamment en garantissant la stricte application des dispositions pénales incriminant cette pratique , particulièrement l’ art icle  318 du Code pénal, de manière à ce que les personnes, y compris les médecins, qui s ’ y livrent soient poursuivies et dûment sanctionnées. Il devrait, en outre, prendre des mesures pour renforcer ses activités de sensibilisation des chefs religieux et traditionnels et du grand public, en coopération avec la société civile, au sujet du caractère criminel de ces actes, de leurs effets néfastes sur les droits humains et la santé des femmes, et de la nécessité d ’ éliminer cette pratique et l es justifications culturelles qui s ’ y rapportent.

Avortement

25.Le Comité constate avec préoccupation l’incrimination de l’avortement dans le Code pénal, sauf en cas « d’agression sexuelle, de viol, d’inceste ou lorsque la grossesse met en danger la santé mentale ou physique ou la vie de la mère ou celle du fœtus », et le fait que l’accès à un avortement médicalisé est conditionné à une autorisation préalable du ministère public, ce qui pousse les femmes à pratiquer des avortements illégaux et non médicalisés mettant en danger leur santé (art. 2 et 16).

26. L ’ État partie devrait r éviser les articles 356 et 358 du Code pénal afin de décriminaliser l ’ avortement et de permettre aux femmes et aux filles d ’ accéder à un avortement médicalisé sans devoir obtenir l ’ autorisation du m inistère public au préalable.

Conditions de détention

27.Malgré les efforts législatifs et institutionnels engagés par l’État partie, et la réhabilitation de plusieurs prisons ces dernières années, le Comité demeure vivement préoccupé par les informations concernant le surpeuplement de certaines prisons et les mauvaises conditions matérielles de détention dans les lieux de privation de liberté, en particulier l’insalubrité et le manque d’hygiène, l’absence de ventilation, la qualité inadéquate de la nourriture et de l’eau, fournies en quantités insuffisantes, ainsi que le manque d’activités récréatives ou éducatives favorisant la réinsertion. En outre, l’accès limité à des soins de santé de qualité, y compris en matière de santé mentale, et le manque de personnel pénitentiaire formé et qualifié, y compris de personnel médical, continuent de poser de graves problèmes dans le système pénitentiaire. Le Comité est également préoccupé par les informations concernant l’ampleur de la violence carcérale, notamment la violence commise par les membres du personnel pénitentiaire sur les détenus et la violence commise entre détenus, et par l’absence de séparation effective entre les différentes catégories de détenus (art. 2, 11 et 16).

28. Le Comité exhorte l ’ État partie à prendre aussi rapidement que possible toutes les mesures qui s ’ imposent afin de rendre les conditions de détention conformes à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). L’ État partie devrait notamment  :

a) Décongestionner les prisons en ayant davantage recours aux mesures de substitution à la détention , et poursuivre la mise en œuvre des projets de développement des infrastructures pénitentiaires et d ’ amélioration des conditions de détention ;

b) Allouer les ressources nécessaires à une bonne prise en charge médicale et sanitaire des détenus, conformément aux règles 24 à 35 des Règles Nelson Mandela ;

c) Augmenter le nombre de membres du personnel pénitentiaire formés et qualifiés, y compris pour ce qui est du personnel médical, et renforcer la surveillance et la gesti on de la violence entre détenus  ;

d) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations relatives à des actes de torture ou à des mauvais traitements infligés par des membres du personnel pénitentiaire , et faire en sorte que les auteurs présumés reçoivent les sanctions adéquates ;

e) Veiller à ce que , conformément à la règle 11 (al.  d) ) des Règles Nelson Mandela, les mineurs en détention soient strictement séparés des adultes et à ce qu ’ ils ne soient privés de liberté qu ’ en dernier ressort et pour une période aussi brève que possible, conformément à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing).

Lieux de détention non officiels

29.S’il prend note de l’interdiction en droit interne de la détention illégale dans des lieux non prévus à cet effet, ainsi que de l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’existe aucun lieu de détention secret dans le pays, le Comité demeure vivement préoccupé par les informations reçues de sources crédibles concernant des cas de détention illégale et de détention au secret dans des lieux inconnus (art. 2, 11 et 16).

30. Le Comité engage vivement l ’ État partie à veiller, à titre de priorité, à ce que la législation nationale soit effectivement appliquée dans l ’ ensemble du pays et à fermer immédiatement tous les lieux de détention non officiels. L ’ État partie devrait ordonner la mise immédiate sous le contrôle de la justice des personnes qui pourraient être détenues en ces lieux, y compris les personnes suspectées de terrorisme, et s ’ assurer qu ’ elles jouissent de toutes les garanties fondamentales pour prévenir tout acte de torture ou mauvais traitement et les en protéger.

Agence nationale de sécurité d’État

31.Le Comité prend acte de l’assurance du Gouvernement quant à l’obligation de respecter les droits humains en général et les dispositions de la Convention, en particulier par l’Agence nationale de sécurité d’État. Le Comité note également la déclaration de l’État partie selon laquelle les centres de détention administrés par l’Agence ne constituent en aucun cas des lieux de détention secrets et sont soumis aux mêmes règles que les autres centres de détention du pays. Néanmoins, le Comité est vivement préoccupé par l’absence de transparence ainsi que par les allégations d’arrestations et de détentions arbitraires, de détentions au secret, d’enlèvements et de séquestrations, de tortures et de mauvais traitements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires imputables à l’Agence. Il demeure inquiet de ce que toutes les activités de l’Agence ne font l’objet d’aucun contrôle judiciaire ni d’aucune évaluation des conditions de détention (art. 2, 11 et 16).

32. Eu égard à ses précédentes observations finales , le Comité exhorte l’État partie à garantir une pleine transparence et à exercer un contrôle civil et une surveillance effecti ve des activ ités de l’Agence nationale de sécurité d’État. Le Comité rappelle que les activités de toutes les institu tions publiques, y compris celles de cette agence , nonobstant leur auteur, leur nature ou l ’ endroit où elles se déroulent, sont des faits de l ’ État partie, qui engagent pleinement ses responsab ilités internationales au titre de la Convention.

Décès en détention

33.Le Comité est préoccupé par plusieurs cas de décès survenus en détention, dans des circonstances suspectes qui n’ont toujours pas été élucidées par la justice, notamment celui des 44 membres présumés de la secte islamiste Boko Haram décédés dans une cellule d’un poste de gendarmerie de N’Djamena, à la suite de supposés tortures et mauvais traitements. Le Comité regrette également l’absence d’informations fiables sur le nombre total de décès en détention, les causes de ces décès et les enquêtes s’y rapportant (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

34. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que tous les décès en détention donnent lieu sans délai à une enquête impartiale conduite par une entité indépendante, y compris à un examen médico-légal indépendant et, s ’ il y a lieu, appliquer les sanctions correspondantes ;

b) Évaluer l ’ efficacité des stratégies et des programmes visant à préven ir le suicide et l’automutilation , et évaluer les programmes existants de prévention, de dépistage et de traitement des maladies chroniques, dégénératives et infectieuses dans les prisons ;

c) Réunir des informations détaillées sur les décès survenus dans tous les lieux de détention et sur leurs causes, ainsi que sur l ’ issue des enquêtes, et les communiquer au Comité.

Surveillance des lieux de détention

35.Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré l’octroi d’autorisations de surveillance des lieux de détention, les organisations de la société civile doivent obtenir une autorisation supplémentaire de la Direction générale de l’administration des prisons avant de pouvoir entreprendre une visite. Il s’inquiète également des informations selon lesquelles ces organisations de la société civile se sont vu refuser l’accès à certains lieux de détention, notamment à la prison de haute sécurité de Koro Toro et aux sites relevant de l’Agence nationale de sécurité d’État (art. 2, 11 et 16).

36. L ’ État partie devrait :

a) Veiller à ce que les organes de surveillance chargés de se rendre dans les lieux de privation de liberté, tels que la Commission nationale des droits de l ’ homme et les organisations de la société civile dotées d ’autorisations de surveillance des lieux de détention, soient en mesure d ’ effectuer des visites régulières, indépendantes et inopinées d e tous les lieux de privation de liberté du pays , y compris ceux gérés par l ’ armée, l ’ Agence nationale de sécurité d ’ État et la Direction générale des renseignements et d ’ investigations , de s ’ entretenir confidentiellement avec toutes les personnes détenues , et de s’assurer que ces personnes sont protégées contre toute forme de représailles  ;

b) Envisager de ratifier dans les plus brefs délais le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Lutte contre l’impunité

37.Compte tenu de l’ampleur des allégations et des plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements imputables à des agents de l’État, notamment des policiers et des gendarmes, lors de l’arrestation, du transport, de la garde à vue et de l’interrogatoire de personnes et au cours d’activités de maintien de l’ordre, ainsi que des militaires et des membres de l’Agence nationale de sécurité d’État, et des informations selon lesquelles les mécanismes de surveillance de la police demeurent inefficaces, le Comité est profondément préoccupé par la non-mise en cause des responsabilités que traduit le nombre limité de mesures disciplinaires et de poursuites pénales signalées, qui contribue à créer un climat d’impunité. Le Comité regrette également l’absence d’informations et de données statistiques précises sur le nombre de plaintes pour actes de torture et mauvais traitements enregistrées qui ont donné lieu à des enquêtes et à des poursuites, ainsi que sur les peines prononcées. En outre, le Comité s’inquiète très vivement de la multiplicité des facteurs empêchant les victimes de torture ou de mauvais traitements d’avoir véritablement accès à la justice, tels que la pauvreté et l’analphabétisme, ainsi que la fragilité du système judiciaire de l’État partie. Il constate avec préoccupation qu’en dépit des efforts déployés pour réformer la justice, le nombre de tribunaux et de professionnels de la justice est insuffisant, notamment hors des grandes villes, l’aide juridictionnelle est, en pratique, difficilement accessible, malgré l’adoption de la loi no021/PR/2019 du 15 avril 2019 régissant l’aide juridique et l’assistance judiciaire, l’indépendance des juges n’est pas garantie, l’impunité prévaut sur l’application de la loi et des mécanismes de justice coutumière tels que l’acquittement du prix du sang (diya) continuent, dans la pratique, d’être utilisés pour régler des affaires qui devraient relever du système judiciaire pénal (art. 2, 4, 11, 12, 13 et 16).

38. L ’ État partie devrait :

a) S ’ assurer que toutes les allégations d ’ actes de torture ou de mauvais traitements donnent rapidement lieu à une enquête efficace et impartiale menée par une instance indépendante, qu ’ il n ’ y a pas de lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés des faits, et que les suspects soient dûment traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes ;

b) Veiller à ce que les autorités ouvrent une enquête chaque fois qu ’ il existe des motifs raisonnables de croire qu ’ un acte de torture a été commis ou que des mauvais traitements ont été infligés ;

c) Faire en sorte qu ’ en cas de torture ou de mauvais traitements, les fonctionnaires en cause soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pour toute la durée de l ’ enquête, en particulier s ’ il existe un risque qu ’ ils commettent une nouvelle fois les actes dont ils sont soupçonnés, exercent des représailles contre la victime présumée ou fassent obstruction à l ’ enquête ;

d) Prendre urgemment des mesures pour mettre en place un mécanisme efficace et indépendant de surveillance de la police ;

e) Mettre en place un mécanisme de plainte indépendant, efficace, confidentiel et accessible dans tous les lieux de détention, y compris les lieux de garde à vue et les prisons, et protéger les plaignants, les victimes et les membres de leur famille de tout risque de représailles ;

f ) Intensifier ses efforts de réforme et de renforcement du système judiciaire pour faire en sorte que les victimes de torture ou de mauvais traitements aient véritablement accès à la justice, notamment en redoublant d ’ efforts pour accroître le nombre de magistrats et d ’ avocats dans tout le pays et en formant de manière systématique les juges, les procureurs et les avocats à appliquer les lois en vigueur, notamment l ’ article 323 du Code pénal ;

g ) Prendre des mesures visant à sensibiliser le grand public à l ’ importance qu ’ il y a de traiter les cas de torture et autres violations graves des droits humains au moyen de mécanismes de justice s ’ appuyant sur le droit positif , plutôt que sur le droit et les pratiques traditionnels, tels que la diya , et s ’ assurer que ceux-ci ne sont pas invoqués comme motifs pour justifier une dérogation à l ’ interdiction absolue de la torture, ainsi que l ’ a rappelé le Comité dans son observation générale n o 2 (2007) concernant l ’ application de l ’ article 2 par les États parties ;

h) Fournir de manière durable une aide judiciaire gratuite aux victimes de torture et de mauvais traitements, mettre en œuvre des programmes de vulgarisation juridique, mieux faire connaître les moyens d ’ exploiter les différents recours juridiques disponibles et suivre les résultats de telles initiatives ;

i ) Compiler et diffuser des données statistiques ventilées sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites intentées et les condamnations prononcées dans les affaires de torture et de mauvais traitements.

Irrecevabilité des aveux obtenus par la torture

39.Le Comité est préoccupé par l’article 89 du Code de procédure pénale, qui dispose que « [l]’aveu comme tout autre élément de preuve est laissé à la libre appréciation des juges », et accorde dès lors une certaine latitude au juge pour accepter des moyens de preuve obtenus par la contrainte ou la torture. Il est particulièrement préoccupé par l’absence de dispositions légales interdisant explicitement d’invoquer les aveux obtenus par la torture comme élément de preuve dans une procédure judiciaire. Le Comité demeure également préoccupé par des informations indiquant que les aveux obtenus par la torture ou la contrainte sont retenus à titre de preuve par les tribunaux et que ces pratiques persistent en raison de l’impunité des coupables et des pressions exercées sur les juges (art. 15).

40. L ’ État partie devrait :

a) Prendre les mesures législatives nécessaires, y compris en révisant le Code de procédure pénale, afin d ’ interdire explicitement l ’ invocation d ’ aveux ou de toute autre déclaration obtenus par la torture comme élément de preuve dans une procédure, si ce n ’ est contre la personne accusée de torture pour établir qu ’ une déclaration a été faite ;

b) Adopter des mesures efficaces pour faire en sorte que, dans la pratique, les aveux, les déclarations et les autres éléments de preuve obtenus par la torture ou des mauvais traitements soient irrecevables, sauf contre les personnes accusées d ’ avoir commis des actes de torture, lorsqu ’ il s ’ agit de prouver que la déclaration a été faite sous la contrainte, que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements formulées dans le cadre de procédures judiciaires donnent lieu à une enquête rapide, efficace et indépendante , et que les auteurs présumés soient poursuivis et , s ’ i ls sont reconnus coupables , punis  ;

c) Veiller à ce que tous les policiers, les agents de la sécurité nationale, les militaires, les juges et les procureurs suivent une formation obligatoire mettant l ’ accent sur le lien entre les techniques d ’ interrogatoire non coercitives, l ’ interdiction de la torture et des mauvais traitements et l ’ obligation pour les organes judiciaires de déclarer irrecevables les aveux obtenus par la torture , en s’inspirant à cet égard des P rincipes relatifs aux entretiens efficaces dans le cadre d’ enquêtes et de collecte d ’ informations (P rincipes de Méndez ) .

Peine de mort

41.Tout en se félicitant de l’abolition de la peine de mort pour tous les crimes par suite de l’adoption du Code pénal de 2017 et de la loi no 003/PR/2020 portant répression des actes de terrorisme, le Comité regrette que ce principe ne soit pas consacré dans la Charte de transition de la République du Tchad adoptée en avril 2021. Le Comité note aussi avec regret que l’État partie n’a pas encore adhéré au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort (art. 16).

42. L ’ État partie devrait :

a) S ’ assurer que toutes les condamnations à mort prononcées préalablement à l ’ adoption des lois abolissant cette pratique sont commué e s en peines de réclusion ;

b) Envisager de consacrer l ’ abolition de la peine de mort dans la Charte de transition de la République du Tchad et dans tout texte constitutionnel subséquent ;

c) Adhérer au Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort.

Défenseurs des droits humains, membres de la société civile, journalistes et opposants politiques

43.Le Comité s’inquiète des nombreuses allégations d’intimidations, de menaces, de harcèlements, d’agressions physiques, d’arrestations et de détentions arbitraires, de poursuites judiciaires, de tortures et mauvais traitements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires dont continuent à être régulièrement victimes les défenseurs des droits humains, les opposants politiques, les représentants de la société civile et les journalistes. Il s’inquiète également des efforts insuffisants de l’État partie pour fournir à ces personnes une protection adéquate, y compris en menant des enquêtes rapides, efficaces et impartiales et en punissant les auteurs de ces crimes par des peines appropriées. Le Comité regrette le manque d’informations concernant les mesures prises pour promouvoir un espace civique où les individus peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression et d’association de manière effective et défendre les droits humains dans un environnement sûr (art. 2, 12, 13 et 16).

44. L ’ État partie devrait s ’ assurer que les défenseurs des droits humains , les opposants politiques, les représentants de la société civile et les journalistes sont adéquatement protégés contre toute s les forme s d ’ intimidation s , de harcèlement s , de violence s , d ’ arrestation s et de détention s arbitraire s , de poursuite s judiciaire s , de torture s et mauvais traitements, de disparitions forcées et d ’ exécutions extrajudiciaires auxquel le s ils pourraient être exposés en raison de leurs activités. Il devrait, en outre, prendre toutes les mesures nécessaires pour ouvrir des enquêtes rapides, efficaces et impartiales sur ces allégations de violations des droits humains et punir les responsables par des peines appropriées en s ’ assurant qu ’ elles soient dûment exécutées. L ’ État partie devrait également prendre des mesures pour promouvoir l ’ espace civique et le droit à la liberté d ’ expression et d ’ association, y compris en révisant l ’o rdonnance n o  0 23 /PR/ 2018 du 27 juin 2018 portant régime des associations.

Justice transitionnelle

45.Tout en notant la condamnation, en 2015, de Hissène Habré par les Chambres africaines extraordinaires basées à Dakar et celle de 19 agents de la Direction de la documentation et de la sécurité par une cour criminelle spéciale, ainsi que la mise en place par l’Union africaine du Fonds fiduciaire au profit des victimes des crimes de Hissène Habré et la décision de la Cour criminelle spéciale de fournir des compensations financières auxdites victimes, le Comité s’inquiète de ce que le Fonds ne soit toujours pas opérationnel et qu’aucune des victimes n’ait reçu de compensation à ce jour. Le Comité note enfin avec regret que le mémorial dédié aux victimes décrit dans l’ordonnance de la Cour n’a pas encore été créé (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

46. L ’ État partie devrait encourager ses partenaires à contribuer au F onds fiduciaire au profit des victimes des crimes de Hissène Habré , créé par l’ Union africaine , afin de le rendre opérationnel dans les meilleurs délais. Il devrait également mettre en œuvre sans tarder l ’ arrêt de la C our criminelle spéciale , de manière à fournir les compensations prévues aux victimes des graves violations des droits humains commises par les agents de la Direction de la d ocumentation et de la s écurité. Enfin, il devrait prendre toutes les mesures idoines pour ériger au plus vite le mémorial dédié aux victimes du régime de Hissène Habré.

Réparations

47.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas communiqué d’informations complètes sur les réparations accordées aux victimes de torture ou de mauvais traitements, à l’issue des recours civils prévus par la législation en vigueur ou de tout autre recours utile qui permette à ces victimes de réclamer des dommages et intérêts pour préjudices pécuniaires et non pécuniaires et d’obtenir des moyens de réadaptation médicale et psychosociale. Le Comité regrette également l’absence de programmes spécifiques de réadaptation en faveur des victimes de torture qui intégreraient l’ensemble des modalités de réparation envisagées par l’article 14 de la Convention (art. 14).

48. L ’ État partie devrait :

a) Conformément à l ’ observation générale n o  3 (2012) du Comité , prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour assurer qu ’ une procédure civile en réparation puisse être engagée par les victimes de torture ou de mauvais traitements, leur famille ou la personne qui les défend , indépendamment d ’ une action pénale éventuelle, en cours ou achevée, y compris dans les cas où l ’ auteur des actes en question n ’ aurait pas été identifié  ;

b) Évaluer pleinement les besoins des victimes et faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement disponibles ;

c) Fournir des informations détaillées sur les cas où d es victimes d ’ actes de torture et de mauvais traitements ont eu accès à des recours utiles et obtenu réparation, et en informer le Comité lors de la soumission de son prochain rapport périodique.

Formation

49.Tout en prenant acte des efforts déployés par l’État partie pour fournir des formations générales en matière de droits humains et de droit international humanitaire, notamment au bénéfice du personnel de police, des forces de défense et de sécurité et des magistrats, le Comité regrette le manque de formations spécifiques sur les dispositions de la Convention, ainsi que sur le contenu du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Il regrette en outre qu’aucun mécanisme d’évaluation de l’efficacité des programmes de formation n’ait été mis en place, et qu’il n’existe pas de formation spécifique pour les forces armées et le personnel médical concerné (art. 10).

50. L ’ État partie devrait :

a) Développer plus avant les programmes de formation obligatoire afin que tous les agents de l ’ État connaissent bien les dispositions de la Convention, en particulier en ce qui concerne l ’ interdiction absolue de la torture, et qu ’ ils sachent qu ’ aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis et, s ’ ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés ;

b) Faire en sorte que l ’ ensemble du personnel concerné, notamment le personnel médical, reçoive une formation spécifique qui lui permette de détecter les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d ’ Istanbul révisé ;

c) Fournir systématiquement une formation sur l ’ usage de la force à tous les membres des forces de l ’ ordre, en particulier ceux qui participent au contrôle des manifestations, compte dûment tenu des Principes de base sur le recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois ;

d) Concevoir une méthode permettant d ’ évaluer l ’ efficacité des programmes de formation s ’ agissant de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements , de repérer ces actes, de les consigner, d ’ enquêter sur eux et d ’ en poursuivre les auteurs.

Collecte de données statistiques

51.Tout en notant la création de la Direction des statistiques judiciaires au sein du Ministère de la justice, chargé des droits humains, et l’adoption d’une loi sur la statistique en 2016, le Comité regrette l’absence de données statistiques exhaustives et ventilées sur les cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, y compris en ce qui concerne les allégations de violences policières et d’usage excessif de la force, ainsi que sur les cas de violence fondée sur le genre et de traite d’êtres humains. Le Comité est préoccupé par l’absence d’un système plus ciblé et coordonné de collecte et d’analyse de données, nécessaire pour effectuer un suivi effectif de la mise en œuvre des obligations de l’État partie au titre de la Convention.

52. L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour renforcer ses capacités à compiler, à ventiler et à analyser des données statistiques pertinentes pour le suivi de la mise en œuvre de la Convention de manière plus ciblée et coordonnée, notamment en ce qui concerne les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites engagées et les condamnations prononcées dans les cas de torture et de mauvais traitements perpétrés par les forces de sécurité et le personnel de prison, de violence fondée sur le genre et de traite d ’ êtres humains, ainsi que sur les voies de recours, y compris les mesures d ’ indemnisation et de réhabilitation, fourni e s aux victimes. L ’ État partie devrait également fournir des données statistiques à jour et ventilées par sexe, âge , origine nationale ou ethnique et nationalité sur : a) le nombre de personnes en détention provisoire et le nombre de détenus condamnés, ainsi que le taux d ’ occupation de chaque lieu de détention ; et b) le nombre de demandes d ’ asile reçues au cours de la période considérée, le nombre de demandes auxquelles il a été fait droit et le nombre de personnes dont la demande a été acceptée parce qu ’ elles avaient été torturées ou qu ’ elles risquaient de l ’ être en cas de renvoi dans leur pays d ’ origine. L ’ État partie devrait en outre fournir des données ventilées par pays d ’ origine sur le nombre de personnes qui ont été renvoyées, extradées ou expulsées depuis l ’ examen de son rapport initial, ainsi qu’ une liste des pays de renvoi.

Procédure de suivi

53. Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir au plus tard le 25 novembre 2023 des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée à ses recommandations concernant l ’ usage excessif de la force pendant les manifestations qui ont eu lieu au printemps 2021 et à l ’ automne 2022 , les conditions de détention , les décès en détention et la collecte de données statistiques (voir par. 9 c) et e), 28 d), 34 et 52 ci ‑dessus ). L ’ État partie est également invité à informer le Comité des mesures qu ’ il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d ’ ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

54. Le Comité encourage l ’ État partie à envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

55. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l ’ intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet.

56. Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 25 novembre 2026 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait qu ’ il a accepté d ’ établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront le troisième rapport périodique qu ’ il soumettra en application de l ’ article 19 de la Convention.