NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/GUY/CO/17 décembre 2006

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑septième session6‑24 novembre 2006

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

GUYANA

1.Le Comité a examiné le rapport initial du Guyana (CAT/C/GUY/1) à ses 734e et 737e séances (CAT/C/SR.734 et 737), les 13 et 14 novembre 2006, et il a adopté, à sa 748e séance, le 22 novembre 2006 (CAT/C/SR.748), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du rapport initial du Guyana, qui est conforme aux directives générales du Comité pour l’établissement des rapports, mais regrette qu’il ait été soumis avec dix‑sept années de retard.

3.Le Comité salue la franchise du rapport, dans lequel l’État partie reconnaît des lacunes dans la mise en œuvre de la Convention. Il se félicite du dialogue franc et constructif engagé avec le représentant de l’État partie et prend note avec satisfaction des réponses apportées aux questions posées au cours de ce dialogue.

B. Aspects positifs

4.Le Comité prend acte des efforts constants déployés par l’État partie pour réformer son système juridique et institutionnel. En particulier, le Comité prend note avec satisfaction des faits positifs suivants:

a)La ratification par l’État partie de la plupart des grandes conventions internationales relatives aux droits de l’homme;

b)La ratification par l’État partie, le 24 juillet 2004, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale;

c)Les récents efforts tendant à aménager et à renforcer le cadre législatif national, et notamment la législation suivante:

La loi de 2005 sur la lutte contre la traite des personnes, qui prévoit des mesures de lutte contre ce phénomène;

Le projet de loi de mai 2006 sur la protection des témoins;

Le projet de loi d’avril 2006 sur l’entraide judiciaire;

Le projet de loi de mai 2006 sur la protection de la justice.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

5.Le Comité note que, depuis plusieurs années, l’État partie traverse une phase de crise économique, de violence sociale et de criminalité généralisée, qui a eu et continue d’avoir un impact sur le pays. Le Comité fait toutefois observer qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture, conformément à l’article 2, alinéa 2, de la Convention.

D. Sujets de préoccupation et recommandations

6.Le Comité note qu’il n’est pas certain que tous les actes de torture soient érigés en infraction par la législation pénale en vigueur dans l’État partie(art. 1 et 4).

L’État partie devrait prendre les mesures législatives nécessaires pour que tous les actes de torture constituent une infraction au regard de sa législation pénale, conformément à la définition énoncée à l’article premier de la Convention, et pour que ces actes soient passibles d’une sanction appropriée proportionnelle à leur gravité.

7.Le Comité est préoccupé par les irrégularités qui ont été constatées dans la délivrance de permis de port d’armes au Guyana, en particulier par le fait que des permis auraient été accordés sans discernement et que les armes auraient servi à commettre des infractions à la Convention (art. 2).

L’État partie devrait renforcer les mesures administratives destinées à combattre la délivrance inconsidérée de permis de port d’armes, rationaliser la procédure de demande de permis et faire en sorte que la réglementation des armes à feu soit appliquée de façon uniforme et, au besoin, modifiée.

8.Le Comité déplore que l’État partie n’ait fourni aucun renseignement sur la mise en œuvre de l’article 3 de la Convention.

Le Comité rappelle à l’État partie le caractère absolu de l’interdiction, énoncée à l’article 3 de la Convention, d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. L’État partie devrait présenter dans son prochain rapport périodique des renseignements sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le cadre de procédures d’extradition, d’expulsion ou de refoulement d’étrangers.

9.Tout en prenant bonne note des efforts déployés par l’État partie pour traiter la question de la composition ethnique des forces de police guyaniennes, le Comité est préoccupé par le petit nombre des agents d’ascendance indo‑guyanienne dans la police, phénomène qui semblerait être l’une des causes profondes du nombre élevé de personnes de cette origine décédées pendant leur détention.

L’État partie devrait poursuivre son action visant à diversifier la composition ethnique des forces de police guyaniennes et prendre toutes mesures utiles pour prévenir les décès en détention.

10.Tout en prenant note de la faiblesse de l’effectif du personnel de santé au Guyana, le Comité est préoccupé par le fait que les médecins ne sont pas instruits de leurs obligations conventionnelles, en particulier de l’obligation de dénoncer et d’attester les actes de torture, et de l’obligation d’aider les victimes à se réadapter (art. 10).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que le personnel médical bénéficie d’une formation adéquate concernant les obligations qui lui incombent en vertu de la Convention et conformément au Protocole d’Istanbul. L’État partie est encouragé à demander la coopération et l’assistance technique internationales pour organiser cette formation.

11.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la longueur excessive de la détention avant jugement qui, malgré la législation en vigueur, peut durer dans certains cas trois à quatre ans (art. 11).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour que les délais obligatoires prescrits par la loi soient respectés dans la pratique, afin que la détention provisoire ne soit utilisée qu’à titre exceptionnel et pour un laps de temps limité.

12.Le Comité a noté les conditions de détention déplorables qui règnent au Guyana, en particulier dans les prisons de Georgetown et de Mazaruni. Les problèmes les plus courants sont le surpeuplement, les mauvaises conditions physiques et d’hygiène et l’insuffisance des ressources matérielles, humaines et financières.

L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures pour réduire la surpopulation carcérale, en améliorant l’infrastructure et les conditions sanitaires et en fournissant les ressources matérielles, humaines et budgétaires nécessaires pour que les conditions de détention dans le pays soient conformes aux normes internationales minima. L’État partie est encouragé à demander une assistance technique à cet effet et/ou à utiliser celle dont il bénéficie déjà.

13.Les mesures disciplinaires appliquées aux prisonniers sont un sujet de préoccupation pour le Comité, en particulier les mesures prévues au chapitre 37 de la loi de 1998 sur les prisons, qui autorise la flagellation ou la bastonnade, ainsi que la réduction des rations alimentaires (art. 2 et 11).

Tout en prenant bonne note de l’affirmation du représentant de l’État partie selon laquelle ces mesures disciplinaires n’ont pas été appliquées, le Comité engage l’État partie à examiner l’ensemble des dispositions juridiques qui autorisent de telles pratiques, afin de les abolir sans tarder. Le Comité rappelle que l’État partie est tenu de veiller à ce que les prisonniers soient traités d’une façon pleinement respectueuse de la dignité et des droits de l’homme, conformément à l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

14.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles les enfants (âgés de 10 à 16 ans) ne seraient pas toujours séparés des adultes au cours de leur détention et par les conditions extrêmement pénibles de cette détention (art. 11).

L’État partie devrait adopter d’urgence des mesures visant à ce que les enfants (âgés de 10 à 16 ans) en détention soient systématiquement séparés des adultes. L’État partie devrait aussi prendre des mesures pour garantir que les conditions de détention soient conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing), aux Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad) et aux Règles minima des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté.

15.Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations faisant état de brutalités policières généralisées, de l’emploi de la force et des armes à feu par les policiers, et par le fait que la police n’est pas tenue de rendre compte de ses actes. Tout en se félicitant des renseignements complémentaires fournis par le représentant de l’État partie sur les affaires impliquant deux agents de la police accusés de violences et condamnés, le Comité déplore l’absence de données générales sur les enquêtes, les affaires et les condamnations relatives à des infractions commises par les forces de police (art. 11 et 12).

a) L’État partie devrait veiller à ce que les circonstances dans lesquelles les agents de police sont autorisés à employer la force et à faire usage d’armes à feu soient exceptionnelles et clairement définies, et à ce que le personnel des forces de police soit convenablement formé à l’emploi judicieux de la force et des armes à feu, conformément aux normes internationales, notamment aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois;

b) L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour que les forces de police guyaniennes soient tenues de rendre des comptes et, à cette fin, veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement, que les auteurs d’actes de violence soient jugés et condamnés à de justes peines et que les victimes soient indemnisées convenablement.

16.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires perpétrées par les forces de police et par la médiocrité des résultats de l’action menée par les services de police pour enquêter sur ces exécutions et arrêter leurs auteurs (art. 11 et 12).

Le Comité prie instamment l’État partie de prendre immédiatement des mesures pour prévenir des actes tels que les exécutions extrajudiciaires qui seraient imputables à la police. L’État partie devrait adopter les mesures nécessaires pour que des enquêtes impartiales soient menées rapidement, que les responsables d’exécutions extrajudiciaires soient poursuivis et que les victimes aient accès à des voies de recours utiles.

17.Le Comité est préoccupé par le fait que la disposition constitutionnelle qui autorise le recrutement de magistrats à temps partiel risque de compromette l’indépendance et l’impartialité de ces magistrats. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles cette disposition aurait été appliquée pour traiter l’arriéré des affaires en instance (art. 12 et 13).

Le Comité prend note de l’affirmation du représentant de l’État partie selon laquelle la disposition constitutionnelle autorisant le recrutement de magistrats à temps partiel n’a pas été appliquée; il encourage l’État partie à modifier sa Constitution et à abroger la disposition concernée.

18.Le Comité est préoccupé par le fait que le Code pénal fixe l’âge de la responsabilité pénale à 10 ans (art. 13).

L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour relever l’âge de la responsabilité pénale et le fixer à un niveau acceptable selon les normes internationales, conformément à la recommandation qui lui a été adressée par le Comité des droits de l’enfant (CRC/C/15/Add.224).

19.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de violences sexuelles généralisées, y compris dans les lieux de détention, et par le très faible nombre de condamnations auxquelles elles donnent lieu. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de nombreux actes d’intimidation et menaces à l’égard des victimes de violence sexuelle, et par l’absence de moyens de protection des témoins.

L’État partie est instamment prié de prendre des mesures efficaces et exhaustives pour lutter contre la violence sexuelle dans le pays, et notamment ( art. 12 et 13 ):

a) D’établir et de promouvoir un mécanisme efficace chargé de recevoir les plaintes pour violence sexuelle, y compris dans les centres de détention;

b) De faire en sorte que le personnel des forces de l’ordre soit informé du fait que les sévices et les viols perpétrés en détention s’apparentent à une forme de torture et sont par conséquent absolument interdits, et que ce personnel soit formé au traitement des plaintes pour violence sexuelle;

c) De mener rapidement des enquêtes impartiales et efficaces, de traduire en justice les auteurs de tels actes et, lorsqu’ils sont reconnus coupables, de leur appliquer des sanctions appropriées et d’indemniser les victimes en conséquence;

d) De faire en sorte que les plaignants et les témoins soient protégés contre les mauvais traitements et l’intimidation exercés en représailles à la suite de la plainte déposée ou de tout témoignage apporté;

e) D’établir un mécanisme national de surveillance chargé d’enquêter sur les affaires de violence sexuelle et de les traiter.

20.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la fréquence des violences domestiques dans le pays.

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures pour réduire les violences domestiques, notamment des mesures de formation des agents de la police, du personnel responsable de l’application des lois et du personnel de santé, afin d’enquêter sur ce genre de violence et de traiter ces affaires. L’État partie devrait appliquer plus efficacement la loi de 1996 sur la violence domestique.

21.Tout en accueillant avec satisfaction la mise en place d’institutions de promotion et de protection des droits de l’homme comme la Commission des droits de l’homme, la Commission des droits de la femme et de l’égalité des sexes, la Commission des peuples autochtones ou la Commission des droits de l’enfant, le Comité déplore que le Parlement n’ait pas encore pu, apparemment pour des raisons politiques, procéder aux nominations nécessaires à l’entrée en fonctions de ces institutions (art. 13).

L’État partie est vivement encouragé à prendre des mesures concrètes pour accélérer le processus de nomination du personnel des institutions de promotion et de protection des droits de l’homme.

22.Le Comité est préoccupé par le fait que le Bureau du Médiateur ne puisse plus fonctionner depuis janvier 2005 faute de la désignation d’un médiateur par le Parlement, à cause de raisons politiques semble‑t‑il (art. 13).

L’État partie est instamment prié de prendre les mesures nécessaires pour permettre au Bureau du Médiateur de reprendre ses activités et pour le doter des moyens humains et financiers de s’acquitter de son mandat.

23.Le Comité exprime sa préoccupation face aux conditions déplorables de la détention des condamnés à mort en attente d’exécution, qui s’apparentent à un traitement cruel, inhumain ou dégradant (art. 16).

L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer les conditions de détention d e s condamnés à mort afin de garantir leurs besoins essentiels et leurs droits fondamentaux.

24.Le Comité note avec préoccupation l’absence de statistique, en particulier sur les cas de torture, les plaintes, les condamnations prononcées et la réparation accordée aux victimes de la torture.

L’État partie devrait faire figurer dans son prochain rapport périodique des données statistiques détaillées, ventilées par infraction, origine ethnique et sexe, sur les plaintes concernant des actes de torture et des mauvais traitements qui auraient été commis par des responsables de l’application des lois, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales ou disciplinaires correspondantes. Des renseignements sont également demandés sur les mesures d’indemnisation des victimes et les services de réadaptation qui leur sont offerts.

25.Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

26.L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Guyana au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui‑ci, dans les langues appropriées, par le moyen des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

27.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité formulées aux paragraphes 12, 16, 19, 20 et 21 qui précèdent.

28.Le Comité, ayant conclu qu’une quantité d’informations suffisante lui a été communiquée lors de l’examen du rapport du Guyana pour combler le retard de dix‑sept ans accumulé dans la soumission de son rapport initial et de ses rapports périodiques, a décidé de demander à cet État partie de lui soumettre son deuxième rapport périodique au plus tard le 31 décembre 2008.

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