Nations Unies

CMW/C/SR.156

Convention internationalesur la protection des droitsde tous les travailleursmigrants et des membresde leur famille

Distr. générale

15 avril 2011

Original: français

NATIONS UNIESComité pour la protection des droits de tous les travailleursmigrants et des membres de leur famille

Quatorzième session

Compte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 156e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 4 avril 2011, à 10 heures

Président:M. El Jamri

Sommaire

Ouverture de la session

Déclaration liminaire de Mme Kyung-wha Kang, (Haut-Commissaire adjoint aux droitsde l’homme)

Adoption de l’ordre du jour

Promotion de la Convention

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 73de la Convention

La séance est ouverte à 10 h 10.

Ouverture de la session

Déclaration liminaire de Mme Kyung-wha Kang, Haut-Commissaire adjointaux droits de l’homme

1.Mme Kyung-wha Kang (Haut-Commissaire adjoint aux droits de l’homme) déclare ouverte la quatorzième session du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

2.Rappelant le processus consultatif en cours visant à renforcer les organes conventionnels, Mme Kyung-wha Kang en retrace les différentes étapes: la Déclaration de Dublin (novembre 2009), la Déclaration de Marrakech (juin 2010) et la Déclaration de Poznan (septembre 2010). Les consultations se sont poursuivies à Genève, du 12 au 14 janvier 2011, avec la réunion du Groupe de travail sur le suivi, à laquelle Mme Cubías Medina et M. Sevim ont participé et au cours de laquelle l’accent a été mis sur les procédures de suivi des observations finales, les décisions relatives aux communications, les visites et les enquêtes des organes conventionnels, notamment une évaluation de leur efficacité. Les points sur lesquels le Groupe de travail est tombé d’accord seront présentés pour adoption à la réunion intercomités et des Présidents de Comité en juin. La phase des consultations devrait s’achever à Dublin, fin 2011. Début 2012, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme publiera un rapport qui présentera l’ensemble des recommandations formulées au cours de ce processus consultatif et servira de fondement au renforcement des organes conventionnels, qui sera lancé dès l’année prochaine.

3.À cet effet, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) organise une série de consultations d’une journée avec les huit organes conventionnels dotés de procédures d’établissement de rapports. Par ailleurs, un séminaire réunissant les membres du Comité des droits des travailleurs migrants et du Comité des droits des personnes handicapées est prévu à la fin de cette semaine. Il fait suite aux séminaires organisés ces derniers mois avec les membres d’organes conventionnels, destinés à leur permettre de discuter en amont des points de l’ordre du jour de la prochaine réunion intercomités de juin.

4.Face à la répétition de demandes visant à prolonger la durée des sessions des organes conventionnels, l’Assemblée générale a prié le Secrétaire général de lui «présenter, à sa soixante-sixième session, des propositions concrètes et adaptées (…) en vue de trouver des moyens de rationaliser les méthodes de travail» des organes conventionnels. Cette rationalisation apparaît encore plus indispensable à l’heure où la taille et la charge de travail des organes conventionnels augmentent, notamment suite au dépôt du vingtième instrument de ratification de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui donnera lieu à la création du Comité des disparitions forcées, dont les membres seront élus le 31 mai 2011. Par ailleurs, un nouveau groupe de travail à composition non limitée, établi par l’Assemblée générale se réunira le 19 avril à New York «pour mieux protéger les droits fondamentaux des personnes âgées (…) notamment en étudiant, le cas échéant, la possibilité de mettre en œuvre d’autres instruments et d’autres mesures (…)». Il se peut que cela débouche sur un nouvel instrument et un nouvel organe de suivi. À cela s’ajoute le fait que, le 17 février dernier, le Groupe de travail à composition non limitée chargé d’examiner un protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant a adopté un projet de protocole facultatif visant à instituer une procédure de présentation de communications, qui sera présenté au Conseil des droits de l’homme pour adoption en juin prochain, puis à l’Assemblée générale à sa soixante-sixième session.

5.Le HCDH est toujours chargé de la coordination du Comité international de pilotage pour la campagne de ratification de la Convention sur les droits des travailleurs migrants. Cette année, ce dernier s’est penché sur neuf pays où l’aide internationale conforterait les avancées en faveur de la ratification. À l’occasion du vingtième anniversaire de la Convention célébré l’année dernière, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme a écrit aux 15 États signataires de la Convention qui ne l’avaient pas encore ratifiée pour les encourager à le faire.

6.Mme Kyung-wha Kang présente les travaux du Comité lors de la présente session, qui comprendront notamment le dialogue avec la délégation du Mexique à l’occasion de la présentation du deuxième rapport de l’État partie (CMW/C/MEX/2) conformément à l’article 73 de la Convention, ainsi que l’adoption de la liste de questions pour l’examen des rapports de l’Argentine, du Chili et du Guatemala à la prochaine session du Comité. Par ailleurs, depuis la session précédente, le Tadjikistan et le Paraguay ont soumis leur rapport initial (CMW/C/TJK/1 et CMW/C/PRY/1 respectivement).

7.La protection des travailleurs migrants est actuellement très difficile du fait des événements qui secouent le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Les migrants sont notamment victimes d’interceptions illicites et souvent dangereuses aux frontières terrestres et maritimes, de violence, de racisme et de xénophobie. Les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques de milliers de travailleurs migrants et de membres de leur famille sont fréquemment violés. La déclaration du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale le mois dernier, au sujet de la Libye, montre combien il est urgent de faire face aux conséquences disproportionnées qu’a la crise pour les travailleurs migrants africains en particulier.

8.La situation critique dans la région souligne combien il importe de continuer à promouvoir les normes internationales relatives aux droits de l’homme des migrants. La Haut-Commissaire aux droits de l’homme, qui présidait le Groupe mondial pour les migrations l’année dernière, a attiré l’attention sur la protection des travailleurs migrants en situation irrégulière et déclaré que la migration serait l’un des domaines prioritaires du HCDH au cours des deux prochaines années. La migration est au cœur notamment de plusieurs activités du HCDH, une table ronde sur les moyens d’éviter la détention des migrants, le mois prochain, à laquelle il serait bon qu’un membre du Comité participe.

9.Le Président salue le fait que le processus consultatif soit ouvert et qu’il ne repose pas sur l’examen d’un projet de rationalisation des organes conventionnels établi par le HCDH. Il déclare que la présente session se déroule dans un contexte difficile pour les migrants et indique que la journée de jeudi pourrait être consacrée à la situation des flux migratoires non seulement en Libye mais aussi au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest et au Maghreb.

10.Par ailleurs, le Président rappelle que le concept de migration dite illégale prend de l’ampleur dans les pays développés car le marché est demandeur, au détriment des droits des travailleurs migrants. Au cours de la présente session, les membres du Comité débattront de la tenue d’une journée de débat général sur les travailleurs migrants sans papiers lors de la prochaine session.

11.M. Brillantes dit qu’il serait peut-être judicieux que le Comité fasse une déclaration sur la situation des travailleurs migrants au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et au Japon, même si de tels cas de figure ne sont pas expressément prévus par la Convention.

12.M. Ibarra González, tout en reconnaissant la gravité de la situation au Japon, rappelle qu’en Amérique latine, ce sont les lois des pays du nord du continent américain qui ont aggravé la situation des migrants de la région. Ceux-ci sont non seulement victimes de bandes criminelles organisées lors de leur transit, notamment au Mexique, mais aussi du durcissement de la législation en vigueur dans les États de destination comme, par exemple, la loi sur l’immigration en Arizona. À cet égard, M. Ibarra González fait observer que certains États n’hésitent pas à déchoir de leur nationalité des enfants nés sur leur territoire afin de faciliter leur expulsion. D’après M. Ibarra González, il incombe au Comité de se prononcer sur la situation dans ces pays d’accueil car elle a des conséquences sur les migrants et leur famille.

13.Mme Kyung‑whaKang (Haut-Commissaire adjoint aux droits de l’homme) dit que les dispositions de la Convention n’envisagent pas le type de situation qui prévaut actuellement en Afrique du Nord. Toutefois, le HCDH encourage les actions de sensibilisation des membres du Comité et salue leur sérieux. Mme Kyung-wha Kang rappelle que la xénophobie est réelle et croissante dans le monde entier et qu’il incombe au HCDH et au Comité de saisir toutes les occasions pour rappeler aux responsables politiques leurs obligations morales et leurs devoirs en faveur de la tolérance. Elle réitère l’appui du HCDH aux initiatives du Comité dans le cadre prévu par la Convention.

Adoption de l’ordre du jour (CMW/C/14/1)

L’ordre du jour est adopté.

Promotion de la Convention

15.Le Président indique qu’il a participé à la célébration du vingtième anniversaire de la Convention organisée par le bureau du HCDH à Bruxelles, le Parlement européen et la société civile. Il s’est également déplacé à Bangkok où il a évoqué avec les partenaires régionaux l’importance de la Convention et de sa ratification pour la région, avant de se rendre à Dhaka (Bangladesh) pour rencontrer de nombreux ministres et des représentants de la société civile. La Convention devrait être rapidement ratifiée par le Bangladesh, l’échange avec les ministres ayant permis de répondre à certaines réserves, notamment en matière juridique. Enfin, le Président rend compte du séminaire de la Confédération européenne des syndicats (CES) sur les travailleurs migrants sans papiers. Les syndicats sont désireux de mieux défendre ces travailleurs, tout en luttant pour la protection des droits de tous les travailleurs, qu’ils soient nationaux, étrangers ou sans papiers. La CES rejette l’idée de préférence nationale, qui prévaut au sein de l’Union européenne, et souhaite accompagner le Comité dans ses travaux. Il a été proposé que les syndicats constituent une plate-forme mondiale et une réunion devrait avoir lieu vendredi à cet effet.

16.Répondant à une question de M. Carrión Mena sur l’attitude des pays de l’Union européenne à l’égard de la Convention, le Présidentexplique que les arguments contre la ratification ont perdu de leur force grâce aux actions de sensibilisation aux dispositions de la Convention qui ont été menées. Cela étant, on constate qu’un certain nombre de responsables politiques déclarent vouloir mettre un frein à l’immigration car il s’agit d’un fonds de commerce, tandis que les dirigeants économiques souhaitent la poursuite de la migration. Les études, en particulier celles de l’OCDE, montrent qu’il ne faut pas freiner la migration car dès que la croissance repartira, les économies auront besoin des migrants. Le Président rappelle enfin qu’avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la ratification au niveau de l’Union européenne est désormais possible.

17.M. Sevim estime que les réunions que le Groupe de travail a tenues avec les ONG étaient très constructives. Malheureusement, aucune ONG ne représentait les travailleurs migrants. Il considère cependant que les ONG qui défendent les droits des travailleurs en général défendent également ceux des travailleurs migrants. Participant à une réunion organisée le 15 décembre à Amsterdam par un groupe de migrants originaires de Turquie, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, M. Sevim s’est aperçu à cette occasion que les ONG connaissaient très mal la Convention. C’est pourquoi il a décidé d’organiser des réunions d’information pour les représentants d’ONG, puis de constituer un groupe de pression pour défendre et expliquer la Convention.

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 73de la Convention

Dialogue avec les ONG au sujet du deuxième rapport périodique du Mexique

18.M. Fernando Batista Jimenez (Commission nationale des droits de l’homme du Mexique) expose les activités de la Commission, qui est un organisme public, constitutionnel et autonome, qui œuvre, notamment, en faveur des migrants. Le Gouvernement mexicain a pris un certain nombre de mesures pour garantir les droits de l’homme des migrants: création d’instruments pour aider les victimes et les témoins de délits liés à la traite des personnes, aux enlèvements et autres graves violations des droits de l’homme, adoption et modification de mesures législatives, réformes visant à renforcer la lutte contre la traite de personnes, stratégie de prévention des enlèvements de migrants, campagnes de formation à l’intention des agents des services de migration et de police, etc. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour garantir le plein exercice des droits fondamentaux des migrants au Mexique. Cette population est particulièrement vulnérable à l’heure actuelle et victime d’extorsion, de discrimination, d’exploitation et de violences physiques et sexuelles, de traite, d’enlèvement, etc.

19.La Commission nationale, qui met en œuvre un programme de protection des droits des migrants, est également chargée, conformément à la Constitution, d’enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme commis par action ou par omission par des fonctionnaires. Elle mène cette action par le biais de ses 15 bureaux, situés sur les lieux de transit des migrants. En 2010, elle a effectué 3 000 visites environ et a prêté assistance à plus de 68 000 personnes. Depuis 2006, elle a traité près de 2 500 plaintes, des violations étant constatées dans 41 % des cas. En se fondant sur l’examen de ces plaintes, on a constaté que durant leur transit par le Mexique, les migrants sont victimes de vol, d’extorsion, et de violences du fait des autorités, de délinquants et de bandes criminelles organisées. Lorsque des opérations de police, souvent violentes et non nécessaires, sont menées contre eux, ils sont placés dans des centres de rétention où ils ne reçoivent pas l’aide médicale ou autre nécessaire, ne sont pas informés de leur situation et n’ont pas d’interprète. En outre, l’accès des défenseurs des droits de l’homme à ces centres est restreint.

20.Depuis 2006, plus de 1 700 plaintes ont été déposées contre le personnel de l’Institut national des migrations, et des violations des droits de l’homme ont été constatées dans 46 % des cas. Cependant, il faut préciser que le nombre de plaintes est bien inférieur à celui des violations effectivement commises, car les migrants sont très vulnérables et ne souhaitent pas attirer l’attention sur eux. C’est pourquoi la Commission nationale des droits de l’homme va à la rencontre de ces populations là où elles se trouvent. Grâce à ces visites, 16 700 démarches réalisées en collaboration avec des organisations de la société civile ont été effectuées au nom des migrants auprès de différentes autorités dans le domaine de la santé, de l’information et de l’assistance juridique.

21.La Commission, préoccupée par la vulnérabilité croissante des défenseurs des droits de l’homme, qui font de plus en plus souvent l’objet de menaces, encourage l’État mexicain à adopter d’urgence des mesures afin de garantir leur protection. Elle mène aussi une action de promotion et de diffusion des droits de l’homme et organise des formations sur la migration destinées aux fonctionnaires. Elle collabore avec diverses entités de la société civile qui s’occupent des migrants, ainsi qu’avec des organisations internationales, telles que l’Organisation internationale pour les migrations, le HCDH et le CICR.

22.Le Président de la Commission a présenté en 2010 un projet d’Observatoire ibéro-américain dans le domaine des migrants et de la traite des personnes, qui a pour but d’identifier les situations d’urgence, de prendre des mesures et d’adopter des politiques publiques pour lutter contre ce phénomène. Ce projet a été adopté par la Fédération ibéro-américaine de l’Ombudsman et sera prochainement mis en œuvre.

23.La Commission a également réalisé un rapport sur l’enlèvement des migrants au Mexique, pour révéler l’ampleur du phénomène et évaluer les mesures prises par le Gouvernement. Elle a estimé à 11 333 le nombre de migrants victimes d’enlèvements entre avril et septembre 2010, le chiffre réel étant peut-être encore plus élevé. Certains représentants des forces de l’ordre seraient parfois complices de ces enlèvements ou y participeraient directement. La Commission a enquêté auprès d’organismes publics pour connaître les mesures de prévention et de lutte contre les enlèvements de migrants. Il s’agit essentiellement de mesures isolées qui n’ont que peu d’effet et ne font pas l’objet de suivi ou d’évaluation. En outre, il n’y a guère de coordination entre les institutions compétentes. La Commission a présenté une proposition en 28 points afin qu’une politique de prévention des enlèvements de migrants soit mise en œuvre.

24.Le Mexique doit élaborer un cadre juridique et des politiques qui prennent en compte les exigences des flux migratoires pour faire face à la diversité des situations et protéger les plus vulnérables. Une politique en matière de lutte contre la pauvreté, d’éducation et d’emploi et d’accès aux services doit être menée en faveur des migrants. Le fonctionnement des centres de rétention doit aussi être amélioré et la coordination entre fonctionnaires locaux, fédéraux et nationaux doit être renforcée dans ce domaine.

25.M. Rupert Knox (Amnesty International) se déclare très préoccupé par la situation des migrants au Mexique. Amnesty International a fait du Mexique une priorité en raison de l’ampleur et de la gravité des violations auxquelles sont confrontés les migrants. L’organisation s’est rendue sur place à de nombreuses reprises entre 2008 et 2010 et a visité des foyers hébergeant des migrants. Elle a découvert que les migrants en transit étaient victimes d’extorsion, de torture, de disparitions et de meurtres, de manière systématique et à grande échelle. Selon la Commission nationale des droits de l’homme, 11 000 migrants ont été kidnappés en six mois à des fins d’extorsion et soumis à de graves violations des droits de l’homme. Les témoignages recueillis par Amnesty International et par d’autres organisations prouvent la participation, à des degrés divers, des autorités et de la police à ces opérations menées par des gangs, y compris en faisant obstruction aux enquêtes.

26.Amnesty International salue les initiatives du Mexique en faveur de la protection des migrants, mais ces mesures ne sont pas suffisantes, notamment en matière d’accès à la justice. Des réformes ont été menées, mais à peine 1 % des migrants portent plainte ou acceptent de témoigner dans les cas de violations, ce qui permet à l’État de minimiser le phénomène. S’agissant de la complicité, Amnesty International voudrait savoir combien de fonctionnaires ont été poursuivis et condamnés pour violence ou complicité de violence contre les migrants. Une action devrait être engagée au niveau national afin de coordonner les différents organismes concernés, lesquels travaillent séparément. On constate également que le Mexique a du mal à produire des données précises et fiables sur les actions en justice et les condamnations prononcées contre des membres de gangs et des fonctionnaires, ainsi que sur les personnes disparues ou enlevées, données qui permettraient de mesurer l’efficacité des mesures prises.

27.Selon Amnesty International, le Gouvernement mexicain doit mener une politique volontariste. À l’heure actuelle, le manque total de coordination entre les institutions, conjugué à l’insuffisance et à l’inadéquation des données dont dispose le Gouvernement, ne lui permettent pas de mener une politique efficace en faveur des migrants.

28.Mme Vertie (Red Nacional de Organismos Civiles de Derechos Humanos «Todos los Derechos para Todos y Todas») appelle le Gouvernement mexicain à réformer ses politiques et ses pratiques qui ont jusqu’à présent été marquées par la persécution et la criminalisation des migrants et de ceux, individus et groupes, qui défendent leurs droits et leur apportent une aide humanitaire. Les migrants relèvent de la responsabilité partagée des pays d’origine, de transit et de destination, mais aussi de celle des divers niveaux administratifs de l’État; ils doivent faire l’objet d’une législation complète, distincte des textes relatifs à la sécurité nationale et à la sécurité publique, qui promeuve les droits énoncés dans les instruments internationaux, notamment en faveur des groupes vulnérables. Il convient aussi de créer des mécanismes propres à modifier les comportements qui favorisent la discrimination, la marginalisation, l’impunité, le pouvoir discrétionnaire et la violence chez les agents de l’État comme dans la société. Les opérations de contrôle des migrants, outre qu’elles sont contraires à la Constitution, se caractérisent par l’usage excessif de la force et par l’exercice discrétionnaire du pouvoir par les autorités. Les enlèvements sont une nouvelle problématique constatée par les centres d’hébergement de migrants, les centres de défense des droits de l’homme, dont la Commission nationale des droits de l’homme elle-même, qui ont recensé plus de 11 000 cas de personnes dont la vie et l’intégrité ont été menacées, souvent avec la complicité active ou passive des autorités. Face aux préjugés, au pouvoir discrétionnaire, au manque d’information et de compétences de l’appareil judiciaire, à son inefficacité et à l’impunité dont jouissent les représentants des autorités, les migrants sont impuissants et spoliés dans leur droit à la vie, à la réparation du préjudice subi, à une procédure régulière et à l’accès à la justice.

29.Mme Salim (Commission internationale catholique pour les migrations) appelle l’attention sur les migrants en situation irrégulière qui sont victimes d’actes criminels, et notamment d’enlèvements, qui font l’objet de dispositions de plusieurs instruments internationaux auxquels le Mexique est partie − Convention contre la torture, Convention relative aux droits de l’enfant et Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, notamment. Le Mexique doit impérativement reconnaître ces migrants avant tout comme les victimes de délits graves et non d’abord comme contrevenant à des règles administratives. L’irrégularité de leur statut les prive, de fait, de la protection des droits dus aux victimes, notamment du droit d’obtenir réparation prévu à l’article 16 de la Convention, car elle les dissuade de porter plainte contre les délinquants qui profitent de leur situation.

30.La Commission internationale catholique pour les migrations recommande que le Mexique légifère pour protéger des représailles les migrants qui dénoncent leurs agresseurs et leur dispenser des soins médicaux et psychosociaux d’urgence. Elle l’encourage aussi à protéger largement les droits fondamentaux de tous les migrants victimes ou témoins de délits qui seront ainsi plus enclins à coopérer avec la police. Elle réaffirme avec insistance qu’il importe de protéger les défenseurs des droits de l’homme dont la vie est menacée en raison de leurs activités en faveur des migrants et de l’application de la Convention. Invoquant l’article 64 de la Convention, elle rappelle l’importance de la coopération multilatérale pour protéger les migrants qui franchissent les frontières et demande au Mexique de collaborer avec les États d’origine d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour lutter contre le trafic de migrants et d’autres atteintes dont ils font l’objet, notamment les enlèvements transfrontières. S’agissant des ressortissants mexicains à l’étranger, elle s’inquiète des agressions policières commises dans certaines régions frontalières du Mexique contre des Mexicains expulsés des États-Unis et demande au Gouvernement de rechercher des solutions avec les États-Unis à ces problèmes.

31.M. Guerra (Dimensión Pastoral de la Movilidad Humana) note que, malgré la forte corruption, des signes positifs, d’ordre législatif surtout, se dessinent. Le Parlement et la société civile se montrent un peu plus attentifs au sort des migrants. Toutefois, le Gouvernement fédéral semble plus soucieux de soigner son image que de procéder à de véritables réformes. M. Guerra relate un cas d’enlèvement collectif de migrants guatémaltèques, en 2007, dont les auteurs n’ont jamais été poursuivis malgré l’abondance des preuves et des témoignages recueillis. Des centaines de cas de ce type ont été dénoncés en vain. La Commission nationale des droits de l’homme elle-même a publié à ce sujet une recommandation qui a été remise aux autorités chargées de la sécurité publique, mais sans effet. Au Mexique, lorsqu’il s’agit des droits de l’homme des migrants, les agents publics bénéficient d’une impunité quasi totale, quels que soient les preuves et les témoignages recueillis. On décèle toutefois un léger changement de tendance: dernièrement, dans l’État d’Oaxaca, trois policiers qui ont agressé et volé des migrants seront vraisemblablement poursuivis. Le Gouvernement mexicain doit oser mettre fin à la loi de l’impunité. Tant qu’il n’y aura pas de justice au sein des administrations, il n’y aura pas de justice pour les migrants. L’article 67 sur la loi générale sur la population, dont la dernière modification, en 2008, visait à améliorer la protection offerte aux migrants, sera inapplicable si l’impunité n’est pas éliminée.

32.M. Rigoni (Scalabrini International Migration Network) salue la promulgation par le Président mexicain d’une nouvelle disposition visant à mettre la loi mexicaine sur l’asile en conformité avec les normes internationales; l’adoption par le Sénat d’une nouvelle loi sur les migrations qui dépénalise la migration illicite; l’accord de coopération conclu entre le Mexique, le Guatemala, El Salvador, le Honduras et le Nicaragua ainsi que la coordination des activités de la police fédérale et des services du procureur chargé des enquêtes sur la délinquance dans les États mexicains traversés par les migrants; et le virage amorcé par le Mexique en matière de politique migratoire et de lutte contre la corruption, ainsi que la prise de conscience, aux plan politique et social, au sujet des droits de l’homme et de la dignité des migrants.

33.L’application de la nouvelle loi sur les réfugiés suscite toutefois quelques préoccupations liées notamment au manque chronique de personnel, à la longueur excessive de la procédure, au faible nombre de personnes qui obtiennent le statut de réfugié, et à l’ignorance des autorités en ce qui concerne la situation politique, sociale et culturelle des pays d’origine des demandeurs d’asile. Scalabrini International Migration Network recommande que le Mexique définisse clairement qui est migrant, qui est étranger en transit et qui est membre d’une organisation criminelle, et qu’il clarifie les notions de migration régulière et migration irrégulière pour mettre fin aux méprises. Outre la lutte contre la corruption dans les administrations, l’organisation recommande l’instauration d’une culture de la dignité, de la responsabilité et de l’honnêteté dans la société civile dont les pouvoirs publics sont, en définitive, une émanation. Elle préconise également le renforcement de la coopération entre les différentes autorités dans la lutte contre les agressions et les enlèvements de migrants. Elle appuie le projet du Gouvernement d’étendre à d’autres États l’expérience faite dans les États du Chiapas et d’Oaxaca de désigner un procureur chargé de la défense des droits de migrants. Pour augmenter le nombre de personnes obtenant l’asile, elle suggère de réduire le nombre des membres siégeant au comité chargé de ces questions. Elle estime que les migrants en situation irrégulière doivent sortir de la clandestinité afin de bénéficier d’une protection contre les délinquants. Elle déplore l’affaiblissement des Groupes Beta qui avaient à l’origine pour mission de défendre et d’aider les migrants et dont les effectifs réduits ne leur permettent pas de donner suite à la volonté affichée par le Gouvernement mexicain d’améliorer la protection des migrants vulnérables.

34.Le Président demande ce qu’il est advenu du programme de développement humain, annoncé par le Président mexicain notamment, lors du Forum mondial sur la migration et le développement, qui s’est tenu au Mexique et qui a fait naître de grands espoirs pour les migrants et la politique migratoire mexicaine.

35.Mme Cubías Medina déplore l’augmentation du nombre des atteintes contre des travailleurs migrants commises par les autorités et des enlèvements de migrants devenus des objets commerciaux pour les cartels. Elle souhaite savoir si les autorités fédérales, fédérées et municipales ont appliqué les recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme et dans quelle mesure. Compte tenu de l’engagement en faveur des migrants manifesté par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ainsi que par certains États, dont le Chiapas et l’Oaxaca, elle demande quelles mesures de coordination ont été mises en place entre les autorités municipales. Elle aimerait aussi obtenir des informations sur la dépénalisation de la migration illicite et, notamment, savoir si les migrants en situation irrégulière sont toujours placés en détention et, si oui, à quel titre, et si le changement législatif s’accompagne d’un changement des mentalités.

36.Mme Poussi, ayant tout d’abord jugé positif le rapport présenté par l’État partie en raison des efforts réalisés, en particulier dans le domaine de la formation des fonctionnaires à une meilleure prise en charge des migrants, se dit à présent préoccupée par les informations qu’elle vient d’entendre sur les violations des droits des migrants par des représentants des administrations publiques. Elle estime qu’il convient d’attirer l’attention du Mexique sur ce problème et demande aux ONG quelles mesures concrètes elles prennent pour remédier à cette situation.

37.M. Carrion Mena dit qu’il est encourageant de constater, malgré la situation difficile dans laquelle se trouve le Mexique en ce qui concerne le phénomène migratoire et sa gestion, que les organisations de la société civile jouent un rôle actif en informant les travailleurs migrants de leurs droits et en menant des enquêtes. En matière de migration, le Mexique est un pays emblématique du fait de la proximité des États-Unis. Il est toutefois très vulnérable en raison du grand nombre de migrants qui y transitent. Conscient de la forte proportion de migrants clandestins au Mexique, M. Carrion Mena se demande dans quelle mesure les chiffres et les informations fournis sont fiables. Par ailleurs, il constate qu’on a beaucoup insisté sur les violations, délits et abus commis par les autorités mexicaines à différents niveaux. Il existe apparemment une volonté d’améliorer la gestion des flux migratoires, mais sa mise en œuvre laisse à désirer. Par ailleurs, le Congrès mexicain semble faire preuve de bonne volonté, mais il est parfois en désaccord avec le Gouvernement fédéral. Quant aux Mexicains de l’extérieur, leur situation nécessite des éclaircissements.

38.M. Ibarra Gonzalez, abordant la question de la création d’un observatoire aux fins de la protection des travailleurs migrants, se demande comment cette initiative sera mise en œuvre. Préoccupé par la question de l’assassinat de 72 migrants, parmi lesquels se trouvaient des Guatémaltèques et des Honduriens, il note que selon certaines sources, les assassins seraient des trafiquants de drogues. Il semblerait néanmoins que des fonctionnaires municipaux aient participé à ces actes.

39.M. Batista Jimenez (Commission nationale des droits de l’homme), indique que sur les 1 741 cas traités par la Commission nationale des droits de l’homme, 27 recommandations pour violation grave ont été adoptées La Commission a également soumis plus de 180 propositions de conciliation, qui sont en quelque sorte des initiatives préalables aux recommandations. Lorsque l’Institut national des migrations respecte les termes d’une proposition, la Commission n’émet pas de recommandation. Dans plus de 160 cas, le service de contrôle interne de l’Institut a été saisi pour enquêter sur certains fonctionnaires. En outre, dans plus de 430 cas, des plaintes liées à des irrégularités ou des violations jugées mineures ont été déposées auprès de la Commission et des enquêtes ont été menées auprès des institutions visées. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait pas eu dans ces cas de violations des droits de l’homme. Dans les centres de rétention, par exemple, les agents de l’Institut national des migrations n’apportent pas toujours aux migrants les soins dont ils ont besoin. Ainsi, dans 46 % des cas, la Commission a constaté que des violations des droits fondamentaux ont eu lieu, ce qui est loin d’être négligeable.

40.S’agissant de la mise en œuvre des recommandations, il est important de noter qu’après qu’une recommandation a été émise, l’autorité fédérale doit l’accepter, puis s’engager à enquêter et à sanctionner le ou les responsables. À cet égard, force est de constater que toutes les recommandations ne sont pas mises en œuvre. Pour ce qui est de la coordination, la Commission a mis en évidence des incohérences et des lacunes non seulement entre les autorités municipales, fédérées et fédérales, mais aussi entre les organismes fédéraux. En ce qui concerne la nouvelle loi, évoquée précédemment, la Commission organisera un forum, avec la participation d’experts, afin d’apporter au législateur les éléments dont il a besoin pour que la loi puisse être promulguée rapidement.

41.M. Knox (Amnesty International) dresse un tableau contrasté de la situation générale en matière de migration au Mexique. Des progrès relatifs ont certes été accomplis à l’échelon local. Cependant, d’après les informations fournies, le ministère public fédéral n’a ouvert que trois enquêtes pour enlèvement de migrants sur une période de trois ans, alors que l’on sait parfaitement que les enlèvements sont très nombreux. Il est extrêmement difficile de déterminer l’ampleur de ce phénomène, même en multipliant les sources d’information, et les statistiques officielles ne rendent compte que d’une infime partie de la réalité. L’Institut national des migrations, qui est souvent la principale source d’information, est un organisme strictement administratif, ce qui signifie qu’il n’est pas le mieux placé pour transmettre convenablement les informations au ministère public fédéral. C’est pourquoi, dans ses recommandations, Amnesty International a mis l’accent sur la question des données, sachant qu’elles sont très peu fiables et n’aident guère les autorités à élaborer leurs politiques. En ce qui concerne les recommandations ou les propositions de conciliation de la Commission nationale des droits de l’homme, on ne dispose pas d’informations sur la suite qui leur est donnée, c’est-à-dire sur les personnes éventuellement poursuivies et les sanctions imposées. S’agissant de la complicité des fonctionnaires dans certaines affaires, les autorités affirment que les responsables sont les organisations criminelles, ce qui est clairement le cas lorsqu’il s’agit d’enlèvements. Néanmoins, on sait qu’il existe des complicités à différents échelons, depuis les municipalités jusqu’au pouvoir fédéral. En outre, on note un décalage entre ce qui se passe sur le terrain et les mesures prises pour enquêter. Pour ce qui est de la nouvelle loi, bien qu’elle présente des aspects positifs, la question est de savoir si elle sera effectivement mise en application. Là encore, il y a un manque de données, mais aussi d’initiatives de la part des autorités fédérales.

42.MmeVertie (Red Nacional de Organismos Civiles de Derechos Humanos) fait remarquer, en ce qui concerne le cadre juridique, que certaines organisations ont tenté de mener une réflexion sur le contenu de la nouvelle loi et sur ses incidences, positives ou négatives. Comme il est indiqué dans le rapport de Red Nacional, la première préoccupation est l’absence de consultation des organisations de la société civile. Les questions de la sécurité nationale et de la migration restent liées, ce qui conduit à criminaliser les migrants. Par ailleurs, il n’existe pas de garanties pour l’exercice du droit d’accès à la justice et du droit à un procès équitable. De même, il n’y a pas de mesures concrètes visant à reconnaître et à protéger les défenseurs des droits de l’homme. La transparence, l’accès à l’information, la responsabilité effective, la prise en compte des perspectives hommes-femmes et la situation des mineurs non accompagnés, dont le nombre a augmenté ces dernières années, n’ont fait l’objet d’aucune initiative.

43.La nouvelle loi est également préoccupante, car elle ne reprend guère les normes internationales en ce qui concerne les droits fondamentaux. De plus, une loi sur la migration ne suffit pas à elle seule; il faudrait aussi modifier d’autres textes législatifs, notamment la loi sur le travail et celle sur la santé. Outre la législation et les programmes sociaux, des initiatives en matière de formation et de sensibilisation des personnels judiciaires sont nécessaires. Malgré tous les efforts que Red Nacional accomplit en faveur de l’accès des migrants à la justice, ceux-ci se rendent compte au moment de saisir les tribunaux que les mécanismes judiciaires ne sont pas conçus pour eux.

44.M. Bingham (International Catholic Migration Commission), répondant à Mme Cubias Medina au sujet du changement des mentalités, dit qu’il s’agit de s’entendre sur la définition du migrant, de l’étranger, du criminel et de la personne en transit. Ce changement doit s’effectuer avec beaucoup de prudence, conformément à l’article 68 de la Convention. Répondant à M. Carrion Mena au sujet des mesures prises en dehors du pays d’origine des migrants, en l’occurrence des mesures prises par le Mexique pour promouvoir la protection et la régularisation des ressortissants mexicains à l’étranger, M. Bingham note qu’il faudrait mettre l’accent sur l’obligation des États parties d’entrer en contact avec les migrants et leurs familles ainsi que les organisations qui les défendent.

46.M. Guerra (Dimensión Pastoral de la Movilidad Humana) fait remarquer que les chiffres communiqués par la Commission nationale des droits de l’homme ne représentent pas la réalité dans ce pays complexe et fragmenté qu’est le Mexique, car beaucoup de données ne sont pas enregistrées. Il semble par ailleurs que le Congrès et le Gouvernement fédéral n’agissent pas dans la même direction. Bien que la migration ne soit plus un délit, la police a tendance à brutaliser les migrants avant de leur demander de présenter leurs documents d’identité. Dimensión Pastoral a pour sa part recensé 47 agressions contre son personnel et ses locaux, et des personnes armées sont même entrées dans ses centres d’accueil pour y enlever des migrants.

46.M. Rigoni (Scalabrini International Migration Network) insiste sur la nécessité de faire en sorte que la migration ne soit plus considérée comme une infraction.

47.M. Batista Jimenez(Commission nationale des droits de l’homme)explique que la Commission procède chaque année à 1 700 visites dans les différentes institutions qui accueillent des migrants, notamment les centres d’accueil de Dimensión Pastoral. Ces visites sont enregistrées et il en est rendu compte dans les documents que publie la Commission. Il ajoute que celle-ci se prononcera sous peu sur la question des irrégularités constatées aux différents niveaux administratifs et formulera des recommandations.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 45.