NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1439/2005

16 août 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

9 – 27 juillet 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1439/2005

Présentée par:

Sid Ahmed Aber (représenté par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de:

L’auteur, son père Abdelkader Aber et sa soeur Zina Aber

État partie:

Algérie

Date de la communication:

24 mai 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 23 novembre 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption

des constatations:

13 juillet 2007

Objet: disparition forcée, détention au secret, torture et traitements cruels, inhumains et dégradants, conditions de détention inhumaines

Questions de procédure: néant

Questions de fond: interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; respect de la dignité inhérente à la personne humaine; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité

Articles du Pacte: 7, 9, 10, 16 et 2, paragraphe 3.

Articles du Protocole facultatif: 5, paragraphe 2 a).

Le 13 juillet 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe en tant que constatations concernant la communication N o  1439/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-dixième session

concernant la

Communication n o 1439/2005 **

Présentée par:

Sid Ahmed Aber (représenté par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de:

L’auteur, son père Abdelkader Aber et sa sœur Zina Aber

État partie:

Algérie

Date de la communication:

24 mai 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 13 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1439/2005 présentée par Sid Ahmed Aber (représenté par un conseil, Nassera Dutour) en son nom et ceux de son père Abdelkader Aber et sa sœur Zina Aber, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, reçue le 24 mai 2005, est Sid Ahmed Aber, de nationalité algérienne, né en 1962 en Algérie, actuellement résidant en France. Il affirme que son père Abdelkader Aber, décédé en 1999, sa sœur Zina Aber, résidant en Algérie, ainsi que lui-même sont victimes de violations par l’Algérie de l’article 7, l’article 9, l’article 10, l’article 16, et de l’article 2, paragraphe 3 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’Algérie le 12 décembre 1989. L’auteur est représenté par un conseil, Nassera Dutour.

1.2Sur la base des informations reçues par le Comité, le 23 novembre 2005, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires a attiré l’attention de l'État partie sur le droit de présenter des communications individuelles au Comité, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, et a rappelé qu’un individu et ses proches ne sauraient être intimidés en raison de la présentation d’une communication au Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Dans la nuit du 9 février 1992, l’auteur, ancien Secrétaire général de la mairie de Bir el Djir à Oran, est arrêté à son domicile par des agents de la sécurité militaire en civil. Choqué par cette arrestation violente dont il est témoin, Abelkader Aber, le père de l’auteur, fait un malaise cardiaque. L’auteur est amené au commissariat d’Oran où il est frappé et torturé pendant plusieurs heures pour lui faire admettre son appartenance à des groupes armés. Il finit par céder et faire de faux aveux. Il signa le procès-verbal de sa déposition sans même prendre connaissance de son contenu. Il est ensuite détenu dans une cellule du commissariat pendant trois jours sans aucune base légale.

2.2Le 12 février 1992, l’auteur est transféré au camp de détention de Reggane dans le sud de l’Algérie. Dans ce camp, il est détenu dans une tente de 8m2 avec plus d’une dizaine de prisonniers, dans des conditions dégradantes et inhumaines. Les installations sanitaires y étaient inexistantes. Le 27 juin 1992, l’auteur est transféré au camp d’Oued Namous situé dans le sud-ouest du pays, où les conditions de détention étaient également très difficiles. En octobre 1993, les autorisations de visite accordées par les préfets aux familles des détenus du camp sont suspendues.

2.3En février 1994, l’auteur est transféré en secret au camp de Tamanrasset à Aïn M’Guel. Le transfert est opéré dans des conditions inhumaines, puisque les prisonniers sont transportés ligotés et menottés par avion militaire. De nouveau, les conditions de détention dans ce camp étaient dégradantes. Sa détention dans ce camp fut cachée par les autorités militaires à sa famille. Ce n’est que grâce à un appel téléphonique d’un parent d’un détenu, résidant à Alger et qui avait des permis de visite, que la famille de l’auteur a appris sa détention dans ce camp.

2.4Le 23 Novembre 1995, après l’annonce d’un décret d’amnistie du Président Zerroual, l’auteur est libéré après trois ans et neuf mois de détention sans jugement ou décision émanant d’une autorité judiciaire. Il a gardé de lourdes séquelles physiques de cette détention (douleurs dorsales intenses, déviation de la cloison nasale et problèmes de vue). Après sa libération, il est placé sous contrôle judiciaire, privé de ses droits civiques et soumis à des harcèlements réguliers de la part des agents de police du commissariat d’Oran.

2.5Le 11 octobre 1997, l’auteur est enlevé à Oran par trois agents de la Sécurité militaire. Il est amené au centre de Magenta, centre de détention appartenant à la Direction de la Sécurité militaire, connu pour être un lieu de torture. Il est interrogé par le Colonel Hamou et le Commandant Boudia au sujet d’un attentat terroriste qui avait eu lieu le 1er octobre 1997. Durant cet interrogatoire, il est jeté au sol, reçoit des coups de pied et est insulté. Le lendemain matin, il est de nouveau interrogé et frappé pendant plusieurs heures avec des fils de fer, des tuyaux en plastique, des gourdins et fils électriques. Il est également électrocuté. À la fin de cette première journée de torture, l’auteur n’est plus capable de parler, ni de bouger. Le lendemain, il est de nouveau soumis à une séance de torture. Ses tortionnaires menacent de le violer, lui plongent la tête dans une baignoire d’eau sale, l’étranglent avec une corde et l’électrocutent sur les testicules. Durant environ trois mois, l’auteur est soumis à un régime de tortures similaires. Durant les deux derniers mois, les douleurs sont devenues si intenses qu’il est incapable de dormir plus de dix minutes sans être réveillé par celles-ci.

2.6À l’issue de ses trois premiers mois de détention au centre de Magenta, il est transféré dans une « chambre noire » en guise de punition pour avoir tenté de communiquer avec les autres détenus. Il a passé trois mois dans cette cellule dans le noir complet, isolé, entouré de rats et envahi par les poux. Durant ces trois mois, il n’a eu pour seul repas qu’un bout de pain ou une louche de soupe un jour sur deux. Après ces trois mois d’isolation, l’auteur est de nouveau interrogé et torturé. Il est forcé de boire plusieurs litres de mélanges à base d’eau de javel. Il est également battu et suspendu au plafond par le poignet. Les conditions de détention étaient dégradantes et insalubres. Il a subi également des privations de nourriture allant jusqu’à une semaine.

2.7Ce n’est que treize jours après l’enlèvement de l’auteur que sa famille a appris où il était détenu grâce au témoignage d’un autre détenu au centre de Magenta qui est libéré le 24 octobre 1997. La famille de l’auteur est victime d’intimidations de la part des autorités : Abdelkader Aber, son père, est convoqué à deux reprises au commissariat d’Oran les 16 et 25 décembre 1997. Zina Aber, la sœur de l’auteur, a entrepris plusieurs démarches pour retrouver son frère. Le 22 décembre 1997, elle a déposé une requête auprès du général de la 2ème région militaire d’Oran et une autre auprès du président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme. Le 3 janvier 1998, elle a également déposé une requête auprès du Procureur général de la Cour suprême d’Alger et une lettre au Ministère de la Justice. Toutes ces démarches sont restées vaines, les autorités niant la détention de l’auteur au centre de Magenta et faisant valoir qu’il a pris la fuite et que « les services de l’Etat ne sont pas responsables ».

2.8Le 23 mars 1998, l’auteur est libéré du centre de Magenta par les autorités à condition de « ne pas parler à la presse, ne pas déposer plainte et ne pas communiquer avec les gens », sous peine de mort. On lui présente un papier qu’il signe sans même prendre le temps d’en lire le contenu. À sa libération, il est hébergé par sa sœur, Zina Aber. Lorsqu’il revoit ses parents, son père est tellement choqué par l’état physique de l’auteur qu’il fait une seconde crise cardiaque. À la suite de cette crise cardiaque, il est resté paralysé et mourut quelques mois plus tard le 9 mars 1999.

2.9Le 25 mars 1998, l’auteur, ainsi que sa sœur qui l’hébergeait, sont convoqués au commissariat. L’officier de police qui les reçoit lui a proposé, pour ne plus être inquiété, de signer un procès verbal dans lequel il reconnaît avoir été détenu au centre de Magenta, mais dans de bonnes conditions et ne pas avoir subi de tortures. L’auteur a signé ce procès verbal.

2.10La famille de l’auteur est convoquée les 31 mars 1998, 1er décembre 1998 et 22 décembre 1998 au commissariat de police et à la gendarmerie d’Oran. Craignant pour sa vie, la seule démarche entamée par l’auteur fut d’envoyer une lettre au Procureur général du parquet d’Oran le 15 avril 1998, demandant « une protection de l’État et un terme à l’acharnement des services de sûreté ». En réponse, il reçut le 23 juin 1998 un procès-verbal de notification émanant du Procureur général du parquet d’Oran l’invitant à adresser sa requête à la Direction Générale de la Sûreté Nationale à Alger. En décembre 1998, l’auteur s’est rendu à une convocation avec un avocat. Les gendarmes l’ont interrogé sur sa détention du centre de Magenta. Il a alors parlé des tortures subies et a signé un procès verbal. Cependant, aucune suite n’est donnée à l’affaire.

2.11En mai 2002, après avoir enfin obtenu un passeport, l’auteur partit pour la France où il obtint l’asile politique le 28 avril 2003.

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne l’article 7, l’auteur fait valoir que les conditions de détention dans les camps de Reggane et d’Oued Namous entre 1992 et 1994 qui étaient particulièrement sévères (voir par.2.2 ci-dessus) étaient « à la frontière entre les traitements cruels, inhumains ou dégradants et la torture ». Il fait également valoir que sa détention au secret dans le camp de Tamanrasset de 1994 à 1995, puis sa disparition forcée et détention au secret au centre de Magenta en 1997 constituent une violation de l’article 7. Il rappelle que le Comité a reconnu que le fait d’être victime d’une disparition forcée peut être qualifié de traitement inhumain ou dégradant. Il souligne qu’il a été la victime au centre de Magenta d’actes de torture graves infligés par des agents agissant sous l’autorité de l’État et qu’il souffre aujourd’hui de nombreuses séquelles physiques et psychiques : il a dû subir une opération au nez et il s’est fait faire une prothèse dentaire ainsi que des lunettes. Finalement, il estime que les menaces de mort et les manœuvres d’intimidation sur sa personne reçues avant et après sa libération du centre de Magenta par des agents de l’État doivent être considérées comme une violation de l’article 7.

3.2S’agissant de la famille de l’auteur, il fait valoir que son père, Abdelkader Aber, a particulièrement souffert de l’enlèvement de son fils, de ses longues années de détention, de ses tortures, ainsi que des menaces et intimidations. Il a eu deux malaises cardiaques, tous liés à ces événements. Zina Aber, la sœur de l’auteur, a effectué la plupart des démarches pour retrouver son frère et c’est par conséquent elle qui a subi le plus les manœuvres d’intimidation des militaires et de la police. Sous cette pression, elle a eu de nombreux problèmes de santé, un avortement spontané et une dépression nerveuse. L’auteur rappelle que le Comité a reconnu que la disparition d’un proche pouvait constituer pour la famille une violation de l’article 7.

3.3En ce qui concerne l’article 9, paragraphe 3, l’auteur rappelle qu’entre son arrestation le 9 février 1992 et sa libération le 23 novembre 1995, il n’a jamais été traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Son enlèvement, puis sa détention au secret au centre de Magenta de 1997 à 1998 se sont également accomplies en l’absence de jugement, au mépris des garanties prescrites par l’article 9. Il invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle toute détention non reconnue d’un individu constitue une négation totale du droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 9.

3.4En ce qui concerne l’article 10, l’auteur considère que les conditions de détention (insalubrité, absence d’installations sanitaires, absence de nourriture et surpeuplement des cellules) dans les différents centres où il a séjourné constituent une violation de cette disposition.

3.5En ce qui concerne l’article 16, l’auteur estime que sa disparition forcée est par essence une négation du droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Il invoque la déclaration du 18 décembre 1992 sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

3.6En ce qui concerne l’article 2, paragraphe 3, l’auteur rappelle qu’il a été dénié de ses droits sous les menaces d’agents dépositaires de l’autorité étatique. Pour être libéré du centre de Magenta, il a dû signer un document qui l’obligeait à reconnaître qu’il avait été bien traité durant sa détention. En outre, le caractère secret de sa détention aux camps de Oued Namous et de Magenta ne permettait ni à l’auteur, ni à sa famille de disposer d’une voie de recours utile.

3.7En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur rappelle que selon une jurisprudence constante du Comité, seuls les recours efficaces, utiles et disponibles au sens de l’article 2, paragraphe 3, doivent être épuisés. Dans le cas présent, les conditions entourant les différentes détentions de l’auteur font apparaître qu’il était dans l’impossibilité d’effectuer des recours au niveau judiciaire sans faire peser de graves menaces sur sa vie ainsi que sur la sécurité de sa famille. L’auteur considère qu’il n’existait pas, au moment de sa libération du centre de Magenta, des voies de recours « disponibles » au sens de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte, de l’article 5 du Protocole facultatif, et de la jurisprudence du Comité.

3.8L’auteur demande au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes en vue de déférer les auteurs des crimes devant les autorités judiciaires compétentes, conformément à l’article 2, paragraphe 3 du Pacte. Il demande également une réparation adéquate pour lui et sa famille.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans sa note verbale du 19 avril 2006, l’État partie note que l’auteur a été poursuivi par le Parquet de la République d’Oran pour avoir provoqué en février 1992 un attroupement avec d’autres personnes et attaqué des voitures de police avec des pierres. Avec ses co-inculpés, l’auteur a été traduit devant le tribunal correctionnel d’Oran qui a rendu, le 4 février 1992, un jugement de relaxe à l’encontre de tous les inculpés. Sur appel du ministère public, la Cour d’Oran a confirmé la décision en appel.

4.2S’agissant de la référence au séjour de l’auteur dans les centres de détention administrative, l’État partie souligne que la lutte contre le terrorisme a nécessité la prise de mesures spéciales pour faire face à la situation insurrectionnelle et subversive apparue en 1992. C’est ainsi que l’article 5 du décret portant instauration de l’état d’urgence stipulait que le ministre de l’intérieur pouvait prononcer « le placement au centre de sûreté, dans un lieu déterminé, de toute personne majeure dont l’activité s’avère dangereuse pour l’ordre public, la sécurité publique, ou le bon fonctionnement des services publics ». Toutes les personnes touchées par cette mesure exceptionnelle, provisoire et qui s’est appliquée dans le respect des dispositions de la loi algérienne ont été libérées, après examen de situation. Les familles ont été régulièrement informées des lieux et conditions de détention de leurs proches. Le 29 octobre 1995, tous les centres de détention administrative ont été fermés.

4.3L’État partie fait valoir que les textes d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005, visent la prise en charge de toutes les victimes de la tragédie nationale et d’assurer à leurs ayants droit la protection sociale de l’État. Comme exemple, il précise la procédure permettant la réintégration ou indemnisation des personnes ayant fait l’objet de mesures administratives de licenciement pour des faits liés à la tragédie nationale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 16 juin 2006, l’auteur note que l’État partie a invoqué l’article 5 du décret 92-44 portant instauration de l’état d’urgence en Algérie, mais n’explique pas en quoi l’auteur représentait une menace qui ait pu justifier sa détention pendant presque quatre ans. Il rappelle qu’il a été innocenté par le tribunal correctionnel d’Oran le 4 février 1992 et n’a bénéficié que de quelques jours de liberté avant d’être transféré sans raison au camp de détention de Reggane le 12 février 1992. Ainsi, la confirmation de la décision de relaxe rendue par la Cour d’Oran en mars 1992 est intervenue alors même que l’auteur a déjà été transféré dans un « centre de sûreté ». L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel sa détention s’est déroulée « dans le respect des dispositions de la loi algérienne ». Il note que l’État partie ne fournit pas d’éléments pour soutenir son affirmation selon laquelle « les familles étaient régulièrement informées des lieux et conditions de détention de leurs proches ». La famille de l’auteur peut témoigner qu’elle n’a jamais su que l’auteur avait été transféré en février 1994 au camp de Tamanrasset où il fut détenu au secret jusqu’au 23 novembre 1995, et non jusqu’au 29 octobre 1995, date à laquelle l’État partie prétend que tous les centre de sûreté ont été fermés.

5.2S’agissant des accusations graves relatives à la disparition forcée de l’auteur et aux multiples actes de torture qu’il a subis au centre de Magenta, l’auteur note que l’État partie ne fournit aucune explication à ce sujet. Il rappelle que la jurisprudence du Comité fait peser sur l’État partie la charge de fournir des éléments afin de contredire les allégations de l’auteur. En tout état de cause, le déni explicite ou implicite ne saurait profiter à l’État partie.

5.3S’agissant des éléments de réponse de l’État partie rappelant le détail des mesures de réhabilitation mises en place dans le cadre des textes d’application de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale adoptée par référendum le 29 septembre 2005, l’auteur note que ces éléments n’éclaircissent en rien les accusations portées contre l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne la famille de l’auteur, le Comité reconnaît l’angoisse et la détresse que les détentions au secret et les mauvais traitements subis par l’auteur auraient pu causer à sa famille. Néanmoins, il considère qu’un lien direct de causalité entre ces souffrances et les mauvais traitements subis par l’auteur n’a pas été suffisamment établi. Dans ces circonstances, le Comité estime que l’auteur n'a pas étayé, aux fins de la recevabilité, l'allégation selon laquelle les faits dont il est saisi font apparaître pour sa famille une violation de l’article 7. Cette partie de la communication est donc irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité note que l’État partie n’a soulevé aucune objection à la recevabilité du reste de la communication. Sur la base des informations dont il dispose, il conclut qu’il n’y aucun obstacle à la recevabilité de la communication et la déclare donc recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité rappelle que la charge de la preuve n'incombe pas uniquement à l'auteur d'une communication, d'autant plus que l'auteur et l'État partie n'ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l'État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que l'État partie est tenu d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu'il détient. Dans les cas où l'auteur a communiqué à l'État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l'État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l'État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

7.3En ce qui concerne le grief de détention au secret, le Comité sait quelle souffrance représente une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéterminée. Il rappelle à ce sujet son observation générale 20 (44) relative à l'article 7 dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions interdisant la détention au secret. Il note que l'auteur affirme qu’il a été transféré en février 1994 au camp de Tamanrasset où il a été détenu au secret jusqu'au 23 novembre 1995. L’auteur affirme également qu’il a été enlevé le 11 octobre 1997 et a été détenu au secret jusqu’au 23 mars 1998. Le Comité note que l'État partie a simplement invoqué l’article 5 du décret portant instauration de l’état d’urgence autorisant « le placement au centre de sûreté, dans un lieu déterminé, de toute personne majeure dont l’activité s’avère dangereuse pour l’ordre public, la sécurité publique, ou le bon fonctionnement des services publics » et affirmé que les familles des détenus étaient informées des lieux et conditions de détention de leurs proches. Le Comité estime que l’État partie n’a pas répondu aux allégations suffisamment détaillées de l'auteur. Dans ces circonstances, le Comité conclut que le maintien en captivité de l'auteur, l'empêchant de communiquer avec sa famille et avec le monde extérieur, constitue une violation de l'article 7 du Pacte.

7.4En ce qui concerne les allégations de torture au centre de Magenta, le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Il considère qu’en l’absence de réponse de l’État partie, les circonstances entourant la détention de l’auteur et ses allégations selon lesquelles il a été torturé à plusieurs reprises au centre de Magenta donnent fortement à penser qu'il a été soumis à de mauvais traitements. Le Comité n'a reçu de l'État partie aucun élément permettant de contredire ces allégations. Le Comité conclut que les traitements auxquels l’auteur a été soumis au centre de Magenta constituent une violation de l'article 7.

7.5En ce qui concerne le grief de violation de l'article 9, il ressort des informations devant le Comité que l’auteur a été arrêté le 11 octobre 1997 à Oran par des agents de l'État partie. En l'absence d'explications suffisantes de l'État partie sur les allégations de l'auteur qui affirme que sa détention au secret jusqu'au 23 mars 1998 a été arbitraire ou illégale, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l'article 9.

7.6En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 3 de l'article 9, le Comité rappelle que le droit d'être traduit « dans le plus court délai » devant une autorité judiciaire implique que le délai ne doit pas dépasser quelques jours, et que la détention au secret en elle-même peut constituer une violation du paragraphe 3 de l'article 9. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été traduit devant le tribunal correctionnel d’Oran qui a rendu, le 4 février 1992, un jugement de relaxe à son égard. Selon l’État partie, ce jugement a été confirmé en appel par la Cour d’Oran en mars 1992. Cependant, le Comité note que l’auteur a été entre temps arrêté le 9 février 1992 malgré sa relaxe et a été maintenu en détention jusqu’au 23 novembre 1995. Le Comité note également que l’auteur n’a jamais été traduit devant un juge lors de sa deuxième période de détention du 11 octobre 1997 au 23 mars 1998. Le Comité estime que ces deux périodes de détention, respectivement de trois ans et huit mois et de cinq mois, constituent, dans le cas de l'auteur et en l'absence d'explications satisfaisantes de l'État partie ou de tout autre fait justificatif ressortant du dossier, une violation du droit énoncé au paragraphe 3 de l'article 9.

7.7En ce qui concerne le grief de violation de l'article 10, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles les conditions de détention dans les différents centres où il fut détenu étaient inhumaines. Dans le camp de détention de Reggane où l’auteur fut détenu entre février et juin 1992, il se trouvait dans une tente de 8m2 avec plus d’une dizaine de prisonniers, dans des conditions dégradantes et inhumaines. Les installations sanitaires y étaient inexistantes. Entre juin 1992 et février 1994, l’auteur fut détenu au camp d’Oued Namous où les conditions de détention étaient également très difficiles. En octobre 1993, les autorisations de visite furent suspendues. En février 1994, l’auteur fut transféré au camp de Tamanrasset dans des conditions inhumaines, puisque les prisonniers étaient transportés ligotés et menottés par avion militaire. Lors de sa seconde période de détention au centre de Magenta entre octobre 1997 et mars 1998, il passa trois mois dans une cellule dans le noir complet, isolé, entouré de rats et envahi par les poux. Durant ces trois mois, il n’a eu pour seul repas qu’un bout de pain ou une louche de soupe un jour sur deux. Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées avec humanité et respect pour leur dignité. En l'absence de renseignements de la part de l'État partie sur les conditions de détention de l’auteur dans les différents centres où il fut détenu, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 de l’article 10.

7.8 Les auteurs ont invoqué le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l'importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son observation générale 31 (80) qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d'enquête sur des violations présumées pourraient en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l'espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n'a pas eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9.

7.9 À la lumière des conclusions ci-dessus, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 16 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 7 et des paragraphes 1 et 3 de l’article 9, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et du paragraphe 1 de l’article 10.

9.Le Comité considère que l’auteur a droit, conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour faire en sorte que a) compte tenu des donnés de l’espèce, une action pénale soit engagée afin que les personnes responsables des mauvais traitements que l’auteur a subis soient promptement poursuivies et condamnées et b) qu’il obtienne une réparation appropriée y compris sous forme d’indemnisation. L’État partie est, en outre, tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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