Nations Unies

CAT/C/VEN/CO/3-4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 décembre 2014

Français

Original: espagnol

Comité contre la torture

Observations finales concernant les troisième et quatrième rapports périodiques de la République bolivariennedu Venezuela, soumis en un seul document *

Le Comité contre la torture a examiné les troisième et quatrième rapports périodiques de la République bolivarienne du Venezuela, soumis en un seul document (CAT/C/VEN/3-4), à ses 1256e et 1259e séances (CAT/C/SR.1256 et 1259), les 6 et 7 novembre 2014, et a adopté à sa 1274e séance (CAT/C/SR.1274), le 19 novembre 2014, les observations finales ci-après.

Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction la soumission en un seul document des troisième et quatrième rapports périodiques de la République bolivarienne du Venezuela, mais regrette qu’ils aient été soumis avec huit ans de retard.

Le Comité prend note avec satisfaction des réponses écrites (CAT/C/VEN/Q/3-4/Add.1)à la liste de points (CAT/C/VEN/Q/3-4), ainsi que des informations complémentaires fournies pendant l’examen des rapports périodiques. Il se félicite également du dialogue qu’il a eu avec la délégation mais regrette que certaines des questions posées à l’État partie soient restées sans réponse.

Aspects positifs

Le Comité relève avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré:

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 23 septembre 2003;

b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 24septembre 2013.

Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption par l’État partie des mesures d’ordre législatif ci-après portant sur des domaines qui touchent à la Convention:

a)La promulgation de la loi spéciale du 4 juin 2013 visant à prévenir et à réprimer la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants (loi contre la torture);

b)L’adoption de la loi du 11 juin 2013 relative au désarmement et au contrôle des armes et des munitions;

c)La promulgation de la loi organique du 19 mars 2007 relative au droit des femmes à une vie sans violence;

d)L’adoption de la loi du 25 novembre 2011 portant sanction des crimes, disparitions, tortures et autres violations des droits de l’homme pour des motifs politiques pendant la période 1958-1998.

Le Comité salue également les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme et appliquer la Convention, et en particulier:

a)L’adoption du Plan national de prévention de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, en février 2014;

b)La création en septembre 2013 du Bureau national de lutte contre le crime organisé et le financement du terrorisme, chargé de prévenir et de combattre la traite des êtres humains;

c)La création en mars et octobre 2010 des tribunaux et des parquets spécialisés dans la violence à l’égard des femmes.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition du crime de torture

Le Comité observe que la définition du crime de torture donnée à l’article 17 de la loi contre la torture est lacunaire, car elle ne prend en considération que les cas où la victime est sous la garde d’un agent de la fonction publique. En vertu de cet article, les douleurs ou les souffrances infligées par un agent de la fonction publique ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ne sont pas considérées comme de la torture. Le fait pour des agents de la fonction publique d’inciter à commettre des actes de torture ou de consentir à la commission de tels actes n’est pas non plus considéré comme une forme de complicité ou de participation à des actes de torture (art. 1er et 4).

  Le Comité engage l ’ État partie à harmoniser l ’ article  17 de la loi contre la torture avec les dispositions de l ’ article premier de la Convention, afin d ’ inclure dans cet article les douleurs ou les souffrances infligées par des personnes agissant à titre officiel, ou à leur instigation, ou avec le consentement exprès ou tacite d ’ agents de la fonction publique, que les victimes soient ou non privées de liberté. À cet égard, le Comité rappelle son Observation générale n o 2 (2007) sur l ’ application de l ’ article  2 de la Convention par les États parties, dans laquelle il est dit que, si la définition de la torture en droit interne est trop éloignée de celle énoncée dans la Convention, le vide juridique réel ou potentiel qui en découle peut ouvrir la voie à l ’ impunité (CAT/C/GC/2, par.  9).

En outre, l ’ État partie doit veiller à ce que tout acte commis par un individu quel qu ’ il soit qui constitue une complicité ou une participation à un acte de torture soit incriminé comme tel et emporte des peines appropriées qui prennent en considération sa gravité.

Impunité

Le Comité prend note avec préoccupation des informations fournies par la délégation de l’État partie indiquant que, sur les 31 096 plaintes pour violation des droits de l’homme reçues entre 2011 et 2014, seulement 3,1 % ont donné lieu à une action du ministère public. Il regrette que les informations fournies ne comprennent pas de données officielles à jour sur les condamnations prononcées et les peines imposées pendant cette période. Cependant, selon les chiffres figurant à l’annexe des troisième et quatrième rapports périodiques soumis en un seul document, entre 2003 et 2011 seuls 12 agents de la fonction publique ont été sanctionnés pour avoir commis des actes de torture. Le Comité prend également note avec une vive préoccupation des informations indiquant que, souvent, le parquet n’ouvre pas d’enquête d’office si le détenu ne présente pas de signes évidents de lésions (art. 12 et 13).

Le Comité engage l ’ État partie:

a) À veiller à ce que les victimes puissent contacter immédiatement les organes judiciaires pour signaler des cas de torture et de mauvais traitements, et à assurer leur protection;

b) À veiller à ce que des enquêtes approfondies et impartiales soient ouvertes d ’ office, dans les meilleurs délais, sur les allégations d ’ actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents de la force publique après présentation des personnes détenues à un juge. Ces enquêtes devraient être placées sous la responsabilité d ’ un organe indépendant constitué de procureurs sélectionnés au moyen d ’ un concours public, et autonome dans ses décisions comme dans son fonctionnement;

c) À accélérer le processus de restructuration, d ’ épuration et de formation des forces de police et à veiller à ce que le ministère public ne confie les enquêtes sur les allégations de torture ou de mauvais traitements mettant en cause des agents des forces de l ’ ordre qu ’ à des enquêteurs indépendants;

d) À traduire en justice les personnes soupçonnées d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, si elles sont reconnues coupables, à veiller à ce que les peines prononcées soient à la mesure de la gravité des actes commis.

Détention arbitraire et garanties fondamentales

Le Comité prend note des chiffres fournis par le ministère public, qui indiquent que 3 306 personnes, dont 400 adolescents, ont été placées en détention entre février et juin 2014 lors des manifestations qui ont eu lieu pendant cette période. Il est préoccupé par les informations concordantes indiquant que de nombreuses arrestations étaient arbitraires, puisqu’il n’y avait ni mandat, ni flagrant délit, comme dans le cas des arrestations effectuées dans les immeubles voisins des lieux des manifestations. Le Comité note en outre que le Groupe de travail sur la détention arbitraire a indiqué que les détentions des opposants politiques Leopoldo López et Daniel Ceballos étaient arbitraires et que le Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a exprimé sa préoccupation concernant la détention arbitraire prolongée d’opposants politiques et de manifestants. Il est également préoccupé par les informations indiquant qu’une grande partie des détenus n’ont pas été informés des raisons de leur détention, n’ont pu s’entretenir avec un avocat en privé que quelques minutes avant l’audience et ont été transférés dans différents centres de détention sans que leurs proches ne soient informés de l’endroit où ils se trouvaient. En outre, dans certains cas, les détenus n’auraient pas reçu de soins médicaux avant l’audience, alors qu’ils présentaient des signes évidents de violence (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait adopter sans attendre des mesures effectives pour restreindre les arrestations en flagrant délit au moment précis de la commission de l ’ infraction et pour que, conformément aux recommandations du Groupe de travail sur la détention arbitraire, Leopoldo López et Daniel Ceballos soient immédiatement libérés, de même que toutes les personnes détenues arbitrairement pour avoir exercé leur droit à la liberté d ’ expression et leur droit de participer à des manifestations pacifiques . Il devrait également garantir la jouissance, dès le début de la privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales, notamment en prenant les mesures suivantes :

a) En renforçant les procédures garantissant que les détenus font l ’ objet d ’ un examen médical confidentiel et indépendant dès leur arrivée au centre de détention et en veillant à ce qu ’ ils reçoivent rapidement des soins médicaux adéquats, en toute confidentialité, quand ils en font la demande;

b) En veillant à ce que les détenus aient accès sans restriction à un avocat commis d ’ office ou à un avocat de leur choix, y compris dans le cadre d ’ une consultation privée;

c) En veillant à ce que les détenus soient informés des raisons de leur détention et à ce qu ’ ils aient le droit de communiquer avec leurs proches;

d) En garantissant que les détenus sont rapidement présentés à un juge, dans un délai de quarante-huit heures, comme l ’ exige l ’ article  44 , paragraphe  1 de la Constitution de l ’ État partie;

e) En garantissant le droit de faire immédiatement recours pour contester la légalité de la détention;

f) En vérifiant de manière systématique que les agents de la fonction publique respectent les garanties juridiques et en sanctionnant comme il se doit ceux qui ne les respectent pas, ainsi que les personnes responsables de détentions arbitraires.

Actes de torture et mauvais traitements infligés aux personnes arrêtéespendant les manifestations

Le Comité est alarmé par les informations concordantes qui indiquent que des actes de torture et des mauvais traitements ont été infligés à des personnes arrêtées dans le cadre des manifestations qui se sont déroulées entre février et juillet 2014. Ces actes auraient consisté en des coups, des décharges électriques, des brûlures, des tentatives d’étouffement, des viols et des menaces, et étaient apparemment motivés par la volonté de détruire des preuves des agissements des forces de sécurité, d’obtenir des renseignements, de punir ou d’obtenir des aveux, ou par la discrimination sexiste. Le Comité observe que, sur les 185 enquêtes menées par le ministère public pour traitement cruel, cinq seulement ont abouti à une action en justice, et les deux enquêtes sur des actes de torture sont toujours en cours. Le Comité note avec préoccupation que, d’après les informations reçues, une grande partie des victimes n’auraient pas porté plainte par peur de représailles et que certaines des victimes qui ont porté plainte ont reçu des menaces (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie doit:

a) Veiller à ce que toutes les plaintes de détenus et tous les actes de torture ou mauvais traitements infligés à des détenus fassent rapidement l ’ objet d ’ enquêtes approfondies et indépendantes, y compris sur les actes des agents de l ’ État qui savaient ou auraient dû savoir que des mauvais traitements étaient infligés , et qui ne les ont ni empêchés ni signalés;

b) Veiller à ce que les suspects soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant toute la durée de l ’ enquête, sous réserve du respect du principe de la présomption d ’ innocence;

c) Garantir la protection des plaignants et tenir ceux-ci dûment informés de la suite donnée à leur plainte et de l ’ avancement de la procédure ;

d) Exiger de tous les agents de l ’ État qu ’ ils signalent les cas de torture ou de mauvais traitements dont ils ont connaissance, conformément à l ’ article  31 de la loi contre la torture, et adopter des mesures de protection pour garantir la sécurité des agents qui font ces signalements ainsi que la confidentialité des informations y relatives ;

e) Traduire en justice les auteurs présumés d ’ actes de torture ou de mauvais traitements et, s ’ ils sont reconnus coupables, veiller à ce que les peines infligées soient à la mesure de la gravité de leurs actes. Le Comité appelle l ’ attention sur le paragraphe  10 de son Observation générale n o 2 (2007), dans lequel il souligne que le fait d ’ engager des poursuites pour mauvais traitements seulement lorsqu ’ il existe des éléments constitutifs de torture serait une violation de la Convention.

Utilisation du Protocole d’Istanbul dans le cadre des enquêtes

Le Comité prend note des explications de la délégation de l’État partie, qui a indiqué que les médecins légistes respectent les dispositions du Protocole d’Istanbul. Il est toutefois préoccupé par les informations indiquant que, souvent, les rapports médico-légaux ne contiennent pas de description détaillée des lésions constatées ni d’analyse de ces lésions. Il est également préoccupé par les informations indiquant que ces examens ne seraient pas pratiqués dans tous les cas, ou le seraient après plusieurs jours ou en présence d’agents des forces de l’ordre ou des procureurs. En outre, le Comité note avec préoccupation que, selon des informations concordantes, dans plusieurs cas le détenu n’aurait pas obtenu de copie du compte rendu de l’examen médico-légal (art. 12 et 13).

L ’ État partie doit:

a) Veiller à ce que les examens médico-légaux soient exhaustifs et réalisés dans le respect de la confidentialité et de la vie privée;

b) Veiller à ce que, pour leurs évaluations, les médecins légistes utilisent des formulaires reprenant le contenu de l ’ annexe IV du Protocole d ’ Istanbul qui contiennent une analyse des résultats;

c ) Apporter à la législation les modifications voulues pour donner entière valeur probante aux rapports des médecins légistes indépendants;

d ) Veiller à ce que toutes les personnes en détention qui demandent à être examinées par un médecin indépendant ou un médecin légiste reçoivent copie de la requête et du rapport médical;

e ) Renforcer la formation à la Convention et au Protocole d ’ Istanbul non seulement à l ’ intention des médecins légistes mais aussi du personnel médical, des policiers, des procureurs, du personnel pénitentiaire et des agents de l ’ immigration qui s ’ occupent des enquêtes ou du traitement des détenus.

Usage excessif de la force dans le cadre du contrôle des manifestations

Le Comité note avec préoccupation que 43 personnes sont décédées dans le cadre des manifestations qui ont eu lieu entre février et juin 2014, et 878 ont été blessées; 68 % d’entre elles étaient des civils. D’après les chiffres fournis par la délégation de l’État partie, 242 plaintes concernant des actes commis par des agents de sécurité de l’État ont été enregistrées et 15 personnes ont été poursuivies. Le Comité est néanmoins préoccupé par le décalage entre ces chiffres et ceux fournis dans les réponses à la liste de points par le Bureau du Défenseur du peuple, qui évoque 558 enquêtes sur des affaires mettant en cause des policiers pour usage excessif de la force. Le Comité est également préoccupé par les informations concordantes faisant état d’un usage excessif des armes à feu et du matériel antiémeutes contre des manifestants ainsi que dans des zones résidentielles. Il prend également note avec préoccupation de la participation de militaires, comme la Garde civile bolivarienne, au contrôle des manifestations, bien que celle-ci ne soit pas chargée de maintenir l’ordre public et que ni l’état d’exception ni l’état d’urgence n’aient été déclarés, et relève que 121 plaintes ont été déposées contre des membres de la Garde civile bolivarienne pour usage excessif de la force dans l’exercice de leurs fonctions au cours de cette période (art. 12, 13 et 16).

L ’ État partie doit:

a) Accélérer les enquêtes et les poursuites dans ces affaires, imposer des peines appropriées à tout agent de l ’ État reconnu coupable de tels actes, et offrir aux victimes une réparation adéquate;

b) Renforcer les programmes de formation destinés aux agents des forces de l ’ ordre portant sur l ’ interdiction absolue de la torture et sur les normes internationales relatives à l ’ usage de la force, ainsi que sur la responsabilité en cas d ’ usage excessif de la force;

c) Veiller à ce que les organes chargés de la sécurité publique soient des organes civils, comme le prévoit l ’ article  332 de la Constitution de l ’ État partie, et modifier les dispositions légales, les lois et les plans qui autorisent la participation de l ’ armée au maintien de l ’ ordre public, sauf dans les situations extraordinaires, comme l ’ état d ’ urgence, dans lesquelles les capacités des forces de police ne suffiraient pas.

Agissements des groupes armés progouvernementaux: complicité et assentimentdes forces de l’ordre

Le Comité est préoccupé par les rapports qui font état de 437 agressions de manifestants par des groupes armés progouvernementaux pendant les manifestations qui ont eu lieu entre février et avril 2014. Selon des sources concordantes, une grande partie de ces agressions se sont déroulées avec la complicité et l’assentiment des forces de l’ordre et restent impunies. Le Comité regrette de ne pas avoir reçu de l’État partie les informations demandées dans la liste de points à traiter au sujet des enquêtes menées et des peines appliquées en relation avec les agressions commises par ces groupes (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie doit:

a) Mener rapidement des enquêtes exhaustives et impartiales sur toutes les agressions commises par des groupes armés progouvernementaux pendant les manifestations et traduire en justice leurs auteurs ainsi que les agents de l ’ État qui ont été complices de ces actes ou y ont consenti et, s ’ ils sont reconnus coupables, les condamner à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

b) Élaborer d ’ urgence des stratégies efficaces en vue du désarmement, du contrôle et du démantèlement des groupes civils armés;

c) Réserver les activités de contrôle de la sécurité interne à une force de police civile, dûment entraînée, respectueuse des normes internationales en la matière et disposant de ressources suffisantes pour s ’ acquitter de ses fonctions.

Agressions contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme

Le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles 259cas d’agressions, de menaces, d’intimidations et de harcèlement de journalistes se sont produits entre janvier et avril 2014. Il est également vivement préoccupé par le nombre élevé d’agressions et d’intimidations visant des défenseurs des droits de l’homme qui demeurent impunies. À cet égard, il regrette de ne pas disposer de données statistiques sur le nombre de plaintes déposées et de condamnations prononcées en rapport avec des menaces et des agressions de journalistes et de défenseurs des droits de l’homme et sur les mesures prises pour prévenir de tels actes. Il exprime aussi sa profonde préoccupation face aux informations relatives au dénigrement public de défenseurs des droits de l’homme par de hauts responsables du Gouvernement, même après le dialogue avec le Comité, notamment les propos tenus contre Carlos Correa, Humberto Prado et Marino Alvarado par le Président de l’Assemblée nationale citant des renseignements fournis par des «patriotes coopérants». Ces propos dénigrants augmentent le risque, pour les défenseurs des droits de l’homme, d’être exposés aux actes d’intimidation de groupes violents progouvernementaux (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à ne pas dénigrer l ’ action menée par les défenseurs des droits de l ’ homme et à reconnaître publiquement que ceux-ci, ainsi que les journalistes, contribuent de manière essentiel le au respect des obligations qui découlent de la Convention, et l ’ engage à:

a) Redoubler d ’ efforts pour garantir la protection efficace des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes face aux menaces et aux actes de violence auxquels pourraient les exposer leurs activités;

b) Veiller à ce que toutes les menaces et agressions commises contre des défenseurs des droits de l ’ homme et des journalistes fassent l ’ objet d ’ enquêtes promptes , approfondies et efficaces, et à ce que les auteurs de telles infractions soient dûment jugés et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

c) Veiller à ce que nul individu ou groupe ne soit menacé , soumis à des violences physiques ou autres, ou discrédité publiquement au motif qu ’ il fournit des informations au Comité contre la torture ou à d ’ autres organes des droits de l ’ homme de l ’ ONU dans l ’ accomplissement de leur mandat respectif.

Exécutions extrajudiciaires

Le Comité est consterné par les informations qui témoignent de l’ampleur des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des groupes policiers ou parapoliciers et note que, d’après les réponses à la liste de points, 667homicides ont été commis par des agents des forces de l’ordre en 2012 et 600 en 2013. Certaines des exécutions dénoncées se sont produites alors que des mesures de protection avaient été prises en faveur des victimes, comme dans le cas de 8 des 10 membres de la famille Barrios qui ont été tués (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie doit prendre des mesures d ’ urgence pour mettre fin à ces crimes et s ’ acquitter pleinement de son obligation de faire en sorte que des enquêtes approfondies et impartiales soient menées dans les meilleurs délais sur les exécutions extrajudiciaires et que les auteurs soient traduits en justice et, s ’ ils sont reconnus coupables, dûment punis.

Indépendance du pouvoir judiciaire

Le Comité est vivement préoccupé par le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir exécutif, qui se dégage clairement de l’affaire de la juge María Lourdes Afiuni qui, après avoir ordonné la libération conditionnelle d’un détenu dont la détention avait dépassé la durée maximale légale et avait été jugée arbitraire par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, a été incarcérée après que le pouvoir exécutif avait publiquement requis contre elle une peine de trente ans de prison. Le Comité relève que la juge est restée en détention provisoire pendant plus d’un an dans des conditions qui menaçaient sa santé et sa sécurité et prend note avec la plus vive préoccupation des informations selon lesquelles elle a été agressée sexuellement par un agent de l’État pendant sa détention. Bien qu’il s’agisse d’un crime passible de poursuites d’office, le Comité regrette qu’aucune enquête n’ait à ce jour été ouverte. Le Comité observe aussi avec préoccupation que la stabilité des juges dans leurs fonctions n’est pas garantie, puisque 62 % des juges exercent au titre d’une nomination provisoire, et peuvent être librement nommés ou révoqués. Le Comité est préoccupé par le fait que le procès de la juge Afiuni et la révocation de juges provisoires, apparemment au motif qu’ils avaient rendu des décisions défavorables au Gouvernement, ont eu un effet négatif sur l’indépendance des autres juges et ont sapé les garanties propres à l’état de droit nécessaires pour la protection efficace contre la torture (art. 2, 12 et 13).

L ’ État partie doit :

a) Procéder d ’ office et sans délai à une enquête approfondie et impartiale sur les allégations relatives à la torture et aux mauvais traitements, y compris l ’ agression sexuelle, que María Lourdes Afiuni aurait subis pendant sa détention à l ’ Institut national d ’ orientation pour femmes ;

b) Garantir un jugement juste et indépendant à M me Afiuni et lui octroyer l ’ indemnisation voulue pour les dommages physiques et psychologiques qu ’ elle a subis pendant sa détention ;

c) Respecter le principe de la présomption d ’ innocence et ne pas accomplir d ’ actes ni faire de déclarations publiques susceptibles d ’ influer négativement sur l ’ indépendance du pouvoir judiciaire;

d) A dopter d ’ urgence des mesures visant à assurer la pleine indépendance et l ’ inamovibilité des juges, conformément aux normes internationales en la matière. Concrètement, l ’ État doit o rganiser dans les meilleurs délais des concours publics pour l ’ accès à la magistrature, gérés par des autorités indépendantes, supprimer le régime de nomination provisoire des juges et g arantir la stabilité et l ’ indépendance des juges provisoires actuels .

Violences sexistes

Le Comité est préoccupé par le fait que, en dépit de l’augmentation progressive du nombre de cas de violence à l’égard des femmes, en particulier des féminicides, et malgré le nombre élevé de plaintes déposées, le pourcentage d’accusations présentées par le ministère public est faible et l’application des mesures de protection insuffisante. Le Comité note également avec préoccupation qu’il y a peu de centres d’hébergement et que les informations sur l’assistance et les mesures de réparation complète octroyées aux victimes font défaut (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Le Comité engage vivement l ’ État partie à:

a) Faire en sorte que tous les actes de violence commis contre des femmes fassent l ’ objet d ’ enquêtes diligentes, efficaces et impartiales et que leurs auteurs soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes;

b ) Renforcer et étendre les tribunaux spécialisés dans la violence à l ’ égard des femme s à tous les É tats du pays;

c ) Garantir aux victimes un accès prompt à des mesures de protection, à l ’ assistance gratuite d ’ un avocat et à une réparation appropriée, ainsi qu ’ à des centres d ’ hébergement dans tous les É tats du pays;

d) In corporer l ’ incrimination de féminicide dans la législation et garantir son application pleine et efficace, en affectant l es ressources nécessaires à cette fin et en adoptant une réglementation et un plan national qui renforcent la loi;

e) Renforcer les actions de sensibilisation et d ’ éducation sur la question de la violence sexiste, tant à l ’ intention des fonctionnaires en contact direct avec les victimes qu ’ à cell e de l ’ ensemble de la population.

Conditions de détention

Le Comité prend note des informations fournies par l’État après le dialogue, selon lesquelles la population carcérale s’élèverait actuellement à 50 721 détenus, pour une capacité de 51 127 places, de sorte qu’il n’y aurait pas de surpopulation carcérale dans le pays. Il constate avec préoccupation l’écart considérable entre ces chiffres et ceux fournis dans d’autres rapports, selon lesquels la surpopulation carcérale était de 190 % au premier trimestre 2014. Il est également préoccupé par la proportion élevée de détenus en attente de jugement (65,71 %) et regrette de ne pas avoir reçu les données officielles demandées concernant le nombre de personnes détenues dans les postes de police qui, selon les rapports qu’il a reçus, serait supérieur à 13 000 personnes. Le Comité est aussi préoccupé par le décalage entre les informations reçues, qui dénoncent des déficiences au niveau des soins médicaux, de l’approvisionnement en eau et en nourriture, de l’assainissement et de la ventilation des cellules, et les informations officielles selon lesquelles les conditions sont satisfaisantes. Le Comité prend également note avec préoccupation des informations, réfutées par l’État partie, selon lesquelles les opposants politiques Leopoldo López, Enzo Scarano, Daniel Ceballos et Salvatore Lucchese auraient été maintenus en régime cellulaire pendant des mois et Enzo Scarano aurait été battu (art. 2, 11 et 16).

Le Comité exhorte l ’ État partie à publier des données officielles et ventilées par lieu de détention sur la capacité d ’ accueil , y compris dans les locaux de la police , par rapport à la population carcérale. Il l ’ engage également à autoriser sans délai une visite du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que l ’ accès des organisations non gouvernementales à tous les lieux de privation de liberté, afin que ceux-ci puissent vérifier les progrès mentionnés par l ’ État. L ’ État doit aussi:

a) Garantir que les allégations dénonçant des actes contraires à la Convention commis à l ’ égard d ’ opposants politiques pendant leur détention fassent dûment l ’ objet d ’ enquêtes et que les auteurs de tels actes soient punis;

b) Veiller à ce que la réclusion en régime cellulaire ne soit utilisée que comme mesure de dernier recours, pendant la période la plus brève possible et dans des conditions strictes de surveillance et de suivi judiciaire ;

c) Adapter les conditions de détention des locaux de la police aux normes internationales relatives aux droits de l ’ homme;

d) Renforcer d ’ urgence les ressources destinées à la fourniture d ’ eau et de nourriture, à l ’ assainissement, ainsi qu ’ aux soins médicaux et sanitaires des détenus de tous les établissements pénitentiaires et locaux de détention de la police de l ’ État partie;

e) Adopter les modifications législatives nécessaires pour faciliter et encourager l ’ application des peines de substitution à l ’ emprisonnement , conformément aux dispositions des Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok);

f ) Renforcer d ’ urgence les plans d ’ action existants pour réduire l ’ arriéré judiciaire, en dotant ces plans des ressources suffisantes .

Violence dans les établissements pénitentiaires

Le Comité est préoccupé par l’incidence élevée de la violence dans les établissements pénitentiaires, où l’on a enregistré 4 791 morts et 9 931 blessés depuis janvier 2004. Il constate, à ce sujet, qu’officiellement, 140 personnes sont décédées en détention en 2014, alors que l’État a expliqué que le nouveau régime pénitentiaire était parvenu à éliminer la violence. Il prend note avec une vive préoccupation du nombre élevé d’affrontements violents enregistrés pendant la période considérée, tant entre détenus que, semble-t-il, entre les détenus et les autorités chargées de reprendre le contrôle des lieux, comme dans l’établissement pénitentiaire de la région du Centre-Ouest (prison d’Uribana), et regrette que la procédure ouverte au sujet de tous ces affrontements en soit encore au stade de l’enquête. Il note également avec préoccupation que les détenus sont contraints de suivre un entraînement militaire («ordre fermé») et que des femmes venues rendre visite à des détenus auraient été soumises à des fouilles des cavités corporelles (art. 2, 11 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Continuer de tout mettre en œuvre pour prévenir la violence entre détenus et éliminer la détention d ’ armes dans tous les établissements pénitentiaires;

b) Mener sans attendre des enquêtes approfondies et impartiales sur tous les actes de violence commis dans les établissements pénitentiaires, et évaluer la responsabilité éventuelle d ’ agents des forces de l ’ ordre et de fonctionnaires de ce s établissements dans les affaires de trafic d ’ armes pendant les opérations visant à r eprend r e le contrôle de certains établissements ou dans des affaires de connivence. Le cas échéant, l ’ État doit dûment punir les coupables et offrir la réparation voulue aux proches des victimes;

c) Garantir l ’ application efficace du système de contrôle et de sécurité à distance, en veillant à ce que les registres soient tenus de la manière la moins intrusive et la plus respectueuse possible de l ’ intégrité des intéressés;

d) Renoncer à l ’ entraînement militaire des détenus et augmenter les activités destinées à leur réinsertion sociale.

Bureau du Défenseur du peuple et Commission nationale de prévention de la torture

Le Comité regrette l’absence d’informations sur l’aboutissement de 48 % des plaintes déposées pour actes de torture ou mauvais traitements que le Bureau du Défenseur du peuple a reçues et traitées entre 2002 et 2014, ainsi que sur le résultat des visites qu’il a effectuées dans les centres de détention. Le Comité constate avec préoccupation que le Bureau semble ne pas présenter le niveau d’indépendance requis pour exercer les fonctions d’institution nationale responsable des enquêtes sur les allégations de torture et de mauvais traitements. Il est également préoccupé par le fait que 6 des 13 membres de la Commission nationale de prévention de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, désignée par la loi contre la torture en tant que mécanisme de prévention, sont liés au pouvoir exécutif. Étant donné que les plaintes que la Commission reçoit sont confidentielles et que ses recommandations sont destinées au Gouvernement, la présence de membres de l’exécutif compromet son indépendance (art. 2, 11 et 16).

L ’ État partie doit prendre des mesures efficaces pour que le Bureau du Défenseur du peuple soit, dans la pratique, un organe fonctionnel et indépendant, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l ’ homme (Principes de Paris). Il doit également garantir la totale indépendance des membres de la Commission nationale de prévention de la torture par rapport au pouvoir exécutif, qui exerce les fonctions de mécanisme national de prévention, conformément aux «Directives relatives aux mécanismes nationaux de prévention» établies par le Sous-Comité pour la prévention de la torture. Conformément à l ’ engagement pris pendant le dialogue, l ’ État partie est instamment invité à accélérer l e processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Réparation

Le Comité accueille avec satisfaction le fait que le Plan national de prévention de la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants comporte un volet consacré à la défense des victimes. Le Comité regrette néanmoins qu’il n’ait toujours pas été élaboré de programme de réadaptation des victimes, comme le prévoit l’article 10 de la loi contre la torture. Il est en outre préoccupé par le manque de données officielles sur le nombre de victimes de la torture qui ont bénéficié d’une réparation et d’une indemnisation adéquates (art. 14).

L ’ État partie doit intensifier l ’ action qu ’ il mène pour assurer une assistance médicale, psychologique et sociale à toutes les victimes d ’ actes d e torture et de mauvais traitements et à leurs proches, par le biais des services du système de santé publique de l ’ État. Il doit aussi assurer une réparation diligente aux victimes d ’ actes d e torture et de mauvais traitements comprenant une indemnisation juste et appropriée.

Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les autres instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie: Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Il l’invite par ailleurs instamment à réexaminer la possibilité de retirer sa dénonciation de la Convention américaine relative aux droits de l’homme.

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, le 28 novembre 2015 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux articles 8 b) et d), 9 et 10 a) et e) du présent document, l’engageant à: a) offrir aux personnes privées de liberté les garanties nécessaires ou les renforcer; b) mener des enquêtes diligentes, impartiales et efficaces sur toutes les allégations de torture, de mauvais traitements et d’usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre et les groupes armés progouvernementaux; et c) poursuivre les personnes soupçonnées d’actes de torture et de mauvais traitements et punir les responsables.

Le Comité invite l’État partie à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le cinquième, le 28 novembre 2018 au plus tard. À cette fin, il invite l’État partie à accepter la procédure facultative pour l’établissement des rapports, en vertu de laquelle le Comité transmet à l’État partie une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport. Les réponses de l’État partie à la liste des points à traiter tiennent lieu de rapport périodique en vertu de l’article 19 de la Convention.