Nations Unies

CAT/C/60/D/651/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22de la Convention, concernant la communication no 651/2015

Communication p résentée par :

Aleksei Ushenin (représenté par un conseil, Viktoria Samartseva)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la requête :

18 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

12 mai 2017

Objet :

Actes de torture infligés au requérant dans le cadre de l’arrestation et de la détention

Questions de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Questions de fond :

Torture − enquête immédiate et impartiale

Article s de la Convention :

1, 2, 12, 13 et 14

Exposé des faits

1.1Le requérant est Aleksei Ushenin, de nationalité kazakhe, né en 1977. Il affirme que le Kazakhstan a porté atteinte aux droits qu’il tient des articles 1, 2, 12, 13 et 14 de la Convention. Le requérant est représenté par Viktoria Samartseva, du bureau international du Kazakhstan pour les droits de l’homme et l’état de droit.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant avance que, le 28 août 2011, il a été arrêté par plusieurs policiers et conduit au poste. Pendant sa détention, des policiers l’ont torturé dans le but de le contraindre à avouer sa participation à un vol et l’ont menacé en lui disant que s’il n’avouait pas, sa femme serait jetée en prison. Les policiers l’ont également frappé aux pieds et aux mains et lui ont cogné plusieurs fois la tête contre le mur.

2.2Le requérant soutient que, à plusieurs reprises, les policiers lui ont maintenu un sac en plastique sur la tête jusqu’à ce qu’il perde connaissance, avant de le ranimer avec du chlorure d’ammonium. Il soutient également que les policiers lui ont écrasé des cigarettes sur le corps, ce qui lui a causé de graves brûlures, ont baissé son pantalon et lui ont brûlé les fesses avec des cigarettes, et lui ont à plusieurs reprises introduit une matraque en caoutchouc dans l’anus pendant que l’un d’eux filmait la scène. Selon lui, les policiers ont menacé de l’abattre et l’ont amené dans les bois, où ils lui ont fait creuser un trou en lui disant que c’était sa tombe. Ils l’ont ensuite ramené au poste, où ils ont continué de le frapper.

2.3Le requérant avance que, pendant la nuit du 29 août 2011, il a été examiné par un auxiliaire médical, qui lui a fait une piqûre d’analgésique. Les policiers l’ont ensuite ramené dans une pièce où ils ont continué de le frapper jusqu’au lendemain après-midi.

2.4Pour protester contre la violence et les tortures infligées par les policiers, du 29 octobre au 18 novembre 2011, le requérant a fait une grève de la faim, au cours de laquelle il a avalé huit clous. Sa santé s’est alors rapidement détériorée. Lorsque son état est devenu critique, il a subi une opération visant à retirer les clous de son estomac. Le requérant soutient qu’il a été amené dans un hôpital où on ne s’est pas occupé de lui et où il n’a pas reçu l’aide médicale dont il avait besoin.

2.5Le requérant avance que sa femme, qui était enceinte au moment des faits, a été arrêtée par la police le 28 août 2011 et conduite au poste, où les policiers l’ont soumise à un traitement dégradant et l’ont menacée pour la contraindre à témoigner contre lui. Outre que l’intéressée a été arrêtée arbitrairement, les policiers ne l’ont pas informée de ses droits et l’ont placée dans la même cellule que des personnes soupçonnées de meurtre afin d’exercer une pression psychologique sur elle.

2.6En outre, les policiers ont dit à la femme du requérant qu’ils allaient lui confisquer ses papiers d’identité, qu’elle ne pourrait pas prouver qu’elle avait été victime d’un quelconque acte illégal et que si elle venait à disparaître, personne ne saurait jamais ce qu’il lui était arrivé. L’intéressée a été maintenue en détention illégale pendant quinze heures et a récupéré sa carte d’identité au bout de trois jours. Dans l’intervalle, les policiers ont montré ce document au requérant pour lui prouver que sa femme était entre leurs mains et l’ont menacé en lui disant que s’il n’avouait pas, elle serait enfermée et livrée à une horde d’hommes qui lui transmettraient le VIH.

2.7La sœur du requérant a déposé plainte auprès des autorités, alléguant que l’intéressé avait été torturé. Elle a déclaré que la police lui avait à elle aussi fait subir des pressions psychologiques pour la faire témoigner contre son frère.

2.8Le requérant soutient que, le 6 septembre 2011, alors qu’il se trouvait encore en détention, il s’est entretenu avec un représentant du ministère public et un représentant de l’administration pénitentiaire du Ministère de l’intérieur à qui il a déclaré, oralement et par écrit, qu’il avait été torturé. Ses deux interlocuteurs l’ont examiné pour vérifier la présence de lésions sur son corps. Ainsi qu’il ressort du certificat médical no 01‑14/1413, en date du 6 septembre 2011, huit jours après avoir été torturé, le requérant présentait encore de nombreuses marques de brûlure rondes sur le dos et des ecchymoses sur les mains et les pieds.

2.9Le requérant avance que, le 30 août 2011, il s’est de nouveau entretenu avec un représentant du ministère public, M. U., qui l’a informé qu’il ne pouvait rien faire concernant ses allégations de torture car « certaines personnes en ville faisaient pression sur lui ». Il a fallu attendre le 21 décembre pour que ces allégations donnent lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire. Deux personnes qui avaient été détenues avec le requérant ont été interrogées et ont dit avoir vu des brûlures, des blessures et des ecchymoses sur le corps de l’intéressé.

2.10Le requérant soutient qu’au cours de son procès au pénal, il a signalé au juge, au procureur, au secrétaire du tribunal et à un enquêteur qu’il avait été torturé par des policiers, et a montré au tribunal les traces de lésions sur son corps et présenté un certificat médical. Le juge a ordonné que ce certificat soit exclu du dossier. Le requérant avance que le tribunal a écarté sa déposition et a décidé de prolonger sa détention de deux mois. Le tribunal n’a tenu aucun compte de ses allégations de torture, alors pourtant que la législation interne lui faisait obligation de les examiner immédiatement.

2.11Le requérant avance que, le 30 décembre 2011, il a demandé l’abandon des poursuites pénales engagées à son encontre, au motif qu’il avait été torturé. Le 17 janvier 2012, il a été condamné à cinq ans et six mois d’emprisonnement. Il a interjeté appel auprès du tribunal municipal d’Oural contre la décision de rejet de sa requête du 30 décembre, également au motif qu’il avait été torturé. Son appel a été rejeté le 5 juin 2014. Le requérant a alors formé un recours auprès du tribunal régional du Kazakhstan occidental contre la décision de rejet de sa requête du 30 décembre, toujours au motif qu’il avait été torturé. Il a été débouté le 11 juin 2014. À cette date, le requérant avait donc épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant avance qu’il a été torturé par les autorités de l’État partie, ce qui constitue une violation des droits qu’il tient de l’article premier de la Convention.

3.2Le requérant soutient que l’État partie n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher qu’il ne soit soumis à la torture durant sa détention initiale et que, partant, l’État partie cautionne la torture, en violation de l’article 2 (par. 1) de la Convention.

3.3Le requérant soutient également que l’État partie n’a pas procédé immédiatement à une enquête impartiale alors qu’il y avait des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture avait été commis, en violation des articles 12 et 13 de la Convention ; n’a pas fait en sorte que les autorités compétentes procèdent immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause ; et n’a pas pris de mesures pour assurerla protection du plaignant et des témoins contre tout mauvais traitement et toute intimidation.

3.4L’enquête sur les allégations de torture n’a pas été effective car les enquêteurs n’ont pas tenu compte des certificats médicaux prouvant clairement que le requérant avait été torturé. Le requérant et ses représentants n’ont pas eu accès aux éléments de l’enquête. Toutes les informations obtenues par les enquêteurs provenaient de la police, qui n’avait guère intérêt à révéler la vérité.

3.5Le requérant soutient que l’État partie n’a pas garanti son droit d’obtenir réparation et d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, ce qui constitue une violation de l’article 14 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a contesté la recevabilité de la plainte dans une note verbale en date du 17 mars 2015. Il indique que le requérant a été accusé et déclaré coupable de deux infractions, à savoir hooliganisme (au titre de l’article 257 (par. 3) du Code pénal) et vol (au titre de l’article 179 du Code pénal). Le 17 janvier 2012, le requérant a été condamné à cinq ans et six mois d’emprisonnement.

4.2Les recours formés par le requérant ont été rejetés par la cour d’appel le 28 mars 2012 et par la Cour de cassation le 30 octobre 2014. Ces deux juridictions ont maintenu les décisions contestées devant elles. L’article 458 du Code de procédure pénale prévoit que tout condamné a le droit de faire appel d’une déclaration de culpabilité, même après qu’il a commencé à exécuter sa peine, en déposant une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour suprême du Kazakhstan.

4.3L’exercice de ce droit n’étant pas limité dans le temps, le requérant a toujours la possibilité de saisir la Cour suprême. Étant donné que le requérant n’a pas épuisé ce recours, le Comité doit considérer sa plainte comme irrecevable.

4.4L’État partie avance que, le 14 décembre 2011, l’agence de lutte contre la criminalité économique et la corruption a refusé d’ouvrir une enquête judiciaire sur les griefs de torture formulés par le requérant, estimant elle aussi qu’aucun crime de torture n’avait été commis.

4.5Dans une communication du 30 juillet 2015, l’État partie fait part de ses observations quant au fond. Il indique que, le 1er septembre 2011, les autorités ont effectivement reçu une plainte par laquelle le requérant dénonçait des actes de torture. Le 14 septembre, le ministère public a ouvert une enquête préliminaire en vue d’établir les faits. Aucune action pénale n’a toutefois été engagée à l’issue de cette enquête car il a été établi qu’aucune infraction n’avait été commise à l’encontre du requérant.

4.6Le 20 mars 2015, après avoir procédé à un nouvel examen des éléments de preuve recueillis au cours de l’enquête préliminaire, le Bureau du Procureur général a décidé de réexaminer l’affaire. Le 22 avril, ayant conclu à l’absence d’infraction, il a mis fin au réexamen.

4.7Le 22 juillet 2015, après avoir reçu la requête dont le requérant avait saisi le Comité contre la torture, le Bureau du Procureur général a décidé de rouvrir le dossier. L’État partie note que le requérant soutient qu’il a été conduit dans une forêt en dehors de la ville, où on lui a ordonné de creuser sa tombe, et que des pressions ont été exercées sur sa femme et sur plusieurs autres proches dans le but de les faire témoigner contre lui. Les conclusions du nouvel examen du dossier seront communiquées au Comité en temps utile.

4.8L’État partie fait observer qu’il a pris plusieurs mesures générales visant à lutter contre la torture. En 1998, il a ratifié la Convention et, en 2009, il a adhéré au Protocole facultatif s’y rapportant. Les lieux de privation de liberté font régulièrement l’objet de contrôles visant à prévenir la torture, et un mécanisme national a été établi pour effectuer ce type de contrôles.

4.9L’État partie a en outre créé un dispositif chargé de repérer les cas de torture et d’examiner les allégations de torture. Tous les lieux de détention doivent être dotés d’une boîte aux lettres expressément destinée à recevoir ce type d’allégations. Les éléments de preuve obtenus par la torture ne peuvent pas être utilisés au procès, et les victimes de torture doivent recevoir une indemnisation et bénéficier de services de réadaptation.

Informations complémentaires fournies par le requérant

5.1Dans une communication du 12 juin 2016 par laquelle il répond aux observations de l’État partie, le requérant soutient que celui-ci se contente de fournir des informations pour la plupart générales sur les mesures prises pour lutter contre la torture et ne communique aucun élément précis venant réfuter ses allégations.

5.2L’enquête sur les allégations de torture, qui avait été rouverte par l’État partie, a été close le 23 décembre 2015, les autorités ayant conclu qu’aucun acte de torture n’avait été commis. Le requérant a contesté cette décision et demandé au Bureau du Procureur général de rouvrir l’affaire, arguant que l’enquête était entachée de graves irrégularités. Sa demande a été rejetée le 6 mai, puis de nouveau le 18 mai 2016. Les refus répétés de l’État partie d’engager des poursuites pénales montrent que les autorités sont réticentes à punir les policiers qui commettent des actes de torture.

5.3Dans son rapport du 23 décembre 2015, le ministère public a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’engager de poursuites pénales sur la base des allégations de torture, et ce, en dépit de preuves manifestes que le requérant avait été torturé. De fait, un certificat médical daté du 7 septembre 2011 signale que le requérant présentait des marques de brûlure sur le torse, les fesses et le cou, ainsi que des ecchymoses sur le cou et les pieds et des cicatrices au niveau de l’estomac. Un second certificat, établi à l’issue d’un examen effectué le 30 septembre 2011, contient des conclusions comparables.

5.4Il ressort du même rapport que le requérant a été interrogé le 7 septembre 2015 et qu’à cette occasion, il a largement réitéré ses précédentes allégations concernant les actes de torture auxquels il avait été soumis. L’intéressé a non seulement donné aux autorités de l’État partie des détails précis sur ces actes, mais aussi nommé plusieurs de leurs auteurs présumés, notamment le policier K. U., qui l’avait roué de coups au commissariat du district de Terektinsky.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication avant de s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie argue en l’espèce que le requérant n’a pas saisi la Cour suprême du Kazakhstan d’une demande de contrôle juridictionnel. L’État partie n’a toutefois pas indiqué si la procédure de contrôle juridictionnel avait déjà abouti dans des affaires de torture et, le cas échéant, combien de demandes avaient été accueillies. Dans ces circonstances, le Comité estime que les informations fournies par l’État partie ne suffisent pas à démontrer que le fait de saisir la Cour suprême d’une demande de contrôle juridictionnel dans une affaire concernant des mauvais traitements ou des actes de torture après que la décision de justice définitive a été mise à exécution constitue un recours utile. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la présente communication. N’ayant identifié aucun obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note que le requérant allègue une violation des articles premier et 2 (par. 1) de la Convention, soutenant que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner des actes de torture. Les dispositions susmentionnées s’appliquent dans la mesure où les actes auxquels le requérant a été soumis sont considérés comme des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention. Le Comité prend note à cet égard de la description détaillée que le requérant a faite du traitement subi pendant sa détention dans les locaux de la police, ainsi que des deux certificats médicaux qui corroborent les informations qu’il a fournies et décrivent ses blessures avec précision. Le Comité estime que le traitement décrit par le requérant peut être assimilé à des actes commis intentionnellement par des agents de la fonction publique dans le but d’infliger des douleurs ou des souffrances aiguës afin d’extorquer des aveux.

7.3Dans ces circonstances, le Comité estime que, sauf explication convaincante, l’État partie devrait être considéré comme responsable du préjudice causé au requérant. Or, malgré plusieurs enquêtes menées par les autorités, l’État partie n’a pas présenté d’explication plausible, se contentant de nier toute implication dans les faits reprochés et laissant même entendre qu’il était possible que le requérant se soit infligé lui-même certaines de ses blessures. Partant, et compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité estime qu’il convient d’accorder du crédit aux allégations détaillées du requérant. Par conséquent, sur la base de la description détaillée que le requérant a donnée des mauvais traitements et des actes de torture subis et du fait qu’il a nommé des personnes qui l’avaient torturé, ainsi qu’au moins deux témoins, et fourni des certificats médicaux corroborant ses allégations, le Comité conclut que les faits tels qu’ils lui ont été rapportés font apparaître que la police a commis des actes de torture au sens de l’article premier de la Convention et que l’État partie a manqué à son obligation de prévenir et de sanctionner ces actes, en violation du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

7.4Le requérant soutient que ses allégations de torture n’ont pas immédiatement donné lieu à une véritable enquête impartiale et que les responsables n’ont pas été poursuivis, ce qui constitue une violation des articles 12 et 13 de la Convention. Le Comité relève qu’il n’est pas contesté que l’auteur a allégué à maintes reprises qu’il avait été victime de torture, notamment à l’audience consacrée à la détention provisoire et pendant ses entretiens avec des représentants du ministère public, ainsi que dans une lettre du 12 septembre 2011 qui a été rejetée par le tribunal régional du Kazakhstan occidental le 23 septembre.

7.5Le Comité constate que l’État partie a enquêté à plusieurs reprises sur les allégations de torture formulées par le requérant, mais le 30 décembre 2011, par exemple, l’enquête en cours a été close après que les autorités ont conclu qu’aucun crime de torture n’avait été commis. Le Comité rappelle qu’une enquête ne suffit pas en soi à prouver que l’État partie s’est acquitté des obligations qui découlent de l’article 12 de la Convention s’il peut être démontré que les investigations n’ont pas été menées avec impartialité. En l’espèce, les autorités ont dans un premier temps ignoré les allégations de torture du requérant. Puis, dans un rapport du 23 décembre 2015, le ministère public a décidé de mettre fin à l’enquête ouverte sur les griefs de l’auteur, sans avoir apprécié les éléments de preuve détaillés présentés par celui-ci. Le Comité rappelle qu’en application de l’article 12 de la Convention, l’enquête doit être immédiate et impartiale, la rapidité étant essentielle tant pour éviter que la victime continue de subir les actes prohibés que parce qu’en général, à moins que les méthodes employées n’entraînent des effets permanents ou graves, les marques physiques de la torture, et en particulier des traitements cruels, inhumains ou dégradants, disparaissent à brève échéance. Bien qu’il ait eu des éléments de preuve récents à sa disposition, notamment deux certificats médicaux confirmant que le corps du requérant présentait des marques de torture, et que le requérant ait décrit dans le détail les méthodes employées pour le torturer et ait nommément désigné les auteurs et les témoins des actes subis, l’État partie n’a pas examiné les éléments fournis et n’a identifié aucun des responsables.

7.6Au vu de ce qui précède et compte tenu des éléments dont il dispose, le Comité conclut que l’État partie n’a pas respecté l’obligation qui lui incombait de procéder immédiatement à une enquête impartiale sur les allégations de torture formulées par le requérant, ce qui constitue une violation de l’article 12 de la Convention. Le Comité estime que l’État partie a également manqué à l’obligation que lui impose l’article 13 d’assurer au requérant le droit de porter plainte devant les autorités compétentes afin qu’elles procèdent immédiatement et impartialement à l’examen de sa cause.

7.7S’agissant de l’allégation de violation de l’article 14 de la Convention, le Comité note que l’État partie ne conteste pas qu’aucun des auteurs d’actes de torture n’a été identifié et que le requérant n’a donc pas pu demander réparation pour le préjudice subi. Le Comité rappelle à cet égard que l’article 14 de la Convention, outre qu’il consacre le droit d’être indemnisé équitablement et de manière adéquate, impose aux États parties l’obligation de veiller à ce que la victime d’un acte de torture obtienne réparation. La réparation doit couvrir l’ensemble des dommages subis par la victime et peut notamment prendre la forme de mesures de restitution, d’indemnisation et de réadaptation, ainsi que de garanties de non-répétition, et doit toujours être fonction des circonstances de l’affaire. Une procédure civile devrait pouvoir être engagée indépendamment de l’action pénale, et les États devraient être dotés de la législation et des institutions nécessaires à cet effet. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité conclut que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article14 de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article premier, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1), et les articles 12, 13 et 14 de la Convention.

9.Le Comité invite instamment l’État partie à mener une véritable enquête impartiale et indépendante en vue de traduire en justice les responsables du traitement infligé au requérant, à offrir à celui-ci une réparation équitable et adéquate pour les souffrances endurées, notamment sous la forme d’une indemnisation et d’une réadaptation complète, et à empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite à celle-ci.