Nations Unies

CAT/C/60/D/648/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 648/2015*,**

Communication présentée par :

S. S. (représenté par un conseil, Rasan T. Selliah)

Au nom de :

S. S.

État partie :

Australie

Date de la requête :

14 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

10 mai 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure:

Recevabilité ; requête manifestement mal fondée

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

Contexte

1.1Le requérant est S. S., ressortissant sri-lankais né en 1980. Il affirme qu’en l’expulsant vers Sri Lanka, l’Australie commettrait une violation de l’article 3 de la Convention. L’Australie a fait la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention le 28 janvier 1993. Le requérant est représenté par un conseil, Rasan Selliah.

1.2Le 7 janvier 2015, en application du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie de s’abstenir d’expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. Le 27 juillet 2016, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Le 21 septembre, le Comité a rejeté cette demande.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est tamoul, de religion hindoue. Il est né à Kalmunai, dans la province de l’Est de Sri Lanka. Il travaillait dans le domaine de la joaillerie, à Colombo. En 2006, en raison de la montée des troubles politiques et de l’augmentation de la criminalité, notamment du nombre de cas d’enlèvements et d’extorsion d’argent à des Tamouls, il a tenté d’obtenir un visa pour l’Australie par l’intermédiaire d’un ami qui était un « agent ». Il a été présenté à un « ministre ». Des documents ont été signés et remis à celui-ci.

2.2Cinq jours plus tard, le requérant a été arrêté par des agents de la police judiciaire et détenu pendant cinq jours au quatrième étage du siège de celle-ci, où il a été battu et torturé. Les agents voulaient savoir pourquoi le requérant avait tenté de quitter le pays et s’il était un membre de la faction « Pirapaharan » ou « Karuna » des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Ils affirmaient avoir la preuve qu’il avait fourni un appui financier aux LTTE. Le requérant leur a expliqué qu’il avait donné de l’argent au groupe parce qu’on menaçait de faire du mal à sa famille. La police judiciaire a essayé de lui faire avouer qu’il était membre des LTTE, ce qu’il a refusé de faire. Le 2 novembre 2006, le requérant a été traduit devant la Chief Magistrates ’ Court (tribunal d’instance) et a été placé en détention provisoire à la prison de Welikade. Avec plusieurs autres personnes, il a été inculpé du chef d’appartenance à un groupe terroriste ayant planifié des activités destructrices.

2.3Les parents du requérant ont soumis un extrait d’inscription au registre du commerce et d’autres documents. À une date non précisée, le tribunal a ordonné la remise en liberté du requérant sous la condition qu’il se présente à la police judiciaire tous les mois pendant six mois. La police judiciaire a prolongé cette période au-delà des six mois initiaux, menaçant de placer le requérant en détention s’il ne continuait pas à se présenter. Chaque fois qu’il se présentait, les policiers le contraignaient à verser des pots-de-vin. Au terme de cette deuxième période de six mois, l’agent chargé de son affaire a exigé qu’il continue de se présenter, le menaçant de le placer en détention. Le requérant n’a pas osé se plaindre aux autorités supérieures, craignant d’autres persécutions. Incapable de supporter ce harcèlement, il a vendu son commerce et est retourné à Kalmunai, où il a travaillé dans l’entreprise de joaillerie de son frère.

2.4Le 7 juillet 2008, le requérant a été enlevé à son domicile familial à Kalmunai par le groupe Karuna du Tamil Makkal Viduthalai Puligal, groupe progouvernemental. Il est resté dans un camp pendant trois mois. Le groupe exerçait des pressions sur lui pour qu’il se joigne à eux dans la défense de sa cause, et le maltraitait parce qu’il refusait. Le Tamil Makkal Viduthalai Puligal affirmait avoir la preuve que le requérant avait aidé les LTTE et disait qu’il devait se joindre à lui ou lui donner de l’argent. Lorsque l’épouse du requérant s’est adressée à la police pour qu’elle apporte son aide, on lui a dit qu’elle devait accorder des faveurs sexuelles aux policiers si elle voulait que son mari soit libéré. Par la suite, elle a rendu visite à son époux au camp, accompagnée par des anciens du village. Elle s’y est fait dire par les gardiens de ne pas s’adresser à la police à nouveau. On l’a également avertie que si elle donnait des informations sur le camp à d’autres personnes, son mari serait tué.

2.5Après trois mois dans le camp, pendant lesquels il a été contraint d’effectuer des travaux manuels pénibles et a été régulièrement battu, le requérant s’est évadé. Il n’est pas rentré chez lui et a pris des dispositions pour qu’on lui apporte ses documents d’identité, après quoi il s’est rendu à Colombo et a obtenu un passeport par l’intermédiaire d’un agent. Il a fini par arriver au Timor-Leste, en décembre 2008, après être passé par Singapour et la Malaisie. Le requérant a été interrogé par les autorités du Timor-Leste. L’interprète était un policier sri-lankais et le requérant craint toujours que ce policier l’ait dénoncé aux autorités sri-lankaises. Le requérant a travaillé illégalement au Timor-Leste pendant sept mois. Par la suite, il a marché dans la jungle pendant huit heures pour se rendre à Kupang, puis s’est rendu à Jakarta à bord d’un véhicule.

2.6Le 10 mars 2010, il a embarqué sur un bateau à destination de l’Australie ; il est arrivé à l’île Christmas le 20 mars. À son arrivée, le requérant a appris que des agents de la police judiciaire s’étaient rendus chez ses parents et les avaient enjoints d’informer immédiatement la police judiciaire s’ils apprenaient où se trouvait le requérant.

2.7Le requérant a déposé une demande de visa de protection auprès du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières. Sa demande a été rejetée par un représentant du Ministre le 17 août 2010. Le délégué a ajouté foi aux affirmations du requérant concernant les faits survenus en 2006 et en juillet 2008, mais a estimé qu’il ne répondait pas à la définition du réfugié telle qu’elle est énoncée à l’article 1A de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

2.8Le requérant a recouru contre la décision au moyen de la procédure de réexamen indépendant au fond, mais son recours a été rejeté le 13 mai 2011. Le requérant affirme que la raison invoquée pour justifier le refus d’annuler la décision du 17 août 2010 était que son affirmation selon laquelle il avait été placé en détention et torturé par la police judiciaire avait été jugée peu crédible. Le requérant soutient qu’à l’époque il n’était pas en mesure de rapporter la preuve de ce fait. Il a fait une demande de contrôle juridictionnel du premier réexamen indépendant au fond auprès du Tribunal fédéral d’instance, qui l’a débouté le 2 novembre 2011.

2.9Il s’est ensuite pourvu devant le Tribunal fédéral d’Australie, qui a statué en sa faveur le 2 mars 2012. En conséquence, ses affirmations ont été réexaminées dans le cadre d’un deuxième réexamen indépendant au fond. Cette fois, il a fourni des preuves écrites sous la forme d’une copie certifiée conforme (en singhalais) d’un rapport soumis par la police judiciaire et la Division des enquêtes antiterroristes à la Chief Magistrates ’ Court, dont il ressortait que 39 personnes soupçonnées d’avoir apporté un appui aux LTTE avaient été arrêtées, placées en détention par la Division des enquêtes antiterroristes puis traduites devant la Chief Magistrates ’ Court de Colombo en vertu du règlement relatif à l’état d’exception. Dans ce rapport, le nom du requérant figure au no 15, mais celui-ci affirme qu’il a été mal orthographié en singhalais. Aussi, l’agent chargé d’examiner la demande dans le cadre du deuxième réexamen indépendant au fond a estimé que ce document ne concernait pas le requérant et a rejeté sa demande. Le requérant soutient que la graphie fautive de son nom s’expliquait probablement par un mépris le plus complet de la part de la police pour les Tamouls ou par une erreur typographique.

2.10Par la suite, le requérant a obtenu auprès du greffier de la Magistrates ’ Court de Kalmunai un document certifiant qu’il avait été inculpé de complicité avec un groupe terroriste, et que son nom avait été mal orthographié dans le rapport. Le requérant a également obtenu une lettre d’un membre du Parlement sri-lankais représentant le district de Batticaloa, datée du 27 août 2014, dans laquelle ses affirmations sont reprises.

2.11Le requérant a saisi le tribunal de circuit fédéral d’une demande de contrôle juridictionnel du deuxième réexamen indépendant au fond. Sa demande a été rejetée le 12 juillet 2013. Sa demande de contrôle juridictionnel de cette de décision a été rejetée le 4 décembre. Sa demande d’autorisation aux fins d’interjeter appel auprès de la High Court a également été rejetée le 15 août 2014. Le 2 septembre, il a demandé une dérogation au titre de l’article 48B de la loi de 1998 relative aux migrations afin de pouvoir déposer une nouvelle demande de visa de protection. Il a également sollicité une intervention ministérielle, demandant qu’une décision favorable soit rendue pour motifs d’ordre humanitaire et circonstances exceptionnelles. Le 10 novembre, la demande du requérant a été rejetée. Le requérant affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

2.12L’épouse et la fille du requérant vivent toujours à Sri Lanka, dans la peur d’être harcelées en raison du fait que le requérant est recherché par les autorités et les paramilitaires progouvernementaux.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soutient que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il affirme qu’en tant qu’homme tamoul originaire d’une région qui, auparavant, était connue pour les activités qu’y menaient les LTTE, il est soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE, qu’il a déjà été torturé par des agents de la police judiciaire et des membres du groupe Karuna par le passé et traduit devant un tribunal pour activités terroristes, et que s’étant évadé alors qu’il était détenu par une milice progouvernementale, il courrait le risque, en revenant à Sri Lanka, d’être torturé par les autorités, qui recherchent toujours des éléments antigouvernementaux présumés. Par conséquent, en le renvoyant à Sri Lanka, l’Australie violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 16 octobre 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2Selon l’État partie, les griefs du requérant ne sont pas étayés et sont irrecevables en vertu de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité car manifestement dénués de fondement, le requérant n’ayant pas apporté un commencement de preuve. L’État partie souligne que les griefs du requérant ont été examinés de manière approfondie par un certain nombre d’organes de décision internes, et qu’ils ont notamment fait l’objet d’un réexamen indépendant au fond et d’un contrôle juridictionnel par le tribunal de circuit fédéral comme par le Tribunal fédéral d’Australie réuni en formation plénière. Ces instances internes ont déterminé que les griefs du requérant n’étaient pas crédibles et ne mettaient pas en jeu les obligations de l’État partie. Les griefs du requérant ont également été examinés à la lumière des dispositions relatives à la protection complémentaire.

4.3L’État partie affirme que, dans la communication qu’il a soumise au Comité, le requérant n’a pas fourni d’éléments nouveaux pertinents qui n’avaient pas déjà été examinés dans le cadre de procédures administratives et juridictionnelles internes solides et très complètes. Il renvoie à l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3, dans laquelle celui-ci précise qu’il n’est pas un organe d’appel ni un organe juridictionnel et qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé.

4.4S’agissant du fait que le requérant s’appuie sur des informations générales sur le pays, l’État partie affirme que cela n’établit pas qu’à première vue il courrait personnellement un risque d’être soumis à la torture. Les organes de décisions internes, dans le cadre de l’examen au terme duquel ils ont conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture à Sri Lanka, ont déjà examiné de nombreuses informations sur le pays, notamment celles fournies par le Ministère des affaires étrangères et du commerce de l’État partie et par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

4.5L’État partie renvoie à la décision initiale concernant le statut de réfugié du requérant. L’agent chargé de l’examen de la demande de statut de réfugié n’était pas convaincu que le requérant était un témoin digne de foi. En particulier, il n’a pas ajouté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait eu affaire à un policier sri-lankais pendant son séjour au Timor-Leste. Le requérant n’a pas fait état de cette rencontre pendant son entretien d’entrée ou dans les communications écrites qu’il a soumises dans le cadre de sa demande de statut de réfugié. En outre, compte tenu de ce que d’autres interprètes tamouls étaient disponibles, l’agent chargé de l’examen de la demande de statut de réfugié n’a pas estimé qu’il était plausible qu’il ait fallu demander à un officier de police sri-lankais de servir d’interprète. En outre, il n’a pas été jugé plausible que le requérant ait pu prendre le risque de critiquer le Gouvernement sri-lankais en présence d’un fonctionnaire de police. L’agent chargé de l’examen de la demande de statut de réfugié a ajouté foi aux allégations du requérant concernant sa détention par la police judiciaire en 2006 et son enlèvement en 2008. Cependant, il n’a pas considéré que ces faits entraînaient des obligations en matière de protection des réfugiés.

4.6En ce qui concerne le premier réexamen indépendant au fond, l’État partie explique que tous les arguments invoqués à l’appui de la demande de protection ont fait l’objet d’un nouvel examen. Le requérant a pu soumettre des observations écrites et a eu un entretien avec l’agent des services d’immigration chargé de son dossier, pendant lequel il a bénéficié de l’assistance d’un interprète tamoul. Le 13 mai 2011, après avoir examiné tous les éléments disponibles, l’agent chargé du réexamen indépendant au fond a recommandé que le requérant ne soit pas reconnu comme personne à laquelle l’État partie devait protection en vertu de la Convention relative au statut des réfugiés.

4.7L’État partie ajoute que l’agent chargé du réexamen avait de grands doutes quant à la crédibilité du requérant. S’agissant de la détention du requérant par la police judiciaire en 2006, il a estimé peu vraisemblable que celui-ci, orfèvre cherchant à faire une demande de visa touristique pour l’Australie, puisse avoir été soupçonné d’être un membre ou un agent des LTTE, et n’a vu aucune autre raison plausible pour laquelle il aurait pu être détenu. L’agent a relevé des incohérences dans les raisons pour lesquelles le requérant disait avoir quitté Colombo et a jugé que son récit de l’enlèvement par le groupe Karuna présentait également des incohérences. Le fait que le requérant avait indiqué que les responsables du camp l’avaient « exhorté » à rejoindre leur groupe tout en affirmant qu’ils ne lui avaient pas dit quel était le nom de ce groupe pendant les trois mois pendant lesquels il y avait été détenu a été jugé particulièrement problématique. Le requérant a également donné deux explications différentes quant à la manière dont il avait deviné de quel groupe il s’agissait.

4.8L’agent chargé du réexamen indépendant au fond a jugé que l’affirmation selon laquelle après avoir été expulsé de Singapour vers Sri Lanka, le requérant avait réussi à éviter d’attirer l’attention des autorités sri-lankaises en faisant soudoyer des agents de l’immigration par son ami agent était peu crédible. Il a également jugé infondée l’allégation concernant l’ex-fonctionnaire de police interprète. En outre, il a été conclu que le statut de demandeur d’asile débouté ne permettait pas de remplir les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié.

4.9La Federal Magistrates ’ Court a conclu que l’agent chargé du réexamen indépendant au fond n’avait pas commis d’erreur de droit. Le premier motif invoqué par le requérant dans le recours qu’il a formé contre cette décision auprès du Tribunal fédéral d’Australie était l’absence d’équité procédurale, lequel a été rejeté. Cependant, le deuxième motif d’appel, à savoir que l’agent chargé du réexamen n’avait pas expressément examiné l’affirmation du requérant selon laquelle il appartenait à un groupe social déterminé, a été retenu. Si l’agent avait examiné l’allégation du requérant concernant le préjudice subi dans le passé, il n’avait pas pris en considération le risque plus général. Le Tribunal fédéral a renvoyé l’affaire du requérant à l’agent chargé du réexamen indépendant au fond pour réexamen.

4.10Dans le cadre du deuxième réexamen indépendant au fond, le requérant a pu soumettre des observations écrites et avoir un entretien. Il a à nouveau été recommandé que le requérant ne soit pas reconnu comme personne envers laquelle l’État partie avait des obligations en matière de protection. L’agent chargé du réexamen n’a pas estimé que le requérant était un témoin fiable, crédible et de bonne foi. Il a tenu compte, en particulier, de l’argument du requérant selon lequel sa capacité à exposer ses griefs et à soumettre des éléments de preuve avait été entravée par toute une série de facteurs, notamment les services d’interprétation fournis et les effets psychologiques de son parcours périlleux ; des orientations données par le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du HCR, dans lequel il est conseillé de ne pas accorder un poids excessif à une certaine confusion et à de possibles omissions dans les récits faits aux divers stades de l’examen de la demande de statut de réfugié ; d’un rapport sur les tortures et traumatismes dans lequel il était conclu que le fonctionnement cognitif du requérant était normal ; des entretiens menés avec le requérant et de communications écrites soumises par lui, dans lesquelles aucune référence n’avait été faite à des erreurs commises par les interprètes ; du récit fait par le requérant lors de l’entretien qu’il a eu dans le cadre du deuxième réexamen indépendant au fond, pendant lequel il s’est exprimé clairement et a fait preuve d’une bonne compréhension, et auquel il a pu participer activement. Eu égard aux conseils donnés par le HCR, l’agent chargé du réexamen n’a accordé aucun poids aux incohérences relevées lors de l’entretien d’entrée et ne les a pas même évoquées. L’agent a toutefois estimé que le requérant avait modulé ses déclarations en fonction de ses besoins, que des incohérences subsistaient concernant des questions fondamentales et que nombre d’affirmations étaient invraisemblables et présentaient des incohérences.

4.11L’agent chargé du réexamen indépendant au fond n’a pas apporté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été arrêté par la police judiciaire après avoir fait une demande de visa pour se rendre en Australie car il était soupçonné d’être un partisan des LTTE. Le récit fluctuant du requérant sur les circonstances qui l’ont amené à faire une demande de visa, récit qu’il a répété trois fois au cours d’entretiens précédents et qu’il a ensuite changé, ne cadre pas avec son affirmation selon laquelle les décideurs précédents avaient mal compris ses déclarations. Sa version modifiée des événements contredisait son allégation selon laquelle un membre du personnel de la Haute Commission australienne devait être un informateur de la police judiciaire. Son récit présentait également des incohérences quant à la question de savoir s’il connaissait le « ministre » qui l’avait aidé à faire sa demande de visa. Considérées dans leur ensemble, ces incohérences, ainsi que le profil professionnel du requérant, n’accréditaient pas l’affirmation du requérant selon laquelle sa demande de visa avait conduit à son arrestation par la police judiciaire parce qu’il était soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE.

4.12S’agissant de l’extrait du rapport de police déposé auprès du tribunal à Colombo, l’État partie indique que l’agent chargé du réexamen indépendant au fond n’a pas considéré que celui-ci avait plus de poids que les problèmes présentés par les éléments de preuve apportés par le requérant. Le requérant a mis en relief le passage dont il prétend qu’il se rapporte à lui mais a déclaré que son nom avait été mal orthographié. Un reçu a également été fourni, que le requérant a affirmé être la preuve du fait qu’il avait payé pour obtenir un extrait du procès-verbal d’audience. Ce procès-verbal et ce reçu n’avaient pas été produits précédemment, bien que le reçu fût daté du 11 juin 2011, ce que le requérant a attribué au fait que l’agent chargé de son dossier ne l’avait pas demandé. L’agent chargé du réexamen n’a pas estimé que les documents portaient sur le requérant et, par conséquent, ne leur a accordé aucun poids.

4.13Au cours de l’entretien tenu dans le cadre du deuxième réexamen indépendant au fond, le requérant a également prétendu, pour la première fois, qu’il avait apporté un appui financier aux LTTE. Interrogé sur la raison pour laquelle il n’en avait pas fait état avant, il a expliqué que des personnes au centre de détention lui avaient déconseillé de le faire. Cependant, l’agent chargé du réexamen a relevé que le requérant avait eu accès à un agent des services d’immigration tout au long des procédures. L’agent chargé du réexamen n’a pas considéré comme établi que le requérant avait été enlevé par le groupe Karuna ou par quelque autre groupe paramilitaire que ce soit, compte tenu des incohérences dans ses déclarations concernant la méthode par laquelle il avait été enlevé, qui l’avait enlevé et la manière dont il s’était évadé et avait quitté Sri Lanka. Concernant les incohérences dans son récit quant à qui l’avait enlevé, le requérant a indiqué qu’il était difficile de distinguer entre tous les groupes. En outre, l’agent chargé du réexamen n’a pas estimé que le requérant aurait pu ne pas avoir identifié un groupe qui avait tenté de l’endoctriner pendant trois mois. Le requérant a également affirmé que sa déclaration selon laquelle il avait été enlevé par les LTTE était une erreur de la part du premier interprète. Il a maintenu avec insistance qu’il avait essayé de dissiper ce malentendu à l’entretien suivant. Lorsqu’il a été souligné que cela n’était pas indiqué dans le procès-verbal de cet entretien, le requérant a déclaré que d’autres détenus lui avaient conseillé de ne pas révéler l’identité du groupe car cela lui vaudrait des ennuis. Il n’a pas été accordé foi à cette explication.

4.14L’explication donnée par le requérant quant au moyen par lequel il s’est évadé du camp a été jugée invraisemblable et contradictoire, comme l’a été son explication concernant le lieu où il s’est rendu par la suite et le moment où il a obtenu son passeport. Lorsque le requérant a été mis en face de ces contradictions, il a nié les déclarations qu’il avait faites précédemment, lesquelles avaient été consignées. Au terme de son réexamen, l’agent a conclu que le requérant, à son retour, ne courrait pas de risque de subir des mauvais traitements en raison de son statut de demandeur d’asile débouté. En examinant les éléments de preuve présentés par le requérant, il a acquis la conviction que le requérant n’avait rencontré aucune difficulté lorsqu’il était revenu à Sri Lanka après avoir été expulsé de Singapour, en 2008. L’agent chargé du réexamen a pris en considération des informations sur le pays indiquant que les personnes qui y retournaient étaient peu susceptibles de rencontrer des difficultés importantes si elles n’avaient pas le profil d’une personne ayant pu avoir commis une infraction grave ou être liée aux LTTE. Il était conscient que le requérant serait soumis à un contrôle de routine à l’aéroport mais a estimé que cela ne lui causerait pas un préjudice important.

4.15Le 4 juillet 2012, le requérant a fait appel de la décision rendue par l’agent chargé du réexamen indépendant au fond, invoquant trois motifs, tous liés au rejet de son affirmation selon laquelle il avait été arrêté par la police judiciaire en 2006. Le Tribunal fédéral a rejeté la conclusion du mémoire d’appel, selon laquelle l’agent chargé du réexamen n’avait pas pris en considération la détention alléguée du requérant par la police judiciaire en 2006. Le requérant affirmait qu’il n’avait pas eu la possibilité de formuler des observations sur la question de savoir si les documents judiciaires, s’ils étaient authentiques, se rapportaient bien à lui. Le Tribunal a rejeté cet argument, soulignant que le requérant avait eu la possibilité d’assister à une audience et de soumettre des éléments supplémentaires pour établir que son nom avait été mal orthographié dans le procès-verbal d’audience, mais qu’il ne l’avait pas fait. En tout état de cause, d’autres éléments suscitaient des doutes sur la réalité de sa détention par la police judiciaire. Le troisième motif d’appel concernait le fait que l’agent chargé du réexamen n’aurait pas accordé le poids voulu aux documents judiciaires en tant qu’éléments corroborant les affirmations du requérant. À cet égard, le tribunal a estimé que l’agent, compte tenu de ses doutes quant à la crédibilité de ces documents, était habilité à conclure que ceux-ci ne se rapportaient pas au requérant et à ne leur accorder aucun poids en tant qu’éléments de preuve corroborants.

4.16L’État partie ajoute que le recours formé par le requérant le 2 août 2013 a été rejeté par le Tribunal fédéral le 4 décembre. Ce recours était fondé sur l’affirmation selon laquelle l’agent chargé du réexamen indépendant au fond avait privé le requérant de son droit à l’équité procédurale en omettant de l’informer du fait qu’il pourrait conclure que le rapport soumis par la police à un tribunal à Colombo était authentique mais ne concernait pas le requérant. En conséquence, le requérant faisait valoir que l’agent ne lui avait pas donné la possibilité de présenter des observations supplémentaires sur ce point.

4.17Le Tribunal fédéral a convenu que la question déterminante, dont la décision de l’agent chargé du réexamen était susceptible de dépendre, était celle de savoir si le requérant avait été arrêté et détenu par la police judiciaire, et que l’agent était donc tenu d’y rendre le requérant attentif. Le Tribunal a estimé qu’il ne faisait pas de doute que l’attention du requérant avait été attiré sur cette situation, et, en particulier, sur le fait que l’agent pourrait conclure que le document judiciaire ne portait pas sur lui. L’avocat du requérant et l’agent des services d’immigration chargé de son dossier étaient conscients du fait que la graphie fautive du nom du requérant posait problème. Il s’est vu offrir la possibilité, dont il s’est prévalu, de soumettre des pièces écrites sur la question. Les pièces écrites ont été examinées par l’agent chargé du réexamen, et le représentant du requérant a en outre été invité à fournir des observations supplémentaires. La conclusion de l’agent concernant la question du document judiciaire était fondée sur « une appréciation [du document] qui s’imposait et coulait de source » et sur les insuffisances intrinsèques et manifestes de ce document. De ce fait, le Tribunal n’était pas convaincu qu’il y avait eu un quelconque manque d’équité procédurale. À cet égard, le Tribunal a souligné que le requérant n’avait pas soutenu, dans son recours, que l’agent chargé du réexamen n’était pas habilité à accorder peu ou pas de poids au document judiciaire produit par le requérant, compte tenu des problèmes constatés s’agissant de cet élément de preuve.

4.18L’État partie a rappelé que, le 15 août 2014, la High Court d’Australie avait rejeté la demande d’autorisation spéciale d’interjeter appel de la décision du Tribunal fédéral d’Australie réuni en formation plénière soumise par le requérant parce qu’elle n’avait relevé aucune question de principe qui justifierait l’octroi d’une telle autorisation.

4.19Le 2 septembre 2014, le requérant a sollicité une intervention ministérielle au titre des articles 417 et 48B de la loi de 1958 relative aux migrations, afin que le Ministre l’autorise à faire une demande de visa de protection comme il peut le faire si cela est dans l’intérêt public. L’État partie a expliqué qu’une demande d’intervention peut être soumise au Ministre pour examen si elle comporte des informations supplémentaires susceptibles d’accroître les chances de l’intéressé de faire une demande de protection qui soit acceptée. Aussi, les griefs du requérant ont fait l’objet d’un nouvel examen complet par un délégué du Ministre adjoint de l’immigration et de la protection des frontières. Le délégué a estimé que la demande d’intervention ministérielle du requérant ne comportait aucune information supplémentaire susceptible d’accroître ses chances de voir sa demande de visa de protection aboutir. L’État partie a indiqué que le requérant avait fourni, pour la première fois, une lettre du greffier d’une magistrates ’ court datée du 1er septembre 2014, attestant que son nom avait été mal orthographié dans le procès-verbal d’audience. Le requérant avait également fourni une lettre d’un député du district de Batticaloa reprenant l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été victime de persécution par la police judiciaire et le groupe Karuna. Le délégué a estimé que, compte tenu du problème de la crédibilité du requérant, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières ne devait accorder aucun poids à ces documents. Le représentant n’a pas transmis l’affaire au Ministre pour examen car aucun des renseignements fournis n’était susceptible d’accroître les chances du requérant de voir sa demande de visa de protection aboutir.

4.20L’État partie fait valoir que pour les raisons exposées ci-dessus, les griefs du requérant sont irrecevables et/ou dénués de fondement.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 2 février 2016, le requérant a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Le requérant affirme qu’ayant apporté un commencement de preuve, il s’est conformé à l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité. Sa communication n’est donc pas irrecevable ni dénuée de fondement.

5.3 En ce qui concerne le deuxième réexamen indépendant au fond, l’une des principales allégations de l’auteur était qu’il avait été détenu à deux reprises parce qu’il était un partisan des LTTE. L’agent chargé du réexamen a jugé que cette affirmation n’était pas crédible en raison d’une incohérence, que le requérant qualifie de mineure, dans la formulation de sa déclaration, à savoir qu’il a d’abord déclaré avoir été témoin du dépôt de sa demande de visa, et qu’ultérieurement il a affirmé qu’il était dans une voiture et qu’il avait regardé une autre personne entrer dans les locaux de la Haute Commission australienne pour déposer sa demande. Le requérant fait valoir qu’il s’agit là d’une question d’ordre purement sémantique et que dire que l’on a regardé quelqu’un qui était sur le point de déposer une demande en son nom et dire que l’on a été témoin du dépôt de sa demande de visa ne sont pas deux affirmations contradictoires.

5.4L’agent chargé du réexamen a également évoqué la déclaration du requérant selon laquelle il avait eu un informateur à la Haute Commission australienne, affirmant que cela ne cadrait pas avec le fait qu’il ne savait pas personnellement si sa demande de visa avait été déposée. Le requérant affirme qu’il n’y a pas d’incohérence dans ses propos. Son affirmation selon laquelle le fait qu’il ait été arrêté par la police judiciaire donnait à penser qu’il pouvait y avoir eu un informateur au sein de la Haute Commission n’était qu’une supposition, et il pourrait bien y avoir eu un autre motif pour son arrestation, tel que son appartenance à un groupe social ou les paiements effectués aux LTTE. Le requérant fait valoir que même si ses affirmations concernant la Haute Commission australienne étaient jugées contradictoires, son arrestation par la police judiciaire est une question distincte.

5.5En ce qui concerne les incohérences supposées dans les déclarations du requérant concernant la question de savoir si le « ministre » dont il a été question était véritablement un ministre chargé de Negombo et si le requérant s’était rendu à son bureau, celui-ci affirme qu’on lui avait dit que cette personne était « un ministre » et qu’il a supposé qu’il était « chargé de Negombo ».

5.6L’agent chargé du réexamen a indiqué que le requérant n’avait pas fourni les documents judiciaires immédiatement après les avoir obtenus. Le requérant affirme que son précédent représentant l’avait mal conseillé concernant la question de savoir s’il était nécessaire de produire ces documents à titre de preuve. En outre, au moment où les éléments de preuve ont été obtenus, l’affaire était en instance devant le tribunal, de sorte que de nouveaux éléments de preuve ne pouvaient pas être soumis. Le requérant a demandé au Comité de procéder à une vérification du document auprès des autorités sri-lankaises. Le requérant appelle l’attention du Comité sur la déclaration faite par un greffier, à laquelle l’agent chargé du deuxième réexamen n’avait pas eu accès, par laquelle il confirmait l’authenticité de l’acte d’accusation et expliquait la graphie fautive de son nom.

5.7L’agent chargé du réexamen a en outre conclu que les déclarations du requérant concernant l’identité de ses ravisseurs présentaient des incohérences. Le requérant fait valoir que les noms « Tigres de libération de l’Eelam tamoul » (Tamiḻīḻa viṭutalaip pulikaḷ) et « Tamil Makkal Viduthalai Pulikal » sont très similaires en langue tamoule en raison du mot « tigre » (pulikal), et qu’une erreur avait été commise par son premier interprète. Ces groupes sont tous deux tamouls et étaient unis avant que le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal ne fasse sécession. Cette situation peut être source de confusion même pour les Tamouls.

5.8S’agissant du fait que lors des précédents entretiens il n’avait pas fait état de la question des paiements qu’il avait été contraint de faire aux LTTE, le requérant maintient que c’est parce que ces paiements n’étaient pas la principale raison pour laquelle il craignait qu’on lui fasse du mal ; il pensait que son enlèvement était lié à sa demande de visa.

5.9Le requérant évoque la question des incohérences dans le récit de son évasion du camp du groupe Karuna, en 2008. Il affirme qu’il a toujours déclaré qu’il y avait plusieurs gardiens. Par la suite, il a précisé qu’il n’y avait qu’un gardien dans les environs immédiats au moment de son évasion. Il n’a jamais déclaré que les gardiens étaient tous allés aux toilettes en même temps. Il affirme que l’agent chargé du premier réexamen indépendant au fond a laissé entendre que c’était ce qu’il avait dit, et qu’on ne lui a jamais donné l’occasion de s’expliquer sur ce point. Il a apporté des éclaircissements sur ce point à l’agent chargé du deuxième réexamen, et il nie que ce faisant il a modifié son récit.

5.10Le requérant évoque également la conclusion de l’agent chargé du deuxième réexamen indépendant au fond selon laquelle son récit de la manière dont il avait obtenu son passeport était contradictoire puisque pendant l’entretien tenu dans le cadre du premier réexamen indépendant au fond il avait indiqué qu’il avait obtenu son passeport légalement, en 2006, tandis que lors du deuxième réexamen il avait dit avoir reçu son passeport après sa détention, en 2008. Le requérant affirme qu’il s’agit d’une interprétation erronée de ses déclarations. Il soutient qu’il ne s’agissait pas des mêmes passeports. Le premier passeport avait été obtenu légalement aux fins de sa demande de visa et le deuxième avait été obtenu illégalement après son évasion du camp du groupe Karuna.

5.11Le requérant rappelle que dans son observation générale no 1 (1997), le Comité a précisé qu’il n’était pas lié par les constatations de fait des États parties. Il fait valoir que les incohérences supposées dans son récit sont négligeables ou justifiées et que l’on n’aurait pas dû leur accorder un poids tel que l’on ne tienne pas compte des documents judiciaires qui corroborent son récit. Le requérant demande donc au Comité de ne pas faire siennes les conclusions de l’agent chargé du deuxième réexamen et de considérer son récit concernant sa détention comme véridique.

5.12Le requérant affirme que l’agent chargé du deuxième réexamen ne lui a jamais indiqué qu’elle ne considérait pas comme authentique le procès-verbal d’audience dans lequel son nom était mal orthographié. Il n’a eu connaissance de cette incohérence qu’après que cet agent a rendu sa décision, ce après quoi il a demandé à sa femme d’obtenir auprès du tribunal des preuves corroborantes expliquant la graphie fautive de son nom. Son épouse a ensuite obtenu du greffier du tribunal de la Magistrates ’ Court de Kalumnai une lettre dans laquelle il certifiait que le requérant avait été soupçonné et accusé de participation aux activités des LTTE et expliquait la graphie fautive de son nom sur l’acte d’accusation. Elle a également obtenu une lettre d’un membre du Parlement corroborant les affirmations du requérant concernant sa détention et son enlèvement.

5.13Le requérant demande donc instamment au Comité de vérifier l’authenticité de ces documents. Il affirme que ceux-ci corroborent ses affirmations et ont plus de poids que les éventuelles petites incohérences qui ont conduit à conclure que son récit manquait de crédibilité. Les documents susmentionnés proviennent tous deux de sources crédibles et vérifiables. Le requérant ne s’est pas vu offrir la possibilité de les soumettre à l’agent chargé du deuxième réexamen indépendant au fond.

5.14Pour ce qui est du contrôle juridictionnel du deuxième réexamen indépendant au fond, le tribunal n’a compétence que pour statuer sur des erreurs de droit, des erreurs de compétence ou un déni d’équité procédurale ; il ne peut pas apprécier les éléments de preuve ou se prononcer sur le fond. Le tribunal ne pouvait pas examiner de nouvel élément de preuve qui n’avait pas été soumis à l’agent chargé du réexamen indépendant au fond, et il ne pouvait pas non plus remettre en question la conclusion de l’agent concernant la crédibilité du requérant, qui revêtait un caractère hautement discrétionnaire.

5.15Le requérant affirme qu’ayant fait une demande de dérogation au titre de l’article 48B de la loi de 1998 relative aux migrations afin de pouvoir déposer une nouvelle demande de visa de protection et ayant saisi le Ministre d’une demande au titre de l’article 417 de la loi relative aux migrations, dans laquelle il demandait qu’une décision plus favorable soit rendue pour motifs humanitaires et circonstances exceptionnelles, il a épuisé tous les recours internes. Ces procédures sont les seules procédures internes qui permettent de prendre de nouveaux éléments de preuve en considération. Les décisions quant à l’opportunité de transmettre une demande au Ministre sont prises de manière entièrement discrétionnaire et sans que soit appliquée quelque norme juridique que ce soit; il s’ensuit qu’elles ne sont pas susceptibles de contrôle. En fait la requête présentée en vertu de l’article 48B n’a jamais été examinée par le Ministre, comme le délégué a le pouvoir discrétionnaire d’en décider sans donner de raison. L’État partie indique toutefois, dans ses observations, que le délégué du Ministre adjoint a estimé que les nouveaux éléments de preuve produits n’étaient pas susceptibles d’accroître les chances du requérant de voir sa demande de visa de protection aboutir, raison pour laquelle elle n’a pas été transmise au Ministre.

5.16À cet égard, le requérant soutient que le délégué a commis une erreur en ne transmettant pas sa requête au Ministre car les nouvelles preuves corroboraient solidement ses affirmations, provenaient d’une source crédible et auraient pu être contrôlées. Le requérant ajoute que le délégué ne saurait justifier le fait de n’avoir accordé aucun poids aux nouveaux éléments de preuve pour des questions de crédibilité car ces éléments remettaient directement en cause toute décision concluant à un manque de crédibilité. Le requérant soutient donc énergiquement que la décision de ne pas transmettre sa demande au Ministre a éliminé la seule possibilité que les éléments de preuve nouveaux soient pris en considération et que l’ensemble de son récit soit réexaminé à la lumière de ceux-ci. Il s’en est ensuivi que le requérant s’est trouvé, de manière injustifiée, sous le coup de la menace d’un retour à Sri Lanka et, partant, d’être persécuté, notamment d’être torturé.

5.17La requête soumise en vertu de l’article 417 a également été rejetée sans explication. Dans ce cas également, il n’y a pas d’obligation d’examiner la demande, et la procédure ayant un caractère discrétionnaire, elle n’est pas susceptible de contrôle.

5.18Le requérant affirme que lorsque l’on contrôlera ses antécédents à l’aéroport, les autorités sri-lankaises prendront à tout le moins connaissance de sa comparution en 2006 et de son casier judiciaire. En outre, son interprète au Timor-Leste était un agent sri-lankais, et il pourrait avoir informé les autorités sri-lankaises de ses allégations.

5.19Le requérant affirme que les informations les plus récentes sur le pays montrent que les jeunes hommes tamouls soupçonnés de participation aux activités des LTTE courent personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture à leur retour à Sri Lanka, comme cela a déjà été indiqué dans sa lettre initiale au Comité. Il renvoie également à un reportage de la British Broadcasting Corporation (BBC), dans lequel sont présentés des témoignages de personnes qui ont été victimes de détention, de torture ou de viol collectif par des membres des forces de sécurité, notamment sous le Gouvernement du Président Sirisena. International Truth and Justice Project fait également état d’allégations persistantes selon lesquelles des actes de torture et des enlèvements dans une « fourgonnette blanche » continuent d’être commis malgré le changement de gouvernement.

5.20En conclusion, le requérant fait valoir que sa communication est recevable et fondée et que toute tentative de l’expulser constituerait une violation des obligations qui incombent à l’État partie en vertu de la Convention. En particulier, le Comité ne doit pas considérer la deuxième décision rendue au terme du réexamen indépendant au fond comme adéquate et définitive car les nouveaux éléments de preuve corroborent indéniablement les allégations du requérant. Les nouveaux documents apportent la preuve incontestable du fait que le requérant a été accusé de participation aux activités des LTTE et qu’il est donc probable qu’il en soit soupçonné à son retour dans le pays. Les informations sur le pays communiquées montrent que les hommes tamouls ont de fortes chances d’être soumis à la torture à leur retour à Sri Lanka.

Observations complémentaires de l’État partie sur les commentaires de l’auteur

6.1Dans une note verbale en date du 20 mai 2016, l’État partie a formulé des observations sur les commentaires de l’auteur.

6.2L’État partie maintient que le requérant a donné plusieurs versions différentes des faits concernant sa demande de visa australien et que, malgré l’évolution du récit concernant les circonstances entourant sa demande, le requérant n’a fourni aucune preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle le Gouvernement sri-lankais s’intéresserait à lui pour la seule raison qu’il a demandé ce visa.

6.3S’agissant des allégations du requérant selon lesquelles il avait un informateur à la Haute Commission australienne et il a été détenu par la police judiciaire, l’État partie affirme que le requérant n’a fourni aucun renseignement ou élément de preuve pour étayer l’affirmation selon laquelle il a été détenu en raison de son sexe, qu’aucune information sur le pays ne vient corroborer une telle affirmation et que, par conséquent, il ne considère pas que celle-ci soit crédible.

6.4L’État partie fait valoir que même s’il était admis que la police judiciaire avait arrêté le requérant pour une raison quelconque, elle ne l’a pas recherché lorsqu’il est retourné à son village, Kalmunai, à la fin de 2006, ce qui indique que depuis dix ans elle ne s’est pas intéressée à lui. L’État partie reprend donc la conclusion du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières selon laquelle n’y pas de preuve suffisante à l’appui de l’affirmation selon laquelle le requérant risquerait d’être soumis à la torture à Sri Lanka.

6.5L’État partie estime qu’il n’est pas plausible que la police judiciaire l’ait remis en liberté si elle le soupçonnait d’être un terroriste.

6.6En ce qui concerne les documents judiciaires produits par le requérant, l’État partie confirme qu’ils ont été examinés le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, qui a conclu qu’ils n’étayaient pas l’affirmation selon laquelle il y avait des raisons nouvelles et crédibles de penser que le requérant courrait le risque d’être torturé à Sri Lanka. L’agent qui a procédé à l’examen n’a accordé aucun poids au document car les affirmations du requérant ont été jugées illogiques et incohérentes.

6.7L’État partie fait valoir en outre que les griefs du requérant ont également été examinés par la Federal Magistrates ’ Court et par le Tribunal fédéral réuni en formation plénière, lequel a réexaminé l’affaire, le requérant soutenant que l’agent chargé du réexamen indépendant au fond l’avait privé d’« équité procédurale en ne l’informant pas du fait qu’il était possible qu’il juge qu’un document sri-lankais produit par l’appelant [...] pourrait ne pas concerner l’appelant ». Le Tribunal fédéral réuni en formation plénière est parvenu à la conclusion que « les informations figurant dans le document présentent des insuffisances manifestes qui ont été reconnues par les avocats de l’appelant comme par les agents des services d’immigration lorsqu’elles ont été présentées », et qu’« il incombait à l’appelant de convaincre l’agent chargé du réexamen que le document portait sur lui malgré le fait qu’à première vue ce n’était pas le cas, et d’étayer l’affirmation selon laquelle la graphie était fautive ». Le Tribunal fédéral réuni en formation plénière a également pris en considération le fait que l’agent chargé du réexamen était parvenu à la conclusion, indépendamment du document judiciaire, que la police judiciaire ne s’intéressait plus au requérant.

6.8L’État partie affirme que les affirmations du requérant ont fait l’objet d’un examen approfondi à tous les stades de la procédure d’évaluation de la demande de statut de réfugié comme du contrôle juridictionnel. Le requérant n’a fourni aucun élément de preuve ou renseignement supplémentaire pour étayer son argument selon lequel ce document prouve qu’il a été arrêté par la police judiciaire. Afin d’être tout à fait complet, l’État partie indique que le Ministère de l’immigration et de la protection du territoire a lui-même examiné le document et qu’il a conclu que son authenticité, et, partant, sa validité en tant que preuve de l’arrestation du requérant par la police judiciaire étaient contestables. A priori, sans l’original, il n’est pas possible de déterminer si le document soumis est une traduction d’un document authentique. Cependant, des incohérences dans les dates, le type de police de caractères et le formatage de ce document indiquent que des éléments y ont été ajoutés ou supprimés ou ajoutés par-dessus d’autres éléments de ce qui avait pu être la copie d’une traduction authentique. En outre, le tampon du traducteur à la deuxième page est partiellement masqué, ce qui est un élément supplémentaire tendant à prouver que ce document n’est pas l’original et qu’il a été modifié.

6.9En ce qui concerne le document soumis pour certifier qu’il y avait une faute d’orthographe dans le document judiciaire évoqué ci-dessus, bien qu’il émane prétendument de la Magistrates ’ Court, rien n’indique qu’il ait été traduit ou copié, et, par conséquent, on peut raisonnablement supposer qu’il s’agit d’un document original. Toutefois, cette lettre ne comporte pas d’en-tête officiel et le nom du signataire n’est pas imprimé, de sorte qu’elle ne contient aucun élément permettant d’en déterminer l’origine. L’État partie affirme que ces omissions font que la teneur du document est douteuse et qu’elle n’est pas confirmée par les éléments figurant habituellement sur une lettre émanant d’une institution publique. Par conséquent, l’État partie n’accorde aucun poids à la teneur de cette lettre comme preuve du fait qu’un document judiciaire authentique comporte une faute d’orthographe ou que le requérant a des liens avec les LTTE ou a été arrêté.

6.10L’État partie évoque également la lettre de PackiyaselvamAriyanethiran (membre du Parlement) soumise par le requérant, qui reprend les affirmations du requérant. Compte tenu de l’absence d’éléments de preuves supplémentaires et des raisons susmentionnées de ne pas accorder foi à ces affirmations, l’État partie estime que la lettre de M. Ariyanethiran ne constitue pas en soi un élément de preuve suffisant pour étayer l’affirmation selon laquelle le Gouvernement sri-lankais s’intéresse actuellement à l’auteur. Par conséquent, il estime qu’il n’y a pas de raison crédible de penser que la police judiciaire s’est intéressée au requérant par le passé ou qu’elle s’y intéresse actuellement, ni d’élément permettant de l’affirmer.

6.11L’État partie revient sur l’affirmation du requérant selon laquelle c’était une erreur d’interprétation qui avait conduit l’agent chargé du deuxième réexamen indépendant au fond à conclure que ses allégations n’étaient pas crédibles parce qu’il ne pouvait pas identifier ses ravisseurs. Même s’il était accordé foi à ces allégations, l’agent chargé de ce réexamen a considéré qu’elles avaient été enjolivées au fil du temps.

6.12L’État partie évoque l’affirmation du requérant selon laquelle il n’a pas initialement fait état de l’appui financier qu’il avait apporté aux LTTE car ce n’était pas la principale raison pour laquelle il craignait qu’il lui soit fait du mal et il pensait que la principale raison pour laquelle il pouvait le craindre était le fait qu’il avait demandé un visa australien. Il rappelle également que pendant le deuxième réexamen indépendant au fond, le requérant a indiqué que la raison en était que d’autres personnes dans le centre de détention pour immigrants lui avaient dit qu’avoir apporté un tel soutien lui vaudrait des ennuis. L’État partie affirme qu’il est illogique que le requérant craigne qu’on lui fasse du mal en raison de la question du visa et non pour les contributions financières apportées. Il n’accorde pas foi à l’affirmation du requérant selon laquelle ce n’est que récemment qu’il a pris conscience des risques qu’entraînait le fait d’apporter un appui financier aux LTTE.

6.13Concernant la question de l’évasion du requérant du camp du groupe Karuna et des incohérences de son récit s’y rapportant, l’État partie considère qu’en tout état de cause il est hautement improbable que le groupe Karuna se soucie encore de son évasion d’un camp en 2008. Compte tenu du fait que le requérant ne présente pas de profil particulier et du temps écoulé, l’État partie conclut qu’aucun élément ne vient étayer l’affirmation selon laquelle le requérant serait soupçonné de liens avec les LTTE et courrait le risque de subir un préjudice s’il était renvoyé à Sri Lanka.

6.14S’agissant de la question du passeport du requérant, l’État partie souligne que le requérant, dans son entretien d’entrée, a affirmé qu’il s’était rendu à Singapour et au Timor‑Leste avec un passeport authentique. Il est indiqué dans la décision prise à l’issue du premier réexamen indépendant au fond que le requérant a déclaré à l’agent chargé de ce réexamen qu’il avait voyagé depuis Sri Lanka avec son propre passeport. Pendant le deuxième réexamen indépendant au fond, il a déclaré qu’il avait rempli les formulaires et qu’il les avait donnés, ainsi que des photos, à son ami, et qu’il n’était pas certain que le passeport qu’il avait reçu était un document authentique. Il a nié avoir dit qu’il l’avait obtenu légalement. Le requérant a affirmé que, lorsqu’il est retourné à Sri Lanka, on l’a aidé à franchir les contrôles de sécurité. L’État partie considère qu’il n’y a aucune raison de penser que le requérant suscitait l’intérêt des autorités au point qu’une telle aide était nécessaire ou que si c’était le cas il avait des contacts qui lui permettraient de ne pas être inquiété. Le deuxième réexamen indépendant au fond a débouché sur la conclusion que le requérant avait quitté Sri Lanka et y était revenu légalement, avec son propre passeport et sans que cela ait de conséquences, et que les autorités sri-lankaises ne s’intéressaient donc pas à lui. L’État partie n’ajoute pas foi à l’affirmation selon laquelle il a quitté le pays illégalement et maintient qu’aucun élément l’étayant n’a été produit.

6.15Pour ce qui est de l’affirmation du requérant selon laquelle en tant que jeune homme tamoul de la province de l’Est, il serait exposé au risque d’être persécuté, l’État partie estime que la situation du pays est maintenant stable et que le requérant n’a apporté aucune information susceptible de modifier la conclusion sur laquelle a débouché le deuxième réexamen indépendant au fond, à savoir que de ce fait il ne courrait pas le risque de subir un préjudice.

6.16Enfin, même s’il était accordé foi à toutes les affirmations du requérant, le traitement dont il a fait l’objet ne met pas, en soi, nécessairement en jeu les obligations en matière de non-refoulement qui incombent à l’Australie en vertu de la Convention. Le requérant ne présentait pas, que ce soit avant ou après son départ de Sri Lanka, un profil susceptible d’attirer sur lui l’attention du Gouvernement ou du groupe Karuna et de lui faire ainsi courir le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka.

Demande de levée des mesures provisoires soumise par l’État partie

7.Par une note verbale en date du 28 juillet 2016, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires compte tenu des procédures internes menées et des conclusions auxquelles il a été parvenu, qui ont été décrites dans les précédentes communications de l’État partie.

Commentaires du requérant sur les observations complémentaires de l’État partie

8.1Le représentant du requérant a soumis des commentaires complémentaires le 29 août 2016.

8.2S’agissant du dépôt de sa demande de visa à la Haute Commission australienne, le requérant affirme une nouvelle fois que les récits qu’il en a fait sont cohérents et que les différences qu’ils pourraient présenter sont d’ordre purement sémantique. Il réaffirme que ses propos concernant un possible informateur n’étaient que des suppositions faites en partant du principe que sa demande de visa avait été déposée et qu’ils ne présentent donc pas d’incohérence.

8.3Le requérant fait valoir que l’État partie a mal interprété sa déclaration concernant son sexe. Il n’a fait que supposer qu’une autre raison possible de son arrestation par la police judiciaire était qu’il était soupçonné de participation aux activités des LTTE, comme l’étaient de nombreux jeunes hommes tamouls, de sorte que son sexe était un facteur parmi d’autres.

8.4Le requérant précise qu’il a été remis en liberté par le tribunal à la condition qu’il se présente à la police judiciaire. Ce n’est donc pas de son plein gré que la police judiciaire l’a remis en liberté. Le requérant tient en outre à préciser qu’après avoir été tenu de se présenter pendant plus d’un an à la police judiciaire après sa libération, celle-ci a pris contact avec sa famille après son évasion de Sri Lanka. Il affirme que cela ne s’explique pas uniquement par les informations recueillies il y a dix ans de cela, mais aussi par le fait qu’il a échappé au contrôle d’agents du Gouvernement et a fui Sri Lanka illégalement.

8.5Pour ce qui est de l’extrait de procès-verbal d’audience, le requérant affirme que l’agent chargé du deuxième réexamen indépendant au fond ne lui a jamais indiqué que l’authenticité du document était mise en doute. Le fait que les documents produits pour étayer ses arguments ne pouvaient pas être pris en considération pour l’intérêt intrinsèque qu’ils présentaient sur le fond, et, partant, qu’ils ne pouvaient pas avoir d’incidence sur la décision ultérieure prise quant à sa crédibilité dénote une insuffisance du système australien de contrôle juridictionnel. Une copie de la photocopie originale de l’extrait du procès‑verbal d’audience (dont le requérant joint également une copie) avait été envoyée à l’agent chargé du réexamen indépendant au fond, de sorte que la traduction pouvait être contrôlée. En raison de problèmes avec la photocopie envoyée, le requérant a envoyé une autre photocopie de l’extrait obtenue ultérieurement aux fins de la communication, extrait établi le 25 juillet 2015.

8.6Le requérant affirme qu’il pensait réellement être recherché par la police judiciaire pour des motifs liés à sa tentative d’obtenir un visa australien, de nombreux membres des LTTE fuyant le pays à l’époque. La contribution financière était faite sous la contrainte, un phénomène courant bien connu de la police judiciaire. C’est pourquoi sa supposition que le motif de sa détention était lié à la demande de visa était justifiée.

8.7En ce qui concerne son évasion du camp du groupe Karuna, le requérant affirme qu’elle fait peser une menace réelle. Les documents montrent qu’il a été accusé d’avoir des liens avec les LTTE, et son évasion du camp aggrave le risque qu’il courrait.

8.8S’il reconnaît que dans son entretien d’entrée il a déclaré à tort que son passeport était authentique, le requérant affirme que c’était en raison du rythme rapide auquel l’entretien était mené et du caractère déconcertant de celui-ci. Dans le premier réexamen indépendant au fond, il lui a été demandé s’il avait voyagé avec son passeport (et non pas si le passeport avait été obtenu légalement). Il affirme donc que la formulation des questions était trompeuse si celles-ci visaient à déterminer si le passeport avait été obtenu légalement.

8.9En conclusion, le requérant affirme que les détentions dont il a fait l’objet dans le passé, sa comparution devant un tribunal, son sexe, son appartenance ethnique et le fait qu’il a quitté Sri Lanka illégalement montrent qu’il est soupçonné de liens avec les LTTE et qu’il le serait à son retour à Sri Lanka, et que, par conséquent, l’y renvoyer constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé toutes les voies de recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que tous les recours internes avaient été épuisés. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

9.3Le Comité rappelle également que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement infondée faute d’être suffisamment étayée. Il considère néanmoins que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au titre de l’article 3 de la Convention, et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) concernant l’article 22 (refoulement et communications), où il est indiqué que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1 (1997), il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

10.4Afin d’apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka en raison de ses liens qu’on lui prête avec les LTTE, de son appartenance à un groupe social et ethnique déterminé, de la détention dont il aurait fait l’objet par la police et des actes de torture qui lui auraient été infligés par celle-ci en 2006 après qu’il avait tenté de quitter le pays, des poursuites devant un tribunal dont il aurait fait l’objet du chef de terrorisme, de son évasion d’un camp dirigé par des éléments progouvernementaux et de son départ illégal de Sri Lanka. Le Comité prend également note de ce que l’État partie a indiqué que ses autorités nationales avaient conclu que le requérant n’était pas crédible en raison d’incohérences dans son récit des faits survenus avant et après son départ de Sri Lanka ; que le requérant n’avait pas produit d’élément de preuve crédible, ni démontré qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka ; que les affirmations du requérant avaient été examinées par les autorités nationales compétentes, conformément à la législation nationale, en tenant compte de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka ; que les autorités nationales n’étaient pas convaincues que le requérant relevait la catégorie des personnes ayant droit à une protection en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés.

10.5Le Comité prend note de l’extrait de procès-verbal d’audience fourni par le requérant pour étayer l’affirmation selon laquelle il a été accusé d’activités terroristes, ainsi que des deux lettres fournies pour remédier aux insuffisances de ce document et corroborer son récit. Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses autorités compétentes se sont livrées à un examen approfondi de tous les éléments de preuve présentés par le requérant et ont estimé qu’ils n’avaient qu’une faible valeur probante compte tenu de leur teneur et du moment choisi pour les produire.

10.6Le Comité relève que le requérant n’a jamais prétendu avoir de lien avec les LTTE et qu’il n’a jamais été démontré qu’il avait un tel lien. S’agissant de son placement allégué en détention par la police judiciaire, aucune information n’est donnée sur les tortures qu’il prétend avoir subies (méthode, auteurs des actes). Le Comité constate que bien qu’il affirme avoir été placé en détention après avoir été inculpé de terrorisme, le requérant a été libéré sous caution, et qu’aucune autre information n’est donnée quant à la question de savoir si un procès a eu lieu, s’il a été condamné par contumace et si, en fait, les poursuites ont été abandonnées. La lettre du greffier du tribunal de la Magistrates ’ Court de Colombo fournie pour établir que le requérant était effectivement le suspect dont le nom figurait dans l’acte d’accusation extrait des archives du greffe et qui explique la graphie fautive de ce nom a été établie par un autre tribunal, la Magistrates ’ Court de Kalmunai ; elle ne contient aucune explication sur la façon dont ces informations ont été contrôlées, ne comporte qu’un timbre et n’a pas d’en-tête. En l’absence de tout autre document ou information pertinente, et compte tenu du fait que le requérant a pu revenir à Kalmunai sans subir de préjudice, le Comité considère que, même si le requérant avait été suspecté dans le passé, il semble que les autorités ne considéraient pas qu’il posait un danger et l’ont autorisé à se déplacer librement dans le pays. En outre, il est un fait que son nom ne figure pas dans le document judiciaire rédigé en singhalais, et, par conséquent, rien ne permet de penser qu’il serait signalé à son retour. Quant à son évasion du camp du groupe Karuna, il n’y a aucun élément de preuve qui puisse amener à conclure que les membres de ce groupe recherchent le requérant ou qu’ils s’intéressent à lui, et il n’y a pas davantage de renseignements sur la question de savoir si ce groupe existe toujours. En outre, le Comité relève que lorsque le requérant a été expulsé de Singapour vers Sri Lanka, il a pu entrer dans le pays sans difficulté et n’a pas été arrêté ou inquiété de quelque manière que ce soit.

10.7Pour ce qui est de l’argument selon lequel le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka en raison de son statut de demandeur d’asile débouté, le Comité, sans pour autant sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées concernant la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoyant à cet égard à ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de Sri Lanka (CAT/C/LKA/CO/5), rappelle que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine d’un requérant n’est pas en soi suffisante pour conclure que celui-ci risque personnellement d’être soumis à la torture. En outre, le Comité constate que lorsque les autorités de l’État partie ont examiné la demande d’asile du requérant, elles ont pris en considération le risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés pouvaient être exposés à leur retour à Sri Lanka. Il estime donc qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie ont dûment tenu compte de l’argument invoqué par le requérant.

10.8Compte tenu de ces considérations, prises dans leur ensemble, le Comité conclut que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’il courrait personnellement un risque réel, prévisible et personnel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé à Sri Lanka. De surcroît, il n’a pas démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas mené d’enquête adéquate sur ses griefs.

11.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.