Comité des droits de l’homme
Observations finales concernant le rapport initial du Qatar *
1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le rapport initial du Qatar à ses 3837e et 3838e séances, les 28 février et 1er mars 2022. À sa 3866e séance, le 21 mars 2022, il a adopté les observations finales ci-après.
A.Introduction
2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial du Qatar et les renseignements qui y sont donnés. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites apportées à la liste de points, qui ont été complétées oralement par la délégation.
B.Aspects positifs
3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives et autres ci-après :
a)Le décret-loi no 19 de 2020, portant modification des dispositions de la loi no 21 de 2015 sur l’entrée, la sortie et le séjour des étrangers ;
b)Le décret-loi no 18 de 2020, portant modification de certaines dispositions du Code du travail (loi no 14 de 2004) afin de punir plus sévèrement le non-respect du système de protection des salaires ;
c)La loi no 17 de 2020 sur le salaire minimum ;
d)Le décret ministériel no 95 de 2019, qui prévoit que plusieurs catégories de travailleurs, dont les travailleurs domestiques, peuvent quitter le pays sans autorisation de sortie ;
e)La loi no 11 de 2018 sur l’asile politique.
C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations
Application du Pacte au niveau national
4.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles le Pacte fait partie intégrante du droit interne, se situe au même niveau que les lois et juste après la Constitution dans la hiérarchie des normes et a été directement invoqué dans une affaire portée devant les tribunaux nationaux. Néanmoins, il constate avec préoccupation que la charia prime les instruments internationaux, y compris le Pacte, et s’inquiète de la manière dont un éventuel conflit entre la charia, les lois nationales et les garanties découlant du Pacte serait réglé. En outre, il regrette de ne pas avoir reçu de renseignements précis sur la manière dont les particuliers peuvent invoquer les dispositions du Pacte devant les tribunaux nationaux et dans les procédures administratives ni d’exemples de l’application des dispositions du Pacte par les tribunaux nationaux (art. 2).
5.L’État partie devrait donner pleinement effet au Pacte dans son droit interne et veiller à ce que ses lois, y compris celles qui reposent sur la charia, soient interprétées et appliquées conformément aux obligations découlant de cet instrument. Il devrait également faire mieux connaître le Pacte auprès des juges, des procureurs et des avocats et faire en sorte que ceux-ci sachent comment cet instrument est applicable en droit interne afin que ses dispositions soient prises en considération par les tribunaux. Il devrait en outre envisager d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui établit un mécanisme d’examen des plaintes émanant de particuliers.
Réserves et déclarations
6.Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie maintient les réserves formulées à l’égard des articles 3 et 23 (par. 4) et les déclarations formulées à l’égard des articles 7, 18 (par. 2), 22, 23 (par. 2) et 27 du Pacte. S’il note que l’État partie dit réexaminer régulièrement les réserves en question, il juge préoccupant que celui-ci ne précise pas quand les futurs réexamens, ou les modifications, auront lieu, ni si toutes les réserves et déclarations seront retirées. Il est particulièrement préoccupé par la réserve relative à l’article 23 (par. 4), qui, selon l’État partie, est contraire à la charia, et par les déclarations concernant les articles 7, 18 (par. 2) et 23 (par. 2), dont l’État partie estime qu’ils doivent être interprétés et appliqués conformément à la charia (art. 2).
7. L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour retirer les réserves et déclarations formulées à l’égard de certains articles du Pacte afin de garantir l’application pleine et effective de cet instrument.
Institution nationale pour la promotion et la protection des droits de l’homme
8.Le Comité se félicite que, en 2021, la Commission nationale des droits de l’homme ait de nouveau été accréditée avec le statut « A » par l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme. Toutefois, il est préoccupé par les informations − émanant entre autres de cette Alliance − selon lesquelles la nomination, la désignation et la révocation des membres de la Commission sont soumises à l’approbation de l’Émir, ainsi que par l’absence de dispositions légales régissant véritablement la procédure et les critères de nomination et de révocation des intéressés, malgré les mesures adoptées par l’État partie, notamment la loi no 12 de 2015 visant à préserver l’indépendance et l’immunité fonctionnelle des membres de la Commission (art. 2).
9. L’État partie devrait continuer sur la voie dans laquelle il s’est engagé pour que la Commission nationale des droits de l’homme soit pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris) et puisse s’acquitter de son mandat pleinement, efficacement et en toute indépendance, et devrait notamment encourager le pluralisme et la diversité parmi les membres et le personnel de cette institution.
Mesures de lutte contre le terrorisme
10.Le Comité est préoccupé par la législation antiterroriste de l’État partie, en particulier par l’article 23 de la loi sur la lutte contre le terrorisme (loi no 3 de 2004, modifiée par la loi no 27 de 2019), l’article 7 de la loi portant création de l’appareil de sécurité de l’État (loi no 5 de 2003, modifiée par la loi no 10 de 2008) et l’article 2 de la loi sur la protection de la société (loi no 17 de 2002), qui autorisent le placement en détention provisoire de longue durée sans véritable contrôle judiciaire. Il prend note des informations fournies par l’État partie concernant le nombre de personnes arrêtées sur le fondement de la loi sur la protection de la société, mais regrette de n’avoir pas reçu de renseignements sur le nombre de personnes arrêtées pour avoir enfreint la loi sur la lutte contre le terrorisme et à la loi portant création de l’appareil de sécurité de l’État. Il regrette également de ne pas s’être vu communiquer de renseignements sur la durée moyenne de la détention provisoire imposée en cas d’infraction à ces trois lois (art. 2, 9 et 14).
11. L’État partie devrait mettre sa législation antiterroriste, en particulier les dispositions qui autorisent la détention provisoire de longue durée sans véritable contrôle judiciaire, en pleine conformité avec le Pacte et avec les principes de proportionnalité et de sécurité juridique, y compris l’exigence de prévisibilité. Il devrait également veiller à ce que les personnes soupçonnées ou accusées d’infractions terroristes ou d’infractions connexes bénéficient, en droit et dans la pratique, de toutes les garanties procédurales appropriées, conformément au Pacte.
Cadre relatif à la non-discrimination
12.Le Comité note que l’article 18 de la Constitution consacre le principe de l’égalité et que l’article 35 interdit la discrimination fondée sur le sexe, la race, la langue ou la religion, mais constate avec préoccupation que la législation existante ne protège pas complètement contre la discrimination en ce qu’elle ne couvre pas tous les motifs énoncés dans le Pacte, notamment l’orientation sexuelle et l’identité de genre. En outre, il est préoccupé par le fait que la loi prive les Qatariens naturalisés de certains droits, notamment certains droits politiques, accordés aux Qatariens de naissance (art. 2 et 26).
13. L’État partie devrait faire le nécessaire pour que sa législation interdise la discrimination pour tous les motifs énumérés dans le Pacte, y compris l’orientation sexuelle et l’identité de genre. En outre, il devrait garantir aux Qatariens naturalisés tous les droits garantis aux Qatariens de naissance.
Égalité des genres
14.S’il se félicite des mesures qui ont été prises pour promouvoir l’égalité des sexes, le Comité constate avec préoccupation que les stéréotypes patriarcaux concernant le rôle des hommes et des femmes dans la famille et dans la société existent toujours. Il constate avec préoccupation que, nonobstant les informations fournies par l’État partie, les femmes sont sous-représentées parmi les travailleurs du secteur formel, tant dans le privé que dans le public, y compris dans les organes exécutifs et législatifs et en particulier aux postes de décision. En outre, il juge préoccupant que, selon la loi sur la nationalité (loi no 38 de 2005), contrairement aux hommes, les femmes ne peuvent pas transmettre la nationalité qatarienne à leurs enfants et à leurs conjoints étrangers (art. 2, 3, 25 et 26).
15.L’État partie devrait :
a) Renforcer les mesures prises pour garantir l ’ égalité des sexes et élaborer des stratégies de lutte contre les comportements et stéréotypes patriarcaux concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et dans la société ;
b) Redoubler d’efforts pour parvenir à une représentation équitable des femmes parmi les travailleurs du secteur formel et dans les sphères publique et politique, y compris au sein de la Choura et des organes exécutifs et en particulier aux postes de décision, en adoptant au besoin des mesures temporaires spéciales, afin de donner effet aux dispositions du Pacte ;
c) Envisager de modifier la loi sur la nationalité afin de garantir aux Qatariennes et aux Qatariens les mêmes droits en ce qui concerne la transmission de la nationalité à leurs enfants et à leurs conjoints étrangers.
Violence à l’égard des femmes
16.S’il prend note des mesures prises pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, y compris du fait que des services d’aide juridictionnelle et des services de réadaptation psychiatrique sont mis à la disposition des femmes victimes de violence domestique, le Comité trouve préoccupant que la loi n’incrimine pas expressément ce type de violence, notamment le viol conjugal. Il regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur le nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées et de déclarations de culpabilité prononcées dans des affaires de violence à l’égard des femmes (art. 2, 3, 7, 23 et 26).
17.L’État partie devrait :
a) Incriminer les actes de violence domestique, y compris le viol conjugal ;
b) Recueillir des données sur la violence à l’égard des femmes, mener des enquêtes approfondies sur tous les cas de violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, poursuivre les auteurs présumés et punir les coupables comme il se doit ;
c) Créer un véritable mécanisme pour encourager le signalement des actes de violence à l’égard des femmes, lutter plus activement encore contre la stigmatisation sociale des victimes et veiller à ce que celles-ci aient accès à une réparation complète et à des mesures de protection ;
d) Mener des campagnes destinées à sensibiliser le public à la violence à l’égard des femmes, y compris la violence domestique, et faire en sorte que les policiers, les procureurs et les juges soient formés comme il se doit pour pouvoir agir efficacement face aux violences de ce type.
Interruption volontaire de grossesse et droits en matière de sexualité et de procréation
18.Le Comité note que les articles 316 et 317 du Code pénal interdisent l’avortement sauf s’il s’agit de préserver la vie de la femme enceinte, ainsi que dans certaines circonstances dans lesquelles la grossesse menace gravement la santé de la mère ou une malformation du fœtus est décelée (art. 17 de la loi no 2 de 1983 sur la pratique de la médecine, de la chirurgie et de la dentisterie). Il est préoccupé par le fait qu’aucune autre exception n’est autorisée et que les exceptions existantes ne s’appliquent pas aux femmes non mariées, ce qui entraîne des avortements non sécurisés qui mettent en danger la vie et la santé des femmes. Il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur la règle selon laquelle l’avortement doit être pratiqué dans un hôpital public et sur décision d’une commission médicale (art. 3, 6, 7, 17 et 26).
19.Compte tenu du paragraphe 8 de l ’ observation générale n o 36 (2018 ) du Comité, l’État partie devrait :
a) Revoir sa législation afin de garantir l’accès effectif à un avortement légal et sécurisé dans les cas où la santé de la femme ou de la fille enceinte est en danger et lorsque mener la grossesse à terme provoquerait chez la mère une douleur ou des souffrances considérables, en particulier lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste et le fœtus n’est pas viable ;
b) Faire en sorte que les femmes et les filles qui ont recours à l’avortement et les médecins qui leur prêtent assistance ne soient pas exposés à des sanctions pénales et lever les obstacles à l’avortement, y compris l’obligation d’obtenir une autorisation médicale préalable, sachant que les sanctions et les obstacles existants contraignent les femmes et les filles à recourir à des procédures non médicalisées ;
c) Adopter des politiques éducatives visant à sensibiliser les femmes, les hommes et les adolescents aux questions de santé sexuelle et procréative et à prévenir la stigmatisation des femmes et des filles qui ont recours à l’avortement, et garantir l’accès à des services de contraception et de santé procréative appropriés et abordables.
Peine de mort
20.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie a procédé à une exécution en mai 2020, mettant ainsi fin au moratoire de facto qu’il appliquait depuis 2000. Il est également préoccupé par le fait que la législation nationale prévoit toujours la peine de mort pour des infractions qui ne sont pas parmi les « crimes les plus graves » au sens où cette expression est entendue à l’article 6 du Pacte.
21.L’État partie devrait établir un moratoire sur la peine de mort et envisager d’abolir cette peine et d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. S’il maintient la peine de mort, il devrait, à titre prioritaire, prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’elle ne soit imposée que pour les crimes les plus graves, à savoir les homicides volontaires, en tenant compte de l’observation générale n o 36 (2018) du Comité. Il devrait également mener des activités de sensibilisation afin de mobiliser l’opinion publique en faveur de l’abolition de cette peine.
Morts de travailleurs migrants
22.Le Comité est conscient des mesures prises par l’État partie pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs, y compris les travailleurs migrants, et notamment de la déclaration no 17 de 2021 adoptée par le Ministère du développement administratif, du travail et des affaires sociales concernant les mesures de protection des travailleurs contre le stress thermique. Il note que, selon la délégation, tout accident du travail entraînant la mort du travailleur entraîne automatiquement le dépôt d’une plainte contre l’employeur et la famille du défunt a le droit de demander réparation. Néanmoins, il est préoccupé par les informations selon lesquelles des travailleurs migrants ont perdu la vie sur des chantiers de construction au Qatar, notamment pendant les préparatifs de la Coupe du monde de football 2022, et par l’absence de précisions sur le nombre de morts, les enquêtes menées et les réparations accordées aux familles (art. 2 et 6).
23. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour prévenir les morts de travailleurs migrants, notamment sur les chantiers de construction, en particulier en faisant véritablement appliquer les mesures adoptées pour protéger la sécurité et la santé des travailleurs ainsi que les lois relatives à l’ouverture d’enquêtes sur les accidents du travail et à l’octroi de réparations aux familles.
Discrimination, exploitation et mauvais traitements visant les travailleurs migrants
24.Le Comité se félicite des mesures législatives adoptées par l’État partie pour abolir le système de parrainage (kafala) et protéger les travailleurs migrants, y compris les travailleurs domestiques. Néanmoins, il est préoccupé par les difficultés rencontrées dans l’application de la législation et par le fait que, malgré les efforts déployés par les autorités pour protéger les travailleurs migrants, des employeurs continuent de confisquer les passeports et de retenir les salaires de leurs employés, ces pratiques s’étant encore aggravées pendant la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19) alors qu’elles sont pourtant interdites. Il est également préoccupé par les allégations selon lesquelles les travailleurs domestiques migrants sont exploités et victimes de mauvais traitements, et notamment par le fait qu’ils seraient contraints de travailler un nombre d’heures excessif, privés de leurs jours de repos hebdomadaire et soumis à des violences verbales, physiques et sexuelles. En outre, il trouve inquiétantes les informations selon lesquelles les cas de mauvais traitements à l’égard des travailleurs migrants, en particulier les travailleurs domestiques, ne sont pas toujours signalés parce que les intéressés craignent de subir des représailles de la part de leur employeur et d’être accusés d’avoir quitté leur lieu de travail sans autorisation, ce qui leur vaudrait d’être détenus ou expulsés (art. 2, 7, 8, 12 et 26).
25.L’État partie devrait : a) redoubler d’efforts pour faire rigoureusement appliquer la législation protégeant les travailleurs migrants, y compris les travailleurs domestiques, contre les mauvais traitements, et faire procéder plus régulièrement à des visites des services de l’inspection du travail ; b) enquêter sur les allégations de mauvais traitements, poursuivre et sanctionner les employeurs et les sociétés de recrutement responsables de pareils traitements et accorder réparation aux victimes ; c) faire en sorte que les travailleurs migrants, y compris les travailleurs domestiques, aient accès à des voies de recours leur permettant véritablement de faire protéger leurs droits sans crainte de représailles, de détention ou d’expulsion.
Traite des personnes
26.Le Comité accueille avec satisfaction les informations que l’État partie a fournies sur l’action de la Commission nationale de lutte contre la traite des personnes et sur le plan national de lutte contre la traite des êtres humains pour 2017-2022. Il est toutefois préoccupé par le fait qu’il n’a reçu que peu de renseignements sur la traite des personnes, en particulier sur les enquêtes menées, les poursuites engagées et les déclarations de culpabilité prononcées contre les responsables et sur les réparations accordées aux victimes (art. 2, 8 et 26).
27.L’État partie devrait redoubler d’efforts pour prévenir et combattre la traite des personnes et, surtout, améliorer son mécanisme de collecte de données concernant les cas de traite afin de mieux apprécier l’ampleur du phénomène et l’efficacité des mesures prises pour le combattre. Il devrait également faire en sorte que les cas de traite donnent lieu à des enquêtes approfondies, que les auteurs présumés soient traduits en justice et les coupables dûment punis et que les victimes se voient accorder une réparation complète et un ensemble de mesures de protection .
Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
28.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur les mesures que l’État partie a prises pour que sa législation consacre le fait que l’interdiction de la torture est absolue et ne souffre aucune dérogation. Il est préoccupé par l’absence de clarté quant aux peines minimales dont sont passibles les auteurs d’actes de torture et par le flou qui entoure les comportements que l’article 161 du Code pénal punit d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement, comportements dont on ne sait pas au juste, de surcroît, en quoi ils diffèrent des actes de torture couverts par les articles 159 et 159bis du Code pénal. En outre, le Comité constate avec préoccupation que l’État partie signale une absence de plaintes pour torture, ce qui pourrait être révélateur d’un problème de signalement et de disponibilité et d’efficacité des voies de recours et des mécanismes d’application du principe de responsabilité (art. 2 et 7).
29.L’État partie devrait :
a) Prévoir expressément dans sa législation que l’interdiction de la torture est absolue et ne peut souffrir aucune dérogation ;
b) Veiller à ce que tous les actes de torture soient punissables de peines proportionnées à leur gravité ;
c) Établir un mécanisme accessible, indépendant et efficace chargé de recevoir les plaintes et d’enquêter sur les allégations de torture ou de mauvais traitements et faire en sorte que les victimes aient accès à une réparation intégrale.
Liberté et sécurité de la personne
30.Le Comité est préoccupé par : a) l’incrimination de divers actes non violents, parmi lesquels l’adultère, les relations intimes hors mariage, les relations entre personnes de même sexe, la mendicité, la consommation d’alcool et la toxicomanie ; b) certaines dispositions du Code de procédure pénale, en particulier l’article 117, qui autorise la détention provisoire prolongée, et les allégations selon lesquelles de nombreux détenus restent longtemps en détention provisoire ; c) les informations selon lesquelles des personnes, en particulier des étrangers, sont détenues parce qu’elles ne sont pas en mesure de rembourser une dette (art. 9 et 11).
31.L’État partie devrait mettre sa législation et ses pratiques en conformité avec l’article 9 du Pacte, compte tenu de l’observation générale n o 35 (2014) du Comité sur la liberté et la sécurité de la personne et de l’article 11 du Pacte. Il devrait notamment :
a) Dépénaliser les actes non violents tels que l’adultère, les relations intimes hors mariage, les relations entre personnes de même sexe, la mendicité, la consommation d’alcool et la toxicomanie ;
b) Recourir davantage, dans la pratique, aux mesures non privatives de liberté, faire en sorte que la détention provisoire ne soit qu’une mesure exceptionnelle imposée pour la durée la plus courte possible et uniquement lorsqu’elle est raisonnable et nécessaire compte tenu des circonstances de l’affaire, et veiller à ce que le bien-fondé de tout placement en détention provisoire soit régulièrement réexaminé par une instance judiciaire ;
c) Revoir la législation et les pratiques actuelles de sorte que personne ne puisse être détenu pour incapacité de rembourser une dette, et recourir à d’autres moyens de recouvrement.
Demandeurs d’asile et réfugiés
32.Le Comité se félicite de l’adoption de la loi no 11 de 2018 sur l’asile politique, première en son genre dans la région du Golfe. Néanmoins, il regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur l’application de ce texte. En outre, il est préoccupé par le fait que l’article 10 de la loi restreint le droit à la liberté de circulation et de résidence en obligeant les réfugiés à demander l’autorisation de quitter le lieu de résidence qui leur a été attribué par les autorités. Il est également préoccupé par le fait que l’article 11 interdit aux demandeurs d’asile et aux réfugiés d’exercer une activité politique pendant leur séjour au Qatar sous peine d’expulsion, ce qui porte aussi atteinte au droit à la liberté d’expression, au droit de réunion pacifique et au droit à la liberté d’association (art. 2, 12, 13, 19, 21, 22 et 26).
33. L’État partie devrait modifier les dispositions de la loi n o 11 de 2018 sur l’asile politique qui restreignent le droit des demandeurs d’asile et des réfugiés à la liberté de circulation et de résidence et leur interdisent d’exercer une activité politique et mettre cette loi en conformité avec le Pacte.
Indépendance de la justice et droit à un procès équitable
34.Le Comité se félicite que le Conseil supérieur de la magistrature ait adopté le Code de déontologie judiciaire afin de garantir l’intégrité des juges. Néanmoins, il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur le pouvoir qu’a l’Émir de révoquer tel ou tel juge pour des raisons d’intérêt public. S’il prend note des garanties procédurales prévues dans la Constitution, le Code de procédure pénale et d’autres lois, il note avec préoccupation que, d’après les informations fournies par l’État partie, les justiciables n’ont accès à un avocat qu’à partir de l’ouverture de l’enquête par le ministère public et non dès le début de la garde à vue (art. 2 et 14).
35. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance et l’impartialité totales de l’appareil judiciaire en droit et dans la pratique, notamment faire en sorte que les procédures de révocation des juges soient conformes au Pacte et aux normes internationales pertinentes, telles que les Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature. Il devrait également renforcer les mesures visant à faire en sorte que les personnes privées de liberté aient véritablement le droit d’accéder à un avocat dès leur placement en garde à vue.
Liberté de conscience et de religion
36.Le Comité prend note des informations fournies par la délégation selon lesquelles les autorités ont autorisé la construction de lieux de culte non musulmans à l’extérieur du complexe religieux de Mesaimeer et les musulmans n’ont pas interdiction d’entrer dans le complexe. Néanmoins, il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur l’incrimination de l’apostasie, du blasphème et du prosélytisme et sur les mesures adoptées pour lutter contre la discrimination et la pression sociale subies par les musulmans qui se convertissent à une autre religion et par les musulmanes qui épousent un non-musulman (art. 2, 18 et 26).
37. L’État partie devrait faire davantage d’efforts pour garantir le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion pour tous et veiller à ce que ses lois et pratiques soient pleinement conformes aux dispositions du Pacte. Il devrait prendre des mesures pour que les musulmans convertis à une autre religion et les musulmanes qui épousent un non-musulman ne souffrent pas de discrimination et de la pression sociale.
Liberté d’expression
38.Le Comité s’inquiète que la législation interne, notamment la loi de 1997 sur l’impression et la publication, la loi de 2012 sur les médias et la loi de 2014 sur la prévention de la cybercriminalité, ne restreignent indûment la liberté d’expression dans l’État partie. En outre, il constate avec préoccupation que la loi no 2 de 2020 portant modification du Code pénal, qui punit la diffusion de rumeurs ou de fausses informations d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison, est libellée en des termes vagues et excessivement généraux et que l’article 36 du Code pénal incrimine la diffamation (art. 19).
39.L’État partie devrait :
a) Réviser et modifier les lois internes susceptibles de restreindre indûment le droit à la liberté d’expression, y compris les lois mentionnées ci-dessus, en vue de les mettre en conformité avec les obligations mises à sa charge par le Pacte ;
b) Veiller à ce que toute restriction imposée à l’exercice de la liberté d’expression, y compris en ligne, remplisse les conditions précises définies à l’article 19 (par. 3) du Pacte ;
c) Envisager de dépénaliser la diffamation et, en tout état de cause, la considérer comme une infraction pénale dans les cas les plus graves seulement, sachant qu’elle ne justifie jamais une peine d’emprisonnement, comme il est précisé dans l’observation générale no 34 (2011).
Droit à la liberté d’association et droit à la liberté de réunion pacifique
40.Le Comité constate avec préoccupation que la loi no 18 de 2004, qui régit la tenue des réunions et manifestations publiques, soumet l’organisation de rassemblements publics à l’autorisation préalable du Ministère de l’intérieur. Il note que, selon la délégation de l’État partie, la nouvelle législation sur les associations et institutions privées (décret-loi no 21 de 2020) n’impose pas de restrictions particulières à la création d’organisations non gouvernementales. Néanmoins, il est préoccupé par les informations selon lesquelles l’établissement de ce type d’organisations et d’associations est soumis à des conditions vaguement définies et requiert l’obtention préalable d’une licence du Ministère du développement administratif, du travail et des affaires sociales. Il regrette le manque d’informations concernant le droit des employés de maison, des fonctionnaires et des travailleurs migrants de constituer des syndicats et d’y adhérer (art. 21 et 22).
41.L’État partie devrait :
a) Mettre la législation régissant les rassemblements pacifiques en pleine conformité avec le Pacte, en gardant à l’esprit l’observation générale no 37 (2020) du Comité, et veiller à ce que toute restriction imposée remplisse les conditions précises définies dans cette observation ;
b) Mettre la législation régissant la création d’associations et d’organisations non gouvernementales en pleine conformité avec le Pacte et adopter des mesures permettant à ces associations et organisations de fonctionner librement et en toute indépendance ;
c) Garantir sans discrimination l’exercice du droit de constituer des syndicats et d’y adhérer et veiller à ce que toute restriction imposée à ce droit soit conforme à l’article 22 du Pacte.
Droits de l’enfant
42.Le Comité constate avec préoccupation que l’âge de la responsabilité pénale est actuellement fixé à 7 ans, quoi qu’il prenne note du fait que le nouveau Code de l’enfant sera à cet égard conforme aux normes internationales. Par ailleurs, il est préoccupé par le fait que la législation n’interdit pas clairement et expressément d’infliger des châtiments corporels aux enfants dans quelques circonstances que ce soit (art. 7 et 24).
43. L’État partie devrait accélérer l’adoption du Code de l’enfant et relever l’âge de la responsabilité pénale de sorte qu’il soit conforme aux normes internationalement acceptées. Il devrait également se doter de lois interdisant clairement et expressément d’infliger des châtiments corporels aux enfants dans quelques circonstances que ce soit.
Participation à la conduite des affaires publiques
44.Le Comité se félicite de la tenue des premières élections de la Choura, en octobre 2021. Néanmoins, il est préoccupé par le fait que les lois électorales adoptées en juillet 2021, en particulier la loi no 6 de 2021, n’accordent le droit de vote aux élections de la Choura qu’aux Qatariens de naissance et à ceux dont le grand-père est Qatarien né au Qatar, à l’exclusion de tous les Qatariens naturalisés (art. 2, 25 et 26).
45. L’État partie devrait mettre sa législation électorale en pleine conformité avec le Pacte, notamment éliminer les restrictions au droit de vote des Qatariens naturalisés et garantir à tous les citoyens la jouissance égale des droits reconnus à l’article 25 du Pacte.
D.Diffusion et suivi
46. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son rapport initial, des réponses écrites à la liste des points établie par le Comité et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays ainsi qu’auprès du grand public pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte.
47. Conformément à l’article 75 (par. 1) du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 25 mars 2025 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 21 (peine de mort), 23 (morts de travailleurs migrants) et 45 ( participation à la conduite des affaires publiques) ci-dessus.
48.Selon le cycle d’examen prévisible du Comité, l’État partie recevra en 2028 la liste de points à traiter avant soumission du rapport et aura un an pour soumettre ses réponses, qui constitueront son deuxième rapport périodique. Le Comité prie l’État partie de faire en sorte, lorsqu’il élaborera ce rapport, de consulter largement la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2030, à Genève.