Nations Unies

CAT/C/60/D/699/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

6 juillet 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention concernant la communication no 699/2015 * , **

Communication p résentée par :

J. M. (représenté par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de :

J. M.

État partie :

Canada

Date de la requête :

9 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

12 mai 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Risque de torture

Article(s) de la Convention :

3, 4, 10 et 12

Informations générales

1.1Le requérant est J. M., de nationalité sri-lankaise, né en 1987 et sous le coup d’une mesure d’expulsion du Canada. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par le Canada des droits qu’il tient des articles 3, 4, 10 et 12 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 9 septembre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de demander à l’État partie, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que la requête serait à l’examen.

1.3En date du 1er février et du 28 avril 2016, le Comité a décidé de ne pas accéder à la demande de l’État partie de lever les mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Tamoul originaire de la province Nord de Sri Lanka. Il affirme qu’il a fui Sri Lanka en raison de menaces de mort de la part de membres des forces de sécurité, de milices privées ou d’autres extrémistes partisans de l’actuel Gouvernement sri‑lankais. Il affirme également avoir été emprisonné à Sri Lanka par le passé, parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

2.2Le requérant est arrivé au Canada le 17 octobre 2009 à bord du navire marchand Ocean Lady, soupçonné de liens avec les LTTE. Il a demandé le statut de réfugié le 23 octobre 2009.

2.3Le 9 octobre 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile. Elle a considéré que le requérant n’avait pas montré de façon convaincante qu’il risquait d’être perçu comme un partisan des LTTE. Elle a estimé que le récit du requérant, qui déclarait avoir été interrogé et persécuté par les autorités sri-lankaises, était incohérent et peu crédible. En particulier elle a estimé que la déclaration selon laquelle il avait pu s’échapper du camp de réfugiés − où il avait été détenu et interrogé − après avoir soudoyé un militaire, était incompatible avec l’affirmation que l’armée l’avait recherché après sa fuite. Le requérant avait aussi indiqué qu’il avait obtenu le 10 août 2009 un nouveau passeport, avec lequel il avait pu franchir les postes de contrôle sans encombre. La Section de la protection des réfugiés a relevé que, si le requérant avait eu un « profil à risque » au sens des lignes directrices publiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il n’aurait pas obtenu de passeport et n’aurait pas été autorisé à quitter le pays.

2.4Le 24 février 2014, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision négative de la Commission introduite par le requérant. Sa demande de sursis à l’expulsion ayant été acceptée, le requérant a été autorisé à rester au Canada et à présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. Dans sa demande, il expliquait qu’un de ses frères avait combattu avec les LTTE de 1992 à 1997, qu’il avait été tué en décembre 1997, et que sa famille était considérée comme une « famille martyre ». La demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée le 28 avril 2015. Le requérant avait déclaré qu’il craignait d’être immédiatement emprisonné et expulsé s’il révélait cette information. L’agent d’examen des risques avant renvoi a considéré que cette explication n’était pas convaincante pour justifier la révélation tardive. Il a relevé en outre que l’appartenance politique de son frère dix-huit ans plus tôt n’avait jamais causé de préjudice au requérant, et n’entraînait pas pour lui le risque d’être placé en détention ou maltraité par les forces de sécurité sri-lankaises.

2.5L’auteur a déposé une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel concernant la décision de rejet de la demande d’examen des risques avant renvoi, qui a été rejetée le 11 septembre2015. Le 29 juillet2015, la Cour fédérale a rejeté la demande de sursis à l’expulsion. La Cour a considéré que les déclarations tardives du requérant sur les liens de son frère avec les LTTE n’étaient pas justifiées, et qu’il s’agissait de faits censés s’être produits dix-huit ans auparavant. Elle a aussi relevé que les parents, l’épouse et les enfants du requérant vivaient toujours à Sri Lanka sans ennui ni difficulté apparents malgré le lien de parenté.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que s’il était expulsé vers Sri Lanka il risquerait d’être torturé ou tué, ce qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention ; en effet il est un jeune Tamoul débouté du droit d’asile, arrivé au Canada à bord de l ’ Ocean Lady , navire que les autorités sri-lankaises associent aux sympathisants des LTTE et dont elles ont déclaré publiquement que le transport de passagers par ce cargo était une opération des LTTE. Il serait donc accusé de « sympathies terroristes ». Le risque découle également du fait qu’il a déjà été emprisonné pour soupçon de liens avec les LTTE, et du fait qu’il est considéré comme venant d’une « famille martyre » car son frère a été tué alors qu’il combattait pour les LTTE.

3.2Le requérant soutient qu’il serait pris pour cible par la police et l’armée sri-lankaises en raison de son origine ethnique et parce qu’il a été témoin de violations des droits de l’homme commises par les forces gouvernementales dans le nord de Sri Lanka pendant la guerre civile. Il ajoute qu’il serait aussi menacé par les partisans extrémistes du régime répressif actuellement au pouvoir à Sri Lanka.

3.3Le requérant affirme que le Gouvernement sri-lankais est très soucieux de sa réputation internationale et s’inquiète des accusations de non-respect du droit international des droits de l’homme, et que c’est pour cette raison que de nombreux journalistes, défenseurs des droits de l’homme et travailleurs humanitaires qui ont dénoncé des violations des droits de l’homme ont été tués ou ont disparu.

3.4Le requérant avance que les autorités canadiennes ont commis une erreur en sous‑estimant le risque que courent les jeunes hommes Tamouls dans le nord de Sri Lanka. En particulier la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a mal évalué « l’ampleur actuelle du terrorisme d’État à Sri Lanka et l’absence de protection de la part de l’État ».

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 16 février 2016, l’État partie affirme que la requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes et défaut de fondement des griefs concernant le risque de torture.

4.2L’État partie note qu’il existe un recours dont le requérant ne s’est pas prévalu : la demande de résidence permanente pour raisons humanitaires. Le requérant avait la possibilité de déposer une telle demande dès le 9 octobre 2014, mais il n’a pas fait les démarches. Le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, ou son représentant, procède à un examen discrétionnaire approfondi de ces demandes afin de déterminer s’il y a lieu d’accorder à l’intéressé la résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire. Les risques évalués ne sont pas les mêmes que ceux qui sont pris en compte pour l’examen d’une demande d’asile ou d’une demande d’examen des risques avant renvoi. Les demandeurs d’un permis de résidence permanente pour raisons humanitaires peuvent invoquer tous les éléments qu’ils souhaitent voir pris en considération, comme l’établissement au Canada, les liens avec ce pays, le risque de séparation d’avec des proches et l’intérêt supérieur des enfants touchés par le renvoi, l’état de santé, ou des conditions défavorables dans le pays de renvoi ayant des conséquences négatives directes pour l’intéressé, comme une guerre, une catastrophe naturelle, le traitement inéquitable des minorités, l’instabilité politique ou la violence généralisée. Une telle demande aurait permis au requérant d’exposer toutes les difficultés particulières qu’il rencontrerait en revenant à Sri Lanka et qui seraient inhabituelles, injustes ou excessives.

4.3L’État partie souligne d’abord que, comme les demandes d’examen des risques avant renvoi, les demandes de résidence permanente pour raisons humanitaires sont examinées par de hauts fonctionnaires du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration qui sont, selon les tribunaux canadiens, « aussi indépendants et impartiaux que les agents chargés de l’examen des risques avant renvoi ». De plus, si le dépôt d’une telle demande n’a pas automatiquement d’effet suspensif, l’exécution de la décision d’expulsion peut être reportée dès que la demande a été jugée recevable. Le sursis à exécution peut être obtenu de la Cour fédérale si l’existence de raisons humanitaires impérieuses peut être démontrée. Un report administratif de l’exécution du renvoi peut également être sollicité. Enfin, quel qu’en soit le motif, une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires protège le demandeur d’une expulsion vers un pays où il affirme être en danger. Le requérant n’a pas soulevé d’objection au sujet d’une telle demande, et n’a pas laissé entendre que cette procédure serait inefficace ou injuste dans son cas particulier.

4.4L’État partie affirme que la requête est irrecevable car elle est manifestement dénuée de fondement. Ni l’histoire personnelle du requérant ni le fait qu’il ait été débouté du droit d’asile après être arrivé au Canada à bord de l’Ocean Lady ne constituent des motifs sérieux de croire qu’il courrait personnellement un risque réel d’être torturé s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.5L’État partie note que, selon des sources objectives, des violations graves des droits de l’homme sont toujours commises à Sri Lanka, notamment des exactions dans le cadre de la justice d’après conflit, des actes de torture, des disparitions et des détentions arbitraires, qui touchent de façon disproportionnée les Tamouls et se produisent principalement dans les régions à forte population tamoule, notamment dans le nord. Les rapports indiquent également qu’un risque de torture peut exister dans le cas des hommes tamouls qui ont été arrêtés par la police sri-lankaise, en particulier s’ils sont soupçonnés d’avoir des liens avec les LTTE. Si une personne court un risque réel de subir un préjudice irréparable de la part des autorités sri-lankaises, elle ne peut pas se réfugier dans une autre partie du pays.

4.6Malgré ces graves problèmes de droits de l’homme, tous les hommes tamouls originaires du nord de Sri Lanka ne courent pas un risque de préjudice irréparable de la part des autorités sri-lankaises. Selon les Lignes directrices du HCR pour l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile sri-lankais(2012), au plus fort de leur influence en 2000 et 2001, les LTTE contrôlaient et administraient 76 % de ce qui constitue aujourd’hui les provinces du Nord et de l’Est de Sri Lanka. Toutes les personnes vivant dans ces régions ont donc nécessairement eu, au quotidien, des contacts avec les LTTE et leur administration civile. Être originaire d’une zone auparavant contrôlée par les LTTE n’implique pas en soi qu’on ait besoin d’une protection internationale. Il faut « des liens importants et concrets avec les LTTE » et être perçu comme « une menace pour l’intégrité de Sri Lanka en tant qu’État unitaire du fait … d’un rôle important dans le mouvement séparatiste tamoul d’après-guerre au sein de la diaspora tamoule ou dans les tentatives de reprise des hostilités sur le territoire de Sri Lanka ». Le requérant n’est pas perçu par les autorités sri-lankaises comme ayant des liens avec les LTTE ou représentant un danger pour l’État unitaire de Sri Lanka. Il n’y a donc pas de motif sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

4.7Pour affirmer qu’il existe un risque de torture, le requérant invoque d’abord une brève période de détention (d’avril à août 2009) pendant la guerre civile. L’État partie s’appuie sur les conclusions de la Section de la protection des réfugiés, qui a estimé que les allégations du requérant concernant cette détention n’étaient pas crédibles. Le requérant n’a pas présenté de preuve médicale attestant les mauvais traitements qu’il aurait subis par le passé, ni aucun élément permettant de conclure qu’il courrait personnellement un risque réel en cas de renvoi. À ce sujet, la Section de la protection des réfugiés a relevé qu’il n’avait fourni aucune preuve convaincante ni aucun témoignage attestant qu’il avait été personnellement visé quand les autorités sri-lankaises l’avaient interrogé. Après un examen approfondi des déclarations du requérant sur son profil et sa vie à Sri Lanka, elle a estimé qu’il ne remplissait pas les critères du HCR concernant les personnes soupçonnées de liens avec les LTTE, et qu’il ne courrait donc pas un risque sérieux de subir des persécutions sur ce fondement s’il était renvoyé à Sri Lanka.

4.8Le requérant avance comme deuxième argument pour étayer l’existence d’un risque de torture que son frère a combattu avec les LTTE de 1992 à 1997. L’État partie note que le requérant a soulevé cet argument pour la première fois dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, et n’a pas su expliquer de manière convaincante pourquoi il n’avait pas communiqué cette information auparavant, à la Section de la protection des réfugiés ou à l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a aussi relevé que le requérant n’avait pas subi de préjudice à Sri Lanka à cause de l’appartenance politique alléguée de son frère, qui ne justifiait pas davantage la crainte d’un risque futur pour l’intéressé, d’autant plus que son frère était mort dix-huit ans plus tôt, longtemps avant que Sri Lanka ne s’engage dans la voie de la réconciliation. De surcroît, la Section de la protection des réfugiés et la Cour fédérale ont établi que l’épouse, les enfants et les parents du requérant − qui ont donc aussi un lien de parenté avec son frère − vivaient toujours à Sri Lanka apparemment sans avoir d’ennuis et sans faire l’objet d’un harcèlement majeur.

4.9L’État partie rappelle qu’il n’appartient pas au Comité d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les conclusions de fait des juridictions nationales. Les griefs et les éléments de preuve soumis dans la requête sont en substance les mêmes que ceux qui ont été présentés devant les instances nationales. La Section de la protection des réfugiés en particulier a entendu le requérant, qui était assisté par un conseil, et a tenté d’obtenir lors de l’audition des éclaircissements sur les nombreuses incohérences factuelles concernant sa détention et la persécution qu’il aurait subie. Sur ce fondement elle a établi que les déclarations du requérant qui affirmait avoir besoin d’une protection internationale n’étaient pas crédibles. Le requérant n’a donc pas établi, à première vue, qu’il risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka en 2016.

4.10En ce qui concerne la situation du requérant, débouté de sa demande d’asile après être arrivé au Canada à bord de l’Ocean Lady , l’État partie note que, comme l’ont fait valoir la Section de la protection des réfugiés et la Cour fédérale, rien ne montre que l’intéressé serait considéré par les autorités sri-lankaises comme un sympathisant des LTTE simplement parce qu’il a voyagé sur ce bateau ou parce que sa demande d’asile n’a pas abouti. L’État partie reconnaît que, selon les Lignes directrices du HCR, de nombreuses personnes renvoyées à Sri Lanka font l’objet d’un contrôle de sécurité par des agents de l’immigration ou des membres des services du renseignement, mais fait valoir qu’en l’absence de liens importants avec les LTTE, de telles vérifications ne constituent pas un risque réel et personnel de subir un préjudice irréparable. De fait, le HCR et l’Organisation internationale pour les migrations ont organisé des programmes de rapatriement volontaire à Sri Lanka auxquels plus de 1 900 personnes avaient participé en 2011. De surcroît, le requérant a quitté son pays légalement, en utilisant son propre passeport, et rien n’indique qu’il existe un mandat d’arrêt contre lui ou qu’il soit soupçonné d’avoir des liens importants avec les LTTE ou de faire partie de mouvements politiques d’opposition, à Sri Lanka ou au Canada.

4.11L’État partie renvoie aux cinq nouveaux documents adressés au Comité par le requérant alors que la procédure de demande d’asile était terminée. Le premier est une lettre de son épouse, datée du 30 août 2015, dans laquelle celle-ci dit que des inconnus sont venus la voir à deux reprises au mois d’août et l’ont menacée, et qu’elle a déposé deux plaintes à la police et cherché de l’aide auprès d’un bureau local de protection des droits de l’homme. L’État partie note que le requérant n’a pas joint les plaintes à la police ni l’attestation du bureau de protection des droits de l’homme. Le deuxième document est une lettre datée du 7 septembre 2015, du père du requérant qui dit avoir reçu plusieurs visites de personnes qui prétendaient avoir des liens avec les services du renseignement sri-lankais et ont demandé où se trouvait le requérant ; aucun autre élément ne vient corroborer ces déclarations. Quant au troisième document, une lettre du secrétaire général du Tamil National People’s Front, aucune foi ne saurait lui être accordée car son auteur va au-delà des déclarations du requérant, affirmant que l’armée sri-lankaise avait commencé à menacer celui-ci, à le torturer fréquemment, et avait même tenté de le tuer, mais ne précise pas la source de ces informations. Les deux derniers documents sont une lettre de soutien d’un ami de la famille du requérant qui vit aux États-Unis depuis 1983 et confirme que l’intéressé risque d’être soumis à la torture ou tué s’il est renvoyé à Sri Lanka, et une attestation réalisée par un ancien travailleur humanitaire au Moyen-Orient, qui n’a jamais rencontré le requérant mais affirme que sa situation à Sri Lanka l’inquiète. L’État partie fait valoir que ces deux documents ont été rédigés par des personnes qui ne connaissent pas personnellement la situation du requérant à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans un courrier du 15 avril2016, le requérant indique qu’il a adressé le 15 septembre2015 une lettre au juge chargé de sa demande de contrôle juridictionnel de la décision de refus d’examen des risques avant renvoi. Il lui faisait part de sa requête devant le Comité et mentionnait lacollaboration entre l’Agence des services frontaliers du Canada et la Division des enquêtes antiterroristes de Colombo, qui était fortement impliquée dans la détention et la torture de personnes expulsées vers Sri Lanka. Le requérant a toutefois été informé qu’une décision avait déjà été prise et que le juge avait ordonné de ne pas verser la lettre au dossier.

5.2Le requérant fait savoir qu’il souhaite ajouter aux fondements de sa requête l’article 4 de la Convention à cause des actions de l’Agence des services frontaliers du Canada dans l’affaire révélée dans des documents ministériels rendus publics concernant l’arrivée de migrants par la mer. Il fait valoir que l’État partie n’a pas respecté son obligation de formation et d’information concernant l’interdiction de la torture, enfreignant ainsi l’article 10 de la Convention. Enfin, le requérant invoque une violation de l’article 12 de la Convention, car le Gouvernement canadien a l’obligation d’enquêter sur le cas de complicité de torture révélé dans ces documents.

5.3Le requérant affirme que l’avis de l’État partie selon lequel il n’aurait pas un profil « à risque » est fortement contredit par les Lignes directrices du HCR et par la jurisprudence de la Section de la protection des réfugiés, de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et de la Cour fédérale, ainsi que par l’attestation d’un travailleur humanitaire qui donne une idée claire du sort des demandeurs d’asile renvoyés à Sri Lanka en citant des cas de personnes torturées et d’autres contraintes de fuir de nouveau le pays. Le requérant réaffirme que le risque pour lui d’être l’objet d’actes de torture, d’une disparition forcée ou d’une exécution extrajudiciaire s’il est renvoyé à Sri Lanka est élevé parce qu’il s’était trouvé à bord de l’Ocean Lady et venait d’une « famille martyre » des Tigres Tamouls.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il a été établi que lesdites voies de recours ont dépassé les délais raisonnables ou qu’il est improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. Le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés en l’espèce parce que le requérant avait la possibilité de soumettre une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires. Il considère toutefois que, étant donné son caractère discrétionnaire et non judiciaire et son absence d’effet suspensif sur l’expulsion du demandeur, une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires ne constitue pas un recours utile aux fins de la recevabilité. Par conséquent, le Comité considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22.

6.3Le Comité rappelle en outre que pour être recevable au regard de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum de preuves requis aux fins de la recevabilité. Le Comité considère que les griefs tirés des articles 4, 10 et 12 de la Convention soulevés par le requérant dans ses commentaires du 15 avril 2016 sont très généraux et n’ont pas de lien avec sa situation particulière. Il conclut donc que ces griefs sont manifestement dénués de fondement et les déclare de ce fait irrecevables en vertu de l’article 22 de la Convention.

6.4Le Comité considère toutefois que les griefs relatifs au risque que le requérant pourrait courir personnellement en cas de renvoi vers Sri Lanka ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare recevables au regard de l’article 3 de la Convention.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En ce qui concerne le grief tiré de l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il souligne que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.4Le Comité prend note de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka et des nombreuses violations, y compris les enlèvements et les actes de torture, dont sont victimes les Tamouls. Pour apprécier le risque de torture dans la présente affaire, le Comité note l’argument du requérant qui affirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka il risquerait d’être soumis à la torture ou tué parce qu’il serait perçu comme un sympathisant des LTTE. Cet argument est fondé sur le fait que le requérant a été détenu par le passé à Sri Lanka, sur les liens de son frère avec les LTTE, et sur le fait qu’il est arrivé au Canada, où il a été débouté de sa demande d’asile, à bord d’un navire que les autorités sri-lankaises associent aux LTTE. Le requérant a aussi fait valoir qu’il serait pris pour cible par les autorités sri‑lankaises car il a été témoin de violations des droits de l’homme commises dans les provinces du Nord du pays pendant la guerre civile.

7.5En ce qui concerne la détention en 2009, le Comité note que le requérant n’a fourni aucune information détaillée ni aucune preuve sur cette détention, qui remonterait à dix-huit ans. Le Comité note également les arguments de l’État partie selon lesquels la Section de la protection des réfugiés a examiné en détail les déclarations du requérant mais a conclu qu’elles n’étaient pas crédibles, en particulier en ce qui concerne l’évasion du camp de réfugiés et la persécution qui aurait suivi, et que le requérant n’a pas apporté la preuve qu’il avait été personnellement pris pour cible.

7.6Quant aux liens du frère du requérant avec les LTTE, le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que la question a été soulevée pour la première fois en novembre 2014 seulement, dans la demande d’examen des risques avant renvoi, et que le requérant n’a pas expliqué de manière plausible pourquoi il n’avait pas révélé cette information plus tôt. Le Comité note également que cette allégation a été prise en considération par l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi et par la Cour fédérale, mais que tous deux ont conclu que, la mort du frère du requérant étant survenue vingt ans auparavant, elle ne faisait pas courir actuellement un risque au requérant, dont la famille vivait toujours à Sri Lanka sans que ces liens allégués avec les LTTE ne lui créent de problèmes majeurs.

7.7Concernant l’arrivée du requérant à bord de l’Ocean Lady et le rejet de sa demande d’asile, le Comité note que les allégations sont peu précises et ne sont étayées par aucun élément crédible. La Section de la protection des réfugiés et la Cour fédérale ont relevé que rien ne laissait penser que, du simple fait d’avoir voyagé à bord de ce bateau ou de ne pas avoir obtenu l’asile au Canada, le requérant serait perçu comme un sympathisant des LTTE et courrait personnellement un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3. Le Comité note également l’argument de l’État partie selon lequel le requérant a voyagé légalement, avec son propre passeport, et rien n’indique qu’il serait soupçonné d’avoir des liens importants avec les LTTE ou d’avoir des activité politiques à Sri Lanka ou au Canada.

7.8Enfin, le Comité note que le requérant affirme avoir été témoin des violations des droits de l’homme commises dans le nord du pays par les autorités sri-lankaises pendant la guerre civile mais ne donne aucune information détaillée à ce sujet. Le Comité rappelle le paragraphe 5 de son observation générale no 1, dans lequel il indique que c’est à l’auteur d’une communication qu’il incombe de présenter des arguments défendables, et il considère que le requérant n’a pas assumé la charge de la preuve comme il le devait.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que le requérant n’a pas apporté d’éléments suffisants pour lui permettre de conclure que son renvoi forcé à Sri Lanka lui ferait courir personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut en conséquence que le renvoi du requérant à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.