Nations Unies

CAT/C/BEL/CO/4

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 août 2021

Original : français

Comité contre la torture

Observations finales concernant le quatrième rapport périodique de la Belgique *

1.Le Comité contre la torture a examiné le quatrième rapport périodique de la Belgique à ses 1830e et 1831e séances, tenues en format virtuel en raison de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19), les 15 et 16 juillet 2021, et a adopté les présentes observations finales à sa 1838e séance, le 28 juillet 2021.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du quatrième rapport périodique de l’État partie, qui est conforme aux lignes directrices pour la rédaction des rapports périodiques. Le Comité apprécie l’acceptation par l’État partie de mener le dialogue en format virtuel en raison des mesures administratives imposées par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

3.Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation multidisciplinaire de l’État partie et remercie cette dernière pour les réponses et compléments d’information apportés.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie, depuis l’examen de son troisième rapport périodique, a adhéré aux instruments internationaux ci-après, ou les a ratifiés :

a)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, en 2014 ;

b)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en 2014 ;

c)La Convention sur la réduction des cas d’apatridie, en 2014.

5.Le Comité accueille également avec satisfaction les mesures législatives, administratives et institutionnelles suivantes mises en place par l’État partie pour donner effet à la Convention, notamment :

a)La création, le 24 avril 2019, du Conseil central de surveillance pénitentiaire, ainsi que des Commissions de surveillance en septembre 2019 et des Commissions des plaintes en octobre 2020, organes prévus par la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (« loi de principes ») ;

b)La loi du 12 mai 2019 portant création d’un institut fédéral pour la protection et la promotion des droits humains;

c)La loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire, instaurant un service minimum en cas de grève du personnel pénitentiaire ;

d)La loi du 6 juillet 2016 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l’aide juridique et la loi du 21 novembre 2016relative à certains droits des personnes soumises à un interrogatoire (« loi Salduz II »), qui étend le droit d’accès à un avocat lors des interrogatoires dans le cadre des procédures pénales ;

e)La loi du 4 avril 2014 modifiant l’article 41 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992, en vue de garantir l’identification des fonctionnaires de police ;

f)La loi du 5 mai 2014 relative à l’internement, remplaçant la loi de défense sociale, et l’ouverture de deux nouveaux centres psychiatriques médico-légaux à Gand et à Anvers.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

6.Dans ses précédentes observations finales, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations suivantes : a) la mise en place de garanties juridiques pour les personnes détenues ou le renforcement des garanties existantes ; b) l’établissement d’un registre des détentions officiel et centralisé ;c) la conduite rapide d’enquêtes impartiales et effectives sur l’usage excessif de la force par les forces de l’ordre ; d) l’établissement d’un mécanisme de plaintes dans les prisons et centres fermés, recommandations qui figurent aux paragraphes 11, 12, 13 et 14 desdites observations finales. Tout en notant les informations reçues de l’État partie le 21 novembre 2014 sur la mise en œuvre de ces recommandations, le Comité considère que les recommandations formulées aux paragraphes 11 et 13 de ses précédentes observations finales n’ont pas encore été pleinement appliquées. Ces points sont traités aux paragraphes 7, 8, 15 et 16 du présent document.

Violences policières et ouverture immédiate d’enquêtes approfondies et impartiales

7.Le Comité demeure préoccupé par la prévalence des mauvais traitements et l’usage excessif de la force par les services de police, y compris lors de l’immobilisation de détenusqui, dans certains cas, ontconduit aux décès des personnes interpellées. Il prend note aussi des informations faisant état d’interventions policières disproportionnées dans le contexte de manifestations, par exemple, pendant les rassemblements interdits en raison de la pandémie du 1er avril et du 1er mai 2021. Compte tenu de ce qui précède, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni de données précises, combinées et actualisées sur l’usage illégitime de la force, étant donné la fragmentation des services qui contrôlent le travail de la police et la difficile comptabilisation des plaintes et des poursuites devant la justice.Il ressort des chiffres apportés dans l’annexe 1 du rapport de l’État partie qu’entre 2012 et 2016, 20 % seulement des affaires avaient donné lieu à des poursuites et 59 % avaient été classées sans suite. Le Comité s’inquiète aussi de la légèreté des sanctions pénales et du taux très élevé de suspension du prononcé. Il constate avec préoccupation une application lacunaire de la loi disciplinaire, menant à la suspension des procédures et l’absence de sanctions, alors même qu’une infraction pénale était établie. Le Comité exprime une nouvelle fois sa préoccupation face à l’inefficacité des enquêtes menées par des organes de contrôle, en particulier le Service d’enquête du Comité permanent de contrôle des services de police (Comité P), composé de membres statutaires ainsi que de membres détachés de la police, qui est responsable des enquêtes mais doit aussi détecter les dysfonctionnements de la police et aider cette dernière à y remédier, ce qui peut créer un conflit d’intérêts pouvant nuire à l’impartialité de celle-ci. Le Comité note aussi avec préoccupation que le dispositif judiciaire « traitement policier autonome » (« TPA ») permet à la police de mener l’enquête préliminaire jusqu’à son terme sans l’intervention du parquet, ce qui réduit le contrôle judiciaire de ces actions. Une autre source de préoccupation pour le Comité est le non-respect par certains agents de police de leur obligation d’être identifiables, ce qui conduit à l’absence d’actions judiciaires à leur égard (art. 2, 12, 13 et 16).

8. Rappelant l a recomm andation figurant dans ses précédentes observations finales , le Comité prie l ’ État partie de prendre des mesures urgentes pour examiner de manière indépendante et transparente le recours aux mauvais traitements et à l ’ usage excessif de la force par les services de police, en vue de mettre en place l es politiques de prévention nécessaires et de renforcer les dispositifs de contrôle internes et externes. À cet égard , le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De m ettre en place un mécanisme indépendant pour permettre aux victimes de torture, de mauvais traitements et de violences illégitimes de déposer plus facilement plainte, avec obligation pour l ’ État partie de diligenter des enquêtes sur ces plaintes, et de faire en sorte que, dans la pratique, les plaignants soient associés à la procédure dans la mesure nécessaire à la sauveg arde de leurs intérêts légitimes, soient informés de l ’ évolution de leur plainte et soient protégés contre tout risque de représailles  ;

b) D ’ o uvrir sans délai et de manière proactive des enquêtes indépendantes, approfondies, diligentes et impartiales sur toutes les allégations de violence illégitime commise par des agents de police, en veillant à ce qu ’ il n ’ y ait aucun lien pratique, institutionnel ou hiérarchique entre les enquêteurs et les auteurs présumés des faits et à ce que ces derniers, s ’ ils sont reconnus coupables, soient condamnés à une peine proportionnée à la gravité de leurs actes  ;

c) De v eiller, en cas de présomption d ’ actes d e torture ou de mauvais traitements, à ce que les suspects soient immédiatement suspendus de leurs fonctions pendant la durée de l ’ enquête  ;

d) D ’ a ccélérer la procédure législative de refonte de la loi disciplinaire et d ’ établir une banque de données jurisprudentielle de décisions disciplinaires ;

e) D ’ a ssurer un contrôle effectif des actes des agents de police par les procureurs pendant les enquêtes, en garantissant que chaque fois que sont consignées des lésions compatibles avec d es allégations de mauvais traitements pendant l ’ examen d ’ un détenu , le constat soit porté immédiatement et systématiquement à l ’ attention du procureur compétent ;

f) D ’ a méliorer le système de collecte des données et d ’ enregistrement des plaintes relatives aux violences policières, y compris celles à caractère raciste, en veillant à ce que des données statistiques complètes et ventilées soient établies concernant les plaintes déposées, les signalements pour faits de violence et d ’ usage excessif de la force, les enquêtes administratives et judiciaires ouvertes, les poursuites engagées, les condamnations et les sanctions prononcées, les décisions de non-lieu et les classements sans suite.

Profilage ethnique

9.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles la police continue à cibler des personnes issues de groupes minoritaires lors des contrôles d’identité et regrette l’absence de données sur ces contrôles, qui permettraient d’analyser les raisons et la manière dont ils sont effectués. Cependant, le Comité a appris avec intérêt que l’État partie est en train de mettre en place un cadre de référence au niveau national visant à réduire l’arbitraire lors des contrôles d’identité et à permettre l’enregistrement de plaintes sur le profilage ethnique (art. 2 et 16).

10. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accélérer la mise en place de ce cadre de référence au niveau national pour collecter des données sur la pratique du contrôle d ’ identité, le motif et le résultat du contrôle, ainsi que l ’ origine ethnique et le sexe de la personne contrôlée, afin de réaliser une étude sur la pratique du profilage racial, d ’ en identifier les causes et de prévenir les pratiques arbitraires.

Formation et encadrement de l’action policière

11.Tout en notant les efforts faits pour former la police à la désescalade de la violence, à la communication et à la gestion du stress et du conflit, le Comité constate le besoin de renforcer les formations disponibles concernant le recours à la contrainte et ses alternatives, le respect des libertés fondamentales, l’obligation de garantir l’identification des membres des forces de l’ordre (voir par. 5 e) des présentes observations finales), et d’établir un meilleur encadrement du personnel déployé (art. 10).

12. L ’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tous les agents de la fonction publique aient une bonne connaissance des dispositions de la Convention, de l ’ interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements , et des sanctions auxquelles ils s ’ exposent en cas de manquement  ;

b) Renforcer les formations des agents de police en ce qui concerne l e recours à la contrainte , les techniques destinées à empêcher l ’ escalade de la violence, le respect des libertés fondamentales, y compris le fait de filmer les interventions policières, et l ’ obligation pour les agents de police de s ’ identifier et de motiver les raisons de leurs interventions. Le Comité recommande à l ’ É ta t partie de s ’ inspirer des nouveaux principes relatifs à l ’ efficacité des entretiens dans le cadre des enquêtes et de la collecte d ’ informations, dits «  principes de M é ndez  »  ;

c) A ugmenter l ’ engagement régulier d ’ officier s encadreur s expérimenté s dans les services opérationnels  ;

d) Concevoir une méthode permettant d ’ évaluer l ’ efficacité des programmes de formation visant à réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements  ;

e) Intégrer de façon systématique le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) dans toutes les formations destinées au personnel de la police, ainsi qu ’ au personnel civil et médical qui intervient dans la garde et le traitement de tout individu arrêté , détenu ou emprisonné.

Réglementation de l’action policière

13.Le Comité s’inquiète de l’utilisation du plaquage ou décubitus ventral par la police pour maîtriser des individus, technique qui a occasionné la mort de Jozef Chovanec en février 2018. Il relève avec préoccupation une utilisation excessive d’équipements tels que l’arroseuse, le spray lacrymogène et les matraques pour disperser des manifestations, ainsi que l’utilisation d’armement de calibre élevé (art. 2).

14. L ’ État partie devrait envisager l ’ interdiction totale du plaquage ventral ou, à défaut, l a réglementation stricte des techniques d ’ immobilisation adaptées et de l ’ utilisation d ’ équipements et d ’ armes lors de rassemblements et en cas de menace terroriste, en mett a nt l ’ accent sur l ’ interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements et en expliqu ant la nécessité d ’ évaluer le recours à des mesures coercitives, d es équipements ou d es armement s au regard du risque potentiel qu ’ ils représentent et de l ’ insuffisance d ’ autres mesures moins restrictives, et ce , conformément aux dispositions de la Convention et des Principes de base sur le recours à la force et l ’ utilisation des armes à feu par les responsables de l ’ application des lois .

Garanties juridiques fondamentales

15.Le Comité salue le renforcement du droit d’accès à un avocat par la loi « Salduz II » (voir par. 5 d) des présentes observations finales), mais s’inquiète d’informations indiquant que ce droit n’est toujours pas respecté dans les faits. En effet, selon l’article 47 bis du Code d’instruction criminelle, l’audition peut débuter avant l’arrivée de l’avocat, même si cela pourrait être contesté comme une violation du droit de la défense. Il regrette aussi que les personnes faisant l’objet d’une arrestation administrative n’aient pas droit à un avocat, étant donné que la présence d’un conseil représente une garantie fondamentale contre les mauvais traitements policiers (art. 2 et 11).

16. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter l es mesures nécessaires, y compris législatives, pour garantir que le droit d ’ accès à un avocat soit étendu à toutes les formes de privation de liberté, y compris dans le cadre de l ’ arrestation administrative, et soit toujours respecté dès le début de la privation de liberté.

Conditions de détention

17.Malgré l’augmentation de la capacité pénitentiaire et une baisse du taux de surpopulation à 10,66 % en 2020, à la suite des mesures prises dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le Comité note avec préoccupation que la surpopulation perdure, avec de grands écarts entre les prisons. Selon les informations reçues, cela s’expliquerait, entre autres, par : a) l’augmentation du nombre de personnes en détention préventive, qui représentent environ 37 % de la population carcérale ; b) le cumul et l’allongement des peines ; c) le recours à la surveillance électronique seulement comme une alternative à la libération conditionnelle plutôt que comme une alternative à la détention préventive ; et d) le recours marginal et tardif à la libération conditionnelle et le manque d’autres alternatives à l’emprisonnement, comme, par exemple, un mécanisme pour la libération des détenus âgés en fin de peine. Tout en notant les efforts de l’État partie pour renouveler d’anciennes prisons et encourager les alternatives à l’emprisonnement et à la détention préventive, le Comité déplore la vétusté du parc carcéral donnant lieu à des conditions de détention insalubres, des infestations, des moisissures, le manque de douches et de toilettes et l’insuffisance de régimes alimentaires adaptés (art. 2 et 16).

18. Le Comité rappelle les recommandation s formulées dans ses précédentes observations finales et engage l ’ État partie  :

a) À tenir compte d es enseignements tirés de la pandémie de COVID-19 et à intensifier ses efforts pour réduire de manière significative la surpopulation carcérale , en s ’ efforçant de diminuer l ’ afflux de détenus et en ayant davantage recours à des peines de substitution à la privation de liberté, telles que la libération conditionnelle ou la libération anticipée, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok)  ;

b) À p oursuivre s es efforts pour évaluer le recours à la détention préventive, en vue de réviser sa réglementation et d ’ adopter les mesures nécessaires, notamment en matière de formation des juges, pour que la détention préventive ne soit imposée qu ’ à titre exceptionnel et pour des périodes limitées, et à promouvoir le recours aux mesures de substitution à la détention préventive, telles que la surveillance électronique  ;

c) À p oursuivre la réforme du droit pénal et de la procédure pénale afin que les peines de prison ne puissent être prononcées qu ’ en dernier recours  ;

d) À m ettre les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en conformité avec l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ( Règles Nelson Mandela ) et les Règles pénitentiaires européennes du Conseil de l ’ Europe  ;

e) À r atifier le Protocole f acultatif se rapportant à la Convention dès que possible, afin que l ’ État partie puisse établir ou désigner un mécanisme national de prévention de la torture.

Accès aux soins de santé pour les personnes privées de liberté

19.Le Comité relève avec préoccupation l’insuffisance des soins de santé et le manque de personnel médical formé et spécialisé dans les prisons, la mauvaise qualité des soins dentaires, ainsi que le manque d’indépendance des prestataires de soins, qui sont impliqués dans les procédures disciplinaires des détenus. La surpopulation carcérale étant un facteur de la mauvaise santé mentale des détenus, le Comité s’inquiète de l’insuffisance des soins psychiatriques, du taux élevé de suicides et de l’accompagnement insuffisant des détenus ayant des tendances suicidaires (art. 2, 11 et 16).

20. Le Comité prie l ’ État partie d ’ adopter les arrêtés d ’ application et les mesures nécessaires pour que les détenus jouissent de leur droit à bénéficier de soins de santé à un niveau équivalent à celui des soins de santé dans la société ( art . 88 de la loi de principes) . À cette fin, l ’ État partie doit notamment  :

a) Augmenter l ’ offre de soins médicaux, psychiatriques et dentaires dans les établissements pénitentiaires, ainsi que la disponibilité de personnel de santé spécialisé et formé, et faciliter l ’ accès aux services externes  ;

b) A méliorer la coordination dans la communication concernant les profils de détenus à risque ou présentant de s tendances suicidaires et veiller à ce qu ’ ils bénéficient d ’ un traitement et d ’ un accompagnement adéquat s dans une infrastructure médicale adaptée  ;

c) Garantir l ’ indépendance clinique du personnel médical en le plaçant sous l ’ autorité du M inistre de la s anté publique et en évitant l ’ implication de ce personnel dans l ’ imposition de sanctions disciplinaires aux détenus .

Fouilles au corps

21.Tout en notant que la fouille au corps ne peut être pratiquée que sur décision motivée du directeur de la prison quand celui-ci estime qu’il ressort d’indices individualisés que la fouille des vêtements ne suffit pas, le Comité demeure préoccupé par le constat du Médiateur fédéral en 2019 sur les fouilles au corps pratiquées de manière systématique à l’entrée de l’établissement pour les détenus provenant de l’extérieur, lors de la mise au cachot, et de manière aléatoire dans quelques établissements, parfois simultanément sur plusieurs codétenus. Le Comité prend note que l’État partie est en train de suivre les recommandations du Médiateur fédéral (art. 11 et 16).

22. Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en œuvre au plus vite les recommandations du Médiateur fédéral relatives aux fouilles au corps et d ’ assurer un contrôle strict des règles établies. L ’ É ta t partie devrait limiter les fouilles au corps à la stricte nécessité, lorsqu ’ elles sont fondées sur une évaluation individuelle concrète, de manière proportionnelle par rapport au but poursuivi et, dans les cas où elles s ’ avèrent inévitables , le s faire dans des conditions qui respectent la dignité des détenus.

Lutte contre le terrorisme

23.Le Comité relève avec préoccupation l’adoption de nouvelles méthodes d’enquête appliquées aux infractions terroristes, comme la possibilité de recourir à des perquisitions 24 heures sur 24 et la mise en place de l’infiltration civile. Il constate aussi avec préoccupation un recours à la notion de radicalisation, définie de manière vague, pour : a) gérer préventivement la menace terroriste par des mesures d’exception ; et b) placer en régime de sécurité ou dans des sections D-Rad:Ex des détenus dits « radicalisés », soumis à des restrictions considérables, sans procédure contradictoire ni révision de la décision. Bien que certains programmes de désengagement existent, aucun programme spécialisé de déradicalisation personnalisé n’est mis en œuvre de manière systématique et le placement des détenus en régime de sécurité rend difficile leur désengagement (art. 2, 11, 16).

24. L ’ État partie devrait  :

a) Effectuer une évaluation parlementaire au regard des d roits de l ’ homme de sa législati on et de la pratique qui en découle en matière de lutte contre le terrorisme, comme l ’ a recommandé le Comité des droits de l ’ homme  ;

b) Veiller à ce que l a décision de soumettre des détenus à des mesures ou régimes de sécurité repose sur une évaluation individualisée, fondée sur des critères précis et objectifs, notamment le comportement réel de la personne, s ’ appuie sur des informations crédibles, concrètes, complètes et actualisées qui montrent que la mesure est nécessaire et proportionnée, et fasse l ’ objet d ’ un réexamen périodique par une entité indépendante et impartiale auquel le détenu peut participer de manière significative pour contester ces mesures ou régimes  ;

c) Veiller à ce que les conditions de détention des personnes soupçonnées de terrorisme soient conformes aux Règles Nelson Mandela, en particulier en ce qui concerne l ’ isolement cellulaire et les contacts avec le monde extérieur  ;

d) M ettre en place de manière obligatoire, systématique et individualisée des programmes de déradicalisation pour les détenus gérés par les services d ’ aide et d ’ assistance aux détenus .

Non-refoulement

25.Le Comité relève avec préoccupation le manque de précision dans la loi nationale concernant les critères relatifs aux pays tiers « sûrs », surtout que la liste des pays sûrs est établie par arrêté royal après une analyse in abstracto du niveau de sûreté d’un pays et en dépit de la situation sanitaire de la COVID-19. Il s’inquiète aussi du fait que les clauses permettant le refus ou le retrait du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire quand le réfugié est considéré comme un danger pour la sécurité nationale sont rédigées de manière imprécise. Le Comité note que cette liste et ces clauses n’empêchent pas l’étranger concerné de demander la protection internationale au motif qu’il risque d’être soumis à la torture dans son pays d’origine, quoique la charge de la preuve est plus lourde pour le demandeur dans de tels cas. Le Comité s’inquiète aussi du manque de recours suspensif de la décision d’éloignement auprès du Conseil du contentieux des étrangers, même si les personnes concernées peuvent demander en extrême urgence la suspension de l’exécution de la mesure. Enfin, le Comité demeure préoccupé par des informations indiquant que l’État partie continue à extrader sur la base d’assurances diplomatiques et à éloigner vers des pays en conflit avec un risque élevé que les personnes extradées ou renvoyées subissent des actes de torture ou des mauvais traitements. Cependant, le Comité apprend avec intérêt qu’une commission indépendante a été constituée pour faire une refonte de la loi sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (dite « loi sur les étrangers »), de 1980 (art.3).

26. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires, y compris législatives, afin  :

a) De v eiller à ce que tous les étrangers qui risquent d ’ être refoulés, y compris ceux qui viennent de « pays d ’ origine sûrs », aient accès à des procédures équitables, avec un entretien pour évaluer le risque qu ’ ils soient soumis à la torture et à des mauvais traitements dans leur pays d ’ origine au regard de l eur situation personnelle  ;

b) D ’ a ppliquer les clauses d ’ exclusion ou de retrait relatives au statut des réfugiés uniquement lorsqu ’ il existe des motifs sérieux de croire qu ’ un réfugié pourrait avoir été impliqué dans un acte visé par lesdites clauses et seulement après un examen complet des circonstances particulières de l ’ affaire, y compris le risque de torture dans le pays d ’ origine  ;

c) De g arantir que tous les étrangers qui risquent d ’ être refoulés aient la possibilité d ’ obtenir un réexamen individuel de la décision d ’ éloignement avec effet suspensif automatique  ;

d) De s ’ abstenir de solliciter et d ’ accepter des assurances diplomatiques, tant dans les cas d ’ extradition que dans les cas d ’ expulsion, de la part d ’ un État dans lequel il y a des motifs de croire qu ’ une personne risquerait d ’ être soumise à la torture ou à des mauvais traitements à son retour  ;

e) De s ’ abstenir d ’ expulser des étrangers vers des pays d ’ origine dans lesquels l ’ existence d ’ un conflit armé faisant de nombreuses victimes civiles et l ’ absence d ’ un véritable état de droit donnent de bonnes raisons de penser qu ’ ils seraient victimes de torture ou de mauvais traitements à leur retour.

Opérations d’éloignement

27.Le Comité reste préoccupé par le manque d’impartialité de l’Inspection générale de la police fédérale et de la police locale (AIG), composée d’agents recrutés par la police locale ou fédérale. Étant donné le nombre élevé de retours forcés, le Comité demeure préoccupé par l’insuffisance des moyens humains et financiers de l’AIG, notamment des membres de sa cellule « retour forcé », pour réaliser son mandat, et regrette que l’État partie continue à juger inopportune l’utilisation de la vidéo dans ce cadre (art. 3).

28. Le Comité réitère l es recommandations formulées dans ses précédentes observations finales et prie l ’ État partie d ’ accélérer les débats parlementaires concernant la proposition de loi visant à la création d ’ une commission permanente pour le suivi de la politique d ’ éloignement des étrangers. Il lui recommande aussi de garantir le contrôle indépendant de l ’ exécution des mesures de retour forcé , avec des moyens humains et financiers appropriés et un système de surveillance objectif avec l ’ enregistrement vidéo de chacune des tentatives d ’ éloignement surveillées .

Détention quasisystématique des demandeurs de protection internationale à la frontière

29.Malgré les explications selon lesquelles les mineurs et leurs familles ne sont pas détenus à la frontière, le Comité demeure préoccupé par la détention quasisystématique de tous les autres demandeurs de protection internationale,conformément à l’article 74/5 de la loi sur les étrangers, et par l’acceptation de cette pratique par la Cour constitutionnelle belge, qui la considère nécessaire afin d’assurer un contrôle efficace des frontières (arrêt du 25février 2021). Cependant, le Comité constate que l’article 74/5 de la loi sur les étrangers est censé transposer la Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, qui prévoit la possibilité de placer un demandeur en rétention seulement lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées. Le Comité rappelle aussi que la Cour européenne des droits de l’homme a évalué la pratique de la détention automatique aux frontières dans son affaire Thimothawes c. Belgique et qu’elle a estimé que la détention généralisée des demandeurs d’asile sans évaluation individuelle des besoins particuliers était problématique (art.11 et 16).

30. Le Comité encourage l ’ É t at partie à suivre les recommandations suivantes lors de la refonte de la loi des étrangers annoncée pendant le dialogue  :

a) S ’ abstenir de placer les demandeurs de protection internationale en rétention à la frontière et mettre en place des alternatives à la détention, entre autres, en adoptant l ’ arrêté royal prévu par la loi sur les étrangers . L ’ É t at partie ne doit recourir à la rétention qu ’ à titre exceptionnel et en dernier ressort, sur la base d ’ une appréciation au cas par cas et si d ’ autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées  ;

b) Prendre des mesures pour identifier à la frontière les demandeurs de protection internationale ayant des besoins spécifiques, en particulier les victimes de torture et de mauvais traitements. Notamment veiller à ce que tous les demandeurs de protection internationale, y compris ceux qui font l ’ objet d ’ une procédure accélérée, puissent être soumis dès leur arrivée à un contrôle médical et à un examen destinés à repérer les signes de traumatismes, effectués par des professionnels indépendants et qualifiés, avec l ’ appui, si nécessaire, de services d ’ interprétation.

Rapatriement des enfants dans les zones de conflit

31.Le Comité salue l’engagement récent du Gouvernement de rapatrier tous les enfants de moins de 12 ans nés de ressortissants belges ainsi que le rapatriement, juste après le dialogue avec le Comité, de six femmes et 10 enfants belges de moins de 12 ans de République arabe syrienne. Cependant, le Comité demeure préoccupé par le sort des autres enfants de moins de 18 ans et de leurs mères, qui sont détenus dans des camps du nord-est de la République arabe syrienne dans des conditions inhumaines et dégradantes et sans accès à des garanties juridiques, à un recours effectif ou à un procès équitable (art. 2 et 5).

32. L ’ État partie devrait faciliter le rapatriement de tous les enfants nés de ressortissants belges et de leurs mères, qui se trouvent dans les zones de conflit, en respectant le principe de l ’ intérêt supérieur de l ’ enfant, assurer leur réintégration et faciliter leur accessibilité aux structures de réhabilitation.

Invocabilité de la Convention devant la juridiction nationale

33.Le Comité s’inquiète de l’absence d’une disposition dans le droit interne consacrant l’effet direct des traités internationaux, et du fait que c’est au juge qu’il appartient de décider si une norme de la Convention est directement applicable (art. 2, 4, 10, 12 et 13).

34. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à la pleine applicabilité des dispositions de la Convention dans son ordre juridique interne. L ’ État partie devrait dispenser une formation au personnel des forces de l ’ ordre et aux membres de l ’ appareil judiciaire afin de les sensibiliser aux dispositions de la Convention et à leur applicabilité directe.

Définition de la torture

35.Le Comité regrette que l’État partie n’ait toujours pas modifié l’article 417 bis du Code pénal, visant à définir la torture, malgré les recommandations formulées par le Comité dans de précédentes observations finales (art. 1er et 4).

36.Conformément à l ’ engagement pris récemment par l ’ É ta t partie lors de l ’ E xamen périodique universel , le Comité prie l ’ État partie de modifier, à titre prioritaire, l ’ article 417 bis du Code pénal, afin que la définition légale de la torture reprenne tous les éléments de l ’ article premier de la Convention, spécialement les actes de torture motivés par une forme de discrimination quelle qu ’ elle soit.

Irrecevabilité des preuves obtenues par la torture

37.Tout en notant que la délégation a confirmé que des aménagements étaient prévus, le Comité regrette que, malgré la recommandation qu’il avait formulée dans ses précédentes observations finales, l’État partie n’ait toujours pas modifié son Code de procédure pénale afin d’inclure une disposition sur l’irrecevabilité des preuves obtenues par la torture (art. 15).

38. Le Comité invite instamment l ’ État partie à modifier sa législation afin que toute déclaration ou preuve obtenue par la torture ou par des mauvais traitements ne soit pas utilisée ni invoquée comme élément de preuve dans une procédure, sauf comme élément de preuve contre la personne accusée d ’ actes de torture.

Mesures de réparation et d’indemnisation des victimes de torture ou de mauvais traitements

39.Rappelant la recommandation formulée dans ses précédentes observations finales, le Comité regrette que l’État partie ne dispose pas de banques de données complètes et actualisées permettant de répertorier le nombre de requêtes de réparation introduites par des victimes de mauvais traitements ou le montant des dommages et intérêts octroyés à ces victimes. Il regrette aussi l’absence de programmes de réadaptation accessibles à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements, y compris pour les demandeurs d’asile, les réfugiés et les personnes privées de liberté (art. 14).

40. Le Comité recommande à l ’ État partie de faire le nécessaire, sur le plan législatif, pour que les victimes d ’ actes de torture ou de mauvais traitements commis sur son territoire ou à l ’ étranger obtiennent une réparation complète et effective, y compris des moyens de réadaptation et des soins spécifiquement adaptés à leur s besoin s . Le Comité rappelle à l ’ État partie son observation générale n o  3 (2012), dans laquelle il explique le contenu et la portée de l ’ obligation qui incombe aux États parties de garantir une réparation complète aux victimes d ’ actes de torture. L ’ État partie devrait réunir des informations sur les mesures de réparation et d ’ indemnisation, y compris les moyens de réadaptation, qui ont été ordonnées par les tribunaux ou d ’ autres organes de l ’ État et dont les victimes d ’ actes de torture ou de mauvais traitements ont effectivement bénéficié, et les faire parvenir au Comité.

Procédure de suivi

41.  Le Comité demande à l ’ État partie de lui faire parvenir au plus tard le 30 juillet 2022 des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée à ses recommandations concernant la ratification du Protocole f acultatif se rapportant à la Convention, le principe de non-refoulement et le rapatriement des enfants et de leurs mères qui se trouvent dans l es zone s de conflit (voir par. 18 e), 26 et 32 des présentes observations finales). Dans ce contexte, l ’ État partie est invité à informer le Comité des mesures qu ’ il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d ’ ici à la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

42. Le Comité invite l ’ État partie à étudier la possibilité de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l ’ homme auxquels il n ’ est pas encore parti e .

43. L ’ État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l ’ intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.

44.  Le Comité prie l ’ État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le cinquième, le 30 juillet 2025 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l ’ État partie a accepté la procédure simplifiée, le Comité communiquera en temps voulu à l ’ État partie une liste de points avant que celui-ci ne soumette le rapport attendu. Les réponses de l ’ État partie à cette liste constitueront le cinquième rapport périodique qu ’ il soumettra en application de l ’ article 19 de la Convention.