Nations Unies

CAT/C/KEN/CO/3

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 mais 2022

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Kenya *

1.Le Comité contre la torture a examiné le troisième rapport périodique du Kenya à ses 1897e et 1900e séances, les 4 et 5 mai 2022, et a adopté les présentes observations finales à sa 1908e séances, le 11 mai 2022.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de l’État partie. Il regrette toutefois que le rapport ait été soumis avec plus d’une année de retard.

3.Le Comité se félicite d’avoir pu engager un dialogue constructif avec la délégation de l’État partie et accueille avec satisfaction les réponses apportées aux questions et aux préoccupations soulevées pendant l’Examen du rapport périodique.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour réviser et adopter des lois dans les domaines intéressant la Convention, notamment :

a)La loi no 10 de 2021 relative aux réfugiés ;

b)La loi no 12 de 2017 relative à la prévention de la torture, qui fait de la torture une infraction pénale distincte, prévoit des peines sévères et permet à l’État partie d’exercer sa compétence universelle à l’égard des auteurs d’actes de torture qui se trouvent sur son territoire ;

c)La loi no 18 de 2017 relative au Service national des coroners ;

d)La loi no 6 de 2016 relative à l’aide juridictionnelle ;

e)La loi (modifiée) no 45 de 2016 relative à la protection des témoins ;

f)La loi no 2 de 2015 relative à la protection contre la violence familiale ;

g)La loi no 23 de 2014 relative aux personnes privées de liberté ;

h)La loi no 17 de 2014 relative à la protection des victimes.

5.Le Comité salue les mesures que l’État partie a prises pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, en particulier :

a)La mise en place en 2021 de modes opératoires normalisés pour les enquêtes et les poursuites concernant les violations graves des droits de l’homme commises par des policiers ;

b)La création en 2021 du Forum consultatif national interinstitutions pour la préparation aux élections ;

c)L’adoption en 2019 de la politique et des directives relatives à la déjudiciarisation, dont le but est d’aider les procureurs à remplacer, dans certaines affaires, les procédures judiciaires par des règlements à l’amiable ;

d)L’adoption en 2019 de la politique nationale révisée sur l’élimination des mutilations génitales féminines, la création en 2014 d’une unité spécialisée au sein du Bureau du Procureur général pour poursuivre les personnes se rendant coupables d’actes de mutilations génitales féminines et de mariages d’enfants, et la création d’un comité directeur chargé de la lutte contre les mutilations génitales féminines dans chacun des 22 comtés prioritaires ;

e)La création en 2017 d’une commission de la protection des victimes ;

f)La création en 2016 d’une brigade de protection de l’enfance au sein du Service national de police ;

g)La création en 2015 du Comité départemental des droits de l’homme au sein de l’Administration pénitentiaire du Kenya ;

h)L’adoption en 2014 de la politique nationale de prévention et de répression de la violence fondée sur le genre et la création d’un tribunal spécialisé à Shanzu pour accélérer le jugement des affaires de violence sexuelle et fondée sur le genre ;

i)L’adoption en 2013 d’une politique de gratuité des services de maternité et de la directive présidentielle relative à la gratuité des services de maternité.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Questions en suspens issues du cycle précédent

6.Dans ses précédentes observations finales, le Comité a demandé à l’État partie de lui faire parvenir des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations concernant : les exécutions extrajudiciaires et l’emploi disproportionné de la force, les garanties juridiques fondamentales, les lynchages et les enquêtes concernant les violences postélectorales. Il prend note avec satisfaction des réponses envoyées par l’État partie le 22 août 2014, mais, se référant à la lettre que le Président du Comité et son Rapporteur chargé du suivi des observations finales ont adressée au Représentant permanent du Kenya auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève le 29 août 2016, il estime que les recommandations formulées aux paragraphes 9, 10, 17 et 18 de ses observations finales n’ont été que partiellement mises en œuvre. Ces points sont traités aux paragraphes 10, 12, 24 et 36 des présentes observations finales.

Définition et incrimination de la torture

7.Le Comité considère que la nouvelle définition de l’infraction de torture énoncée à l’article 4 de la loi relative à la prévention de la torture est globalement conforme aux dispositions de l’article premier de la Convention, mais il s’inquiète de ce qu’elle ne contienne pas d’équivalent exact de la formule « toute autre personne agissant à titre officiel » figurant à l’article premier de la Convention et que la liste des fins de la torture qui est donnée dans cette loi semble être limitative plutôt qu’illustrative. Il est également préoccupé par la possibilité qu’une personne condamnée pour mauvais traitements soit punie d’une amende, peine qui n’est pas à la mesure de la gravité de l’infraction commise. L’article 2 de ladite loi prévoit de plus que la torture « s’entend au sens de l’article 4 … sauf si le contexte s’y oppose », ce qui pourrait être interprété comme une dérogation à l’interdiction absolue de la torture énoncée à l’article 2 de la Convention. Pour finir, la loi no 8 de 2001 relative à l’enfance et la loi no 11a de 2011 relative au Service national de police, qui prévoient des peines plus légères pour des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, sont toujours en vigueur (art. 1, 2 et 4).

8. L’État partie devrait  :

a) Modifier la loi relative à la prévention de la torture pour garantir que la définition de la torture soit entièrement conforme aux dispositions de l’ article premier de la Convention et que les peines sanctionnant les mauvais traitements soient à la mesure de la gravité de ces infractions, conformément à l’ article 4 ( par.  2) de la Convention  ;

b) Garantir que le principe de l’interdiction absolue de la torture soit incorporé dans sa législation et qu’il soit strictement respecté, en application des dispositions du paragraphe 2 de l’ article 2 de la Convention, qui dispose qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture  ;

c) Harmoniser toutes les dispositions nationales, notamment en accélérant l’adoption du projet de loi de 20 18 portant modification de la loi relative à l’enfance et en modifiant la loi n o 11a de 20 11 relative au Service national de police afin de garantir l’application systématique de peines appropriées pour les actes de torture et autres formes de mauvais traitements.

Garanties fondamentales

9.Le Comité prend note des dispositions constitutionnelles et législatives existantes encadrant la garde à vue, mais il est préoccupé par les nombreuses lacunes qui persistent dans le respect des garanties fondamentales et notamment par :

a)Les cas de personnes placées en garde à vue pour une durée supérieure au délai légal de vingt-quatre heures prévu par la législation kényane sans être présentées devant une autorité judiciaire, ce qui peut exposer les suspects à un risque accru de torture et de mauvais traitements ;

b)Les allégations d’arrestations arbitraires, souvent accompagnées de faits d’extorsion, les personnes détenues n’étant pas autorisées à prendre contact avec un proche ou un tiers de leur choix, et l’absence d’utilisation systématique et cohérente des registres des personnes privées de liberté, à tous les stades de la détention, et des données qu’ils contiennent ;

c)Les informations selon lesquelles le droit de s’entretenir sans délai avec un avocat et d’être examiné par un médecin indépendant dès le début de la détention est souvent nié (art. 2, 11 et 16).

10. Le Comité demande instamment à l’État partie de veiller à ce que toutes les personnes détenues bénéficient en pratique, dès le début de leur privation de liberté, de toutes les garanties juridiques fondamentales contre la torture, notamment des droits suivants  :

a) Être informées, dans une langue qu’elles comprennent, de la raison de leur arrestation, de la nature de toute accusation portée contre elles et de leurs droits  ;

b) Être assistées d’un avocat, y compris pendant les interrogatoires  ;

c) Demander et obtenir d’être examinées par un médecin indépendant hors de portée de voix et hors de la vue des policiers et du personnel pénitentiaire, à moins que le médecin concerné ne demande expressément qu’il en soit autrement  ;

d) Avoir accès à un médecin indépendant de leur choix, sur demande  ;

e) Avoir la garantie que le dossier médical est immédiatement porté à l’attention d’un procureur chaque fois que les conclusions ou des allégations donnent à penser que des actes de torture ont pu être commis ou des mauvais traitements infligés  ;

f) Informer un membre de leur famille, ou toute autre personne de leur choix, de leur détention  ;

g) Voir leur détention enregistrée  ;

h) Être présentées à un juge sans délai  ;

i) Pouvoir contester la légalité de leur détention à n’importe quel stade de la procédure.

L’État partie devrait également dispenser une formation adéquate et régulière à ceux impliqués dans des activités dans le domaine de la détention concernant les garanties juridiques et contrôler le respect de ces dispositions et sanctionner tout manquement de la part des fonctionnaires.

Exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées et usage excessif de la force

11.Le Comité est profondément préoccupé par les allégations dont il a eu connaissance concernant des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des cas d’usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre. Il est particulièrement préoccupé par :

a)Les cas signalés de disparitions forcées et d’usage excessif de la force, y compris de la force meurtrière au moyen d’armes à feu, pendant des arrestations ou des opérations de maintien de l’ordre lors des manifestations ayant entouré les élections de 2017, et le faible nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations concernant ces actes ;

b)Le recours excessif à la force par des membres des forces de l’ordre, y compris le recours à la force meurtrière, dans les établissements urbains informels et dans le cadre de la mise en œuvre des mesures visant à maîtriser la pandémie de maladie à coronavirus (COVID‑19) ;

c)La sixième annexe à la loi no 11 de 2011 relative au Service national de police, qui autorise les agents des forces de l’ordre à utiliser des armes à feu pour protéger des biens, et le fait que le droit pénal n’érige pas en infractions pénales toutes les formes de disparition forcée ;

d)Le retard dans la création du Service national des coroners, qui sera chargé d’appuyer les enquêtes sur les décès causés par des actes criminels violents, les exécutions extrajudiciaires ou les décès en détention (art. 2, 11, 12 et 16).

12. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations relatives à des exécutions extrajudiciaires, à des disparitions forcées et à un usage excessif de la force par des agents des forces de l’ordre et des militaires, et faire en sorte que les auteurs présumés des faits soient poursuivis et que les victimes reçoivent une indemnisation appropriée  ;

b) Réviser son cadre normatif de sorte que toutes les formes de disparition forcée soient clairement définies dans le droit pénal et emportent des peines à la mesure de leur gravité  ;

c) Revoir la sixième annexe à la loi n o  11 de 20 11 sur le Service national de police afin de la rendre pleinement conforme aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, et dispenser aux fonctionnaires concernés, en particulier aux policiers, une formation appropriée sur l’usage de la force  ;

d) Accélérer la mise en place du Service national des coroners afin de garantir que toute enquête menée sur des allégations d’exécutions extrajudiciaires comporte un examen médico-légal indépendant, y compris, si nécessaire, une autopsie, conformément au Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les décès résultant potentiellement d’actes illégaux (2016).

Commission nationale des droits de l’homme

13.Le Comité note que la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya est dotée depuis 2005 du statut A en vertu des Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), mais il s’inquiète de ce que les ressources allouées à la Commission ne soient pas suffisantes pour lui permettre de s’acquitter pleinement de ses fonctions, notamment pour ce qui est de se rendre dans les lieux de détention, de recevoir des plaintes concernant des cas présumés de violation des droits de l’homme et d’enquêter sur celles-ci. Il s’inquiète également de ce que les dispositions de la loi no 14 de 2011 relative à la Commission nationale des droits de l’homme n’énoncent pas de manière suffisamment explicite le droit de la Commission de surveiller et d’inspecter les lieux de détention gérés par l’armée. Enfin, il est préoccupé par le manque d’informations sur les mesures concrètes prises par l’État partie pour garantir l’application effective des recommandations de la Commission (art. 2, par. 1).

14. L’État partie devrait sans attendre prendre les mesures nécessaires pour assurer l’indépendance fonctionnelle de la Commission, en lui garantissant un budget adéquat qui lui permette de recruter du personnel, d’établir des antennes régionales et de mener à bien le mandat qui lui est confié. Il devrait également préciser le sens de sa législation (ou, si nécessaire, la modifier) afin qu’il soit clair que les attributions de la Commission incluent le droit de surveiller et d’inspecter les lieux de détention gérés par l’armée. Enfin, il devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’application effective des recommandations de la Commission, y compris des mesures visant à vérifier si les organismes publics leur donnent la suite voulue.

Détention provisoire

15.Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur les mesures prises pour remédier au recours excessif à la détention provisoire prolongée, qui entraîne un surpeuplement chronique des lieux de détention, mais il reste préoccupé par le nombre élevé de détenus en attente de jugement, sachant que ceux-ci représentent 48 % de la population carcérale totale et sont souvent maintenus en détention pour de longues périodes. Sur ce point, il prend note avec satisfaction des améliorations apportées au système de libération sous caution, notamment avec l’adoption de lignes directrices régissant la libération sous caution en 2015, mais il note avec préoccupation que les conditions de libération sous caution restent trop prohibitives pour avoir un effet concret (art. 2, 11 et 16).

16. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que la réglementation relative à la détention provisoire soit scrupuleusement respectée et à ce que ce type de détention ne soit imposé qu’à titre exceptionnel, pour des périodes limitées et dans le respect de la loi, eu égard aux principes de nécessité et de proportionnalité  ;

b) Intensifier ses efforts pour réduire sensiblement la surpopulation carcérale en renforçant les capacités judiciaires dans le but de réduire l’arriéré d’affaires et en ayant davantage recours à des mesures de substitution à la détention, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok)  ;

c) Veiller au contrôle systématique de la légalité de la détention provisoire par le ministère public.

Conditions de détention

17.Le Comité prend acte des mesures prises par l’État partie pour améliorer les conditions dans les lieux de détention, notamment de la rénovation de plusieurs établissements pénitentiaires, mais il reste préoccupé par les informations concernant le surpeuplement de certaines prisons (jusqu’à 400 %) et les mauvaises conditions matérielles de détention dans les lieux de privation de liberté, en particulier l’insalubrité et le manque d’hygiène, l’absence de ventilation, la qualité médiocre de la nourriture et de l’eau, fournies en quantités insuffisantes, ainsi que le manque d’activités récréatives ou éducatives favorisant la réinsertion. En outre, l’accès limité à des soins de santé de qualité, y compris en matière de santé mentale, et le manque de personnel pénitentiaire formé et qualifié, y compris de personnel médical, continuent de poser de graves problèmes dans le système pénitentiaire. Le Comité est également préoccupé par les informations concernant l’ampleur de la violence carcérale, notamment la violence commise par les membres du personnel pénitentiaire sur les détenus et la violence et les atteintes sexuelles commises entre détenus, et par la mise en détention d’enfants avec des adultes (art. 2, 11 et 16).

18. Le Comité engage l’État partie à redoubler d’efforts pour rendre les conditions de détention conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment en modifiant comme il convient la loi sur les prisons (chap. 90) et la loi sur les maisons de correction (chap. 92). L’État partie devrait aussi  :

a) Décongestionner les prisons en ayant davantage recours aux mesures de substitution à la détention et poursuivre la mise en œuvre des projets de développement des infrastructures pénitentiaires et d’amélioration des conditions de détention  ;

b) Allouer les ressources nécessaires à une bonne prise en charge médicale et sanitaire des détenus, conformément aux règles 24 à 35 des Règles Nelson Mandela  ;

c) Augmenter le nombre de membres du personnel pénitentiaire formés et qualifiés, y compris pour ce qui est du personnel médical, et renforcer la surveillance et la gestion de la violence entre détenus, notamment la violence sexuelle  ;

d) Veiller à ce que des enquêtes impartiales et efficaces soient menées rapidement sur toutes les allégations relatives à des actes de torture ou à des mauvais traitements infligés par des membres du personnel pénitentiaire et faire en sorte que les auteurs présumés reçoivent les sanctions adéquates  ;

e) Veiller à ce que les mineurs soient strictement séparés des adultes dans les lieux de détention et à ce qu’ils ne soient privés de liberté qu’en dernier ressort et pour une période aussi brève que possible, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing).

Décès en détention

19.Le Comité regrette l’absence d’informations fiables sur le nombre total de décès en prison, les causes de ces décès et les enquêtes s’y rapportant (art. 2, 11, 12 et 16).

20. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que tous les décès en détention donnent lieu sans délai à une enquête impartiale conduite par une entité indépendante, y compris à un examen médico-légal indépendant et, s’il y a lieu, appliquer les sanctions correspondantes  ;

b) Évaluer l’efficacité des programmes de prévention, de dépistage et de traitement des maladies infectieuses dans les prisons  ;

c) Réunir des informations détaillées sur les décès dans tous les lieux de détention et sur leurs causes, ainsi que sur l’issue des enquêtes, et les communiquer au Comité.

Surveillance des lieux de détention

21.Le Comité est préoccupé par l’absence d’informations sur l’accès des organes de surveillance, tels que la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya, à certains lieux de détention, notamment ceux relevant de l’armée et du Service national de renseignement (art. 2, 11 et 16).

22. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que les organes de surveillance chargés de se rendre dans les lieux de privation de liberté soient en mesure d’effectuer des visites indépendantes et inopinées dans tous les lieux de privation de liberté du pays et de s’entretenir confidentiellement avec toutes les personnes détenues  ;

b) Envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants  ;

Enquêtes sur les violences postélectorales

23.Le Comité note avec préoccupation que le règlement de 2017 sur la gestion des finances publiques (Fonds de réparation des injustices historiques), qui visait à rendre opérationnel le Fonds de justice réparatrice, en est encore au stade des consultations, ce qui signifie que les victimes des violations flagrantes des droits de l’homme commises dans le contexte des élections de 2007 ne peuvent pas obtenir pleinement réparation. En outre, il regrette l’absence d’informations sur la suite donnée aux recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation. Étant donné en particulier la tenue prochaine d’élections en 2022, il note également avec préoccupation que peu de progrès ont été faits pour ce qui est de garantir l’accès des victimes des graves violations des droits de l’homme qui ont entouré les élections de 2017 − au nombre desquelles l’usage meurtrier de la force, les agressions, les actes de torture et les violences sexuelles de la part de policiers − à la justice et à des voies de recours, y compris des garanties de non-répétition, et que les règlements devant régir le Fonds de protection des victimes sont en attente d’approbation par le Parlement, condition nécessaire pour que les victimes puissent avoir accès à des réparations. Il est en outre préoccupé par l’absence d’informations concernant les poursuites engagées dans ces affaires (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

24. L’État partie devrait  :

a) Redoubler d’efforts pour garantir l’application pleine et effective de toutes les recommandations de la Commission vérité, justice et réconciliation, notamment en accélérant le processus visant à rendre le Fonds pour la justice réparatrice pleinement opérationnel  ;

b) Redoubler d’efforts pour permettre aux victimes des violences postélectorales de 20 17 d’avoir accès à des voies de recours, notamment en accélérant le processus visant à rendre le Fonds de protection des victimes opérationnel  ;

c) Prendre des mesures concrètes avant les élections de 20 22 pour remédier à l’impunité des auteurs des violences commises lors des périodes électorales précédentes, en menant des enquêtes et en poursuivant et sanctionnant tous les responsables, en particulier les policiers et les agents de sécurité.

Traitement des réfugiés, des demandeurs d’asile, des migrants et des apatrides

25.Le Comité prend note de l’adoption de la loi no 10 de 2021 relative aux réfugiés, mais il est préoccupé par les dispositions de l’article 19 (par. 2), qui prévoit de larges exceptions au principe de non-refoulement au nom de la moralité publique. Il s’inquiète en particulier du fait que les réfugiés et les demandeurs d’asile homosexuels, bisexuels, transgenres et intersexes pourraient de facto être refoulés en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Il note en outre avec préoccupation que les prisons, les postes de police et les maisons d’arrêt sont inclus dans la définition des centres de transit pour réfugiés, que des non-ressortissants sont détenus au seul motif qu’ils sont entrés illégalement dans le pays, et que l’État partie a l’intention de fermer les camps de réfugiés de Dadaab et de Kakuma d’ici à juin 2022 en raison de risques présumés pour la sécurité, ce qui pourrait entraîner des expulsions massives, des rapatriements involontaires et le refoulement d’un très grand nombre de réfugiés somaliens et sud-soudanais, qui courraient alors le risque d’être détenus, torturés ou tués à leur retour dans leur pays d’origine (art. 3 et 11).

26. L’État partie devrait  :

a) Respecter strictement le principe de non-refoulement, tant en droit que dans la pratique  ;

b) Modifier la loi relative aux réfugiés, notamment l’ article 19 ( par.  2) et les dispositions qui incluent les prisons, les postes de police et les maisons d’arrêt dans la définition des centres de transit, afin de rendre ce texte pleinement compatible avec l’ article 3 de la Convention  ;

c) Mettre fin à la pratique consistant à placer en détention des non ‑ ressortissants au seul motif qu’ils sont entrés illégalement dans le pays  ;

d) Envisager de revoir sa décision de fermer les camps de réfugiés de Dadaab et de Kakuma , afin d’éviter l’expulsion massive et le rapatriement involontaire de réfugiés somaliens et sud-soudanais qui risqueraient d’être victimes de détention arbitraire, de torture ou d’autres formes de mauvais traitements à leur retour dans leur pays d’origine.

Mesures de lutte contre le terrorisme

27.S’il a conscience des préoccupations de l’État partie en ce qui concerne sa sécurité nationale, le Comité n’en demeure pas moins préoccupé par les informations dénonçant des cas d’arrestations et de détentions arbitraires, d’extorsion, de déplacements forcés, de refoulement, d’exécutions extrajudiciaires, de torture, de violences sexuelles et fondées sur le genre et de disparitions forcées perpétrés par des agents de l’État, en particulier des membres de l’unité antiterroriste de la police, dans le cadre d’opérations antiterroristes, notamment lors de l’opération Usalama Watch en avril 2014, et regrette l’absence d’informations sur les enquêtes ouvertes et les poursuites engagées et sur leur issue, y compris les réparations accordées aux victimes. Il note avec préoccupation que la définition du terrorisme qui figure dans la loi no 30 de 2012 relative à la prévention du terrorisme est vague, trop générale et a été utilisée pour opprimer les personnes qui se montraient critiques à l’égard du Gouvernement. Il est en outre préoccupé par le fait que l’article 35 de cette loi prévoit des restrictions excessives aux droits des personnes soupçonnées ou accusées d’avoir participé à des actes terroristes, notamment au droit à une procédure régulière et à un procès équitable et au droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Il prend note des efforts faits par l’État partie pour modifier les articles de la loi no 19 de 2014 portant modification des lois relatives à la sécurité que la Haute Cour avait jugés inconstitutionnels, mais il regrette que l’État partie n’ait pas précisé à quel moment ces modifications étaient susceptibles de prendre effet (art. 2, 11, 12 et 16).

28. L’État partie devrait  :

a) Veiller à ce que les mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient conformes à la Convention et strictement nécessaires au regard de la situation et des exigences du principe de proportionnalité  ;

b) Revoir la définition du terrorisme figurant dans la loi n o 30 de 20 12 relative à la prévention du terrorisme afin qu’elle soit conforme aux normes internationales et modifier l’ article 35 de cette loi pour garantir que les droits des personnes soupçonnées ou accusées d’avoir participé à des actes terroristes sont dûment protégés  ;

c) Accélérer le processus de modification de la loi n o 19 de 20 14 portant modification des lois relatives à la sécurité, conformément à l’arrêt de la Haute Cour  ;

d) Mener sans tarder des enquêtes impartiales et efficaces sur les allégations concernant des violations des droits de l’homme, y compris des actes de torture et des mauvais traitements, commises pendant des opérations antiterroristes, poursuivre et sanctionner les responsables, et veiller à ce que les victimes aient accès à des recours utiles et puissent obtenir pleinement réparation.

Allégations de torture et impunité

29.Le Comité salue les efforts que déploie l’État partie pour lutter contre l’impunité des auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements, notamment l’élaboration par le Bureau du Procureur général d’un guide de référence et d’actes d’accusation types afin d’assurer l’application effective de la loi relative à la prévention de la torture. Toutefois, compte tenu des nombreuses allégations et plaintes concernant des actes de torture et des mauvais traitements commis par des agents de l’État, en particulier par des policiers, dans des lieux de privation de liberté et au cours d’activités de maintien de l’ordre, et des informations selon lesquelles les mécanismes de contrôle de la police restent inefficaces, le Comité est profondément préoccupé par l’absence d’obligation de rendre des comptes, qui contribue à un climat d’impunité. Il note avec préoccupation qu’aucun cas de personnes poursuivies et condamnées pour torture en vertu de la loi relative à la prévention de la torture n’a été recensé à ce jour. Il est également préoccupé par les informations indiquant que, malgré l’adoption de la loi no 6 de 2016 relative à l’aide juridictionnelle et du plan d’action national sur l’aide juridictionnelle (2017-2022), les victimes rencontrent des difficultés pour obtenir une assistance judiciaire gratuite. En outre, il est préoccupé par les informations selon lesquelles les militaires et les membres du Service national de renseignement bénéficient dans la pratique d’une immunité générale de poursuites (art. 2, 4, 11, 12, 13 et 16).

30. L’État partie devrait  :

a) Accélérer la mise au point et le lancement du guide de référence et des actes d’accusation types élaborés par le Bureau du Procureur général et prendre les mesures nécessaires pour diffuser largement la loi relative à la prévention de la torture et mieux faire connaître celle-ci aux juges et aux procureurs, afin de contribuer à son application effective  ;

b) S’assurer que toutes les allégations d’actes de torture ou de mauvais traitements commis par des policiers, des militaires ou des membres du Service national de renseignement font sans délai l’objet d’une enquête efficace et impartiale, et que les auteurs de tels actes sont dûment poursuivis pour torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et sanctionnés s’ils sont reconnus coupables  ;

c) Veiller à ce que l’Autorité indépendante de surveillance de la police et la Commission nationale des droits de l’homme du Kenya soient dotées de ressources financières et humaines suffisantes pour s’acquitter efficacement de leur mandat, notamment pour ce qui est de la collecte de données indépendantes sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites, les condamnations et les sanctions visant des agents des forces de l’ordre pour des actes de torture et des mauvais traitements, et à ce que le Bureau des affaires internes du Service national de police soit doté de fonds suffisants et donne la priorité à l’application d’un système de contrôle dans le cadre duquel les auteurs présumés d’infractions sont suspendus de leurs fonctions, dans l’attente des résultats de l’enquête, et dûment poursuivis  ;

d) Mettre en place un mécanisme de plainte indépendant, efficace, confidentiel et accessible dans tous les lieux de détention, y compris les lieux de garde à vue et les prisons, et protéger les plaignants, les victimes et les membres de leur famille de tout risque de représailles  ;

e) Fournir les ressources humaines et financières nécessaires pour garantir le bon fonctionnement du Service national d’aide juridictionnelle afin que le manque de ressources ne soit pas un obstacle à l’accès à la justice, décentraliser davantage le programme national d’aide juridictionnelle pour couvrir toutes les régions du pays, et redoubler d’efforts pour accroître le nombre d’avocats dans tout le pays  ;

f) Compiler et diffuser des données statistiques actualisées sur les plaintes déposées, les enquêtes menées, les poursuites intentées et les condamnations prononcées dans les affaires concernant des allégations de torture et de mauvais traitements.

Établissements psychiatriques

31.Le Comité est préoccupé par les informations reçues concernant les traitements médicaux forcés, le recours à la contention physique et chimique et l’isolement subi par les personnes handicapées dans les hôpitaux psychiatriques. Il est également préoccupé par l’absence de mesures visant à garantir que les personnes handicapées soient tenues de donner leur consentement libre et éclairé pour recevoir un traitement médical ou être soumis à une expérience scientifique (art. 16).

32. L’État partie devrait  :

a) Apporter un soutien aux personnes handicapées, notamment en leur fournissant des informations sous des formes accessibles, afin de leur permettre de donner leur consentement libre et éclairé en ce qui concerne les traitements médicaux et les expériences scientifiques  ;

b) Dispenser aux professionnels de la santé une formation sur les droits des personnes handicapées, notamment le droit au consentement libre et éclairé  ;

c) Veiller à ce que les moyens et instruments de contrainte ne puissent être utilisés que conformément à la loi, sous surveillance et pour la durée la plus courte possible, et que leur usage soit limité à ce qui est strictement nécessaire et proportionné  ;

d) Veiller à ce que les hôpitaux psychiatriques fassent l’objet d’un contrôle adéquat et à ce que des garanties efficaces soient mises en place pour prévenir tout mauvais traitement à l’égard des personnes prises en charge dans ces établissements.

Peine de mort

33.Le Comité prend note du moratoire de facto sur la peine de mort appliqué par l’État partie, qui n’a procédé à aucune exécution depuis 1987, mais il reste préoccupé par le fait que des condamnations à mort sont encore prononcées, y compris pour des infractions de moindre gravité, et que les condamnés à mort sont détenus dans des conditions qui, en soi, peuvent s’apparenter à des mauvais traitements. Il accueille avec satisfaction les mesures prises par l’État partie pour exécuter l’arrêt rendu en 2017 par la Cour suprême dans l’affaire Francis Karioko Muruatetu and another v. Republic of Kenya and five others, déclarant inconstitutionnelle l’obligation d’appliquer la peine de mort en cas de condamnation pour meurtre, énoncée à l’article 204 du Code pénal. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’application obligatoire de la peine de mort pour d’autres infractions a été interprété comme ne relevant pas de cette décision et par l’absence d’informations quant à l’échéance à laquelle le processus de réforme législative nécessaire pour donner effet à cet arrêt et commuer les peines des condamnés à mort concernés devrait s’achever. Il note en outre avec préoccupation que l’État partie n’a pas encore pris de mesures concrètes pour donner suite à la recommandation du groupe de travail sur l’exécution de l’arrêt de la Cour suprême relatif à la peine de mort, tendant à abolir cette peine (art. 2, 11 et 16).

34. L’État partie devrait  :

a) Accélérer le processus de modification de l’ article 20 4 du Code pénal et la commutation des peines des condamnés à mort concernés conformément à l’arrêt rendu par la Cour suprême en 20 17 dans l’affaire Francis Karioko Muruatetu and another v. Republic of Kenya and five others , et envisager de prendre des mesures tendant à ce que la suppression de l’obligation d’appliquer la peine de mort soit étendue à toutes les infractions, et ne se limite pas au meurtre  ;

b) Envisager la possibilité de revoir sa politique en vue d’abolir la peine de mort en droit ou de prendre des mesures positives pour officialiser le moratoire sur la peine de mort  ;

c) Faire en sorte que les conditions de détention des condamnés ne constituent pas une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en prenant des mesures immédiates pour renforcer les garanties juridiques et assurer l’accès à une aide judiciaire gratuite  ;

d) Faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations sur le nombre précis de condamnations à mort prononcées, les juridictions ayant rendu les décisions et les infractions pour lesquelles lesdites condamnations ont été prononcées.

Lynchages

35.Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par les cas signalés de lynchages, en particulier de femmes âgées accusées de sorcellerie, et par les allégations selon lesquelles ces actes n’ont pas donné lieu à des enquêtes, à des poursuites et à des sanctions, même dans les cas où les faits de lynchage étaient attestés par des enregistrements vidéo (art. 2 et 12).

36. Le Comité recommande de nouveau à l’État partie de modifier la loi de 1925 sur la sorcellerie pour la rendre conforme à la Constitution et aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, afin de prévenir et de combattre la pratique du lynchage. L’État partie devrait enquêter sur les auteurs de tels actes, les poursuivre et les condamner à des peines appropriées, afin d’assurer la sécurité de toutes les personnes . Il devrait également accorder une réparation, y compris une indemnisation adéquate, aux familles des victimes.

Violence sexuelle et fondée sur le genre

37.Le Comité est préoccupé par :

a)Les niveaux élevés de violence familiale, qui ont considérablement augmenté pendant la pandémie de COVID-19, et la persistance de la violence sexuelle, y compris le viol, dans les sphères privée et publique ;

b)L’insuffisance des mesures législatives et institutionnelles, notamment pour ce qui est de l’application de la loi relative à la protection contre la violence familiale, et le fait que le viol conjugal n’est pas érigé en infraction ;

c)Le faible taux de signalement par les victimes, qui s’explique notamment par le fait que les membres des forces de l’ordre et du personnel médical font illégalement payer pour les formulaires de signalement, et le faible taux de poursuites concernant des faits de violence sexuelle et fondée sur le genre ;

d)Les informations indiquant que des actes de violence fondée sur le genre, y compris des actes de violence sexuelle tels que des viols collectifs, auraient été commis lors des élections de 2017, pour la plupart par des membres des forces de police ou d’autres forces de sécurité, et les retards dans les poursuites engagées contre les auteurs de ces violences et l’octroi de réparations aux victimes, malgré les recommandations de la Commission d’enquête sur les violences postélectorales de 2007/08 ;

e)La persistance de la stérilisation forcée et contrainte des femmes séropositives et des femmes handicapées (art. 2 et 16).

38. L’État partie devrait  :

a) Faire en sorte que tous les cas de violence fondée sur le genre, en particulier ceux qui sont liés à des actes ou des omissions de la part des pouvoirs publics ou d’autres entités qui engagent la responsabilité internationale de l’État partie au regard de la Convention, donnent lieu à une enquête approfondie, que les auteurs présumés soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes ou leur famille obtiennent réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation adéquate  ;

b) Veiller à la stricte application de la loi relative à la protection contre la violence familiale, notamment par l’allocation de ressources humaines et financières suffisantes, et modifier le Code pénal et la loi n o 3 de 20 06 relative aux infractions sexuelles afin de criminaliser le viol conjugal  ;

c) Veiller à ce que les victimes, notamment les femmes défavorisées, puissent avoir facilement accès aux formulaires de signalement et aux formulaires médicaux, y compris les formulaires P3, et n’aient pas à payer pour les obtenir  ;

d) Poursuivre les auteurs des violences fondées sur le genre qui ont été commises après les élections de 20 07 et pendant celles de 20 17, faire en sorte qu’il soit pleinement donné suite au rapport de la Commission d’enquête et fournir des réparations et une assistance adéquates, y compris un soutien psychosocial et matériel, aux femmes qui ont été victimes de ces violences  ;

e) Publier des directives sur la protection des femmes et des filles, y compris dans les établissements d’enseignement, en période électorale, dans le cadre d’une approche du maintien de l’ordre pendant les élections qui soit fondée sur les droits de l’homme  ;

f) Redoubler d’efforts pour enquêter sur les allégations de stérilisation involontaire ou d’autres pratiques néfastes en rapport avec la santé et les droits des femmes séropositives et des femmes handicapées en matière de procréation, identifier et punir les personnes se livrant à de telles pratiques et offrir des voies de recours appropriées aux victimes.

Mutilations génitales féminines

39.Le Comité constate avec préoccupation que la pratique néfaste des mutilations génitales féminines reste courante dans certaines communautés. Il est également préoccupé par l’absence de données précises, le taux relativement faible de poursuites et l’impunité persistante des auteurs, ainsi que par les informations selon lesquelles des médecins pratiquent désormais l’intervention (« médicalisation » des mutilations génitales féminines) (art. 2 et 16).

40. L’État partie devrait faire en sorte que la loi n o 32 de 20 11 portant interdiction des mutilations génitales féminines soit largement connue et appliquée et que les personnes, y compris les médecins, qui se livrent à de telles pratiques soient poursuivies et dûment sanctionnées. Il devrait prendre des mesures pour éliminer les mutilations génitales féminines, notamment au moyen de la coopération transfrontalière et d’un renforcement des activités de sensibilisation des chefs religieux et traditionnels et du grand public, en coopération avec la société civile, au sujet du caractère criminel de ces actes, de leurs effets néfastes sur les droits humains et la santé des femmes, et de la nécessité d’éliminer cette pratique et des justifications culturelles qui s’y rapportent.

Avortement

41.Le Comité note avec préoccupation que, si l’article 26 de la Constitution autorise l’avortement dans certains cas précis, les articles 158 à 160, 228 et 240 du Code pénal répriment les actes liés à la prestation de services d’avortement. Il constate avec inquiétude que le cadre juridique restrictif et peu clair de l’État partie en matière d’avortement conduit les femmes à recourir à des avortements clandestins non sécurisés. Il relève également avec inquiétude qu’en 2013, le Gouvernement a supprimé les normes et directives visant à réduire la morbidité et la mortalité causées par les avortements non médicalisés et que ces normes et directives n’ont pas été rétablies après que la Haute Cour a déclaré leur suppression inconstitutionnelle, dans un arrêt rendu en 2019. Il est en outre préoccupé par la suppression, en 2017, des directives nationales concernant la prise en charge des victimes de violence sexuelle et par le fait qu’il n’existe pas de politique ni de directives claires sur l’accès à l’avortement en cas de violence sexuelle. Enfin, il note avec préoccupation que le processus parlementaire engagé en vue de l’adoption du projet de loi de 2019 relatif à la santé procréative n’a pas abouti.

42. L’État partie devrait revoir son cadre constitutionnel et législatif afin de garantir des dispositions, des politiques et des directives claires et harmonisées régissant l’accès à un avortement sûr et légal, comme l’autorise l’ article 26 de la Constitution, y compris dans les cas de grossesse résultant de violences sexuelles. Pour ce faire, il devrait adopter sans plus tarder le projet de loi de 20 19 relatif à la santé procréative, abroger les articles du Code pénal qui répriment l’avortement et rétablir rapidement les normes et directives visant à réduire la morbidité et la mortalité causées par les avortements non médicalisés au Kenya, ainsi que les directives nationales concernant la prise en charge des victimes de violence sexuelle.

Orientation sexuelle, identité de genre et intersexualité

43.Le Comité se félicite de l’adoption du projet de loi de 2019 portant modification de la loi relative à l’enregistrement des personnes, qui permet aux personnes intersexes d’être juridiquement reconnues. Il est toutefois préoccupé par :

a)Les articles 162 et 165 du Code pénal, qui répriment les relations homosexuelles, et l’arrêt rendu en 2019 par la Haute Cour dans lequel celle-ci a confirmé la constitutionnalité de ces dispositions ;

b)Les informations selon lesquelles les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes sont victimes de harcèlement, de discrimination et de violence, notamment de la part de membres des forces de l’ordre et de groupes d’autodéfense, et ont difficilement accès à la justice et à des mesures de réparation ;

c)Les cas d’interventions chirurgicales non urgentes et irréversibles pratiquées sur des enfants intersexes sans leur consentement plein, libre et éclairé, et les cas d’infanticide et d’abandon d’enfants intersexes (art. 2 et 16).

44. L’État partie devrait  :

a) Modifier toutes les lois pertinentes, notamment les articles 162 et 165 du Code pénal, afin de dépénaliser les relations sexuelles consenties entre adultes du même sexe  ;

b) Redoubler d’efforts pour mettre fin à toutes les formes de discrimination, de harcèlement et de violence fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre et assurer l’accès des victimes à la justice et à des mesures de réparation  ;

c) Renforcer les mesures visant à mettre fin à la pratique d’actes médicaux irréversibles, en particulier d’opérations chirurgicales, sur des enfants intersexes qui ne sont pas encore en mesure de donner leur plein consentement librement et en toute connaissance de cause, sauf lorsque de telles interventions sont absolument nécessaires du point de vue médical. Des mesures devraient aussi être prises pour garantir l’accès des victimes de telles interventions à des recours utiles.

Formation

45.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour dispenser une formation générale sur les droits de l’homme aux policiers, aux magistrats et au personnel pénitentiaire, mais il regrette l’absence de formation aux dispositions de la Convention et au contenu du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Il regrette également qu’aucun mécanisme d’évaluation de l’efficacité des programmes de formation n’ait été mis en place, et qu’il n’existe pas de formation spécifique pour les forces armées et le personnel médical concerné (art. 10).

46. L’État partie devrait  :

a) Développer plus avant les programmes de formation obligatoire afin que tous les agents de l’État connaissent bien les dispositions de la Convention, en particulier en ce qui concerne l’interdiction absolue de la torture, et qu’ils sachent qu’aucun manquement ne sera toléré, que toute violation donnera lieu à une enquête et que les responsables seront poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment sanctionnés  ;

b) Faire en sorte que l’ensemble du personnel concerné, notamment le personnel médical, reçoive une formation spécifique qui lui permette de détecter les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul  ;

c) Dispenser systématiquement une formation sur l’usage de la force à tous les membres des forces de l’ordre, en particulier ceux qui participent au contrôle des manifestations, compte dûment tenu des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois  ;

d) Concevoir une méthode permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation s’agissant de réduire le nombre de cas de torture et de mauvais traitements et de permettre de repérer ces actes, de les consigner, d’enquêter sur eux et d’en poursuivre les auteurs .

Réparations

47.Le Comité prend note des dispositions de la loi relative à la prévention de la torture qui énoncent le droit des personnes d’avoir accès à l’assistance d’un avocat et de demander une indemnisation en cas de torture et de mauvais traitements, mais il regrette le l’absence de données sur l’application effective de ces dispositions, notamment sur les victimes de torture et de mauvais traitements qui ont obtenu réparation à ce jour. Il regrette en outre l’absence d’informations sur le point de savoir si, outre l’indemnisation, les victimes d’actes de torture ont bénéficié de services de réadaptation médicale ou psychosociale, et si des programmes de réadaptation particuliers ont été mis en place à leur intention (art. 2 et 14).

48. L’État partie devrait  :

a) Conformément à l’ article 14 de la Convention, établir et diffuser des statistiques actualisées sur le nombre de victimes de torture et de mauvais traitements qui ont reçu une réparation, y compris des moyens de réadaptation médicale ou psychosociale et une indemnisation, ainsi que sur les formes de cette réparation et les résultats obtenus  ;

b) Prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour que les victimes de torture ou de mauvais traitements, leur famille ou leur défenseur puissent engager une procédure civile en réparation, indépendamment d’une action pénale éventuelle, en cours ou achevée  ;

c) Procéder à une évaluation complète des besoins des victimes et faire en sorte que des services spécialisés de réadaptation soient rapidement rendus disponibles et dotés de ressources suffisantes.

Procédure de suivi

49.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir au plus tard le 13 mai 20 23 des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées et l’usage excessif de la force, la Commission nationale des droits de l’homme, et les mutilations génitales féminines (voir plus haut, par.  12 a), 14 et 40). L’État partie est aussi invité à informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour appliquer, d’ici la soumission de son prochain rapport, tout ou partie des autres recommandations formulées dans les présentes observations finales.

Autres questions

50. Le Comité encourage l’État partie à étudier la possibilité de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

51. L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, au moyen des sites Web officiels et par l’intermédiaire des médias et des organisations non gouvernementales, et à informer le Comité des activités menées à cet effet.

52. Le Comité prie l’État partie de soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le quatrième, d’ici au 13 mai 20 26. À cette fin, et compte tenu du fait qu’il a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui fera parvenir en temps utile une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le quatrième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’ article 19 de la Convention.