Communication présentée par :

A.F. A. F. (représentée par des conseils, M. Teresa Manente et M. Ilaria Boiano)

Victime présumée :

L’auteure

État partie :

Italie

Date de la communication :

16 août 2018 (lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 69 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

20 juin 2022

L’auteure de la communication est A. F., de nationalité italienne, née en 1965. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle détient en vertu des alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Italie le 22 septembre 2000. L’auteure est représentée par un avocat.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure est une fonctionnaire de la municipalité de Cagliari. Elle vit avec ses deux filles.

Le 2 décembre 2008, l’auteure a été agressée par son ex-mari. Elle a appelé la police (Carabinieri). À 11 h 35, deux policiers (dont l’un d’eux était C. C., l’auteur présumé des faits) se sont présentés à son domicile et l’ont trouvée, des blessures douloureuses aux mains. Les policiers lui ont conseillé de se rendre à l’hôpital pour se faire soigner et de déposer une plainte officielle au commissariat de police de Cagliari-Villanova contre son ex-mari pour violence domestique.

À son arrivée à l’hôpital, l’auteure a commencé à recevoir des appels téléphoniques de C. C., l’un des policiers qui s’étaient présentés à son domicile, qui prétendait demander des nouvelles de son état de santé. Celui-ci lui a donné le contact d’une collègue qui, selon lui, avait été désignée pour l’aider et l’accompagner pendant le processus de dépôt de la plainte. Il a tout de même continué de l’appeler tout au long de l’après-midi et de la soirée, lui demandant de dîner avec lui le soir même. Les appels se sont poursuivis dans la nuit, et lorsque l’auteure a refusé d’y répondre, C. C. a semblé de plus en plus irrité.

Le 3 décembre 2008, à midi, C. C. a de nouveau contacté l’auteure et, prétendant avoir des informations concernant son affaire, lui a demandé de la rencontrer chez elle. L’auteure l’a cru et a accepté de le recevoir le jour même à son domicile, où elle récupérait de ses blessures et du traumatisme provoqués par l’agression de la veille et où elle attendait la visite d’un médecin, envoyé par son employeur afin d’évaluer son état de santé. C. C. est arrivé à son domicile avant ce rendez-vous.

Lorsque C. C. est entré dans l’appartement de l’auteure, il est apparu clairement qu’il mentait et qu’il n’avait aucune information sur l’affaire de violence domestique. Il a commencé à parler de sa vie personnelle. Il a essayé d’embrasser l’auteure avec agressivité, contre son gré. Quand le médecin est arrivé, C. C. s’est caché dans la cuisine pendant toute la durée de la visite. Une fois le médecin parti, l’auteure est retournée dans la maison et a fermé la porte, car elle pensait encore que C. C., étant un policier dans l’exercice de ses fonctions, malgré son comportement déplacé, ne représentait pas un réel danger pour elle et qu’il allait bientôt partir.

Cependant, quand elle est rentrée, C. C. est sorti de la cuisine et l’a saisie avec force. Elle s’est débattue pour se libérer et, lorsqu’il l’a relâchée, elle est tombée sur le canapé, cette lutte l’ayant épuisée du fait de son état de santé général. À ce moment-là, C. C. l’a maîtrisée, l’a maintenue couchée sur le canapé et l’a soumise à une agression sexuelle douloureuse. L’auteur l’a supplié d’arrêter. C.C. l’a relâchée et s’est excusé. Il a enfilé sa veste comme s’il s’apprêtait à partir, puis a dit qu’il voulait voir la chambre de la fille de l’auteure avant de s’en aller. L’auteure, espérant qu’il partirait plus vite si elle acceptait, s’est dirigée avec lui vers la chambre de sa fille. Cependant, une fois à l’étage, devant la chambre de l’auteure, C. C. a de nouveau saisi celle-ci, l’a fait tomber sur le lit et l’a violée. Après cela, il lui a demandé de lui apporter des mouchoirs pour se nettoyer, ce qu’elle a fait. Il s’est ensuite rhabillé, a demandé à l’auteure de vérifier qu’il n’y avait personne dans la rue, ce qu’elle a fait, et a quitté les lieux.

Après le départ de C. C., l’auteure a récupéré les draps, les taies d’oreiller et les mouchoirs en papier qu’il avait utilisés et les a placés dans un sac en plastique. Suivant le conseil d’une amie, elle a tenté de faire revenir C. C. dans son appartement pour qu’il se fasse arrêter sur les lieux du crime, mais il a refusé de revenir et a demandé à l’auteure de ne pas le déranger au travail. L’auteure a donc abandonné son projet et n’a plus essayé de le contacter.

Le 4 décembre 2008, l’auteure a appelé une amie et lui a raconté ce qui s’était passé. Celle-ci l’a emmenée voir un médecin gynécologue, qui l’a examinée et a confirmé que ses blessures concordaient avec un rapport sexuel non consensuel. Compte tenu de la quantité de sang qu’elle avait perdue et de son état psychologique, l’auteure a été hospitalisée immédiatement. À l’hôpital, l’auteure a été examinée par le Dr Tronci, qui a établi un certificat médical utilisé comme pièce à conviction dans le procès.

Le 5 décembre 2008, l’auteure a signalé le viol à son avocat et demandé une réunion.

Au cours des semaines suivantes, C. C. s’est mis à appeler l’auteure, en utilisant un numéro inconnu, pour lui demander de le rencontrer. De plus en plus effrayée face à son insistance et craignant pour la sécurité de ses filles, l’auteure a accepté de le voir. Le 4 janvier 2009, elle a rencontré C. C. en public, dans un bar, a tenté de lui expliquer les conséquences qu’avait eues son comportement et lui a demandé de la laisser tranquille. C. C. a balayé les inquiétudes de l’auteure, lui a parlé de sa récente promotion et de ses relations haut placées qui, disait-il, le protégeraient, laissant entendre ainsi, en guise d’avertissement, qu’il était intouchable.

Après cette rencontre, C. C. a continué à harceler l’auteure. Le 18 janvier 2009, l’auteure s’est constituée partie civile contre C. C. pour viol et harcèlement. Le 1er avril 2010, après enquête, C. C. a été mis en examen pour violence sexuelle et harcèlement. À l’audience préliminaire, tenue le 30 mars 2011, le juge a confirmé l’acte d’accusation de C.C.

Un procès a eu lieu devant trois juges au tribunal de Cagliari. Au procès, deux femmes, qui avaient eu des relations avec C. C., ont témoigné de son comportement violent et agressif à leur égard. Des expertises médicales et d’autres témoignages ont également été présentés. Les analyses de l’ADN des échantillons prélevés par l’auteure ont confirmé qu’il s’agissait de l’ADN de C.C. Les transcriptions de plus de 60 SMS et appels téléphoniques de C.C. à l’auteure ont également été présentées à la Cour.

Le 24 janvier 2015, la décision du tribunal, datée du 10 décembre 2014, a été rendue. Le tribunal a estimé que les arguments de la défense n’étaient pas crédibles, car ils étaient non-linéaires, fantaisistes, décousus, fondés sur des stéréotypes et non étayés par des éléments de preuve. Il a conclu en particulier que les relevés téléphoniques indiquaient clairement que c’était C. C. qui avait contacté l’auteure de manière obsessive, que les témoignages du conseil et des médecins de l’auteur étaient cohérents et que leur fiabilité ne faisait aucun doute, et que le défendeur avait profité de la vulnérabilité de l’auteure et de sa propre position pour la victimiser. Le tribunal a donc estimé que les faits allégués par l’auteure avaient été prouvés au-delà de tout doute raisonnable. C. C. a été condamné à six ans d’emprisonnement pour violence sexuelle contre l’auteure et interdit à perpétuité d’exercer toute fonction publique. Le chef d’accusation pour harcèlement a été abandonné avant le procès pour cause de prescription. Le tribunal a condamné C. C. à verser 20 000 euros en réparation à l’auteure, ainsi qu’à payer les frais de justice de cette dernière.

C. C. a fait appel de sa condamnation devant le tribunal régional de Cagliari, qui a jugé l’affaire le 16 novembre 2015. Il a demandé un nouvel examen des prétentions des parties, au motif que les éléments constitutifs du crime n’étaient pas établis, puisque la relation était consensuelle. Il a fourni les arguments suivants à l’appui de sa thèse : a) les résultats de l’analyse des échantillons biologiques avaient révélé des traces d’acides aminés dont la présence indiquerait l’utilisation d’un préservatif, utilisation dont l’auteure n’avait pas fait mention ; b) les éléments de preuve compromettaient la crédibilité de l’auteure ; c) le certificat médical établi à l’hôpital, le 4 décembre 2008, ne prouvait pas avec certitude qu’il y avait eu violence sexuelle ; d) l’auteure avait inventé l’histoire de viol pour protéger sa réputation ; e) le comportement de l’auteure ne correspondait pas à celui d’une femme violentée ; et f) l’appelant était un policier respecté, promis à un bel avenir, il n’aurait donc pas risqué sa carrière de cette manière.

Le 16 novembre 2015, le tribunal régional s’est prononcé en faveur de C. C., qui a été acquitté de tout chef d’accusation. Dans leur décision, les juges ont conclu que le témoignage de l’auteure concernant les preuves téléphoniques et le fait qu’elle n’ait pas signalé au médecin la présence de C. C., qu’elle ait rassemblé des preuves matérielle et qu’elle ait obéi quand C. C. lui a demandé d’aller voir si la voie était libre, étaient incompatibles avec l’allégation de viol. Ils ont accepté l’argumentation de la défense selon laquelle l’auteure avait consenti à des rapports sexuels avec C. C. et passé « un après-midi de légèreté, voire de joie » en sa compagnie, mais avait ensuite été heurtée par le manque d’intérêt de C. C. à poursuivre la relation ; l’auteure avait contacté son amie pour qu’elle corrobore une histoire convaincante qui protégerait sa réputation et son orgueil, et lui permettrait de se venger d’avoir été éconduite par C.C ; les éléments de preuve indiquant l’utilisation d’un préservatif, utilisation dont l’auteure n’avait jamais parlé, compromettait la crédibilité de celle‑ci ; les échanges que l’auteure avait eu par téléphone avec deux personnes après son viol laissaient penser que l’auteur avait eu des « relations banales d’amitié à un moment où elle aurait dû être grandement perturbée », ce qui a été jugé manifestement déraisonnable ; la déclaration de l’auteure selon laquelle C. C. lui avait demandé de vérifier qu’il n’y avait personne dans la rue avant de partir n’était pas crédible, seule l’auteure ayant intérêt à s’assurer que les voisins, y compris ses proches, ne voient pas C. C. quitter son domicile. Le tribunal a également considéré qu’il n’était pas logique que l’auteure n’ait pas demandé de l’aide au médecin alors que C. C. se trouvait chez elle, concluant que l’auteure devait donc être « ravie de la présence de l’accusé ». Le tribunal a estimé que les choix et les comportements lucides de l’auteure étaient incompatibles avec ses allégations de viol. Le tribunal a accepté les arguments de C. C. selon lesquels l’auteure, blessée par le manque d’intérêt qu’il lui a manifesté après le rapport sexuel consensuel, s’était sentie trompée et utilisée par C. C. comme un « objet de plaisir dont on pouvait disposer à loisir ». Le tribunal a également considéré que l’auteure s’était rendue à l’hôpital le 4 décembre 2008 afin de préserver sa réputation et pour avoir un accès prioritaire à des services de santé et pour se venger de l’accusé, qui, comme elle le voyait, avait « profité du fait qu’elle s’était laissée aller à une passion érotique à un moment de sa vie où elle n’allait pas bien ». Le tribunal a également accepté l’argument selon lequel les données médicales pouvaient être interprétées comme attestant de la « vigueur » de l’accusé et de son « pouvoir de séduction » et les accusations portées par l’auteure découlaient de faits qu’elle avait inventés pour cacher qu’elle avait été séduite puis abandonnée par l’accusé, comme l’a fait un homme qu’elle a rencontré par la suite.

L’auteure a contesté la décision du tribunal régional devant la Cour suprême, en faisant valoir qu’il avait été rendu de mauvaise foi et sans fondement en droit ou en fait. En particulier, l’auteure a affirmé que la décision comportait de graves violations de la loi, à savoir : a) la violation de l’obligation de motiver la décision, l’application incorrecte de l’article 609 bis du Code pénal (sur le viol et la violence sexuelle) et la présentation erronée des preuves ; b) l’application incorrecte de l’article 609 bis du Code pénal en ce qui concerne les éléments subjectifs et objectifs du comportement de l’accusé ; c) la justification absurde et discriminatoire de l’appréciation du témoignage de l’auteure comme non crédible ; et d) la violation du droit à un procès équitable, en raison de la victimisation secondaire subie par l’auteure.

Le 19 mai 2017, la Cour suprême a déclaré la demande de révision de l’auteure irrecevable, au motif qu’elle estimait que ses arguments n’étaient pas suffisants pour justifier la révision de la décision contestée, décrite comme logique, et a conclu que l’auteure contestait simplement l’appréciation des faits et des preuves du tribunal, ce qui ne relevait pas de sa compétence.

Par conséquent, l’auteure affirme que les stéréotypes sur lesquels repose la décision du tribunal régional ont été renforcés par la déclaration d’irrecevabilité de la Cour suprême, qui, au lieu de corriger cette discrimination à l’égard des femmes, conformément à l’obligation prévue à l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, l’a en réalité aggravée et approuvée.

2.19L’auteure affirme que ces stéréotypes sont le résultat de l’incapacité de l’État partie à appliquer des mesures visant à éliminer les stéréotypes sexistes, telles que la mise en place d’une formation obligatoire à tous les niveaux du système judiciaire sur l’effet que ces stéréotypes ont sur le traitement impartial de la violence fondée sur le genre afin de garantir l’égalité d’accès des femmes à la justice. L’impossibilité de changer les normes culturelles qui imprègnent la culture juridique interne a des effets négatifs sur l’interprétation des éléments subjectifs du droit pénal. L’auteure affirme donc que l’État partie a manqué à son obligation de la protéger contre la discrimination pratiquée par les autorités publiques, y compris le pouvoir judiciaire, et qu’il n’a pas fait preuve de la diligence requise pour sanctionner des actes de violence perpétrés à l’égard des femmes, en particulier le viol.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme être victime de discrimination au sens de l’article premier de la Convention.

L’auteure affirme que la décision du tribunal régional était fondée sur des stéréotypes et des mythes sexistes sur le viol et le comportement attendu des victimes de viol, d’où une violation de ses droits au titre des alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention.

L’auteure affirme que des stéréotypes sexistes l’ont empêché d’avoir accès à la justice et de voir ses droits légaux protégés, subissant ainsi une deuxième victimisation. Elle invoque donc une violation de son droit à un recours effectif, garanti par les alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention, l’État partie n’ayant pas adopté de mesures appropriées, législatives ou autres, qui interdisent toute discrimination à l’égard des femmes, afin de protéger les droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et d’assurer, par l’intermédiaire des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte de discrimination.

L’auteure soutient que les autorités de l’État partie ont également violé les droits que lui confère l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, car les juges du tribunal régional, influencés par les stéréotypes sexistes existants dans les institutions judiciaires, ont manqué d’impartialité en acquittant C. C. L’État partie n’a donc pas fait en sorte que ses autorités et institutions publiques s’abstiennent de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes.

L’auteure affirme également que les droits que lui confèrent l’alinéa f) de l’article 2 et l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention ont été violés, car l’État partie n’est pas parvenu à éliminer les stéréotypes sexistes, faute d’avoir pris toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire ou coutume, tout schéma et modèle de comportement socioculturel, ou toute pratique constituant une discrimination à l’égard des femmes ou fondé(e) sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes. En particulier, elle appelle l’attention sur le fait que, dans la législation pénale de l’État partie, l’absence de consentement n’est pas au centre de la définition du viol, le terme « circonstances coercitives » n’est pas entendu au sens large et le viol implique nécessairement l’usage de la force ou de la violence, autant d’éléments qui laissent à l’interprétation des magistrats, qui ne reçoivent pas de formation obligatoire sur la violence fondée sur le genre, un large éventail de facteurs culturellement subjectifs, fortement influencés par des stéréotypes sexistes.

L’auteure fait valoir que les droits qui lui sont conférés par le paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention ont été violés, car les opinions des juges du tribunal régional et de la Cour suprême étaient fondées sur des stéréotypes sexistes plutôt que sur une appréciation indépendante des faits et des preuves. Elle n’a donc pas eu accès à la justice dans des conditions d’égalité avec les hommes.

L’auteure affirme en outre qu’elle a subi un préjudice en raison de la durée excessive du procès, une deuxième victimisation résultant du renforcement par les magistrats des stéréotypes sexistes ainsi que des dommages pécuniaires dus à la perte de son emploi et aux frais de justice.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Le 11 mars 2020, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication de l’auteure.

L’État partie expose le cadre juridique national, qui repose sur des principes fondamentaux que sont la démocratie, l’«individualité», la solidarité et l’égalité, en particulier entre hommes et femmes, et par-dessus tout, sur l’état de droit et le respect des droits humains et des libertés fondamentales, comme le prévoient les textes nationaux et internationaux. Il cite également la protection du droit de défense et les garanties d’une procédure régulière.

L’État partie renvoie en outre au document de base commun qu’il a soumis dans le cadre de la procédure d’établissement des rapports des organes conventionnels et qui présente un tableau complet du droit interne, y compris les sauvegardes et les garanties.

En ce qui concerne les allégations contenues dans la communication de l’auteure, l’État partie renvoie au verdict du tribunal régional de Cagliari, daté du 16 novembre 2015. Dans ce verdict, le tribunal régional (cour d’appel) a annulé le verdict du tribunal de Cagliari, daté du 10 décembre 2014, selon lequel C. C. avait été déclaré coupable d’avoir contraint par la violence l’auteure à se soumettre à des actes sexuels et pour lequel il a été condamné à purger une peine de détention de six ans ainsi qu’à réparer les dommages causés à l’auteure. La Cour d’appel a ensuite acquitté C. C. «parce que les faits [à l’origine de la constitution de la partie civile] n’existaient pas».

L’État partie renvoie à l’examen auquel a procédé la Cour suprême de la demande de révision de la décision du tribunal régional présentée par l’auteure à la lumière de sa propre jurisprudence, qui dit que le juge, dans son appréciation, se limite à l’examen de l’existence d’une argumentation logique du verdict contesté. La Cour suprême a « affirmé à plusieurs reprises que concernant la motivation du verdict, le juge qui annule le verdict de première instance et prononce l’acquittement ne peut pas se limiter à présenter des notes critiques de dissentiment concernant le jugement contesté, mais doit plutôt examiner, bien que de manière sommaire, les éléments de preuve examinés par le juge de première instance, conjointement avec celle examinées en deuxième instance, pour proposer une argumentation nouvelle et complète qui justifie ses conclusions quand elles divergent par rapport au verdict de première instance ». Par conséquent, un juge qui annule complètement le jugement de condamnation en première instance est tenu d’exposer les fondements structurels qui ont étayé son raisonnement divergent, ainsi que de réfuter spécifiquement les arguments les plus pertinents présentés en première instance. Il ne peut pas se contenter d’imposer sa propre appréciation des éléments de preuve, sur la base d’une préférence, au détriment de celle qui est contestée. Par conséquent, si le juge convertit en acquittement le jugement de condamnation rendu en première instance en faisant une appréciation différente des mêmes éléments de preuve, il est tenu de présenter de manière solide et précise le raisonnement qu’il l’a conduit à ces conclusions divergentes.

L’État partie prend note des conclusions de la Cour suprême concernant la demande de révision présentée par l’auteure, qui disent que s’agissant de l’évaluation de la fiabilité de l’auteure, le tribunal régional, en annulant l’appréciation du juge de première instance, a indiqué de manière complète, au moyen d’arguments raisonnables, précis et logiques, qu’il réfutait les arguments avancés par le tribunal de première instance. La Cour suprême a conclu que les griefs soulevés par l’auteure étaient « complètement génériques », puisque sa demande ne comportait pas d’éléments de preuve spécifiques qui n’avaient pas été appréciés ou qui auraient dû l’être autrement, et, en tout état de cause, qu’elle était « manifestement infondée », compte tenu des motifs de la présente contestation.

En ce qui concerne le renouvellement des éléments de preuve, l’État partie se réfère à la jurisprudence selon laquelle l’obligation pour le juge d’obtenir de nouvelles preuves et d’entendre à nouveau les témoins, si son appréciation de leur fiabilité diffère de celle du tribunal de première instance, ne s’applique que lorsque le juge annule un verdict d’acquittement, mais ne s’applique pas lorsque la Cour doit annuler une déclaration de culpabilité.

L’État partie fait donc valoir que l’avis de la Cour sur le réexamen des preuves orales est conforme à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à la Constitution, élaborée dans le but de renforcer les garanties procédurales et non dans une perspective accusatoire contre le défendeur à la suite de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Dan c. République de Moldova et des verdicts ultérieurs. En cas d’annulation d’une condamnation, les règles normales de renouvellement s’appliquent, de sorte que le juge peut, également ex officio, procéder à une nouvelle audition, s’il estime que le renouvellement des preuves orales est absolument nécessaire.

En outre, l’État partie cite la décision de la Cour suprême selon laquelle, en ce qui concerne les recours déposés devant elle, elle ne peut accepter des motifs contraires au principe d’autosuffisance et qui manquent de précision dans l’invocation d’un raisonnement illogique, soit parce qu’ils se contentent de rapporter des extraits isolés du témoignage, pris hors contexte afin de renforcer des extraits paraphrasés du témoignage, soit parce qu’ils reprennent, en bloc et sans aucune distinction, le compte rendu complet de l’audience pour qu’il soit relu de manière intégrale par la Cour suprême.

L’État partie cite l’appréciation de la Cour suprême des griefs de l’auteure concernant les déclarations des témoins, y compris celles des anciennes partenaires intimes de l’accusé, déclarant que ses « revendications relèvent de la censure de la règle générale et du non-respect du principe d’autosuffisance ». En particulier, l’État partie fait observer que l’appréciation rendue par la Cour suprême, selon laquelle la motivation et le raisonnement du tribunal régional concernant les preuves relatives à l’utilisation d’un préservatif par le défendeur, élément avancé par la défense pour fonder sa thèse d’un rapport sexuel consensuel, sont raisonnables et logiques et reposent sur une évaluation complète des résultats des analyses médico-légales du matériel prélevé.

Dans ce contexte, rappelant les recommandations générales du Comité, notamment la recommandation générale no 19 (1992) sur la violence à l’égard des femmes, complétée par la recommandation générale no 35 (2017) sur la violence fondée sur le genre à l’égard des femmes, portant actualisation de la recommandation générale no 19, et la recommandation générale no 33 (2015) sur l’accès des femmes à la justice, ainsi que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier son verdict dans l’affaire E. B. c. Roumanie, l’État partie souligne son respect total de la Convention, consacrée aux articles 3 et 111 de la Constitution, et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, en ce qui concerne l’obligation positive de mettre en place un système pénal adéquat.

L’État partie précise les protections en place conformément aux dispositions du Code pénal, citées par l’auteure. Il se réfère à l’article 609 bis du Code pénal, tel que modifié par l’acte no 66/1996, qui prévoit que « quiconque, par la violence, la menace ou l’abus d’autorité, contraint une personne à commettre ou à subir des actes sexuels est passible d’une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans ». L’État partie affirme que l’efficacité de ces dispositions est attestée par la jurisprudence de la Cour suprême qui, depuis l’introduction de la nouvelle législation en 1996, a strictement appliqué l’esprit de ces modifications.

L’État partie rappelle son dernier rapport périodique au Comité, dans lequel il a apporté des précisions sur des évolutions législatives importantes, notamment le décret-loi 11/2009, converti en acte no 38/2009, qui a introduit le délit de harcèlement obsessionnel. Conformément à la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, l’État partie indique que son droit interne vise à garantir une plus grande protection des victimes, tant en ce qui concerne les audiences que par un système garantissant la transparence pendant les enquêtes et les procédures judiciaires en cours, en plus de l’obligation d’informer les victimes des services de soutien locaux. En outre, la loi prévoit une aide juridictionnelle pour les femmes victimes de violence domestique dont les revenus dépassent les limites fixées par la législation nationale. Plus généralement, en ce qui concerne la protection des victimes, le décret législatif 9/2015, qui transpose la directive 2011/99/UE relative à la décision de protection européenne, vise à assurer la reconnaissance mutuelle des effets des mesures de protection des victimes de crimes lorsqu’elles sont adoptées par les autorités judiciaires des États membres de l’Union européenne. Dans ce cadre, la Cour suprême a souligné l’importance du consentement aux actes sexuels entre époux ou partenaires : s’il fait défaut, le comportement donnera lieu à des poursuites. Par le décret-loi 93/2013, la gravité de la violence sexuelle en tant que manifestation d’une domination au sein des relations ou en tant qu’outil de harcèlement obsessionnel après une rupture, qui sont traités de la même manière, a été davantage reconnue.

De manière plus spécifique, l’État partie note que, à la lumière de la Convention et de la recommandation générale no 33 du Comité, le Parlement a adopté en juillet 2019 le « Code rouge » (acte no 69/2019), lequel prévoit une voie judiciaire préférentielle et prioritaire qui donne le droit d’être entendu par le procureur général dans les trois jours suivant l’enregistrement d’une notitia criminis. L’État partie fournit des précisions sur son plan stratégique national relatif à la violence masculine à l’égard des femmes pour la période 2017-2020, lequel vise à renforcer la procédure d’enquête, de suivi et d’appréciation de la violence à l’égard des femmes, y compris par la collecte de données à l’échelle nationale. Dans le cadre du plan, une gouvernance à plusieurs niveaux est encouragée et les responsabilités sont attribuées aux niveaux national, régional et local. Afin de traduire le plan en mesures concrètes, un plan opérationnel associé a été adopté en novembre 2018, qui prévoit une augmentation considérable des ressources allouées au Département de l’égalité des chances pour les années 2018 et 2019. L’État partie mentionne également un système de données intégré sur la violence à l’égard des femmes, l’élaboration d’un système d’émission d’avertissements policiers par le Ministère de l’intérieur, l’élargissement de la définition des crimes connexes, l’information des victimes quant aux programmes de prévention liés à la prise en charge sociale, les interventions de soutien, la formation des forces de police et du pouvoir judiciaire, ainsi que la poursuite de la recherche et de l’éducation. En outre, l’État partie fait état de son engagement, souligné dans ses dernières observations rendues au Comité (juillet 2017) , à garantir un système de protection intégrée des victimes axé sur la prévention de la revictimisation secondaire. Il a également reconnu l’importance d’adopter de plus en plus, dans toutes les principales provinces, des mémorandums d’accord pertinents signés par les autorités judiciaires, en particulier le bureau du procureur général, avec d’autres parties prenantes clefs, notamment au niveau local.

L’État partie affirme que, pour renforcer la protection des victimes, le Département des affaires judiciaires du Ministère de la justice, par l’intermédiaire de la Direction générale de la justice pénale, a établi, le 29 novembre 2018, un comité de coordination chargé de créer un réseau intégré de services d’assistance aux victimes de crimes, en collaboration avec les principales institutions responsables de la protection des droits des victimes et des professionnels établis de longue date dans ce domaine. Le comité de coordination a pour objectif de contribuer à la mise en place d’un réseau d’assistance intégré qui accompagnera la victime depuis le premier contact avec les autorités jusqu’à la phase de réparation, de sensibiliser le public à ce sujet et de partager des informations sur les droits des victimes, notamment auprès du grand public. Le travail du comité de coordination constituera une étape vers la création d’un organisme national permanent de coordination des services de soutien aux victimes, doté de compétences élargies et renforcées, qui servira également de point de référence à l’Union européenne pour les questions transnationales, conformément aux recommandations internationales et aux bonnes pratiques européennes.

Compte tenu de ce qui précède, l’État partie fait valoir que contrairement aux allégations présentées dans la communication de l’auteure, aucun traitement stéréotypé, en particulier du point de vue judiciaire, n’est établi, et il réaffirme son engagement à collaborer pleinement avec le Comité et les autres organes conventionnels des Nations Unies, ainsi qu’avec tous les autres mécanismes compétents en matière de droits humains.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partiesur la recevabilité et sur le fond

L’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie le 30 juillet 2020.

L’auteure constate que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication et demande donc à ce que celle-ci soit reconnue comme pleinement établie.

Sur le fond, l’auteure affirme qu’elle ne cherche pas à contester la responsabilité pénale de l’accusé pour viol et réfute l’affirmation selon laquelle son désaccord porte sur l’appréciation des faits et des preuves présentés au cours du procès pénal qui constituent le fondement de sa plainte, mais qu’elle souhaite plutôt aborder l’incidence sur ses droits fondamentaux des stéréotypes, des mythes et des fausses idées sexistes concernant le viol et les victimes de viol, qui ont motivé le jugement d’acquittement de l’accusé.

Elle affirme en outre que la Cour suprême de cassation a participé à la violation de ses droits fondamentaux en tant que victime de violence sexuelle et fondée sur le genre, en ne qualifiant pas d’illogique ou d’illégale la décision rendue par le tribunal régional, qui était fondée sur des stéréotypes, des mythes et des fausses idées sexistes concernant le viol et les victimes de viol. Dans sa décision finale, la Cour suprême aurait dû condamner celle du tribunal régional, car elle est contraire aux dispositions du droit italien en ce qui concerne le principe constitutionnel d’égalité et aux principes et droits internationaux consacrés par la Convention et pris en considération dans les recommandations générales du Comité.

L’auteure note que, dans ses observations, l’État partie s’est contenté de décrire les réformes législatives visant à prévenir et à sanctionner toutes les formes de violence sexuelle et fondée sur le genre qui ont été adoptées ces dernières années, sans présenter d’arguments juridiques substantiels permettant de réfuter l’accusation selon laquelle les multiples stéréotypes sexistes qui ont étayé la décision d’acquittement ont eu une incidence sur ses droits fondamentaux en tant que femme victime de viol.

En ce qui concerne l’efficacité et l’efficience du système juridique italien et des instruments juridiques cités, l’auteure fait référence à l’écart qui existe entre le système juridique italien tel que formellement défini par la loi et les politiques publiques et l’application concrète de ces principes, qui est précisément compromise par la culture sexiste omniprésente et répandue ancrée au niveau social et politique, comme cela a été dénoncé dans les derniers rapports soumis par les organisations de la société civile italienne. Malheureusement, cette manière de penser discriminatoire influence encore les pouvoirs législatifs et judiciaires du Gouvernement et l’État partie ne s’est pas réellement efforcé d’y remédier en prenant des mesures d’ordre législatif ou politique visant à faire de l’élimination de la discrimination et des stéréotypes une priorité.

L’auteure affirme que les stéréotypes présents dans les institutions judiciaires demeurent une problématique centrale, comme l’a souligné la commission d’enquête parlementaire sur le féminicide et toutes les formes de violence à l’égard des femmes, qui a demandé à l’Institut national de statistique d’enquêter sur l’incidence des stéréotypes sexistes concernant les femmes. En outre, elle ajoute qu’en 2019, le procureur général auprès la Cour suprême a souligné l’augmentation inquiétante des féminicides en Italie.

En réponse à la demande de la commission d’enquête, l’Institut national de statistique a enquêté sur la nature et l’étendue des stéréotypes sexistes en Italie, confirmant que ceux-ci sont omniprésents et empêchent les femmes de demander de l’aide, les privant ainsi d’un accès à des recours effectifs et à la justice. L’auteure fournit en exemple l’évaluation suivante de l’Institut national de statistique datée du 25 novembre 2019 :

Les préjugés selon lesquels la femme victime de violence sexuelle est responsable de ce qui lui arrive persistent. Pas moins de 39,3 % de la population est d’avis qu’une femme peut éviter d’avoir des rapports sexuels si elle n’en a vraiment pas envie. Le pourcentage de ceux qui pensent que les femmes peuvent encourager des violences sexuelles en raison de leur tenue vestimentaire est également élevé (23,9 %). En outre, 15,1 % de la population estime qu’une femme sous l’emprise de l’alcool ou de drogues qui subit des violences sexuelles a une part de responsabilité.

L’auteure indique que l’incidence de ces stéréotypes sexistes sur le pouvoir judiciaire est bien documentée par l’écrivaine et juge Paola Di Nicola. Celle-ci a rassemblé des exemples de jugements rendus par des tribunaux italiens dans des affaires de violence sexuelle et fondée sur le genre, qui démontrent l’incidence grave des préjugés et des stéréotypes sur les droits des femmes. L’auteure indique en outre que, bien que l’État partie nie le problème des stéréotypes sexistes présents dans les institutions judiciaires, le Département pour l’égalité des chances a financé en 2019 un projet de recherche, toujours en cours, sur l’élimination des stéréotypes et des préjugés sexistes au sein du système judiciaire et des forces de l’ordre, coordonné par la professeure Flaminia Saccà de l’Université de la Tuscia et l’organisation de défense des droits des femmes Differenza Donna, qui est entièrement consacré à l’étude des stéréotypes sexistes présents dans le système judiciaire, dans les organes de police et des médias dans les affaires de violence sexuelle et fondée sur le genre, ainsi qu’à l’élaboration de cours de formation visant à éradiquer ces stéréotypes.

En ce qui concerne les exemples de stéréotypes, l’auteure réaffirme que la décision ayant été influencée par des stéréotypes, celle-ci a compromis son droit à un recours effectif, garanti par les alinéas b) et c) de l’article 2 de la Convention, en vertu desquels les États parties ont l’obligation implicite de garantir des recours effectifs aux femmes dont les droits fondamentaux ont été violés. Le droit à un recours effectif s’applique aux violations de tous les droits humains.

Les autorités italiennes ont également violé les droits de l’auteure établis à l’alinéa d) de l’article 2, selon lequel les États parties s’engagent à s’abstenir de tout acte ou pratique discriminatoire à l’égard des femmes et à faire en sorte que les autorités publiques se conforment à cette obligation. Les stéréotypes, notamment les stéréotypes présents dans les institutions judiciaires, ont compromis l’impartialité des juges dans leur décision d’acquittement et ont influencé leur compréhension des faits, ce qui a causé la victimisation secondaire de l’auteure, qui s’est vu refuser l’accès à la justice et à un recours effectif en raison de son statut de femme victime de viol.

Bien qu’un cadre tenant davantage compte des questions de genre ait été progressivement mis en place en matière de viol et de violence sexuelle dans les statuts et la jurisprudence italiens, comme le confirme l’État partie dans ses observations, les stéréotypes sexistes sont encore très répandus dans la culture italienne et compromettent l’efficacité de la législation existante, ralentissent l’évolution de la jurisprudence et empêchent l’accès des femmes à la justice dans les affaires de violence fondée sur le genre.

Les autorités italiennes ont également violé l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention, qui comporte des dispositions essentielles sur les stéréotypes.

Les stéréotypes ont influencé l’opinion des juges quant à la crédibilité de l’auteure, ce qui va à l’encontre du droit des hommes et des femmes à l’égalité devant la loi prévu à l’article 15 de la Convention. L’auteure cite la jurisprudence du Comité dans l’affaire Vertido c. Philippines (CEDAW/C/46/D/18/2008), soulignant que le pouvoir judiciaire doit veiller à ne pas créer de normes rigides quant à ce que les femmes ou les filles sont censées être ou censées faire lorsqu’elles subissent un viol, en se fondant simplement sur des notions préconçues de ce qui définit une victime de viol ou une victime de violence fondée sur le genre de manière plus générale.

L’auteure réaffirme que l’État partie a également manqué à son obligation de garantir la protection des femmes contre la discrimination pratiquée par les autorités publiques, y compris le pouvoir judiciaire, et il n’a pas fait preuve de la diligence requise pour sanctionner des actes de violence perpétrés à l’égard des femmes, en particulier le viol. L’auteur fait observer en particulier que la législation en application de laquelle C. C. a été inculpé n’était pas axée sur la question du consentement et faisait plutôt référence à la violence, à la menace et à l’usage de la force et l’abus d’autorité, autant de termes très larges qui sont nécessairement sujets à une interprétation et que ladite législation prévoyait un délai de prescription, échu avant que son cas soit tranché, ce qui faisait qu’elle n’avait pas pu obtenir justice pour ce crime alors qu’elle avait signalé le harcèlement dont elle avait fait l’objet en même temps que le viol.

L’auteure conclut que la procédure d’appel qui a abouti à l’acquittement du défendeur constituait un manquement de l’État partie à ses obligations positives prévues aux alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, à l’alinéa a) de l’article 5 et au paragraphe 1 de l’article 15 de la Convention, lui causant un préjudice moral et social, en raison notamment de la durée excessive du procès et de la revictimisation par les stéréotypes et les idées sexistes invoqués dans le jugement. L’auteure a également subi des dommages pécuniaires liés à la perte de son emploi et aux frais de justice qu’elle a été contrainte de payer pour tenter de faire valoir les droits qui avaient été violés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, que la question n’avait pas déjà fait l’objet ou ne faisait pas actuellement l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international(e).

Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au motif du non-épuisement des recours internes. Par conséquent, le Comité considère que rien ne s’oppose, dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce qu’il examine le fond.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que l’auteure demande la révision de l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par les juridictions nationales, malgré l’appréciation exhaustive des preuves à laquelle celles-ci ont procédé. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle la procédure judiciaire était en l’espèce entachée de stéréotypes sexistes concernant le comportement que devraient avoir des femmes ou des victimes féminines de viol, stéréotypes qui auraient influencé le juge et l’auraient amené à se prononcer sur la base de préjugés et de mythes plutôt que de faits, alors qu’il s’était au contraire montré clément envers l’accusé en acceptant ses déclarations. Le Comité prend en outre note du grief de l’auteure selon lequel les autorités judiciaires ont privilégié certaines preuves médico-légales, notamment l’utilisation d’un préservatif, qui leur ont permis de juger l’auteure non crédible et donc de rejeter ses allégations, alors qu’elles étaient étayées par des expertises médicales. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités décisionnaires de l’État partie à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ainsi que d’appliquer la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été effectuée de manière partiale ou était fondée sur des stéréotypes sexistes discriminatoires à l’égard des femmes, et qu’elle était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice. En l’espèce, compte tenu du fait que l’auteure conteste le fondement des conclusions des autorités nationales, et pas seulement la décision, au motif qu’il y a eu un déni de justice résultant d’une discrimination fondée sur le genre, le Comité considère que rien ne l’empêche d’examiner la présente communication afin de déterminer si les procédures judiciaires menées par les juridictions nationales ont entraîné la violation des droits reconnus au titre de la Convention en ce qui concerne l’appréciation des allégations faites par l’auteure de violence fondée sur le genre.

Le Comité considère que les allégations de l’auteure sont, en vertu des alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 5 et du paragraphe 1 de l’article 15, suffisamment étayées pour être recevables, déclare donc la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

Le Comité prend note des griefs de l’auteure qui, en tant que victime de violence domestique, dit avoir été agressée sexuellement et violée lorsqu’un représentant de l’État, un policier en service, à qui elle avait demandé protection, a profité de sa vulnérabilité physique et émotionnelle au lendemain d’une agression, alors qu’elle était à l’hôpital et qu’elle se rétablissait chez elle, pour user de son pouvoir et de son autorité et, sous de faux prétextes, la harceler, l’agresser sexuellement et la violer à son domicile. L’auteure déclare également que ce harcèlement a continué après le viol et que l’accusé a usé de ses fonctions et de ses relations pour l’intimider et la menacer. Elle a ensuite assisté à un procès à l’issue duquel l’auteur présumé des faits a été reconnu coupable, puis elle l’a vu être acquitté en appel sur la base de preuves qu’il avait présentées, preuves que le tribunal de première instance avait rejetées au motif qu’elles étaient les excuses d’une personne à l’imagination fertile, et d’une argumentation qui manquait de logique et reposait sur des stéréotypes sexistes, selon laquelle elle avait eu une relation consensuelle avec lui, comme l’attesterait le fait qu’un préservatif avait été utilisé et que d’importantes lésions internes avaient été constatées chez elle, puis qu’elle avait été rejetée par l’accusé une fois le rapport sexuel terminé, raison pour laquelle, d’après lui, elle avait souhaité se venger et avait décidé de prétendre qu’elle avait été violée pour préserver son honneur et accéder à des services de santé. L’auteure affirme que les juges du tribunal régional ont accepté aveuglément la version des faits présentée par l’accusé et décidé l’acquittement, car ils avaient eux-mêmes des idées reçues sur la façon dont elle aurait dû se comporter en tant que victime de viol et sur la façon dont les femmes se comportent lorsqu’elles sont rejetées. Autrement, ils auraient mieux étayer leur décision. Elle fait valoir que l’approbation par la Cour suprême de cette approche partiale de la Cour d’appel marque une fois de plus la portée de ces stéréotypes sexistes profondément ancrés. Elle conclut que les organes publics ont failli à leur mission de la protéger en tant que victime de violence domestique et à celle de lui accorder des voies de recours effectif, qu’ils ont ignoré les déficiences structurelles du système judiciaire et n’ont pas respecté les obligations que leur impose la Convention, contribuant ainsi à aggraver son traumatisme.

Le Comité prend note des références de l’État partie aux vastes initiatives et mesures correctives, y compris les détails concernant le respect des engagements qu’il a pris au titre de la Constitution et des traités internationaux relatifs aux droits humains, notamment la Convention. Il note également que l’État partie évoque la décision de la Cour suprême, par laquelle celle-ci a rejeté la demande de révision présentée par l’auteure au motif que cette dernière n’avait fourni que des déclarations générales ou des extraits de la transcription pour contester la décision de la Cour d’appel. En outre, le Comité prend acte du fait que l’État partie invoque la décision de la Cour suprême de rejeter la demande de contestation de l’auteure et d’approuver le choix du tribunal régional de s’appuyer sur la preuve médico-légale de l’utilisation d’un préservatif comme élément logique et suffisant pour mettre sérieusement en doute la crédibilité de l’auteure, mais pas pour procéder à une nouvelle audition des preuves.

Le Comité doit, par conséquent, déterminer si les organes judiciaires de l’État partie, en particulier le tribunal régional et la Cour suprême, se sont fondés sur des mythes et des idées reçues sexistes concernant le viol, les victimes de viol et les femmes en général, et que c’est la raison pour laquelle ils ont traité de manière discriminatoire l’auteure et les éléments de preuve qu’elle a présentés, choix qui constituerait une violation des droits de l’auteure et un manquement de l’État partie aux obligations qu’il est tenu de respecter au titre des alinéas b), c) et f) de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention. Les questions dont le Comité est saisi se limitent à ce qui précède. Le Comité souligne qu’il ne se substitue pas aux autorités nationales dans l’appréciation des faits et qu’il ne se prononcera pas sur la responsabilité pénale de l’auteur présumé des faits.

Le Comité rappelle que les femmes se heurtent à de nombreuses difficultés lorsqu’elles doivent accéder à la justice pour des raisons de discrimination directe et indirecte, telles que définies au paragraphe 16 de la recommandation générale no 28 (2010) concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2 de la Convention. Cette inégalité se manifeste non seulement dans le contenu ou les effets discriminatoires des lois, des règlements, des procédures, des coutumes et des pratiques, mais également dans le manque de moyens des institutions judiciaires et quasi judiciaires et le manque de sensibilisation de ces dernières au traitement adéquat des cas de violations des droits des femmes. Dans sa recommandation générale no 28, le Comité indique, par conséquent, que les institutions judiciaires doivent appliquer le principe de l’égalité réelle ou de fait, tel qu’il est consacré par la Convention, et interpréter les lois, y compris les lois nationales, religieuses et coutumières, conformément à cette obligation. L’article 15 de la Convention impose aux États parties de faire en sorte que les femmes jouissent d’une égalité réelle par rapport aux hommes dans tous les domaines du droit. Le Comité rappelle également que l’existence de stéréotypes et de préjugés sexistes dans le système judiciaire a de lourdes conséquences sur la pleine jouissance des femmes de leurs droits. Ces stéréotypes et préjugés entravent l’accès des femmes à la justice dans tous les domaines du droit et peuvent avoir des effets particuliers sur les femmes victimes de la violence ou qui ont survécu à cette violence. Les stéréotypes déforment les perceptions et sont à l’origine de décisions basées sur des préjugés et des mythes plutôt que sur des faits. Souvent, en fonction de ce qu’ils estiment être le comportement qu’une femme doit avoir, les juges établissent des normes rigides, qui pénalisent les femmes qui ne se conforment pas à ces stéréotypes. Les stéréotypes nuisent également à la crédibilité accordée à la parole, aux arguments et aux témoignages des femmes qui sont parties et témoins. Ces stéréotypes peuvent amener les juges à mal interpréter ou appliquer les lois. Il en découle de lourdes conséquences, notamment en droit pénal, lorsque les auteurs ne sont pas tenus légalement responsables des atteintes qu’ils ont portées aux droits des femmes, d’où une culture de l’impunité. Dans tous les domaines du droit, les stéréotypes compromettent l’impartialité et l’intégrité du système judiciaire, ce qui peut, en retour, donner lieu à des erreurs judiciaires, notamment à la revictimisation des plaignantes. Les juges, les magistrats et les arbitres ne sont pas les seuls acteurs du système judiciaire à appliquer, renforcer et perpétuer ces stéréotypes. Les procureurs, les forces de l’ordre et d’autres responsables laissent souvent les stéréotypes influencer les enquêtes et les procès, en particulier dans les affaires de violence fondée sur le genre, les stéréotypes portant atteinte aux revendications de la victime ou de la personne rescapée et renforçant par la même occasion la défense avancée par l’auteur présumé des faits. Les stéréotypes peuvent donc intervenir à la fois durant l’enquête et le procès, et influencer le jugement final.

Le Comité rappelle qu’en application de l’alinéa a) de l’article 2 de la Convention, les États parties sont tenus d’assurer l’application effective du principe de l’égalité des hommes et des femmes, et que, conformément à l’alinéa f) de l’article 2 et à l’article 5, les États parties ont l’obligation de prendre les mesures appropriées pour modifier ou abroger toute loi ou disposition réglementaire, mais également toute coutume ou pratique, qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. En outre, les actes ou omissions d’acteurs du secteur privé habilités en vertu du droit d’un État à exercer des prérogatives de la puissance publique, y compris les organismes privés qui sont des prestataires de services publics (santé ou éducation) ou qui gèrent des lieux de détention, peuvent être attribués à cet État. Conformément aux alinéas d) et f) de l’article 2 et à l’alinéa a) de l’article 5, les organes judiciaires doivent s’abstenir de tout acte, pratique discriminatoire ou violence à l’égard des femmes fondés sur le genre, et appliquer strictement toutes les dispositions pénales qui sanctionnent ce type de violence en veillant à ce que toute poursuite concernant des allégations de violence à l’égard des femmes fondée sur le genre soit impartiale, juste et exempte de stéréotypes liés au genre ou d’interprétation discriminatoire du droit, y compris du droit international. Les idées préconçues et les stéréotypes qui sous-tendent la définition de la violence fondée sur le genre commise à l’égard des femmes, les attentes concernant le comportement que doivent avoir les femmes dans ces cas et le degré de preuve exigé pour établir qu’il y a bien eu violence peuvent porter atteinte aux droits des femmes à l’égalité devant la loi, à un procès équitable et à un recours effectif nés des dispositions des articles 2 et 15 de la Convention. Les femmes doivent pouvoir compter sur un système judiciaire exempt de mythes et de stéréotypes et sur un pouvoir judiciaire dont l’impartialité n’est pas compromise par des préjugés. L’élimination des stéréotypes présents dans les institutions judiciaires est une étape cruciale pour garantir l’égalité et la justice pour les victimes et les personnes survivantes. La discrimination à l’égard des femmes est fondée sur leur sexe et leur genre. Le terme « genre » renvoie à l’identité, aux attributs et au rôle de la femme et de l’homme, et à la signification culturelle que la société donne aux différences biologiques, qui sont constamment reproduits par le système judiciaire et ses institutions. Conformément à l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention, les États parties ont l’obligation de révéler et d’éliminer les obstacles sociaux et culturels sous-jacents, y compris les stéréotypes sexistes, qui empêchent les femmes d’exercer et de revendiquer leurs droits et entravent leur accès à des recours efficaces.

En ce qui concerne le grief de l’auteure relatif à l’alinéa c) de l’article 2, le Comité, tout en reconnaissant que le texte de la Convention ne prévoit pas expressément le droit à un recours, considère que ce droit est implicitement prévu par la Convention, en particulier à l’alinéa c) de son article 2, en vertu duquel les États parties sont tenus d’instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes et garantir, par le truchement des tribunaux nationaux compétents et d’autres institutions publiques, la protection effective des femmes contre tout acte discriminatoire. Le Comité prend note du fait incontesté que l’affaire est restée en première instance de 2009 à 2014, à la suite de quoi l’accusation de harcèlement a dû être abandonnée pour cause de prescription. Il considère que, pour qu’un recours soit efficace, le jugement d’une affaire pour viol et infraction sexuelle doit être traité de manière juste, impartiale, rapide et opportune.

Par conséquent, le Comité examine le raisonnement fondant la décision d’acquittement du tribunal régional. Le Comité note que le tribunal régional a conclu que la Cour d’appel avait estimé que le tribunal de première instance n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve à décharge ou ne les avait pas examinés. Le tribunal régional a constaté que certaines preuves médico-légales, tirées d’analyses demandées par la défense, avaient révélé la présence des traces d’un composé présent dans les lubrifiants utilisés dans la composition des préservatifs, alors que l’auteure n’avait pas confirmé l’utilisation d’un préservatif et que, selon le tribunal, elle s’était montrée réticente à ce sujet pendant son témoignage. Il a reconnu que l’expert de la défense avait déclaré que les résultats de l’analyse ne permettaient pas d’affirmer ou d’exclure avec certitude l’utilisation d’un préservatif, que la substance ne pouvait pas être attribuée sans équivoque à l’utilisation d’un préservatif et qu’elle pouvait également provenir de substances utilisées pour la préparation des aliments.

Le Comité constate que la Cour d’appel a reproché au tribunal de première instance de ne pas avoir examiné de manière approfondie l’élément de preuve susmentionné et de s’être contenté de déclarer que l’utilisation supposée d’un préservatif n’avait pas été confirmée. La Cour d’appel a examiné de manière très approfondie ces preuves médico-légales, en partant du principe que, même si elles ne pouvaient pas être concluantes, leur corrélation avec d’autres preuves permettait de douter sérieusement des affirmations de l’auteure. Ce faisant, elle a formulé diverses hypothèses pour montrer qu’il était peu probable qu’il y ait eu contamination par d’autres sources et que C.C. n’avait pas quitté la maison avec des vêtements souillés, même si aucune autre explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle il avait demandé à l’auteure de vérifier qu’il n’y avait personne dans la rue avant de partir. La Cour a passé en revue les éléments de preuves présentés par l’auteure en émettant des hypothèses différentes pour chacune des affirmations formulées par celle-ci. Les éléments de preuve relatifs au préservatif en particulier ont été invoqués pour conclure que l’utilisation d’un préservatif excluait l’hypothèse de relations sexuelles non consensuelles car, si C. C. avait pris le temps de se concentrer pour mettre un préservatif, cela aurait certainement donné à une « vraie victime de viol » l’occasion de s’échapper. De plus, malgré les ecchymoses présentes à l’intérieur des deux genoux de l’auteure, la Cour a estimé qu’en l’absence d’explication détaillée de la part de celle-ci quant à la nature exacte de la force violente utilisée pour la maintenir allongée, elle ne pouvait que conclure, conformément à l’argument de la défense, que ces ecchymoses pouvaient s’expliquer par la vigueur d’ébats sexuels consensuels. Elle a rejeté comme n’étant pas fiables tous les témoignages d’experts de l’hôpital, du gynécologue, du psychologue, de l’avocat et d’autres témoins, au motif qu’ils étaient tous basés sur la version des faits fournie par l’auteure après qu’elle avait « pris la décision cynique d’incriminer C. C., dans le délai légal ». Les preuves médicales ont été examinées en vue de trouver une explication correspondant à la version de la défense, à savoir que les blessures internes importantes de l’auteure étaient compatibles avec un rapport sexuel consensuel, car dans une situation non consensuelle, il ne serait pas possible d’obtenir la pénétration profonde que de telles blessures indiquent.

Le tribunal régional a également examiné les relevés téléphoniques et estimé que le harcèlement était concentré sur certaines dates et qu’en fait, les 60 contacts étaient répartis sur un mois et demi. Il a constaté également que l’auteure n’avait pas fait mention de son passage à l’hôpital dans un SMS envoyé juste après à une amie et estimé que cela signifiait qu’elle n’était pas en situation de détresse.

Le tribunal régional a conclu que les choix et les comportements lucides de l’auteure ne correspondaient pas à ceux d’une personne victime d’un viol et que le fait qu’elle n’ait pas prévenu le médecin de la présence de C. C. signifiait qu’elle « était ravie de la présence de l’accusé ». Il a jugé suspect que l’auteure ait rassemblé des preuves matérielle après l’agression et essayé de piéger l’accusé. Il a fait valoir qu’il était naturel qu’une femme célibataire « d’un certain âge » s’inquiète que sa réputation soit compromise par une relation sexuelle occasionnelle avec un homme plus jeune, qu’elle aurait été flattée par ses avances et que l’on pouvait s’attendre à ce qu’elle ait envie de se venger si elle était rejetée. Il en a donc déduit que l’auteure avait apprécié « un après-midi de légèreté, voire de joie », mais qu’elle avait ensuite eu l’impression que C. C. l’avait trompée et utilisée comme un « objet de plaisir jetable » et avait profité du fait qu’elle « s’était laissée aller à une passion érotique à un moment de sa vie où elle n’allait pas bien ». Le tribunal a également estimé qu’une femme pouvait inventer des allégations de viol pour se venger ou pour obtenir un accès prioritaire aux services de santé et considéré que cette hypothèse était plus vraisemblable que les affirmations de l’auteure. Enfin, il a jugé crédible la version des faits présentés par la défense, selon laquelle le rapport de l’hôpital, qui faisait état de lésions importantes au niveau de l’utérus de l’auteure, attestait de la « vigueur » de l’accusé et de son « pouvoir de séduction », plutôt que d’un viol.

Le tribunal régional, alors qu’il doutait fortement des éléments de preuve présentés par l’auteure, concédant même parfois que celle-ci n’avait pas été interrogée sur certains éléments, n’a pas jugé important de réentendre les preuves ou de donner à l’auteure la possibilité de répondre à ses questions. Il a écarté les préoccupations du tribunal de première instance quant aux incohérences du témoignage de C. C., déclarant qu’il avait menti pour se protéger.

La Cour suprême a estimé ces arguments logiques, mais a fait observer que, conformément à la jurisprudence, son appréciation de la légalité de la décision se limitait à vérifier si la décision relative aux différents éléments du jugement contesté reposait sur un raisonnement logique et qu’elle n’était pas compétente pour vérifier le bien-fondé de l’argumentation du juge. Elle a précisé qu’elle ne pouvait pas faire une nouvelle évaluation des faits, mais devait seulement vérifier que le raisonnement sur lequel s’appuyait la Cour d’appel était plausible.

Le Comité prend acte du fait que l’État partie fait écho à la décision de la Cour suprême d’appuyer le raisonnement du tribunal régional.

Le Comité prend note de la différence frappante entre le traitement réservé par le tribunal régional aux éléments de preuve fournis par l’auteure et à ceux fournis par l’accusé, validée par la Cour suprême ainsi que par l’État partie. Il constate en particulier que le tribunal régional a qualifié les propos de l’auteure de « radicaux », d’« absurdes », de « faux » et de « profondément contradictoires », alors qu’à l’inverse, il a déclaré que l’accusé « ne pouvait pas être blâmé pour ses explications divergentes, car il avait pris connaissance des accusations portées contre lui et avait donc le besoin pressant de contester les poursuites pénales et disciplinaires engagées à son encontre ». Le Comité constate également que le diagnostic que le psychologue a fait de l’état et de ses symptômes de l’auteure à la suite de cet incident, qui cadraient avec des troubles post-traumatiques, a été écarté au simple prétexte qu’il s’agissait d’un drame découlant de la vie d’une femme « déjà épuisée par une séparation conjugale mouvementée » et qui avait « succombé, dans un moment de faiblesse, à la séduction du carabiniere ».

Le Comité estime que la décision du tribunal régional d’annuler une condamnation pour absence de preuves, en dépit des nombreuses preuves médico-légales et testimoniales, ne peut s’expliquer que par l’existence de stéréotypes sexistes, profondément ancrés, qui ont poussé les juges à attribuer une plus grande valeur probante au récit de l’accusé, qui a été accepté sans qu’il n’y ait aucun examen critique des arguments de la défense ni réexamen des éléments de preuve ou nouvelle audition des témoignages afin de permettre aux témoins d’expliquer toute incohérence qu’il y aurait pu avoir dans leur récit. Il estime que prise en toute objectivité cette décision ne suit pas un raisonnement logique et qu’elle ne respecte pas les obligations procédurales de l’État partie. Il constate que la Cour suprême s’est contentée d’évaluer de manière superficielle la question de savoir si tous les éléments de preuve étaient présentés de manière logique, sans tenir compte des défauts de l’analyse et de la pondération des éléments de preuve eux-mêmes, et a choisi de rejeter d’autres motifs parce qu’ils ne reposaient pas sur des extraits de choix.

Le Comité estime que le traitement que l’auteure a reçu devant la Cour d’appel puis devant la Cour suprême n’a pas permis de garantir l’égalité de fait entre […] et l’auteure en sa qualité de victime de la violence fondée sur le genre, et dissimule une incompréhension évidente des idées sexistes en matière de violence à l’égard des femmes, du concept de contrôle coercitif, des implications et des subtilités de l’abus d’autorité, y compris l’abus de confiance, des effets de l’exposition à des traumatismes consécutifs, des symptômes post-traumatiques complexes, y compris la dissociation, la perte de mémoire et des vulnérabilités et besoins particuliers des victimes de violence domestique.

Le Comité prend note des affirmations de l’État partie selon lesquelles des efforts importants sont déployés pour mettre en œuvre des initiatives en matière d’égalité des sexes, mais souligne que si l’existence de ces stéréotypes préjudiciables n’est pas reconnue et si aucune mesure forte n’est prise pour y remédier, ces dispositions ne sauraient changer la situation des femmes, qui sont de manière disproportionnée victimes de violences et d’abus, ce qui peut laisser des cicatrices (parfois invisibles) à vie et d’une génération à l’autre. Le Comité conclut donc que la décision du tribunal régional d’annuler la condamnation était fondée sur des perceptions biaisées, des préjugés et des mythes plutôt que sur des faits pertinents, ce qui l’a amené ainsi que la Cour suprême à mal interpréter ou appliquer les lois, portant ainsi atteinte à l’impartialité et à l’intégrité du système judiciaire et donnant lieu à une erreur judiciaire et à une revictimisation de l’auteure.

Le Comité estime que ces stéréotypes peuvent se développer lorsque la législation ne considère pas clairement le consentement comme l’élément central de ce qui constitue l’infraction. Ainsi, la vie de l’auteure, ses mœurs, ses communications, ses blessures, sa situation matrimoniale et relationnelle, son âge et de nombreux autres facteurs, ont été passés et repassés au crible. Elle a fait l’objet d’un examen rigoureux, contrairement à C. C. De ce fait, la procédure a donné lieu à des interprétations contrastées et préjudiciables, fondées sur des normes culturelles et des idées préconçues, qui ont privé l’auteure de l’égalité d’accès à la justice et qui, non seulement ne l’ont pas protégée, mais l’ont soumise à plusieurs reprises à la discrimination et à un nouveau traumatisme.

En conséquence, en application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention, le Comité considère que les faits qui lui ont été communiqués font apparaître clairement une violation des droits que détient l’auteure en vertu des alinéas b), c), d) et f) de l’article 2, et des articles 3, 5 et 15 de la Convention.

Le Comité adresse les recommandations suivantes à l’État partie :

a)Recommandations concernant l’auteure de la communication :

i)Reconnaître que l’auteure de la communication a subi un préjudice moral et social car les autorités n’ont pas su accorder recours et protection à une victime de violence domestique, le procès a duré trop longtemps, et l’auteure a été revictimisée du fait de l’utilisation par le tribunal régional dans sa décision de stéréotypes et de mythes sexistes, qui ont été repris par la Cour suprême ;

ii)Accorder une indemnisation appropriée et proportionnelle à la gravité des violations des droits de l’auteure, en tenant compte notamment du préjudice pécuniaire qu’elle a subi du fait de la perte de son emploi ;

b)De manière générale :

i)Prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que les procédures judiciaires pour infraction sexuelle soient engagées sans retard excessif ;

ii)Veiller à ce que toutes les procédures judiciaires concernant les infractions sexuelles soient impartiales, équitables et ne soient pas biaisées par des préjugés ou des stéréotypes sexistes, en adoptant un large éventail de mesures correctives ciblant tous les niveaux du système juridique, notamment :

a.Prévoir une formation appropriée et régulière visant à renforcer les capacités des juges, des avocats et des forces de l’ordre, concernant la Convention, le Protocole facultatif s’y rapportant et les recommandations générales du Comité, en particulier les recommandations générales no 19, 33 et 35 ;

b.Mettre en place des programmes appropriés de renforcement des capacités pour les juges, les avocats, les forces de l’ordre, le personnel médical et toutes les autres parties prenantes concernées, visant à expliquer les dimensions juridiques, culturelles et sociales de la violence à l’égard des femmes et de la discrimination fondée sur le genre ;

c.Élaborer, appliquer et contrôler des stratégies visant à éliminer les stéréotypes liés au genre dans les cas de violence fondée sur le genre, notamment en mettant en évidence les méfaits des stéréotypes judiciaires liés au genre grâce à des recherches fondées sur des preuves et en présentant les meilleures pratiques ; plaider en faveur de réformes juridiques et politiques ; suivre et analyser le raisonnement des institutions judiciaires ; remettre en question les stéréotypes présents dans les institutions judiciaires ; et renforcer la capacité de supervision.

iii)Adopter des mesures législatives concrètes pour garantir que la charge de la preuve n’est pas trop lourde ou vague, conduisant à une interprétation trop large ou générale, notamment :

a.Modifier la définition de toutes les infractions sexuelles impliquant des victimes capables de donner leur consentement légal afin d’inclure le consentement comme élément déterminant ;

b.Lorsque le consentement est invoqué comme moyen de défense, veiller à ce que la charge de la preuve incombe à l’accusé, qui doit prouver sa conviction largement étayée que le consentement a été donné, plutôt que de demander à la victime de démontrer qu’elle a exprimé clairement son refus ;

c.Supprimer, parmi les éléments constitutifs des infractions sexuelles, l’obligation pour la victime de prouver la pénétration, la force ou la violence, à moins que cette preuve ne soit nécessaire pour établir une infraction supplémentaire ou des circonstances aggravantes.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examine dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite l’informant notamment de toute mesure prise à la lumière de ces constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre les présentes constatations et recommandations publiques, à les traduire en italien et à les diffuser largement afin qu’elles parviennent à tous les secteurs de la société concernés.