Nations Unies

CAT/C/60/D/701/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article22 de la Convention concernant la Communication no 701/2015*,**

Présentée par:

H. K.(représenté par un conseil, Rishi Gulati)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Australie

Date de la requête :

16 septembre 2015

Date de la présente décision :

10 mai 2017

Objet :

Expulsion d’Australie vers le Pakistan

Question (s) de procédure:

Fondement de la requête

Question (s) de fond:

Risque de torture et de mauvais traitements

Article (s) de la Convention:

3

1.1Le requérant est H. K., ressortissant pakistanais d’origine pachtoune et de confession musulmane sunnite, né en 1980. Il affirme que son expulsion vers le Pakistan constituerait une violation par l’Australie de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, M. Rishi Gulati.

1.2Le 25 septembre 2015, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de formuler une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur et a prié l’État partie de ne pas renvoyer le requérant au Pakistan tant que sa requête serait à l’examen. Le 15 avril 2015, l’État partie a demandé au Comité de retirer sa demande de mesures provisoires. Le 15 juin 2015, le Comité, par l’intermédiaire du Rapporteur, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Quetta (Pakistan) et y a résidé jusqu’en 2001. Entre 2001 et 2009, il a résidé et travaillé aux Émirats arabes unis et au Japon. Il est revenu à Quetta en 2009 et a ouvert un atelier de mécanique automobile et de vente de pièces détachées. Il est marié et a deux enfants, nés en 2008 et 2011, qu’il n’a pas vus depuis son arrivée en Australie en 2012, ce qui pour lui est source de souffrance. Sa famille élargie vit au Pakistan.

2.2Le requérant a des liens avec la communauté baloutche au Pakistan parce que sa grand-mère était d’origine baloutche, et son oncle par alliance l’est aussi. À l’époque de son retour à Quetta, des affrontements avaient lieu entre les autorités pakistanaises et le mouvement nationaliste baloutche. En février 2012, le requérant s’est rendu à l’atelier d’un ami, situé non loin du sien, où se trouvaient d’autres hommes, d’origine baloutche. Le requérant était la seule personne de l’assistance qui ne soit pas de cette origine. Peu après l’arrivée du requérant, des hommes armés sont entrés dans l’atelier et l’ont arrêté, ainsi que ses amis. Certains des hommes étaient en uniforme ; les autres portaient des vêtements civils.

2.3Après avoir arrêté le requérant, les hommes armés lui ont couvert la tête d’un sac et lui ont attaché les mains derrière le dos. Le requérant a été conduit dans un lieu inconnu et a été détenu une dizaine de jours, pendant lesquels il a été battu et privé de sommeil. On lui a demandé ce qu’il savait du mouvement nationaliste baloutche. Il affirme avoir été violemment battu trois nuits d’affilée, et avoir été giflé et frappé à coups de poing et de crosse de fusil. On l’a questionné au sujet d’un ami, S. A, qui travaillait dans l’atelier où il s’était rendu, et que les autorités soupçonnaient de faire partie d’un mouvement cherchant à former un État indépendant. Le requérant a répondu qu’il ne savait rien de S. A. Après dix jours de détention, les autorités lui ont dit qu’il allait être exécuté. Il les a suppliées de le laisser partir. Les autorités lui ont dit qu’il serait épargné s’il acceptait de jouer le rôle d’informateur et de les renseigner sur les activités du mouvement nationaliste baloutche. Pour avoir la vie sauve, il a accepté, et a été relâché.

2.4Quelques jours plus tard, les autorités ont de nouveau convoquéle requérant, qu’elles ont conduit en un lieu inconnu et questionné au sujet de S. A. Elles l’ont menacé et l’ont prévenu qu’elles le surveillaient avec attention. Un mois plus tard environ, le requérant a quitté le Pakistan et transité par l’Indonésie, où il s’est fait enregistrer auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Le 1er mai 2012, il est arrivé par bateau aux îles Christmas (Australie). Le 20 août 2012, il a fait une demande de visa de protection.

2.5Le requérant soumet un compte rendu d’hospitalisation et une autorisation de sortie délivrés par un hôpital de Quetta et datés du 18 février 2012. Le compte rendu indique qu’à son arrivée à l’hôpital, le requérant avait de multiples contusions dans le dos et aux bras, résultant de l’agression dont il avait été victime de la part d’inconnus, présentait les symptômes d’une grave dépression et était agité. Il avait été autorisé à quitter l’hôpital le même jour. Le requérant indique qu’à l’hôpital, il a dit au médecin qu’il avait été battu par des personnes inconnues parce qu’il avait peur d’expliquer qu’il avait été détenu et frappé par les autorités. Il soumet également un certificat médical délivré par un psychiatre d’un centre de santé australien, en date du 24 juin 2015, dans lequel il est indiqué que le requérant souffre de dépression et présente des symptômes d’angoisse et de troubles post-traumatiques. Il soumet en outre une lettre rédigée par un professionnel de la santé mentale datée du 8 mars 2013, indiquant qu’il présente les symptômes d’une dépression.

2.6Le 9 octobre 2012, le Département de l’immigration et de la citoyenneté a rejeté la demande de visa de protection de l’auteur. En se basant sur des informations concernant le pays, le Département a ajouté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été enlevé par les autorités gouvernementales alors qu’il se trouvait dans l’atelier de son ami, jugeant plausible que les autorités aient nourri des soupçons à l’égard de S. A., compte tenu de la participation présumée de celui-ci à des activités de militantisme en faveur d’un Baloutchistan libre. En se basant sur des rapports concernant le pays, le Département a également ajouté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il avait été détenu arbitrairement et avait été battu par les autorités pendant sa détention. Le Département n’a toutefois pas admis que le requérant ait pu être détenu pendant dix jours, car il n’avait pas le profil d’une personne susceptible d’intéresser les autorités et n’était pas en mesure de renseigner les autorités au sujet de S. A. Le Département a estimé que les liens qu’il entretenait avec des personnes d’origine baloutche n’auraient pas conféré au requérant un profil susceptible de susciter l’intérêt des autorités, compte tenu de la diversité ethnique du Baloutchistan. Le Département a considéré le fait que le requérant et deux des autres personnes arrêtées en même temps que lui aient été libérés, alors que S. A ne l’avait pas été, comme une preuve que les autorités ne s’intéressaient pas au requérant et à ses autres amis mais visaient S. A. Pour les mêmes raisons, le Département n’a pas ajouté foi à l’affirmation du requérant qui prétendait que les autorités lui avaient demandé de devenir un informateur et l’avaient à nouveau contacté après qu’il eut été libéré. Le Département a noté que le requérant avait déclaré qu’il était encore resté trente-cinq jours au Pakistan avant de quitter le pays sans être contacté par les autorités, ce qui, selon le Département, était une autre preuve que le profil du requérant intéressait peu les autorités. Il a donc conclu qu’il n’y avait pas de motifs sérieux de croire que l’expulsion du requérant vers le Pakistan l’exposerait à un risque réel et prévisible de préjudice grave.

2.7L’auteur a fait appel de la décision auprès du Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui a confirmé la décision du Département de l’immigration et de la citoyenneté le 29 janvier 2013. La demande d’intervention ministérielle présentée par le requérant a été rejetée le 5 septembre 2014 et la demande de contrôle juridictionnel qu’il a présentée par la suite au Tribunal fédéral de circuit d’Australie a été rejetée le 29 juin 2015.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en cas d’expulsion vers le Pakistan, il serait exposé à un risque réel, prévisible et personnel d’être détenu, torturé et tué par les autorités pakistanaises, notamment par l’armée ou par la Direction générale du renseignement interservices, parce que celles-ci croient qu’il est en possession d’informations sur les membres du mouvement nationaliste baloutche au Pakistan ou qu’il a collaboré avec eux. Le requérant affirme qu’il a déjà été détenu arbitrairement et soumis à la torture par les autorités pakistanaises et que cela pourrait se produire à nouveau s’il était expulsé vers le Pakistan. Il soutient en outre qu’il existe un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme au Pakistan, commises contre des personnes soupçonnées d’être associées au mouvement baloutche. Il renvoie aux constatations du Comité dans Khan c. Canada, dans lesquelles le Comité a estimé que l’expulsion d’un dirigeant local de la Fédération des étudiants du Balistan vers le Pakistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

3.2Le requérant affirme qu’il n’existe aucun lieu sûr où il pourrait se réinstaller au Pakistan puisque, s’il y était renvoyé, il serait arrêté par les autorités pakistanaises sitôt à l’aéroport. Il soutient également que s’il n’était pas arrêté dès son arrivée, l’armée et la Direction générale n’auraient aucun mal à suivre sa trace.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 avril 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère que les allégations du requérant sont irrecevables, au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité, car manifestement dénuées de fondement. Si le Comité devait estimer que les allégations du requérant sont recevables, l’État partie affirme que les griefs sont infondés car il n’existe pas de motifs sérieux de croire que le requérant risquerait d’être soumis à la torture s’il était expulsé vers le Pakistan.

4.2L’État partie fait observer qu’en vertu de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité, c’est au requérant qu’il incombe d’établir qu’à première vue, sa requête est recevable. L’État partie affirme que le requérant ne l’a pas fait. Il ajoute que les allégations du requérant ont été examinées de manière approfondie par les autorités nationales dans le cadre de l’examen de sa demande de visa de protection ainsi que du contrôle juridictionnel qui a eu lieu par la suite. L’État partie demande au Comité de reconnaître que ses autorités ont examiné de manière approfondie les allégations du requérant dans le cadre des procédures internes et d’accepter sa conclusion selon laquelle il n’a pas d’obligations de protection envers le requérant au titre de la Convention.

4.3L’État partie fait observer qu’en plus de la requête qu’il a soumise au Comité, le requérant a fait tenir au Comité une déclaration sur l’honneur dans laquelle il affirme avoir été torturé par des membres de l’armée pakistanaise. L’État partie note que les événements relatés dans cette déclaration sur l’honneur sont globalement identiques à ceux qui sont décrits dans la demande de visa de protection du requérant, dans laquelle il alléguait avoir été enlevé et battu par des hommes portant des armes à feu qui, « d’après l’uniforme qu’ils portaient, étaient des policiers ». L’État partie note également que dans la déclaration écrite datée du 20 août 2012 sur laquelle s’est fondée la personne compétente pour statuer sur la demande de visa de protection du requérant, le requérant a décrit les mêmes événements mentionnés dans sa déclaration sous serment et lors de l’entretien relatif à sa demande de visa de protection et a affirmé que les infractions avaient été commises par « les autorités » ou « les autorités de l’État ». L’État partie relève par ailleurs qu’à l’audience devant le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés le 6 décembre 2012, le requérant a déclaré que les mêmes infractions avaient été commises par les autorités pakistanaises et que, dans sa demande d’intervention ministérielle, il a déclaré qu’il craignait que les Taliban et les services de renseignements pakistanais s’en prennent à lui. L’État partie note que dans la requête qu’il a soumise au Comité, le requérant déclare également craindre que la Direction générale lui inflige des mauvais traitements. L’État partie fait observer qu’à aucun stade des différentes procédures internes, le requérant n’a déclaré avoir subi des tortures ou craindre de subir un préjudice de la part de l’armée pakistanaise ou de la Direction générale, et il fait valoir qu’il semble que le requérant formule de nouvelles allégations au sujet de tortures infligées par l’armée pakistanaise ou par la Direction générale en se fondant sur les mêmes éléments qu’il a précédemment soumis aux autorités nationales compétentes. L’État partie soutient que cela jette le doute sur la crédibilité de l’auteur. Il ajoute que ces nouvelles allégations ne donnent pas plus de poids à la requête étant donné que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, même s’il a ajouté foi aux allégations du requérant selon lesquelles il avait été enlevé et battu par les autorités pakistanaises, a estimé que le renvoi du requérant au Pakistan ne l’exposerait pas à un risque réel de préjudice grave.

4.4L’État partie note que le requérant a également affirmé qu’il n’existait aucun lieu sûr où il pourrait se réinstaller au Pakistan s’il y était renvoyé. Il fait valoir que dans le cadre des procédures internes, le Département de l’immigration et de la citoyenneté et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ont soigneusement examiné le profil du requérant et estimé qu’il n’intéresserait pas les autorités pakistanaises et ne subirait pas de préjudice s’il était renvoyé au Pakistan.

4.5L’État partie note que le requérant a également fourni des éléments nouveaux concernant sa santé mentale dans la requête qu’il a soumise au Comité, mais il considère que cela ne soulève pas de nouveaux griefs crédibles et n’est pas pertinent du point de vue de l’appréciation des obligations de non-refoulement incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention.

4.6L’État partie note que le requérant prétend qu’il existe au Pakistan un ensemble de violations graves, flagrantes et massives des droits de l’homme commises contre des personnes soupçonnées d’être associées au mouvement nationaliste baloutche. Il fait valoir que de nombreuses informations concernant le Pakistan et le retour des demandeurs d’asile déboutés ont été examinées avec soin au cours des procédures internes. Il renvoie aux constatations du Comité dans G. R. B c. Suède et note que l’existence, dans un pays, d’un risque généralisé de violence ne constitue pas une raison suffisante pour conclure qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays et qu’il doit exister des raisons supplémentaires de penser que l’intéressé serait personnellement en danger. L’État partie fait valoir que, d’après des données récentes, la situation dans le pays n’a pas connu, depuis la date à laquelle les allégations du requérant ont été examinées pour la dernière fois, d’évolution négative qui mettrait en jeu les obligations de non-refoulement de l’État partie dans le cas du requérant.

4.7L’État partie note que le requérant a également fait référence aux constatations du Comité dans Khan c. Canada. À cet égard, il fait observer que dans cette affaire, le requérant avait été un membre actif d’une organisation antigouvernementale indépendantiste et avait poursuivi son engagement auprès de cette organisation après avoir quitté le Pakistan, alors que, dans la présente requête, il avait été évalué, à l’issue d’un examen approfondi, que le requérant ne présentait pas un profil qui susciterait l’intérêt des autorités pakistanaises s’il était renvoyé au Pakistan.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 juillet 2016, le requérant a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que sa requête est fondée et contient des arguments à première vue recevables, qu’il donne suffisamment de précisions sur les faits et le fondement de sa plainte, et affirme également qu’il a donc suffisamment étayé sa requête aux fins de la recevabilité.

5.2Le requérant soutient que ses allégations sont crédibles et qu’il a été cohérent. Il considère que les variations existant dans ses déclarations au sujet de l’identité des personnes qui l’ont détenu et frappé, en particulier en ce qui concerne l’autorité dont elles relèvent, sont des différences mineures d’ordre terminologique. Il soutient qu’il a toujours fait référence aux mêmes auteurs et aux mêmes événements et qu’il a donc été cohérent. Il note que pendant la procédure d’asile, il a été tributaire des interprètes et que l’on peut difficilement demander aux victimes de la torture une cohérence absolue. Il ajoute qu’il a constamment déclaré que les personnes qui l’avaient détenu arbitrairement, torturé et frappé étaient armées et vêtues d’uniformes et appartenaient aux autorités pakistanaises. Il note que l’État partie ne conteste pas qu’il ait été détenu et battu par les autorités pakistanaises. Il avance que dans la mesure où il a déjà subi la torture aux mains des autorités pakistanaises, la conclusion des services de l’immigration de l’État partie selon laquelle il ne risquerait pas d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le Pakistan est arbitraire et déraisonnable. Il estime en outre que la conclusion des services de l’immigration de l’État partie selon laquelle il ne lui aurait pas été demandé d’espionner pour le compte des autorités est irrationnelle et arbitraire.

5.3Le requérant avance également que les certificats médicaux qu’il a soumis, qui confirment qu’il souffre de dépression et présente des symptômes de stress post-traumatique, attestent les effets que la torture a eus sur lui, et la peur qu’il éprouve d’être renvoyé au Pakistan.

5.4Le requérant fait valoir qu’en plus de la situation personnelle d’un requérant, l’appréciation des obligations d’un État partie au regard de l’article 3 de la Convention devrait aussi tenir compte, le cas échéant, d’éléments attestant l’existence de violations massives des droits de l’homme. Il rappelle qu’il est en partie d’origine baloutche. Compte tenu de la situation dans la région du Pakistan dont il est originaire, ainsi que du fait qu’il a déjà été soumis à la torture, il considère qu’il est déraisonnable et arbitraire de conclure que son expulsion vers le Pakistan ne l’exposerait pas à un risque réel, personnel et prévisible de torture. Le requérant signale également que l’État partie met en garde les voyageurs contre un risque important d’enlèvement au Pakistan, en particulier à Karachi, dans les provinces du Baloutchistan et du Khyber Pakhtunkhwa et dans les zones tribales sous administration fédérale, et leur déconseille vivement de se rendre dans ces régions en raison de « l’extrême dangerosité de la situation sur le plan de la sécurité et des opérations qui y sont menées pour lutter contre l’insurrection ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête au motif que les griefs du requérant sont manifestement dénués de fondement. Compte tenu des informations figurant dans le dossier et des arguments présentés par les parties, le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, le requérant a suffisamment étayé ses griefs, qui soulèvent des questions importantes au regard de la Convention. Le Comité estime donc que la communication est recevable.

6.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête soumise au titre de l’article 3 de la Convention recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Pakistan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

7.3Dans le cas d’espèce, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Pakistan. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments, notamment de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays de renvoi. Le Comité rappelle que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays, et il doit exister des motifs supplémentaires portant à croire que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable, le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.5Dans le cas d’espèce, le requérant affirme qu’en cas de renvoi, il existe un risque réel, prévisible et personnel qu’il soit détenu, torturé et tué par les autorités pakistanaises, parce que celles-ci croient qu’il est en possession d’informations concernant le mouvement nationaliste baloutche au Pakistan ou qu’il a collaboré avec ce mouvement. Le requérant affirme qu’il a déjà été détenu arbitrairement et soumis à la torture par les autorités pakistanaises et que cela pourrait se reproduire s’il était renvoyé au Pakistan. Il affirme également qu’il n’existe aucun lieu sûr où il pourrait se réinstaller au Pakistan. Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui objecte que le requérant n’a pas démontré que son renvoi au Pakistan l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture par les autorités, que ses griefs ont été examinés par les autorités nationales compétentes, conformément à la législation nationale et compte tenu de la situation actuelle des droits de l’homme au Pakistan, et que les autorités nationales ont estimé que le requérant ne susciterait pas l’intérêt des autorités pakistanaises et ne subirait pas de préjudice en cas de renvoi au Pakistan.

7.6Le Comité note que, dans leurs décisions, le Département de l’immigration et de la citoyenneté et le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés ont ajouté foi à l’affirmation du requérant selon laquelle, en 2012, il avait été détenu arbitrairement et soumis à des mauvais traitements par les autorités pakistanaises. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel le fait que le requérant ait, dans divers entretiens et déclarations, identifié les auteurs des mauvais traitements comme appartenant à différentes autorités pakistanaises, jette le doute sur sa crédibilité. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’auteur selon lequel, pendant la procédure d’asile, il communiquait par l’intermédiaire d’interprètes et a constamment décrit les auteurs comme étant armés, vêtus d’uniformes et représentant les autorités pakistanaises. Le Comité juge raisonnable l’explication fournie par le requérant et n’estime pas que les variations d’ordre terminologique existant dans ses déclarations jettent le doute sur sa crédibilité.

7.7Le Comité souligne que d’après des informations accessibles au public concernant le pays, les autorités pakistanaises, en particulier les services de renseignement, prendraient pour cible des personnes d’origine baloutche soupçonnées d’être associées au mouvement nationaliste baloutche et les soumettraient à une disparition forcée. En outre, les rapports concernant le pays indiquent que la plupart des victimes seraient prises pour cible en raison de leur participation présumée aux partis et mouvements baloutches ou aux associations étudiantes baloutches. Ils signalent également que dans plusieurs cas, des personnes auraient été visées en raison de leur appartenance tribale, notamment au moment où une tribu en particulier, comme les Bugti ou les Mengal, participait à des combats contre les forces armées pakistanaises. Ils indiquent également que l’on ne connaît toujours pas le nombre exact de disparitions perpétrées par les forces de sécurité du Pakistan dans la province mais que les nationalistes baloutches les chiffrent à plusieurs milliers de cas tandis que les autorités de la province du Baloutchistan ont à plusieurs occasions donné le chiffre d’un millier de disparitions forcées. D’après des informations concernant le pays, de nombreux cas n’ont pas été signalés, les familles et les témoins préférant souvent ne pas signaler la disparition aux autorités ou aux organisations des droits de l’homme par peur de subir des représailles de la part des autorités. Pour ce qui est des arguments présentés par le requérant et l’État partie au sujet d’un lieu sûr où le requérant pourrait s’installer au Pakistan, le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, la notion de « risque de nature locale » ne permet pas d’utiliser un critère mesurable et ne suffit pas à dissiper totalement le risque couru personnellement par le requérant d’être torturé.

7.8Le Comité prend note à cet égard de l’affirmation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à des mauvais traitements contraires à l’article 3 de la Convention par les autorités pakistanaises s’il est renvoyé de force au Pakistan en raison de ses liens supposés avec le mouvement nationaliste baloutche. Le Comité relève que le requérant a déjà été détenu arbitrairement et soumis à des mauvais traitements par les autorités pakistanaises, qu’il a déclaré avoir été détenu durant dix jours puis contraint à déclarer qu’il communiquerait aux autorités toute information qu’il pourrait obtenir sur le mouvement nationaliste baloutche et que les autorités l’avaient contacté, après sa libération, pour le questionner à nouveau. Le Comité fait observer que l’État partie a jugé qu’il était établi que le requérant avait été détenu arbitrairement et soumis à des mauvais traitements. Il relève également que l’État partie n’a pas ajouté foi aux allégations du requérant concernant la durée de sa détention et le fait qu’il ait été contraint à déclarer qu’il communiquerait aux autorités toute information obtenue au sujet du mouvement nationaliste baloutche. Le Comité note que l’État partie ne présente pas d’arguments concrets pour justifier sa conclusion et qu’aucune information particulière n’a été donnée qui jetterait le doute sur l’affirmation du requérant. Il est donc d’avis que, lorsqu’il a évalué le risque que courrait le requérant dans son cas particulier, l’État partie n’a pas dûment tenu compte des allégations du requérant concernant les événements qu’il avait vécus au Pakistan.

8.Compte tenu de toutes les informations portées à sa connaissance, le Comité est d’avis que le requérant a apporté suffisamment d’éléments de preuve pour montrer qu’il courrait personnellement un risque réel et actuel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé vers son pays d’origine.

9. Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, en conclut que le renvoi du requérant au Pakistan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’État partie a l’obligation, en vertu de l’article 3 de la Convention, de ne pas renvoyer de force le requérant au Pakistan ou vers tout autre pays dans lequel il court un risque réel d’être expulsé ou renvoyé vers le Pakistan.

11.En application du paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.