Nations Unies

CAT/C/CAN/CO/7

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 décembre 2018

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le septième rapport périodique du Canada *

1.Le Comité contre la torture a examiné le septième rapport périodique du Canada (CAT/C/CAN/7) à ses 1695e et 1698e séances (voir CAT/C/SR.1695 et 1698), les 21 et 22 novembre 2018 et a adopté les présentes observations finales à ses 1715e et 1716e séances, le 5 décembre 2018.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports, qui permet de mieux cibler le dialogue entre l’État partie et le Comité.

3. Le Comité se félicite de l’occasion qui lui a été donnée d’avoir de mener un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adhéré au Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 3 décembre 2018.

5.Le Comité salue les mesures prises par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et d’appliquer la Convention, en particulier :

a)La mise en place de la Commission civile d’examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada (qui a succédé à la Commission des plaintes du public) et de l’Équipe d’intervention en cas d’incident grave en Nouvelle‑Écosse, respectivement en 2015 et en 2012, ainsi que le lancement des opérations des bureaux des enquêtes indépendantes en Colombie-Britannique et au Québec, respectivement en 2012 et en 2016 ;

b)Le lancement, en décembre 2012, de la Section d’appel des réfugiés, qui examine les recours formés contre les décisions de la Section de la protection des réfugiés concernant les demandes de protection ;

c)L’adoption du Plan d’action sur la santé mentale pour les délinquants sous responsabilité fédérale, en mai 2014 ;

d)La mise en œuvre, par le Service correctionnel du Canada, d’un plan national visant à répondre aux besoins des délinquants autochtones, y compris la création de centres d’intervention pour les autochtones, qui proposent des programmes et des interventions et incitent les collectivités autochtones à contribuer aux plans de libération des délinquants et à leur réinsertion ;

e)Le lancement du programme élargi sur les mesures de substitution à la détention de l’Agence des services frontaliers du Canada, en juillet 2018 ;

f)L’adoption de l’initiative « Il est temps : la stratégie du Canada pour prévenir et contrer la violence fondée sur le sexe », en 2017 ;

g)L’adoption du plan d’action national contre la traite des êtres humains, en juin 2012.

6.Le Comité salue également la tenue, pour la première fois en près de 30 ans, de la réunion des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables des droits de l’homme, en décembre 2017, au cours de laquelle les participants ont examiné les principales priorités des pouvoirs publics concernant les obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme.

7.Le Comité félicite l’État partie de son engagement constant en faveur de l’installation des réfugiés, et prend note du fait qu’il prévoit de réinstaller 31 700 réfugiés en 2020.

8.Le Comité se félicite de ce que l’État partie maintienne l’invitation permanente qu’il a adressée aux titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme, ce qui a permis à des experts indépendants d’effectuer des visites dans le pays au cours de la période considérée.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

9.Dans ses précédentes observations finales (CAT/C/CAN/CO/6, par. 29), le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée aux recommandations dont la mise en œuvre était considérée comme prioritaire, à savoir celles qui concernaient les certificats de sécurité délivrés en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (par. 12), la détention d’immigrants (par. 13), les actes de torture et les mauvais traitements subis par des Canadiens détenus à l’étranger (par. 16) et les renseignements de sécurité obtenus par la torture (par. 17). Le Comité remercie l’État partie pour les réponses qu’il lui a adressées sur ces sujets le 20 août 2013 dans le cadre de la procédure de suivi (CAT/C/CAN/CO/6/Add.1). Au vu des informations fournies, le Comité estime que les recommandations qui figuraient aux paragraphes 12, 13 et 17 n’ont pas été mises en œuvre (voir par. 46 et 47, 34 et 35, et 42 et 43, respectivement, du présent document) et que celles qui figuraient au paragraphe 16 ont été partiellement mises en œuvre (voir par. 38 et 39 du présent document).

Garanties juridiques fondamentales

10.Le Comité prend note des garanties de procédure énoncées à l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés, à savoir le droit de tout détenu d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention, d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit, et de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération. Ilregrette toutefois d’avoir reçu peu de renseignements sur les mesures et les procédures qui permettent de garantir dans la pratique le respect de ces droits et des autres garanties visant à prévenir la torture et les mauvais traitements. À cet égard, il a été signalé que les détenus avaient parfois des difficultés à avoir accès aux services d’un interprète et à leur famille (art. 2).

11. L’État partie devrait veiller à ce que toutes les personnes arrêtées ou détenues bénéficient, en droit et dans la pratique, dès le début de la privation de liberté, de toutes les garanties fondamentales contre la torture, y compris des droits d’être assistées par un avocat sans délai, de bénéficier de l’assistance d’un interprète si nécessaire, de demander et d’obtenir un examen médical réalisé par un médecin indépendant, de prévenir rapidement un proche ou toute autre personne de leur choix de leur arrestation et d’être présentées dans le plus court délai devant un juge.

Conditions de détention

12.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour améliorer les conditions de détention en général et réduire le surpeuplement carcéral dans certains lieux de détention mais il reste préoccupé par les conditions de vie déplorables qui règnent dans certains postes de police et autres lieux de détention et par l’insuffisance de la nourriture. Il est également préoccupé par les cas signalés de pratiques arbitraires, en particulier d’interrogatoires prolongés, de privation de sommeil et de fouilles abusives à nu ou avec examen des cavités corporelles. De plus, il constate avec préoccupation que le nombre de personnes en détention provisoire n’a cessé de s’accroître pendant la période considérée, augmentant de 18 % entre 2013 et 2016. Comme l’a déclaré la délégation, le problème des retards dans l’administration de la justice doit être réglé. Le Comité partage en outre les préoccupations exprimées par la Commission canadienne des droits de la personne et le Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui se sont inquiétés du fait que la récente croissance de la population carcérale soit due exclusivement à l’augmentation du taux d’incarcération de membres de peuples autochtones et d’autres groupes minoritaires, parmi lesquels des délinquants issus des communautés asiatique, latino-américaine et noire, ce qui a conduit à la surreprésentation de ces groupes dans la population carcérale. Il note que la délégation a reconnu qu’une transformation était nécessaire pour renverser cette tendance et que l’État partie a commencé à mettre en œuvre des mesures globales à cet effet comprenant, entre autres, des réformes législatives et stratégiques. Les institutions susmentionnées ont également signalé une augmentation marquée du nombre de détenus présentant un handicap, en particulier un handicap mental, dans les prisons fédérales. Le Comité prend note avec satisfaction des informations sur les nouvelles procédures mises en place par le Service correctionnel du Canada dans le but d’améliorer la prise en charge des détenus ayant des besoins complexes en matière de santé mentale, notamment par l’amélioration des stratégies d’intervention pour les détenus ayant des comportements autodestructeurs et suicidaires. Toutefois, même si les fonds alloués aux services de santé mentale dans les établissements pénitentiaires ont augmenté en 2017 et 2018, le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état d’un recours excessif aux moyens de contrainte et de l’insuffisance des capacités, des ressources et des infrastructures existantes pour traiter les cas de troubles mentaux graves en milieu pénitentiaire, un problème qui est particulièrement aigu dans les établissements pour femmes (art. 11 et 16).

13. L’État partie devrait :

a) Continuer de s’attacher à améliorer les conditions de détention et à remédier au surpeuplement dans les établissements pénitentiaires et autres lieux de détention, notamment en appliquant des mesures non privatives de liberté. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et sur les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) ;

b) Adopter d’urgence des mesures concrètes pour remédier aux problèmes liés aux conditions de vie en général dans les locaux de la police et autres lieux de détention, notamment pour ce qui est des normes de salubrité et d’hygiène et de l’accès à une alimentation suffisante ;

c) Garantir, en droit et dans la pratique, que la détention provisoire ne soit pas utilisée ou prolongée de façon excessive ;

d) Redoubler d’efforts pour lutter contre la surreprésentation des peuples autochtones et des autres groupes minoritaires dans les prisons et s’attaquer aux causes profondes de cette situation ;

e) A llouer les ressources nécessaires pour adapter les lieux de détention et leur effectif aux besoins des détenus présentant un handicap physique, conformément aux normes internationales ;

f) Améliorer la fourniture des services médicaux aux détenus, en particulier à ceux qui présentent des handicaps psychosociaux, en tenant compte du sexe et de l’âge de la personne concernée ;

g) Veiller à ce que les moyens de contention ne soient utilisés qu’en dernier ressort pour empêcher la personne concernée de présenter un danger pour elle-même ou pour autrui, et uniquement lorsque tous les autres moyens raisonnables ne permettraient pas d’écarter le danger de façon satisfaisante ;

h) Veiller à ce que les fouilles corporelles auxquelles sont soumises les personnes privées de liberté soient effectuées dans le respect de la dignité du détenu. Les fouilles corporelles invasives ne devraient être réalisées que si elles sont absolument nécessaires et être effectuées en privé et par du personnel qualifié, du même sexe que le détenu. Les fouilles et les formalités d’entrée applicables aux visiteurs ne doivent pas être dégradantes et devraient être au moins soumises aux mêmes règles que celles qui s’appliquent aux détenus (voir les articles 50 à 53 et 60 des  Règles Nelson Mandela).

Mise à l’isolement

14.Le Comité constate avec préoccupation que l’isolement pour une durée prolongée et indéterminée continue d’être utilisé, sous la forme de mesures d’isolement disciplinaire et d’isolement préventif. Conformément au paragraphe 3 de l’articles 31 de la loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, un détenu peut être placé en isolement préventif non sollicité à la discrétion du directeur de l’établissement, afin d’éviter des altercations, un préjudice ou des entraves au déroulement d’une enquête. Le Comité est d’avis que ces dispositions soulèvent des questions d’interprétation, en particulier en ce qui concerne la distinction entre les cas relevant de l’isolement préventif et ceux relevant de l’isolement disciplinaire. En outre, la loi ne précise pas la durée maximale du placement en isolement préventif. D’autres informations dont dispose le Comité indiquent que le recours à l’isolement préventif touche de manière disproportionnée les détenus autochtones, en particulier les femmes, et les détenus noirs. Le Comité constate en outre avec préoccupation que la mise à l’isolement en tant que mesure disciplinaire peut être prononcée pour une durée maximale de trente jours pour une infraction, ou de quarante-cinq jours pour des infractions multiples, avec ou sans restrictions aux visites de la famille, des amis et d’autres personnes de l’extérieur de l’établissement (art. 44 1) f) de la loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). Il prend note des explications données par la délégation concernant le contenu et l’état d’avancement du projet de loi C-83, qui permettrait d’éliminer l’isolement préventif et l’isolement disciplinaire dans le système correctionnel fédéral et remplacerait ces mesures par un nouveau modèle d’interventions correctionnelles, les « unités d’intervention structurée », dans lesquelles les détenus seraient maintenus en isolement social jusqu’à vingt heures par jour. Il constate toutefois que ce régime donne toute latitude au directeur du centre de détention pour imposer la mise à l’isolement, ne précise pas la durée maximale du placement dans une unité d’intervention structurée, n’interdit pas le placement des détenus présentant un handicap psychosocial dans ces unités, ne prévoit pas de mesures visant à limiter les effets disproportionnés sur les détenus autochtones, les femmes ou les autres détenus ayant des besoins spéciaux, et ne contient aucune disposition exigeant un examen et un contrôle externes indépendants (art. 11 et 16).

15.L’État partie devrait veiller à ce que le placement à l’isolement ne soit utilisé qu’en dernier ressort dans des cas exceptionnels, que ce soit dans les établissements pénitentiaires fédéraux ou dans les établissements pénitentiaires provinciaux, pour la durée la plus courte possible (moins de quinze jours consécutifs), sous contrôle indépendant et uniquement avec l’autorisation d’une autorité compétente, conformément à l’article 45  a) des Règles Nelson Mandela. Il devrait également veiller à ce que l’isolement préventif ne serve pas à des fins disciplinaires. Le Comité tient à appeler l’attention de l’État partie sur l’article 45 2) des Règles Nelson Mandela, aux termes duquel le recours à l’isolement devrait être interdit pour les détenus souffrant d’une incapacité mentale ou physique lorsqu’il pourrait aggraver leur état. De plus, l’article  43 3) des Règles dispose que les sanctions disciplinaires ou mesures de restriction ne doivent pas consister en une interdiction de contacts avec la famille et que les contacts avec la famille ne peuvent être restreints que pour une période limitée, lorsque cela est strictement nécessaire pour assurer le maintien de l’ordre et de la sécurité.   

Mécanismes internes de plainte dans le système pénitentiaire

16.Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas fourni d’informations complètes sur le nombre de plaintes pour torture et mauvais traitements déposées dans le cadre des mécanismes de plainte existants dans le système pénitentiaire, tels que le processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants du Service correctionnel du Canada et le Bureau de l’enquêteur correctionnel, au cours de la période à l’examen. Il regrette également l’absence d’informations détaillées sur les résultats des enquêtes ouvertes, la nature pénale ou disciplinaire des procédures engagées, et leur issue. En outre, il est préoccupé par les informations décrivant le processus de règlement des plaintes et griefs des délinquants du Service correctionnel du Canada comme lent, complexe et dysfonctionnel (art. 2, 11 et 16).

17. L’État partie devrait :

a) M ettre en place un mécanisme indépendant et efficace pour traiter les plaintes pour torture et mauvais traitements dans tous les lieux de privation de liberté  ;

b) Fournir des données statistiques à jour, ventilées par sexe, âge, origine ethnique ou nationalité et lieu de détention, sur les plaintes pour actes de torture et pour mauvais traitements enregistrées durant la période considérée, en y joignant des renseignements sur les enquêtes, les procédures disciplinaires et pénales, les condamnations, ainsi que les sanctions disciplinaires ou pénales auxquelles elles ont donné lieu.

Décès en détention

18.Le Comité regrette le décès de Michael Ryan, mort d’une overdose le 26 février 2016 alors qu’il était en garde à vue à Saskatoon. Il prend en outre note avec préoccupation des conclusions du rapport définitif, en date du 15 février 2017, du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur son enquête concernant le décès de Matthew Ryan Hines, mort brusquement à la suite d’une série d’incidents liés à l’usage de la force au pénitencier fédéral de Dorchester le 26 mai 2015. Dans ce rapport, le Bureau de l’enquêteur correctionnel écrit : « La famille a d’abord été informée par le Service correctionnel du Canada que M. Hines était décédé d’une crise ; cependant, on ne sait pas pourquoi c’est l’information qui a été transmise et qui aurait pu corroborer cette information. Jusqu’à tout récemment, la famille de M. Hines avait été portée à croire que son décès n’aurait pas pu être évité. » Le Comité constate que le Service correctionnel du Canada a accepté toutes les recommandations formulées dans le rapport définitif du Bureau de l’enquêteur correctionnel et adopté plusieurs mesures visant à prévenir les décès en détention associés à l’usage de la force, notamment par l’amélioration de la formation du personnel et de la prise en charge des urgences médicales et par la mise en œuvre d’un nouveau modèle d’emploi de la force (art. 2, 11 et 16).

19. L’État partie devrait :

a) Prendre des mesures pour garantir que tous les décès en détention donnent lieu sans délai à une enquête impartiale menée par une entité indépendante ;

b) F ournir au Comité des renseignements détaillés sur les cas de décès en détention ;

c) Veiller à ce que les recommandations figurant dans le rapport définitif du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur le décès de M. Hines, ainsi que les recommandations formulées par le C oroner à l’issue de son enquête sur la mort de M. Ryan, soient mises en œuvre.

Inspection des centres de détention

20.Le Comité prend note de l’existence d’organes de surveillance des prisons, parmi lesquels le Bureau de l’enquêteur correctionnel et la Commission canadienne des droits de la personne, mais il constate avec préoccupation qu’aucun organe de surveillance indépendant n’est chargé de surveiller certains autres établissements, en particulier les institutions psychiatriques. Il note également avec préoccupation que, pendant la période considérée, plusieurs organisations non gouvernementales se sont vu refuser l’accès à l’Établissement Leclerc, un centre de détention provincial à Laval (Québec), après le transfert de détenues de la prison Maison Tanguay en février 2016. Le Comité accueille avec satisfaction les informations fournies par la délégation au sujet des consultations tenues avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et au sein du Gouvernement fédéral dans le cadre du processus d’examen de l’adhésion éventuelle du Canada au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il accueille également avec satisfaction les assurances données par la délégation que la société civile et les groupes autochtones seront consultés dès que les consultations au niveau des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se termineront, mais il demeure préoccupé par le fait qu’aucun calendrier précis n’a été donné pour l’achèvement du processus dans son ensemble (art. 2, 11 et 16).

21. L’État partie devrait :

  a) Garantir le fonctionnement d’un système efficace et indépendant de surveillance pour les établissements de santé mentale ;

b) Assurer un suivi efficace des recommandations découlant des activités de surveillance menées dans les centres de détention, et recueillir systématiquement des données sur l’issue des plaintes pour mauvais traitements reçues par les personnes chargées de la surveillance, y compris sur les enquêtes menées et les procédures pénales ou disciplinaires résultant de ces plaintes ;

c) Faire en sorte que les organisations non gouvernementales puissent accéder librement à tous les lieux de détention, en particulier dans le cadre de visites inopinées, et s’entretenir avec les détenus en privé ;

d) Achever le processus d’adhésion au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, tout en mettant en place des mécanismes garantissant la participation de la société civile, des groupes autochtones et des autres parties prenantes à l’ensemble du processus.

Ouverture rapide d’enquêtes approfondies et impartiales

22.Compte tenu de ses précédentes observations finales (par. 22), le Comité constate que l’examen interne effectué par la police provinciale de l’Ontario sur la gestion des incidents survenus en avril 2008 au cours des manifestations de Tyendinaga, qui étaient liées à un litige foncier, n’a pas abouti à la mise au jour d’éléments de preuve montrant que les manifestants placés en détention avaient été victimes d’une forme quelconque de discrimination. Le Comité demeure néanmoins préoccupé par le fait qu’aucun organe indépendant n’a mené d’enquête sur les allégations selon lesquelles des hommes mohawks arrêtés pendant ces manifestations par la police provinciale de l’Ontario auraient été victimes de mauvais traitements et d’usage excessif de la force (art. 11, 12 et 16).

23. L’État partie devrait ouvrir une enquête sur la façon dont la police provinciale de l’Ontario a géré les incidents survenus à Tyendinaga en 2008.

Asile et non-refoulement

24.Le Comité demeure préoccupé par les exceptions au principe de non-refoulement prévues par la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (art. 115 (par. 2)). À ce propos, il rappelle que l’article 3 de la Convention accorde une protection absolue contre la torture à toute personne se trouvant sur le territoire d’un État partie, sans considération pour la qualité de cette personne ou sa dangerosité sociale (art. 3).

25. L’État partie devrait :

a) Faire en sorte que nul ne puisse être expulsé, renvoyé ou extradé vers un pays lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque prévisible d’y être soumise à la torture ;

b) Étudier la possibilité de modifier les dispositions du paragraphe 2 de l’article  115 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de façon à les rendre pleinement conformes au principe de non-refoulement.

Mesures provisoires

26.En ce qui concerne ses demandes de mesures provisoires se rapportant aux communications émanant de particuliers soumises au titre de l’article 22 de la Convention, le Comité relève avec préoccupation la déclaration de la délégation d’après laquelle l’État partie a donné suite à la plupart des demandes de mesures provisoires qui lui ont été adressées au cours de la période considérée mais que, dans certains cas exceptionnels, il n’a pas pu se ranger à l’avis du Comité selon lequel la demande était justifiée, car les procédures internes avaient permis de conclure que la personne concernée ne courrait pas un risque réel et personnel ni ne subirait un préjudice irréparable lors de son expulsion du Canada (art. 3 et 22).

27.Rappelant ses précédentes observations finales (CAT/C/CAN/CO/6, par.  10, et CAT/C/CR/34/CAN, par.  4 f)) et ses différentes décisions dans lesquelles il a confirmé le caractère obligatoire des mesures provisoires (par exemple,  L. M. c. Canada, CAT/C/63/D / 488/2012), le Comité exhorte encore une fois l’État partie à coopérer pleinement avec lui dans le cadre de la procédure d’examen des communications reçues au titre de l’article 22 de la Convention, en particulier en donnant suite à chacune de ses demandes de mesures provisoires .

Assurances diplomatiques

28.Le Comité prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle l’État partie ne sollicite que rarement des assurances diplomatiques et, lorsqu’il le fait, les autorités compétentes peuvent décider de mettre en place un dispositif de surveillance après le renvoi, mais il regrette que l’État partie n’ait pas cité d’exemple d’accords conclus entre le Canada et des États de destination concernant ce type de dispositif. D’après les renseignements fournis dans le rapport périodique, depuis mai 2012, l’État partie a recouru aux assurances diplomatiques dans 23 affaires d’extradition. Dans la plupart des cas, ces assurances avaient pour but d’offrir à l’intéressé une protection contre la peine de mort ou contre des poursuites pour des infractions autres que celles couvertes par l’arrêté d’extradition. Pendant cette même période, l’État partie a aussi demandé des assurances concernant le traitement particulier qui devait être réservé à la personne réclamée dans 11 affaires d’extradition. Enfin, le Comité relève que l’État partie a catégoriquement rejeté toute affirmation selon laquelle les garanties diplomatiques seraient contraires à l’article 3 de la Convention (art. 3).

29. L’État partie ne devrait en aucune circonstance expulser, renvoyer ou extrader une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. En outre, comme indiqué au paragraphe  20 de l’observation générale n o 4 du Comité sur l’application de l’article  3 de la Convention dans le contexte de l’article  22, les assurances diplomatiques ne devraient pas être utilisées pour contourner le principe de non-refoulement tel qu’il est établi à l’article 3 de la Convention et y porter atteinte. L’État partie devrait procéder à un examen approfondi au fond de chaque affaire, y compris de la situation générale dans le pays de renvoi pour ce qui est des risques de torture.

Transfèrements de détenus vers l’Afghanistan

30.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu de réponse claire de la délégation sur la question de savoir si le Gouvernement envisage d’ouvrir une enquête approfondie sur les transfèrements de centaines de détenus qui ont été remis aux Forces nationales de défense et de sécurité afghanes, auxquels l’État partie a procédé pendant les dix années de sa mission militaire en Afghanistan (art. 3, 11 et 16).

31. Eu égard aux précédentes recommandations du Comité (CAT/C/CAN/CO/6, par.  11), l’État partie devrait :

a) Ouvrir une enquête transparente et impartiale sur les mesures liées au transfèrement de détenus afghans qui ont été prises par des responsables canadiens ;

b) Adopter une politique relative à la conduite des opérations militaires qui interdise catégoriquement les transfèrements de détenus vers un autre État lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire que les intéressés risquent d’y être soumis à la torture, et qui stipule clairement que les assurances diplomatiques et les accords de surveillance ne peuvent pas être utilisés pour justifier des transfèrements lorsqu’il existe un tel risque.

Entente sur les pays tiers sûrs conclue par le Canada et les États-Unis d’Amérique

32.En ce qui concerne l’Accord entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique pour la coopération en matière d’examen des demandes de statut de réfugiés présentées par des ressortissants de pays tiers (ci-après « Entente sur les pays tiers sûrs »), le Comité prend note de la déclaration que la délégation a faite pendant le dialogue selon laquelle le Canada estime que les États-Unis demeurent un pays sûr dans lequel les demandeurs d’asile qui répondent à la définition du réfugié peuvent demander et obtenir l’asile. Le Comité demeure néanmoins préoccupé par les informations indiquant que, depuis peu, le nombre de personnes vivant aux États-Unis qui souhaitent obtenir l’asile au Canada pour échapper aux politiques agressives de lutte contre l’immigration a considérablement augmenté, et qu’en raison de l’Entente sur les pays tiers sûrs, la plupart de ces personnes entrent sur le territoire canadien par des points de passage non officiels, en prenant souvent des risques, parce qu’elles seraient refoulées si elles passaient par des postes frontière officiels (art. 3).

33. L’État partie devrait étudier la possibilité de se livrer à un examen des répercussions de l’Entente sur les pays tiers sûrs sur les demandeurs d’asile potentiels arrivant des États-Unis qui craignent actuellement d’être expulsés et dont la demande d’asile mériterait d’être examinée en raison de motifs bien fondés compte tenu de la situation personnelle des intéressés.

Détention liée à l’immigration

34.Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie continue de suivre la procédure du placement obligatoire en détention des étrangers désignés qui font partie des « arrivées irrégulières », et que la durée de cette détention n’est pas fixée par la loi. Le Comité est également préoccupé par l’absence de mécanisme efficace permettant d’obtenir un examen de la légalité de cette détention, par l’insuffisance des services médicaux et des services de santé mentale dans les centres fédéraux de détention liée à l’immigration et par l’utilisation de centres correctionnels provinciaux. En outre, alors que les directives en vigueur prohibent la détention des mineurs sauf dans des cas exceptionnels, le Comité constate que, d’après les informations portées à sa connaissance, des enfants ont continué pendant la période considérée d’être placés dans des centres de détention relevant des services de l’immigration, généralement à titre d’« hôtes » de leurs parents ou de leurs frères et sœurs adultes. D’après des informations dont dispose le Comité, ces enfants, qui ne sont pas officiellement considérés comme des détenus, ne jouissent pas d’un droit distinct de réclamer un examen de la légalité de leur détention. Le Comité prend note des services de surveillance de la détention assurés par la Croix‑Rouge canadienne dans le cadre d’un contrat de deux ans que cette organisation et l’Agence des services frontaliers du Canada ont conclu à cette fin le 27 juillet 2017, mais il demeure préoccupé par l’absence de mécanisme indépendant de surveillance des activités de l’Agence. Il prend également note des mesures adoptées par l’État partie pour réduire le nombre de personnes placées en détention pour des motifs liés à l’immigration, en particulier les nouvelles mesures non privatives de liberté instaurées grâce au programme élargi de l’Agence, qui prévoit des solutions de substitution à la détention telles que le recours à des services de gestion des cas et de surveillance dans la collectivité, à la communication par reconnaissance vocale et à la surveillance électronique (art. 11).

35. L’État partie devrait :

a) Revoir sa législation en vue d’abroger les dispositions de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoyant le placement obligatoire en détention de tout étranger désigné comme faisant partie des « arrivées irrégulières » ;

b) Éviter de maintenir en détention des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile pendant des périodes prolongées, ne recourir à la détention qu’en dernier ressort et pour une période aussi brève que possible, et poursuivre l’application de mesures non privatives de liberté ;

c) Définir une durée maximale raisonnable pour la détention administrative liée à l’immigration ;

d) Garantir l’existence de possibilités de réclamer un contrôle juridictionnel ou d’autres voies de recours utiles et efficaces permettant de contester la légalité d’une détention administrative liée à l’immigration, y compris la privation de liberté de tous les enfants détenus ou « hébergés » dans les centres de détention de l’Agence des services frontaliers du Canada ;

e) Veiller à ce que les enfants et les familles avec enfants ne soient pas détenus uniquement en raison de leur statut au regard de la législation sur l’immigration ;

f) Redoubler d’efforts pour garantir des conditions de vie décentes dans tous les centres de détention liée à l’immigration ;

g) Veiller à ce que les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile placés en détention bénéficient de soins médicaux et de soins de santé mentale adéquats et aient accès à des examens médicaux de routine ;

h) Mettre fin à la pratique consistant à placer les migrants en situation irrégulière et les demandeurs d’asile dans des centres correctionnels provinciaux ;

i) Mettre en place un mécanisme indépendant de surveillance des activités de l’Agence des services frontaliers du Canada habilité à recevoir les plaintes émanant des personnes placées dans les centres de détention liée à l’immigration.

Réparation

36.Le Comité regrette de ne pas avoir reçu suffisamment d’informations sur les mesures de réparation et d’indemnisation qui ont été ordonnées par les tribunaux et d’autres organes publics et dont les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements, y compris d’usage excessif de la force, ou leur famille ont effectivement bénéficié depuis l’examen du rapport périodique précédent (art. 14).

37. L’État partie devrait :

a) Garantir, en droit et dans la pratique, à toutes les victimes d’actes de torture et de mauvais traitements le droit d’obtenir réparation, y compris le droit d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, y compris les moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible ;

b) Collecter des données sur les mesures de réparation et d’indemnisation, y compris les mesures de réadaptation, qui ont été ordonnées par les tribunaux ou d’autres organes de l’État et dont les victimes d’actes de torture ou de mauvais traitements ont effectivement bénéficié.

Réparation adéquate à accorder aux Canadiens victimes d’actes de torture et de mauvais traitements au cours de leur détention à l’étranger

38.Compte tenu de ses précédentes observations finales (CAT/C/CAN/CO/6, par. 16), le Comité prend note de l’indemnisation que le Gouvernement canadien a accordée et des excuses officielles qu’il a présentées le 7 mars 2017 à Ahmad Abou‑Elmaati, Abdullah Almalki et Muayyed Nureddin pour le rôle que des fonctionnaires canadiens ont pu jouer dans leur détention et les mauvais traitements qui leur ont été infligés en Égypte et en République arabe syrienne entre 2001 et 2004. Il regrette toutefois l’absence de poursuites intentées contre les Canadiens qui auraient participé à la commission des infractions alléguées. Le Comité prend note en outre des excuses que le Gouvernement a présentées le 7 juillet 2017 à Omar Khadr, mais il constate avec préoccupation que, bien qu’un accord ait été conclu entre les parties, sa teneur exacte reste confidentielle pour des motifs liés à la protection de la vie privée, y compris en ce qui concerne les mesures de réadaptation psychologique et d’assistance qui auraient été prises en faveur de l’intéressé. Le Comité prend note des explications fournies par la délégation au sujet du caractère confidentiel des accords conclus dans chacune de ces affaires, mais il se trouve dans l’incapacité d’évaluer si les mesures prises par l’État partie sont conformes à l’article 14 de la Convention. En outre, il est préoccupé par les informations selon lesquelles l’État partie entraverait les démarches entreprises par Abousfian Abdelrazik − ressortissant canadien qui affirme avoir été illégalement emprisonné puis torturé au Soudan entre septembre 2003 et juillet 2004 et entre octobre 2005 et juillet 2006 − afin d’obtenir réparation pour les actes qui lui ont été infligés, qui auraient été commis avec la complicité d’agents canadiens, en particulier ceux du Service canadien du renseignement de sécurité. Selon les informations dont dispose le Comité, le 18 septembre 2018, le procès intenté par M. Abdelrazik contre l’État partie en raison du rôle que ses agents ont joué dans son emprisonnement illégal et les actes de torture qu’il a subis a été repoussé à une date non précisée après qu’un juge a accepté la demande de report du Gouvernement fédéral (art. 2, 12 à 14 et 16).

39.Le Comité appelle l’attention de l’ État partie sur les paragraphes  5 et 16 de son observation générale n o 3 (2012) concer nant l’application de l’article  14, dans lesquels il explique le contenu et la portée de l’obligation des États parties d’offrir une réparation intégrale aux victimes d e torture au titre de l’article  14. En particulier, la satisfaction devrait comporter, au titre et en sus des obligations d’enquête et de poursuite s pénales établies aux articles  12 et 13 de la Convention, les mesures suivantes, entre autres : vérification des faits et divulgation complète et publique de la vérité dans la mesure où la divulgation n’a pas pour conséquence un nouveau préjudice ou ne menace pas la sécurité et les intérêts de la victime, des proches de la victime, des témoins ou de personnes qui sont intervenues pour aider la victime ou empêcher que d’autres violations ne se produisent ; déclaration officielle ou décision de justice rétablissant la victime et les personnes qui ont un lien étroit avec elle dans leur dignité, leur réputation et leurs droits ; sanctions judiciaires et administratives à l’encontre des responsables des violations. L’État partie devrait fournir des informations sur les mesures spécifiques prises dans les cas susmentionnés.

Réparation civile et immunité des États

40.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pris aucune mesure pour revoir sa législation afin de faire en sorte que toutes les victimes de torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, où que les actes de torture aient été commis et indépendamment de la nationalité de l’auteur ou de la victime, comme il l’avait recommandé dans ses précédentes observations finales (CAT/C/CAN/CO/6, par. 15). À cet égard, le Comité regrette la réticence de l’État partie à modifier la loi sur l’immunité des États de façon à prévoir une exception à l’immunité des États pour les actes de torture commis hors du Canada par des États étrangers ou leurs représentants. Comme cela a été souligné au cours du dialogue avec la délégation, compte tenu des dispositions relatives au for de nécessité et de la jurisprudence y afférente dans les juridictions du Québec, de la Colombie-Britannique et de la Nouvelle-Écosse, le Comité estime que l’inscription de ce principe au niveau fédéral pourrait offrir des voies de recours appréciables aux victimes qui intentent des procès pour torture contre des gouvernements étrangers (art. 14).

41.Le Comité demande à nouveau à l’État partie d’envisager de modifier la loi sur l’immunité des États afin de faire en sorte que toutes les victimes de torture ou de mauvais traitements puissent avoir accès à un recours et obtenir réparation, conformément aux dispositions de la Convention. Une autre possibilité serait que l’État partie envisage de reconnaître le principe du for de nécessité au niveau fédéral. Comme il l’a écrit dans son observation générale n o 3 (2012) sur l’application de l’article  14 ( par.  22), le Comité a salué les efforts des États parties qui ont offert un recours civil à des victimes soumises à la torture ou à des mauvais traitements en dehors de leur territoire. Cela est particulièrement important quand la victime n’est pas en mesure d’exercer le s droits garantis par l’article  14 sur le territoire où la violation a été commise.

Aveux extorqués et renseignements obtenus par la torture

42.Le Comité prend note des garanties énoncées au paragraphe 269.1 (4) du Code criminel, qui interdit l’admission en preuve de toute déclaration obtenue par la torture, peu importe le but, sauf comme élément de preuve que ladite déclaration a été obtenue par la torture. Néanmoins, et compte tenu de ses précédentes observations finales (CAT/C/CAN/CO/6, par. 17), le Comité constate avec préoccupation que trois directives ministérielles adressées en 2017 à divers services de sécurité canadiens disposent que les informations susceptibles d’avoir été obtenues par des mauvais traitements ne peuvent être utilisées pour priver une personne de ses droits et libertés, sauf dans les cas où l’autorité compétente a autorisé cette utilisation parce qu’elle était nécessaire pour éviter des pertes en vies humaines ou de graves lésions corporelles. En ce qui concerne les mesures prises par l’État partie pour renforcer la responsabilisation et la transparence s’agissant de la sécurité nationale et du renseignement, le Comité note que le nouveau Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, qui a été créé en 2017 et dispose d’un accès spécial aux informations hautement confidentielles, fait rapport au Premier Ministre et que ses rapports sont examinés par le Gouvernement avant leur publication (art. 2 , 15 et 16).

43.L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour faire en sorte que, dans la pratique, les aveux obtenus par la torture ou au moyen de mauvais traitements soient déclarés irrecevables. Il devrait également abroger, annuler ou modifier toute directive, ordonnance ou réglementation autorisant l’utilisation par les forces de l’ordre d’informations dont on sait ou dont on pense qu’elles ont été obtenues par la torture et/ou des mauvais traitements par un pays tiers. L’État partie devrait veiller à ce que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit strictement respecté, en application des dispositions du paragraphe 2 de l’article  2 de la Convention, lequel prévoit qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture. À ce propos, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur le paragraphe  5 de son observation générale n o 2 (2007) concer nant l’application de l’article  2, dans lequel il précise entre autres choses que les menaces d’acte terroriste ou de crime violent sont des circonstances exceptionnelles qui ne peuvent pas non plus être invoquées pour justifier la torture. L’État partie devrait également veiller à ce que sa législation antiterroriste prévoie un mécanisme indépendant d’examen des activités de lutte contre le terrorisme entreprises par l’exécutif.

Lutte contre le terrorisme

44.Le Comité prend note du contenu du projet de loi C-59, qui a été présenté pour combler les lacunes de la loi antiterroriste de 2015 concernant les droits de l’homme, mais il est préoccupé par le fait qu’en vertu des modifications proposées, le Gouvernement puisse toujours, au nom de la sécurité nationale, interdire aux avocats spéciaux − avocats nommés par le tribunal et disposant d’une habilitation de sécurité − d’examiner des preuves classifiées.

45. L’État partie devrait prendre les mesures législatives et autres nécessaires pour faire en sorte que la législation, les politiques et les pratiques de lutte antiterroriste soient toutes pleinement conformes à la Convention et que des garanties juridiques appropriées et efficaces soient mises en place.

Certificats de sécurité

46.Tout en prenant note du recul de cette pratique, le Comité se déclare à nouveau préoccupé par la persistance de la délivrance et du dépôt de certificats, comme le prévoit la section 9 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, procédure appliquée dans des circonstances exceptionnelles lorsqu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour des raisons de sécurité. Le Comité prend note du jugement rendu par la Cour suprême du Canada le 14 mai 2014 dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, mais il demeure préoccupé par le fait que le système des certificats de sécurité permet de placer des personnes en détention dans le cadre de procédures qui les empêchent de consulter tous les éléments à charge, parmi lesquels les renseignements en provenance de pays étrangers. Malgré les explications données par la délégation, le Comité constate que les avocats spéciaux n’ont toujours que très peu de possibilités de procéder à des contre-interrogatoires ou de rechercher des éléments de preuve en toute indépendance et de façon appropriée au nom de la personne désignée sur le certificat. L’application de la procédure des certificats de sécurité peut donc entraîner des violations de la Convention, y compris une détention pour une durée indéterminée, l’utilisation d’aveux forcés comme éléments de preuve devant les tribunaux et l’expulsion et le refoulement malgré le risque de torture. Enfin, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni les renseignements à jour demandés sur les cas de Mahjoub Jaballah et Mohamed Harkat (art. 2, 3, 15 et 16).

47. Rappelant sa re commandation précédente (CAT/C /CAN/CO/6, par.  12), le Comité recommande que toutes les mesures visant à restreindre ou limiter les garanties d’un procès équitable pour des raisons de sécurité soient pleinement conformes à la Convention. En particulier, l’État partie devrait :

a) Veiller à ce que les renseignements et autres éléments sensibles soient susceptibles d’être divulgués si un tribunal détermine qu’ils contiennent des preuves de violations des droits de l’homme, telles que la torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) Veiller à ce que l’application des procédures de sécurité n’aboutisse pas à des détentions d’une durée indéterminée, à des expulsions ou à des violations du principe de non-refoulement ;

c) Fournir des renseignements à jour sur les cas susmentionnés.

Violence fondée sur le genre, y compris la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones

48.Le Comité félicite l’État partie d’avoir ouvert en septembre 2016 une enquête nationale sur les disparitions et les meurtres de femmes et de filles autochtones, mais il demeure vivement préoccupé par les informations persistantes et constantes faisant état de niveaux disproportionnés de violence à l’égard des membres de ce groupe en général. En outre, le Comité regrette que l’État partie n’ait pas fourni d’informations sur le nombre d’enquêtes ouvertes, de poursuites engagées et de condamnations et de peines prononcées dans des affaires de violence fondée sur le genre, y compris des meurtres et des disparitions, en particulier de femmes et de filles autochtones, pendant la période considérée. À cet égard, le Comité prend note des mesures prises par le Gouvernement du Québec pour lutter contre la violence policière à l’égard des peuples autochtones par l’intermédiaire d’une unité d’enquête spéciale, et du financement, par la province de la Colombie-Britannique, d’une aide aux associations autochtones aux fins de lutter contre la violence domestique (articles 2, 12, 13, 14 et 16).

49. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que tous les cas de violence fondée sur le genre −  en particulier contre des femmes et des filles autochtones, surtout ceux qui impliquent des actes ou des omissions des pouvoirs publics ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie conformément à la Convention  − fassent l’objet d’une enquête approfondie, à ce que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés, et à ce que les victimes ou leurs familles obtiennent réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation appropriée ;

b) Mettre en place un mécanisme pour un examen indépendant de tous les cas où des allégations d’enquête inadéquate ou partiale de la part de la police ont été formulées, comme l’a recommandé le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW/C/CAN/CO/8-9, par.  27 c)  iii) ; voir aussi toutes les recommandations perti nentes figurant aux paragraphes  216 à 220 du document CEDAW/C/OP.8/CAN/1) ;

c) Dispenser à tous les agents des forces de l’ordre et du système judiciaire une formation obligatoire sur les poursuites à engager en cas de violence fondée sur le genre, et continuer de mener des campagnes de sensibilisation sur toutes les formes de violence à l’égard des femmes, notamment des femmes et des filles autochtones ;

d) Veiller à ce que toutes les victimes de violence fondée sur le genre puissent avoir accès à des centres d’accueil et bénéficier des soins médicaux, du soutien psychologique et de l’assistance juridique nécessaires ;

e) Envisager d’adhérer à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ;

f) Fournir des statistiques, ventilées selon l’âge et l’appartenance ethnique ou la nationalité de la victime, sur le nombre de plaintes, d’enquêtes, de poursuites, de déclarations de culpabilité et de condamnations se rapportant à des affaires de violence fondée sur le genre.

Stérilisation non volontaire de femmes autochtones

50.Le Comité prend note avec préoccupation des informations faisant état de la stérilisation forcée à grande échelle de femmes et de filles autochtones depuis les années 1970, y compris des cas survenus récemment dans la province de la Saskatchewan entre 2008 et 2012. D’après les informations dont dispose le Comité, au moins 55 femmes ont pris contact avec des avocats représentant des femmes autochtones qui ont intenté une action de groupe en cours contre des médecins et d’autres professionnels de la santé dans un hôpital public de la Saskatchewan parce qu’elles avaient subi une ligature des trompes sans y avoir consenti. Le Comité prend note des informations fournies par la délégation au sujet de l’examen externe de cette question lancé par la région sanitaire de Saskatoon (qui a ensuite été intégrée à l’autorité sanitaire de la Saskatchewan) en janvier 2017, mais il demeure préoccupé par l’absence d’informations concernant la mise en œuvre des mesures prévues dans le rapport final, en particulier celles relatives aux réparations (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

51. L’État partie devrait :

a) Veiller à ce que toutes les allégations de stérilisation forcée fassent l’objet d’une enquête impartiale, à ce que les personnes responsables répondent de leurs actes et à ce qu’une réparation adéquate soit accordée aux victimes ;

b) Adopter des mesures législatives et des politiques pour prévenir et incriminer la stérilisation forcée des femmes, en particulier en définissant clairement l’obligation d’obtenir le consentement préalable, libre et éclairé de l’intéressée avant une opération de stérilisation et en faisant mieux connaître l’existence de cette obligation aux femmes autochtones et au personnel médical.

Formation

52.Le Comité prend note des programmes de formation générale sur les droits de l’homme destinés aux policiers et aux membres des forces armées, mais il reste préoccupé par l’absence de renseignements sur l’incidence de la formation dispensée. Il prend note du fait que des initiatives ont été prises en Nouvelle-Écosse pour former les fonctionnaires à la reconnaissance et à la prévention de la torture et des mauvais traitements, mais il regrette le peu d’informations disponibles sur la formation dispensée aux responsables de l’application des lois, aux juges, aux procureurs, aux médecins légistes et au personnel médical sur la façon de déceler et de consigner les séquelles physiques et psychologiques de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 10).

53. L’État partie devrait :

a) Développer encore les programmes de formation obligatoire de façon que tous les agents de la fonction publique, en particulier les responsables de l’application des lois, le personnel militaire, les agents pénitentiaires et le personnel médical employé dans les prisons, soient familiarisés avec les dispositions de la Convention et pleinement conscients du fait que les violations ne seront pas tolérées et donneront lieu à des enquêtes et que les responsables seront poursuivis ;

b) Concevoir une méthode pour évaluer l’efficacité des programmes de formation s’agissant de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements et de permettre de repérer ces actes, de les consigner, d’enquêter à leur sujet et de poursuivre leurs auteurs ;

c) Veiller à ce que tous les personnels concernés, y compris les membres du corps médical, reçoivent une formation spéciale pour apprendre à déceler les signes de torture et de mauvais traitements conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul).

Procédure de suivi

54.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 7  décembre 2019, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées concernant les assurances diplomatiques, la réparation adéquate à accorder aux Canadiens victimes d’actes de torture et de mauvais traitements au cours de leur détention à l’étranger, les certificats de sécurité et la stérilisation non volontaire des femmes autochtones (voir par.  29, 39, 47 c) et 51  a) ci-dessus). Dans ce contexte, l’État partie est invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

55. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les lang ues voulues, au moyen des sites  Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non  gouvernementales, et à informer le Comité de ses activités de diffusion.

56.Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodi que, qui sera le huitième, le 7  décembre 2022 au plus tard. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport se lon la procédure simplifiée, le  Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les  réponses de l’État partie à cette liste constitueront le huitième rapport périodique qu’il soumettra en applic ation de l’article  19 de la Convention.