CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/63/CO/1

10 décembre 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DELA DISCRIMINATION RACIALESoixante‑troisième session4‑22 août 2003

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

ALBANIE

1.Le Comité a examiné le rapport initial et les deuxième à quatrième rapports périodiques de l’Albanie, dus respectivement en 1995, 1997, 1999 et 2001 soumis en un seul document (CERD/C/397/Add.1), à ses 1584e et 1585e séances (CERD/C/SR.1584 et 1585), tenues les 4 et 5 août 2003. À ses 1607e et 1608e séances (CERD/C/SR.1607 et 1608), le 20 août 2003, il a adopté les conclusions suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie et se félicite de la qualité du dialogue constructif engagé avec l’Albanie, ainsi que des réponses apportées oralement par la délégation albanaise. Il relève toutefois que le rapport, dont la présentation générale est conforme aux principes directeurs du Comité, ne contient pas suffisamment d’informations sur l’application concrète de la Convention.

3.Le Comité, notant que le rapport initial a été soumis huit ans après la ratification de la Convention, invite l’État partie à tenir dûment compte, pour la soumission de ses prochains rapports, de la périodicité fixée dans la Convention.

B. Aspects positifs

4.Le Comité note avec une grande satisfaction les progrès considérables accomplis au cours des 10 dernières années par l’Albanie dans l’établissement de l’État de droit. Il se félicite de ce que l’Albanie ait ratifié de nombreux instruments internationaux et européens relatifs aux droits de l’homme.

5.Le Comité prend note avec satisfaction de la création de plusieurs institutions compétentes dans le domaine de la lutte contre la discrimination raciale et de la protection des minorités, en particulier l’Avocat du Peuple, le Bureau des minorités nationales du Ministère des affaires étrangères, et la Division des minorités nationales de la Direction des préfectures du Ministère de l’administration locale.

6.Le Comité salue l’action menée par les autorités albanaises contre la criminalité et la corruption organisées, qui portent particulièrement préjudice aux groupes sociaux les plus vulnérables.

7.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures adoptées pour protéger la liberté religieuse, et les efforts considérables faits pour promouvoir l’éducation et les droits culturels des personnes appartenant aux minorités nationales. Il salue en particulier l’adoption de l’article 20 de la Constitution relatif àl’enseignement en langue maternelle.

8.Le Comité se félicite du projet de Stratégie nationale visant à améliorer les conditions de vie des Roms.

9.Le Comité se félicite de la décision des autorités albanaises d’améliorer le cadre législatif relatif aux noms des rues et autres indications traditionnelles destinées au public en langues minoritaires.

10.Le Comité salue la décision des autorités albanaises d’inviter les organisations non gouvernementales à contribuer à la préparation des rapports soumis aux organes créés en vertu des instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, au sein d’un groupe interministériel coordonné par le Ministère des affaires étrangères.

11.Le Comité note avec satisfaction que le Ministère des affaires étrangères étudie la possibilité de faire la Déclaration prévue à l’article 14 de la Convention.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

12.Le Comité note que le dernier recensement reflétant la composition ethnique de la population remonte à 1989 et que le recensement effectué en 2001 n’a pas permis d’actualiser ces informations. Il n’existe pas de statistiques récentes sur les minorités, en général, et aucune donnée statistique sur la minorité rom en particulier.

Rappelant que ces informations sont nécessaires pour assurer le suivi des politiques en faveur des minorités et pour l’évaluation de l’application de la Convention, le Comité recommande à l’État partie de recueillir des informations statistiques précises sur les personnes appartenant aux minorités en Albanie. Le Comité rappelle à ce propos, conformément à sa recommandation générale VIII que l’identification de ces personnes doit, en principe, être fondée sur la manière dont l’individu concerné s’identifie lui‑même.

13.Le Comité note que l’État partie a tendance à ne pas considérer comme relevant de la discrimination raciale ou ethnique la situation particulièrement défavorable dans laquelle vivent certains groupes minoritaires en Albanie, estimant que les difficultés socioéconomiques rencontrées par les personnes appartenant à ces minorités sont les mêmes que celles subies par le reste de la population.

Le Comité recommande à l’État partie de reconsidérer cette approche, et de procéder à des analyses permettant de déterminer si, et dans quelle mesure, la situation défavorable de certaines minorités est due à un phénomène de discrimination raciale ou ethnique.

14.Le Comité prend note de la distinction qui est faite en droit interne par l’État partie entre les minorités nationales (grecque, macédonienne/slave et monténégrine) et les minorités linguistiques (rom et aroumaine ou valaque). Il note l’affirmation de l’État partie selon laquelle cette distinction n’a pas de conséquences sur les droits dont jouissent les personnes appartenant à ces minorités. Il constate toutefois que l’article 20 de la Constitution ne reconnait expressément de droits qu’aux seules minorités nationales, et que les membres des minorités linguistiques ne jouissent pas en pratique des mêmes droits culturels. En outre, des personnes appartenant aux minorités rom et aroumaine ne sont apparemment pas satisfaites que leurs communautés soient seulement considérées comme des minorités linguistiques, les composantes essentielles de leur identité dépassant la seule question de la langue.

Le Comité recommande à l’État partie de réexaminer les critères sur lesquels se fonde la distinction entre minorités nationales et minorités linguistiques, en consultation avec les groupes intéressés, et de s’assurer que les personnes appartenant à ces communautés jouissent des mêmes droits que les autres, notamment dans le domaine culturel.

15.Le Comité note l’existence d’une communauté qui se qualifie elle‑même d’«égyptienne», mais qui n’est pas reconnue comme constituant une minorité, en raison notamment de ce que, selon l’État partie, elle est complètement intégrée dans la population albanaise.

Des informations complémentaires sur cette communauté devraient être apportées par l’État partie dans son prochain rapport.

16.Le Comité prend note des explications de l’État partie selon lesquelles il n’existerait plus de «zones de minorités» en Albanie, les personnes appartenant à des minorités ayant les mêmes droits que les autres, quelle que soit leur zone géographique. Toutefois, le rapport périodique fait surtout état des mesures adoptées pour assurer la réalisation des droits culturels dans les districts où sont traditionnellement concentrées les minorités grecque et macédonienne/slave. Celles‑ci se plaignent de l’absence d’enseignement en langue maternelle à l’extérieur de ces régions et du refus des autorités albanaises de donner suite à leurs demandes à ce sujet.

Le Comité comprend que l’existence du droit de recevoir une instruction en langue maternelle requiert la présence d’un certain nombre de membres d’une minorité dans une zone géographique donnée. Il reconnaît, par ailleurs, les efforts faits par l’État partie pour maintenir des classes et écoles en langue maternelle malgré la baisse du nombre d’élèves. Il recommande toutefois à l’État de veiller à ce que les droits des membres des minorités ne soient pas indûment restreints à l’extérieur des zones où celles‑ci sont concentrées. Le Comité souhaite que des informations sur cette question, concernant l’ensemble des minorités figurent dans le prochain rapport périodique.

17.Le Comité note que des efforts ont été accomplis pour mettre en œuvre l’article 4 de la Convention, mais que la législation albanaise ne répond pas encore à l’ensemble des exigences de cette disposition.

Le Comité recommande à l’État partie de déclarer délits punissables par la loi l’assistance à des activités racistes et leur financement, la participation à des organisations racistes, les actes de violence raciale ou l’incitation à de tels actes, ainsi que tout refus de services ou de biens pour des motifs racistes. Le Comité suggère, par ailleurs, que soit prévue dans le Code pénal une circonstance aggravante permettant de punir plus sévèrement l’ensemble des infractions lorsqu’elles sont inspirées par des motifs racistes.

18.Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles les membres de la minorité rom, notamment les jeunes, sont généralement considérés avec suspicion etsont soumis à de mauvais traitements et à l’emploi abusif de la force par les fonctionnaires dela police.

Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures pour faire cesser de telles pratiques et pour améliorer la sensibilisation et la formation des agents des forces de l’ordre aux questions de discrimination raciale.

19.Le Comité note que les informations présentées par l’État partie demeurent insuffisantes en ce qui concerne la participation politique et l’accès aux fonctions publiques des personnes appartenant à des minorités.

Le Comité recommande qu’une analyse soit effectuée pour évaluer la participation effective des membres des minorités dans les services publics et les institutions politiques de l’État partie.

20.Le Comité relève l’insuffisance des informations fournies par l’État partie sur la dimension sexospécifique de la discrimination raciale.

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale XXV relative à la dimension sexospécifique de la discrimination raciale, et lui recommande à d’évaluer et de prévenir la discrimination raciale à l’égard des femmes en général. Il demande que des informations à ce sujet figurent dans le prochain rapport périodique de l’Albanie.

21.Le Comité juge préoccupantes des informations faisant état de discriminations dont seraient victimes les Roms en matière d’accès à l’éducation, à la santé, à l’hygiène, au logement, à l’emploi, à une nourriture suffisante et adéquate, et à l’eau.

Le Comité recommande que l’État partie intensifie ses actions en faveur de la minorité rom, conformément à sa recommandation générale XXVII. Des efforts particuliers devraient être accomplis, en consultation avec les communautés concernées, pour assurer l’intégration des enfants roms dans le système éducatif albanais, tout en laissant ouverte la possibilité d’un enseignement bilingue ou en langue maternelle, et en respectant l’identité culturelle et le mode de vie des communautés. Des informations sur les résultats obtenus par la Stratégie nationale en faveur des Roms devraient être communiquées dans le prochain rapport périodique.

22.Le Comité est préoccupé par les difficultés rencontrées par certaines minorités nationales, en particulier les minorités grecque et aroumaine, pour obtenir la restitution et l’indemnisationde leurs biens religieux.

Le Comité encourage l’État partie à mettre rapidement en vigueur le projet de loi sur la restitution et l’indemnisation des biens, en vue de régler cette question, une fois pour toutes.

23.Le Comité relève que les possibilités d’accès à la radio et à la télévision dans les langues minoritaires demeurent très faibles en Albanie pour les personnes appartenant à des minorités.

Le Comité salue la décision des autorités albanaises de prendre des mesures pour accroître le temps réservé aux émissions en langues minoritaires à la télévision et à la radio publiques et demande instamment à l’État partie de veiller à ce que ces mesures concernent l’ensemble des minorités, notamment les minorités monténégrine, rom et aroumaine. Il suggère en outre à l’État partie de faciliter la diffusion d’émissions s’adressant spécialement aux minorités, notamment à la minorité grecque.

24.Le Comité s’inquiète des informations faisant état des difficultés rencontrées par les Roms et les membres de la communauté se qualifiant d’égyptienne pour accéder aux lieux et services destinés à l’usage du public.

Le Comité invite l’État partie à adopter des mesures appropriées pour garantir que l’accès à tous les lieux et services destinés à l’usage du public ne soit refusé à personne au motif de la race, la couleur, l’ascendance, ou l’origine nationale ou ethnique.

25.Le Comité regrette l’insuffisance des informations fournies par l’État partie au sujet de l’impact possible, sur l’application de la Convention, des modifications apportées à sa législation interne pour lutter contre le terrorisme.

Le Comité invite l’État partie à fournir dans son prochain rapport périodique des informations sur sa législation et ses pratiques à ce sujet, en particulier en matière de contrôle d’identité, d’entrée et de séjour des étrangers, de droit d’asile, et d’extradition.

26.Le Comité remarque que très peu de plaintes pour discrimination raciale ont été traitées par l’Avocat du Peuple, et qu’aucune plainte n’a fait l’objet d’une décision judiciaire.

Le Comité recommande à l’État partie d’examiner si l’absence de telles plaintes n’est pas le résultat d’une méconnaissance de leurs droits par les victimes, d’un manque de confiance des particuliers à l’égard des autorités de police et de justice, ou d’un manque d’attention ou de sensibilisation de ces autorités aux affaires de discrimination raciale. Le prochain rapport périodique de l’Albanie devrait contenir des données statistiques sur les plaintes, les poursuites et les jugements concernant des actes de discrimination raciale ou ethnique, ainsi que des exemples concrets illustrant ces données.

27.Le Comité recommande que des informations supplémentaires lui soient communiquées:

a)Sur les activités de l’Avocat du Peuple, du Bureau des minorités nationales du Ministère des affaires étrangères, et de la Division des minorités nationales de la Direction des préfectures du Ministère de l’administration locale;

b)Sur les mesures adoptées par l’État partie pour appliquer l’article 7 de la Convention. En particulier, devraient être incluses dans le prochain rapport périodique des informations sur l’éducation aux droits de l’homme et la formation à l’entente entre groupes raciaux ou ethniques, auprès des enseignants et élèves, des responsables de l’application des lois, des membres des partis politiques et des professionnels des médias.

28.Le Comité recommande à l’État partie, lorsqu’il applique dans l’ordre juridique interne les dispositions de la Convention, en particulier celles des articles 2 à 7, de tenir compte des passages pertinents de la Déclaration et du Programme d’action de Durban et de communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur les plans d’action et autres mesures adoptées pour appliquer au niveau national la Déclaration et le Plan d’action de Durban.

29.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier l’amendement au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième réunion des États parties à la Convention et par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111 du 15 décembre 1992. À cet égard, le Comité attire l’attention de l’État partie sur la résolution de l’Assemblée générale 57/194 du 18 décembre 2002, dans laquelle l’Assemblée générale demande instamment aux États parties de hâter leurs procédures internes de ratification de l’amendement, et d’informer par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation de cet amendement.

30.Le Comité prend note de la procédure engagée en vue de faire la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention, et encourage l’État partie à la mener à son terme.

31.Le Comité recommande à l’État partie d’améliorer la diffusion de la Convention, de ses rapports périodiques dès qu’ils sont soumis au Comité, et des présentes conclusions, notamment en renforçant la coopération avec les ONG, la société civile et les organes de presse.

32.Le Comité recommande à l’État partie que ses cinquième, sixième et septième rapports périodiques soient soumis pour le 10 juin 2007 en un seul document mettant à jour le rapport initial, et traitant de toutes les questions soulevées dans les présentes conclusions.

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