Communication présentée par :

D. N. S. (représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime présumée:

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

24 juin 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 26 juin 2019 (non publiées sous forme de document)

Date des constatations :

23 février 2022

Exposé des faits

L’auteure de la communication est D. N. S., de nationalité somalienne, née en 1987. Elle a demandé l’asile au Danemark, mais sa demande a été rejetée. Elle affirme qu’en l’expulsant, l’État partie commettrait une violation des droits qu’elle tient des articles 2, 3 et 12 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 22 décembre 2000. L’auteure est représentée par un conseil.

Le 20 mars 2018, le Service danois de l’immigration a retiré son permis de séjour à l’auteure et lui a signifié qu’elle devait quitter le Danemark le 12 juin 2019 au plus tard. Le 26 juin 2019, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif à la Convention, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure vers la Somalie avant qu’il n’ait examiné l’affaire, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son Règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par l’auteure

L’auteure est une femme célibataire originaire de la ville de Daydoog, qui est toujours sous le contrôle du groupe militant des Chabab.

L’auteure a été élevée par son père et sa mère en Somalie, et elle a un frère. Son père exerçait une activité en lien avec les herbes médicinales. Lorsque les Chabab ont pris le contrôle de la ville natale de l’auteure, la milice a menacé son père à plusieurs reprises, exigeant qu’il cesse son activité sous prétexte que, selon le Coran, les médicaments ne peuvent guérir les gens. Comme il craignait pour lui-même et pour sa famille, il a cessé de travailler avec des plantes médicinales pendant quelque temps. Il a par la suite décidé de reprendre cette activité, qui était sa seule source de revenus. Le lendemain de cette décision, les Chabab l’ont abattu pour ne pas avoir obéi à leurs ordres. L’auteure était présente et, choquée, a perdu connaissance. Elle s’est réveillée seule dans une pièce, dans un camp sous le contrôle des Chabab. Le meurtre de son père lui est revenu en mémoire à différentes reprises. Au bout de cinq jours de détention, elle a été contrainte d’épouser un homme appartenant au groupe militant. Elle affirme que, pendant sa détention, on lui faisait ingérer des médicaments qui la rendaient incapable de se défendre et lui donnaient des vertiges. Cela se produisait chaque fois qu’elle mangeait la nourriture qui lui était servie. Elle a été détenue dans la même pièce pendant environ un mois. Elle dit que les faits se sont produits en 2013.

L’auteure a réussi à s’échapper avec l’aide d’une connaissance lors d’une cérémonie de l’Eïd al-Fitr qui se déroulait en plein air, pendant qu’à l’avant du groupe, les hommes priaient debout et tête baissée. Elle a fui dans un pays d’Afrique non précisé et, de là, s’est rendue au Danemark par avion.

L’auteure est arrivée au Danemark en septembre 2013. Elle a demandé l’asile le 1er octobre 2013, expliquant qu’elle craignait d’être tuée par les Chabab pour avoir fui la Somalie après avoir été forcée d’épouser un chef local du groupe. Un permis de séjour lui a été accordé le 24 février 2014, compte tenu de la situation générale qui régnait alors dans le sud et le centre de la Somalie.

Le 20 mars 2018, le Service danois de l’immigration a décidé de retirer son permis de séjour à durée déterminée à l’auteure. Celle-ci a contesté cette décision, affirmant qu’elle risquait toujours d’être persécutée si elle était renvoyée dans sa région en Somalie, région qui était encore sous le contrôle des Chabab. Le 14 mai 2019, la Commission de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service de l’immigration. Les autorités nationales ont estimé ce qui suit : a) les déclarations faites par l’auteure lors des auditions présentaient des incohérences, de sorte que la Commission ne pouvait pas ajouter crédit aux allégations concernant le meurtre du père de celle-ci ou l’absence, pour elle, d’un réseau de soutien masculin en Somalie ; b) la situation dans la région d’origine de l’auteure s’était améliorée depuis son départ ; c) selon les informations disponibles sur le pays, les Chabab semblaient avoir changé de méthode : au lieu de mener des attaques arbitraires contre les civils, ils prenaient pour cible des personnes répondant à un certain profil, et l’auteure ne semblait appartenir à aucun des groupes vulnérables visés. La Commission a considéré que le fait que cette dernière ait été déboutée de sa demande de statut de réfugié ne la rendait pas non plus vulnérable. Par conséquent, compte tenu de sa situation personnelle, il n’y avait pas lieu de présumer que le retrait du permis de résidence lui faisait courir un risque particulier.

L’auteure a effectué deux longs stages au Danemark, et elle a été assistante maternelle de février à août 2017. Elle n’a pas de famille proche au Danemark.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme que, si elle devait retourner en Somalie, elle courrait un risque réel d’être soumise à la torture et à d’autres mauvais traitements, et donc d’être victime d’une violation des articles 2, 3 et 12 de la Convention. Elle dit qu’elle a été persécutée par les Chabab lorsqu’elle vivait en Somalie et que cette persécution se poursuivrait à son retour, sa ville natale se trouvant dans une zone actuellement sous le contrôle de ce groupe militant.

L’auteure affirme en particulier qu’en tant que femme célibataire, elle risquerait d’être victime de violences sexuelles, de mariage forcé et d’autres formes de violence fondée sur le genre. Elle fait valoir que le groupe terroriste en question applique la charia de manière abusive et qu’elle serait en danger de mort non seulement parce qu’elle reviendrait d’un pays occidental, mais aussi parce que les femmes subissent les formes les plus graves de discrimination fondée sur le genre dans cette région précise de la Somalie.

L’auteure avance que, même si l’on admet que les méthodes employées par les Chabab sont devenues plus humaines récemment, ses arguments concernant le risque qu’elle court en tant que femme sans réseau de soutien masculin en Somalie n’en sont pas moins fondés.

L’auteure soutient avoir épuisé toutes les voies de recours internes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

Dans une note verbale datée du 20 décembre 2019, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond et demandé au Comité de lever sa demande de mesures conservatoires.

L’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que manifestement mal fondée. Il affirme que l’auteure n’a pas fourni de nouvelles informations concernant sa situation, qu’elle n’a fait que décrire une nouvelle fois telle qu’elle l’avait exposée dans sa demande d’asile initiale. Or, comme indiqué dans la décision du Service danois de l’immigration datée du 20 mars 2018, les faits relatés n’ont pas été jugés établis en raison de plusieurs incohérences décelées dans les déclarations de l’auteure. En particulier, lors de l’entretien relatif à la demande d’asile mené par ledit service le 15 novembre 2013, celle-ci a déclaré avoir été forcée d’épouser un chef des Chabab le lendemain de la mort de son père. Or, lors d’entretiens ultérieurs, elle a dit avoir été forcée d’épouser un homme cinq jours après la mort de son père. Lors de l’entretien du 15 novembre 2013, elle a déclaré s’être cachée avec sa mère et son frère chez une connaissance après avoir échappé aux hommes qui la retenaient. Cependant, elle a dit par la suite qu’elle était seule pendant la période où elle se cachait et que les membres de sa famille n’étaient venus la voir qu’une fois, la nuit précédant son départ. Lors d’un autre entretien pour l’obtention de l’asile, le 27 janvier 2014, elle a déclaré que le trajet entre le village et l’aéroport avait duré dix à quinze jours environ, alors qu’à d’autres occasions, elle a indiqué qu’il n’avait duré que deux heures. Dans un questionnaire daté du 9 novembre 2017, elle a déclaré que sa mère et son frère étaient morts, alors qu’à l’audience devant la Commission de recours des réfugiés, elle a affirmé qu’on lui avait dit en 2015 que les membres de sa famille proche se trouvaient dans un camp de réfugiés au Kenya et qu’elle avait réussi à les contacter en avril 2019.

Les autorités nationales ayant mis en doute le récit de l’auteure concernant la mort de membres de sa famille proche, l’État partie ne pouvait pas croire que celle-ci ne disposerait pas de la protection d’un réseau masculin dans son pays d’origine ou qu’elle courrait un risque de persécution fondée sur le genre en raison de sa situation de femme célibataire. La probabilité que l’auteure ait un certain nombre de parents en Somalie est étayée par le fait qu’elle a pu fuir la Somalie par avion dans un délai relativement court après son évasion.

En outre, l’État partie rappelle le droit interne pertinent, les faits de l’espèce et les décisions prises au niveau national. Il souligne que, à l’occasion de la procédure la plus récente, l’auteure a refusé de se rendre à un entretien auquel elle avait été convoquée par le Service danois de l’immigration, préférant présenter des observations par écrit. À l’issue de cette procédure, les autorités nationales ont conclu que le permis de séjour de l’auteure devait être révoqué, l’État partie ayant estimé que la situation générale des droits humains en Somalie s’était améliorée.

L’État partie indique que, même si l’auteure est originaire de Daydoog, qui se situe dans le sud de la Somalie, toujours sous le contrôle des Chabab, il partage l’avis de la Commission de recours des réfugiés selon lequel la situation générale en matière de sécurité dans le sud et le centre de la Somalie n’est plus d’une gravité telle qu’elle justifie, à elle seule, l’octroi du statut de résident au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers.

L’État partie soutient que, dans sa communication, l’auteure ne fait qu’exprimer sa contestation de l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés de sa situation personnelle et des informations disponibles sur le pays. L’auteure n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus décisionnel, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Elle tente en réalité d’utiliser le Comité comme organe d’appel pour faire réexaminer les circonstances qu’elle invoque à l’appui de sa demande d’asile. À cet égard, l’État partie réaffirme que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations de la Commission, laquelle est la mieux placée pour apprécier les faits de l’espèce.

Il affirme que l’auteure n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable. Il rappelle que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’a pas été démontré qu’il existait des motifs sérieux de croire que l’expulsion de l’auteure constituerait une violation de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

Dans les observations datées du 9 juin 2020 qu’elle a faites en réponse aux arguments de l’État partie, l’auteure a contesté l’affirmation selon laquelle elle n’avait pas démontré qu’elle courrait un risque de persécution, notamment de violence fondée sur le genre, si elle retournait en Somalie. Elle avance qu’en lui accordant la résidence temporaire, l’État partie avait, de fait, reconnu les risques qu’elle y courrait, compte tenu de la situation générale du pays et de sa situation personnelle. Par conséquent, la principale question qui se posait aux autorités était de savoir si ces risques de violence générale et de violence fondée sur le genre avaient cessé d’exister, la charge de la preuve incombant à l’État partie à cet égard.

L’auteure avance également qu’elle n’a obtenu le statut de résidente, en février 2014, que grâce à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Sufi Elmi c. Royaume-Uni, dans lequel il a été jugé que l’État partie avait manqué aux obligations que lui faisait l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par la suite, cependant, la Commission de recours des réfugiés a changé de pratique en accordant le statut de réfugié à tous les Somaliens venant du sud et du centre du pays, la Cour ayant elle aussi changé de pratique du fait de l’amélioration des conditions de sécurité à Mogadiscio. Bien que la Cour ait limité son appréciation à la situation à Mogadiscio à l’époque, la décision a conduit les autorités danoises à renvoyer les demandeurs d’asile en Somalie, sans tenir compte du fait que le territoire dont ils étaient originaires était toujours sous le contrôle de facto des Chabab.

L’auteure soutient qu’elle serait considérée comme une espionne occidentale et que son statut de femme célibataire, qui la rend vulnérable, lui ferait courir un plus grand risque de persécution si elle était renvoyée en Somalie. Elle fait valoir qu’elle ne bénéficierait pas de la protection des autorités locales contre la « violence généralisée », ni contre la violence fondée sur le genre à laquelle elle serait exposée en tant que femme seule.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication à cet égard. Il constate que, de par son indépendance, sa compétence et ses fonctions quasi judiciaires, la Commission de recours des réfugiés fonctionne dans les faits comme une cour d’appel et qu’il est donc impossible de faire appel de ses décisions. En conséquence, il considère que rien dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne s’oppose à ce qu’il examine la communication.

Le Comité prend note de l’avis de l’État partie selon lequel les griefs soulevés dans la communication sont manifestement mal fondés et contraires au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif. Il prend note également de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle craint d’être exposée à des violences de la part des Chabab si elle devait être expulsée vers la Somalie, car elle a fui ce pays après avoir été forcée d’épouser un chef local de ce groupe. L’auteure affirme aussi que, si l’État partie la renvoyait en Somalie, elle serait personnellement exposée, en tant que femme célibataire ne disposant pas d’un réseau de soutien masculin, à des formes graves de violence fondée sur le genre, ce qui constituerait une violation des articles 2, 3 et 12 de la Convention.

Le Comité rappelle que, en application du droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le Comité rappelle toutefois qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve ainsi que l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes liés au genre constituant une discrimination à l’égard des femmes, était manifestement arbitraire ou représentait un déni de justice. À cet égard, le Comité note qu’en substance, l’auteure conteste la manière dont les autorités de l’État partie chargées des demandes d’asile ont apprécié les éléments de fait de l’espèce, appliqué la législation et tiré leurs conclusions. La question dont il est saisi est donc de savoir s’il y a eu irrégularité dans le processus décisionnel concernant la demande d’asile de l’auteure et si les autorités de l’État partie ont mal évalué le risque de violence grave fondée sur le genre auquel elle serait exposée en cas de renvoi en Somalie.

Le Comité relève que, après un examen approfondi des griefs de l’auteure, les autorités de l’État partie ont jugé que le récit de celle-ci n’était pas suffisamment crédible en raison d’un certain nombre d’incohérences factuelles et d’un manque de preuves, et qu’il semblait fabriqué de toutes pièces. Il relève également que l’État partie a tenu compte de la situation générale en Somalie.

Le Comité prend acte de ce que l’auteure fait grief aux autorités danoises chargées de l’immigration de ne pas avoir examiné sa demande sous l’angle de la Convention et de ne pas avoir fait mention de celle-ci dans leur décision bien que cette question ait été soulevée par son conseil à l’audience devant la Commission de recours des réfugiés. Il observe que le conseil de l’auteure a prié lesdites autorités d’examiner la demande d’asile à la lumière de la Convention, sans toutefois faire référence à des dispositions précises de celle-ci ni étayer les griefs soulevés par sa cliente au titre de tel ou tel article de cet instrument.

Le Comité constate que, bien que l’auteure conteste les conclusions des autorités nationales, elle n’a pas indiqué les éléments que les autorités n’auraient pas dûment pris en considération ou qui témoigneraient d’une autre manière d’un arbitraire ou d’un déni de justice manifeste de leur part dans l’appréciation des faits et des éléments de preuve qui leur ont été présentés.

En outre, le Comité considère que l’auteure n’a pas fourni d’informations suffisantes pour étayer ses affirmations selon lesquelles, compte tenu de son passé et de sa situation personnelle, elle serait personnellement exposée au risque de subir des violences fondées sur le genre en cas de retour en Somalie. En particulier, elle n’a pas démontré qu’il lui serait impossible de vivre avec des membres de sa famille ou qu’elle se retrouverait esseulée en Somalie. À cet égard, le Comité relève que l’auteure a donné des informations contradictoires concernant sa famille proche (sur le décès de sa mère et de son frère et la question de savoir si elle avait eu des contacts avec eux en 2019). À ce propos, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le fait que l’auteure ait un certain nombre de parents en Somalie est également étayé par le fait qu’elle a pu fuir la Somalie en avion dans un délai relativement court après son évasion.

Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère, en l’absence d’irrégularités dans l’évaluation du dossier d’asile par les autorités nationales, que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses affirmations selon lesquelles, si elle était expulsée vers la Somalie, elle courrait un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le genre.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication n’est pas suffisamment étayée et est donc irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.