Nations Unies

CCPR/C/TUN/6

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 juin 2019

Français

Original : arabe

Anglais, arabe, espagnol et français seulement

Comité des droits de l ’ homme

Sixième rapport périodique soumis par la Tunisie en application de l’article 40 du Pacte, selon la procédure facultative d’établissement des rapports, attendu en 2019 * , **

[Date de réception : 30 avril 2019]

Table des matières

Paragraphes Page

Introduction1–33

Méthode et processus d’élaboration du rapport4–53

I.Renseignements d’ordre général sur la situation des droits de l’homme dans le pays, y compris concernant les mesures et faits nouveaux se rapportant à la mise en œuvre du Pacte6–183

II.Renseignements concernant spécifiquement la mise en œuvre des dispositions des articles 1er à 27 du Pacte, y compris au regard des précédentes recommandations du Comité19–3186

1.Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte (art. 2)19–326

2.Justice transitionnelle (art. 3, 6, 7, 9, 14 et 26)33–449

3.Lutte contre la corruption (art. 14, 25 et 26)45–5510

4.Non-discrimination et égalité entre hommes et femmes (art. 2, 3, 20 et 26)56–9213

5.Violence à l’égard des femmes (art. 2, 3, 6, 7 et 26)93–12618

6.Mesures de lutte contre le terrorisme (art. 2, 7, 9, 10, 12 et 14)127–14724

7.Droit à la vie et interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 2, 6 et 7)148–18527

8.Interdiction de l’esclavage, de la traite et de la servitude ; et droitsdes enfants (art. 8 et 24)186–20732

9.Liberté et sécurité de la personne, légalité de la détention et traitement des personnes privées de liberté (art. 2, 7, 9, 10 et 11)208–22635

10.Indépendance et impartialité de la justice (art. 14)227–25739

11.Droit à la vie privée (art. 17)258–26543

12.Liberté d’expression (art. 19)266–27444

13.Liberté d’association et de réunion (art. 21 et 22)275–28445

14.Traitement des réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées (art. 6, 7, 12, 13, 14, 24 et 26)285–28947

15.Participation aux affaires publiques (art. 25)290–31848

Introduction

1.La Tunisie présente son sixième rapport sur la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en application de l’article 40 du Pacte et conformément à la recommandation formulée au paragraphe 22 des observations finales adoptées par le Comité des droits de l’homme en avril 2008, à l’issue de l’examen du cinquième rapport périodique. Sur la base de la demande adressée par la Tunisie à cet effet, telle qu’approuvée, le présent document a été établi selon la procédure simplifiée d’établissement des rapports et comporte les réponses à la liste de points à traiter, reçue le 27avril 2018.

2.La Tunisie a également fourni des informations sur la suite donnée aux observations finales du Comité des droits de l’homme formulées le 17mars 2010 (CCPR/C/TUN/CO/5).

3.Le présent rapport a été élaboré par la Commission nationale de coordination, d’élaboration, de présentation des rapports et de suivi des recommandations dans le domaine des droits de l’homme, créée par le décret gouvernemental no2015-1593, conformément aux directives établies en la matière et en réponse à la liste de points à traiter.

Méthode et processus d’élaboration du rapport

4.À la faveur d’une approche participative, la Commission nationale a organisé plusieurs consultations en collaboration avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et l’Agence française de développement en Tunisie, qui ont abouti à une série de recommandations (annexe 1) et auxquelles ont pris part :

Des représentants des instances constitutionnelles indépendantes le 10janvier 2019 et le 1eravril 2019,

Des composantes de la société civile, aux dates suivantes :

Le 27février 2019 à Hammamet, 36 participants dont des représentants de 6associations ;

Le 15mars 2019 à Kairouan, des représentants d’organismes publics, d’instances et d’organisations agissant dans le domaine des droits de l’homme dans les gouvernorats de Kairouan, de Sidi Bouzid et de Kasserine (environ 102 participants, dont des représentants de 33 associations),

Le 29mars 2019 à Tunis, 88 participants, dont des représentants de 20associations.

5.La Commission nationale de coordination, d’élaboration, de présentation des rapports et de suivi des recommandations dans le domaine des droits de l’homme a veillé à ce que la rédaction du présent rapport soit l’occasion d’une poursuite des relations et échanges entre la Tunisie et le Comité des droits de l’homme, sachant que le dernier rapport a été soumis en 2006 et examiné en 2008. Le présent document constitue une opportunité de présenter les faits nouveaux les plus importants survenus au niveau législatif, institutionnel et pratique concernant les questions soulevées, en particulier depuis la présentation du document de base commun.

Première partieRenseignements d’ordre général sur la situation des droits de l’homme dans le pays, y compris concernant les mesures et faits nouveaux se rapportant à la mise en œuvre du Pacte

6.Le présent rapport correspond à un tournant de l’histoire du pays, faisant suite aux changements fondamentaux postérieurs à la révolution du 14janvier 2011, qui ont conduit à une transformation du système politique et à l’instauration d’une société moderne dans le cadre d’une transition démocratique.

7.Cette période a été marquée par la levée des interdictions pesant sur la liberté des Tunisiennes et des Tunisiens en matière d’exercice de leurs droits. Cela s’est traduit par un accroissement du nombre d’organisations de la société civile, de partis politiques et de médias, illustrant une évolution fondée sur la concrétisation des principes des droits de l’homme.

8.Cette période a également été marquée par l’élection d’une Assemblée nationale constituante en 2011, ainsi que par l’organisation d’élections législatives et présidentielles fin 2014 et, en 2018, par la tenue des premières élections municipales, conformément à la Constitution.

9.Compte tenu de cette expérience unique en matière de transition pacifique et démocratique fondée sur un dialogue participatif, le Quartet responsable du Dialogue national, composé de représentants des quatre composantes les plus importantes de la société civile, a reçu le prix Nobel de la paix en 2015, ce qui constitue une reconnaissance internationale de la démarche civilisationnelle et consensuelle du pays et de la consécration de ses choix fondés sur les droits de l’homme.

10.Depuis la présentation du document de base commun, des mesures législatives, institutionnelles et pratiques ont été adoptées dans le domaine des droits de l’homme, en veillant à leur mise en conformité avec la Constitution de 2014 et les normes internationales. Le présent rapport relate les mesures adoptées au cours de la période considérée.

11.Dans ce contexte, la Tunisie a renforcé son système juridique depuis 2016, grâce à son adhésion à de nombreux instruments internationaux et régionaux dans ce domaine, à savoir :

Le troisième Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation des communications ;

Le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique ;

La Déclaration reconnaissant la compétence de la Cour africaine des droits de l’homme à recevoir des requêtes émanant de particuliers et d’organisations non gouvernementales, conformément au paragraphe 6 de l’article 34 du Protocole précité (juillet 2018) ; sachant que la Tunisie a également proposé d’accueillir la Cour, laquelle a accepté et organisé pour la première fois depuis sa création une session hors de son siège, soit sa 51e session, qui a eu lieu à Tunis en novembre 2018 ;

La Convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels ;

La Convention no108 du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel et son Protocole additionnel no181 concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données.

12.Conformément au Chapitre VI de la Constitution, la loi organique no2018-47 portant dispositions communes aux instances constitutionnelles indépendantes a été promulguée en vue d’établir le cadre général et les principes régissant ces instances. La loi organique no2018-51 relative à l’instance des droits de l’homme a également été promulguée (voir l’alinéa b du paragraphe 3).

13.Dans le cadre du renforcement du rôle de l’Instance nationale de lutte contre la corruption, la loi organique no2017-10 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte a été promulguée, suivie par l’adoption de la loi organique no2017-59 relative à l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption et de la loi no2018-46 portant déclaration des biens et des intérêts, de la lutte contre l’enrichissement illicite et le conflit d’intérêts dans le secteur public.

14.Le projet de loi organique relative à l’Instance du développement durable et des droits des générations futures est en cours d’examen à l’Assemblée des représentants du peuple.

15.L’Instance nationale de prévention de la torture a été créée en 2017 et dispose depuis 2018 de son propre budget, conformément aux dispositions de la loi relative à sa création. Elle a réalisé de nombreuses activités dans le cadre de l’accomplissement de ses missions et élabore actuellement son premier rapport.

16.Parmi les principaux textes renforçant le système des droits de l’homme, il convient de citer :

La loi organique no2016-61 relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes ;

La loi organique no2017-58 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ;

La loi organique no2018-50 relative à l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;

La loi organique no2018-29 relative au Code des collectivités locales;

La loi organique no2017-7 modifiant et complétant la loi organique relative aux élections et aux référendums;

La loi organique no2019-9 modifiant et complétant la loi organique no2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent.

17.Parmi les mesures institutionnelles, une Direction générale des droits de l’homme relevant du Ministère de l’intérieur a été mise en place en 2017. Cette structure s’occupe essentiellement des doléances relatives aux droits de l’homme et aux libertés publiques, étant notamment chargée d’orienter les citoyens et de les conseiller, de recevoir et d’examiner les requêtes et plaintes en la matière, d’entretenir des contacts avec les organismes et mécanismes nationaux et internationaux actifs dans le domaine des droits de l’homme, ainsi que de sensibiliser les forces de sécurité intérieure aux droits de l’homme et d’assurer leur formation en la matière.

18.En septembre 2018, huit organismes publics ont signé un protocole d’accord pour la création de la Ligue des instances publiques indépendantes afin de renforcer leur collaboration et coordonner les efforts, programmes et projets visant à promouvoir la culture de la citoyenneté et à protéger les droits de l’homme.

Deuxième partieRenseignements concernant spécifiquement la mise en œuvre des dispositions des articles 1er à 27 du Pacte, y compris au regard des précédentes recommandations du Comité

1.Cadre constitutionnel et juridique de l’application du Pacte (art.2)

19.S’agissant des mesures prises pour incorporer pleinement les dispositions du Pacte dans l’ordre juridique interne et conformément aux dispositions de l’article 20 de la Constitution, le système juridique tient compte des instruments internationaux ratifiés en leur conférant une autorité supérieure à celle de la loi, mais néanmoins inférieure à celle reconnue à la Constitution, comme illustré par les dispositions suivantes:

La référence expresse, dans les lois nationales, aux normes internationales en tant que source de droit à part entière : selon l’article 1 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, ce texte vise à soutenir « les efforts internationaux dans ce domaine, conformément aux normes internationales, et dans le cadre des conventions internationales, régionales et bilatérales ratifiées » et l’article 1 de la loi relative à la prévention et à la lutte contre la traite des personnes dispose que cette loi a pour objectif de « promouvoir la coordination nationale et la coopération internationale dans le domaine de la lutte contre la traite des personnes dans le cadre des conventions internationales régionales et bilatérales ratifiées ».

20.Cette approche avait déjà été adoptée avant la promulgation de la Constitution de 2014, dans le cadre de la loi organique no2013-53 relative à l’instauration de la justice transitionnelle.

L’intégration de plusieurs droits et dispositions énoncés par des instruments internationaux dans la législation nationale, comme la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, qui cite expressément les notions de non-discrimination, d’égalité, de respect de la dignité humaine et la définition de la discrimination à l’égard des femmes de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, de même qu’elle adopte la définition de la violence telle qu’inscrite dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

21.En outre, l’article 6 de la loi relative à l’Instance des droits de l’homme dispose ce qui suit : « L’Instance est chargée de toute question relative au respect, à la protection et à la promotion des droits de l’homme et des libertés dans leur acceptation universelle, globale, interdépendante et complémentaire, conformément aux traités, déclarations et traités internationaux ratifiés... ».

L’harmonisation des lois avec les normes internationales, grâce à la création d’un Comité de pilotage du projet d’harmonisation de la législation avec la Constitution et les normes internationales au sein des services chargés des relations avec les Instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme, afin de mener à bien la révision législative.

22.Diverses commissions ministérielles, notamment chargées de réviser le Code de procédure pénale et le Code pénal, ont été créées au Ministère de la justice et organisent des consultations nationales et régionales sur les résultats de leurs travaux, sachant que la première de ces commissions a présenté son rapport final au Premier ministre en avril 2019.

23.L’Instance des droits de l’homme peut également émettre des propositions au sujet de la mise en conformité des textes avec les normes internationales.

24.En ce qui concerne l’application des dispositions du Pacte par les juridictions nationales, plusieurs arrêts ont été rendus, à savoir :

L’arrêt du tribunal de première instance de Tunis du 9juillet 2018, qui a reconnu le droit d’une femme de changer de sexe en raison d’un trouble de l’identité de genre, en se fondant sur l’article 17 du Pacte et sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme au sujet du respect de la vie privée ;

L’arrêt de la chambre criminelle du tribunal de première instance de l’Ariana du 31décembre 2015, qui a confirmé la garantie de l’inviolabilité du domicile en ces termes : « le texte constitutionnel de 2014 ayant consacré les conventions internationales et les expériences comparées fondées sur l’universalité des valeurs et la pluralité des civilisations; ... l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 dispose que Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes illégales à son honneur et à sa réputation ; et selon l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d’atteintes à son honneur et à sa réputation ; par conséquent, toute personne doit bénéficier d’une protection juridique contre de telles pratiques et toute atteinte à sa vie privée constitue une atteinte à sa liberté » ; sur cette base, le mandat d’inspection et de perquisition a été annulé pour atteinte à l’inviolabilité du domicile ;

La requête du ministère public du tribunal de première instance de Grombalia du 28septembre 2016 dans l’affaire « Fayçal Barakat », selon laquelle : « il ne fait aucun doute que la torture constitue une violation grave des droits de l’homme au sens du droit international des droits de l’homme en général et des conventions internationales et régionales ratifiées par l’État tunisien en particulier, notamment les articles 3 et 5 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10décembre 1948, l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (...) et l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme (...) et .. la ratification par l’État tunisien de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par la loi no88-79 du 11juillet 1988 est considérée comme un engagement dans la politique internationale de lutte contre la torture et une reconnaissance du fait que l’interdiction absolue de la torture est l’un des principes fondamentaux de l’ordre public international et constitue une norme internationale impérative qui fait partie de l’essence inaliénable des droits de l’homme, à laquelle aucune dérogation n’est permise conformément à l’article 54 de la Convention de Vienne sur le droit des traités », a permis au tribunal de reconnaître un effet rétroactif à l’infraction de torture et de considérer que le défunt Fayçal Barakat avait bien été soumis à la torture, bien que le crime se soit produit en 1991, date à laquelle le Code pénal ne prévoyait pas encore cette infraction, qui y a été incorporée seulement en 1998.

25.S’agissant des mesures prises pour sensibiliser les magistrats et leur assurer une formation à l’application des instruments relatifs aux droits de l’homme, des sessions d’enseignement ont été organisées à leur intention à ce sujet, ainsi qu’en matière de normes internationales relatives à la lutte contre le trafic et la traite des personnes. Entre 2015 et 2018, 125 magistrats ont bénéficié de ces formations dans l’ensemble du pays, notamment des procureurs, des juges d’instruction et des auditeurs de justice, ainsi que 28 juges spécialisées dans la lutte contre la traite des êtres humains. En outre, plusieurs sessions de formation ont été organisées au profit des juges aux affaires familiales et des procureurs chargés des affaires de violence à l’égard des femmes auprès de tous les tribunaux de première instance (annexe 2).

26.Le Ministère de la défense nationale a mis en place un programme intégré d’enseignement des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans les académies militaires et les écoles, tout au long des étapes de la formation, afin de promouvoir les principes universels des droits de l’homme et le respect des conventions internationales lors d’interventions militaires sur le terrain. En outre, des cours sur les droits de l’homme sont dispensés aux hauts responsables militaires et civils à l’Institut de la défense nationale et de nombreux représentants du ministère participent également à des séminaires et à des sessions de formation dans ce domaine, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

27.Concernant la mise en place de la Cour constitutionnelle, la Constitution dispose que les dispositions y afférentes entrent en vigueur dès la désignation des membres de sa première composition. Jusque-là, une Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi a été instituée par la loi no2014-14 de 2014 et a rendu 17 décisions jusqu’en octobre 2018.

28.La loi no2015-50 relative à l’organisation de la Cour constitutionnelle dispose que celle-ci est composée de 12 membres, dont 4 désignés par l’Assemblée des représentants du peuple, 4 par le Conseil supérieur de la magistrature et 4 par le Président de la République. Une seule femme a pour l’instant été élue par l’Assemblée des représentants du peuple en tant que future membre potentielle, d’autres femmes n’ayant pas pu être élues, car leur candidature n’a pas obtenu la majorité des deux tiers.

29.En ce qui concerne la mise en place d’une institution nationale des droits de l’homme conforme à la Constitution et aux Principes de Paris, la loi relative à l’Instance des droits de l’homme a été adoptée à l’issue de consultations nationales et régionales des différentes parties concernées. L’Instance est dotée de larges prérogatives et compétences, étant notamment chargée de veiller au respect, à la protection, à la promotion et au renforcement des droits de l’homme, ainsi que de procéder au suivi des cas de violation, de mener les enquêtes et investigations nécessaires et d’adopter toutes les mesures et procédures juridiques à sa disposition pour y remédier. Toute ingérence dans les travaux de l’Instance est interdite, quelle qu’en soit l’origine.

30.Il est exigé des membres de l’Instance qu’ils se consacrent à plein temps à l’exercice de leurs fonctions, qu’ils soient indépendants et élus par l’Assemblée des représentants du peuple. En contrepartie, ils jouissent de l’immunité dans l’exercice de leurs fonctions, conformément à la Constitution et à la loi, et bénéficient d’un régime spécial de rémunération.

31.L’Instance est dotée de l’autonomie administrative et financière selon l’article 4 de la loi no2018-47. Un budget indépendant lui est attribué, qu’elle établit puis soumet à l’examen de l’Assemblée des représentants du peuple, et qu’elle exécute ensuite en toute indépendance et sans contrôle préalable.

32.L’appel à candidatures au Conseil de l’Instance a été ouvert sur la base de la décision du Président de la Commission électorale de l’Assemblée des représentants du peuple du 15février 2019.

2.Justice transitionnelle (art.3, 6, 7, 9, 14 et 26)

33.Les domaines de la justice transitionnelle, tels que définis par la loi organique no2013-53, sont la révélation de la vérité, la préservation de la mémoire, la redevabilité et l’obligation de rendre des comptes, la réparation des préjudices et la réadaptation, ainsi que la réforme des institutions. La loi a créé l’Instance de la vérité et de la dignité pour mener à bien ce processus.

34.L’Instance a réalisé de nombreuses activités au cours de son mandat et présenté son rapport final le 31décembre 2018 aux trois Présidences, conformément aux dispositions de la loi précitée. Parmi les principaux thèmes abordés par les travaux de l’Instance, il convient de signaler les suivants :

Réparation des préjudices et réadaptation.

35.En 2016, l’Instance a approuvé le Guide relatif aux activités de recherche et d’investigation fixant les dispositions et procédures de réception et d’examen des dossiers. À l’expiration des activités de l’Instance, 62 720 dossiers avaient été déposés par des individus ou des groupes d’individus, incluant des dossiers de la « région victime » et des cas relatifs aux diverses périodes couvertes par le mandat de l’Instance. L’Instance a également diffusé 4 audiences publiques à travers les médias, dont 9 en 2017 et 2018, et a organisé 49 494 audiences à huis-clos.

36.Après le tri initial des dossiers, environ 16 105 cas de violation des droits économiques, sociaux et culturels ont été recensés et 38 488 atteintes aux droits civils et politiques, dont 14 984 violations flagrantes des droits de l’homme.

37.Au total, 13 586 demandes d’intervention urgente ont été traitées, avec l’aide des services du Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées, du Ministère des affaires sociales et du Ministère de la santé. Pendant toute la durée d’activité de l’Unité de prise en charge immédiate et d’intervention d’urgence, l’Instance a publié 537décisions d’indemnisation au profit des victimes, pour un montant total d’environ 3,3millions de dinars.

Réconciliation

38.En 2015, l’Instance a approuvé le Manuel de procédures de la Commission d’arbitrage et de conciliation, précisant les critères de la réconciliation. Conformément à la loi et sur la base des recommandations émises suite à la Consultation nationale au sujet du Programme global de réparation et de réadaptation des victimes d’atteintes aux droits de l’homme (mars-décembre 2017), l’Instance a publié la décision cadre no2018-11 du 29mai 2018 fixant les critères de réparation et de réhabilitation. Sur cette base, 10 listes de décisions individuelles d’indemnisation de victimes de violations ont été établies en février 2019.

39.En outre, cinq sentences arbitrales ont été revêtues de la formule exécutoire après leur signature par le premier Président de la cour d’appel de Tunis concernant le règlement de la situation des victimes d’atteintes aux droits de l’homme par le mécanisme d’arbitrage et de conciliation, selon un communiqué de l’Instance du 13juillet 2018.

Révélation de la vérité, réforme des institutions et préservation de la mémoire

40.L’Instance a organisé des sessions de sensibilisation à la nécessité de créer une institution spéciale chargée de conserver les archives de la justice transitionnelle et d’entreprendre la réforme des institutions de l’État, afin d’éviter que de telles atteintes ne se reproduisent.

Redevabilité et obligation de rendre des comptes

41.Selon l’article 7 de la loi relative à la justice transitionnelle, l’application du principe de redevabilité et de l’obligation de rendre des comptes relève de la compétence des instances et autorités administratives et judiciaires. Ainsi, 13 chambres spécialisées en matière de justice transitionnelle ont été créées auprès des tribunaux de Tunis, Bizerte, Nabeul, Sousse, Sfax, Sidi Bouzid, Gabès, Médenine, Gafsa, Kasserine, Le Kef, Kairouan et Monastir, auxquelles ont été confiées 25 affaires relatives à des atteintes graves aux droits de l’homme, telles que des homicides et des cas de torture et de disparitions forcées, qui sont en cours d’examen dans le cadre d’audiences préliminaires (annexe 3).

Commentaires de la décision de l’Assemblée des représentants du peuple (mars 2018)

42.Réunie en séance plénière, l’Assemblée a décidé en mars 2018 de ne pas prolonger le mandat de l’Instance, avec 68 votes contre et deux abstentions. L’Instance a cependant poursuivi ses travaux sur la base de l’article 18 de la loi organique no2013-53 en continuant à transmettre des dossiers aux chambres spécialisées, estimant qu’elle était seule habilitée à proroger son mandat, sur décision motivée de sa part ayant vocation à être transmise à l’Assemblée des représentants du peuple pour information et pour permettre à cette dernière de former une commission destinée à examiner ses recommandations et à prendre les précautions et mesures nécessaires à la clôture de son mandat.

43.Le Tribunal administratif a prononcé en référé un sursis à exécution de la décision du Conseil de l’Instance Vérité et dignité du 3juillet 2018 relative aux travaux de fin de mandat et de liquidation, applicable partiellement en ce qui concerne les procédures de transfert et de remise de ses biens à d’autres organismes jusqu’à l’examen, au fond, du recours intenté contre elle par le Ministre des domaines de l’État et des affaires foncières le 2janvier 2019.

44.Selon cette décision, le tribunal a autorisé l’Instance à poursuivre uniquement des activités de liquidation jusqu’au 31mai 2019, en lui interdisant de prendre des mesures entrant dans le cadre de la mission qui lui avait été assignée par la loi relative à la justice transitionnelle.

3.Lutte contre la corruption (art.14, 25 et 26)

45.Dans le cadre de la mise en œuvre de la Constitution, plusieurs lois conformes à la Convention des Nations Unies contre la corruption et tenant compte des indicateurs 16.5 et 16.6 des Objectifs de développement durable, en particulier dans les domaines de la bonne gouvernance, de la lutte contre la corruption et de l’instauration de la transparence à tous les niveaux, ont été promulguées, parmi lesquelles :

La loi organique no2016-22 relative au droit d’accès à l’information, qui est entrée en vigueur en avril 2017 et en vertu de laquelle a été créée l’Instance d’accès à l’information, laquelle a initié ses activités en 2017 suite à l’élection de ses membres par l’Assemblée des représentants du peuple, étant précisé qu’elle a été dotée des ressources nécessaires à l’exercice de ses fonctions et qu’elle a traité près de 500dossiers et rendu plus de 200 décisions depuis cette date ;

La loi organique no2016-77 relative au pôle judiciaire économique et financier de la Cour d’appel de Tunis, chargé de l’investigation, de la poursuite, de l’instruction et du jugement en première instance et en appel des infractions économiques et financières complexes et des infractions connexes ; étant précisé que 11 juges d’instruction y ont été affectés, ainsi que des représentants du ministère public, des juges des chambres d’accusation et des juges des chambres correctionnelles et criminelles de première instance et d’appel, sachant qu’ils ont tous été formés aux techniques de recherche en matière d’infractions économiques et dans le domaine de la coopération judiciaire et des enquêtes spéciales ; en outre, le volet relatif à la lutte contre la corruption a également été intégré au programme de formation de base des magistrats à l’Institut supérieur de la magistrature, afin d’assurer leur formation dans ce domaine.

46.Le pôle a traité de nombreuses affaires, dont des cas de blanchiment d’argent, des infractions douanières, de change ou de fisc, des détournements de deniers publics, des actes de corruption active ou passive, des abus de pouvoir ou de fonction d’agents publics et des actes de violation de la loi en vue d’obtenir des avantages indus pour soi-même ou pour une tierce partie ou ayant causé un préjudice à l’administration (annexe 4).

La loi organique no2017-10 relative au signalement des faits de corruption et à la protection des lanceurs d’alerte, étant précisé que la commission mixte chargée d’examiner les dossiers de demande de protection et de régulariser la situation des dénonciateurs de corruption créée par l’Instance et la présidence du Gouvernement sur la base de cette loi a examiné 9 demandes et rendu 8 décisions d’octroi de protection et que depuis l’entrée en vigueur de la loi en 2017, l’Instance a reçu 75demandes de protection et intenté cinq actions pénales contre les auteurs de représailles envers les lanceurs d’alerte ;

La loi organique no2017-59 relative à l’Instance de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, dont les 9 membres du conseil sont en voie d’être élus, sachant que conformément à la loi portant dispositions communes aux instances constitutionnelles, l’Instance est dotée de l’autonomie administrative et financière et d’un budget indépendant ;

47.L’Instance dispose également des ressources humaines et matérielles nécessaires à l’exercice de ses fonctions (annexe 5).

La loi no2018-46 relative à la déclaration des biens et des intérêts, à la lutte contre l’enrichissement illicite et au conflit d’intérêts dans le secteur public : l’Instance a créé une plateforme électronique pour la réception des déclarations de patrimoine à distance et a reçu au total 75 837 déclarations, dont 53 729 déclarations à distance et 10 756 déclarations en format papier ;

La loi organique relative à la Cour des comptes, adoptée le 16avril 2019 ;

48.Les décrets suivants ont également été édictés :

Le décret gouvernemental no2016-1158 portant création des cellules de gouvernance et fixant leurs attributions, qui ont été mises en place dans la plupart des ministères et chargées de veiller à la bonne application des principes de la gouvernance et à la prévention de la corruption, d’œuvrer et de participer à l’élaboration des programmes, des stratégies nationales et sectorielles et des plans d’action visant à consacrer la gouvernance et la prévention de la corruption et d’assurer leur bonne exécution et évaluation ; ainsi que de prendre en charge les cas de dénonciation et de suivre les dossiers de corruption, notamment en ce qui concerne les mesures prises, le sort de l’affaire et les statistiques y afférentes, qu’il s’agisse d’une situation d’audit ou d’un cas faisant l’objet d’une mission de contrôle ;

Le décret gouvernemental 2018-416 modifiant et complétant le décret no 2014-1039 portant réglementation des marchés publics.

49.Sur le plan opérationnel, l’Instance nationale de lutte contre la corruption a élaboré une stratégie nationale fondée sur les buts et objectifs suivants :

Encourager la participation effective de la société et des citoyens aux efforts de l’État visant à instaurer une bonne gouvernance et à lutter contre la corruption ;

Améliorer la transparence et l’accès à l’information concernant l’organisation des services publics et la gestion des ressources et des deniers publics ;

Renforcer les mécanismes de reddition des comptes et de responsabilité pour prévenir l’impunité et garantir l’égalité de tous devant la loi, sans discrimination.

50.Conformément à son rapport annuel de 2017, l’Instance a reçu :

9 189 requêtes, dont 5 223 relevant de sa compétence et 245 dossiers transmis à la justice ;

2 229 demandes de renseignements et d’informations sur la suite donnée aux dossiers déposés auprès d’elle.

51.Dans le cadre des mécanismes de coopération et de coordination entre le pouvoir judiciaire, le Ministère de la justice et l’Instance nationale de lutte contre la corruption, la Direction générale des affaires criminelles a créé, auprès de tous les tribunaux de la République, un bureau chargé d’assurer le suivi des affaires de corruption financière transmis à la justice par l’Instance.

52.Au niveau du pôle judiciaire, un registre spécial a été créé pour y inscrire les dossiers transmis par l’Instance et en assurer le suivi, sachant que ce registre est à la disposition de l’Instance qui peut le consulter à tout moment.

53.La plupart des ministères et de nombreuses institutions publiques ont conclu des accords de partenariat avec l’Instance et plusieurs d’entre eux ont édicté des notes internes pour renforcer le travail des cellules de gouvernance, à l’instar du Ministère de la défense nationale, qui a chargé l’Inspection générale des forces armées de recevoir les communications de soupçons de corruption émanant de l’Instance.

54.Le Ministère de l’intérieur a également participé à un projet visant à renforcer la bonne gouvernance et les responsabilités publiques, en collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et l’Agence coréenne de coopération internationale. Le Ministère élabore actuellement un Code déontologique à l’intention des forces de sécurité intérieure, qui a vocation à être appliqué dans des commissariats pilotes, dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle approche de police de proximité, conformément aux principes de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.

55.S’agissant de la loi no 2017-62 relative à la réconciliation dans le domaine administratif, il convient de noter qu’elle est conforme au processus de justice transitionnelle, dans la mesure où elle ne s’applique qu’aux fonctionnaires ayant exécuté les instructions de leurs supérieurs sans tirer aucun avantage matériel des actes commis.

4.Non-discrimination et égalité entre hommes et femmes (art. 2, 3, 20 et 26)

56.La Constitution comporte plusieurs dispositions interdisant la discrimination sous toutes ses formes et consacre le principe de l’égalité, comme énoncé dans son préambule selon lequel l’État garantit l’égalité en droits et devoirs entre tous les citoyens et toutes les citoyennes, et entre toutes les catégories sociales et les régions. La Constitution prévoit également que l’organisation et le fonctionnement de l’administration sont soumis aux principes de neutralité et d’égalité (art. 15), que les citoyens et les citoyennes sont égaux en droits et en devoirs et devant la loi sans discrimination (art. 21) et que l’État garantit l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour assumer les différentes responsabilités et dans tous les domaines, de même qu’il œuvre à réaliser la parité entre la femme et l’homme dans les conseils élus (art. 46). L’État est également tenu de garantir toute forme de protection à tous les enfants sans discrimination (art. 47), de protéger les personnes handicapées contre toute discrimination (art. 48) et de garantir le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ainsi que l’égalité devant la justice (art. 108).

57.L’article 12 a également consacré le principe de la discrimination positive en disposant ce qui suit : « L’État agit en vue d’assurer la justice sociale, le développement durable et l’équilibre entre les régions, en tenant compte des indicateurs de développement et du principe de l’inégalité compensatrice ». L’article 139 énonce que les collectivités locales adoptent les instruments de la démocratie participative, lesquels incluent l’égalité en droits et devoirs.

58.En application de ces dispositions, la législation nationale est en cours de révision par le Comité de pilotage créé à cet effet, afin d’en assurer la mise en conformité avec la Constitution et les instruments internationaux ratifiés par la Tunisie (voir par. 14). L’article 41 de la loi relative à l’Instance des droits de l’homme a créé une Commission chargée de lutter contre toutes les formes de discrimination.

59.Les principaux textes consacrant la non-discrimination et l’égalité sont :

Le Code des collectivités locales qui prévoit l’égalité des sexes et l’égalité des chances ;

La loi organique no 2019-15 portant loi organique du budget, dont le paragraphe 4 de l’article 18 dispose que le budget doit être élaboré conformément aux objectifs et indicateurs permettant de garantir l’équité et l’égalité des chances entre les femmes et les hommes et, d’une manière générale, entre les différentes catégories sociales sans discrimination ;

La loi no 2015-46 modifiant la loi no 1975-40, qui offre désormais à chaque parent la possibilité d’obtenir des documents de voyage et d’autoriser leurs enfants mineurs à voyager, alors qu’il s’agissait jusqu’à cette date d’une prérogative exclusive du père.

60.Il convient de rappeler que la loi organique portant statut général de la fonction publique et le Code du travail prévoient la non-discrimination entre les sexes dans les secteurs public et privé conformément aux dispositions de l’article 40 de la Constitution (sur la base de la compétence et de l’équité).

61.Au niveau institutionnel, le Conseil des pairs pour l’équité et l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a été créé pour intégrer l’approche genre dans la planification, la programmation et les budgets afin d’éliminer toute forme de discrimination entre hommes et femmes et concrétiser entre eux l’égalité en droits et en devoirs.

62.En juin 2018, la Tunisie a adopté le Plan national pour l’institutionnalisation du genre (2016-2020) afin d’intégrer cette approche dans la planification, la programmation et les budgets ayant trait à divers domaines de développement, conformément aux dispositions du Plan de développement (2016-2020) et au cinquième objectif de développement durable, notamment l’indicateur 5.1.

63.Il convient de noter que la Commission des libertés individuelles et de l’égalité a été créée par le décret présidentiel no 2017-111 du 13 août 2017 afin de présenter des propositions en matière de réformes dans le domaine des libertés individuelles et de l’égalité, par référence aux dispositions de la Constitution et aux normes internationales. La Commission a soumis son rapport en août 2018, sachant qu’il comporte de nombreuses recommandations qui font actuellement l’objet d’un débat national.

64.En pratique, le Code de conduite et de déontologie de l’agent public (2014) consacre l’égalité et la non-discrimination fondée sur la race, le sexe, la nationalité, la religion, les convictions, l’opinion politique, l’appartenance régionale, la fortune, le statut professionnel ou tout autre motif comme principes régissant les activités des organes publics.

4.1Lutte contre la discrimination raciale

65.La Tunisie a promulgué une loi visant à éliminer toutes les formes de discrimination raciale dans le cadre de la mise en œuvre des recommandations du Comité des disparitions forcées des Nations Unies et en se fondant sur l’évolution de sa jurisprudence, ainsi que sur la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, notamment en ce qui concerne la définition de la discrimination raciale. Selon l’article 2 de ce texte : « constitue une discrimination raciale toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique ou toute autre forme de discrimination raciale au sens des conventions internationales ratifiées, qui a pour but de compromettre, d’entraver ou d’empêcher la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits et libertés, ou de conférer des devoirs et des charges supplémentaires. Ne constitue pas une discrimination raciale toute distinction, exclusion, restriction ou préférence établie entre les tunisiens et les étrangers, à condition de ne cibler aucune nationalité au détriment des autres, tout en prenant en compte les engagements internationaux de la République tunisienne ».

66.Cette loi a pour objectif d’éliminer « toutes les formes et manifestations de discrimination raciale pour protéger la dignité de l’être humain et consacrer l’égalité entre les individus en ce qui concerne la jouissance de ses droits et l’accomplissement de ses devoirs, et ce, conformément aux dispositions de la Constitution et des conventions internationales ratifiées par la République tunisienne ». À cet effet, elle : « fixe les procédures, les mécanismes et les mesures à même de prévenir toutes formes et manifestations de discrimination raciale, de protéger ses victimes et de réprimer ses auteurs ».

67.Cette loi a également accordé aux victimes de discrimination raciale le droit à une assistance psychologique et sociale, à une protection juridique et à une réparation juste et adéquate. En outre, la loi a érigé la discrimination raciale en infraction autonome et a prévu des circonstances aggravantes dans certains cas.

68.De même, la loi a créé une Commission nationale pour l’élimination de la discrimination raciale et un projet de décret gouvernemental est en cours d’élaboration afin de fixer sa mission, son organisation et les modalités de son fonctionnement. Cette commission a essentiellement vocation à être chargée de la collecte et du suivi de diverses données pertinentes, ainsi que de la conception et de la proposition de stratégies et de politiques publiques visant à éliminer toutes les formes de discrimination.

69.S’agissant des mesures prises pour lutter contre la discrimination raciale sur le plan judiciaire, il convient de noter qu’il n’existe aucune discrimination en matière d’accès à la justice. En outre, aucune demande de citoyenneté tunisienne n’est rejetée pour des raisons raciales. Ainsi, il est pertinent de signaler qu’en vertu de l’application immédiate de la loi no 2018-50 de 2018, le tribunal de première instance de Sfax a rendu un jugement condamnant la mère d’un élève à une peine de prison pour discrimination raciale fondée sur la couleur envers un enseignant.

70.Concernant la question de savoir si, conformément à l’article 48 de la Constitution, une interdiction expresse de la discrimination fondée sur le handicap est prévue par la loi sur la lutte contre la discrimination, il convient de préciser que cet article ne renvoie pas expressément à l’adoption d’un texte antidiscrimination spécifique, mais une loi d’orientation no 2005-83 de 2005 relative à la promotion et à la protection des personnes handicapées a bien été promulguée avant même la ratification par la Tunisie de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. Cette loi « vise à garantir l’égalité des chances entre les personnes handicapées et les autres personnes, ainsi que leur promotion et leur protection contre toute forme de discrimination ». En outre, ce texte est actuellement en cours de révision pour harmonisation avec la Convention des Nations Unies précitée et afin de donner suite aux recommandations du Comité des droits des personnes handicapées, lequel préconise d’y inclure une interdiction explicite de la discrimination fondée sur le handicap.

71.Dans la législation actuelle, le handicap est en tout état de cause considéré comme une situation de vulnérabilité des victimes, justifiant l’application de circonstances aggravantes en cas d’infractions liées à la discrimination raciale, à la violence à l’égard des femmes ou à la traite des personnes.

4.2Lutte contre la haine raciale et la discrimination liée à d’autres motifs

72.L’article 52 du décret-loi no 2011-115 relatif à la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition dispose ce qui suit : « Est puni d’un an à trois ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 à 2 000 dinars quiconque appelle directement, en utilisant l’un des moyens indiqués à l’article 50 du présent décret-loi, à la haine entre les races, les religions, ou les populations, et ce, par l’incitation à la discrimination et l’utilisation de moyens hostiles, de la violence, ou de la diffusion d’idées fondées sur la discrimination raciale ». Pour sa part, l’article 9 de la loi relative à la lutte contre la discrimination raciale énonce ce qui suit : « Est puni de trois ans d’emprisonnement et/ou d’une amende de 1 000 à 3 000 dinars, quiconque aura commis l’un des actes suivants :

L’incitation à la haine, à la violence et à la ségrégation, à la séparation, à l’exclusion ou à la menace de le faire à l’encontre de toute personne ou groupe de personnes, fondée sur la discrimination raciale ;

La diffusion des idées fondées sur la discrimination raciale, la supériorité raciale ou la haine raciale, par quelque moyen que ce soit ;

L’éloge des pratiques de discrimination raciale par quelque moyen que ce soit ;

La formation, l’adhésion ou la participation à un groupe ou une organisation qui supporte, de façon claire et répétée, la discrimination raciale ;

L’appui des activités, associations ou organisations à caractère raciste... ».

73.La discrimination raciale ne constitue pas une circonstance aggravante selon le Code pénal tunisien, qui est en cours de révision pour une mise en conformité avec les normes internationales.

74.Le Ministère de la justice ne tient pas de données statistiques sur les infractions énoncées à l’article 52 du décret-loi no 2011-115, ni sur celles relatives à l’incitation à la haine et à l’animosité entre les races prévues à l’article 14 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent. Une base de données prenant en compte ces indicateurs est cependant en cours d’élaboration.

75.Afin de clarifier davantage la notion d’infraction terroriste prévue par son article 14, la loi relative à la lutte contre le terrorisme a été révisée en 2019 et son article 13 (nouveau) se lit désormais comme suit : « Est réputé être l’auteur d’une infraction terroriste quiconque commet, par quelque moyen que ce soit, pour l’exécution d’un projet individuel ou collectif, l’un des actes visés à l’article 14 et aux articles 28 à 36 de la présente loi et que cet acte soit destiné, par sa nature ou son contexte, à répandre la terreur parmi la population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir tout acte et dont l’auteur n’a pas participé aux hostilités dans une situation de conflit armé ». Cela a permis de définir de manière plus précise la notion d’infraction terroriste, dont le caractère intentionnel doit être établi concernant tous les actes énumérés à l’article 14, y compris l’incitation à la haine et à l’animosité entre les races, qui consiste à « terroriser la population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

4.3Lutte contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle

76.Toutes les formes de discrimination, de haine et d’incitation fondées sur l’orientation sexuelle sont contraires à la Constitution, qui garantit à toutes les personnes, quelle que soit leur orientation sexuelle, la jouissance de tous leurs droits. À cet égard, on peut citer à titre d’exemple le jugement rendu en première instance en 2018 (voir par. 15). Toute violation ou atteinte à ces droits constitue une infraction.

77.L’article 230 du Code pénal est en cours de révision par un comité créé à cet effet, qui n’a pas encore soumis son rapport final. Les examens médicaux ne sont effectués conformément aux dispositions de cet article qu’avec le consentement de la personne concernée et ne sont pas considérés comme un élément constitutif de l’infraction. En outre, la personne concernée peut refuser de se soumettre à cet examen. Le médecin légiste est également tenu de respecter la volonté de la personne conformément au Code de déontologie médicale, sous peine d’encourir des sanctions disciplinaires ou pénales.

78.Il convient de noter que la Commission des libertés individuelles et de l’égalité a proposé la suppression de l’infraction visée à l’article 230 ou la commutation de la peine d’emprisonnement en amende. Cette question fait l’objet d’un débat national. Plusieurs députés ont également présenté un projet de Code des droits et des libertés individuelles prévoyant l’interdiction de toutes les formes de discrimination, y compris celles fondées sur l’orientation sexuelle.

79.Il n’existe actuellement aucune statistique relatives aux infractions d’atteinte à la morale en rapport avec l’application de l’article 226 ter (voir par. 61), mais il existe des données statistiques sur l’infraction visée à l’article 230 (annexe 6). Le Ministère de la justice ne tient pas non plus de statistiques sur le nombre d’allégations de harcèlement, de violence et de mauvais traitements infligés à des personnes en raison de leur orientation sexuelle, dans la mesure où elles sont assimilées à des infractions de droit commun.

80.À cet égard, on peut citer le cas de l’un des membres de l’Association Shams, connue pour son action en faveur des droits des homosexuels, qui a été victime de violences graves de la part de deux personnes. Une enquête a été ouverte sur la base d’informations relatives à l’incident diffusées sur un média le 7 décembre 2018. Les deux agresseurs ont été arrêtés, jugés et condamné à des peines de prison ferme, bien que la victime ait renoncé à son droit de poursuite.

4.4Élimination de la discrimination fondée sur le sexe

81.Selon le paragraphe 4 de l’article 23 du Code du statut personnel : « Le mari, en tant que chef de famille, doit subvenir aux besoins de l’épouse et des enfants dans la mesure de ses moyens, et selon leur état, dans le cadre des composantes de la pension alimentaire. La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens ». Par conséquent, le statut de chef de famille n’a d’incidence en droit tunisien que sur le plan de la prise en charge des dépenses familiales. Des efforts sont actuellement déployés pour aligner le Code du statut personnel sur la Constitution et les normes internationales.

82.Concernant le système successoral en Tunisie, il convient de rappeler que la Constitution garantit l’égalité de tous les citoyens en droits et devoirs. Sur cette base et en se fondant sur les propositions de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité, le Président de la République a soumis à l’Assemblée des représentants du peuple un projet de loi, actuellement en cours d’examen, visant à modifier certaines dispositions relatives à l’héritage, notamment pour accorder aux filles la même part successorale que les garçons.

83.En ce qui concerne la garde des enfants, l’article 58 du Code du statut personnel prévoit un certain nombre de conditions générales et particulières, applicables tant aux hommes qu’aux femmes. En effet, cet article ne se contente pas d’imposer des conditions à la mère, mais pose également des exigences en ce qui concerne le père, en tenant compte de l’état et de la situation de chacun d’entre eux au moment de l’attribution de la garde des enfants, sachant que la mère peut également demander le retrait de la garde accordée au père si ce dernier ne remplit pas les conditions visées par cette disposition. De plus, le même article établit des conditions qui tiennent compte de l’intérêt de l’enfant soumis à la garde, conformément aux dispositions de l’article 47 de la Constitution et à celles de l’article 4 du Code de la protection de l’enfant relatives à l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent, le juge n’est pas obligé de retirer à la mère le droit de garde sur ses enfants en cas de remariage, mais doit s’employer à privilégier l’intérêt supérieur de l’enfant. Il est donc rare que des juges refusent à la mère d’avoir la garde de ses enfants uniquement parce qu’elle s’est remariée.

4.5Mariage de mineurs

84.Les mariages d’enfants ne sont pas un phénomène social en Tunisie et se limitent à quelques cas isolés. Les demandes d’autorisation concernant le mariage de filles mineures étaient auparavant régies à la fois par l’article 227 bis du Code pénal qui permettait le mariage des filles âgées de 13 à 18 ans suite à un acte sexuel librement consenti, en mettant fin aux poursuites engagées contre l’auteur de l’acte, au jugement et à l’exécution de la peine ; et par celles de l’article 5 du Code du statut personnel, conférant au juge le droit d’accorder une autorisation de mariage, sur demande du tuteur d’une mineure. Bien que la première possibilité ait été abrogée par la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes et conformément à l’indicateur 5.3 du cinquième objectif de développement durable, la seconde option demeure possible, mais rarement appliquée (annexes 7 et 8).

85.Commentant la décision du tribunal de première instance du Kef, les faits d’espèce indiquent que la fille victime, accompagnée par sa mère, s’était rendue dans un hôpital de la capitale pour demander à subir un avortement. Toutefois, compte tenu de son jeune âge (à peine 14 ans), l’hôpital a pris contact avec les services de la police judiciaire de Tunis, qui a ouvert une enquête sur la base de l’article 227 bis. Dans ses déclarations, la fille a confirmé qu’elle entretenait une relation amoureuse avec l’un des beaux-frères de sa sœur, avec lequel elle avait eu des rapports sexuels consentis. Les deux jeunes avaient convenu de se marier et la fille a souhaité se faire avorter pour éviter de futurs problèmes. De même, l’intéressé (âgé de 20 ans) a confirmé pendant l’interrogatoire son attachement à la fille et son empressement à l’épouser. Les familles ont également donné leur accord à la conclusion du mariage, en raison de leurs conditions sociales et de la crainte de stigmatisation.

86.Dans la mesure où l’article 227 bis autorisant le mariage avec la victime et arrêtant les poursuites était encore en vigueur à l’époque des faits, au même titre que l’article 5 du Code du statut personnel, permettant le mariage, dans l’intérêt de l’enfant, en cas de consentement du tuteur et de la mère, le juge de la famille a appliqué ces dispositions en raison de l’insistance des deux familles et du consentement de la fille au mariage, ainsi que de son refus de tout placement ou prise en charge psychologique ou sanitaire tant qu’elle ne se serait pas mariée avec l’intéressé.

87.Au cours de l’examen du projet de loi organique sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes par le Parlement, le Ministère de la justice a présenté une nouvelle initiative gouvernementale visant à modifier rapidement l’article 227 bis par l’abrogation du paragraphe autorisant l’arrêt des poursuites ou des effets de la condamnation en cas de mariage de l’auteur des faits avec la victime, afin d’éviter aux juges d’être confrontés à des situations les amenant à appliquer la loi selon les circonstances de chaque affaire.

4.6Incidence actuelle de la pratique interdite du mariage coutumier dit « Orfi »»

88.Il convient de noter que conformément à l’article 36 de la loi no 1957-3, le droit tunisien interdit le mariage coutumier ou contraire aux dispositions légales et considère une telle union comme étant nulle et constitutive d’infraction pénale (annexe 9), donnant uniquement lieu aux effets prévus à l’article 36 bis, à savoir :

« L’établissement des liens de filiation ;

L’obligation pour la femme d’observer le délai de viduité qui court à partir du prononcé du jugement ;

Les empêchements au mariage résultant de l’alliance ».

4.7Avortement

89.Selon l’article 214 du Code pénal, le principe est l’interdiction de l’avortement ou de toute forme d’assistance à celui-ci. Toutefois, l’interruption de grossesse est exceptionnellement autorisée lorsqu’elle intervient dans les trois premiers mois de la grossesse ou « lorsque la santé de la mère ou son équilibre psychique risquent d’être compromis par la continuation de la grossesse, ou encore lorsque l’enfant à naître risquerait de souffrir d’une maladie ou d’une infirmité grave ».

90.Pour renforcer l’éducation en matière de santé sexuelle et procréative, notamment en ce qui concerne les jeunes et les adolescents, l’Office national de la famille et de la population a intensifié ses efforts en matière de prévention des rapports sexuels non protégés et des avortements récurrents. Il a également facilité l’accès aux services de santé, afin d’assurer le droit de tous à la santé sexuelle et procréative, étant précisé que plus de 60 000 services sont fournis chaque année.

91.La couverture sanitaire des femmes rurales s’est également améliorée, notamment grâce au rapprochement des services et à l’extension du réseau des centres de santé de base. Les centres de santé reproductive et de planification familiale veillent à répondre à leurs besoins gratuitement et sans distinction.

92.Afin de faciliter l’accès de certaines femmes célibataires et mariées vivant dans les zones rurales aux services d’avortement, le Ministère de la santé a élaboré un plan d’action visant à promouvoir les services de planification familiale et de santé génésique et à faire face aux différents risques et obstacles objectifs et subjectifs susceptibles de menacer leur droit de recourir à de tels services. En outre, des services éducatifs et médicaux, ainsi que des contraceptifs, sont fournis gratuitement dans 36 centres de soins fixes répartis à travers le pays, dont l’implantation a été entreprise de telle manière à les rapprocher des femmes vivant notamment dans des régions isolées, sachant que ces centres disposent de 32 équipes mobiles et de deux dispensaires itinérants.

5.Violence à l’égard des femmes (art. 2, 3, 6, 7 et 26)

93.Le dernier paragraphe de l’article 46 de la Constitution dispose que l’État prend les mesures nécessaires afin d’éradiquer la violence contre les femmes. En conséquence, conformément aux accords internationaux ratifiés, notamment la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, ainsi qu’à l’indicateur 5.2 de l’objectif de développement durable, la Tunisie a promulgué une loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, fondée sur une approche globale basée sur quatre axes, à savoir la prévention, la protection, la répression et la prise en charge, quels que soient les auteurs ou le domaine (vie privée, y compris vie familiale et vie publique). Ce texte est entré en vigueur le 15 février 2018.

94.Cette loi prévoit des dispositions concernant les enfants des deux sexes et a apporté les modifications suivantes au Code pénal :

L’aggravation des peines applicables aux auteurs de violences sexuelles infligées à un enfant, notamment le harcèlement sexuel ;

L’incrimination de nouvelles infractions sexuelles commises contre des enfants, notamment le viol incestueux ;

L’ajout d’une nouvelle définition du viol commis sur une personne de sexe féminin ou masculin, quelle que soit sa nature et le moyen utilisé, en considérant le consentement comme étant inexistant lorsque l’âge de la victime est inférieur à 16 ans ;

Le réexamen des dispositions relatives à l’acte sexuel consenti avec un enfant, afin qu’elles s’appliquent aussi bien aux filles qu’aux garçons âgés de 16 à 18 ans, avec application de l’article 59 du Code de la protection de l’enfant lorsque l’infraction est commise par un mineur ;

L’abrogation de la disposition prévoyant la possibilité, pour l’auteur de l’infraction, d’échapper à la sanction en cas de mariage avec la victime ou la fille enlevée.

95.La loi a également inclus la violence politique contre les femmes parmi les formes de violence réprimées, allant ainsi au-delà des instruments internationaux qui engagent simplement les États à promouvoir l’égalité dans la sphère politique. À cet égard, les acteurs de la société civile actifs sur le terrain plaident en faveur de l’inclusion de la violence, notamment politique, dans les instruments internationaux, complétée par la conception d’un cadre juridique international permettant aux législations comparées d’intégrer un tel concept.

96.En outre, dans le cadre de la lutte contre la violence à l’égard des femmes la loi a créé un Observatoire national chargé des missions suivantes :

La détection des cas de violence à l’égard des femmes et effectuer les recherches nécessaires concernant ce phénomène.

Le suivi de l’exécution des législations et des politiques et évaluer leur efficacité et leur efficience.

La participation à l’élaboration des stratégies nationales, des mesures pratiques communes et sectorielles et la définition des principes directeurs de l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

La collaboration et la coordination avec les instances concernées par le suivi et le contrôle du respect des droits de l’homme, en vue de développer et consolider le dispositif des droits et des libertés.

L’émission d’avis au sujet des programmes de formation et d’apprentissage, l’habilitation de tous les intervenants et la proposition de mécanismes adéquats pour les développer et assurer leur suivi.

Un projet de décret gouvernemental a été élaboré pour réglementer l’organisation administrative et financière et le fonctionnement de cet organe.

97.En ce qui concerne l’incrimination du viol conjugal et de la violence domestique, la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ne comporte pas les expressions « viol conjugal » et « violence domestique ou familiale », mais utilise une terminologie différente qui englobe ces expressions sans les citer explicitement. En effet, son article 2 qui dispose ce qui suit : « La présente loi concerne toutes les formes de discrimination et de violence subies par les femmes, fondées sur la discrimination entre les sexes, quels qu’en soient les auteurs (le mari, le père, le fils ...) ou le domaine (la famille, le lieu de travail ou la rue...) ». Ces dispositions englobent bien évidemment le viol conjugal et la violence domestique ou familiale.

98.En outre, en ce qui concerne le viol conjugal, l’article 3 de la loi définit la violence sexuelle comme suit : « tout acte ou parole dont l’auteur vise à soumettre la femme à ses propres désirs sexuels ou aux désirs sexuels d’autrui, au moyen de la contrainte, du dol, de la pression ou autres moyens, de nature à affaiblir ou porter atteinte à la volonté, et ce, indépendamment de la relation de l’auteur avec la victime ». Par conséquent, étant donné que les violences sexuelles peuvent se produire au sein du couple et que le viol est considéré comme une violence sexuelle, il est loisible d’ériger en infraction pénale le viol conjugal et de sanctionner ses auteurs, sachant que l’article 227 (nouveau) du Code pénal n’a pas exclu la possibilité de punir l’époux s’il est l’auteur de telles infractions.

99.La violence domestique est considérée par la loi comme une circonstance aggravante d’une infraction ou comme une infraction distincte dans les cas suivants :

Elle est considérée comme une circonstance aggravante de la peine si l’auteur de la violence est un ascendant ou un descendant de la victime, quel qu’en soit le degré, ou l’un des conjoints, au sens des articles 208 (nouveau), 218 (nouveau), 219 (nouveau), 222 (nouveau), 226 ter (nouveau) et 227 (nouveau), 228 (nouveau) et 223 (nouveau) du Code pénal ;

Elle est considérée comme une infraction distincte en cas de maltraitance répétée d’un conjoint (par. 2 de l’article 224).

100.La Stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes aux différents stades de leur vie a été élaborée depuis 2007 avec le soutien du Fonds des Nations Unis pour la population (FNUAP) et a adopté une approche participative. Elle vise à lutter contre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, à sensibiliser le public à la gravité du phénomène et à protéger la société contre ses répercussions négatives. La Stratégie a été relancée en 2012 et son application se poursuit à ce jour.

101.La Stratégie se décline en 4 axes :

La collecte et l’utilisation des données ;

La fourniture de services appropriés et diversifiés ;

La mobilisation sociale et la sensibilisation communautaire aux changements de comportements et à la réforme des institutions ;

Un plaidoyer pour l’application des lois.

102.Ces axes étant conformes à la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, leur application permet de la mettre en œuvre.

103.Premier Axe : les résultats d’une étude sur les indicateurs de la violence à l’égard des femmes, menée par l’Office national de la famille et de la population (ONFP), révèlent que 47,6 ℅ des femmes interrogées, âgées de 18 à 64 ans, ont subi une ou plusieurs formes de violence au cours de leur vie. Cette étude a été suivie par une autre, réalisée par le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF) sur la « violence sexiste dans l’espace public », en collaboration avec l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes) en 2015, qui a confirmé que 5,53 % des femmes interrogées avaient subi une forme de violence dans l’espace public. Ces résultats ont plaidé en faveur de l’extension du champ d’application de la loi, qui couvre désormais non seulement l’espace privé, mais également les lieux publics.

104.En outre, de nombreuses autres études ont également été réalisées, parmi lesquelles une étude d’évaluation des services de prise en charge des femmes victimes de violence en Tunisie (2017), une étude psychosociale relative aux représentations sociales des violences faite aux femmes parmi les hommes, jeunes et adultes (2018), ainsi qu’un audit sur la sécurité des femmes dans différents gouvernorats de la République (2019).

105.En 2018, un Plan national pour la production d’indicateurs des violences faites aux femmes a été élaboré selon une approche participative. Il est actuellement mis en œuvre au niveau sectoriel, au sein des différents ministères concernés (justice, intérieur, santé, affaires sociales et affaires de la femme).

106.Dans le cadre du 2e Axe de la Stratégie, un projet pilote visant à créer des mécanismes conjoints de prise en charge des femmes victimes de violences dans le Grand Tunis a été exécuté en collaboration avec le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées, l’Office national de la famille et de la population et ONU-Femmes. Fin 2016, des protocoles sectoriels ont été signés par les ministères concernés afin de définir les principes et procédures de base régissant la prise en charge des femmes victimes de violence dans chaque secteur. En outre, des mini-guides ont été élaborés pour vulgariser ces dispositions.

107.En janvier 2018, les ministères concernés ont signé un accord commun visant à prendre en charge les femmes victimes de violence, en vue de renforcer leur coordination.

108.L’Inspection générale du Ministère de la justice a diffusé le Protocole de prise en charge des femmes victimes de violence dans le secteur de la justice, ainsi que la Convention collective, auprès de tous les tribunaux, en invitant tous les acteurs à leur application. Le Ministère de l’intérieur et le Ministère de la défense ont également appelé leur personnel à mettre en œuvre les dispositions de la loi no 2017-58.

109.Il convient de noter que le Ministère de la justice a devancé la promulgation de la loi en procédant au renforcement de la coordination entre l’Inspection générale du Ministère, la Direction des affaires judiciaires de la Garde nationale et le Département de la police judiciaire du Ministère de l’intérieur, au moyen de la diffusion du contenu de la loi et des dispositions régissant les missions de la police judiciaire, du ministère public et des juges de la famille, ainsi qu’à travers l’examen des modèles de formulaires de comptes-rendus d’enquête et de réquisition technique ou médicale ayant vocation à être utilisés par les personnels des services compétents pour l’établissement des procès-verbaux relatifs à la violence à l’égard des femmes ou des enfants, afin de s’assurer de leur compatibilité par rapport à la loi et au Code de procédure pénale.

110.Sur le plan des services et des institutions, ainsi qu’en matière de mise en œuvre de la loi et de la stratégie, il convient de signaler l’adoption des mesures suivantes :

La mise en place d’unités d’investigation spécialisées auprès des districts de la sûreté nationale et de la garde nationale et de chaque gouvernorat, chargées d’enquêter sur les infractions de violence à l’égard des femmes et des enfants et d’établir un rapport semestriel retraçant les procès-verbaux des faits constatés ; leur nombre total ayant atteint 127 unités (72 unités auprès de la sûreté nationale et 57 unités rattachées à la garde nationale) ;

La nomination d’un substitut du procureur spécialisé dans les affaires de violence à l’égard des femmes auprès de chaque tribunal de première instance, y compris militaire, chargé d’enquêter sur les infractions de violence faite aux femmes ;

La mise en place après des tribunaux de première instance de lieux réservés aux magistrats spécialisés (juges de la famille, juges d’instruction et procureurs) dans la prise en charge des femmes victimes de violence ; ces espaces étant actuellement en cours d’aménagement pour en assurer la mise en conformité par rapport aux normes internationales et le respect des droits des femmes victimes de violence.

111.En ce qui concerne les statistiques actuelles, l’unité centrale d’enquête sur les infractions de violence à l’égard des femmes, à savoir le Département de la protection des mineurs relevant de la Sous-Direction de la protection sociale de la Direction de la police judiciaire et les unités spéciales de la Direction générale de la sûreté publique (70 unités) ont traité 35 988 affaires de violence à l’égard des femmes (68 %) et des filles (9,32 %), quelle qu’en soit la forme (physique, psychologique, sexuelle, économique et politique), et ce, du 16 février 2018 au 30 novembre 2018 ; les données statistiques faisant également état de 8 198 affaires judiciaires enregistrées et de 515 personnes placées en garde à vue (annexe 10).

112.L’Inspection générale du Ministère de la justice tient également des statistiques sur le nombre d’affaires de violence physique portées devant les tribunaux cantonaux (annexe 11) et les chambres criminelles des tribunaux de première instance (annexe 12), de violences ayant causé des mutilations faciales (annexe 13) et de violences sexuelles par types d’infractions (annexe 14).

113.Les affaires de voies de fait contre un conjoint, qu’elles relèvent des tribunaux civils ou militaires, représentent 0,051 % de toutes les affaires traitées devant les tribunaux militaires au cours des cinq dernières années (2013-2017).

114.Dans le cadre du renforcement continu des différents services destinés aux femmes victimes de violence, le numéro vert (80 101 030/1890) a été activé depuis 2017 pour écouter et orienter les femmes victimes de violence. Le Ministère de la défense nationale a également mis en place un numéro vert pour signaler les cas de harcèlement sexuel dans l’armée et a chargé l’Inspection générale des forces armées et l’Agence des renseignements et de la sécurité pour la défense de mener les enquêtes et recherches nécessaires à cet égard.

115.Une « Cartographie des services destinés aux femmes victimes de violence et en situation de vulnérabilité » a été réalisée avec le soutien du Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et du FNUAP. Elle est en cours d’actualisation en vue d’une diffusion sur le Web.

116.Le Ministère des affaires sociales déploie également plusieurs mesures de protection et de prévention ciblant les femmes et les enfants victimes de violence en tant que groupes vulnérables, en assurant leur prise en charge sociale et psychologique et leur hébergement dans des centres spécialisés (centres de protection sociale pour enfants, centres d’encadrement et d’orientation sociale) en vue de leur réadaptation et de leur réinsertion sociales.

117.Pour assurer une prise en charge complète, le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées a mis en place un centre gouvernemental modèle pour la protection des femmes victimes de violence, leur fournissant des services d’écoute, de conseil, d’hébergement, de prise en charge psychologique, sociale et juridique et de formation en vue de leur réintégration sociale et économique. Ces services ont été renforcés par la création de trois centres d’écoute et d’orientation et de quatre centres d’hébergement pour femmes victimes de violence dans le pays, en partenariat avec diverses associations dans le cadre du Programme pour la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes, exécuté en collaboration avec l’Union européenne (UE) et le FNUAP.

118.Le Centre d’assistance psychologique pour femmes et enfants victimes de violence, créé en 2012 dans le gouvernorat de Ben Arous, est un lieu ouvert dispensant des services d’éducation et de santé aux femmes et aux enfants exposés à la violence ou ayant vécu des situations de violence au sein de leur famille.

119.Dans le cadre de la mise en œuvre du 3e Axe de la Stratégie, des campagnes de sensibilisation ont été menées depuis 2016, c’est-à-dire avant la promulgation de la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes, dans plusieurs gouvernorats (Sfax, Kairouan, Jendouba, Gafsa et Zarzis) où elles ont touché plus de 189 personnes.

120.Les campagnes se sont poursuivies après la promulgation de la loi, en collaboration avec le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées et l’Association américaine des juges et avocats dans 10 régions de la République (Tunis, Mahdia, Nabeul, Kairouan, Bizerte, le Kef, Jendouba, Béja, Sfax Tozeur et Kébili) et ont permis de sensibiliser plus de 300 personnes.

121.La formation des juges, des responsables de l’application des lois et des professionnels revêt une importance primordiale et il convient de citer les réalisations suivantes dans ce domaine :

L’organisation, à l’intention des juges ayant moins de six ans d’ancienneté dans leur poste, de sessions de formation continue à la lutte contre la violence à l’égard des femmes et de plusieurs autres sessions de formation spécialisées (voir annexe 2) au niveau national et régional par l’Institut supérieur de la magistrature, en collaboration avec le HCDH, l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et l’Organisation internationale de droit du développement (OIDD) ; outre l’élaboration d’un manuel de formation à l’intention des magistrats et de programmes de formation destinés aux magistrats formateurs (en cours) ;

L’inclusion de sessions de vulgarisation de la loi dans le cadre de la formation de base du personnel et des agents de sûreté recrutés à partir de l’année en cours, ainsi que l’intégration de modules de formation destinés à la formation continue du personnel impliqué dans la prise en charge des femmes et des enfants victimes de violence ;

L’organisation de 11 sessions de formation à l’École nationale de formation des cadres de la sûreté et de la police nationale et de l’École de formation de la garde nationale, ainsi que dans les gouvernorats du Sud et du Sahel en avril, mai et décembre 2018, auxquelles ont participé 380 cadres et agents des unités spéciales (police et garde nationale), ainsi que des formateurs des écoles de la sûreté et de la garde nationale, avec le soutien du bureau de l’UNICEF à Tunis ;

L’organisation d’une session de formation à l’intention de 27 formateurs régionaux du Ministère des affaires sociales et l’élaboration d’un programme de formation destiné à 80 intervenants sociaux et 60 travailleurs sociaux, en collaboration avec l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes.

122.Dans le cadre de l’Axe 4 de la Stratégie, un plan de communication a été déployé pour renforcer l’aspect préventif de la loi et sensibiliser l’opinion aux dangers de la violence et à ses effets sociaux, psychologiques et économiques.

123.En 2017, une campagne de sensibilisation a été organisée dans le Grand Tunis contre la violence à l’égard des femmes dans les transports publics, sous le slogan : « Al Moutaharech Ma Yerkebch (pas de harceleur à bord) ». Elle s’est poursuivie en 2018 dans le gouvernorat de Sfax. En outre, des actions de terrain, des spots télévisés et des campagnes sur les réseaux sociaux ont également été déployés par les organismes gouvernementaux et les composantes de la société civile.

124.Dans le même contexte, les unités de sécurité et les services spéciaux du Ministère de l’intérieur protègent les enfants victimes de violences physiques et sexuelles au moyen d’actions de prévention, telles que des patrouilles et des campagnes de sécurité préventive menées dans les rues et les espaces publics pour lutter contre les différentes formes de maltraitance et d’exploitation d’enfants.

125.En ce qui concerne le budget alloué à la mise en œuvre de la loi, la nouvelle loi organique du budget approuvée en février 2019 a adopté une approche programmatique pour l’élaboration et l’exécution des budgets, ce qui doit permettre d’attribuer les ressources nécessaires à l’exécution de la loi relative à l’élimination de la violence, notamment par les ministères concernés. En outre, d’importantes ressources sont affectées à la mise en œuvre de la stratégie et de la loi par les entités internationales impliquées dans de nombreux programmes de partenariat dans le cadre de la coopération internationale, à l’instar du Programme de promotion de l’égalité entre hommes et femmes, exécuté par le Ministère de la femme, en collaboration avec l’Union européenne, ou du Programme conjoint portant « Amélioration de la prise en charge des femmes et des filles victimes de violence », réalisé sur la base du partenariat entre le Gouvernement tunisien et l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes).

126.Malgré ces efforts, la mise en œuvre de la loi no 2017-58 rencontre un certain nombre de difficultés pratiques, telles que :

La mise en place de l’infrastructure nécessaire permettant la prise en charge des femmes victimes de violence, en particulier au niveau des tribunaux, dont la plupart des bâtiments ne disposent pas, depuis leur construction, d’espaces réservés à cet effet, ce qui fait que les femmes victimes de violence sont actuellement accueillies dans les locaux réservés aux affaires familiales ;

L’ignorance des dispositions légales par de nombreuses femmes, en dépit des actions de sensibilisation à celles-ci, notamment en ce qui concerne les décisions de protection susceptibles d’être prononcées, les modalités et les formes de protection possibles, ou encore les autorités de sûreté et judiciaires compétentes en la matière, comme en témoigne le nombre élevé de consultations juridiques dispensées dans les tribunaux à cet égard, étant précisé qu’en collaboration avec la société civile, le Ministère de la femme s’emploie à surmonter ces obstacles ;

Le nombre insuffisant de sessions de formation et de programmes de renforcement des capacités des responsables de l’application de la loi, notamment les procureurs et les juges d’instruction et de la famille ; sachant que pour y remédier, une formation est actuellement dispensée aux juges formateurs afin qu’ils puissent à leur tour former leurs pairs ;

En matière de statistiques, les données relatives au nombre d’affaires de violence traitées par chaque tribunal sont collectées manuellement et puisées dans les registres et les dossiers des affaires en cours, bien que le Ministère de la justice dispose d’un système de collecte des données relatives à la violence à l’égard des femmes, comme indiqué ci-dessus : ainsi, la collecte ne couvre que les cas de violence physique, sexuelle et conjugale et ignore les autres comportements incriminés par la loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ; c’est pourquoi il convient de doter les tribunaux de première instance et d’appel, ainsi que la Direction générale de la statistique, de ressources humaines suffisantes et compétentes dans le domaine des statistiques et leur assurer une formation sur le terrain.

6.Mesures de lutte contre le terrorisme (art. 2, 7, 9, 10, 12 et 14)

127.La loi no 2003-75 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent a été abrogée et remplacée par la loi organique no 2015-26 relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, qui insiste dans son article 2 sur le respect, par toutes les autorités chargées de son application, notamment les forces d’intervention militaires et les officiers de la police judiciaire militaire, des garanties constitutionnelles et des instruments internationaux régionaux et bilatéraux ratifiés par la République tunisienne, parmi lesquels le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

128.À cet égard, il convient de mentionner la visite en Tunisie du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste en 2017.

6.1État d’urgence

129.Réglementé par le décret no 1978-50, l’état d’urgence a été décrété et prolongé à plusieurs reprises compte tenu de la situation sécuritaire du pays et dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

130.La loi autorise les personnes touchées par une mesure prise pendant l’état d’urgence à faire appel devant les tribunaux administratifs et il convient de noter que la juridiction administrative a rendu plusieurs arrêts en faveur du Ministère de l’intérieur rejetant les recours formés contre ses décisions, eu égard à leur conformité à la loi.

131.Un projet de loi organique réglementant l’état d’urgence est en cours d’élaboration afin de se conformer à la Constitution, à travers la recherche d’un équilibre entre les impératifs de la sûreté publique d’une part et la préservation des droits de l’homme d’autre part, dans toute la mesure où les restrictions aux droits et libertés ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences de la sûreté publique ou de la défense nationale, les mesures prises devant être conformes aux principes de proportionnalité et de nécessité et le pouvoir judiciaire devant pouvoir vérifier le respect de ces droits et libertés par les autorités.

6.2Garanties du droit à un procès équitable

132.L’indépendance et la spécialisation de la justice constituent les critères les plus significatifs d’un procès équitable. À cet égard, la loi organique no 2015-26 du 7 août 2015 a habilité un organe judiciaire indépendant et spécialisé à traiter les infractions terroristes, en consacrant le principe de la compétence exclusive du tribunal de première instance de Tunis 1 pour connaître de ces infractions et en a dessaisi les tribunaux militaires. Les procureurs de la République et les juges d’instruction auprès du tribunal de première instance peuvent, le cas échéant, mener des enquêtes préliminaires et urgentes dans le cadre des compétences qui leur sont attribuées, puis renvoyer l’affaire devant le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme pour complément d’enquête.

133.Tenant compte des besoins particuliers des enfants, la loi organique no 2019-9 a renforcé la composition du pôle en y ajoutant « des représentants du ministère public, des juges d’instruction, des juges des chambres d’accusation, un juge pour enfants et des juges du tribunal pour enfants de première instance et d’appel spécialisés dans les affaires impliquant des enfants ».

6.3Garanties reconnues aux suspects

134.La loi organique no 2015-26 dispose que l’instruction est obligatoire en matière d’infractions terroristes (art. 43) en raison de leur complexité et du caractère pénal de la plupart des actes incriminés, ce qui constitue une garantie importante pour les prévenus dans la mesure où le juge d’instruction est le garant des droits et libertés, conformément aux dispositions de la Constitution.

135.En outre, la personne placée en garde à vue pour terrorisme jouit des mêmes garanties que celles offertes aux autres suspects, à savoir le droit de s’entretenir avec un avocat, d’informer sa famille de son arrestation, d’être examinée par un médecin, de recevoir des soins et de porter plainte en cas d’atteinte à son intégrité physique ou à sa dignité humaine, comme le prévoient l’article 4 de ladite loi et la loi no 2016-5 modifiant et complétant certaines dispositions du Code de procédure pénale.

136.Cependant, compte tenu de la complexité des infractions terroristes par rapport à celles de droit commun et de la longueur des procédures d’enquête préliminaire, notamment la constatation de l’infraction, la collecte des preuves, l’identification des auteurs et la qualification juridique des faits, ainsi que des procédures spéciales de coordination entre les procureurs des différentes régions de la République et le procureur de la République en charge de la lutte contre le terrorisme au sein du Pôle, la loi a prévu une durée exceptionnelle de garde à vue pouvant aller jusqu’à un maximum de cinq jours (art. 39) et ne pouvant être prolongée que deux fois (art. 41) ; sachant que cette prolongation est, en tout état de cause, assortie des garanties légales propres à préserver les droits des suspects. À cet égard, le paragraphe 4 de l’article 41 dispose que la prolongation ne peut être ordonnée que sur ordonnance motivée, mentionnant les motifs de fait et de droit la justifiant. En pratique, le procureur de la République vérifie généralement si les faits et les données dont il dispose justifient bien la prolongation de la garde à vue d’un suspect.

137.S’agissant de la désignation d’un avocat pendant la garde à vue dans les affaires de terrorisme et bien que cela ne soit pas expressément évoqué par la loi, celle-ci renvoie au Code de procédure pénale (art. 4), qui dispose ce qui suit au dernier paragraphe de son article 13 ter : « Le procureur de la République peut, dans les affaires terroristes et si les nécessités de l’enquête l’exigent, ne pas permettre à l’avocat, pendant une durée ne dépassant pas quarante-huit heures à compter de la date de la garde à vue, de rendre visite au suspect, de s’entretenir avec lui, d’assister à l’interrogatoire ou à la confrontation avec autrui ou de consulter des pièces du dossier ».

138.En outre, l’article 57 (nouveau) de la loi no 2016-5 de 2016 énonce ce qui suit dans son paragraphe 6 : «  Le juge d’instruction peut, dans les affaires de terrorisme et si les nécessités de l’enquête l’exigent, ne pas autoriser l’avocat à rendre visite au suspect, à s’entretenir avec lui, assister à son interrogatoire ou à sa confrontation ou consulter les pièces du dossier devant le juge chargé de l’affaire par commission rogatoire, pendant une durée ne dépassant pas quarante-huit heures à compter de la date de la garde à vue, à moins que cette décision d’interdiction ne soit prise antérieurement par le procureur de la République ».

139.Cette mesure est exceptionnelle et n’est donc pas systématique. Elle est soumise au pouvoir discrétionnaire du Procureur général ou du juge d’instruction dans un domaine spécifique, à savoir les affaires de terrorisme lorsque les nécessités de l’enquête l’exigent. De plus, cette mesure d’interdiction est limitée dans le temps et à son expiration, l’avocat peut assister son client au cours de tous les stades de la procédure d’enquête préliminaire. Il s’agit donc d’une exception ponctuelle, justifiée et assortie d’un ensemble de garanties juridiques.

6.4Notion d’attentat terroriste

140.Le terrorisme n’a pas été défini par la loi organique no 2015-26, compte tenu des difficultés pratiques posées par son identification et de l’absence d’une définition juridique internationale du phénomène. Conformément à l’article 13, l’auteur d’un acte terroriste est défini comme suit : « est réputé être l’auteur d’une infraction terroriste, quiconque commet, par quelque moyen que ce soit, pour l’exécution d’un projet individuel ou collectif, l’un des actes visés aux articles 14 à 36 et que cet acte soit destiné, par sa nature ou son contexte, à répandre la terreur parmi la population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

141.Faisant suite aux recommandations de l’ONU relatives à la lutte contre la torture et à celles formulées à l’issue de l’Examen périodique universel (EPU), cette définition a été modifiée par la loi organique no 2019-9 et se lit désormais comme suit : « est réputé être l’auteur d’une infraction terroriste, quiconque commet, par quelque moyen que ce soit, pour l’exécution d’un projet individuel ou collectif, l’un des actes visés à l’article 14 et aux articles 28 à 36 de la présente loi et que cet acte soit destiné, par sa nature ou son contexte, à répandre la terreur parmi la population ou à contraindre un État ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ». Les articles 14 à 36 de la loi identifient les infractions terroristes en distinguant celles qui causent la mort ou des dommages corporels et celles dirigées contre des personnes jouissant d’une protection internationale. Les modifications apportées sont importantes et visent à mieux cerner les infractions terroristes, afin de mieux les combattre et les réprimer, conformément aux recommandations de l’ONU adressées à la Tunisie.

6.5Interdiction de voyager

142.Les passeports et les documents de voyage sont régis par la loi no 1975-40 de 1975. Dans le cadre de l’harmonisation de cette loi avec les dispositions relatives à la liberté de circulation consacrées par l’article 25 de la Constitution, ainsi qu’avec les normes internationales, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, diverses modifications ont été introduites par la loi organique no 2017-45, qui constitue l’un des fondements de la protection du droit à la liberté de circulation. En effet, ce texte a introduit d’importantes garanties et prévoit désormais la levée automatique d’une interdiction de voyage à l’expiration des différents délais légaux, la nécessité de motiver la décision portant interdiction de voyage, laquelle doit également comporter mention des motifs de fait et de droit la justifiant, ainsi que la reconnaissance, au profit de la personne concernée par une telle mesure, de la possibilité de contester les décisions portant interdiction de voyage ou refus de révision de telles décisions. D’autres garanties ont également été consacrées, dont la plus importante consiste en la suppression de la possibilité de prendre une décision portant simultanément retrait de passeport et interdiction de voyage, que pouvaient auparavant prononcer les autorités judiciaires dans le cadre des procédures d’investigation ou du procès pénal (art. 15 ancien).

143.Compte tenu de la situation sécuritaire particulière prévalant en 2012, le Ministère de l’intérieur a pris un certain nombre de mesures conservatoires, notamment l’adoption d’une réglementation du contrôle aux frontières sous le sigle « S17 ». Cette mesure a été adoptée pour faire face au danger que représentent les individus extrémistes, afin de les empêcher de rejoindre les zones de conflit, sachant qu’il s’agit d’une mesure de sécurité préventive ayant vocation à être activée dans des cas exceptionnels, notamment à l’encontre de personnes dont la qualité de membres actifs de l’organisation terroriste « Ansar al-Sharia », interdite en Tunisie, est établie, de personnes arrivant des zones de conflit ou en revenant, ainsi que de personnes impliquées dans des affaires liées au terrorisme ayant été libérées après avoir purgé leur peine et de personnes dont il est confirmé qu’elles ont rejoint les groupes terroristes retranchés dans les hauteurs situées à l’ouest du pays.

144.Pour traiter les problèmes inhérents à ces mesures, une unité a été créée au sein du Ministère de l’intérieur, regroupant des représentants des différents intervenants, y compris un juge administratif, en vue de prendre les mesures visant à assouplir les procédures et à améliorer la prise en charge des plaintes des citoyens, notamment en fournissant aux Tunisiens dont l’identité prête à confusion avec celle des personnes représentant un risque pour la sûreté de l’État une attestation de levée de restriction destinée à être présentée aux postes frontaliers, ainsi qu’en examinant chaque requête de manière casuistique. Les mesures prises aux postes frontaliers sont susceptibles de recours administratifs (plainte adressée au Ministère de l’intérieur) ou juridictionnels (tribunal administratif).

145.En ce qui concerne les saisies et perquisitions, l’autorisation du procureur ou du juge d’instruction, selon le cas, est requise.

6.6Assignation à résidence

146.En dépit des pouvoirs étendus conférés à l’Exécutif, notamment au Ministre de l’intérieur, par le décret no1978-50 de 1978, ces prérogatives ne contredisent pas les obligations nationales et internationales du pays en matière de respect et de protection des droits de l’homme. En effet, ce texte autorise le Ministre de l’intérieur à prononcer l’assignation à résidence de toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics », sans perdre de vue l’obligation incombant à l’État de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la subsistance de ces personnes (assignées à résidence) et celle de leur famille (art. 5 du même décret).

147.En outre, la situation de nombreuses personnes assignées à résidence est périodiquement réexaminée et la mesure est souvent partiellement levée pour leur permettre de se déplacer entre leur domicile et leur lieu de travail ou d’études, ce qui confirme bien que son objectif principal est de limiter les mouvements de ces personnes pour prévenir la commission d’actes terroristes et qu’il ne s’agit nullement d’une forme d’arrestation ou de détention.

7.Droit à la vie et interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art.2, 6 et 7)

7.1Peine de mort

148.En dépit de la gravité des infractions terroristes, la loi no2015-26 n’a pas prévu la peine de mort, sauf en cas de décès d’une personne par suite de tels actes, sachant que le Code pénal réprime de la même manière l’homicide commis avec préméditation et délibérément. Depuis l’adoption de la loi, la peine de mort n’a été prononcée que dans quatre affaires.

149.La Tunisie n’a procédé à aucune exécution depuis le 17novembre 1991, bien que des condamnations à mort aient été prononcées (annexe 15). Elle fait partie des États ayant consenti à l’application d’un moratoire à ce sujet, conformément aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies de 2012, 2014 et 2016.

150.Il convient de noter que la peine capitale n’a pas un caractère obligatoire pour le juge, qui dispose de toute latitude pour fixer la peine en fonction de la gravité de l’infraction. En effet, la loi lui permet de moduler la sanction aux faits reprochés et ne l’oblige nullement à appliquer systématiquement la peine de mort aux infractions de terrorisme passibles d’une telle peine.

151.Dans le cadre de la consécration des principes du procès équitable et des normes internationales, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui préconise d’appliquer des peines à la mesure de la gravité de chaque infraction commise, la loi organique no2019-9 a autorisé les tribunaux à appliquer les dispositions de l’article 53 du Code pénal (circonstances atténuantes et remise de peine) et à prononcer des peines en fonction de la gravité de l’acte terroriste commis. L’annexe 16 énonce les infractions passibles de la peine de mort selon ladite loi.

152.En outre, aucune disposition légale n’empêche un condamné à mort de bénéficier d’une amnistie ou d’une mesure de grâce conformément aux dispositions du Code de procédure pénale, sachant que sept condamnés à mort ont été acquittés en 2018, tandis qu’un autre a bénéficié de l’amnistie générale en 2017. En 2012, 121 détenus ont bénéficié d’une amnistie spéciale, consistant en la commutation de leurs condamnations à mort en peines de réclusion à perpétuité, la même mesure ayant ensuite été appliquée à 11 autres détenus jusqu’en 2015. Jusqu’au 14janvier 2014, 9 condamnés à mort ont bénéficié à deux reprises d’une amnistie spéciale et ont vu leurs peines commuées, dans un premier temps, en peines de réclusion à perpétuité, puis en peines de prison allant de trente à trente-sept ans.

153.En ce qui concerne la ratification du deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international et en dépit du moratoire sur l’application de la peine de mort, toute décision en la matière passe par un dialogue communautaire et a vocation à être prise par voie de consensus.

7.2Infraction de torture

154.L’article 23 de la Constitution dispose que l’État protège la dignité de l’être humain et son intégrité physique et interdit la torture morale ou physique. La Constitution consacre également le principe de l’imprescriptibilité de l’infraction de torture, confirmant ainsi les dispositions de l’article 24 de la loi organique no2013-53 portant création de l’Instance nationale pour la prévention de la torture. En outre, selon l’article 30 de la Constitution, tout détenu a droit à un traitement humain préservant sa dignité.

155.La loi organique no2016-5, modifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale, constitue une garantie fondamentale pour la prévention de la torture, dans la mesure où elle réduit la durée légale de la garde à vue et accorde aux suspects le droit de se faire assister par un avocat de leur choix au cours de l’enquête préliminaire, ainsi que la possibilité de demander un examen médical.

156.Dans le cadre de l’harmonisation de la législation nationale avec la Constitution et les normes internationales, notamment celles inscrites dans la Convention contre la torture, et au titre du suivi des recommandations du Comité des Nations Unies contre la torture, les dispositions du Code pénal relatives à la lutte contre la torture sont actuellement en cours de révision, afin de promouvoir l’application de peines de substitution et de réduire les peines privatives de liberté.

7.3Mesures de lutte contre la torture

157.L’Instance nationale pour la prévention de la torture, créée par la loi organique no2013-43, est une instance publique indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière et administrative, qui a commencé à fonctionner en 2016. Il s’agit d’un mécanisme de prévention, tel que prévu par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, ratifié par la Tunisie en 2011.

158.Les missions essentielles de cette instance consistent à effectuer des visites, aussi bien périodiques et régulières qu’inopinées, auprès des lieux de détention où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté ; de s’assurer de l’existence de la protection spécifique des personnes handicapées dans les centres d’accueil ; de s’assurer de l’absence de pratique de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention et de contrôler le degré de conformité des conditions de détention et d’exécution des peines aux normes internationales des droits de l’homme et à la législation nationale.

159.Elle a également pour mission de recevoir les plaintes et notifications concernant d’éventuels cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les lieux de détention, de procéder aux investigations nécessaires et de transmettre les résultats de l’enquête, selon le cas, aux autorités administratives ou juridictionnelles compétentes. Cette instance contribue en outre à sensibiliser la société aux dangers de la torture par le biais de diverses campagnes, séminaires et publications, ainsi qu’à travers la supervision des programmes de formation se rapportant à son domaine de compétence.

160.Pour sa part, le Ministère de la justice, en collaboration avec l’Organisation internationale pour la réforme pénale, exécute depuis 2016 deux projets relatifs à l’application effective des peines de substitution et à la promotion d’un traitement respectueux des droits de l’homme en ce qui concerne les détenus de la prison de Messaadine et du Centre de rééducation pour mineurs délinquants de Sidi El Hani.

161.Le 12janvier 2016, un accord a été signé avec le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées, autorisant les délégués à la protection de l’enfance à se rendre auprès des centres de rééducation pour enfants, afin de prendre connaissance de leurs conditions d’incarcération et de s’assurer du respect de leurs droits. En décembre 2012, neuf protocoles d’accord ont également été signés avec des associations et organisations de défense des droits de l’homme, les autorisant à effectuer des visites auprès des établissements pénitentiaires, sachant qu’au total, ces intervenants ont procédé à 664 visites jusqu’à fin décembre 2016. Ces accords ont pris fin dès l’entrée en activité de l’Instance nationale pour la prévention de la torture, laquelle a conclu suite à son investiture un nouvel accord avec le Ministère de la justice (avril 2018) précisant les domaines de collaboration et les mécanismes de coordination applicables.

162.Des autorisations sont délivrées aux associations souhaitant se rendre dans les prisons, à l’issue d’un examen de leurs demandes au cas par cas. Dans ce contexte, un mémorandum d’accord a été signé avec la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’homme (LTDH) en juillet 2015, complété par un avenant en octobre 2017, l’autorisant à visiter les prisons et les Centres de rééducation pour mineurs délinquants afin de s’enquérir de la situation des détenus adultes et de celle des enfants.

7.4Formation à la lutte contre la torture

163.Le Ministère de la justice continue à renforcer les capacités des juges et du personnel pénitentiaire dans le domaine de la lutte contre la torture, ayant notamment édité en 2014, dans le cadre de la collaboration avec l’Institut danois contre la torture, un Manuel sur la lutte contre la torture destiné à la formation de 140 juges, dont 60 au titre de la formation des formateurs, affectés auprès des cours d’appel et des tribunaux de première instance, sachant que chacun d’entre eux a assuré la formation de 10 à 15 magistrats.

164.En outre, dans le cadre de la collaboration entre l’Institut supérieur de la magistrature et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, 33 juges en exercice ont bénéficié d’une formation en 2015, ainsi que 126 magistrats en 2017, sur des thèmes liés au terrorisme.

165.De même, l’étude du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture a été intégrée dans les programmes de formation aux droits de l’homme de toutes les catégories d’élèves de l’École des prisons et de la rééducation, afin de mieux faire connaître le Sous-Comité pour la prévention de la torture, en tant que mécanisme de prévention international autorisé à visiter les lieux de détention. Une formation a également été dispensée par le Comité international de la Croix-Rouge aux officiers et au personnel pénitentiaire.

166.Des juges et des médecins légistes ont également bénéficié d’une formation dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du Protocole d’Istanbul dans le domaine de la médecine légale. À cet égard, les juges engagent les médecins à effectuer leur mission conformément au Protocole et à rédiger leurs rapports conformément à ses recommandations, pour leur permettre d’enquêter efficacement sur la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants.

167.Dans le cadre de la collaboration entre le Ministère de la santé, le Ministère de la justice et le Comité international de la Croix-Rouge, des sessions de formation ont été organisés en Tunisie et à l’étranger depuis 2013 à l’intention du personnel médical et paramédical travaillant dans les établissements pénitentiaires, portant essentiellement sur la santé des détenus. En outre, le département de médecine légale de l’hôpital Charles Nicolle, en collaboration avec la Direction générale des prisons, a organisé plusieurs sessions de formation à l’intention des médecins pénitentiaires et de nombreux modules de formation ont été dispensés par des experts nationaux et internationaux.

168.Quant à l’Instance nationale pour la prévention de la torture, elle a organisé plusieurs ateliers de formation et de sensibilisation en octobre et décembre 2017 à l’intention de représentants des autorités publiques de différents gouvernorats de la République, afin de faire connaître l’Instance et sa mission et contribuer à la prévention de la torture. Quelque 322 cadres et agents concernés par la situation des détenus, affectés auprès des lieux de privation de liberté des ministères de la justice (prisons), de la défense nationale, de l’intérieur, des finances (douanes), de la santé et des affaires sociales, ont pris part à ces ateliers.

7.5Statistiques

169.Le ministère public a établi un registre comportant différentes informations relatives aux plaintes pour torture et aux suites qui leur ont été données, afin d’assurer le suivi des investigations auxquelles elles ont donné lieu jusqu’aux étapes du procès, du prononcé du jugement et de son exécution. Depuis décembre 2008, un système spécial de traitement des données est en place auprès des services de l’Inspection générale, l’objectif étant de garantir le non dépassement de la durée légale de détention provisoire.

170.Afin de maintenir un contact avec les détenus et d’écouter leurs préoccupations, la Direction générale des prisons et de la rééducation a mis à leur disposition des boîtes aux lettres destinées à recueillir leurs plaintes au sein de tous les établissements pénitentiaires et ne pouvant être ouvertes que par le directeur de la prison, en présence, le cas échéant, des organes de justice et de contrôle. Un bureau de recueil et de traitement des plaintes a également été créé dans chaque établissement pénitentiaire et chaque centre de rééducation.

171.Plusieurs instructions administratives et notes de service appelant à respecter les dispositions juridiques et à bien traiter les détenus, notamment ceux impliqués dans la commission de crimes graves ou dans des affaires de terrorisme, ainsi que leur intégrité physique et morale, ont également été édictées.

172.Les annexes 17 et 18 indiquent, pour l’année 2018, le nombre de plaintes déposées pour mauvais traitements dans les établissements pénitentiaires, ainsi que le nombre de sanctions disciplinaires prononcées se rapportant à des mauvais traitements avérés. En 2018, trois cas de mauvais traitements de détenus dans des établissements pénitentiaires ont été adressés à la justice.

173.Durant la période couverte par son premier rapport, l’Instance nationale pour la prévention de la torture a reçu 104 allégations de torture et de mauvais traitements jusqu’à fin 2017 (annexe 19) et 125 signalements en 2018.

174.En ce qui concerne les décès, aucun cas dû à des violences subies dans un établissement pénitentiaire n’a été enregistré au cours de la période considérée. Cependant, au cours de l’année 2018, 22 cas de décès imputables à des problèmes de santé ont été enregistrés et ont fait l’objet de procédures judiciaires, car chaque décès survenant en prison est lié à une présomption de mort suspecte au sens de la loi no2001-52 relative à l’organisation des prisons (annexe 20).

175.Pour sa part, la justice militaire a été saisie des affaires relatives aux violences exercées contre les manifestants et les protestataires lors des événements des 17décembre 2010 au 14janvier 2011, après dessaisissement de la justice judiciaire, conformément à l’article 22 de la loi no82-70 de 1982 portant statut général des forces de sécurité intérieures, étant précisé que des enquêtes ont été ouvertes au sujet des infractions commises (homicide volontaire avec préméditation, homicide volontaire, coups et blessures volontaires) en vue de poursuivre les auteurs et leurs complices et indemniser les familles des martyrs et blessés de la révolution, en leur permettant d’exercer leur droit de se porter partie civile.

176.Plusieurs responsables de haut rang et des hauts cadres des forces de sûreté (Chef de l’État en poste lors des événements, Ministre de l’intérieur, plusieurs directeurs généraux de la sûreté et de la sécurité publique et présidentielle, unités d’intervention, Commandant de la garde nationale, etc.), ainsi que des responsables du maintien de l’ordre sur le terrain, ont été condamnés et des indemnisations substantielles ont été accordées aux victimes et à leurs familles.

177.Dans le cadre de son engagement au titre de la lutte contre la torture et les violations des droits de l’homme, le Ministère de l’intérieur mène toutes les enquêtes administratives nécessaires par le biais des instances de contrôle et d’examen des plaintes, des notifications et des signalements de torture ou de mauvais traitements et prend, le cas échéant, des dispositions administratives, disciplinaires ou pénales. En outre, des efforts sont déployés actuellement pour développer un système de contrôle, d’inspection et d’audit interne, ainsi qu’un système de traitement des requêtes et des plaintes, dans le cadre de la coopération avec le PNUD.

7.6Projet de loi no2015-25 de 2015 relatif à la répression des atteintes contre les forces armées

178.Ce projet vise à harmoniser les dispositions pénales spéciales, telles que prévues notamment par la loi relative à la lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment d’argent, avec celles du Code pénal, en tenant compte des législations comparées, ainsi qu’à se conformer aux normes internationales. Le projet a été soumis à l’Assemblée des représentants du peuple en 2015 après plusieurs modifications, portant notamment sur son intitulé et l’ajout de quelques articles, relatifs notamment à la protection des sites d’opérations de sécurité ou militaires, à l’utilisation d’appareils photographiques ou de diffusion sans autorisation préalable et au renforcement des sanctions. Suite aux vives inquiétudes quant au respect des droits de l’homme suscitées par le projet de loi, notamment la liberté d’expression, le Ministère de l’intérieur procède à sa reformulation à la lumière des commentaires formulés par les parties concernées.

179.En ce qui concerne les règles juridiques relatives à l’usage de la force par les responsables de l’application des lois, l’article 18 de la Constitution dispose que l’armée nationale appuie les autorités civiles dans les conditions définies par la loi et définit ainsi le domaine d’intervention sécuritaire des forces armées. Quant aux opérations de combat, elles sont régies par d’autres dispositions, dont certaines issues du droit international des conflits armés.

180.La législation tunisienne comporte également un certain nombre de dispositions prévoyant une exemption de responsabilité pénale, à l’instar des dispositions des articles 39 à 42 du Code pénal. À cet égard, l’article 39 évoque la légitime défense et l’article 42 l’exemption de peine pour celui ayant commis une infraction sur la base d’une disposition de la loi ou d’un ordre de l’autorité compétente.

181.De même, l’article 59 de la loi organiqueno2015-26 dispose que l’infiltré n’est pas pénalement responsable lorsqu’il accomplit de bonne foi les actes nécessaires à l’opération d’infiltration. L’article 72 de la même loi dispose ce qui suit : « Outre les cas de défense légitime, les agents des forces de sécurité intérieure, les militaires et les agents des douanes ne sont pas pénalement responsables lorsqu’ils font, dans la limite des règles de loi, du règlement intérieur et des instructions légalement données dans le cadre de la lutte contre les infractions terroristes prévues par la présente loi, usage de la force ou en ordonnent l’usage si cela est nécessaire pour l’exécution de la mission. ».

182.En outre, l’article 98 du Code de la justice militaire dispose ce qui suit : « n’est pas considéré comme crime:

L’usage des armes pour rallier les fuyards en présence de l’ennemi ou pour arrêter les actes de rébellion, de pillage ou de dévastation ;

L’usage des armes par les sentinelles ou les vedettes, en cas de non observation de leurs ordres et après la troisième sommation ».

183.L’article 8 de l’arrêté républicain no2013-230 portant proclamation d’une zone frontalière tampon et l’article 9 du décret présidentiel no2015-120 portant proclamation de zones d’opérations militaires et de zones d’opérations militaires fermées prévoient l’application des articles 39 à 42 du Code pénal aux personnes chargées de l’application des textes précités.

184.Il convient de noter que les dispositions des articles mentionnés ci-dessus restent soumises à la loi no69-4 du 24janvier 1969 réglementant les réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements, tout en respectant le principe de progressivité dans l’usage de la force, conformément à la législation en vigueur.

185.S’agissant du projet de Code de déontologie des forces de sécurité intérieure, son élaboration s’inscrit dans le cadre d’un projet de coopération entre le Ministère de l’intérieur et le PNUD sur la réforme du secteur de la sécurité. Le Code vise à améliorer le comportement des agents des forces de sécurité intérieure, à renforcer la confiance des citoyens en la police, à combattre les attitudes négatives au sein des corps des forces de sécurité et à consolider les principes des droits de l’homme et des libertés publiques. Le projet est en phase de consultation.

8.Interdiction de l’esclavage, de la traite et de la servitude ; et droits des enfants (art.8 et 24)

8.1.Efforts déployés pour mettre en œuvre la loi organique no2016-61 de 2016

186.La loi a prévu la création d’une Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, placée sous la tutelle du Ministère de la justice. Sa mise en place officielle a été concrétisée par le décret gouvernemental no2017-219 portant nomination de sa présidente (magistrate de troisième grade) et de ses membres (représentants d’organismes gouvernementaux et non gouvernementaux) pour une durée de cinq ans non renouvelable. Elle a été dotée d’un local en janvier 2018. L’Instance a élaboré un projet de décret gouvernemental portant fixation de son organisation et de son fonctionnement.

187.L’Instance a présenté son premier rapport annuel le 23janvier 2019, du fait de la valeur symbolique de cette journée, décrétée journée nationale de l’abolition de l’esclavage et de l’asservissement en Tunisie par un document officiel datant de 1846.

188.Conformément aux dispositions de l’article 46 de la loi précitée et avec l’appui technique de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’Instance a élaboré la Stratégie nationale de lutte contre la traite des êtres humains (2018-2023), selon une approche participative, à travers l’organisation d’ateliers de consultations auxquels ont assisté toutes les parties prenantes. Elle a également élaboré un plan d’action pour sensibiliser le public aux thèmes de la stratégie (2017-2019). Ces activités sont conformes aux indicateurs 16.2, 16.4 (objectif 16) et 5.2 (objectif 5) relatifs aux objectifs de développement durable.

189.La stratégie de l’Instance vise à développer une approche globale de lutte contre ce phénomène, notamment par l’adoption et la mise en œuvre de mesures de protection et de mécanismes d’aide aux victimes, et la création d’une base de données sur la traite des personnes visant à faciliter l’action menée par l’Instance.

190.En outre, l’Instance a institué une commission chargée d’harmoniser les différents textes juridiques relatifs à l’exploitation des enfants, dans la mesure où environ 75 % des cas de traite des êtres humains sont liés à l’exploitation d’enfants, en particulier l’exploitation économique de la mendicité et leur emploi en tant que domestiques. Il convient de noter que le cadre juridique présente des incohérences pour ce qui est des définitions ou des sanctions, ce qui entraîne des difficultés en matière de protection ou de qualification juridique des infractions.

191.L’Instance s’emploie également à élaborer des textes réglementaires, notamment le projet de décret gouvernemental fixant les conditions et modalités de prise en charge des frais de soins des victimes de la traite.

192.L’Instance a également a assuré la formation de plusieurs intervenants, ciblant les catégories suivantes :

Les juges spécialisés (28 procureurs et 14 juges d’instruction), les magistrats en exercice et les auditeurs de justice ; au total, quelque 200 magistrats ont bénéficié de cette formation ;

Les forces de sécurité intérieure : 4 sessions de formation des formateurs ont été organisées à l’intention de 25 officiers de police judiciaire et de 8 formateurs nationaux et 4 sessions de formation ont eu lieu au niveau régional, dont ont profité 104 bénéficiaires ;

Les cadres du Ministères des affaires sociales : des sessions et des ateliers de formation aux mécanismes d’identification des victimes ont été organisés à l’intention du personnel des centres de protection sociale et de 26 inspecteurs constituant des points de contact ;

Les délégués à la protection de l’enfance : des sessions de formation ont été dispensées à 25 délégués formateurs et à 41 délégués régionaux ;

Plus de 2000 participants ont bénéficié de 29 activités de formation organisées en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en 2018.

193.En outre, quatre juges militaires ont participé à un stage de formation intitulé « Lutte contre la traite des êtres humains » organisé par le Centre de partenariat pour la paix à Ankara, afin de leur permettre d’exploiter efficacement les données relatives à la traite des êtres humains et de se familiariser avec les mécanismes et les mesures les plus importantes prises pour lutter contre ce phénomène.

194.Dans le cadre de la protection des victimes, l’Instance :

Fournit aux victimes une aide médicale gratuite ;

Renseigne les victimes sur les dispositions régissant les procédures judiciaires et administratives permettant d’obtenir l’indemnisation appropriée des préjudices subis ;

Assiste les victimes dans la constitution de leurs dossiers en vue d’obtenir l’aide juridictionnelle ;

Reçoit les signalements relatifs à des opérations de traite des personnes et les transmet aux instances juridictionnelles compétentes.

195.Selon le rapport de l’Instance nationale de lutte contre la traite des personnes, 780victimes ont été recensées en 2018, contre environ 742 en 2017. Elle a reçu 430signalements, provenant pour la plupart des organisations de la société civile (81 % des cas), mais également de son auto-saisine (9,6 % des cas). En ce qui concerne le numéro vert, les 489 appels reçus portaient sur diverses questions, la majorité ayant trait au suivi des dossiers, à des signalements de cas de traite ou à des demandes de renseignements. Sur les 413 cas avérés de traite des personnes, 336 concernaient des femmes et l’Instance en a transmis 58 à la justice. Les tableaux 21, 22 et 23 comportent les statistiques les plus importantes relatives à la traite des personnes présentées dans le rapport de l’Instance.

196.En ce qui concerne la prise en charge des victimes, les centres de protection sociale du Ministère des affaires sociales ont traité environ 70 cas en 2017-2018, dont 36 concernant des enfants, pour la plupart des garçons. Ils ont fourni aux victimes des services d’hébergement temporaire, de prise en charge et d’orientation, en leur permettant de subvenir à leurs besoins essentiels dans le cadre du système d’urgence sociale.

197.Le Ministère de la santé a également fourni une assistance médicale à 69 victimes entre janvier et décembre 2018. La plupart des victimes étaient des femmes (60%) et 15 étaient étrangères (13 Ivoiriens, 1 Congolais et 1 Burkinabé). Le pourcentage d’enfants victimes de la traite était de 45 %, l’âge minimum des victimes était de 11ans, l’âge maximum de 54ans et l’âge moyen de 21,6ans.

8.2Projet « Ensemble contre le travail des enfants »

198.La Tunisie a entamé l’élaboration d’un Plan national de lutte contre le travail des enfants (2015-2020), fondé sur les principes de la Convention no182 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination et de la Convention no138 de l’OIT concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi. Ce plan vise à concevoir des visions et des mécanismes efficaces de réduction du travail des enfants. Il s’articule autour des priorités suivantes :

L’harmonisation des textes juridiques régissant la lutte contre le travail des enfants ;

La création d’un cadre de concertation entre les différentes parties concernées ;

Le renforcement des capacités institutionnelles et techniques des différents intervenants ;

La participation à la prévention de l’exploitation économique et à la protection des enfants les plus exposés à ce phénomène.

199.À cet égard, l’Institut national de la statistique a réalisé en 2017, avec l’appui de l’OIT, une enquête par grappes à indicateurs multiples portant sur un échantillon de 12 800 familles, qui a révélé que 179 900 enfants âgés de 5 à 17ans (7,9% des enfants tunisiens) travaillaient, dont 136 700 (6 %) affectés à des tâches dangereuses.

200.Un projet intitulé « Ensemble contre le travail des enfants en Tunisie » est en cours d’exécution dans le cadre de la mise en œuvre du plan national (janvier 2017 à mai 2020) avec le soutien du Bureau de l’OIT pour les pays du Maghreb et du Bureau international du Travail (BIT) relevant du Département du travail des États-Unis, qui lui a alloué un fonds estimé à 3 millions de dollars américains.

201.Ce projet vise à renforcer les capacités du Gouvernement, des organisations de travailleurs et d’employeurs et de la société civile à mettre en œuvre le Plan d’action national de lutte contre le travail des enfants, à améliorer les connaissances relatives au travail des enfants, y compris les pires formes qu’il peut emprunter, à renforcer la sensibilisation et la mobilisation sociales sur le terrain, à créer un modèle reproductible de suivi des enfants qui travaillent et à proposer des modèles d’accompagnement et de réintégration alternatifs pour la prévention du travail des enfants.

202.À cet égard, les Ministères de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées et des affaires sociales a mis en place des points focaux (24 inspecteurs du travail et 24 délégués à la protection de l’enfance pour couvrir l’ensemble des gouvernorats de la République) chargés d’assurer le suivi, la prise en charge, la coordination et le suivi de la situation des enfants victimes d’exploitation économique.

203.En outre, l’arrêté du Ministre des affaires sociales fixant les types de travaux dans lesquels l’emploi des enfants est interdit a été révisée et la liste des emplois et travaux dangereux a été élargie, pour y inclure d’autres activités professionnelles considérées dangereuses pour les enfants (annexe 24).

204.Dans le cadre de leur contribution à l’élimination des causes profondes de l’exploitation économique des femmes et des enfants, le Ministères de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées, le Ministère des affaires sociales et le Ministère de l’éducation ont également exécuté plusieurs programmes (annexe 25).

205.En ce qui concerne la protection des enfants, l’adhésion de la Tunisie à la plupart des conventions internationales et arabes sur le travail des enfants et l’adoption de différentes législations nationales dans ce domaine n’ont pas suffi à mettre un terme à l’existence de facteurs de vulnérabilité sociale poussant les enfants à travailler ou à abandonner l’école à un âge précoce, à s’adonner à des activités marginales ou au commerce parallèle et à travailler dans des secteurs non réglementés.

206.Les bureaux régionaux des délégués à la protection de l’enfance ont reçu en 2017 308 signalements d’exploitation d’enfants dans la mendicité ou d’exploitation économique, dont 39,9 % concernant des filles. L’exploitation des enfants par des adultes, dans la mendicité ou dans le domaine du commerce parallèle, constitue la cause majeure des signalements reçus, avec respectivement 51 % et 26 % de la totalité des cas. Il convient de noter que ce nombre représente un faible pourcentage par rapport à la réalité, en raison des lacunes du dispositif de signalement obligatoire et des mécanismes de contrôle.

207.En ce qui concerne l’exploitation sexuelle des enfants, le Ministère de la femme a lancé, en collaboration avec le Conseil de l’Europe, un Programme national de protection des enfants contre toutes les formes d’exploitation et de violence sexuelles destiné à sensibiliser le public à la gravité de ce phénomène et à renforcer les capacités des intervenants sur le terrain pour améliorer la protection et la prise en charge des enfants victimes et leur fournir les soins nécessaires. Ce programme vise également à mettre en place un cadre législatif approprié établissant les principes de protection juridique des enfants, fondé sur le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et la création d’un réseau de professionnels chargés de lutter contre l’exploitation et les abus sexuels des enfants.

9.Liberté et sécurité de la personne, légalité de la détention et traitement des personnes privées de liberté (art.2, 7, 9, 10 et 11)

9.1Mise en œuvre de la loi no2016-5 de 2016

208.Cette loi consacre des garanties juridiques fondamentales au profit des personnes placées en garde à vue, en réduisant notamment la durée légale de la garde à vue et en autorisant tout suspect à choisir un avocat chargé de l’assister lors de son audition par les officiers de la police judiciaire. En outre, la personne faisant l’objet de la garde à vue, son avocat ou un membre de sa famille, peut également demander au procureur de la République ou aux officiers de police judiciaire, au cours de la garde à vue ou à son expiration, d’être soumise à un examen médical. Une obligation régulière de contrôle des registres de garde à vue, des conditions de garde à vue et de l’état des personnes en état d’arrestation, a également été mise à la charge du procureur de la République.

209.Le Ministère de l’Intérieur, détenteur de la liste officielle des lieux de détention agréés, en a fourni des copies aux organisations internationales et nationales autorisées à effectuer des visites de contrôle et d’inspection des conditions et de la situation des personnes privées de liberté, telles que la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, le Comité international de la Croix-Rouge et l’Instance nationale pour la prévention de la torture.

210.En pratique, les visites inopinées se sont multipliées, pour veiller concrètement au respect des lois et des meilleures pratiques applicables en matière de traitement des prévenus par les unités de sécurité, tout en s’assurant de l’application des nouvelles dispositions mentionnées ci-dessus par les officiers de la police judiciaire, chargés de l’établissement de procès-verbaux conformément aux règles de fond et de forme en la matière et de la poursuite d’une coordination permanente avec le ministère public, afin d’offrir aux prévenus des garanties en matière de droits de la défense, de procès équitable et de protection de leur intégrité physique et morale, sachant que tout manquement à ces dispositions est considéré comme une infraction passible de peines sévères, pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement à vie ou à la peine de mort s’agissant des infractions de torture (art. 101bis du Code pénal).

211.En matière de formation, 105 juges ont bénéficié en 2017 d’une formation aux dispositions de la loi no2016-5 et une autre formation est actuellement dispensée aux formateurs.

212.À cet égard, le Ministère de l’intérieur a adressé aux officiers de police judiciaire une note de service en mai 2016 sur la bonne application de la loi et sur la nécessité d’informer les suspects des droits et garanties que leur accorde la loi.

213.Depuis septembre 2014, ce ministère a édicté une circulaire relative à la conception et à la diffusion d’une affiche mentionnant les droits des personnes placées en garde à vue, appelant au respect de la législation nationale et des normes internationales relatives à leurs droits et recommandant de mieux les prendre en charge, de mettre à leur disposition des locaux de garde à vue conformes aux normes, ainsi que des services de base essentiels, notamment en matière de santé.

9.2Disparition forcée

214.Pour donner suite à la recommandation du Comité des Nations Unies formulée à l’issue de l’examen du rapport initial de la Tunisie en 2016 au sujet de l’inscription de cette infraction en droit interne, un projet de loi a été soumis au Comité chargé de la révision du Code pénal, proposant de l’incriminer à titre autonome au niveau du titre intitulé « Attentats contre les personnes ». À cet effet, la formulation de la nouvelle disposition tient compte de la définition de la « disparition forcée » de la Convention des Nations Unies contre les disparitions forcées.

9.3Statistiques relatives au nombre de personnes en détention

215.L’annexe 26 indique le nombre de personnes placées en garde à vue impliquées dans des affaires traitées par les unités de sécurité du Ministère de l’intérieur.

216.Au total, 13 271 personnes sont détenues dans les prisons tunisiennes, parmi lesquelles 8 947 individus condamnés, dont 21 620 hommes et 598 femmes. Il existe en Tunisie 24 structures pénitentiaires réparties en fonction de leur capacité d’accueil et du nombre de détenus qu’elles accueillent, comme indiqué à l’annexe 27.

9.4Répartition des détenus

217.En ce qui concerne la séparation des enfants d’avec les autres détenus et conformément aux dispositions de l’article 99 du Code de la protection de l’enfant et à l’article 10 de la loi no2001-52 relative à l’organisation des prisons, des pavillons ont été réservés aux 56 enfants détenus dans les prisons de Mornaguia, Manouba, Sousse, Messaadine et Sfax.

218.En outre, un accord de partenariat a été signé en janvier 2015 entre le Ministère de la justice et le Ministère de la femme, de la famille, de l’enfance et des personnes âgées pour améliorer les services dispensés par les Centres de rééducation pour mineurs délinquants et les mécanismes de prise en charge, en vue d’atteindre les objectifs fondamentaux poursuivis par ces institutions dans le respect du système national des droits de l’enfant et des instruments internationaux pertinents.

219.En ce qui concerne la séparation des prévenus et des condamnés, la classification des détenus est effectuée conformément aux dispositions des articles 3 et 6 de la loi no2001-52 de 2001. À cet égard, l’article 3 dispose ce qui suit : « Les prisons sont classées en trois catégories :

Les prisons de détention, qui accueillent les personnes détenues à titre préventif ;

Les prisons d’exécution, qui reçoivent les personnes condamnées à des peines privatives de liberté ou à une peine plus lourde ;

Les prisons semi-ouvertes, où sont placées les personnes condamnées pour délits et habilitées au travail agricole ».

220.Il est tenu compte de cette classification selon les moyens disponibles. Toutefois, la séparation demeure obligatoire au sein des prisons entre les personnes détenues à titre préventif et celles faisant l’objet de condamnations. En outre l’article 6 dispose ce qui suit : « La classification des détenus est effectuée dès leur admission sur la base du sexe, de l’âge, de la nature de l’infraction et de la situation pénale, selon qu’il s’agisse d’un détenu primaire ou récidiviste ».

221.Dans le cadre de la consécration du principe de l’individualisation des peines et de la modulation des sanctions, un nouveau mécanisme de classement et de reclassification des détenus a été mis au point, basé sur leur évolution comportementale et leur degré de dangerosité, fondé sur l’existence de trois régimes de détention, à savoir :

Un régime de haute sécurité applicable aux détenus dangereux ;

Un régime moyennement sécurisé destiné aux détenus moyennement dangereux ;

Un régime semi-ouvert ciblant les détenus les moins dangereux.

223.Ce mécanisme a été introduit dans trois prisons pilotes, à savoir celles de la Manouba, de Borj el-Roumi et de Borj el-Amri, en attendant l’évaluation de l’expérience et sa généralisation au reste des établissements pénitentiaires.

9.5Lutte contre la surpopulation carcérale

224.Le Ministère de la justice, en collaboration avec le Bureau régional de la Croix-Rouge, a mis sur pied un groupe de réflexion chargé de présenter des propositions visant à remédier à la surpopulation carcérale à court et à moyen terme, de même qu’il a organisé plusieurs séminaires et ateliers portant sur cette question, qui ont débouché sur l’adoption des dispositions suivantes :

La réduction du recours à la détention préventive, à travers :

La promotion d’une approche visant à en faire une mesure exceptionnelle, au moyen de l’incitation des juges à modifier leur manière d’aborder la question de la liberté des accusés et à privilégier les mesures de mise en liberté provisoire et de mise en liberté sous garantie ou caution ;

L’application des peines de substitution prévues par la loi et la conception d’autres sanctions de substitution permettant d’éviter le placement en détention, complétées par l’élaboration de politiques de réadaptation et de réinsertion ; sachant que dans le cadre du Programme d’appui à la réforme de la justice exécuté en collaboration avec l’Union européenne, un système de responsabilisation a été mis en place en attendant l’instauration d’un cadre juridique intégré, visant notamment à aider les juges à ajuster la peine en fonction de la nature de l’infraction commise et de la personnalité de l’accusé, ainsi qu’à réduire la surpopulation carcérale et améliorer les conditions de détention, faire baisser le taux de récidive et veiller à ce que les personnes faisant l’objet d’un mandat de dépôt puissent maintenir un lien familial et social ;

Le recours au mécanisme de la transaction, au moyen de la médiation en matière pénale ;

Le choix de solutions de substitution à la détention provisoire, telles que le placement sous surveillance judiciaire ou électronique, ainsi que le renforcement du recours à des procédures telles que la grâce et la libération conditionnelle en tant que solutions prioritaires pour réduire la surpopulation carcérale ;

L’élaboration de programmes de rééducation, de réinsertion et de suivi des détenus afin de faire baisser le taux de récidive ;

L’amélioration des infrastructures à travers l’extension de plusieurs prisons (Sfax, Mahdia, Monastir, Messaadine, Sousse, Gabès et Borj el-Amri) pour accroître leur capacité d’accueil ; sachant que la Direction générale des prisons et de la rééducation s’emploie à augmenter la superficie allouée à chaque prisonnier afin de se rapprocher des standards internationaux en la matière, c’est-à-dire au moins 4 m2 par détenu, une superficie de 3,42 m2étant envisagée d’ici 2022 ; la mise en place de services de soins de santé et d’espaces dédiés aux activités de rééducation, par la mise à disposition de services de blanchisserie et de cuisines dans plusieurs structures pénitentiaires ; ainsi, la prison de Borj el-Amri a été dotée d’un centre sanitaire dispensant plusieurs services, ainsi que d’espaces aménagés pour la formation, le travail et la réadaptation, tandis qu’un centre pouvant accueillir jusqu’à 300 détenus supplémentaires a été aménagé dans la prison de Sfax ;

L’amélioration de la législation à travers la révision des dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale, dans le sens d’une réduction du recours à la détention préventive, de l’adoption de mesures conservatoires et du renforcement des pouvoirs du juge chargé de l’exécution des peines, notamment en matière de mise en liberté conditionnelle, ainsi qu’en lui accordant la possibilité de modifier les sanctions ; sachant qu’il est proposé de modifier les sanctions applicables à certaines infractions, comme par exemple au niveau du projet de loi relatif aux stupéfiants, transmis pour examen au Parlement et suggérant que le ministère public ne déclenche pas l’action publique pour consommation de stupéfiants à l’encontre de toute personne ayant demandé à subir un traitement médical et psychologique et n’ayant pas interrompu ce traitement ou quitté l’établissement de santé sans le consentement de son médecin traitant ; toutefois, en attendant l’approbation de ce projet de loi, la loi no2017-39 portant modification partielle de la loi no92-52 relative aux stupéfiants a été adoptée, permettant au juge d’appliquer les circonstances atténuantes aux primo-consommateurs afin de remédier à la surpopulation des prisons et des centres de détention et une commission a également été créée au Ministère de la justice en vue de modifier la loi relative à l’organisation des prisons ;

Le renforcement des liens familiaux des détenus, notamment ceux ayant bénéficié d’une formation ou appris un métier, en leur accordant le droit de recevoir des visites en contact direct une fois par mois, sachant que toutes les catégories de détenus peuvent recevoir leurs enfants mineurs âgés de moins de 13 ans sans dispositif de séparation et quelle que soit la nature des infractions commises ; en outre, les détenus sont autorisés depuis le mois de ramadan 2017 à rompre le jeûne avec leurs proches à l’intérieur des établissements pénitentiaires selon des règles précises.

9.6Visite des lieux de détention

225.L’Inspection des prisons et de la rééducation effectue des visites périodiques et inopinées dans les établissements pénitentiaires pour prendre connaissance des problèmes et des difficultés auxquels ils font face et relever les défaillances dont ils souffrent. Pour faciliter l’accès de l’ensemble des intervenants aux établissements pénitentiaires, le Ministère de la justice a signé plusieurs accords avec le Ministère de la femme (janvier 2016), autorisant les délégués à la protection de l’enfance et l’Instance nationale pour la prévention de la torture à se rendre dans les centres de rééducation des enfants afin de s’enquérir de leurs conditions de vie et d’incarcération (voir les paragraphes 144 et 145).

226.La Commission des visites pénitentiaires créée au sein de l’Instance nationale pour la prévention de la torture a effectué 50 visites préventives en 2016 et 2017. Il s’agit pour la plupart de visites d’étude et d’exploration qui ont ciblé différentes structures de détention, notamment des centres de garde à vue et des prisons, à la suite desquelles des rapports incluant des recommandations relatives aux conditions de détention et à la nécessité de mettre en place des mécanismes efficaces de réclamation contre les abus commis par les gardiens de prison ou l’administration pénitentiaire à l’encontre des détenus, ont été élaborés et transmis aux autorités concernées.

10.Indépendance et impartialité de la justice (art. 14)

1.10Mesures prises pour assurer l’indépendance de la justice

227.La Constitution dispose que le pouvoir judiciaire et les magistrats sont indépendants, n’étant soumis, dans l’exercice de leurs fonctions, qu’à l’autorité de la loi, toute ingérence dans le fonctionnement de la justice étant proscrite (art. 109). La Constitution prévoit également un ensemble de garanties en faveur des magistrats, selon lesquelles les juges bénéficient de l’immunité pénale qui ne peut être levée que par le Conseil supérieur de la magistrature (art. 104). En outre, ils ne peuvent être mutés sans leur accord, ni révoqués ou suspendus de leurs fonctions ou passibles de sanctions disciplinaires que dans les cas et avec les garanties formulées par la loi, par décision motivée du Conseil supérieur de la magistrature (art. 107).

228.En outre, pour la première fois dans l’histoire de la justice tunisienne, toutes les structures juridictionnelles relèvent d’un seul organisme qui est le Conseil supérieur de la magistrature.

229.L’Instance provisoire de supervision de la justice judiciaire a été créée en 2013 et s’est chargée de l’établissement de la liste du mouvement dans le corps des magistrats au titre des années 2013 à 2016, tandis que le Conseil supérieur du tribunal administratif et le Conseil supérieur de la Cour des comptes ont poursuivi leurs travaux sous la tutelle du chef du Gouvernement. L’Instance a instauré un certain nombre de bonnes pratiques, notamment une meilleure prise en compte des préoccupations des magistrats, l’ouverture des candidatures à des postes de haut rang au sein de l’appareil judiciaire et l’adoption de procédures de mise en concours des postes à pourvoir.

230.Au cours du mandat de cette Instance, la Rapporteuse spéciale sur l’indépendance des juges et des avocats s’est rendue en Tunisie (novembre-décembre 2014).

231.Le mandat de l’Instance provisoire et des deux conseils a pris fin avec la fixation de la composition du Conseil supérieur de la magistrature, dont les membres ont été élus en octobre 2016 et qui a effectivement démarré ses activités en avril 2017 après la révision de la loi organique no2016-34 par la loi organique no2017-19. Le Conseil supérieur de la magistrature est composé de quatre organes, à savoir l’Assemblée plénière et trois conseils juridictionnels (judiciaire, administratif et financier).

232.Après des difficultés liées au blocage de l’enveloppe budgétaire qui lui avait été allouée au titre des exercices 2017 et 2018, le Conseil supérieur de la magistrature participe désormais de manière indépendante aux discussions relatives à son budget devant l’Assemblée des représentants du peuple, jouit de l’autonomie financière (annexe 28) et dispose de son propre siège.

233.Le Conseil de la magistrature judiciaire a entamé l’élaboration de la liste du mouvement dans le corps des magistrats au titre de l’année judiciaire 2017-2018, qui a été approuvé par l’Assemblée générale du Conseil de la magistrature judiciaire tenue en septembre 2017. Il a également établi cette liste au titre de l’année judiciaire 2018-2019. De même, le Conseil supérieur de la magistrature supervise les mouvements partiels dans le corps des magistrats pour combler les postes ou les services vacants, notamment auprès des tribunaux nouvellement créés, et procède à la nomination des magistrats militaires.

234.En ce qui concerne les questions relatives à l’avancement dans la carrière et aux fonctions judiciaires, le Conseil se fonde sur un ensemble de critères, notamment l’intégrité et la compétence, fixés au préalable et portés à la connaissance de l’ensemble des magistrats. Afin de pourvoir les postes vacants au mieux des nécessités de service, le Conseil respecte les critères de l’alternance et de l’égalité et applique des mesures positives concernant notamment les magistrates, en veillant à les affecter auprès des juridictions les plus proches, ainsi que les juges du tribunal immobilier, du fait de la spécificité de leur fonction. Pour encourager les magistrats à se déplacer vers l’intérieur du pays, le Conseil veille à ce que les mutations pour nécessités de service soient assorties d’une promotion, afin que les juges puissent faire face aux contraintes inhérentes à leurs nouvelles fonctions et a attribué des emplois fonctionnels à un certain nombre d’entre eux, en se fondant sur les critères de la neutralité et de la compétence.

235.Le Conseil de la magistrature judiciaire a mis sur pied plusieurs comités spéciaux chargés d’élaborer son règlement intérieur, ainsi qu’un projet de loi sur le statut des magistrats et un code de déontologie des magistrats.

236.Le Conseil de la magistrature administrative a établi la liste du mouvement dans le corps des magistrats au titre de l’année 2018, incluant la désignation des présidents des chambres du Tribunal administratif. Il prépare actuellement un projet de loi relatif au fonctionnement du tribunal administratif et au statut de ses magistrats.

237.Le Conseil de la magistrature financière s’emploie à élaborer un projet de statut des juges financiers.

238.En ce qui concerne l’Instance provisoire de contrôle de constitutionnalité des projets de loi, créée en application de la loi organique no2014-14 du 18avril 2014, ses six membres ont été nommés en avril 2014 et elle a vocation à poursuivre ses travaux jusqu’à la mise en place de la Cour constitutionnelle (voir par. 18). En 2015, l’Instance disposait d’un budget de 120 000 dinars. Entre le 8juin 2015 (date de la première décision) et le 22octobre 2018 (date de la dernière décision), l’Instance a rendu 17 décisions qui ont toutes été mises en œuvre.

239.En ce qui concerne les décisions disciplinaires prononcées à l’encontre des magistrats, 96 affaires disciplinaires ont été renvoyées devant le conseil de discipline du Conseil supérieur de la magistrature, qui a prononcé des avertissements à l’encontre de 17magistrats, des sanctions pécuniaires (réductions d’émoluments) contre 7 magistrats pour absences injustifiées, tandis que 7 autres juges ont fait l’objet de poursuites pénales.

10.2Mesures garantissant l’accès à la justice et le droit à un procès équitable

240.L’article 108 de la Constitution dispose ce qui suit : « Toute personne a droit à un procès équitable dans un délai raisonnable et les justiciables sont égaux devant la justice ». Il consacre également un certain nombre de garanties, telles que la présomption d’innocence (art. 27), le principe de la légalité des délits et des peines et le principe d’individualisation de la peine (art. 28), ainsi que la légalité de la garde à vue et de la détention (art. 29).

241.Dans le cadre de l’harmonisation de la législation nationale avec les normes internationales, le Ministère de la justice a adopté une stratégie de réforme du système judiciaire (2012-2016) visant à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et à défendre les droits des justiciables en rétablissant la confiance des citoyens, des professionnels et des partenaires dans le système judiciaire, à travers la réforme du cadre législatif et institutionnel.

242.Il a également élaboré un Plan d’action pour la réforme du système judiciaire et pénitentiaire (2015-2019), dont les deux axes principaux concernent, d’une part la qualité de la justice et la protection des droits des justiciables et, d’autre part, l’accès à la justice.

243.Pour la mise en œuvre de ces plans, plusieurs commissions ont été créées et chargées d’examiner les lois et leur conformité à la Constitution et aux normes internationales relatives au droit à un procès équitable (commissions chargées de réviser le Code de procédure pénale, le Code pénal, le Code de procédure civile et commerciale, le Code de l’arbitrage et le Code de la protection de l’enfant). Le Ministère de la justice a également mis en place des commissions chargées d’élaborer les projets de statut des magistrats de l’ordre judiciaire, administratif et financiers et des auxiliaires de justice.

244.En pratique, plusieurs programmes financés par l’Union européenne (UE) sont en cours d’exécution, notamment le Programme d’aide au partenariat, aux réformes et à la croissance inclusive (SPRING), visant à appuyer la réforme de la justice sur le plan tant structurel qu’humain, le Programme d’appui à la réforme de la justice, le Programme de coopération avec le Conseil de l’Europe pour l’efficacité de la justice, visant à renforcer la Cour de cassation et cinq tribunaux pilotes et le programme intitulé « Soutien de la réforme judiciaire dans les pays du voisinage méridional », qui vise à renforcer le processus de réforme démocratique et politique et à promouvoir l’indépendance et l’efficacité du pouvoir judiciaire.

245.Afin que la justice puisse se consacrer à l’examen des infractions complexes dans certains domaines spécifiques, des pôles judiciaires spécialisés ont été créés, tels que le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme et le pôle judiciaire économique et financier.

246.En outre, un Programme de traitement des affaires pénales en temps réel a également été mis au point dans le cadre du projet d’appui à la réforme de la justice, financé par l’Union européenne (UE). Il s’agit d’un nouveau mécanisme de gestion des plaintes, dans le cadre duquel les dossiers relatifs à des prévenus en liberté sont directement transmis au Procureur général, accompagnés des procès-verbaux d’instruction, en vue d’améliorer l’efficacité des tribunaux en réduisant les délais de réponse concernant chaque dossier, ainsi que le nombre de jugements rendus par contumace, de renforcer l’application effective des lois et de rendre justice à chacun dans des délais raisonnables, dans le cadre d’un procès équitable respectueux des droits de l’homme. Ce programme a été appliqué en 2015 à titre expérimental au tribunal de première instance de La Manouba, puis généralisé au reste des tribunaux d’octobre 2018 à avril 2019. Il s’agit d’un système permettant aux parties à un procès pénal de suivre l’affaire à tous les stades de la procédure, de réduire les délais de jugement des affaires pénales et d’accroître le taux d’exécution des peines.

247.Afin de garantir le droit d’accès à la justice et de renforcer les droits des justiciables, plusieurs mesures ont été adoptées, parmi lesquelles la promulgation de la loi no2002-52 relative à l’octroi de l’aide judiciaire, qui permet à toute personne ne disposant pas de ressources suffisantes pour couvrir les frais de justice de solliciter l’octroi d’une prise en charge de ces dépenses par l’État, lequel l’accorde, en matière civile ou pénale, à toute personne physique demanderesse ou défenderesse au procès. Le tableau ci-joint montre l’évolution du nombre de demandes d’assistance judiciaire au cours de la période considérée (annexe 29). Ce dispositif a également été renforcé par la loi no2011-3 relative à l’aide juridictionnelle devant le tribunal administratif.

248.Compte tenu de la spécificité des victimes de certaines infractions, telles que les infractions de terrorisme ou de violence à l’égard des femmes, qui peuvent nécessiter des frais de justice élevés, l’État leur accorde un accès à l’aide juridictionnelle obligatoire.

249.Afin d’adapter au mieux l’aide juridictionnelle aux exigences du droit d’accès à la justice, le Ministère de la justice a créé en 2017 une commission placée auprès du Centre d’études juridiques et judiciaires, chargée d’évaluer la loi de 2002 et de proposer un projet de loi en la matière, en collaboration avec les divers intervenants dans ce domaine (magistrats, avocats, huissiers de justice, etc.). Ces efforts s’inscrivent dans le cadre de l’indicateur 16.3 de l’objectif de développement durable (ODD) 16 visant à garantir à tous un égal accès à la justice.

250.Concernant les mesures prises pour renforcer l’infrastructure, le Ministère de la justice a créé 5 nouvelles cours d’appel sur la base de la carte judiciaire établie en 2011 afin de garantir le respect du principe du double degré de juridiction et d’en faciliter l’accès aux justiciables. La création de ces juridictions se fonde notamment sur l’évolution des activités des juridictions existantes, outre le critère du rapprochement de la justice des justiciables, en tenant compte des distances séparant les juridictions et de la densité de la population.

251.S’agissant du tribunal administratif et compte tenu de ses compétences multiples, notamment en matière électorale et dans le domaine de la lutte contre la corruption, le décret gouvernemental no620 a créé 12 chambres de première instance subsidiaires du tribunal administratif dans les régions.

252.En ce qui concerne la justice militaire, les tribunaux militaires appliquent toutes les procédures pénales relatives aux principes du procès équitable. Le juge d’instruction militaire et la chambre pénale désignent un avocat pour défendre l’accusé dans les affaires pénales, si ce dernier n’est pas en mesure d’en désigner un, comme le prévoient les dispositions des articles 69 et 141 du Code de procédure pénale.

253.Il convient de noter que le décret-loi no2011-69, modifiant et complétant le Code de la justice militaire, ainsi que le décret-loi no2011-70relatif à l’organisation de la justice militaire et au statut des magistrats militaires, ont apporté d’importantes modifications à ce système, en vue de le mettre en conformité avec les normes internationales et de renforcer les garanties d’un procès équitable dans ce domaine. En effet, la réforme du système de la justice militaire a notamment tenu compte des principes suivants :

Les normes du procès équitable, telles que prévues par les traités et instruments internationaux, en particulier la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, principalement son article14 ;

« Les principes relatifs à l’administration de la justice par les tribunaux militaires au niveau international », connus sous le nom de Principes « Decaux ».

254.Dans ses résolutions 2005/30 et 2005/33, adoptées en avril 2005, la Commission des droits de l’homme s’est référée à ces principes qui sont sur le point d’être officiellement adoptés par les Nations Unies et il convient de noter que plusieurs systèmes judiciaires ont adopté le principe d’interdépendance et de complémentarité du système de la justice militaire avec celui de la justice judiciaire au niveau des procédures et des instances gouvernementales.

255.Toutes les garanties d’un procès équitable devant la justice militaire ont été consacrées par les décrets précités, notamment de la façon suivante :

L’instauration du principe du double degré de juridiction ;

La suppression des pouvoirs de poursuite, d’arrestation et de condamnation dont bénéficiait le Ministre de la défense ;

L’élargissement des possibilités d’interjeter appel des décisions rendues par les juges d’instruction militaires ;

La possibilité de se porter partie civile devant la justice militaire ;

La possibilité d’engager une action civile devant la justice militaire ;

Le renforcement de l’indépendance des juges militaires par la création d’un Conseil de la magistrature militaire.

10.3Recours aux tribunaux militaires pour le jugement de civils

256.Il convient de noter que les affaires traitées par la justice militaire postérieurement à la révolution ont été examinées par des organes judiciaires composés pour l’essentiel de magistrats civils. Actuellement, les civils ne sont jugés par des tribunaux militaires que dans des cas spécifiques, à savoir :

S’agissant d’infractions militaires prévues par le Code de justice militaire, étroitement liées aux activités des diverses structures de l’armée et de sa personne ;

En cas d’infractions commises à l’intérieur des casernes, camps, établissements et lieux occupés par les militaires pour les besoins de l’armée et des forces armées ;

Concernant les infractions commises directement au préjudice de l’armée ;

Au sujet des infractions dont les tribunaux militaires peuvent être amenés à connaître conformément à des lois ou règlements spéciaux ;

S’il s’agit d’infractions commises par des militaires appartenant à des armées alliées stationnées en territoire tunisien et/ou d’infractions portant préjudice aux intérêts de ces armées, sauf en cas d’accord contraire entre leur Gouvernement et le Gouvernement de la République tunisienne ; sachant que ces tribunaux peuvent, en vertu d’une loi spéciale, connaître, en tout ou en partie, des infractions portant atteinte à la sûreté intérieure ou extérieure de l’État ;

En cas d’infractions de droit commun commises contre les militaires en service ou à l’occasion de leur service.

257.Les travaux de la Commission technique chargée d’examiner la question de la compétence des tribunaux militaires se poursuivent, conformément aux dispositions de l’article 110 de la Constitution et aux normes internationales consacrées en la matière.

11.Droit à la vie privée (art. 17)

11.1Mesures prises pour garantir le droit au respect de la vie privée

258.L’article 24 de la Constitution dispose que l’État « protège la vie privée, l’inviolabilité du domicile et la confidentialité de la correspondance, des communications et des données personnelles »,

259.Ce droit avait déjà été établi par la loi organique no2004-63, qui fait l’objet d’une révision en vue d’une mise en conformité avec les normes internationales et la Convention no108 du Conseil de l’Europe et son Protocole additionnel, auxquels la Tunisie est désormais partie.

260.En ce qui concerne le respect de la vie privée dans le contexte de la lutte contre le terrorisme, la section 5 du chapitre I de la loi organique no2015-26, intitulée Techniques spéciales d’enquête, dispose que l’interception des communications et la surveillance audiovisuelle ne peuvent être effectuées qu’en vertu d’une décision de justice et pendant une durée limitée.

261.Dans le cadre de la loi organique no2016-22 relative au droit d’accès à l’information, 70 % des recours introduits par les demandeurs d’accès à l’information contre les organismes assujettis aux dispositions de cette loi ont trouvé une issue favorable, et ce, depuis la création de l’Instance d’accès à l’information en 2017.

262.La circulaire no8 du 25février 2019 impose aux organismes publics de ne pas conserver les cartes d’identité nationales des usagers, ni des copies de ces pièces, et de n’enregistrer que les données nécessaires, à savoir les trois derniers chiffres du numéro de ces cartes, sachant qu’une telle obligation s’applique également aux listes comportant des données à caractère personnel ou relatives à des chèques encaissés.

11.2Projet de loi portant modification de la loi no1993-27 de 1993 relative à la carte d’identité nationale

263.Ce projet a été retiré en janvier 2018 en vue d’unifier les positions de toutes les parties prenantes au sujet du caractère obligatoire ou facultatif de l’adoption de la carte d’identité biométrique, dans le respect des normes internationales en la matière.

11.3Projet de Code numérique

264.Ce projet est toujours à l’étude par le Gouvernement et vise à « … renforcer la confiance dans les transactions numériques, assurer la sécurité des réseaux de télécommunications et de l’espace numérique et fournir des mécanismes à même de garantir les droits et libertés des utilisateurs d’Internet » (art. 1). Il a également consacré toute une section aux droits et libertés, en imposant aux opérateurs de réseaux de télécommunication publics et aux fournisseurs de services le respect de la confidentialité des correspondances transmises par ces réseaux et la protection des données à caractère personnel et de la vie privée des utilisateurs, à l’exception des cas autorisés par l’autorité judiciaire, notamment dans le cadre des procédures de constatation, de poursuite et d’investigation relatives à des infractions, conformément à la loi. Le projet de loi prévoit également la protection des personnes mineures ou incapables, en imposant des amendes à quiconque publie délibérément sur Internet du contenu contenant des images ou des données concernant une personne mineure ou incapable sans le consentement préalable de la personne qui en a la charge, ainsi que des peines privatives de liberté contre quiconque porte intentionnellement atteinte à une personne mineure ou incapable via Internet ou les réseaux de télécommunication publics.

265.En ce qui concerne la mission de contrôle de l’Agence technique des télécommunications (ATT), l’article 2 du décret no2013-4506 relatif à sa création la charge d’assurer un appui technique aux investigations judiciaires dans le domaine des infractions relatives aux systèmes d’information et de communication et d’exploiter les systèmes nationaux de contrôle du trafic des télécommunications, dans le respect des conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de la législation relative à la protection des données personnelles, notamment les dispositions de l’article 17 du Pacte.

12.Liberté d’expression (art.19)

266.La Constitution garantit les libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication et interdit tout contrôle préalable de leur exercice (art. 31). Elle prévoit que l’État garantit le droit à l’information, ainsi que le droit d’accès à l’information, de même qu’il œuvre à garantir le droit d’accès aux réseaux de communication (art. 32). L’article 49 de la Constitution définit également les restrictions susceptibles d’être apportées à l’exercice des droits et libertés sans porter atteinte à leur essence en ces termes : « ces restrictions ne peuvent être établies que pour répondre aux exigences d’un État civil et démocratique, et en vue de sauvegarder les droits d’autrui ou les impératifs de la sûreté publique, de la défense nationale, de la santé publique ou de la moralité publique tout en respectant la proportionnalité entre ces restrictions et leurs justifications ».

267.Le décret-loi no2011-115 offre de nombreuses garanties dans le domaine de la liberté d’expression, conformément aux dispositions de l’article 19 du Pacte, dont les plus importantes concernent la consécration de ce droit et l’admission de restrictions susceptibles d’y être apportées uniquement si elles sont légitimes, objectives, proportionnelles et nécessaires, complétées par l’abrogation du système de l’autorisation concernant la publication des périodiques et son remplacement par le système de la déclaration, ainsi que la protection des journalistes et de leurs sources. En outre, ce texte encourage tous ceux ayant accès à des documents ou à des informations susceptibles de révéler des faits ou une corruption quelconque à les publier directement ou à permettre à la presse, en tant qu’autorité de régulation, de les diffuser auprès du public. Le décret-loi précité accorde également une protection pénale aux journalistes, notamment contre toute attaque ou insulte dont ils peuvent faire l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions, interdit de soumettre les journalistes à une quelconque pression de la part d’une quelconque autorité, assimile les journalistes à des fonctionnaires publics en cas d’atteinte verbale ou physique (gestes, agissements) ou de menace dans l’exercice de leurs fonctions et prévoit des peines à l’encontre des auteurs, conformément à l’article 125 du Code pénal.

268.Le décret-loi précité classe en outre les infractions commises par voie de presse comme suit : l’incitation à la commission d’infractions, les infractions contre les personnes et les publications interdites, en précisant les procédures de poursuite et les sanctions encourues (art. 50 à 77).

269.En dépit des avancées enregistrées au titre de la mise en place du cadre législatif régissant la liberté d’expression, le décret-loi no115 comporte des lacunes au niveau de son champ d’application, dont la plus importante est le maintien des poursuites pénales contre les journalistes et les citoyens publiant en dehors du cadre de ses dispositions, les restrictions quant à l’octroi des cartes de journalistes professionnels et l’absence de couverture de tous les professionnels exerçant dans le domaine du journalisme. À cet égard, ce texte fait l’objet d’une procédure de révision depuis septembre 2016, conformément à l’article 65 de la Constitution, dans le cadre d’un processus participatif.

270.Bien que le décret-loi no115 n’institue pas de peines privatives de liberté pour propagation de fausses informations ou atteinte à des fonctionnaires ou assimilés ou à l’armée, plusieurs articles du Code pénal (128, 245 et 247) et du Code militaire, notamment l’article 91, prévoient encore de telles sanctions. Le Ministère de la justice ne dispose pas de statistiques concernant ces infractions.

271.Il convient de noter que le décret-loi no2011-116 a créé la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HAICA) pour réguler et développer le secteur et garantir la liberté d’expression, ainsi qu’une information pluraliste et impartiale. L’instance prévue par la Constitution a vocation à remplacer l’actuelle instance, qui a élaboré des cahiers de charges à cet égard à l’intention des médias publics, privés et associatifs.

272.Le projet de loi relatif à l’Instance constitutionnelle a été élaboré et présenté à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), qui l’a soumis à son tour à la Commission parlementaire des droits et libertés pour examen, laquelle a procédé à l’audition des différentes parties concernées (société civile et syndicats) ainsi que des intervenants du secteur, qui ont demandé le retrait du projet de loi déposé par le Gouvernement et son remplacement par un nouveau projet de loi concerté (acteurs du secteur-Gouvernement) à soumettre à nouveau à l’ARP.

273.Simultanément, le projet de loi sur la communication audiovisuelle a été élaboré et soumis à l’examen de la Haute autorité de la communication audiovisuelle dans le cadre d’une commission mixte ; sachant que ladite Haute autorité, le syndicat national des journalistes tunisiens et certaines associations spécialisées appellent à ne pas rédiger deux textes, l’un concernant la future Instance constitutionnelle et l’autre relatif au secteur. Une série de consultations ouvertes a eu lieu en janvier et février 2018, en attendant l’élargissement de la base de consultation pour faire évoluer le projet.

274.En ce qui concerne les mesures visant à mettre fin au harcèlement des défenseurs des droits de l’homme, l’article 6 du décret-loi no188 portant organisation des associations dispose ce qui suit : « il est interdit aux autorités publiques d’entraver ou de ralentir l’activité des associations de manière directe ou indirecte ». De même, l’article 7 de ce texte dispose ce qui suit : « L’État prend toutes les mesures nécessaires garantissant à tout individu sa protection par les autorités compétentes contre toute violence, menace, vengeance, discrimination préjudiciable de fait ou de droit, pression ou toute autre mesure abusive suite à l’exercice légitime de ses droits prévus par le présent décret-loi. ». Le Ministère de la justice ne dispose pas de statistiques à cet égard.

13.Liberté d’association et de réunion (art. 21 et 22)

275.Les articles 35, 36 et 37 de la Constitution consacrent les libertés de réunion et de manifestation pacifiques, le droit d’association, le droit de grève et le droit de former des partis, des syndicats et des associations.

276.Le décret-loi no2011-88 portant organisation des associations a apporté des changements fondamentaux à la liberté de constituer des associations, en remplaçant le régime de l’autorisation par le régime de la déclaration et a adopté le système du contrôle a posteriori par le biais du recours à la justice. Ceci a conduit à l’augmentation du nombre des associations, qui sont passées de 8 000 à 22 076 entités entre 2010 et fin 2018, parmi lesquelles 364 associations de défense des droits de l’homme, qui ont vu le jour depuis 2011, contre 29 associations constituées dans ce domaine entre 1959 et 2010.

277.Toutefois, la création des associations se heurte à divers obstacles, notamment la complexité de la procédure concrète de constitution et le silence du décret-loi au sujet de certaines questions relatives à l’examen des dossiers de création, soulevant des problèmes juridiques au niveau pratique.

278.De nombreux dossiers de demande de constitution d’associations déposés auprès des structures concernées ne répondent pas aux exigences légales, tant au niveau de la forme que du fond, ce dont il résulte que la création d’une association dépend principalement des rectifications qu’il convient d’apporter aux dossiers dans les délais légaux et qui concernent souvent les modalités de transmission du dossier et les documents soumis, les objectifs de l’association ou l’irrespect des dispositions des articles 3 et 4 du décret-loi no88.

279.Dans le cadre de la diffusion de l’information et de la sensibilisation à la présentation de dossiers conformes aux conditions requises, deux jours par semaine ont été consacrés à l’accueil des personnes désirant former des associations au siège de la Direction générale des associations auprès du Secrétariat général du Gouvernement, afin de clarifier lesdites conditions. Depuis l’année dernière, une nouvelle expérience a été lancée pour permettre aux autorités de rencontrer les fondateurs d’associations, afin de leur permettre de remédier aux défaillances et de surmonter les difficultés.

280.Afin de se conformer aux dispositions de la Constitution, les services chargés des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme se sont employés à réviser le décret-loi no88 et à associer les composantes de la société civile à l’élaboration de la nouvelle loi. Toutefois, le rejet du projet a conduit au maintien du texte précédent, tout en s’employant à élaborer des projets de loi relatifs aux divers aspects suivants :

La création d’une plateforme électronique destinée à gérer les dossiers des associations, afin de simplifier les procédures de constitution de ces entités, de consacrer le principe de la transparence financière et de moderniser les mécanismes de gouvernance de l’administration et des associations ;

La révision de la question du financement public des associations, en vue d’assurer sa durabilité et d’asseoir le principe d’égalité entre toutes les structures associatives ;

La conception d’un régime juridique simplifié d’installation des organisations non gouvernementales internationales en Tunisie ;

La mise en place d’un régime juridique propre aux institutions d’intérêt public, afin de mieux les encadrer et de les distinguer juridiquement des autres catégories d’organisations. À cette fin, cinq consultations régionales ont été organisées dans l’ensemble de la République.

281.Jusqu’en 2017, les sanctions prononcées sur la base du décret-loi no88 se déclinent comme suit :

974 sanctions administratives (avertissements) prononcées par le Secrétaire général du Gouvernement (art. 45 du décret-loi no88), subdivisées en :

576 avertissements au titre d’infractions financières ;

198 avertissements en matière de sanctions relatives au terrorisme ou au blanchiment d’argent ;

200 avertissements concernant des sanctions relatives à des infractions ordinaires ;

279 sanctions judiciaires (suspensions d’activités) prononcées par le Président du tribunal de première instance de Tunis (sur demande du Chef du contentieux de l’État), sur la base du deuxième paragraphe de l’article 45 du décret précité, subdivisées en :

14 suspensions d’activités concernant des infractions financières ;

133 suspensions d’activités sanctionnant des infractions liées au terrorisme ou au blanchiment d’argent ;

132 suspensions d’activités au titre d’infractions ordinaires ;

152 dissolutions judiciaires, prononcées par le Président du tribunal de première instance de Tunis (sur demande du Chef du contentieux de l’État), sur la base du troisième paragraphe de l’article 45 du décret-loi précité, divisées en :

105 dissolutions judiciaires réprimant des infractions liées au terrorisme ou au blanchiment d’argent ;

47 dissolutions judiciaires sanctionnant des infractions ordinaires.

282.Concernant les allégations selon lesquelles certaines manifestations organisées en janvier 2018 auraient été réprimées violemment, il convient de noter qu’au cours des mouvements de protestation, divers actes de vandalisme (vols, pillages) ont été perpétrés, ciblant certaines institutions publiques, des magasins et des véhicules appartenant à des particuliers. Quarante-neuf agents des forces de l’ordre et plusieurs commissariats ont également été attaqués et 45 véhicules relevant des forces de sécurité ont été endommagés. Les différentes unités de sécurité ont fait preuve de retenue et ont agi conformément à la loi pour contenir les mouvements de protestation, les émeutes et l’anarchie. Les unités de sécurité ont arrêté 328 personnes impliquées dans des actes de vandalisme, d’atteinte aux biens publics et de vol, ce qui a abouti à les faire comparaître devant la justice. Entre le 9 et le 15janvier 2018, 34 inspections ont été effectuées auprès des différentes directions régionales de la sûreté nationale, dont les résultats ont montré que l’intervention des forces de l’ordre dans le cadre des différentes manifestations pacifiques et des émeutes avait eu lieu dans le respect de la loi et avec professionnalisme.

283.Face à la vague de manifestations, les mesures suivantes ont été adoptées :

L’organisation de quatresessions de discussion les 11, 16, 24janvier et 8février 2018 au siège du Ministère des droits de l’homme, auxquelles ont participé plusieurs acteurs de la société civile actifs au niveau central et régional, pour discuter de la situation, identifier les causes ayant provoqué la vague de protestation et proposer des solutions ;

La soumission de propositions au Gouvernement, concernant principalement l’ouverture d’un dialogue national durable entre les différents organismes publics et les associations actives dans leurs domaines respectifs, sous la forme de tables rondes régulières organisées tout au long de l’année, à l’issue desquelles un rapport semestriel faisant état des préoccupations les plus importantes desdites associations et des solutions proposées par le secteur, ainsi qu’une évaluation précise des mesures prises, a vocation à être rédigé par un comité pilote, puis adressé à la Présidence du Gouvernement.

284.Enfin, il convient de signaler la visite effectuée en Tunisie par le Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association du 17 au 28septembre 2018, dont la présentation des observations a été inscrite à l’ordre du jour de la quarante et unième session du Conseil des droits de l’homme.

14.Traitement des réfugiés, demandeurs d’asile et personnes déplacées (art.6, 7, 12, 13, 14, 24 et 26)

285.Selon la Constitution : « Le droit d’asile politique est garanti conformément aux dispositions de la loi, il est interdit d’extrader les personnes qui bénéficient de l’asile politique. » (art.26).

286.Bien qu’elle ait ratifié la Convention relative au statut des réfugiés et son Protocole additionnel depuis 1967, la Tunisie ne dispose pas encore d’un cadre juridique national régissant l’asile. Par conséquent, toutes les procédures et demandes d’asile sont examinées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) selon ses propres règles.

287.Le Gouvernement a élaboré un projet de loi sur l’asile qui prévoit la création d’une commission nationale chargée d’examiner les demandes d’asile. Ce projet est toujours en discussion avec les autres parties prenantes.

288.Néanmoins, au titre du respect de ses engagements internationaux, la Tunisie s’emploie à prendre en charge ces catégories de personnes, notamment les plus vulnérables d’entre elles, ainsi qu’à améliorer la qualité des prestations dispensées dans plusieurs camps de réfugiés implantés sur le territoire tunisien, en partenariat avec les organismes internationaux concernés, en attendant de trouver des solutions durables.

289.Faisant suite à une visite sur le terrain effectuée en mars 2019 auprès du centre d’hébergement des réfugiés et du foyer d’hébergement des migrants de la ville de Médenine par le Ministre chargé des relations avec les instances constitutionnelles et la société civile et des droits de l’homme, en vue de prendre connaissance des conditions d’accueil et d’hébergement, divers problèmes et carences ont été constatés, ce qui a conduit à la fermeture immédiate du centre et au transfert des migrants vers d’autres locaux, en coordination avec les organismes internationaux concernés. Cette question est actuellement à l’étude, en collaboration avec le HCR, l’OIM et un certain nombre d’organisations nationales et internationales compétentes.

15.Participation aux affaires publiques (art.25)

15.1Peines complémentaires, droit de vote et droit de se porter candidat

290.L’article 5 du Code pénal cite parmi les peines complémentaires l’interdiction d’exercer divers droits et privilèges, notamment le droit de vote, ce dont il résulte que le juge ne peut appliquer que les peines expressément prévues par la loi.

291.En outre, l’article 5 de la loi organique no2014-16 dispose ce qui suit : « est électeur tout(e) tunisienne ou tunisien, inscrit(e) au registre des électeurs, âgé(e) de 18ans révolus le jour précédant celui du scrutin, jouissant de ses droits civils et politiques et n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la présente loi ». Aux termes de l’article 49bis de la même loi : « a le droit de se porter candidat au mandat de membre de conseils municipaux ou régionaux tout électeur de nationalité tunisienne ... n’étant dans aucun cas d’incapacité prévu par la présente loi ».

292.Ce texte de loi prévoit des peines complémentaires obligatoires et d’autres facultatives.

293.Parmi les peines complémentaires obligatoires, l’article 163 de la loi dispose ce qui suit : « Sous réserve des dispositions de l’article 80, s’il est avéré pour la Cour des comptes que le candidat ou la liste de candidats a obtenu un financement étranger pour sa campagne électorale, elle l’oblige à payer une amende allant de 10 à 50 fois la valeur du financement étranger. Les membres de la liste ayant bénéficié d’un financement étranger perdent leur mandat au sein du conseil élu. Le candidat aux élections présidentielles ayant bénéficié d’un financement étranger est condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Quiconque, qu’il soit membre d’une liste ou candidat, aura été condamné pour avoir perçu un financement étranger pour sa campagne électorale, n’est plus éligible pendant cinq ans à compter de la date du prononcé du jugement de condamnation. ».

294.Concernant les peines complémentaires facultatives l’article 166 de la loi précitée dispose ce qui suit : « Outre les sanctions prévues aux articles susmentionnés, des peines complémentaires peuvent être prononcées, privant l’auteur de l’une des infractions électorales en vertu desquelles une peine d’emprisonnement d’un an ou plus a été prononcée à son encontre, de son droit de vote pendant une période de deux ans au minimum et de six ans au maximum. ».

15.2Efforts entrepris pour garantir la bonne tenue des élections de 2019

295.Créée par la loi organique no2012-32, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) est un organisme indépendant et permanent chargé d’assurer des élections et référendums démocratiques, libres, pluralistes, honnêtes et transparents (art.2). Elle dispose d’un pouvoir réglementaire dans le cadre de son domaine de compétence.

296.Conformément à ces dispositions, l’indépendance de l’Instance est garantie par la loi, qui ne la soumet à aucune autorité (exécutive ou législative), ses neuf membres étant indépendants, neutres, compétents et intègres, élus à une majorité renforcée (2/3) par l’Assemblée des représentants du peuple.

297.S’agissant de garantir la bonne tenue des prochaines échéances électorales, il convient de noter que les élections législatives et présidentielles de 2019 s’inscrivent pour la première fois depuis 2011 dans le cycle électoral défini par la Constitution. L’organisation de ces élections dans les délais impartis par la Constitution est donc une condition préalable à la stabilité de l’État et représente une consécration du droit de vote garanti par la Constitution et les instruments internationaux.

298.Malgré les obstacles entravant l’accomplissement de ses missions, l’Instance a pu, après le renouvellement d’un tiers de ses membres et l’élection d’un nouveau président le premier février 2019, exercer ses compétences et son autorité pour arrêter le calendrier des élections législatives et présidentielles, qui a été annoncé le 6mars 2019. Selon ce calendrier, la tenue des élections législatives a été prévue le 6octobre 2019 et les 4, 5 et 6octobre 2019 en ce qui concerne les Tunisiens à l’étranger. Quant au déroulement des élections présidentielles, il a été fixé au 17novembre 2019 et aux 15, 16 et 17novembre pour les Tunisiens à l’étranger.

299.Ces élections posent de nombreux défis, principalement liés à la mise à jour du registre des électeurs, afin que de nombreuses personnes puissent s’inscrire ; sachant que l’on compte actuellement 5 400 000 électeurs inscrits, tandis que le nombre d’électeurs non inscrits est estimé à 3 400 000 personnes et qu’il incombe à l’Instance de tenir à jour un registre complet, précis et actualisé des électeurs, afin que ces derniers puissent exercer leur droit de vote, son rôle consistant notamment à cibler tous les groupes d’électeurs et plus particulièrement ceux non encore inscrits, parmi lesquels une grande proportion de femmes et de jeunes. Pour relever ces défis, il importe également de renforcer la confiance envers le processus électoral et de sensibiliser les citoyens à l’importance des élections, compte tenu du faible taux de participation aux élections municipales de 2018 ; ainsi que de garantir la transparence et l’honnêteté du processus électoral.

15.3Dispositions législatives régissant et encadrant le calendrier électoral

300.L’article 3 de la loi organique no2012-32 dispose que l’Instance supérieure indépendante pour les élections est chargée de toutes les opérations liées à l’organisation, l’administration et la supervision des élections et référendums conformément à ladite loi et à la législation électorale. La loi organique no2014-16 énonce pour sa part que les listes électorales sont établies selon un calendrier défini par l’Instance (art.12) et fixe les délais de règlement des contentieux relatifs à l’inscription sur les listes électorales (art.14, 15, 16, 17 et 18). Elle prévoit en outre le dépôt des candidatures aux élections législatives conformément aux calendriers et procédures fixés par l’Instance (art.21), les délais d’examen des candidatures (art.26), les procédures de recours contre les candidatures (art.27), ainsi que le retrait des candidatures et le remplacement des candidats (art.32).

301.En ce qui concerne les élections présidentielles, les articles 46, 47, 48 et 49 de la même loi prévoient les procédures et les délais des recours, la proclamation des candidats retenus et les délais de traitement des cas de retrait ou de décès.

302.L’article 50 (nouveau) traite de l’organisation et du contrôle des campagnes électorales, l’article 101 aborde les délais de convocation des électeurs et les articles 145 et146 traitent la question des délais de proclamation des résultats et des recours prévus.

15.4Parité horizontale et verticale

303.L’article 49nonies de la loi organique no2017-7 dispose que les candidatures au mandat de membre des conseils municipaux et régionaux sont présentées sur la base du principe de parité entre hommes et femmes et de la règle de l’alternance entre eux sur la liste. Les listes qui ne respectent pas ces règles sont irrecevables. Les candidatures au mandat de membre des conseils municipaux et régionaux sont également présentées sur la base du principe de parité entre hommes et femmes à la tête des listes partisanes et des listes formées par des coalitions qui se présentent dans plus d’une circonscription électorale. En outre, aux termes de l’article 49sexies, la demande de candidature aux élections municipales et régionales est présentée à l’Instance par la tête de la liste candidate ou l’un de ses membres, conformément à un calendrier et à des procédures fixés par l’Instance.

304.Les dispositions de la loi organique no2018-29 du 9mai 2018 relative au Code des collectivités locales concrétisent pleinement le chapitre VII de la Constitution relatif aux collectivités locales, dans la mesure où ce texte comporte plusieurs dispositions consacrant les principes de parité (art. 44) et d’égalité entre les personnes, ainsi que celui de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (art.106). Ce cadre juridique est en harmonie avec l’indicateur 5.5 des ODD, dans la mesure où il veille à ce que les femmes participent à la vie publique et à la prise de décisions et qu’elles y accèdent sur un pied d’égalité.

15.5Représentation des femmes dans la vie publique et dans les postes de prise de décisions

305.Le pourcentage de femmes députées à l’Assemblée des représentants du peuple en Tunisie a connu une nette progression au cours des quatre dernières années, passant de 25 % en janvier 2012, au début du mandat de l’Assemblée nationale constituante, à 30,59 % en juin 2014, ce qui est imputable au mode d’établissement des listes de candidats, fondé sur la parité verticale. Le nombre de femmes membres de l’Assemblée nationale constituante a ainsi atteint 78 sur un total de 217 parlementaires. L’Assemblée des représentants du peuple élue en octobre 2014 comprenait 35,94 % de femmes parlementaires (78 députées sur un total de 216 parlementaires).

306.La proportion de femmes au sein du Gouvernement actuel (depuis le remaniement ministériel de novembre 2018) est de 10 % (4 femmes ministres et secrétaires d’État sur un total de 40 membres).

307.Le pourcentage de femmes dans la fonction publique représente 37 %, sachant que 35,8% d’entre elles occupent des emplois fonctionnels, contre 64,2% parmi les hommes ; ces postes étant répartis comme suit :

25% de femmes à la tête d’une direction générale ;

30,1% de femmes à la tête d’une direction ;

33,8% de femmes occupant un poste de sous-direction ;

40,2% de femmes chefs de service.

308.La présence des femmes dans le système judiciaire a également augmenté de manière significative et régulière entre 2010 et 2018, passant respectivement de 32,4 % à 43,12%. Entre 1986 et 2018, le pourcentage de magistrates a doublé, passant de 32 % à 68,5 %. Actuellement, la proportion de femmes auprès des tribunaux de l’ordre judiciaire est de 55 % (juges de premier grade), 23 % (juges de deuxième grade) et 22 % (juges de troisième grade). Néanmoins, la présence des magistrates aux postes de décision reste faible et l’on ne compte aucune femme occupant l’un des sept postes réservés aux magistrats de haut rang.

309.Auprès des juridictions administratives, le nombre de magistrates a nettement progressé, passant de 39 en 2010 à 61 en 2016.

310.Concernant les juridictions financières, le nombre de magistrates a également augmenté, passant de 30 en 2010 à 79 en 2016 (soit de 30 % à 45,14 %.)

311.Auprès des conseils de la magistrature, le nombre de femmes est passé de 5 (dont 4 étaient membres de l’Instance provisoire de la justice judiciaire) à 19 membres, parmi lesquelles 4 membres du Conseil supérieur de la magistrature (soit de 10,5 % à 42,2 %).

312.Des femmes militaires ont également été nommées à des postes de direction auprès de la justice militaire. Le poste de premier substitut du procureur général directeur de la justice militaire entre 2014 et 2016 était notamment occupé par une femme et une femme est titulaire depuis 2016 à ce jour du poste de procureur général, directeur de la justice militaire, qui est le plus haut grade du corps de la justice militaire. Elle a également été nommée attachée militaire dans une ambassade tunisienne à l’étranger et a occupé divers postes de commandement dans les forces armées.

313.En ce qui concerne la représentation des femmes dans les conseils municipaux, le nombre d’élues aux élections municipales était de 3 385 femmes, soit 47,05 %, contre 3809hommes, soit 52,95 % et 573 femmes tête de liste ont remporté un siège au Conseil municipal, soit 29,55 %.

314.L’annexe 30 indique le nombre de femmes employées dans le secteur privé en 2018.

15.6Mesures prises pour renforcer la participation de la femme à la vie publique

315.Il convient à cet égard de signaler l’adoption du Plan d’action national pour l’intégration du genre, qui a mis l’accent sur le renforcement de la participation des femmes à la vie politique et à la gestion des affaires publiques, ainsi que celle du Plan d’action national pour l’application de la résolution 1315 du Conseil de sécurité sur les femmes, la paix et la sécurité, qui consacre tout un chapitre à la participation des femmes à la vie politique, à la gestion des affaires publiques et à la prise de décision concernant le maintien de la paix, la prévention des conflits et la lutte contre le terrorisme.

316.Le Premier Ministre a édicté en avril une circulaire faisant obligation de proposer systématiquement un homme et une femme en ce qui concerne chaque poste gouvernemental, fonctionnel ou de responsabilité.

317.À la lumière de ces plans et stratégies, des indicateurs scientifiques ont pu être conçus grâce aux études sur les questions de genre, comme celle intitulée Présence des femmes dans la fonction publique et accès aux postes de décision en Tunisie réalisée par la présidence du Gouvernement, en collaboration avec l’Entité des Nations Unies pour l’égalité des sexes, ou encore les études menées par le Centre de recherches, d’études, de documentation et d’information sur la femme (CREDIF), étant précisé que des mécanismes pratiques ont également été mis en place en la matière, parmi lesquels :

Des outils de surveillance et de suivi des « femmes tunisiennes occupant des postes de responsabilité administrative dans le secteur public » ;

La création du Comité national pour la promotion de l’égalité des chances entre les hommes et les femmes dans la gestion des affaires locales ;

La mise en place de la base de données Tunisia Who is she qui a pour objectif de faire connaître les compétences féminines dans divers domaines et de renforcer davantage leur présence dans les médias.

318.Le Centre organise également régulièrement des séminaires et des ateliers de réflexion à l’intention de divers groupes de femmes et représentantes d’associations et de partis politiques, comme ceux organisés en mars 2018, afin de mieux faire connaître la gestion des affaires locales et d’accompagner les candidates aux élections municipales, en vue de renforcer leurs capacités en matière de mobilisation et de travail d’influence.