Communication présentée par :

Natalia M. Alonzo, Perla B. Balingit, Virginia M. Bangit, Francia A. Buco, Dela Paz B. Culala, Belen A. Culala, Jovita A. David, Zenaida P. Dela Cruz, Fermina B. Dela Pena, Pilar Q. Galang, Januaria G. Garcia, Rufina C. Gulapa, Marta A. Gulapa, Crisenciana C. Gulapa, Rufina P. Mallari, Erlinda Manalastas, Emilia C. Mangilit, Lourdes M. Navarro, Esther M. Palacio, Teofila R. Punzalan, Maria L. Quilantang, Candelaria L. Soliman, Seferina S. Turla et Isabelita C. Vinuya (représentées par des conseils, European Center for Constitutional and Human Rights et Center for International Law Manila)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteures

État partie :

Les Philippines

Date de la communication :

25 novembre 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquée à l’État partie le 28 janvier 2020 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 février 2023

*Adoptées par le Comité à sa quatre-vingt-quatrième session (6 au 24 février 2023).

** Les membres du Comité dont le nom suit ont participé à l’examen de la communication : Brenda Akia, Hiroko Akizuki, Marion Bethel, Leticia Bonifaz Alfonzo, Rangita De Silva de Alwis, Corinne Dettmeijer-Vermeulen, Esther Eghobamien-Mshelia, Hilary Gbedemah, Yamila González Ferrer, Dafna Hacker Dror, Nahla Haidar, Dalia Leinarte, Marianne Mikko, Maya Morsy, Ana Peláez Narváez, Bandana Rana, Rhoda Reddock, Elgun Safarov, Natasha Stott Despoja et Genoveva Tisheva.

La communication est présentée par 24 ressortissantes philippines, Natalia Alonzo, Perla B. Balingit, Virginia M. Bangit, Francia A. Buco, Dela Paz B. Culala, Belen A. Culala, Jovita A. David, Zenaida P. Dela Cruz, Fermina B. Dela Pena, Pilar Q. Galang, Januaria G. Garcia, Rufina C. Gulapa, Marta A. Gulapa, Crisenciana C. Gulapa, Rufina P. Mallari, Erlinda Manalastas, Emilia C. Mangilit, Lourdes M. Navarro, Esther M. Palacio, Teofila R. Punzalan, Maria L. Quilantang, Candelaria L. Soliman, Seferina S. Turla et Isabelita C. Vinuya, qui sont membres des Malaya Lolas (« Grands-mères libres »), une organisation à but non lucratif créée pour venir en aide aux rescapées des actes d’esclavage sexuel perpétrés par l’armée impériale japonaise aux Philippines pendant la Seconde Guerre mondiale. Les auteures font grief à l’État partie d’avoir violé les droits qu’elles tiennent de l’article premier, des alinéas b) et c) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard des Philippines le 12 février 2004. Les auteures sont représentées par des conseils.

Compte tenu de leurs âges avancés, les auteures prient le Comité d’examiner leur plainte en priorité et de demander à l’État partie de leur apporter d’urgence une réparation financière suffisante.

Le 26 octobre 2020, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif à la Convention, a examiné la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Rappel des faits présentés par les auteures

Entre 1932 et 1945, l’armée impériale japonaise a réduit en esclavage des centaines de milliers de civils et de prisonniers de guerre dans des centres institutionnels sis sur les territoires occupés par le Japon. Plus de 100 000 femmes ont ainsi été réduites en esclavage sexuel par le Japon durant l’occupation coloniale. Ce système institutionnalisé d’esclavage sexuel en temps de guerre a pris par la suite le nom de système des « femmes de réconfort ».

Le 23 novembre 1944, les auteures ont été soumises de force au système susmentionné lorsque les troupes japonaises ont fait une incursion dans le district de Mapaniqui, une subdivision de la commune de Candaba (province de Pampanga). Les auteures ont été contraintes de marcher vers la Bahay na Pula (Maison rouge), le quartier général japonais de San Ildefonso (province de Pampanga). Placées en détention dans la Maison rouge pour des durées comprises entre un jour et trois semaines, elles y ont été soumises à maintes reprises à des viols, à d’autres formes de violence sexuelle, à la torture et à des conditions de détention inhumaines. Elles ont subi des conséquences physiques, psychologiques, sociales et économiques de longue durée, notamment des atteintes à leur intégrité physique, des souffrances mentales et affectives correspondant à la description médicale du stress post-traumatique, l’altération permanente de leur capacité de procréation et la détérioration de leurs relations sociales dans le mariage, au travail et dans la communauté.

Entre avril 1946 et novembre 1948, le Tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient, dit Tribunal de Tokyo, a jugé des responsables japonais pour divers crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Cependant, les actes d’accusation sont restés muets sur l’esclavage sexuel constitutif de crime de guerre et la réduction en esclavage sexuel constitutive de crime contre l’humanité, malgré l’abondance des éléments de preuve à cet égard.

Le 8 septembre 1951, le Japon a signé divers traités de paix multilatéraux et bilatéraux avec les puissances alliées et des États de la région de l’Asie et du Pacifique. Les Philippines ont ratifié le traité de paix avec le Japon en 1956, après la conclusion d’un accord distinct relatif aux réparations intervenu cette année-là. Cependant, les femmes victimes du système d’esclavage sexuel en temps de guerre n’ont été ni mentionnées dans les négociations ni indemnisées.

En décembre 2000, le Tribunal international des femmes sur les crimes de guerre et l’esclavage sexuel perpétré par l’armée japonaise a été créé. Selon ses constatations, « l’État japonais est responsable des actes de viol et de réduction en esclavage que des femmes et des filles ont subis en qualité de “femmes de réconfort” dans le cadre du système d’esclavage sexuel au service de l’armée, que les intéressées aient été réduites en esclavage par des agents publics, des membres de l’armée ou des civils agissant en son au nom », et il est par conséquent « tenu de leur apporter réparation sous diverses formes ».

En juillet 1995, le Gouvernement japonais a créé le Fonds pour les femmes asiatiques, destiné à indemniser les rescapées du système japonais d’esclavage sexuel en temps de guerre. Ce Fonds, qui était un projet d’« expiation » conjoint du « peuple japonais » et du Gouvernement, a permis à ce dernier de se soustraire à sa responsabilité juridique et de mobiliser des « ressources d’expiation » sous forme de dons privés et non de fonds d’indemnisation bénéficiant de la caution de l’État. Comme l’a souligné l’ancienne Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, Radhika Coomaraswamy, le Fonds pour les femmes asiatiques était « un geste qui rev[enait] à nier toute responsabilité juridique dans la situation de ces femmes, comme l’indiqu[ait] en particulier le désir de collecter des fonds auprès du secteur privé ». De nombreuses rescapées, y compris les auteures de la communication considérée, ont refusé de se faire indemniser dans le cadre du Fonds pour les femmes asiatiques, le Japon n’ayant pas assorti l’indemnisation de la reconnaissance de sa responsabilité juridique.

En 1998, les auteures ont pris contact pour la première fois avec le pouvoir exécutif philippin, par l’intermédiaire du Ministère de la justice, pour lui demander de les aider à porter plainte contre les autorités et les officiers militaires du Japon responsables de la mise en place du système d’esclavage sexuel en temps de guerre aux Philippines. Le Ministère de la justice n’ayant pas répondu à cette demande dans le délai de 15 jours prescrit par l’alinéa a) de l’article 5 de la loi républicaine no 6713 de 1989, les auteures se sont ensuite tournées vers le Ministère des affaires étrangères et le Bureau du Solliciteur général. Ces entités ont rejeté la demande des auteures, au motif que le pays avait renoncé à leur droit individuel de demander réparation dans le cadre du traité de paix avec le Japon et que, de toute façon, elles avaient déjà été indemnisées par le Fonds pour les femmes asiatiques.

Le 8 mars 2004, le Center for International Law Manila a saisi la Cour suprême d’une requête assortie d’une demande d’injonction mandatoire préliminaire (la « requête de 2004 ») dans laquelle il priait la Cour d’ordonner aux entités gouvernementales susmentionnées de soutenir les réclamations des auteures, dénommées à l’époque « Malaya Lolas » dans la requête. Dans ladite requête, il fait valoir notamment : a) que la renonciation au droit des rescapées philippines du système d’esclavage sexuel en temps de guerre de demander réparation au Japon dans le cadre du traité de paix avec ce dernier était nulle et non avenue, en ce qu’elle était contraire à l’obligation erga omnes de ne pas accorder d’immunité en matière de viol, d’esclavage sexuel, de torture et d’autres formes de violence sexuelle constitutifs de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre ; b) que le refus du Ministère des affaires étrangères et du Secrétaire exécutif de soutenir les réclamations des auteures constituait un grave abus de pouvoir d’appréciation qui revenait à décliner leur compétence ou à commettre un excès de pouvoir. Le 28 avril 2010, la Cour suprême a rejeté la requête de 2004 au motif que : a) le pouvoir exécutif avait seul la prérogative de déterminer s’il fallait soutenir les réclamations des auteures à l’encontre du Japon ; b) les Philippines n’étaient soumises à aucune obligation internationale de soutien à ces réclamations.

Le Center for International Law Manila a ensuite déposé une requête en réexamen de la décision le 31 mai 2010 et une requête en réexamen ampliative le 19 juillet 2010 au nom des auteures. Le 5 août 2014, la Cour suprême a rejeté ces requêtes.

Le 2 novembre 2016, le European Center for Constitutional and Human Rights et le Center for International Law Manila ont déposé des communications présentées par des particuliers devant la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles et la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris ses causes et ses conséquences, et ont prié les intéressées de demander instamment aux Philippines de soutenir les réclamations des auteures à l’encontre de l’État japonais. La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage a jugé que l’affaire « ne relevait pas des domaines prioritaires déterminés du mandat », celui-ci ne mettant « en général pas particulièrement l’accent sur les violations historiques des droits humains relatives à l’esclavage ».

Le 6 décembre 2017, trois rapporteurs spéciaux, dont la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, ont adressé une communication conjointe au Gouvernement philippin pour le prier de leur faire parvenir des informations supplémentaires ou des observations : a) sur les allégations faisant grief aux Philippines de n’avoir pas soutenu les réclamations des auteures ; b) sur les mesures qui seraient prises pour veiller à ce que les femmes et les filles victimes du système d’esclavage sexuel en temps de guerre obtiennent réparation conformément aux normes internationales relatives aux droits humains. Dans sa réponse du 3 avril 2018, l’État partie a persisté à soutenir que pour lui, les réparations versées par le Japon en exécution du traité de paix et de l’accord relatif aux réparations conclus avec ce pays s’appliquaient à l’ensemble des préjudices et des souffrances que ce dernier avait causés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Teneur de la plainte

Les auteures affirment avoir constamment soulevé leurs griefs au niveau national en demandant au Gouvernement de l’État partie de soutenir leurs réclamations à l’encontre du Gouvernement japonais et le droit à réparation qu’elles tiennent du fait d’avoir été victimes du système d’esclavage sexuel pendant la Seconde Guerre mondiale. Il convient de relever que, si elles n’ont pas explicitement dit avoir subi de discrimination fondée sur le genre ou le sexe dans le cadre du système d’esclavage sexuel institué en temps de guerre, elles soutiennent que les faits de viol, de violence sexuelle et d’esclavage sexuel qu’elles ont constamment relatés suffisent à justifier l’examen de leurs griefs par les autorités nationales.

La communication conjointe adressée au Gouvernement de l’État partie par trois rapporteurs spéciaux pour demander de plus amples informations sur les faits énoncés dans la plainte ne constituait pas une « procédure d’enquête ou de règlement international » au sens de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Au dire des auteures, l’État partie a ratifié le Protocole facultatif en 2003 et si certains des faits visés dans la communication considérée remontent à 1944, les violations de la Convention ont persisté jusqu’à présent. En outre, le dernier acte pris au niveau national est la décision de la Cour suprême de 2014 portant rejet de la requête des auteures. Dans ses observations finales concernant le rapport unique du Japon valant septième et huitième rapports périodiques, le Comité indique qu’il n’est pas empêché ratione temporis d’examiner les violations perpétrées par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, compte tenu de la persistance de leurs effets sur les droits des rescapées. En conséquence, selon les auteures, la communication répond aux conditions requises ratione temporis.

Les auteures soulignent que, loin de concerner la responsabilité de l’État japonais dans les crimes susmentionnés qui ont été commis sur le territoire de l’État partie sous la forme du système d’esclavage sexuel en temps de guerre, la communication considérée vise plutôt à établir la responsabilité qui incombe à l’État partie d’honorer les engagements qu’il a contractés au titre de la Convention en renforçant la non-discrimination à l’égard des femmes et des filles sur son territoire. Plus précisément, elle vise à établir comment le non-respect de ces engagements a, en substance, abouti à la soumission des auteures à une discrimination permanente qui persiste à ce jour.

Selon les auteures, le fait que l’État partie s’abstienne continuellement de soutenir leurs réclamations revient à manquer à l’obligation juridique générale mise à sa charge par la phrase introductive de l’article 2 qui consiste à « poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes », étant entendu qu’il faut interpréter cette phrase à la lumière de l’article premier et en tenant compte de la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, de la recommandation générale no 28 (2010) sur les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention et de la recommandation générale no 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no 19. Pour le Comité, l’expression « moyens appropriés » employée à l’article 2 comprend les mesures garantissant que État partie, entre autres, « [p]rend des mesures pour prévenir, interdire et réprimer les violations de la Convention par des tiers […] et pour offrir réparation aux victimes de violations (Protection) ». Les auteures ajoutent que d’après le Comité, la phrase introductive de l’article 2 fait également obligation à l’État partie de proclamer à tous les niveaux de l’État et à la communauté internationale qu’il condamne toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Lors de l’élaboration du traité de paix et de l’accord distinct relatif aux réparations conclus entre le Japon et les Philippines, aucune disposition n’aurait été prise pour résoudre la question des crimes commis contre les auteures et d’autres femmes et filles confinées à titre d’esclaves sexuelles dans différents types de centres et les intéressées n’auraient pas non plus été prises en compte dans le processus de négociation. Les échecs subis par les auteures depuis 1998 illustrent les manquements répétés de l’État partie à l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour éliminer la discrimination dont elles sont victimes.

Dans une affaire similaire concernant les otages réduites en esclavage sexuel en République de Corée, la Cour constitutionnelle de ce pays a estimé que le fait que le Gouvernement coréen n’ait pas donné suite aux recours formés contre le Gouvernement japonais par les rescapées du système d’esclavage sexuel en temps de guerre en Corée constituait une violation de droits fondamentaux de premier plan consacrés par la Constitution du pays. En revanche, les Philippines ont déjà conclu que le pouvoir exécutif n’avait pas l’obligation de défendre la cause des auteures et ont même ajouté que la défense de leur cause serait contraire à l’intérêt national. Les auteures font valoir que la position adoptée par l’État partie les prive du droit de réclamer des dommages-intérêts au Japon à raison de la participation de ses forces armées à la commission de crimes contraires au droit international à l’époque et « compromet le rétablissement a posteriori de leur dignité, de leur valeur et de leur liberté individuelle qui sont impitoyablement et continuellement violées ».

Les auteures affirment qu’en application de l’interprétation appropriée donnée par le Comité à l’alinéa b) de l’article 2 de la Convention, elles ont droit à des réparations et l’État partie a l’obligation correspondante de veiller à ce qu’elles bénéficient de mesures de satisfaction, telles que les excuses publiques, et des réparations voulues pour avoir été soumises au système d’esclavage sexuel en temps de guerre. Cette obligation devrait inclure celle de soutenir leurs réclamations à l’encontre du Gouvernement japonais et de garantir les sanctions, les poursuites judiciaires et les autres mesures de satisfaction voulues.

Se référant aux recommandations générales nos 19 et 35 du Comité, les auteures font valoir que l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention prévoit implicitement le droit à un recours. Elles font grief à l’État partie de n’avoir pas garanti leur droit à une protection effective et à un recours utile pour faire réparer le préjudice causé par les mauvais traitements qu’elles ont subis. Pour elles, le traité de paix et l’accord relatif aux réparations conclus avec le Japon ne doivent pas être considérés comme l’aboutissement de recours utiles, les négociations ayant eu lieu non seulement sans leur participation, mais également sans la prise en compte de leurs réclamations de fond. En outre, l’État partie a manqué à l’obligation d’assurer aux auteures, qui sont d’un âge avancé, des recours en temps voulu. Le retard excessif survenu dans les procédures nationales [près de cinq ans s’étant écoulés entre la date des dernières conclusions des auteures (7 juin 2005) et celle de la publication de la décision finale de la Cour suprême (28 avril 2010)] est un exemple qui atteste que les affaires portant sur les allégations d’infractions sexuelles graves ne sont pas jugées rapidement. Le droit à une protection effective et à un recours utile au sens de l’alinéa c) de l’article 2 comprend celui de bénéficier de jugements rigoureusement motivés, méthodiques et d’une qualité irréprochable sur le fond rendus par des autorités judiciaires compétentes. Or la décision de la Cour suprême datée du 28 avril 2010 était truffée de citations plagiées provenant d’un certain nombre de sources mal référencées.

S’appuyant sur l’article 6 de la Convention, les auteures affirment que le système d’esclavage sexuel mis en place par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale peut être considéré comme une forme de traite des personnes à des fins d’exploitation et d’esclavage sexuels. Elles ont été forcées de quitter leurs domiciles et emmenées à la Maison rouge sise à San Ildefonso, où elles ont été retenues contre leur gré pendant des durées variées, dans le but de les exploiter sexuellement et de les réduire en esclavage sexuel. Bien que le Comité ait déjà fait des recommandations qui présentent un intérêt pour la communication considérée, il n’a pas encore traité exhaustivement des obligations découlant de l’article 6 et le cas présent constitue une occasion de le faire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

Le 29 mai 2020, l’État partie a soulevé une exception d’irrecevabilité contre la communication au motif que les faits visés étaient antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard des Philippines. Il relève que la communication concerne des atrocités survenues avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, de 1932 à 1945. Les Philippines ont signé le Protocole facultatif le 21 mars 2000 et l’ont ratifié le 12 novembre 2003. L’État partie invoque plusieurs affaires dans lesquelles le Comité a jugé que, en raison de leur incompatibilité ratione temporis avec les dispositions de la Convention, il n’était pas compétent pour examiner les plaintes dont il avait été saisi.

L’État partie conteste l’argument des auteures selon lequel la violation alléguée de la Convention, à savoir la discrimination qu’il aurait pratiquée à leur égard, revêt un caractère continu. Il n’y a pas d’acte continu de discrimination si l’acte allégué n’est pas discriminatoire au départ. L’État partie s’est intéressé aux violations commises contre les auteures pendant la Seconde Guerre mondiale, comme l’atteste le fait qu’il avait activement participé aux négociations en faveur des dispositions relatives aux réparations qui sont énoncées dans le traité de paix avec le Japon en 1951 et avait conclu un accord relatif aux réparations avec le Japon en 1956. En outre, plusieurs victimes du système d’esclavage sexuel en temps de guerre ont été indemnisées par le Fonds pour les femmes asiatiques, avec lequel l’État partie avait signé un mémorandum visant à garantir l’emploi des ressources du Fonds pour financer des services répondant aux besoins des victimes. Le simple fait que la Cour suprême des Philippines ait débouté les auteures ne peut pas être considéré comme un acte de discrimination s’il n’est pas établi qu’elle a manqué d’impartialité. Selon l’État partie, la plainte est irrecevable au titre de l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

La Cour suprême a jugé que les Philippines n’étaient soumises à aucune obligation impérative de poursuivre les crimes internationaux, en particulier si elles étaient saisies d’une requête qui ne portait pas sur la question de la responsabilité pénale, mais visait plutôt à obtenir du Japon une réparation pécuniaire.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

Le 5 octobre 2020, les auteures ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Elles affirment qu’il est erroné de la part de l’État partie de soutenir que la communication porte sur le système d’esclavage sexuel en temps de guerre entretenu par l’armée impériale japonaise : en réalité, elle concerne le manquement de l’État partie aux obligations mises à sa charge par la Convention.

En ce qui concerne la jurisprudence du Comité, telle que citée par l’État partie, les auteures relèvent que dans les quatre cas, le Comité a estimé que les violations de la Convention en cause ne comportaient pas d’élément continu. Dans l’affaire Muñoz-Vargas y Sainz de Vicuña c. Espagne, par exemple, le Comité a retenu que la plainte était fondée sur un fait de succession. Selon le Comité, ce fait s’était produit et s’était achevé avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. De même, les affaires Dayras et autres c. France et B. J. c. Allemagne ont été jugées irrecevables au motif que les violations alléguées s’étaient produites avant la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif et ne s’étaient pas poursuivies après cette date. En revanche, les auteures estiment que leur plainte, dans laquelle elles démontrent que les manquements aux obligations de l’État partie ont un caractère continu, devrait relever de la compétence du Comité. À cet égard, elles invoquent l’affaire González Carreño c. Espagne, dans laquelle l’auteure avait été victime d’actes de violence domestique commis par son mari. Si le Comité a reconnu que certains de ces actes de violence avaient effectivement eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, il a estimé que rien ne lui interdisait d’examiner le volet de la communication concernant deux décisions de justice rendues après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. En outre, dans l’affaire S.H. c. Bosnie-Herzégovine, l’auteure affirmait avoir été victime d’un viol en 1995 pendant la guerre qui se déroulait en ex-Yougoslavie, soit avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif survenue en 2002. En 2009, elle avait formé un recours pénal devant le parquet de Bosnie-Herzégovine, mais l’enquête n’avait pas progressé. Finalement, le Comité a estimé que rien ne lui interdisait ratione temporis d’examiner le fond de la plainte, même si l’infraction alléguée avait eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Il a dit et jugé que depuis 2002, année où le Protocole facultatif était entré en vigueur à l’égard de la Bosnie-Herzégovine, l’État partie avait manqué à l’obligation qui lui incombait, entre autres, de mener une enquête efficace et rapide sur l’infraction alléguée, d’assurer une indemnisation effective et suffisante et de réparer dans le plus court délai le préjudice subi par l’auteure.

Les auteures font valoir que la recevabilité de leur communication doit être appréciée à la lumière des observations finales du Comité concernant le rapport unique du Japon valant septième et huitième rapports périodiques, dans lesquelles il a déclaré que « la question des “femmes de réconfort” donn[ait] lieu à de graves violations qui continu[ai]ent d’avoir des répercussions sur les droits des victimes/survivantes » et qu’aucune voie de recours utile n’étant ouverte aux victimes, il n’était « pas empêché ratione temporis d’examiner de telles violations ».

Contrairement à ce que l’État partie affirme, ni l’accord relatif aux réparations ni le Fonds pour les femmes asiatiques ne l’ont libéré de ses obligations découlant de la Convention. S’agissant de l’opinion de l’État partie selon laquelle elles ne contestent que l’issue des procédures judiciaires dans leur communication, les auteures font valoir que celle-ci concerne non seulement la décision interne, mais aussi le processus qui y a abouti. Selon elles, le retard déraisonnable avec lequel elles ont obtenu la décision constitue une défaillance du système judiciaire et le jugement est de surcroît d’un niveau insatisfaisant.

Les auteures affirment qu’il existe des preuves supplémentaires de la discrimination dont elles font continuellement l’objet et de la violation des droits qu’elles tiennent de la Convention. Par exemple, la Commission philippine des femmes, qui est le principal organe de l’État chargé de suivre le respect des obligations internationales du pays concernant les femmes, ne s’est jamais intéressée au système institutionnalisé d’esclavage sexuel en temps de guerre, ni à ses conséquences pour les rescapées, ni à leurs besoins en matière de protection. En revanche, les anciens combattants philippins, qui sont majoritairement des hommes, bénéficient d’un traitement spécial et estimé, qui comprend des prestations d’éducation, des prestations de soins de santé, des pensions de vieillesse, d’invalidité et de décès, ainsi que l’assistance funéraire. Il est sans doute discriminatoire que les Malaya Lolas, qui ont également été victimes de la guerre, ne bénéficient pas de prestations ni de services correspondants ni d’aucune forme d’aide.

Un élément supplémentaire qui vient souligner que l’État partie continue de pratiquer la discrimination à l’égard des auteures est le fait qu’il néglige la Bahay na Pula (Maison rouge), qui aurait dû être préservée pour commémorer les souffrances qui y ont été infligées et la lutte permanente pour la justice.

Les auteures soutiennent que, compte tenu de leur âge avancé, la recevabilité de leur plainte devrait être examinée en même temps que le fond afin d’éviter tout retard injustifié.

Observations de l’État partie sur le fond

Par une note verbale datée du 26 février 2021, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Il conteste comme injustifié le grief que les Malaya Lolas lui font de ne pas s’acquitter des obligations mises à sa charge par la Convention. Il nie également que les auteures aient été victimes de discrimination fondée sur le sexe ou le genre en raison de ses actes ou de ses politiques. Il a adopté des lois qui protègent et défendent les droits des femmes et pris des mesures concrètes pour répondre aux besoins des « femmes de réconfort ». Par exemple, il a créé le Groupe de travail interinstitutions sur les anciennes femmes de réconfort, qui a mis en œuvre des projets et des initiatives en leur faveur en coopération avec le Gouvernement japonais dans le cadre du Fonds pour les femmes asiatiques. Le projet d’assistance aux Lolas en situation de crise a répondu aux besoins socioéconomiques des Malaya Lolas et à leurs besoins en matière de prise en charge psychologique, 185 femmes au total ayant reçu un montant équivalent à 1 200 000 yens japonais.

L’État partie fait valoir que, à l’instar d’autres personnes, hommes et femmes, qui ont subi les atrocités de la guerre, les Malaya Lolas ont bénéficié d’un traitement préférentiel à titre de victimes de la Seconde Guerre mondiale. Il fait observer que les Malaya Lolas n’ont pas clairement indiqué le type de mesure qu’elles voudraient obtenir du Comité, d’autant plus que si elles ont réellement besoin d’une aide économique, on peut se demander pourquoi nombre d’entre elles ont rejeté l’indemnité qui leur avait été allouée dans le cadre du Fonds pour les femmes asiatiques alors qu’elles reconnaissaient que le montant proposé était symboliquement suffisant pour répondre à leurs besoins.

L’État partie fait valoir en outre qu’à supposer que les Malaya Lolas aient le droit de bénéficier de diverses formes d’assistance économique, les auteures n’ont pas présenté le niveau d’assistance quantifiable qu’elles jugeraient suffisant et ajoute que des facteurs personnels qui ne sont pas imputables à l’État partie, tels que la mauvaise gestion et la mauvaise affectation des ressources, pourraient être en jeu. Selon lui, la demande des auteures tendant à obtenir la prise en charge totale des moyens de subsistance non seulement pour elles-mêmes, mais également pour leurs ayants droit, est irréalisable, sans précédent et sans fondement. L’État partie considère que le seul élément présenté par les Malaya Lolas à l’appui de leur allégation de violation continue de leurs droits, notamment du grief tiré du rejet de leur requête par la Cour suprême, organe indépendant et compétent, constitue une demande effective d’assistance économique complète.

L’État partie soutient que ses actes sont conformes aux dispositions des alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention ainsi qu’au droit interne et au droit international. Il explique qu’en tant que signataire du traité de paix conclu avec le Japon en 1951, il a l’obligation de défendre et de respecter ses dispositions, y compris celles qui portent renonciation à toute réclamation découlant d’actes commis par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, conformément au principe pacta sunt servanda. Il conclut qu’il n’a aucune obligation juridique de soutenir les réclamations des auteures.

La Cour suprême avait suffisamment et exhaustivement instruit, examiné et tranché les réclamations des Malaya Lolas dans l’affaire Vinuya. Elle y avait déclaré que les réclamations des Malaya Lolas à l’encontre de l’État japonais ne pouvaient nullement être soutenues par le Gouvernement de l’État partie, ce dernier ayant renoncé à son droit à ces réclamations en signant le traité de paix avec le Japon de 1951. L’État partie fait observer que son refus de porter celles-ci devant une juridiction internationale ne constitue pas une forme continue de violation de la Convention et de discrimination à l’égard des auteures. En outre, les erreurs que la Cour suprême aurait commises dans l’affaire Vinuya avaient toutes été dûment examinées et justifiées par la suite, comme il ressort de l’affaire In the Matter of the Charges of Plagiarism, etc. against Associate Justice Mariano C. Del Castillo s’y rapportant.

L’État partie rappelle qu’au dire des auteures, la renonciation, faite dans le cadre du traité de paix avec le Japon, aux réclamations que les ressortissantes des Philippines ayant survécu au système japonais de femmes de réconfort et d’esclavage pourraient avoir à l’encontre du Japon était nulle et non avenue en ce qu’elle était contraire aux normes du jus cogens et à l’obligation erga omnes qui incombait à l’État partie de ne pas accorder d’immunité en matière de viol, d’esclavage sexuel, de torture et d’autres formes de violence sexuelle, ces infractions constituant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Cependant, il invoque à nouveau la jurisprudence de la Cour suprême qui dit qu’il n’est soumis à aucune obligation impérative de poursuivre les crimes internationaux, en particulier lorsque la partie demanderesse ne sollicite pas l’imputation de la responsabilité pénale individuelle, mais cherche plutôt à obtenir réparation de l’État japonais sous forme pécuniaire. Il en conclut donc que son refus de soutenir les réclamations des auteures ne constitue pas une violation de l’article 2 de la Convention, ses actes et ses décisions étant conformes au droit interne et au droit international.

En ce qui concerne la décision du 30 août 2011 rendue par la Cour constitutionnelle de la République de Corée sur la question de l’esclavage sexuel en temps de guerre, à laquelle les auteures ont fait référence, l’État partie relève un principe fondamental de son droit selon lequel « aucun souverain n’est tenu de donner effet sur son territoire à un jugement rendu par un tribunal d’un autre pays ». Il relève également que la République de Corée n’était pas signataire du traité de paix avec le Japon de 1951, que la péninsule coréenne était en guerre de 1950 à 1953 et que les faits et circonstances présentés par les femmes victimes de la guerre en République de Corée sont différents. De plus, il fait observer que la décision rendue par la Cour constitutionnelle de la République de Corée ne s’impose ni à son appareil judiciaire ni au Comité.

L’État partie compatit aux souffrances endurées par les auteures pendant la Seconde Guerre mondiale et fait valoir qu’il protège suffisamment leurs droits, ce qui atteste qu’il ne manque pas à ses obligations découlant de l’alinéa b) de l’article 2 de la Convention, interprété à la lumière du paragraphe 23 de la recommandation générale no 28. Il souligne que l’obligation énoncée à l’article 2 laisse « aux États parties une grande latitude dans l’élaboration d’une politique adaptée à leur propre structure juridique, politique, économique, administrative et institutionnelle, et capable de vaincre les obstacles et résistances particuliers qui s’opposent à la disparition de la discrimination à l’égard des femmes existant dans ces États ». Il était tenu d’examiner attentivement les mesures les plus adaptées à sa propre structure juridique, politique, économique, institutionnelle et diplomatique. À cet égard, il avait activement participé, au nom et pour le compte des victimes de la guerre, aux négociations diplomatiques en faveur des dispositions relatives aux réparations qui sont énoncées dans le traité de paix avec le Japon de 1951 et l’accord relatif aux réparations de 1956. De plus, il a déployé des efforts pour maximiser les ressources financières du Fonds pour les femmes asiatiques et a créé le groupe de travail interinstitutions sur les anciennes femmes de réconfort, chargé des prestations de services. Il relève cependant que les auteures admettent avoir consciemment rejeté les initiatives qu’il avait prises pour leur permettre d’exploiter les fonds d’expiation provenant du Fonds pour les femmes asiatiques ou de participer aux projets organisés par le Fonds. Selon lui, il n’y a pas lieu de lui reprocher le refus volontaire des auteures de recevoir les fonds d’expiation et les réparations supplémentaires provenant du Fonds pour les femmes asiatiques. D’autres formes de réparation offertes consistent dans les lettres d’excuses d’un ancien Premier Ministre japonais et de la Présidence du Fonds pour les femmes asiatiques. En outre, le 9 avril 2014, l’ambassadeur du Japon aux Philippines a présenté des excuses publiques à l’État partie pour les atrocités perpétrées par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale et a juré que de telles atrocités ne se reproduiraient plus jamais.

L’État partie fait valoir que les auteures ne sont pas fondées à soutenir que le rejet de leurs actions en justice par la Cour suprême atteste qu’il n’a pas éliminé la discrimination. Le simple fait que la Cour les ait déboutées ne saurait être considéré comme un acte de discrimination ou assimilé à un tel acte. Non seulement elles n’ont pas été empêchées d’attaquer la décision de la Cour, mais elles ont formé une requête en réexamen et une requête en réexamen ampliative. Selon l’État partie, les auteures n’ont produit aucun élément de preuve permettant d’établir que les décisions de justice en cause étaient entachées soit d’arbitraire, soit d’intention de nuire ou de parti pris personnel dirigés contre elles. Il fait valoir que les décisions et les résolutions de la Cour suprême siégeant en formation plénière sont fondées sur des motifs de fait et de droit suffisants. Ce sont les principes généraux du droit international coutumier que la Cour a appliqués pour rejeter les requêtes des auteures et elle ne les a soumises à aucune discrimination en raison de leur genre ou de leur sexe. Sa décision ne constitue pas un refus arbitraire de l’État partie de soutenir les réclamations des auteures à l’encontre du Japon.

L’État partie fait aussi observer que l’arrêt de la Cour suprême cadre avec l’opinion exprimée par la Cour internationale de Justice dans l’affaire Belgique c. Espagne, où elle a jugé que l’État avait le droit, mais non l’obligation, d’assurer la protection diplomatique de ses ressortissants. Il conserve pleinement le droit discrétionnaire d’étendre la protection diplomatique aux Malaya Lolas. Il n’a pas violé la Convention en décidant de l’étendue de la protection à accorder aux Malaya Lolas lors de son adhésion au traité de paix avec le Japon et à l’accord relatif aux réparations, dans le cadre desquels il a renoncé à toutes autres demandes de réparation à l’encontre du Gouvernement japonais. Il ajoute qu’il a adopté des lois visant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes, notamment la loi républicaine no 9710, également connue sous le nom de « Grande Charte des femmes ».

L’État partie soutient que les auteures n’ont pas démontré que son manquement allégué tendait à leur faire subir une discrimination fondée sur leur sexe. Elles n’ont indiqué aucune mesure, décision de justice ou politique portant distinction, restriction ou exclusion qui aurait spécialement porté atteinte à leur droit pour le seul motif qu’elles étaient des femmes. Elles n’ont pas non plus fait état de quelque circonstance attestant qu’elles avaient été privées d’une voie de recours utile, accessible et disponible en temps voulu.

L’État partie rappelle le raisonnement suivi par la Cour suprême dans l’affaire Vinuya, où elle a jugé qu’il pouvait légitimement user de son pouvoir d’appréciation pour décider de l’opportunité de faire siennes des réclamations émanant de particuliers.

En ce qui concerne le grief que les auteures lui font sur le fondement de l’article 6 de la Convention d’avoir refusé ou omis de prendre les dispositions requises pour qu’elles aient plus facilement et suffisamment accès aux voies de recours prévues en matière de traite des femmes à des fins d’exploitation et d’esclavage sexuels, l’État partie fait valoir qu’il n’est pas fondé. Il a tout mis en œuvre pour offrir aux Malaya Lolas des voies de recours suffisantes et appropriées, en facilitant la conclusion, en temps voulu, d’un accord relatif aux réparations avec le Gouvernement japonais qui visait à leur fournir dûment des services médicaux et financiers et d’autres services et à les indemniser des préjudices moral et matériel qu’elles avaient indéniablement subis. Plusieurs victimes avaient déjà reçu les réparations voulues dans le cadre du Fonds pour les femmes asiatiques, tandis que d’autres avaient reçu une aide matérielle dans le cadre des projets d’expiation dudit Fonds.

La Convention ne saurait être appliquée rétroactivement aux atrocités, y compris les cas d’exploitation sexuelle, commises dans l’État partie pendant la Seconde Guerre mondiale et ce dernier ne peut être tenu pour responsable de ces atrocités, puisqu’il n’exerçait aucun contrôle effectif sur son territoire à l’époque. La Convention n’est entrée en vigueur à l’égard de l’État partie que le 3 septembre 1981 et le Protocole facultatif y afférent n’est entré en vigueur à son égard que le 12 février 2004. Les auteures n’ont pas établi l’existence de quelque acte ou comportement continus et précis de l’État partie qui empêcherait l’application du principe de compétence ratione temporis en l’espèce. L’État partie réaffirme que la communication est irrecevable ratione temporis en application de l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. Il fait valoir que le grief tiré par les auteures de la violation des droits qu’elles tiennent de l’article 6 de la Convention est sans fondement en ce qu’il ne repose pas sur des éléments de droit et de fait clairs et suffisants.

L’État partie fait observer que sa législation contient des dispositions pénales spécialement conçues pour protéger les droits des femmes contre toutes les formes d’atteintes sexuelles, notamment la loi républicaine no 9208, également connue sous le nom de « loi de 2003 relative à la lutte contre la traite des personnes », le Code pénal révisé de 1932 et les lois pénales spécifiques ultérieures qui définissent et punissent le crime de viol, les actes d’attentat à la pudeur et les autres formes d’atteintes et de violence sexuelles à l’égard des femmes.

Commentaires des auteures sur les observations de l’État partie concernant le fond

Le 13 juillet 2021, les auteures ont fait valoir que l’État partie n’avait pas suffisamment démontré qu’il s’était acquitté de ses obligations découlant de l’article premier, de la phrase introductive de l’article 2, des alinéas b) et c) du même article et de l’article 6 de la Convention. Elles ont réaffirmé être soumises à la discrimination continue fondée sur le genre en violation de la Convention.

Selon les auteures, la violence à l’égard des femmes pratiquée dans le cadre du système d’esclavage sexuel en temps de guerre est en soi l’une des formes les plus graves de discrimination fondée sur le genre et il en va de même, par conséquent, pour la discrimination continue résultant de ce système dont elles sont victimes aux niveaux de la société et de l’État, notamment sous la forme des actions (ou de l’inaction) de l’État partie.

La discrimination dont sont victimes les rescapées du système d’esclavage sexuel en temps de guerre ressort sans équivoque de la stigmatisation attachée à la violence sexuelle et du passage sous silence des réclamations des rescapées, y compris celles des auteures. Par exemple, la gravité de la situation n’a été reconnue que près de 50 ans après les faits, la violence sexuelle n’a pas été prise en compte au moment de la signature du traité de paix avec le Japon, l’aide de l’État partie aux auteures est insuffisante et elle ne répond pas aux normes établies par la Convention. Selon les auteures, cette situation équivaut à une discrimination indirecte, mise en évidence par le traitement que reçoivent les anciens combattants et les victimes de guerre de sexe masculin et par la création de l’Office philippin des affaires relatives aux anciens combattants.

Les auteures soutiennent que les mesures prises par l’État partie ne leur ont pas offert de voies de recours suffisantes, appropriées ou disponibles en temps voulu au titre de l’alinéa b) de l’article 2 de la Convention. L’État partie n’a pas démontré que les auteures avaient directement bénéficié des programmes mis en place par le Fonds pour les femmes asiatiques ou dans le cadre du projet d’assistance aux Lolas en situation de crise.

Les auteures affirment que, bien qu’il soit louable, le fait que l’État partie ait adopté ou réformé des lois visant à éliminer la discrimination à l’égard des femmes ne prouve pas que, dans le cas présent, il n’y a pas de discrimination à leur égard. L’existence d’un cadre réglementaire ou législatif visant à lutter contre la discrimination fondée sur le genre et la violence sexuelle ne signifie pas que la discrimination de fait à l’égard des femmes a cessé, et la cessation est encore moins évidente dans le cas des auteures.

Les auteures font valoir que l’allégation de l’État partie selon laquelle il a assuré et préconisé des réparations et des indemnisations « dans la mesure qu’il a jugée la plus adaptée à sa structure politique et économique » ne répond pas aux exigences de la Convention, interprétées à la lumière des recommandations générales nos 28 et 35 du Comité. Les réparations devraient être adéquates, rapidement accordées, holistiques et proportionnées à la gravité du préjudice subi. Les auteures contestent également l’interprétation de l’État partie selon laquelle la protection contre la discrimination fondée sur le genre ne peut être assurée que si l’État partie la juge opportune ou pratique. En fait, la protection inscrite dans la Convention est inconditionnelle et ne dépend d’aucune circonstance ni d’aucune « quantité » de discrimination.

Les auteures affirment également que l’État partie ne leur a pas garanti de protection juridique effective, ni de voies de recours utiles, ni de réparations efficaces, violant ainsi les droits qu’elles tiennent de l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention, interprété à la lumière de la recommandation générale no 28. Elles soulignent : a) l’ensemble des retards survenus dans l’octroi des réparations et les incidences de ces retards sur elles ; b) le rejet de leurs requêtes par la Cour suprême des Philippines ; c) le fait que le groupe de travail interinstitutions sur les anciennes femmes de réconfort et le projet d’assistance aux Lolas en situation de crise ne répondent pas aux normes prévues par l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention ; d) le fait que l’État partie considère à tort l’allocution de l’ancien ambassadeur du Japon aux Philippines, Toshinao Urabe, comme une forme de réparation suffisante ; e) l’interprétation trompeuse que l’État partie donne au traité de paix avec le Japon pour éviter l’octroi de réparations aux Malaya Lolas en refusant de soutenir leurs réclamations devant l’État japonais.

En ce qui concerne l’obligation qui incombe à l’État partie, aux termes de l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention, d’accorder réparation en temps voulu, les auteures invoquent l’affaire Trujillo Reyes et Arguello Morales c. Mexique, dans laquelle le Comité considère « que le traitement des recours internes a été prolongé de manière injustifiée, et que l’inaction des autorités compétentes a rendu fort improbable que l’ouverture d’un recours puisse apporter aux auteurs une réparation utile ». Elles font valoir que, dans le cas présent également, le retard survenu dans l’octroi de voies de recours utiles et disponibles en temps voulu équivaut à une violation de la Convention. Les Malaya Lolas sont des femmes âgées qui souffrent de divers problèmes de santé et certaines sont décédées. Elles ont des préoccupations sanitaires et économiques qui ont été aggravées par la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19), dont la plus importante est leur accès aux médicaments et à des soins de santé adéquats.

Il est faux de dire qu’elles ont formé une demande d’aide « irréalisable, sans précédent et sans fondement » en faveur de leurs ayants droit. En effet, cette demande découle du fait que peu de personnes parmi les auteures jouiraient des réparations au cas où celles-ci seraient accordées, compte tenu de leur âge avancé et du fait que plusieurs d’entre elles sont déjà décédées. Les auteures ne considèrent pas que leur demande de prise en charge des moyens de subsistance de leurs ayants droit soit déraisonnable. L’État partie continue de les priver de leur droit à réparation en refusant de soutenir leurs réclamations à l’encontre de l’État japonais ou d’adopter toute autre mesure adéquate et efficace en temps voulu, alors que s’amenuisent leurs chances de jouir d’une quelconque réparation. Plus la procédure traîne en longueur, moins les auteures ont de chances de pouvoir jouir elles-mêmes des réparations, leur âge moyen étant de 91 ans.

En ce qui concerne l’arrêt de la Cour suprême, les auteures contestent l’argument de l’État partie tendant à faire rejeter leurs griefs comme ayant déjà été tranchés au niveau interne. Bien qu’elles aient également été abordées dans la communication, les questions juridiques évoquées dans la demande d’ordonnance de certiorari des auteures devant la Cour suprême ne concernaient pas la discrimination et le non-respect des obligations internationales de l’État partie dont le Comité est saisi en l’occurrence.

La question portée devant le Comité est celle de la responsabilité encourue par l’État partie à raison de son manquement à ses obligations que met en évidence l’examen de la Convention, notamment à raison des mesures qu’il avait (ou n’avait pas) prises qui avaient motivé la demande d’ordonnance de certiorari des auteures, ainsi que du rejet de ladite demande par la Cour suprême. Certes, certains des arguments invoqués dans la demande d’ordonnance et dans la communication considérée sont identiques, mais ils doivent être examinés en l’occurrence du point de vue de la discrimination et du non-respect des obligations internationales de l’État partie découlant de la Convention, question qui n’a pas été abordée devant la Cour suprême. L’État partie ne peut donc pas prétendre que cette question a déjà été tranchée au niveau interne. Selon l’État partie, la Cour suprême a jugé que « les réclamations des Malaya Lolas à l’encontre de l’État japonais ne p[ouvai]ent être soutenues par le Gouvernement philippin ». Or tout ce que la Cour suprême a déclaré, c’est qu’elle ne pouvait pas obliger le Gouvernement à soutenir ces réclamations ; elle n’a pas jugé que celles-ci ne pouvaient pas être soutenues. Par conséquent, on ne peut pas affirmer qu’il est interdit à l’État partie de soutenir les réclamations des Malaya Lolas à l’encontre du Japon. Quant à la décision de la Cour suprême qui dit que l’État partie n’a aucune obligation impérative de poursuivre les crimes internationaux, elle ne tient pas compte de l’obligation qui incombe aux États parties à la Convention de garantir la protection effective des femmes et de leur offrir des voies de recours, comme indiqué à l’alinéa c) de l’article 2 de la Convention et dans les recommandations générales nos 19 et 35 du Comité.

Les auteures contestent également le fait que le Fonds pour les femmes asiatiques soit un mécanisme approprié pour indemniser les victimes du système d’esclavage sexuel imposé par l’armée impériale japonaise. Le groupe de travail interinstitutions et le projet d’assistance aux Lolas en situation de crise ne sauraient être qualifiés d’« efficaces », car ils ne tiennent pas compte de la représentation des Malaya Lolas. En fait, ils font preuve de paternalisme et de discrimination dans la fourniture de l’« assistance ». Par exemple, ils traitent les Malaya Lolas comme des citoyennes de seconde zone qui ne sont pas en mesure de prendre leurs propres décisions, en leur qualité de femmes et de personnes âgées. Si le projet a pour objectif proclamé de « rebâtir l’estime de soi des Lolas », il ne reconnaît pas leurs besoins ni les structures de discrimination dans lesquelles elles ont vécu et continuent de vivre. La structure du projet, sa conception et sa mise en œuvre n’ont pas un caractère participatif. Certes, cette situation est antérieure à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif, mais elle traduit une tendance à ne pas reconnaître les réclamations et les besoins des Malaya Lolas, ce qui équivaut à une discrimination continue, interdite par l’article premier de la Convention.

Les auteures soulignent que des éclaircissements ont été donnés sur la participation des femmes au processus de recherche de la justice ainsi qu’à la conception et à la mise en œuvre des mécanismes de réparation et d’indemnisation dans la recommandation générale no 30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les situations d’après conflit, dans laquelle le Comité recommande que les États parties « [s] » assurent que les femmes participent à la conception, au fonctionnement et au suivi des mécanismes de justice transitionnelle à tous les niveaux, afin de garantir que leur expérience du conflit est prise en compte, que leurs besoins et leurs priorités sont respectés et qu’il est remédié à toutes les violations qu’elles ont subies ; et garantissent leur participation à la conception de tous les programmes de réparations ».

En ce qui concerne l’allocution de l’ancien ambassadeur du Japon aux Philippines, les auteures soulignent que l’intéressé n’a parlé que de la promesse de ne plus jamais faire la guerre et des souffrances causées lors de la Seconde Guerre mondiale ; il n’a parlé ni des crimes de guerre ni des violations des droits humains perpétrés à l’époque. Cet acte ne revient pas à présenter des excuses officielles ou directes aux Malaya Lolas, ou à toute autre rescapée ou victime de crimes commis à cette époque. À supposer même que l’allocution en cause puisse être considérée comme des excuses officielles, elle ne peut être considérée comme la seule forme de réparation due aux auteures si l’on tient compte de la discrimination qu’elles ont subie depuis qu’elles ont été victimes d’atrocités, d’autant plus que l’allocution n’est pas attribuable à l’État partie.

Les auteures font valoir que le traité de paix avec le Japon ne s’oppose pas à ce que l’État partie s’acquitte de ses obligations découlant de l’article 2 de la Convention, d’autant plus que les réclamations des Malaya Lolas n’ont pas été prises en considération lors de la négociation du traité. À cet égard, le Tribunal international des femmes sur les crimes de guerre et l’esclavage sexuel perpétré par l’armée japonaise a relevé le « parti pris intrinsèque lié au genre qui sous-tendait » le traité de paix avec le Japon et d’autres traités conclus à l’époque. Lors de l’élaboration de ces traités et d’autres traités d’après-guerre, le Gouvernement japonais aurait dissimulé la mesure dans laquelle l’armée japonaise avait participé au traitement horrifiant infligé aux femmes réduites en esclavage sexuel. Les auteures opposent les mêmes objections à l’accord de réparation entre les Philippines et le Japon, qui ne fait nullement mention des réclamations des victimes et des rescapées du système d’esclavage sexuel en temps de guerre à l’encontre de l’État japonais.

Les auteures réaffirment que d’après le Tribunal international des femmes sur les crimes de guerre et l’esclavage sexuel perpétré par l’armée japonaise, les parties à la négociation du traité n’étaient pas habilitées à renoncer aux réclamations individuelles. De même, dans son rapport final sur le viol systématique, l’esclavage sexuel et les pratiques analogues à l’esclavage en période de conflit armé, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage soutient que « la clause de renonciation n’exclut pas du tout les demandes présentées par les anciennes “femmes de réconfort” étant donné que ces demandes n’entrent pas dans le cadre de celles visées par le traité ». Les auteures ajoutent qu’en fait, l’État partie lui-même a émis une réserve à toute interprétation rigide de la clause de renonciation. Compte tenu de ce qui précède, elles soutiennent qu’il faut concilier la clause de renonciation avec les considérations fondamentales relatives au respect des droits humains, qui font partie intégrante du contexte du traité tel qu’énoncé dans son préambule. Elles invoquent à cet égard une déclaration de la Commission internationale de juristes selon laquelle rien ne porte à croire que le droit des personnes de demander réparation des préjudices propres à elles en tant qu’êtres humains a fait l’objet d’une renonciation ou d’un abandon. En outre, elles relèvent que les normes de jus cogens interdisent sans dérogation possible l’esclavage sexuel, qui entre dans le champ de l’interdiction de l’esclavage et constitue un crime de guerre ainsi qu’un crime contre l’humanité. L’État partie a par conséquent l’obligation erga omnes de ne pas assurer d’impunité pour un tel crime. Les auteures ont donc droit à réparation comme le prévoit le droit international. Le fait que le droit international estime qu’un traité peut être subordonné aux normes de jus cogens établies dans d’autres traités vient renforcer cet argument. Les auteures s’en autorisent pour soutenir que les dispositions du traité de paix avec le Japon ne sauraient prévaloir sur les normes de jus cogens et les obligations erga omnes de l’État partie. En conséquence, elles ne peuvent pas prévaloir sur les obligations découlant de la Convention.

Les auteures affirment que les réparations demandées à l’État partie sont suffisamment claires. Plus précisément, elles indiquent que la fourniture des services énumérés ci-après constituerait une « aide suffisante » pour elles : a) une aide et une prise en charge médicales régulières, car les rescapées sont maintenant toutes d’un âge avancé et souffrent de maladies liées à la vieillesse qui grèvent les ressources déjà maigres de la plupart d’entre elles, voire de toutes ; b) une aide à la subsistance pour leurs familles, dont la plupart sont économiquement défavorisées ; c) des possibilités d’éducation pour leurs petits-enfants ou leurs proches parents ; d) une aide au logement, qui se justifie par le fait que la plupart d’entre elles sont économiquement défavorisées.

Enfin, les auteures réaffirment qu’en l’espèce, rien n’empêche ratione temporis le Comité d’examiner leur communication, compte tenu du caractère permanent et continu des violations de la Convention commises par l’État partie et des observations finales du Comité concernant le rapport unique du Japon valant septième et huitième rapports périodiques, notamment la question du système d’esclavage sexuel en temps de guerre.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72 du règlement intérieur, il doit le faire avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, il ne peut examiner aucune communication sans avoir vérifié que tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité relève que les auteures affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles jusqu’au niveau de la Cour suprême pour demander réparation conformément aux normes internationales relatives aux droits humains, mais l’État partie soutient constamment que les réparations versées par le Japon en exécution du traité de paix avec le Japon et de l’accord relatif aux réparations s’appliquent à tous les préjudices et toutes les souffrances causés par le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Comité relève également que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. Par conséquent, en application des dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, rien ne s’oppose à ce qu’il examine la présente communication.

Comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas actuellement l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international.

Aux termes de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication manifestement mal fondée ou insuffisamment motivée. Le Comité relève que selon les auteures, le système d’esclavage sexuel mis en place par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale peut être considéré comme une forme de traite des personnes à des fins d’exploitation et d’esclavage sexuels. S’agissant de cette allégation, qui repose sur l’article 6 de la Convention, le Comité relève également qu’au dire des auteures, loin de s’intéresser à la responsabilité de l’État japonais dans les crimes susmentionnés qui ont été commis sur le territoire de l’État partie sous la forme du système d’esclavage sexuel en temps de guerre, elles cherchent plutôt à établir la responsabilité qui incombe à l’État partie d’honorer les engagements qu’il a contractés au titre de la Convention en renforçant la non-discrimination à l’égard des femmes et des filles sur son territoire. Le Comité fait observer cependant que l’État partie étant tenu de défendre et de respecter le traité de paix avec le Japon de 1951, y compris ses dispositions portant renonciation à toute réclamation découlant d’actes commis par l’armée impériale japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, les griefs tirés par les auteures de l’article 6 ne peuvent être invoqués à l’encontre des Philippines. N’ayant pas été saisi d’autres informations pertinentes à cet égard telles que les preuves détaillées de la violation de l’article 6 de la Convention reprochée à l’État partie, le Comité estime que les auteures n’ont pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité estime qu’il ne lui est pas permis d’examiner les allégations des auteures concernant les violations des droits qu’elles tiennent de l’article 6 de la Convention et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en application de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

Conformément à l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole à l’égard de l’État partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date. Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les faits visés par la communication considérée s’étaient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard des Philippines et conteste les affirmations des auteures attribuant un caractère continu à la discrimination dont elles feraient l’objet. Il prend acte de l’argument des auteures selon lequel la communication ne porte pas sur le système d’esclavage sexuel en temps de guerre entretenu par l’armée impériale japonaise, mais sur la discrimination continue pratiquée contre elles par l’État partie. Le Comité fait observer à ce sujet que depuis 2003, l’année où le Protocole facultatif est entré en vigueur à l’égard de l’État partie, celui-ci a l’obligation de reconnaître la discrimination continue subie par les auteures, de leur offrir des voies de recours utiles et suffisantes et de leur accorder réparation dans le plus court délai. Dans ces circonstances, le Comité estime que rien ne s’oppose ratione temporis à ce qu’il examine les allégations des auteures concernant les violations des droits qu’elles tiennent de l’article premier et des alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention.

N’ayant trouvé aucun obstacle à la recevabilité du reste de la communication, le Comité procède à son examen au fond.

Examen au fond

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication considérée en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les auteures et l’État partie.

Le Comité relève que l’État partie fait valoir que les Philippines ne peuvent pas soutenir les réclamations des auteures à l’encontre l’État japonais pour avoir renoncé au droit à réclamation du pays en signant le traité de paix avec le Japon de 1951 et que son refus de porter les réclamations des Malaya Lolas devant une juridiction internationale ne constitue pas une forme continue de violation et de discrimination à l’égard des auteures. Le Comité relève aussi cependant que les auteures affirment être soumises à une discrimination continue de la part de l’État partie, en violation des droits que leur confère la Convention. Il constate en outre que la Commission philippine des femmes, principal organe de l’État philippin chargé de suivre le respect des obligations internationales du pays concernant les femmes, ne s’intéresse pas au système institutionnalisé d’esclavage sexuel en temps de guerre, ni à ses conséquences pour les victimes et les rescapées, ni à leurs besoins en matière de protection. En revanche, les anciens combattants philippins, qui sont majoritairement des hommes, bénéficient avec la caution de l’État d’un traitement spécial et estimé, qui comprend des prestations d’éducation, des prestations de soins de santé, des pensions de vieillesse, d’invalidité et de décès, ainsi que l’assistance funéraire. Le Comité prend acte de l’assertion des auteures selon laquelle il est discriminatoire que les Malaya Lolas ne bénéficient pas de traitement digne, de reconnaissance, de prestations ou de services correspondants ni d’aucune forme d’aide. Le Comité prend aussi acte de l’argument des auteures selon lequel la discrimination continue dont elles sont victimes se manifeste également par le fait que l’État partie néglige la Bahay na Pula (Maison rouge), qui aurait dû être préservée pour commémorer les souffrances qui y ont été infligées et la lutte pour la justice.

En ce qui concerne les allégations des auteures selon lesquelles le fait que l’État partie ne leur apporte pas, en tant que victimes civiles d’un conflit armé et rescapées du système d’esclavage sexuel en temps de guerre, une aide sociale, des réparations, des prestations et une reconnaissance suffisantes par rapport au préjudice subi emporte violation de l’article premier et des alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention, le Comité rappelle le paragraphe 19 de sa recommandation générale no 33 sur l’accès des femmes à la justice, dans lequel il recommande que les États parties veillent à ce que les voies de recours soient adéquates, efficaces, rapides, globales et proportionnées au préjudice subi. Les recours doivent comprendre, selon le cas, la restitution (réintégration), une compensation (sous forme d’espèces, de biens ou de services) et la réhabilitation (traitement médical et psychologique et autres services sociaux). Les recours civils et les sanctions pénales ne doivent pas s’exclure mutuellement.

Le Comité contre la torture rappelle à ce sujet que les États parties sont tenus d’accorder une réparation aux victimes de la torture sur le plan de la procédure et sur le fond. Pour satisfaire aux obligations de procédure, les États parties doivent promulguer une législation et mettre en place des mécanismes de plainte, et faire en sorte que ces mécanismes et organes soient efficaces et accessibles à toutes les victimes. Compte tenu du caractère continu des effets de la torture, il ne devrait pas y avoir de prescription, car cela reviendrait à priver les victimes de la réparation, de l’indemnisation et de la réadaptation qui leur sont dues. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes considère que la réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime, et englobe, entre autres mesures, la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres à garantir la non-répétition des violations, en tenant toujours compte des circonstances de chaque affaire.

Compte tenu de la gravité extrême des actes de violence fondée sur le genre que les auteures ont subi et de leur droit de ne pas être continuellement soumises à la discrimination et d’obtenir restitution, indemnisation et réadaptation, ainsi que de l’absence de toute possibilité pour elles de faire pleinement valoir leurs droits, le Comité conclut que l’État partie a manqué à ses obligations découlant de l’article premier et des alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention.

En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et compte tenu des considérations ci-dessus, le Comité estime que l’État partie a manqué à ses obligations et a donc violé les droits que les auteures tiennent de l’article premier et des alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention.

Le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)En ce qui concerne les auteures de la communication : veiller à ce que les auteures obtiennent de l’État partie réparation intégrale pour la discrimination continue qu’elles ont subie, y compris sous la forme d’une reconnaissance des faits et d’excuses officielles pour les préjudices matériels et moraux, et à ce qu’elles bénéficient de mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction, y compris des mesures de rétablissement de leur dignité et de leur réputation, notamment d’une réparation financière proportionnelle aux préjudices corporel, psychologique et matériel qu’elles ont subis et à la gravité des violations de leurs droits ;

b)D’une manière générale :

i)Mettre en place à l’échelle nationale un mécanisme de réparation efficace permettant d’accorder toutes les formes de réparation aux victimes de crimes de guerre, y compris les victimes d’actes de violence sexuelle, et veiller à ce que les anciens combattants de sexe masculin et les rescapées du système d’esclavage sexuel en temps de guerre aient accès sur un pied d’égalité à la reconnaissance, aux prestations sociales et aux autres mesures de soutien auxquelles ils ont droit ;

ii)Veiller à ce que les autorités suppriment les dispositions restrictives et discriminatoires de la législation et des politiques concernant les réparations destinées aux victimes civiles de la guerre, notamment aux rescapées des actes de violence et d’esclavage sexuels commis en temps de guerre ;

iii)Créer un fonds bénéficiant de la caution de l’État destiné à accorder des indemnisations et d’autres formes de réparation aux femmes victimes de crimes de guerre, en particulier du système institutionnalisé d’esclavage sexuel en temps de guerre, afin de garantir le rétablissement de leur dignité, de leur valeur et de leur liberté individuelle ;

iv)Préserver le site de la Bahay na Pula (Maison rouge) pour en faire un mémorial ou créer un lieu semblable en mémoire des souffrances endurées par les victimes et rescapées de l’esclavage sexuel en temps de guerre et de leur lutte pour la justice ;

v)Intégrer dans les programmes de tous les établissements d’enseignement, notamment dans le secondaire et à l’université, l’histoire des victimes et rescapées philippines de l’esclavage sexuel en temps de guerre, car le souvenir est essentiel pour comprendre l’histoire des violations des droits humains subies par ces femmes, pour insister sur l’importance de la promotion des droits humains et pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite l’informant notamment de toute mesure prise à la lumière de ces constatations et recommandations. L’État partie est invité à rendre ces constatations et recommandations publiques et à les diffuser largement afin de toucher tous les secteurs de la société.