Nations Unies

CAT/C/PHL/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

2 juin 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique des Philippines *

Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique des Philippines (CAT/C/PHL/3) à ses 1408e et 1411e séances (voir CAT/C/SR.1408 et 1411), les 27 et 28 avril 2016, et a adopté, à sa 1426e séance, le 11 mai 2016, les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité a pris connaissance avec intérêt du troisième rapport périodique de l’État partie, soumis selon la procédure simplifiée pour l’établissement des rapports. Le Comité se félicite du dialogue qu’il a eu avec la délégation de l’État partie, et la remercie des réponses apportées aux préoccupations soulevées par le Comité.

B.Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré aux instruments internationaux suivants ou les a ratifiés :

a)Le Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 17 avril 2012 ;

b)Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, le 30 août 2011 ;

c)La Convention de 1954 relative au statut des apatrides, le 22 septembre 2011.

Le Comité salue également les mesures prises par l’État partie pour réviser sa législation dans les domaines intéressant la Convention, notamment :

a)L’adoption de la loi de 2009 contre la torture (loi de la République no 9745), en novembre 2009 ;

b)La modification apportée à la loi de 2003 de lutte contre la traite des personnes (loi de la République no 9208), par l’adoption de la loi élargie de 2012 de lutte contre la traite des personnes (loi de la République no 10364), le 23 juillet 2012 ;

c)L’adoption de la Magna Carta des femmes (loi de la République no 9710), en août 2009 ;

d)L’adoption de la loi de 2012 contre les disparitions forcées ou involontaires (loi de la République no 10353), en décembre 2012 ;

e)L’adoption de la loi de 2012 relative à la parentalité responsable et à la santé procréative (loi de la République no 10354), en décembre 2012 ;

f)L’adoption de la loi de 2012 relative au cautionnement personnel (loi de la République no 10389), qui institutionnalise le cautionnement personnel comme modalité de remise en liberté d’un indigent détenu en tant qu’inculpé dans une affaire pénale, en 2012 ;

g)La modification apportée à la loi de 2006 relative à la justice pour mineurs et à la protection des mineurs (loi de la République no 9344), par l’adoption de la loi de la République no 10630, en octobre 2013.

Le Comité salue en outre l’action menée par l’État partie pour modifier ses politiques, programmes et mesures administratives afin de donner effet à la Convention, notamment :

a)L’approbation par la Cour suprême du règlement révisé relatif aux enfants en conflit avec la loi, en décembre 2009 ;

b)L’adoption du Plan d’action des Philippines en faveur des droits de l’homme pour 2012-2017 ;

c)L’adoption du plan 2012-2016 de mise en œuvre de la Magna Carta des femmes, intitulé « Autonomisation des femmes et progression vers l’égalité des sexes » ;

d)La promulgation par le Président du règlement d’application de la loi contre la torture, le 10 décembre 2010 ;

e)La création de l’Office des affaires relatives aux droits de l’homme, qui relève de la Direction de la protection des détenus et de l’amélioration de leur condition, et la mise en place d’un bureau des droits de l’homme dans chaque centre de détention, dont le fonctionnement est assuré par un fonctionnaire désigné, en application de mémorandums du Bureau de l’administration pénitentiaire et de pénologie en date du 27 septembre 2010 et du 21 février 2011 ;

f)La promulgation par le Président de l’ordonnance administrative no 35 portant création du Comité interinstitutions des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées, de la torture et d’autres graves violations du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, le 22 novembre 2012 ;

g)La promulgation par le Ministère de la santé d’une ordonnance ministérielle s’inspirant du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), qui donne instruction aux médecins de la santé publique de s’acquitter du rôle qui leur incombe conformément à la loi contre la torture ;

h)L’adoption de la loi de la République no 10398 déclarant le 23 novembre Journée nationale de prise de conscience en vue de l’élimination de la violence à l’égard des femmes et des enfants, en mars 2013 ;

i)La publication par le Bureau de l’administration pénitentiaire et de pénologie d’un mémorandum interdisant l’emploi dans les centres de détention de gourdins, de pagaies, de ceintures et d’autres objets similaires qui pourraient être utilisés pour infliger des châtiments corporels aux détenus, et ordonnant la confiscation et la destruction de tels objets, en août 2013 ;

j)L’adoption par le Président du décret no 138 modifiant le décret no 56 (S. 2001) portant notamment adoption du Programme-cadre global en faveur des enfants touchés par les conflits armés et renforçant le Conseil de la protection de l’enfance, le 2 août 2013 ;

k)Les services fournis par le personnel du service diplomatique aux Philippins à l’étranger, notamment aux travailleurs migrants et aux victimes de traite.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

Le Comité prend note avec satisfaction des renseignements fournis le 5 novembre 2010 par l’État partie, dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/PHL/CO/2/Add.1), sur la mise en œuvre des recommandations figurant aux paragraphes 7, 15, 16, 18 et 19 de ses précédentes observations finales, mais regrette l’absence des renseignements complémentaires demandés par le rapporteur chargé du suivi dans sa lettre en date du 1er décembre 2011.

Impunité découlant de l’inefficacité de la mise en œuvre de la législation

Le Comité se félicite de l’adoption d’une législation nationale incriminant la torture mais est préoccupé par le fait qu’il continue d’y avoir des obstacles à une mise en œuvre effective de la loi contre la torture. Le Comité est préoccupé de ce que l’impunité pour les actes de torture demeure, comme l’illustre le fait que bien que le nombre de cas de torture signalés à la Commission philippine des droits de l’homme ait augmenté depuis l’adoption de cette loi, seule une personne a été condamnée à ce jour, en 2016, plus de six ans après cette adoption. Il est également préoccupé par le fait que le comité créé en vertu de l’article 20 de la loi contre la torture pour superviser la mise en œuvre de ladite loi ne s’est pas encore acquitté de cette tâche (art. 2, 4, 12 et 13).

L’État partie devrait :

a) Mettre un terme à l’impunité de fait qui règne dans le pays ;

b) Publier une déclaration émanant du plus haut niveau d’autorité affirmant sans ambiguïté que la torture ne sera pas tolérée et veiller à ce que des enquêtes soient ouvertes rapidement dans tous les cas et à ce que des poursuites soient engagées contre les auteurs directs d’actes de torture ainsi que leurs supérieurs hiérarchiques responsables ;

c) Instaurer un mécanisme de plainte indépendant chargé de recevoir les plaintes pour actes de torture et mauvais traitement visant des agents des forces de l’ordre et enquêter dessus, et faire connaître ce mécanisme du public ;

d) Faire en sorte que le comité de surveillance puisse se réunir immédiatement ainsi qu’à intervalles réguliers. Ce comité devrait tenir une base de données destinée à recueillir systématiquement des informations sur la mise en œuvre de la loi contre la torture, notamment sur les enquêtes, les poursuites, l’accès aux évaluations médicales, les actes d’intimidation et de représailles et la mise en œuvre du programme de réadaptation, et tenir un inventaire des centres et lieux de détention relevant de la Police nationale philippine et des Forces armées des Philippines ;

e) Veiller à ce que le comité de surveillance publie régulièrement des informations actualisées sur les cas à l’examen, notamment ceux devant encore faire l’objet d’une enquête préliminaire au niveau du procureur et ceux qui ont fait l’objet d’une action engagée devant un tribunal, à ce qu’il réunisse des informations sur les causes de retard et de non-signalement et fasse rapport sur la question et à ce qu’il fasse le point sur les éventuelles erreurs systémiques recensées dans la mise en œuvre de la loi contre la torture.

Garanties juridiques fondamentales

Le Comité s’inquiète de ce que les personnes détenues, notamment les mineurs, ne jouissent pas, dans la pratique, de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, en particulier après leur arrestation par la police, et de ce que des registres ne sont pas tenus à tous les stades de la détention (art. 2, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures concrètes pour faire en sorte que tous les détenus, y compris les mineurs, jouissent dans la pratique de toutes les garanties juridiques fondamentales dès le début de leur privation de liberté, conformément aux normes internationales, et, notamment :

a) Du droit d’être informés des accusations portées contre eux et de leurs droits, aussi bien oralement que par écrit, dans une langue qu’ils comprennent, et de se voir demander de confirmer qu’ils ont compris les informations qui leur ont été communiquées en signant un document ;

b) Du droit de voir leur détention consignée dans un registre ;

c) Du droit de consulter rapidement un avocat dès le début de leur privation de liberté, et, au besoin, de bénéficier d’une aide judiciaire, y compris pendant le premier interrogatoire ;

d) Du droit d’être examinés immédiatement par un médecin indépendant, gratuitement et hors de la présence de policiers ;

e) Du droit d’informer un membre de leur famille ou toute autre personne de leur choix de leur détention immédiatement après leur arrestation, et non seulement après avoir été présentés devant un juge ;

f) Du droit d’être présentés devant un juge dans les délais prescrits par la loi.

Arrestations sans mandat

Le Comité est préoccupé par le fait que des policiers, des militaires et des simples citoyens procèdent à des arrestations sans mandat. Il est également préoccupé par les informations concordantes indiquant que certaines arrestations sont effectuées par des policiers en civil et que de nombreux suspects en détention ont été soumis à la torture et à des mauvais traitements, en toute impunité. Des enfants seraient également concernés par des arrestations effectuées sans mandat (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme immédiat aux arrestations sans mandat et enregistrer immédiatement toutes les personnes arrêtées ;

b) Tenir tous les fonctionnaires qui ont arrêté des personnes sans fondement juridique pénalement, civilement et administrativement responsables de ces actes et les traduire en justice ;

c) Faire en sorte que tous les fonctionnaires qui ont commis des actes de torture à l’encontre de personnes arrêtées voient leur responsabilité pénale engagée pour ces actes, qu’il s’agisse de leur responsabilité individuelle ou de leur responsabilité en tant que supérieur hiérarchique ;

d) Accorder une réparation et une indemnisation aux personnes qui ont subis des mauvais traitements pendant qu’elles étaient en détention  ;

e) Mieux encadrer, dans la législation et dans la pratique, la pratique de l’arrestation sans mandat par un particulier.

Détention provisoire et surpeuplement

Le Comité est préoccupé par la durée excessive de la détention provisoire, laquelle est parfois supérieure à la peine maximale prévue pour l’infraction et peut aller jusqu’à seize ans. Il s’inquiète également de ce que les personnes en détention provisoire représenteraient quelque 85 à 90 % des détenus, situation résultant essentiellement de la stricte application de la loi d’ensemble de 2002 relative aux drogues dangereuses (loi de la République no 9165), qui entraîne un surpeuplement. Le Comité est préoccupé par le très important arriéré judiciaire, ainsi que par le rôle prépondérant joué par le Ministère de l’intérieur et par l’incidence de cette situation sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, dont le rôle semble ainsi réduit. Il s’inquiète en outre du nombre insuffisant de juges (art. 2 et 11).

L’État partie devrait :

a) Remettre en liberté sans plus attendre les personnes qui sont en détention provisoire depuis une durée supérieure à celle de la peine maximale prévue pour l’infraction  ;

b) Contrôler la légalité de la détention provisoire de toutes les personnes faisant l’objet d’une telle mesure  ;

c) S’employer d’urgence à résorber l’arriéré judiciaire  ;

d) Modifier la législation et prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire la durée de la détention provisoire, laquelle ne devrait être appliquée qu’à titre exceptionnel, pour une durée limitée  ;

e) Faire le nécessaire pour que la détention provisoire soit clairement réglementée et soumise en tout temps à un contrôle judiciaire afin d’assurer le respect des garanties juridiques et procédurales fondamentales ;

f) Renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, veiller à ce que les postes vacants soient pourvus d’urgence, renforcer les capacités de l’appareil judiciaire et veiller à la résorption de l’arriéré d’affaires ;

g) Veiller à ce que toutes les personnes placées en détention provisoire soient présentées devant un juge sans délai et accélérer le traitement des cas de personnes détenues en vertu de la loi d’ensemble relative aux drogues dangereuses  ;

h) Étudier la possibilité de remplacer la détention provisoire par des mesures non privatives de liberté, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) ;

i) Veiller à ce que les victimes de détention provisoire prolongée injustifiée se voient accorder une réparation et une indemnisation.

Torture et mauvais traitements

Le Comité est préoccupé par le fait que des informations continuent de faire état d’un recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements à l’encontre de suspects par les membres des forces de l’ordre et de sécurité, le personnel pénitentiaire et le personnel militaire. Le Comité est alarmé par les informations indiquant que la très grande majorité des cas signalés de torture ont lieu dans des postes de police et que ces actes visent à extorquer des aveux ou des informations aux fins de l’action pénale. Il est également préoccupé par le fait que le Service des affaires internes de la Police nationale philippine soit supervisé par le Bureau du chef de la Police (art. 2 et 16).

L’État partie devrait :

a) Reconnaître publiquement la réalité de la torture et des mauvais traitements et condamner sans équivoque tous les actes de ce type ;

b) Faire en sorte que des enquêtes soient systématiquement menées, que les responsables soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes, conformément à l’article 4 de la Convention, et que les victimes se voient accorder une réparation appropriée ;

c) Instaurer un mécanisme indépendant chargé d’exercer un contrôle sur le Service des affaires internes de la Police nationale philippine afin qu’il n’y ait aucun lien institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés de faits, et veiller à ce que toute personne soupçonnée d’acte de torture ou de mauvais traitements soit immédiatement suspendue de ses fonctions et à ce que cette suspension soit maintenue tout au long de l’enquête, tout en garantissant que le principe de la présomption d’innocence soit respecté ;

d) Créer une base de données sur le nombre d’enquêtes ouvertes, de poursuites engagées, de condamnations prononcées, de sanctions imposées et de réparations accordées aux victimes de torture et aux membres de leur famille, et faire figurer ces données dans son prochain rapport au Comité.

Aveux obtenus sous la contrainte

Le Comité prend note de ce que la loi contre la torture prévoit que tout aveu ou déclaration obtenu par la torture est irrecevable mais est préoccupé par les nombreuses informations faisant état d’aveux obtenus par la torture et les mauvais traitements par des agents des forces de l’ordre. Il est également préoccupé par les informations faisant état du nombre insuffisant de policiers et du manque de capacités en matière de conduite d’enquêtes (art. 15).

L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir que les aveux ou déclarations obtenus sous la contrainte soient irrecevables dans toute procédure, sauf dans les cas où ils sont invoqués contre une personne accusée de torture ;

b) Réexaminer les affaires dans lesquelles une condamnation a été prononcée en se fondant uniquement sur des aveux, compte tenu de ce que nombre de ces condamnations sont susceptibles d’avoir été fondées sur des preuves obtenues par la torture ou des mauvais traitements, et, selon qu’il y a lieu, mener sans délai des enquêtes impartiales et prendre des mesures correctives appropriées ;

c) Veiller à ce que les personnes condamnées sur la base de preuves obtenues par la torture ou des mauvais traitements se voient offrir un nouveau procès et une réparation appropriée ;

d) Faire en sorte que les agents de la force publique, le personnel militaire, les juges et les avocats soient formés aux moyens de détecter les cas dans lesquels des aveux ont été obtenus par la torture et d’enquêter à ce sujet ;

e) Veiller à ce que les fonctionnaires qui extorquent de tels aveux, y compris les personnes responsables en vertu du principe de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques, soient traduits en justice, poursuivis et punis en conséquence ;

f) Fournir au Comité des renseignements sur les cas dans lesquels des aveux ont été jugés irrecevables au motif qu’ils avaient été obtenus par la torture et indiquer si des fonctionnaires ont été poursuivis et punis pour avoir extorqué ces aveux.

Bandage des yeux

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les forces de sécurité bandent les yeux de personnes qu’elles détiennent. Il est également préoccupé par les informations indiquant que les procureurs exigent une identification visuelle formelle, ce qui empêche les victimes de torture qui avaient les yeux bandés d’identifier les auteurs des actes subis, même si leurs allégations cadrent avec les signes physiques et psychologiques de torture et les blessures physiques visibles ou permanentes qu’elles présentent (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Sensibiliser les forces de sécurité à l’interdiction de bander les yeux posée par l’article 4 b) 1) de la loi contre la torture ;

b) Imposer des sanctions dans tous les cas où on a bandé les yeux d’une personne ;

c) Étudier la possibilité de modifier les règles relatives à l’appréciation de la preuve pour accroître les possibilités d’identifier les auteurs dans le cadre de poursuites pour torture et mauvais traitements par d’autres moyens que la vérification visuelle et envisager d’adopter une approche non restrictive qui prévoie la possibilité d’identifier ces personnes par la voix dans les cas où on a bandé les yeux de la personne concernée ;

d) Instaurer l’obligation pour les procureurs de mener une enquête complète sur les éventuelles responsabilités des supérieurs hiérarchiques lorsque le fait qu’une personne ait eu les yeux bandés fait obstacle à l’identification de l’auteur direct d’un acte donné.

Lieux de détention secrets

Le Comité est profondément préoccupé par les informations faisant état de l’existence de lieux de détention secrets où des personnes sont régulièrement soumises à des tortures. Il est particulièrement préoccupé par les informations faisant état de l’existence de lieux de détention secrets des forces de sécurité, y compris de lieux dans lesquels des enfants sont victimes de sévices, de harcèlement et d’exploitation, tel que celui dans la province de Laguna où la torture était couramment pratiquée et où, notamment, on utilisait ce que l’on appelait la « roue de la torture » pour déterminer le type de torture qui serait infligée aux détenus (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Fermer immédiatement tous les lieux de détention secrets  ;

b) Veiller à titre prioritaire à l’application effective, dans l’ensemble du pays, de l’article 2 c) de la loi contre la torture, qui dispose que « les lieux de détention secrets, l’isolement cellulaire, la détention au secret et autres formes analogues de détention, qui peuvent permettre la commission d’actes de torture en toute impunité, sont interdits »  ;

c) Mener des enquêtes et poursuivre toutes les personnes responsables de la commission d’actes de torture dans des lieux de détention secrets.

Exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées

Le Comité prend note de l’adoption de dispositions législatives et des autres mesures prises par l’État partie mais reste préoccupé par le fait que des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées impliquant des policiers et des militaires, ainsi que des milices armées, continuent d’être commises (2, 12, et 13).

L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures concrètes pour faire respecter les lois pertinentes et prévenir les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées ;

b) Assurer le bon fonctionnement de l’équipe spéciale d’enquêteurs et de procureurs relevant du Comité interinstitutions afin d’aider efficacement les organes chargés de faire respecter la loi à mener des enquêtes pour établir les faits en vue d’engager des poursuites dans les affaires de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires et d’élucider celles-ci ;

c) Veiller à ce que tous les auteurs présumés de tels crimes fassent effectivement et rapidement l’objet d’une enquête, soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées ;

d) Veiller à ce que les familles des victimes de tels crimes reçoivent une indemnisation adéquate  ;

e) Envisager de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Signalement d’actes de torture et protection des témoins

Le Comité s’inquiète du fait que les victimes et les témoins d’actes de torture sont réticents à signaler de tels faits parce qu’ils sont mal informés de leurs droits au titre de diverses lois et des possibilités de déposer plainte qui s’offrent à eux et qu’ils craignent d’être victimes d’actes de harcèlement et de représailles de la part des auteurs des actes, et en raison du manque de protection. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de l’insuffisance de la protection accordée aux témoins et de la réticence des médecins de la santé publique qui examinent les victimes à indiquer qu’ils ont constaté des signes de torture dans les certificats médicaux qu’ils établissent, par crainte d’être l’objet d’actes d’intimidation ou de représailles (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait :

a) Fournir des informations complètes aux victimes de torture et à leur famille sur les lois et les possibilités de porter plainte qui s’offrent à elles, et offrir une protection solide aux victimes de torture, à leur famille et aux témoins, en tenant dûment compte de l’urgence qu’il y a à les protéger des menaces contre leur vie et leur sécurité ;

b) Renforcer le programme de protection des témoins en apportant des modifications à la loi relative à la protection et à la sécurité des témoins et aux avantages qui leurs sont accordés (loi de la République n o  6981), en accordant un rang de priorité élevé au financement de ce programme et en assurant aux témoins potentiels des droits et des avantages accrus, notamment la sécurité du logement et une aide financière ou une aide à la subsistance, afin d’aider les autorités à poursuivre les faits de torture ; offrir à tous les témoins d’actes de torture et de mauvais traitements une protection efficace contre les représailles et autres formes de harcèlement ;

c) Assurer aux professionnels de la santé qui attestent des actes de torture et des mauvais traitements une protection adéquate contre les actes d’intimidation et autres formes de représailles, notamment en faisant en sorte qu’ils ne soient pas hiérarchiquement subordonnés au responsable du centre de détention concerné ou à d’autres organes de sécurité ;

d) Faire en sorte que les professionnels de la santé soient en mesure d’examiner les victimes en toute indépendance et de préserver la confidentialité des dossiers médicaux.

Conditions de détention

Le Comité est préoccupé par le fait que les conditions de détention dans l’État partie continuent d’être déplorables, tant en ce qui concerne les cellules de garde à vue que les centres de détention administrés par le Bureau de l’administration pénitentiaire et de pénologie, et qu’elles ne répondent pas aux normes internationales minimales et peuvent être constitutives de mauvais traitements ou de torture. Il est particulièrement préoccupé par la persistance du surpeuplement aigu et chronique de tous les lieux de détention, dont certains auraient des taux d’occupation de 380 %. Les conditions de vie dans tous les lieux de privation de liberté se caractérisent notamment par des cellules délabrées et de petite taille, dans certaines desquelles les détenus sont obligés de dormir assis ou debout, l’insalubrité, l’insuffisance des quantités de nourriture, la mauvaise alimentation, l’insuffisance de l’éclairage naturel et artificiel et une mauvaise ventilation, conditions qui provoquent des violences entre détenus et la propagation de maladies infectieuses telles que la tuberculose, dont l’incidence est extrêmement élevée. Le Comité juge particulièrement alarmantes les informations indiquant que les programmes d’éradication de la tuberculose n’étaient pas une priorité dans le passé car ils ne présentaient pas d’intérêt sur le plan du maintien de la sécurité. Le Comité est préoccupé par la violence sexuelle à l’encontre de détenus et par le traitement réservé aux détenus appartenant à des minorités (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait rendre publiques les constatations du Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et appliquer scrupuleusement les recommandations qu’il a formulées à l’issue de la visite qu’il a effectuée dans le pays en 2015.

Enfants en conflit avec la loi et maisons d’arrêt

Le Comité est profondément préoccupé par la situation des enfants en conflit avec la loi − en particulier dans les régions de Manille et de Mindanao − qui sont détenus dans des maisons d’arrêt, ou « maisons de l’espoir », dans lesquelles, souvent, les filles et les garçons ne sont pas séparés. Ces enfants, dont certains n’ont pas même commis une infraction, restent en détention préventive pendant de longues périodes sans avoir accès à un avocat, et sont placés dans des cellules surpeuplées, insuffisamment éclairées et ventilées et ne répondant pas aux normes internationales minimales. Il s’inquiète également de ce que des enfants ayant commis une infraction soient placés dans des centres de détention ordinaires et ne soient pas séparés des détenus adultes (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que la détention d’enfant ne soit qu’une mesure de dernier recours et que les enfants détenus aient accès à un avocat et ne soient pas placés en détention provisoire pendant de longues périodes  ;

b) Veiller à ce que les enfants soient détenus séparément des adultes et à ce que les filles soient séparées des garçons  ;

c) Enquêter sur tous les cas signalés d’actes de torture et de mauvais traitements infligés à des enfants en conflit avec la loi  ;

d) Faire en sorte que la justice pour mineurs et les conditions de détention des enfants soient conformes aux normes internationales  ;

e) Confier les enfants en conflit avec la loi à la garde du Ministère des affaires sociales et du développement et dispenser une formation appropriée aux travailleurs sociaux, aux juges et à tous les personnels qui travaillent au contact d’enfants.

Mécanisme national de prévention

Le Comité est préoccupé par le fait que plus de quatre ans après sa ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, l’État partie n’a pas encore créé de mécanisme national de prévention (art. 2).

L’État partie devrait accélérer sans retard la création d’un mécanisme national de prévention, en se fondant sur un acte législatif. Il devrait veiller à ce que ce mécanisme dispose de toutes les ressources nécessaires pour s’acquitter pleinement et efficacement de son mandat en toute indépendance, conformément aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Le Comité recommande en outre à l’État partie d’assurer une surveillance régulière des lieux de détention par des organisations non gouvernementales afin de compléter la surveillance exercée par le mécanisme national de prévention.

Institution nationale de défense des droits de l’homme

Le Comité s’inquiète de ce que la Commission philippine des droits de l’homme n’ait pas des ressources humaines et financières suffisantes pour s’acquitter pleinement et effectivement de son large mandat, notamment pour effectuer des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de privation de liberté dans toutes les régions du pays. Il est également préoccupé par le retard pris dans l’adoption de la charte de la Commission des droits de l’homme (art. 2).

L’État partie devrait :

a) Fournir à la Commission philippine des droits de l’homme son plein appui fonctionnel, structurel et financier afin qu’il puisse s’acquitter de son mandat efficacement, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris)  ;

b) Accélérer l’adoption de la charte de la Commission des droits de l’homme.

Formation

Le Comité est préoccupé par le fait que les fonctionnaires qui jouent un rôle dans la mise en œuvre de la loi contre la torture ne sont pas suffisamment formés et informés en ce qui concerne l’interdiction de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, comme ils devraient l’être conformément à l’article 21 de cette loi. Il est également préoccupé par le fait que la plupart des médecins de la santé publique n’ont pas suivi de formation spécifique sur le Protocole d’Istanbul. Le Comité regrette l’absence de méthode spécifique pour suivre et évaluer l’efficacité et l’incidence de la formation dispensée (art. 10).

L’État partie devrait :

a) Veiller, en coordination avec les associations de professionnels de la santé et du droit et des experts, à ce que tous les médecins municipaux et les procureurs reçoivent une formation sur la détection des signes de torture et de mauvais traitements, l’attestation des cas de torture présumés et l’établissement de preuves pouvant être utilisées dans les procédures juridiques ou administratives engagées contre les responsables d’actes de torture, par l’utilisation du Protocole d’Istanbul ;

b) Veiller à ce que tous les personnels qui prennent part à la mise en œuvre du programme de réadaptation reçoivent une formation adéquate à la fourniture de services spécialisés de réadaptation aux victimes de torture ;

c) Faire en sorte que toutes les activités de formation soient mises en œuvre dans le cadre d’un plan gouvernemental complet de renforcement des capacités des agents de l’État qui jouent un rôle dans l’application de la loi contre la torture et que les résultats de ces formations soient mesurés en se fondant sur des indicateurs, parmi lesquels l’amélioration de la performance des agents de l’État dans les rôles respectifs qu’ils jouent dans la mise en œuvre de la loi contre la torture  ;

d) Élaborer et mettre en œuvre des méthodes spécifiques pour suivre et évaluer l’efficacité et l’incidence de ces formations sur la réduction du nombre de cas de torture, de violence et de mauvais traitements.

Réparation et réadaptation

Le Comité est préoccupé par la non-application de l’article 18 de la loi contre la torture, qui prévoit l’indemnisation des victimes de torture, et de l’article 19, qui prévoit l’élaboration d’un programme de réadaptation des victimes de torture. Il est également préoccupé par la complexité des institutions et procédures en place, qui donne lieu à un chevauchement de compétences et fait qu’il est difficile pour les victimes de savoir où faire une demande. Le Comité reste préoccupé par la situation des enfants qui sont enlevés et enrôlés par des groupes armés (art. 14).

L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que les victimes de torture obtiennent réparation et bénéficient de mesures de réadaptation et qu’elles jouissent d’un droit opposable à une indemnisation équitable et adéquate, y compris les moyens nécessaires à une réadaptation la plus complète possible, par l’élaboration d’un programme détaillé de réadaptation. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 3 (2012) sur l’application de l’article 14 de la Convention, dans laquelle il explique la teneur et la portée de l’obligation qu’ont les États parties d’accorder une réparation complète aux victimes de torture et recommande de modifier la législation nationale en conséquence  ;

b) Désigner un organisme coordonnateur principal au niveau du pays pour la mise en œuvre du programme de réadaptation et affecter à ce programme des crédits budgétaires clairement définis et suffisants pour qu’il puisse fonctionner en tant que service spécialisé  ;

c) Veiller à ce que ce programme offre des services de réadaptation spécialisés qui soient appropriés, disponibles et facilement accessibles, conformément à l’observation générale n o 3, et à ce que l’accès à ceux-ci ne soit pas subordonné au dépôt d’une plainte administrative ou pénale en bonne et due forme  ;

d) Mettre en place un programme de suivi et d’évaluation de l’incidence du programme de réadaptation, qui comprenne un système de collecte de données afin de déterminer le nombre de victimes et leurs besoins particuliers en matière de réadaptation  ;

e) Prendre les mesures nécessaires pour empêcher, de manière générale et dans tout e la mesure possible, les enlèvements et l’enrôlement d’enfants par des groupes armés, pour faciliter la réinsertion dans la société des enfants concernés et pour leur assurer une réadaptation aussi complète que possible et qui soit spécialement conçue pour répondre à leurs besoins.

Droits relatifs à la santé procréative et services de planification familiale

Le Comité est préoccupé par le fait que l’interdiction absolue de l’avortement demeure, sans qu’aucune exception ne soit prévue, et par les cas de mauvais traitements infligés à des femmes cherchant à obtenir des soins après un avortement ou une grossesse. Il est également préoccupé par l’insuffisance de l’accès aux services de santé sexuelle et procréative, y compris par la désinformation concernant les méthodes modernes de contraception,en particulier à Manille, du fait de la mise en œuvre des décrets nos003 et 030 du Conseil municipal de Manille, dont l’application entraîne un nombre important de décès maternels, favorise la violence intrafamiliale et porte préjudice à la santé mentale et physique des femmes (art. 2 et 16).

L’État partie devrait :

a) Abroger sans tarder les décrets n o s 003 et 030  ;

b) Revoir sa législation afin que celle-ci prévoie des exceptions à l’interdiction de l’avortement dans certaines circonstances, par exemple lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme ou lorsqu’elle est la conséquence d’un viol ou d’un inceste, ou en cas de malformation fœtale  ;

c) Assurer l’accès universel à un éventail complet de méthodes de contraception parmi les plus sûres et les plus techniquement avancées, assurer à toutes les femmes et les adolescentes l’accès à des conseils fondés sur les droits et à des informations sur les services de santé procréative et rétablir l’accès des victimes de violence sexuelle aux contraceptifs d’urgence  ;

d) Mettre en place un mécanisme de plainte confidentiel à l’intention des femmes victimes de discrimination, de harcèlement ou de mauvais traitements lorsqu’elles cherchent à obtenir des soins après un avortement ou une grossesse ou d’autres services de santé procréative  ;

e) Prévenir les mauvais traitements à l’égard des femmes qui cherchent à obtenir des soins après une grossesse dans un hôpital public, enquêter sur tous les faits de ce type et les punir et offrir des voies de recours judiciaires utiles aux victimes.

Administration de châtiments corporels aux enfants

Le Comité est préoccupé par le fait que l’administration de châtiments corporels aux enfants dans la famille reste légale dans l’État partie. Le Comité est également préoccupé par la soumission au Parlement du projet de loi no 922, qui vise à ramener l’âge de la responsabilité pénale de 15 à 9 ans (art. 2 et 16).

L’État partie devrait :

a) Accélérer l’adoption par le Sénat du projet de loi contre les châtiments corporels ( n o 2182), qui prévoit d’interdire l’administration de châtiments corporels aux enfants dans tous les contextes, y compris dans la famille  ;

b) Retirer immédiatement le projet de loi n o 922 du Congrès, afin de maintenir l’âge actuel de la responsabilité pénale.

Procédure de suivi

43. Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, au plus tard le 13 mai 2017, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations portant sur la détention provisoire et le surpeuplement carcéral, sur les mesures prises en ce qui concerne la torture et les mauvais traitements et sur les mesures prises pour fermer tous les lieux de détention secrets (voir les paragraphes 14, 16 et 22 ci-dessus). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, au cours de la période que couvrira le prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

44. Le Comité recommande à nouveau à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, par laquelle il reconnaîtrait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction.

45. Le Comité invite l’État partie à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie.

46. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

47. L’État partie est invité à soumettre son quatrième rapport périodique le 13 mai 2020 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté de faire rapport au Comité selon la procédure simplifiée pour l’établissement des rapports, le Comité adressera en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son quatrième rapport périodique soumis en application de l’article 19 de la Convention. L’État partie est également invité à soumettre son document de base commun conformément aux instructions figurant dans les directives harmonisées pour l’établissement des rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).