NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1452/200630 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑dixième session9‑27 juillet 2007

DÉCISION

Communication n o  1452/2006

Présentée par:

Renatus J. Chytil (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

16 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial en vertu de l’article 97 du Règlement intérieur, transmise à l’État partie le 16 février 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

24 juillet 2007

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Abus du droit de présenter une communication; non‑épuisement des recours internes

Questions de fond: Égalité devant la loi; égale protection de la loi

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑dixième session

concernant la

Communication n o  1452/2006**

Présentée par:

Renatus J. Chytil (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

16 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION CONCERNANT LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication est M. Renatus J. Chytil, né en 1925 dans l’ex‑Tchécoslovaquie. Il affirme être victime de violations, par la République tchèque, de droits qui lui sont reconnus à l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 13 juin 1948, l’auteur a fui la Tchécoslovaquie. Il a obtenu le statut de réfugié en Allemagne avant d’immigrer aux États‑Unis d’Amérique, pays dont il est devenu citoyen en 1957, perdant ainsi sa nationalité tchèque en application d’un accord bilatéral, le Traité de 1928 sur la naturalisation. En 1948, les autorités tchèques ont confisqué les certificats et les diplômes de droit qui permettaient à l’auteur d’exercer sa profession de juriste. Selon ce dernier, les biens énumérés ci‑après appartenant à sa famille ont été confisqués au fil des ans par les autorités tchèques:

L’usine textile Vonmiller à Zamberk, en Bohème orientale (confisquée en 1945 et privatisée en 1995);

Environ 1 500 kg de pièces et de lingots d’or (l’auteur affirme que cet or, qui avait été confisqué par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, a été récupéré en Allemagne et transféré et stocké aux États-Unis). L’auteur affirme également que cet or a été ajouté aux 18,4 tonnes d’or tchèque, qualifié d’«or monétaire à restituer», qui ont été envoyés par le Gouvernement des États‑Unis au régime de Prague en février 1982. L’auteur n’a pas été indemnisé par le Gouvernement des États‑Unis;

La villa de la famille Chytil, confisquée en 1983, pendant que la mère et la sœur de l’auteur lui rendaient visite en Californie (elles ont toutes deux obtenu par la suite l’asile politique aux États-Unis);

L’entreprise du bâtiment LITAS, confisquée et nationalisée en 1948; et

D’autres terrains, bâtiments et avoirs.

2.2En 1990 en application de la loi no 119/1990, le doctorat de droit de l’auteur et le certificat lui permettant d’exercer la profession de juriste lui ont été restitués. Il a fait une déclaration le 19 janvier 1994 devant le Comité constitutionnel du Parlement tchèque. Il a également demandé la restitution des biens et de l’or qui appartenaient à sa famille en saisissant la Cour constitutionnelle tchèque d’une plainte pour violation des droits de l’homme et d’autres questions le 10 juin 1994. Le 26 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a, selon l’auteur, refusé d’entendre sa plainte au motif qu’il n’était pas un ayant droit au regard de la législation, selon les termes de l’article 3 de la loi no 87/1991, dans la mesure où il ne satisfaisait pas au critère de détention continue de la nationalité. L’auteur affirme que cette décision est définitive et qu’aucun recours n’est possible. Il a essayé de poursuivre son action mais un juge assistant de la Cour constitutionnelle tchèque s’y est opposé le 4 mars 1996.

Teneur de la plainte

3.Se référant à des décisions antérieures du Comité concernant la République tchèque (communication no 516/1992, Simunek et consorts c. République tchèque, constatations adoptées le 19 juillet 1995), l’auteur rappelle que le Comité a constaté des violations du Pacte dans des situations similaires à la sienne. Il affirme que le refus du Gouvernement tchèque de lui restituer ses biens constitue une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1Le 11 août 2006 l’État partie a formulé ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. S’agissant des faits, il explique que l’auteur n’a apparemment pas recouvré la citoyenneté tchèque et que le 18 avril 1994 [on notera que les dates ne concordent pas], il a déposé auprès de la Cour constitutionnelle une requête présentée comme «une action contre une violation des droits de l’homme et une demande de modification de la législation». Dans sa requête, il a réclamé l’abrogation et la modification de certaines dispositions de la loi no 87/1991 sur les réhabilitations extrajudiciaires, la restitution de ses biens et une indemnisation au titre de ses droits réels et de ses droits successoraux d’un montant de plus de 50 millions de dollars des États‑Unis. Le 29 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a rejeté sa requête; le 4 mars 1996, elle l’a débouté de son recours contre la décision du 29 novembre 1995.

4.2L’État partie rappelle que l’article premier de la loi no 87/1991 vise à réparer certaines injustices touchant la propriété et d’autres injustices, commises durant la période allant du 25 février 1948 au 1er janvier 1990. La loi fixe les conditions devant être remplies pour pouvoir réclamer des biens confisqués, ainsi que les règles régissant l’indemnisation, et la portée des réclamations. En vertu de l’article 2, le bien confisqué doit être restitué; faute de cela, une indemnisation doit être versée à son propriétaire. En application du paragraphe 1 de l’article 3, l’expression «ayant droit» s’entend de toute personne qui a été réhabilitée en application de la loi no 119/1990 et dont les biens étaient devenus la propriété de l’État dans les circonstances spécifiées, à condition que cette personne soit de nationalité tchèque ou slovaque. La personne tenue de restituer le bien, telle que définie par l’article 4, doit le faire sur présentation d’une demande écrite par l’ayant droit, une fois que ce dernier a apporté la preuve que le bien en question lui appartient et qu’il a précisé comment l’État se l’est approprié. S’il s’agit d’un bien meuble, l’ayant droit doit également indiquer le lieu où il se trouve. Le paragraphe 2 de l’article 5 de la loi stipule que l’ayant droit doit demander, dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi, à la personne tenue de restituer le bien de le lui rendre. En outre, l’article 8 dispose que si le bien n’est pas restitué à l’ayant droit celui‑ci doit être indemnisé. Une demande écrite d’indemnisation doit être déposée dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la loi ou de la date de la décision judiciaire par laquelle la demande de restitution a été rejetée.

4.3Pour ce qui est de la recevabilité, l’État partie rappelle que l’auteur n’a en aucune façon prouvé, tant au niveau national que devant le Comité, qu’il avait présenté sa demande de restitution à la partie tenue de rendre le bien ou, le cas échéant, aux tribunaux ordinaires de la République tchèque et qu’il n’a pas non plus démontré qu’il avait présenté sa demande dans les délais spécifiés à l’article 5 de la loi no 87/1991. En conséquence, l’auteur n’a manifestement pas épuisé les recours internes.

4.4Pour ce qui est de la procédure devant la Cour constitutionnelle, l’auteur s’est privé de la possibilité de voir sa requête examinée et tranchée par cette juridiction. Sa requête, datée du 18 avril 1994, était entachée de vices de procédure qui ont empêché la Cour de l’examiner. En outre, l’auteur n’a pas soumis une copie du texte de la décision prise au sujet du dernier recours offert par la loi pour la protection de ses droits et a omis de se faire représenter par un avocat (ce qui est obligatoire devant la Cour constitutionnelle). La Cour constitutionnelle lui a donc demandé, le 22 juin 1994, de remédier à ces lacunes. Dans sa réponse, il s’est contenté de faire des réflexions additionnelles de lege ferenda au sujet de la législation tchèque relative à la restitution et n’a pas remédié aux vices dont était entachée sa requête. De ce fait, le 29 novembre 1995, la Cour constitutionnelle a rejeté celle‑ci.

4.5En outre l’auteur ne s’est pas d’abord adressé à la personne tenue de restituer les biens ou, le cas échéant, n’a pas saisi les tribunaux ordinaires d’une demande de restitution (voir art. 4 et 5 de la loi no 87/1991). Comme la Cour constitutionnelle ne peut se substituer aux autorités compétentes dans l’exercice de leur pouvoir de décision au sujet des demandes de restitution, elle a dû rejeter cette partie de la requête de l’auteur conformément au paragraphe 1 e) de l’article 43 de la loi. Pour la même raison, elle a rejeté la requête de l’auteur tendant à ce que la loi no 87/1991 soit modifiée, étant donné que seul le Parlement a le pouvoir de le faire. En conséquence, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes et la communication est irrecevable conformément à l’article 2 et au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.6Deuxièmement, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas étayé ses allégations selon lesquelles il a été victime d’un traitement discriminatoire dans le cadre du processus de prise de décisions au sujet de sa demande de restitution. Il ne fait que fournir une liste des biens dont il réclame la restitution. Or, en vertu de l’article 5 de la loi no 87/1991, il devrait apporter la preuve de son droit à restitution, étayer sa demande de restitution ou apporter des preuves quant à la manière dont ses biens ont été confisqués par l’État et, dans le cas des biens meubles, indiquer le lieu où ils se trouvent. Sa communication est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.7Troisièmement, l’État partie considère que la communication est irrecevable parce qu’il y a eu abus du droit de présenter une communication (art. 3 du Protocole facultatif). Même si le Protocole facultatif ne fixe pas de date limite pour le dépôt d’une communication et que le simple fait de ne pas avoir soumis rapidement une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter une communication, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle celui‑ci s’attend à recevoir une explication raisonnable et objectivement compréhensible en cas de retard. En l’espèce, l’auteur a présenté sa communication au Comité le 16 janvier 2006 alors que la dernière décision d’une juridiction interne sur la question, à savoir celle de la Cour constitutionnelle, avait été prise le 4 mars 1996. L’auteur n’apporte aucune explication pour justifier ce retard de dix ans, et la communication est donc irrecevable pour abus du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.8Sur le fond l’État partie affirme que la communication ne contient aucun élément indiquant que l’auteur a été victime d’une discrimination. L’auteur n’a relevé dans aucune des décisions par lesquelles les autorités nationales ont rejeté sa demande de restitution un élément qui irait à l’encontre des dispositions de l’article 26, et l’État partie n’a connaissance d’aucun élément de ce type. Selon les renseignements dont il dispose, la requête de l’auteur a fait l’objet de deux décisions seulement, à savoir celles de la Cour constitutionnelle en date du 29 novembre 1995 et du 4 mars 1996. Aucune présomption de discrimination ne pèse sur ces décisions. Au cas où l’auteur invoquerait le fait que la législation tchèque relative à la restitution exige, entre autres, pour qu’une demande de restitution soit valide, que son auteur soit citoyen de la République tchèque, l’État partie tient à dire qu’il ne conteste pas ce fait. Toutefois, l’existence de cette condition préalable n’est pas en soi discriminatoire à l’égard de l’auteur. Il pourrait y avoir discrimination si les autorités nationales avaient rejeté sa demande de restitution au motif qu’il n’aurait pas rempli cette condition préalable. En l’espèce, aucune décision de ce type n’a été adoptée. La Cour constitutionnelle a débouté l’auteur uniquement pour des raisons procédurales et non parce qu’il ne remplissait pas la condition préalable relative à la citoyenneté. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 26 du Pacte.

Commentaires de l’auteur

5.Dans ses commentaires du 28 février 2007, à propos des affirmations de l’État partie selon lesquelles il n’a présenté aucune pièce attestant la propriété des biens qu’il affirme posséder, l’auteur se réfère à sa communication initiale et à la liste des biens confisqués qu’il a fournie. Il renvoie à la décision dans l’affaire Simunek à l’appui de son affirmation selon laquelle l’argument de la citoyenneté est discriminatoire et incompatible avec les dispositions de l’article 26 du Pacte. Pour ce qui est de l’argument selon lequel il n’aurait pas épuisé les recours internes disponibles, il fait valoir que même s’il avait recouvré la nationalité tchèque, il serait allé à l’encontre de la règle de la détention continue de la nationalité fixée par l’État partie. Seuls les citoyens tchécoslovaques jouissent d’un droit à restitution en vertu de la loi no 87/1991 et il ne constitue pas un «ayant droit» en vertu de l’article 3 de cette loi. Bien que la règle de la résidence ait été abrogée par l’État partie en 1993, les dispositions discriminatoires relatives à la citoyenneté sont encore en vigueur. Dans ces conditions l’auteur, en tant que citoyen des États‑Unis et non‑détenteur de manière continue de la nationalité tchèque, n’est pas habilité à intenter une action en la matière devant les tribunaux tchèques et ne peut par conséquent pas épuiser les recours internes. Au vu de la définition de l’«ayant droit», il ne dispose d’aucun recours. Selon lui, l’État partie se sert de règles de procédure pour faire obstacle à la restitution et va par conséquent à l’encontre de la jurisprudence du Comité dans l’affaire Simunek et de l’article 26. Il conclut donc que sa communication devrait être déclarée recevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la communication n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie selon lequel la soumission de la communication au Comité constitue, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif, un abus du droit de présenter des communications, le Comité note que la dernière décision figurant au dossier est celle prise par la Cour constitutionnelle le 4 mars 1996, par laquelle la Cour a rejeté le recours de l’auteur contre sa précédente décision en date du 29 novembre 1995. Une période de près de dix ans s’est donc écoulée avant que l’auteur ne soumette sa plainte au Comité, le 16 janvier 2006. Le Comité rappelle qu’aucun délai n’est fixé pour la présentation de communications au titre du Protocole facultatif et qu’un simple retard, en la matière, ne constitue pas, sauf circonstances exceptionnelles, un abus du droit de présenter une communication. En l’espèce, bien que l’État partie ait soulevé la question du retard qui, d’après lui, constitue un abus du droit de présenter une communication, l’auteur n’a pas expliqué ni justifié pourquoi il avait attendu près de dix ans avant de soumettre sa plainte au Comité. Sachant que la décision dans l’affaire Simunek a été rendue en 1995, et qu’il ressort du dossier que l’auteur avait appris l’existence de cette décision peu de temps après, le Comité considère ce retard comme déraisonnable et excessif au point de constituer un abus du droit de présenter une communication et déclare par conséquent la communication irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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