Nations Unies

CAT/C/CAN/CO/6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

25 juin 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-huitième session

7 mai-1er juin 2012

Examen des rapports présentés par les États partiesen application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Canada

1.Le Comité a examiné le sixième rapport périodique du Canada (CAT/C/CAN/6) à ses 1076e et 1079e séances, les 21 et 22 mai 2012 (CAT/C/SR.1076 et 1079), et a adopté à ses 1087e et 1088e séances (CAT/C/SR.1087 et 1088) les observations finales suivantes.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le sixième rapport périodique de l’État partie qui, dans l’ensemble, est conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Il regrette toutefois que le rapport ait été présenté avec trois ans de retard.

3.Le Comité a apprécié le dialogue ouvert qu’il a eu avec la délégation interministérielle de l’État partie et les efforts déployés par celle-ci pour fournir des réponses complètes aux questions posées par les membres du Comité durant le dialogue. Il remercie en outre l’État partie pour les réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter, qui ont toutefois été soumises avec trois mois de retard, juste avant la tenue du dialogue. Ce retard a empêché le Comité de procéder à une analyse approfondie des renseignements fournis par l’État partie.

4.Le Comité sait que l’État partie a une structure fédérale, mais rappelle que le Canada est un État unique au regard du droit international et qu’il a l’obligation d’appliquer pleinement la Convention sur son territoire.

B.Aspects positifs

5.Le Comité prend note des efforts actuellement déployés par l’État partie pour revoir sa législation, ses politiques et ses procédures dans les domaines relevant de la Convention, notamment:

a)La création de la Division d’appel pour les réfugiés au sein de la Commission indépendante de l’immigration et du statut de réfugié en vertu de la loi de 2011 sur des mesures de réforme équitables concernant les réfugiés;

b)La réalisation d’une enquête interne sur les actions des autorités canadiennes dans les affaires concernant Abdullah Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed Nureddin (enquête Iacobucci), en décembre 2006;

c)L’établissement du Comité de priorités et d’action pour la mise en œuvre du rapport Ipperwash par le Gouvernement de l’Ontario en 2007 afin de mettre en œuvre les recommandations figurant dans le rapport de la Commission d’enquête sur Ipperwash;

d)L’établissement du Comité de partenariat provincial sur les personnes disparues dans la province de Saskatchewan en janvier 2006; et

e)L’enquête Braidwood ouverte par la province de la Colombie britannique en 2008 afin d’examiner le cas de Robert Dziekanski.

6.Le Comité note avec satisfaction que le Canada a présenté des excuses officielles et a versé une indemnisation à Maher Arar et à sa famille peu après la publication d’un rapport sur Maher Arar par la Commission d’enquête sur les actions des autorités canadiennes.

7.Le Comité note avec satisfaction que la police montée canadienne (Gendarmerie royale) a présenté des excuses officielles à la mère de Robert Dziekanski suite au décès de celui-ci.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Incorporation de la Convention dans le droit interne

8.Le Comité prend note avec satisfaction de la déclaration faite par la délégation selon laquelle les gouvernements canadiens, à tous les niveaux, prennent très au sérieux les obligations qui leur incombent en vertu de la Convention, mais regrette toutefois que le Canada n’ait pas incorporé toutes les dispositions de la Convention dans son droit interne et que ces dispositions ne peuvent être invoquées devant les tribunaux autrement que par le biais d’instruments juridiques nationaux. Le Comité estime que l’incorporation de la Convention dans le droit canadien n’aurait pas seulement valeur de symbole, mais renforcerait aussi la protection des personnes en leur donnant la possibilité d’invoquer directement les dispositions de la Convention devant les tribunaux (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie d’incorporer toutes les dispositions de la Convention dans son droit interne afin que les personnes puissent en invoquer directement les dispositions devant les tribunaux, d’accorder la primauté à la Convention et d’en faire mieux connaître les dispositions aux membres de la magistrature et à l’ensemble de la population. L’État partie devrait en particulier prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer que les dispositions de la Convention prévoyant une compétence universelle puissent être directement appliquées devant les juridictions nationales.

Non-refoulement

9.Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle la loi autorisant l’expulsion même s’il existe un risque de torture est purement théorique. Toutefois, le fait est que cette loi est toujours en vigueur. En conséquence, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 3):

a)La loi canadienne, en particulier l’article 115 2) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, continue de prévoir des dérogations au principe de non-refoulement;

b)L’État partie continue, dans la pratique, à se livrer à des expulsions, des extraditions ou autres transferts de personnes, en ayant recours souvent à des certificats de sécurité en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et parfois à des assurances diplomatiques, ce qui pourrait aboutir à des violations du principe de non-refoulement; et

c)L’on manque d’information sur les enquêtes menées sur toutes les allégations de violation de l’article 3 de la Convention, sur les réparations offertes aux victimes et sur les mesures prises pour garantir des modalités de surveillance efficace après l’expulsion.

Rappelant sa précédente recommandation (CAT/C/CR/34/CAN, par. 5 a) et b)), le Comité demande instamment à l’État partie de modifier les lois pertinentes, notamment la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, afin de respecter sans condition le principe absolu de non-refoulement consacré par l’article 3 de la Convention, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer pleinement ce principe dans la pratique, en toutes circonstances. En outre, l’État partie devrait s’abstenir de recourir à des assurances diplomatiques pour expulser quelqu’un vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

10.Le Comité craint que le refus de l’État partie de se conformer systématiquement aux décisions prises par le Comité en vertu de l’article 22 de la Convention et aux demandes de mesures provisoires de protection, en particulier dans les cas impliquant une expulsion et une extradition (en référence aux communications nos 258/2004, Dadar c. Canada, et 297/2006, Sogi c. Canada), ne remette en cause l’engagement de l’État partie à respecter la Convention. Le Comité rappelle que l’État partie, en ratifiant la Convention et en acceptant la compétence du Comité en vertu de l’article 22 de la Convention, s’est engagé à coopérer avec le Comité de bonne foi en appliquant et en respectant pleinement la procédure des communications individuelles établie par ledit article. En conséquence, le Comité estime qu’en expulsant des requérants au mépris des décisions ou des demandes de mesures provisoires du Comité, l’État partie n’a pas respecté les obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 22 de la Convention (art. 3 et 22).

L’État partie devrait coopérer pleinement avec le Comité, en particulier en respectant dans tous les cas ses décisions et demandes de mesures provisoires. Le Comité recommande à l’État partie de revoir sa politique en la matière, en examinant de bonne foi les demandes de mesures provisoires dont il est saisi et en conformité avec ses obligations en vertu des articles 3 et 22 de la Convention.

11.Tout en prenant note de la déclaration de l’État partie selon laquelle les forces armées canadiennes ont évalué le risque de torture ou de mauvais traitement avant de remettre un détenu aux autorités afghanes (CAT/C/CAN/Q/6/Add.1, par. 155), le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles des prisonniers transférés par les forces armées canadiennes en Afghanistan aux autorités d’autres pays ont subi des actes de torture et des mauvais traitements (art. 3).

L’État partie devrait adopter une politique pour ses prochaines opérations militaires afin d’interdire expressément les transfèrements de prisonniers vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’ils seront soumis à la torture, et de reconnaître que les assurances diplomatiques et les mécanismes de surveillance ne sauraient être invoqués pour justifier les transfèrements de détenus lorsqu’il existe des risques importants de torture.

Certificats de sécurité en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

12.Tout en prenant note du système des avocats spéciaux mis en place en vertu de la loi modifiée sur l’immigration et la protection des réfugiés comme suite aux préoccupations exprimées par différents acteurs et à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Charkaoui c.Canada, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 2, 3, 15 et 16):

a)Les avocats spéciaux n’ont guère la possibilité de procéder à des contre-interrogatoires ou de rechercher des éléments de preuve en toute indépendance;

b)Les personnes faisant l’objet de certificats de sécurité ont accès à une synthèse des documents confidentiels qui les concernent mais ne peuvent pas directement débattre du contenu intégral de ces documents avec les avocats spéciaux. En conséquence, les avocats ne peuvent pas bien connaître l’affaire dont ils sont saisis, fournir tous les éléments de réponse demandés ou exercer pleinement la défense des personnes concernées, ce qui constitue une violation des principes fondamentaux de la justice et du droit à une procédure régulière;

c)La durée de la détention sans inculpation n’est pas déterminée et certaines personnes sont détenues pendant de longues périodes;

d)Des renseignements obtenus sous la torture auraient été utilisés pour établir des certificats de sécurité, comme en témoigne le cas d’Hassan Almrei.

Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa politique consistant à recourir à la rétention administrative et à utiliser la législation sur l ’ immigration pour détenir et expulser des non-ressortissants au nom de la sécurité nationale, notamment en reconsidérant l ’ utilisation des certificats de sécurité et en veillant à faire appliquer l ’ interdiction d ’ utiliser des renseignements obtenus sous la torture, conformément à la législation nationale et au droit international. À cet égard, l ’ État partie devrait mettre en œuvre les recommandations formulées par le Groupe de travail sur la détention arbitraire à la suite de sa mission au Canada en 2005, en particulier celle en vertu de laquelle la détention des personnes soupçonnées de terrorisme devrait se faire dans le cadre de la procédure pénale et conformément aux garanties correspondantes consacrées par les règles du droit international applicables en la matière (E/CN.4/2006/7/Add.2, par. 92).

Rétention d’immigrés

13.Tout en prenant note de la nécessité pour l’État partie de revoir sa législation pour combattre la traite des êtres humains, le Comité est profondément préoccupé par le projet de loi C-31 (loi visant à protéger le système d’immigration du Canada) car, en octroyant au ministère compétent un pouvoir discrétionnaire excessif, cette loi (art. 2, 3, 11 et 16):

a)Entraînerait la rétention obligatoire de tous ceux qui entrent de façon irrégulière sur le territoire de l’État partie; et

b)Empêcherait les «arrivants clandestins» et les ressortissants de pays considérés comme «sûrs» de faire appel du refus de leur octroyer le statut de réfugié, ce qui va accroître pour ces personnes le risque d’être refoulées.

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier le projet de loi C-31, en particulier les dispositions régissant la rétention obligatoire et le déni du droit d ’ appel, compte tenu des risques de violation des droits protégés par la Convention. En outre, l ’ État partie devrait:

a) Faire en sorte que la rétention ne soit utilisée qu ’ en dernier recours, qu ’ une durée raisonnable soit fixée pour cette rétention, et que des mesures non privatives de liberté ainsi que des alternatives à la rétention soient prévues pour les personnes immigrées placées dans les centres de rétention; et

b) Veiller à ce que tous les requérants déboutés aient le droit de faire appel de cette décision devant la Division d ’ appel pour les réfugiés.

Compétence universelle

14.Le Comité note avec intérêt que toute personne présente sur le territoire de l’État partie qui est soupçonnée d’avoir commis des actes de torture peut être poursuivie et jugée dans l’État partie en vertu du Code pénal et de la loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Toutefois, le très faible nombre de poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris pour des infractions de torture, en vertu des textes susmentionnés, soulève des interrogations quant à la politique de l’État partie concernant l’exercice de la compétence universelle. Le Comité est aussi préoccupé par les informations nombreuses et constantes selon lesquelles la politique de l’État partie qui consiste à utiliser des procédures d’immigration pour refouler ou expulser des individus de son territoire plutôt que de le faire dans le cadre d’une procédure pénale crée un vide juridique réel ou potentiel pouvant ouvrir la voie à l’impunité. D’après les informations dont le Comité dispose, un certain nombre de personnes qui auraient commis des actes de torture et d’autres crimes en vertu du droit international ont été expulsées et n’ont pas été jugées dans leur pays d’origine. À cet égard, le Comité note avec regret l’initiative récente consistant à révéler au public les noms et les visages de 30 personnes interdites du territoire canadien qui devaient être expulsées du territoire au motif qu’elles étaient l’auteur de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Si ces personnes sont arrêtées et expulsées, elles risquent d’échapper à la justice et de rester impunies (art. 5, 7 et 8).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l ’ exercice de sa compétence universelle à l ’ égard des auteurs d ’ actes de torture, y compris des étrangers temporairement présents au Canada, conformément à l ’ article 5 de la Convention. L ’ État p artie devrait redoubler d ’ efforts, notamment en débloquant davantage de ressources, afin de s ’ assurer que dans le cadre de sa politique consistant à refuser d ’ abriter des criminels de guerre, la priorité soit accordée aux procédures pénales ou d ’ extradition plutôt qu ’ à l ’ expulsion et au renvoi.

Réparation civile et immunité des États.

15.Le Comité reste préoccupé par l’absence de mécanismes efficaces permettant à toutes les victimes de torture d’obtenir réparation au civil, y compris une indemnisation, situation principalement due aux restrictions prévues par la loi sur l’immunité des États (art. 14).

L ’ État p artie devrait veiller à ce que toutes les victimes de torture puissent avoir accès à des recours et obtenir réparation, quel que soit le pays où les acte s de torture ont été commis et indépendamment de la nationalité de l ’ auteur ou de la victime. À cet égard, l ’ État p artie devrait envisager et modifier la loi sur l ’ immunité des États pour supprimer tous les obstacles qui empêchent les victimes de torture d ’ obtenir réparation.

Torture et mauvais traitement sur des canadiens détenus à l’étranger

16.Le Comité est gravement préoccupé par la réticence apparente de l’État partie à protéger les droits de tous les Canadiens détenus dans d’autres pays, comme par exemple dans le cas de Maher Arar. Le Comité est particulièrement préoccupé par les points suivants (art. 2, 5, 11 et 14):

a)Le refus de l’État partie de présenter des excuses officielles et d’accorder une indemnisation aux trois canadiens concernés malgré les conclusions de l’enquête Iacobucci. Ces trois personnes sont dans le même cas que Maher Arar car toutes ont été soumises à la torture à l’étranger et les autorités canadiennes ont été complices de la violation de leurs droits;

b)La complicité des autorités canadiennes dans la violation des droits fondamentaux d’Omar Khadr alors qu’il était détenu à Guantánamo Bay (Canada ( P rime Minister) v. Khadr, 2010 SCC 3, et Canada (Justice) v. K hadr, 2008 SCC 28), et le retard avec lequel les autorités ont accepté la demande de cette personne d’être transférée au Canada pour y purger le reste de sa peine.

À la lumière des conclusions de l ’ enquête Iacobucci, le Comité recommande à l ’ État p artie de prendre immédiatement des mesures pour s ’assurer qu’ Abdullah Almalki, Ahmad Abou Elmaati et Muayyed Nureddin obtiennent réparation, y compris une indemnisation et une réadaptation appropriées. En outre, le Comité exhorte l ’ État p artie à accepter rapidement la demande de transfert d ’ Omar Khadr et à veiller à ce que celui-ci puisse obtenir réparation pour les violations des droits de l ’ homme dont il a été victime, comme l ’ a constaté la Cour suprême du Canada.

Renseignements de sécurité obtenus sous la torture

17.Tout en prenant note des priorités de l’État partie en matière de sécurité nationale, le Comité se déclare profondément préoccupé par la Directive ministérielle adressée au Service canadien du renseignement de sécurité, qui pourrait aboutir à des violations de l’article 15 de la Convention en ce sens qu’elle autorise l’utilisation au Canada de renseignements de sécurité susceptibles d’avoir été obtenus sous la torture par des États étrangers, et autorise le Service du renseignement de sécurité à partager les renseignements avec des organismes étrangers même s’il existe un risque de torture important, dans des cas exceptionnels où la sécurité publique est menacée, en violation de la Recommandation no 14 formulée à l’issue de l’enquête Arar (art. 2, 10, 15 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de modifier la D irective ministérielle adressée au Service canadien du renseignement de sécurité afin de la rendre conforme aux obligations qui incombent au Canada en vertu de la Convention. L ’ État p artie devrait renforcer les activités de formation sur l ’ interdiction absolue de la torture dans le cadre des services d u renseignement.

Mécanisme de supervision des opérations liées au renseignement et à la sécurité

18.Le Comité est préoccupé par l’absence de renseignements sur les mesures prises par l’État partie pour mettre en œuvre les propositions formulées dans le rapport sur l’enquête Arar concernant la définition d’un modèle d’examen et de contrôle complets des activités des organismes et organes chargés de l’application de la loi et de la sécurité nationale (art. 2, 12, 13 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie:

a) D ’ examiner les possibilités de moderniser et de renforcer le cadre d ’ examen de la sécurité nationale afin de gagner en transparence et en rapidité;

b) D ’ envisager d ’ urgence de mettre en œuvre le modèle de contrôle des organismes et organes chargés de la sécurité nationale, tel qu ’ il est proposé dans le rapport sur l ’ enquête Arar ; et

c) D ’ informer le Comité dans son prochain rapport périodique des changements apportés au mécanisme de contrôle des opérations liées au renseignemen t et à la sécurité.

Conditions de détention

19.Tout en prenant note du Programme de transformation lancé par le Service correctionnel du Canada afin d’améliorer le fonctionnement des établissements pénitentiaires, le Comité demeure préoccupé par les points suivants (art. 2, 11 et 16):

a)L’infrastructure inadaptée des établissements de détention ne permettant pas de répondre aux besoins croissants et complexes des détenus, en particulier ceux atteints de maladie mentale;

b)Les cas de violence entre détenus et les décès en détention liés à des modes de vie à haut risque tels que la consommation de drogues et d’alcool qui, comme l’a reconnu la délégation, circulent librement dans les lieux de détention; et

c)Le recours à l’isolement cellulaire (disciplinaire et administratif), parfois pour une longue durée, y compris pour les personnes atteintes de maladie mentale.

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les conditions de détention dans tous les lieux de privation de liberté soient conformes à l ’ Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Il devrait notamment:

a) Renforcer ses efforts pour adopter des mesures efficaces afin d ’ améliorer les conditions de vie matérielles dans les prisons, de réduire la surpopulation carcérale, de répondre correctement aux besoins fondamentaux des personnes privées de liberté et d ’ éliminer la drogue dans les prisons;

b) Renforcer la capacité des centres de traitement pour les prisonniers atteints de problèmes de santé mentale intermédiaires et graves;

c) Appliquer l’isolement cellulaire en dernier recours seulement, pour une période aussi courte que possible, sous une supervision stricte et en ménageant la possibilité d’un examen judiciaire; et

d) Ne plus recourir à l’isolement cellulaire pour les personnes atteintes de graves maladies mentales.

Violence faite aux femmes

20.Tout en prenant note des mesures prises par le Gouvernement fédéral et les gouvernements de province pour combattre la violence à l’égard des femmes et des jeunes filles autochtones, y compris les cas de meurtre et de disparition (CAT/C/CAN/Q/6/Add.1, par. 76 ff), le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles: a) les femmes marginalisées, en particulier les autochtones, sont victimes beaucoup plus que les autres de formes de violence qui mettent leur vie en danger, d’homicides conjugaux et de disparitions forcées; et b) l’État partie n’intervient pas rapidement et efficacement pour enquêter sur les actes de violence, poursuivre et punir leurs auteurs ou fournir une protection appropriée aux victimes. En outre, le Comité regrette la déclaration de la délégation selon laquelle les questions relatives à la violence à l’égard des femmes relèvent essentiellement du mandat d’autres organes, et rappelle que l’État est tenu pour responsable et ses agents devraient être considérés comme les auteurs, les complices ou les responsables d’une quelconque autre manière, en vertu de la Convention, pour avoir consenti, expressément ou tacitement, à des actes de torture ou des mauvais traitements commis par des agents non étatiques ou du secteur privé (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour faire preuve de diligence et intervenir pour stopper et sanctionner les actes de torture et de mauvais traitements commis par des agents non étatiques ou du secteur privé, et fournir réparation aux victimes. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler aussi d ’ efforts pour mettre un terme à toutes les formes de violence à l ’ égard des femmes et des jeunes filles autochtones, notamment, en élaborant un plan d ’ action concerté et complet, en étroite collaboration avec les organisations de femmes autochtones, qui compren ne notamment des mesures visant à enquêter de façon rapide et impartiale sur les disparitions et les meurtres de femmes autochtones, et à poursuivre et condamner leurs auteurs, ainsi qu ’ à mettre rapidement en œuvre les recommandations pertinentes formulées par les organes nationaux et internationaux à cet égard, notamment celles du Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, du Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, et du Groupe de travail sur les femmes disparues.

Armes à impulsions

21.Le Comité prend note des diverses initiatives prises par l’État partie pour élaborer des normes plus restrictives et plus transparentes afin de régir l’utilisation des armes à impulsions, notamment des directives nationales publiées par le Gouvernement fédéral en 2010. Il reste toutefois préoccupé par les informations faisant état de l’absence de normes cohérentes et unifiées applicables à toutes les forces de police aux niveaux fédéral et provincial, et par le manque de clarté du cadre juridique régissant les essais et l’autorisation d’utiliser de nouvelles formes d’armes par les forces de police au Canada. Le Comité regrette en outre que les directives nationales n’aient pas de caractère contraignant et ne fixent pas des conditions suffisamment restrictives en ce qui concerne l’utilisation des armes à impulsions dans le pays (art. 2 et 16).

Compte tenu des effets dangereux et mortels des armes à impulsions sur la santé physique et mentale des personnes qui en sont la cible, effets qui peuvent constituer des violations des articles 2 et 16 de la Convention, le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que ces armes soient utilisées exclusivement dans des situations extrêmes et restreintes. L ’ État partie devrait réviser la réglementation régissant l ’ utilisation de ces armes, y compris les directives nationales, afin de fixer des conditions restrictives en la matière, et d ’ adopter un cadre législatif régissant les essais de toutes les armes utilisées par les forces de sécurité et l ’ autorisation de les utiliser. En outre, l ’ État partie devrait envisager de renoncer à utiliser des armes à impulsions telles que les «tasers».

Méthodes de contrôle des foules par la police

22.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de l’usage excessif de la force par les agents des forces de l’ordre dans le cadre du contrôle des foules aux niveaux fédéral et provincial, en particulier lors des manifestations liées aux litiges fonciers des autochtones Ipperwash et Tyendinaga, ainsi que dans le cadre des sommets du G-8 et du G‑20. Le Comité est particulièrement préoccupé par les informations concernant les méthodes violentes de contrôle des foules et les conditions de vie inhumaines dans les centres de détention temporaire (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État p artie de renforcer ses efforts pour veiller à ce que toutes les allégations de mauvais traitement et d ’ usage excessif de la force par la police fassent rapidement l ’ objet d ’ enquêtes efficaces de la part d ’ un organe dépendant et que les auteurs de ces actes soient poursuivis et punis par des peines appropriées. En outre, l ’ État p artie et le gouvernement de la province de l ’ Ontario devrait ouvrir une enquête sur les agissements de la police provinciale de l ’ Ontario lors des incidents de Tyendinaga, ainsi que sur les opérations de sécurité et de police qui se sont déroulées dans le cadre des sommets du G-8 et du G-20 .

Collecte de données

23.Le Comité regrette l’absence de données complètes et détaillées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans des affaires de torture et de mauvais traitement infligés par les forces de l’ordre, le personnel de sécurité, les militaires et le personnel pénitentiaire, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et la violence familiale et sexuelle.

L ’ État partie devrait compiler des données statistiques pertinentes pour la surveillance de l ’ application de la Convention au niveau national, notamment des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitement, les conditions de détention, les exactions commises par des agents de l ’ État, la rétention administrative, la traite, la violence sexuelle et familiale, ainsi que sur la réparation offerte aux victimes, y compris l ’ indemnisation et la réadaptation.

24.Le Comité recommande à l’État partie de renforcer sa coopération avec les mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, ainsi que de redoubler d’efforts pour mettre en œuvre leurs recommandations. L’État partie devrait prendre d’autres mesures pour veiller à adopter une approche transparente, concertée et accessible au public de l’application des obligations qui incombent au Canada en vertu des instruments internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, notamment la Convention.

25.À la lumière des engagements pris par l’État partie devant le Conseil des droits de l’homme en 2006 et de son acceptation des recommandations formulées par le Groupe de travail sur l’Examen périodique universel (A/HRC/11/17, par. 86 2)), le Comité exhorte l’État partie à accélérer les pourparlers actuellement menés au niveau national et à ratifier dès que possible le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

26.Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, notamment la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

27.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

28.L’État partie est invité à mettre à jour son document de base commun (HRI/CORE/1/Add.91), conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

29.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 12, 13, 16 et 17 du présent document concernant: a) les mesures prises pour garantir ou renforcer les garanties légales concernant les détenus; b) la réalisation d’enquêtes rapides, efficaces et impartiales; et c) les mesures prises pour poursuivre et sanctionner les auteurs d’acte de torture ou de mauvais traitement.

30.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter d’ici au 1er juin 2013, de présenter son rapport selon la procédure facultative pour l’établissement des rapports qui consiste pour le Comité à transmettre à l’État partie une liste de points à traiter avant la soumission du rapport périodique. La réponse de l’État partie à cette liste constituera son prochain rapport périodique présenté au Comité en application de l’article 19 de la Convention.