Nations Unies

CAT/C/60/D/708/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

29 juin 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titrede l’article 22 de la Convention, concernantla communication no 708/2015 * , **

Communication présentée par :

P. V. (représenté par un conseil, Sally Thompson)

Au nom de :

P. V.

État partie :

Australie

Date de la communication :

20 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

12 mai 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Aucune

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non-refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est P. V., de nationalité sri-lankaise, né le 14 avril 1983 et en attente d’expulsion vers Sri Lanka depuis l’Australie. Il affirme que son expulsion constituerait une violation par l’Australie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 27 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a décidé de présenter une demande de mesures provisoires au titre du paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur, priant l’État partie de ne pas expulser le requérant vers Sri Lanka tant que sa requête serait à l’examen. Le 31 mai 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a rejeté la demande de l’État partie en date du 10 mai 2016 tendant à ce que ces mesures provisoires soient levées.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est un Sri-Lankais d’origine tamoule né à Palampasy, dans le district de Mullaitivu (province du nord), en 1983, année où la guerre civile a éclaté à Sri Lanka. Il a vécu dans le district de Mullaitivu, bastion des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE) où a eu lieu le génocide du peuple tamoul à la fin de la guerre, en 2009.

2.2Le requérant affirme que pendant son enfance, il a été déplacé plusieurs fois à cause de la guerre et a assisté à de nombreuses atrocités. Il explique qu’il continue d’avoir des réminiscences de ces horreurs.

2.3En 2001 et 2002, le requérant a été formé par les LTTE puis a travaillé avec eux pendant environ dix-huit mois, auxquels s’ajoute une période de « châtiment par le travail » qu’il a dû accomplir pour pouvoir quitter l’organisation. Le requérant fournit au Comité une photo de lui portant un uniforme des LTTE et tenant un instrument de communication de cette organisation.

2.4En 2003, le requérant est retourné dans sa famille, avec laquelle il est resté jusqu’en 2004, avant de se rendre à Vavuniya, village sous le contrôle de l’armée sri-lankaise, en vue d’y travailler pour une société minière. En avril 2004, le requérant a été emmené dans le célèbre camp Joseph, où il a été torturé pendant quinze jours. Ses tortionnaires lui ont cassé les doigts pour tenter de le forcer à identifier des membres des LTTE. Il est ensuite parvenu à les convaincre qu’il n’était pas membre des LTTE et a été libéré.

2.5Entre 2005 et 2006, le requérant a travaillé pour une société danoise spécialisée dans l’élimination des mines terrestres. De nombreuses personnes avec qui il travaillait avaient aussi été membres des LTTE. Après que plusieurs d’entre elles ont été arrêtées et emmenées, le requérant, craignant d’être arrêté lui aussi et de nouveau torturé, a quitté son emploi. La guerre civile se poursuivant, il n’a pas pu retourner dans son village natal. Le requérant explique que l’armée sri-lankaise avait le contrôle des routes et recherchait activement les membres des LTTE.

2.6En janvier 2007, le requérant a quitté Sri Lanka pendant sept mois après avoir payé des agents qui, à leur tour, ont soudoyé des fonctionnaires. Lorsqu’il est revenu, il a été informé par sa sœur que son frère aîné avait été arrêté parce qu’il était soupçonné d’être un membre des LTTE. En septembre 2007, le requérant, craignant d’être également arrêté, s’est rendu au Tamil Nadu en Inde en versant de nouveau des pots-de-vin. En janvier 2010, il a pris un bateau pour l’Australie.

2.7Le 7 février 2010, le requérant est arrivé à Christmas Island en Australie, où il a été enregistré comme personne en situation irrégulière arrivée par voie de mer. Le 12 mars 2010, un entretien au point d’entrée a été mené pour déterminer si le requérant répondait aux critères énoncés dans la Convention relative au statut des réfugiés pour être reconnu comme réfugié. Le 22 juillet 2010, une décision négative a été rendue.

2.8Le 1er avril 2011, une recommandation négative a été émise à l’issue de la procédure de réexamen indépendant au fond de la demande du requérant. Le 27 juin 2011, une décision négative a été rendue au terme de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux. Le 29 septembre 2011, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle juridictionnel déposée par le requérant. Le 1er mai 2012, la Cour fédérale en formation plénière a rejeté la demande de contrôle juridictionnel déposée par le requérant. Le 7 juillet 2012, la demande de réexamen du besoin de protection présentée par le requérant au titre de l’article 195A de la loi sur les migrations a été rejetée. Le 6 février 2013, la demande de contrôle juridictionnel présentée par le requérant a de nouveau été rejetée par la Cour fédérale.

2.9Le 30 avril 2015, le requérant a reçu une décision négative à l’issue d’une deuxième évaluation des obligations découlant des instruments internationaux. Le 1er septembre 2015, il a engagé une action devant le Tribunal fédéral de circuit pour faire appel de la décision concernant l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux. Le 2 septembre 2015, le requérant a reçu une « notification de l’intention de le renvoyer d’Australie », prenant effet le 11 septembre 2015.

2.10Le 7 septembre 2015, une demande d’injonction a été déposée au nom du requérant pour empêcher son renvoi en attendant que son recours contre la décision concernant l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux soit examiné. Le 8 septembre 2015, l’injonction a été confirmée, pour avis à rendre le 18 septembre 2015. Le jour dit, le recours a été rejeté et l’injonction de non-renvoi levée. Le requérant pouvait donc toujours faire l’objet d’une nouvelle notification d’expulsion. Au moment où il a soumis sa requête au Comité, il était détenu au centre de rétention pour immigrants de Yongah Hill.

2.11Le requérant signale qu’il a été traité par un psychologue dans le cadre du Programme d’assistance aux victimes d’actes de torture et de traumatismes du Queensland.Une lettre de cette institution indique que le requérant « déclare avoir subi des tortures et des traumatismes et présente des symptômes compatibles avec ses déclarations » et que sa détention prolongée en Australie a un effet négatif sur sa santé mentale.

2.12Le requérant explique que lorsqu’il a été initialement interrogé pendant la procédure d’examen de sa demande d’admission au statut de réfugié, il a eu peur de dire aux agents des services de l’immigration qu’il avait été membre des LTTE parce qu’il avait entendu que les personnes identifiées comme membres des LTTE étaient maintenues indéfiniment en détention du fait de l’avis négatif émis à leur sujet par l’Agence australienne du renseignement relatif à la sécurité. L’auteur explique qu’il a donc donné sur son vécu à Sri Lanka et en dehors du pays des informations erronées que les autorités australiennes ont aisément réfutées. Il ajoute que, lorsqu’il a enfin donné la véritable version des faits, sa crédibilité a été mise en doute par les autorités de l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en le renvoyant à Sri Lanka, l’État partie violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il serait exposé au risque d’être placé en détention pour une durée indéterminée.

3.2Le requérant affirme qu’en raison de ses liens avec les LTTE, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait détenu en vertu de la loi de 1979 sur la prévention du terrorisme, qui prévoit la détention pendant une période indéterminée des membres des LTTE. Il explique qu’en 2011, de nouveaux règlements ont été adoptés pour renforcer la loi. Il renvoie à des rapports récents montrant que cette loi est encore utilisée pour détenir des Tamouls. Il affirme qu’il subira un nouveau traumatisme physique et psychologique s’il est renvoyé à Sri Lanka. Il indique en outre que les agents des services de sécurité chargés d’appliquer la loi sur la prévention du terrorisme bénéficient, en vertu de celle-ci, de l’immunité de poursuites pour les atteintes aux droits de l’homme qu’ils pourraient commettre.

3.3Le requérant affirme également qu’il serait exposé à un risque de torture physique et renvoie aux rapports établissant que les détenus tamouls sont encore torturés par les forces de sécurité sri-lankaises bien que la guerre ait pris fin il y a plusieurs années.Il fait aussi référence à un rapport publié par l’organisation International Truth and Justice Project Sri Lanka indiquant que les enlèvements dans une « fourgonnette blanche » se sont poursuivis en 2015. Le rapport fait état de 115 cas de torture après la guerre et indique qu’il existe des preuves de 65 autres cas similaires. Des récits individuels de torture ont été corroborés par des experts médicaux. Les chercheurs ont également recueilli des preuves auprès de membres de forces de sécurité singhalaises et d’agents de l’État.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 27 avril 2016, l’État partie a fait part de ses observations sur la requête. Il fait valoir que les allégations du requérant sont irrecevables au regard de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité pour défaut manifeste de fondement et devraient être rejetées par le Comité, sans examen au fond.

4.2L’État partie explique que les allégations du requérant ont été soigneusement examinées par une série de décideurs nationaux, y compris dans le cadre de l’évaluation de la demande de réfugié par le Ministère de l’immigration et de la citoyenneté (devenu depuis lors le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières), d’un réexamen indépendant au fond et de trois procédures administratives d’évaluation des besoins de protection menées par les services du Ministère (y compris l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux et contrôle après réexamen des besoins de protection).

4.3L’État partie indique aussi que ces décisions ont fait l’objet d’un contrôle juridictionnel par le Tribunal d’instance fédéral (Federal Magistrates ’ Court) et la Cour fédérale d’Australie (Federal Court of Australia), puis une seconde fois le par Tribunal d’instance fédéral, devenu depuis lors le Tribunal de circuit fédéral (Federal Circuit Court), pour s’assurer de l’absence de toute erreur de droit dans la décision rendue par le Ministère à l’issue de la deuxième évaluation des obligations découlant des instruments internationaux et dans la décision de l’agent chargé du réexamen indépendant au fond.

4.4L’État partie indique en outre que les allégations du requérant ont également été examinées dans le cadre de procédures d’intervention ministérielle. Celles-ci ont systématiquement abouti à la conclusion que les allégations du requérant n’étaient pas crédibles et n’engageaient pas la responsabilité de l’État partie quant au respect des obligations de non-refoulement. L’État partie souligne que les allégations du requérant ont été évaluées au regard des dispositions relatives à la protection complémentaire figurant à l’alinéa 2 aa) du paragraphe 36 de la loi de 1958 relative à l’immigration, qui tient compte de l’obligation de non-refoulement qui incombe à l’État partie en vertu de la Convention et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.5L’État partie fait valoir qu’en dehors d’une nouvelle allégation et d’un nouvel élément de preuve, l’auteur n’a fourni au Comité aucun élément qui n’aurait pas été déjà examiné dans le cadre des procédures administratives et judiciaires internes. Il demande au Comité de reconnaître qu’il a examiné de manière approfondie les allégations du requérant dans le cadre de ses procédures internes et qu’il est parvenu à la conclusion qu’il n’a pas d’obligation de protection envers le requérant au titre de la Convention.

4.6L’État partie admet qu’il est difficile pour les victimes de torture d’être d’une exactitude totale ; ce facteur a toutefois été pris en compte par les autorités internes lorsqu’elles ont apprécié la crédibilité du requérant. Par exemple, lors de l’évaluation de la demande d’admission au statut de réfugié présentée par le requérant, il a été reconnu que « les décideurs devraient tenir compte des difficultés souvent rencontrées par les demandeurs d’asile et accorder le bénéfice du doute à ceux qui sont généralement crédibles mais ne sont pas en mesure d’étayer toutes leurs affirmations ». En outre, la difficulté d’évaluer la crédibilité a été reconnue par l’agent chargé du réexamen indépendant au fond, qui a reconnu qu’une telle évaluation « ne devrait pas se fonder sur le comportement ou les réactions lors de l’entretien ».

4.7l’État partie estime que, dans l’hypothèse où le Comité déclarerait les griefs du requérant recevables, ceux-ci devraient être rejetés pour défaut de fondement, comme il ressort des décisions prises en l’espèce par les autorités nationales.

4.8L’État partie indique que le 22 juillet 2010, les autorités compétentes ont constaté que le requérant ne remplissait pas les critères requis pour obtenir le statut de réfugié. Les services du Ministère ont passé en revue les différentes affirmations faites par le requérant dans sa communication au Comité. L’État partie relève que, lors de l’examen de sa demande d’admission au statut de réfugié, le requérant a affirmé qu’il était dans un camp de réfugiés en avril 2009 et qu’il a été régulièrement interrogé et torturé par l’armée sri‑lankaise, qui voulait notamment le forcer à identifier des membres des LTTE. Le requérant a déclaré qu’un ami l’avait aidé à verser un pot-de-vin pour quitter le camp et fuir le pays. Le requérant a également affirmé que son frère avait disparu en 2007 mais était réapparu en Suisse (où il avait obtenu la protection), et que le mari de sa sœur avait été enlevé et n’était jamais réapparu. L’État partie indique que le 12 mars 2010, au point d’entrée dans le pays, le requérant a d’abord déclaré qu’il avait un frère (disparu) et deux sœurs, mais lors de son entretien du 27 avril 2010 dans le cadre de l’examen de sa demande d’admission au statut de réfugié, il a dit qu’il avait quatre sœurs et deux frères. Le requérant a également affirmé qu’il serait accusé d’être un membre des LTTE, que son nom figurerait sur une liste des personnes ayant fui le camp et qu’il serait tué par l’armée sri‑lankaise ou le Département des enquêtes criminelles s’il retournait à Sri Lanka.

4.9L’État partie explique que, lors de l’entretien dans le cadre de l’examen de sa demande d’admission au statut de réfugié, le requérant a nié avoir jamais été membre des LTTE et indiqué qu’il n’avait jamais été contraint de rejoindre leurs rangs parce qu’il était l’aîné de la famille, à qui il revenait de prendre soin de celle-ci. Plus tard, il a affirmé qu’il n’avait pas été contraint de rejoindre les rangs des LTTE parce qu’il était marié. L’agent qui a rendu la décision a conclu que le requérant ne serait pas considéré comme un membre des LTTE uniquement sur la base de son appartenance ethnique et de son lieu de résidence.

4.10L’État partie indique que, le 4 mai 2010, le requérant a été interrogé une deuxième fois après que les autorités ont eu connaissance d’informations crédibles montrant qu’il s’était rendu au Viet Nam mais avait omis de le signaler dans sa demande. Au cours de cet entretien, le requérant a nié qu’il avait un passeport et qu’il avait voyagé à l’étranger avant son arrivée en Australie. Compte tenu de ces dénis, le Ministère a émis de sérieuses réserves quant à la crédibilité du requérant.

4.11L’État partie fait valoir qu’étant donné le manque de crédibilité du requérant et l’absence d’antécédents de harcèlement ou d’intérêt des autorités, le Ministère a conclu que le requérant n’était pas une personne envers qui l’Australie avait une obligation de protection au titre de la Convention relative au statut des réfugiés, telle que modifiée par le Protocole de 1967.

4.12L’État partie fait également valoir que, le 28 novembre 2010, lors de l’entretien qui a eu lieu dans le cadre du réexamen indépendant au fond, le requérant a admis qu’en 2007 il avait quitté Sri Lanka, qu’il avait séjourné en Malaisie pendant cinq mois et au Viet Nam pendant un mois et avait demandé un visa pour les États-Unis. Le requérant a déclaré qu’il n’avait pas fourni d’informations à ce propos par crainte, et parce qu’il avait entendu que s’il reconnaissait s’être rendu dans un autre pays, il serait expulsé. L’agent chargé de l’examen a considéré qu’il serait plus raisonnable de penser que le requérant n’avait pas fourni son passeport ni d’informations sur les endroits où il s’était rendu car cela aurait eu une incidence sur son affirmation selon laquelle il aurait été détenu à Sri Lanka au moment de la fin des combats en 2009. Il a estimé qu’il était plus probable que le requérant avait inventé son allégation de détention et n’était pas à Sri Lanka à l’époque.

4.13L’État partie explique que l’agent chargé de l’examen n’a pas admis l’argument du requérant selon lequel les autorités sri-lankaises s’intéressaient à lui et a noté que le requérant était rentré dans le pays par l’aéroport international de Colombo une fois auparavant sans être inquiété. Le 1er avril 2011, l’agent chargé de l’examen a recommandé que le requérant ne soit pas reconnu comme une personne en droit de bénéficier de la protection de l’État partie.

4.14L’État partie indique que le 29 septembre 2011, le Tribunal d’instance fédéral a rejeté la demande de contrôle juridictionnel déposée par le requérant concernant cette recommandation, estimant qu’il n’y avait pas d’erreur de droit en l’espèce. L’État partie indique également que, le 1er mai 2012, le requérant a demandé à la Cour fédérale d’Australie une prolongation du délai d’appel contre cette décision. La Cour a constaté que, comme l’agent chargé de l’examen et le Tribunal d’instance fédéral avaient agi correctement, le requérant avait peu de chances de voir son appel aboutir.

4.15L’État partie indique également que le 6 février 2013, le Tribunal d’instance fédéral a rejeté une autre requête du requérant demandant l’autorisation de faire appel des conclusions du réexamen indépendant au fond, au motif que le requérant ne s’était pas présenté devant le Tribunal.

4.16L’État partie fait valoir que, suite à la demande d’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux présentée par le requérant, il avait été établi le 27 juin 2011 qu’il n’entrait pas dans la catégorie des personnes à l’égard desquelles il existait une obligation de protection. Dans ses déclarations, le requérant faisait part une nouvelle fois de sa crainte de retourner à Sri Lanka et de sa conviction qu’il serait perçu comme un membre des LTTE. Il réaffirmait qu’il avait été placé dans un camp de réfugiés pendant dix mois en 2009 et qu’il avait été régulièrement torturé par l’armée sri-lankaise pendant cette période, y compris une fois où il avait eu la main brisée, et interrogé au sujet des liens présumés que lui-même et les membres de sa famille auraient eus avec les LTTE. Il réaffirmait également qu’il s’était échappé de ce camp grâce à un pot-de-vin, et que son beau-frère avait été enlevé et d’autres membres de sa famille arrêtés.

4.17L’État partie fait valoir que, selon les informations sur le pays examinées par les autorités compétentes, il est peu probable qu’un demandeur d’asile renvoyé subisse un traitement préjudiciable à son retour aux seuls motifs qu’il a quitté illégalement le pays et présenté une demande de protection. Les autorités compétentes ont en outre estimé que, puisque le requérant avait pu quitter Sri Lanka et y revenir sans être inquiété en 2007, il ne présentait pas un intérêt pour les autorités sri-lankaises. Les services de l’immigration de l’État partie ont également relevé qu’il n’y avait aucune preuve que le requérant ait jamais été impliqué dans des activités politiques, qu’il présentait un profil politique de quelque importance, ou qu’il avait un casier judiciaire qui ferait de lui une cible des autorités à Sri Lanka.

4.18En ce qui concerne les allégations de détention et de torture, l’État partie fait valoir que ses autorités compétentes ont estimé que si l’armée sri-lankaise avait su ou soupçonné que le requérant était membre des LTTE et qu’il avait été détenu dans un camp, sa liberté de circulation aurait été restreinte, ce qui aurait rendu sa fuite presque impossible. L’agent qui a rendu la décision a considéré que le type d’appui que le requérant affirmait avoir apporté aux LTTE, qui consistait à couper des bâtons et à creuser des abris, n’était pas différent de celui que de nombreux Tamouls vivant dans le nord étaient forcés de fournir. Les autorités de l’État partie ont également noté que le requérant n’avait pas signalé que les autorités sri-lankaises avaient porté un quelconque intérêt aux membres de sa famille, qui avaient pourtant eux aussi été libérés des camps en 2009. Elles ont en outre relevé que d’après des sources fiables, l’insécurité rencontrée par les Tamouls à Sri Lanka avait diminué et la situation s’était largement stabilisée.

4.19L’État partie fait valoir que, selon l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux réalisée en 2011, le requérant n’avait présenté aucune nouvelle information qui modifierait les évaluations antérieures de ses demandes d’admission au statut de réfugié, et il n’y avait aucune preuve attestant que le renvoi du requérant vers son pays d’origine constituerait une violation par l’État partie de l’obligation de non-refoulement qui lui incombe en vertu de la Convention et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

4.20L’État partie indique que, le 7 août 2012, les allégations du requérant ont été examinées dans le cadre d’un contrôle de l’évaluation de sa demande de protection. Les services du Ministère ont constaté que le requérant n’avait fourni aucun élément de preuve ou d’information indiquant que des entités non étatiques ou les autorités sri-lankaises s’intéressaient à lui et que, dans la mesure où il ne remplissait pas les critères fixés par le Ministre de l’immigration et de la protection des frontières pour les demandes de contrôle du besoin de protection après examen, son dossier n’a pas été transmis au Ministre pour réexamen. Le 5 octobre 2011, le requérant a soumis des documents, y compris une déclaration de disparition établie par sa mère auprès de la Société de la Croix-Rouge de Sri Lanka, un procès-verbal d’un juge de paix sri-lankais indiquant que le requérant avait été déplacé pendant la guerre, fouillé par les forces de sécurité parce qu’il était soupçonné d’implication dans les activités terroristes des LTTE et arrêté en mai 2007, torturé puis libéré après dix-huit mois, et des documents de la Croix-Rouge concernant la recherche de membres de sa famille. Le Ministère a fait observer que l’argument du requérant qui affirmait avoir été détenu parce qu’il était soupçonné d’être un membre des LTTE n’avait pas été accepté par l’agent chargé du réexamen indépendant au fond. Il a également noté que depuis la fin des hostilités en 2009, la situation en matière de sécurité à Sri Lanka avait beaucoup évolué et le niveau de protection offert était « suffisant pour écarter toute crainte de préjudice grave fondée sur l’existence de liens présumés avec les LTTE ou le profilage racial ». Il a en outre pris note de la déclaration du requérant affirmant qu’il n’avait aucun lien avec les LTTE, et a conclu que le requérant ne présentait pas un profil susceptible de susciter l’attention des autorités.

4.21L’État partie indique que, le 20 septembre 2012, il a été établi qu’il n’existait pas dans le cas du requérant de circonstances spéciales ou impérieuses et que, par conséquent, les critères justifiant la saisine du Ministre pour examen en vertu de l’article 195A de la loi sur les migrations n’étaient pas remplis.

4.22L’État partie indique que, le 30 septembre 2014, une nouvelle évaluation des obligations découlant des instruments internationaux a été effectuée afin d’apprécier les allégations du requérant ayant trait aux obligations de protection complémentaire prévues au paragraphe 2 aa) de l’article 36 de la loi sur les migrations. Le requérant a répété ses allégations initiales, notamment qu’il serait persécuté parce qu’il était tamoul et serait soupçonné d’être un membre des LTTE. Le 14 janvier 2015, lors d’un entretien, le requérant a reconnu qu’il avait menti lorsqu’il avait déclaré avoir été détenu dans le camp de Kathirkaran de 2008 à 2010 et y avoir été soumis à la torture par l’armée sri-lankaise et le Département des enquêtes criminelles parce qu’il était affilié aux LTTE. Il a également admis qu’il avait séjourné en Inde de 2007 à 2010.

4.23L’État partie indique que le requérant a également formulé plusieurs nouvelles allégations. Par exemple, il a affirmé que, même s’il n’était pas membre des LTTE, il vivait dans une région où tous les enfants, y compris lui-même, avaient reçu une formation de base des LTTE pendant trois mois en 2000, et qu’il avait fourni un appui aux LTTE de 2000 à 2004. Il a également affirmé qu’il avait subi des actes de torture et des violences sexuelles au camp Joseph en 2004 et qu’il avait réussi à ne pas être détenu ou arrêté à l’aéroport international de Colombo en payant l’agent avec lequel il voyageait pour qu’il soudoie des fonctionnaires de l’aéroport.

4.24L’État partie explique que, pour garantir l’équité de la procédure, le Ministère a donné plusieurs fois au requérant la possibilité d’expliquer ces incohérences, notamment en l’invitant à présenter de nouvelles observations et à dissiper ces doutes pendant les entretiens qui ont eu lieu tout au long de la procédure. Le Ministère a estimé que le requérant a montré un manque manifeste de crédibilité. En ce qui concerne les nouvelles allégations, l’agent qui a rendu la décision a admis que le requérant vivait dans une zone contrôlée par les LTTE, que ceux-ci lui avaient dispensé une formation de base, tout comme aux autres villageois, et qu’il était tenu de leur fournir de l’aide. Il n’a toutefois pas accepté l’allégation du requérant selon laquelle il aurait travaillé pour un groupe danois de déminage ou aurait été contraint par la torture ou autrement de soutenir les LTTE. Le Ministère n’a pas jugé logique que le requérant puisse oublier l’expérience qu’il dit avoir vécue dans le camp Joseph, ni qu’il ait été libéré par les autorités au bout de quinze à vingt jours s’il était considéré comme un membre des LTTE. Il a conclu que le requérant n’avait pas été accompagné par un agent et qu’il n’avait pas non plus soudoyé les autorités à l’aéroport chaque fois qu’il avait quitté Sri Lanka. De plus, il a souligné que le requérant avait quitté légalement Sri Lanka et ne s’était heurté à aucune difficulté lorsqu’il s’était rendu en Australie.

4.25L’État partie explique que, dans la décision rendue en 2015 dans le cadre de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux, le Ministère a considéré que le requérant avait inventé de toutes pièces de nouvelles allégations dans le seul but d’engager la responsabilité de l’État partie quant au respect de l’obligation de non-refoulement qui lui incombe en vertu des instruments internationaux. Le manque de crédibilité du requérant a mené à la conclusion que les allégations présentées n’étaient pas authentiques et n’engageaient pas cette responsabilité.

4.26Le 18 septembre 2015, le Tribunal de circuit fédéral a rejeté la demande de réexamen de la décision rendue en 2015 dans le cadre de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux car il a estimé que les informations fournies ne démontraient pas que la procédure avait été inéquitable ou qu’il y avait eu une erreur de droit.

4.27En ce qui concerne les nouveaux éléments fournis par le requérant au Comité pour prouver qu’il était membre des LTTE, l’État partie fait valoir qu’à l’occasion de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux, le Ministère a admis que le requérant avait soutenu les LTTE, mais considéré que son profil n’était pas assez important pour qu’il attire l’attention des autorités. Il indique que le Ministère a évalué le nouvel élément de preuve fourni par le requérant, une photo de lui tenant un instrument de communication des LTTE et portant un uniforme de l’organisation. Il a conclu que cela ne soulevait aucun nouveau grief et ne modifiait pas le profil du requérant pour ce qui était de ses liens passés avec les LTTE.

4.28En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve relatifs à la santé mentale du requérant, l’État partie fait valoir que le requérant a sollicité une prolongation du délai afin de soumettre le rapport psychologique de référence, pour examen dans le cadre de l’évaluation suivante des obligations découlant des instruments internationaux. Cette demande a été refusée parce que, sur la base d’un rapport psychologique antérieur fourni par le requérant, il avait déjà été admis que sa santé mentale avait contribué aux incohérences dans ses déclarations et qu’un nouveau rapport n’aurait aucune incidence sur sa cause. L’État partie considère que le nouvel élément de preuve n’est pas sensiblement différent de l’information fournie dans le cadre de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux.

4.29En ce qui concerne la nouvelle allégation du requérant relative à sa détention et au risque de torture auquel il serait exposé s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’État partie affirme que les renseignements généraux relatifs au pays sur lesquels se fonde le requérant n’établissent pas l’existence à première vue d’un risque personnel d’être soumis à la torture. Il indique qu’après avoir examiné les informations fournies par le requérant, ainsi que les renseignements les plus récents sur le pays, le Ministère a constaté que la situation n’avait connu, depuis la date à laquelle les allégations du requérant avaient été examinées pour la dernière fois, aucune évolution négative propre à engager la responsabilité de l’État partie quant au respect des obligations de non-refoulement dans le cas du requérant.

4.30L’État partie estime que le requérant n’a pas démontré qu’il y avait des motifs supplémentaires donnant à penser qu’il courrait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Les observations du requérant concernant les violations des droits de l’homme à Sri Lanka et le renvoi des demandeurs d’asile ont été dûment prises en compte dans le cadre des procédures internes. Les décideurs concernés ont examiné beaucoup d’informations sur le pays et conclu que le requérant n’avait pas un profil susceptible de susciter l’intérêt des autorités.

4.31L’État partie conclut que le requérant n’a pas produit suffisamment d’éléments de preuve attestant qu’il court personnellement un risque de torture constitutif d’une violation de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le requérant indique qu’il admet que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières puisse mettre en doute sa crédibilité en raison des informations inexactes qu’il a données dans ses premières communications et entrevues. Il explique qu’il a nié être un membre des LTTE parce qu’il redoutait la manière dont cela serait perçu par l’État partie.

5.2Le requérant fait également valoir que ses allégations ne se rapportent pas aux évaluations antérieures de ses demandes d’admission au statut de réfugié, mais à la question de savoir si, comme il le pense, il serait exposé à un risque de torture en cas de retour à Sri Lanka.

5.3Le requérant affirme que les observations de l’État partie montrent que les autorités compétentes ont implicitement admis qu’il avait été victime de torture à Sri Lanka. Il fait valoir qu’il porte des cicatrices visibles aux doigts et à la main qui sont la conséquence des tortures qu’il a subies dans le camp Joseph en avril 2004. Il explique que s’il a certes fait des déclarations incohérentes concernant les dates auxquelles il avait été incarcéré et torturé mais il a toujours été parfaitement cohérent sur la nature des tortures subies et sur le fait que celles-ci lui avaient été infligées avec l’approbation des autorités sri-lankaises.

5.4Le requérant fait valoir qu’il a présenté le rapport de la Foundation House faisant état d’actes de torture et de traumatismes au Comité non pas dans le but de justifier ses incohérences, mais comme élément de preuve à l’appui de ses allégations de torture. Il est indiqué dans ce rapport que le requérant a décrit une expérience directe de la violence au moment de son arrestation et pendant sa détention et que sa principale crainte est d’être renvoyé de force dans le pays où il a subi ces actes de torture. Le requérant note que l’État partie n’a pas répondu sur ce point.

5.5Le requérant renvoie également au troisième rapport d’évaluation de l’Association for Services to Torture and Trauma Survivors, en date du 24 mai 2016, qui lui attribue un niveau de risque de 3 sur la base du questionnaire de Harvard relatif aux traumatismes vécus. Il fait valoir que selon le rapport « les résultats indiquent que [P. V.] présente de graves symptômes de troubles post-traumatiques. Ses symptômes sont dus à des événements traumatisants survenus avant qu’il ne quitte Sri Lanka et principalement aux actes de torture qu’il a subis. Il est toujours affecté par ces événements à la fois physiquement et psychologiquement ».

5.6Le requérant fait valoir que la photographie jointe à sa lettre confirme qu’il était un membre actif et connu des LTTE en 2001-2002. Il se réfère à la remarque de l’État partie selon laquelle cette photographie a été évaluée comme n’ayant aucune incidence sur l’obligation de non-refoulement de l’État partie à son égard. Il fait observer qu’il n’a à aucun moment été sollicité quant à l’évaluation de la photographie, et qu’il n’existe aucune transparence dans la manière dont cette évaluation a été réalisée. Il note que l’État partie admet qu’il « a soutenu les LTTE ».

5.7Le requérant renvoie au rapport publié par International Truth and Justice Project Sri Lanka en janvier 2016, dans lequel il est indiqué que «les Tamouls ayant des liens avec les LTTE ou leurs cadres subalternes continuent d’être pris pour cible, ainsi que leur famille », et qu’il serait donc en danger en cas de retour à Sri Lanka.

5.8Le requérant se réfère également aux principales conclusions du rapport de Freedom from Torture selon lequel : a) l’armée, la police et les services de renseignement sri-lankais ont continué de pratiquer la torture − y compris le viol et d’autres formes de torture sexuelle et les brûlures − dans les années de « paix » depuis la fin du conflit armé ; b) il existe un réseau de lieux de torture à Sri Lanka , notamment des centres de détention non officiels ; c) le risque persistant de torture pèse en particulier sur les Tamouls ayant des liens réels ou supposés avec les LTTE, à quelque niveau que ce soit, aussi bien actuels que passés ; d) les autorités sri-lankaises s’intéressent de près aux activités de la diaspora tamoule au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de nombreux Tamouls revenus à Sri Lanka qui avaient des liens passés, réels ou supposés, avec les LTTE à quelque niveau que ce soit, directement et/ou par l’intermédiaire d’un membre de leur entourage, ont été torturés et interrogés au sujet de leurs activités et de leurs contacts au Royaume-Uni ; e) il semblerait que les auteurs de tortures commettent ces actes sans craindre de conséquences, comme le suggèrent l’absence de garanties d’une procédure régulière et les cicatrices importantes constatées sur le corps des victimes ; et f) la torture a eu des effets dévastateurs sur les survivants.

5.9Le requérant indique que tous ces points sont pertinents dans son cas, mais qu’il tient néanmoins à insister sur le risque réel de torture auxquels sont exposés les Tamouls ayant des liens réels ou supposés avec les LTTE, même des liens indirects par l’intermédiaire de membres de la famille, en cas de retour à Sri Lanka.

5.10Le requérant se réfère également à une mise à jour du rapport susmentionné de Freedom from Torture, publiée en mai 2016, dans laquelle il est indiqué que « compte tenu des éléments de preuve recueillis par Freedom from Torture et d’autres organisations concernant les actes de torture et de persécution subis par les personnes rentrées à Sri Lanka après la fin de la guerre civile, l’ONU a demandé aux États Membres de mettre en œuvre une politique de non-refoulement des Tamouls qui ont été victimes de torture et d’autres violations des droits de l’homme jusqu’à ce que les garanties de non-répétition soient suffisantes pour les protéger contre tous autres abus, en particulier la torture et les violences sexuelles ».

5.11Le requérant fait valoir que l’évaluation la plus récente de sa situation est celle réalisée dans le cadre de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux, dont les résultats ont été communiqués le 30 avril 2015, selon laquelle l’État partie n’a pas d’obligation de non-refoulement à son égard. Il indique que cette obligation n’a pas été réévaluée malgré la photographie confirmant qu’il était un partisan des LTTE, fournie aux autorités en octobre 2015. Il ajoute que les informations qu’il a présentées au Comité ont été rendues publiques après la décision prononcée à l’issue de l’évaluation des obligations découlant des instruments internationaux en avril 2015 et que ces informations montrent qu’il risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Le requérant fait également valoir qu’il a un frère, qui est maintenant réfugié en Suisse, et que l’État partie violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait de force à Sri Lanka.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.Le 21 septembre 2016, se référant aux commentaires du requérant en date du 31 juillet 2016, l’État partie a fait valoir qu’ils ne comportaient aucune information susceptible de remettre en cause la conclusion selon laquelle les allégations du requérant n’engagent pas sa responsabilité quant au respect de ses obligations en matière de non‑refoulement au titre de l’article 3 de la Convention. L’État partie a répété les arguments qu’il avait avancés le 27 avril 2016.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité note que, selon l’État partie, la présente requête est manifestement infondée et donc irrecevable en vertu du paragraphe b) de l’article 113 du règlement intérieur du Comité. Le Comité considère cependant que la requête a été étayée aux fins de la recevabilité, le requérant ayant exposé les faits et les fondements de sa requête suffisamment en détail pour que le Comité puisse rendre une décision.

7.3Le Comité rappelle en outre que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune communication émanant d’un particulier sans s’être assuré au préalable que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité considère donc que rien ne l’empêche d’examiner la communication au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.4Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête soumise au titre de l’article 3 de la Convention recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen quant au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant vers Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou renvoyer (« refouler ») un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Pour déterminer ce risque, le Comité doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle il est dit que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité rappelle que bien qu’il ne soit pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), le fardeau de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il encourt un risque prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il serait exposé au risque d’être placé en détention pour une durée indéterminée et soumis à la torture par les autorités sri-lankaises du fait de ses liens passés avec les LTTE. À cet égard, il note que le requérant indique qu’en 2001 et 2002, il a dû se former puis travailler avec les LTTE pendant environ dix-huit mois, et accomplir en outre une période de « châtiment par le travail », et qu’en avril 2004, il a été emmené au camp Joseph, où il a subi pendant quinze jours des actes de torture visant à le forcer à identifier les membres des LTTE. Le Comité note également que le requérant est originaire de Mullaitivu et appartient à l’ethnie tamoule et que son frère aîné a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’être un membre des LTTE.

8.6Le Comité note que l’État partie fait valoir que les allégations du requérant ont été soigneusement examinées par les autorités nationales compétentes qui ont chaque fois conclu que le requérant manquait de crédibilité et que ses griefs n’engageaient pas la responsabilité de l’État partie quant au respect de ses obligations en matière de non-refoulement. À ce sujet, il prend note, entre autres, des arguments de l’État partie selon lesquels le requérant a affirmé lors de l’examen de sa demande d’admission au statut de réfugié qu’en avril 2009, il était dans un camp de réfugiés où il a été régulièrement interrogé et torturé par l’armée sri-lankaise, qui voulait le forcer à identifier des membres des LTTE, mais a nié être un membre des LTTE, et que pendant l’entretien mené en 2015 dans le cadre de l’examen des obligations découlant des instruments internationaux, le requérant a reconnu avoir menti lorsqu’il avait affirmé qu’il avait été détenu et torturé dans un camp entre 2008 et 2010, déclarant qu’il avait soutenu les LTTE de 2000 à 2004 et qu’il avait été torturé au camp Joseph en 2004. Le Comité note également que l’État partie a fait valoir que le requérant avait d’abord nié, lors du réexamen indépendant au fond le 28 novembre 2010, être déjà sorti de Sri Lanka avant de se rendre en Australie, pour reconnaître ensuite, lors du réexamen indépendant au fond le 28 novembre 2010, s’être rendu en Inde en 2007.

8.7Le Comité note l’explication du requérant selon laquelle il avait au départ nié être un membre des LTTE parce qu’il redoutait la manière dont cela serait perçu par l’État partie. Il note aussi l’argument du requérant selon lequel il a toujours été cohérent au sujet des actes de torture qui lui ont été infligés avec l’approbation des autorités sri-lankaises, même si des incohérences ont été relevées dans ses déclarations concernant les dates auxquelles il a été incarcéré et torturé. À cet égard, le Comité note que dans son rapport d’évaluation de la torture et des traumatismes en date du 24 mai 2016, l’Association for Services to Torture and Trauma Survivors a attribué au requérant un niveau de risque de 3 sur la base du questionnaire de Harvard relatif aux traumatismes vécus et que les résultats de cette évaluation indiquaient que le requérant présentait de graves symptômes de troubles post‑traumatiques et que ces symptômes étaient dus principalement aux actes de torture qu’il avait subis. Le Comité considère toutefois que même s’il indique que le requérant a peut-être vécu des événements traumatisants dans le passé, le rapport ne peut être considéré comme une preuve qu’il a été victime de tortures. Le Comité estime par conséquent que le requérant n’a pas établi qu’il a été soumis à la torture dans le passé.

8.8Le Comité note que le requérant fait valoir que, selon des rapports publics, les Tamouls ayant des liens réels ou supposés, actuels ou passés, avec les LTTE à quelque niveau que ce soit sont particulièrement exposés au risque de torture. Sans sous-estimer les préoccupations pouvant être légitimement exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka, le Comité rappelle que le fait que des violations des droits de l’homme sont commises dans le pays d’origine n’est pas suffisant pour conclure qu’un requérant court un risque personnel d’y être torturé. Dans ce contexte, il renvoie aux observations finales qu’il a adoptées à l’issue de l’examen du cinquième rapport périodique de Sri Lanka en 2015, dans lesquelles il s’est déclaré préoccupé par les informations concernant la persistance des actes de torture et des mauvais traitements commis par des agents de l’État (aussi bien de l’armée que de la police) à Sri Lanka. Il renvoie au également au rapport publié par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’issue de la visite officielle qu’il a effectuée à Sri Lanka du 29 avril au 7 mai 2016, dans lequel il est noté que la torture et les sévices, y compris sexuels, étaient encore courants et que le cadre juridique actuel et l’absence de réforme dans les structures des forces armées, de la police, du Bureau du Procureur général et de l’appareil judiciaire perpétuaient le risque de la torture .

8.9Le Comité prend note également de rapports crédibles publiés par des organisations non gouvernementales au sujet du traitement réservé par les des autorités sri-lankaises aux personnes qui sont retournées à Sri Lanka. Le Comité considère que tout ce qui précède montre que les sri-lankais appartenant à l’ethnie Tamoule ayant eu par le passé des liens personnels ou familiaux avec les LTTE risquent d’être torturés s’ils sont renvoyés à Sri Lanka.

8.10En l’espèce, le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel la photographie qu’il a jointe à sa communication confirme qu’il était membre des LTTE. Il prend toutefois également note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont admis que le requérant avait soutenu les LTTE dans le passé mais ont estimé qu’il n’avait pas un profil susceptible de lui faire courir un risque en cas de retour à Sri Lanka. À cet égard, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le requérant a été en mesure de quitter le pays et d’y retourner en 2007 par l’aéroport international de Colombo sans attirer l’attention des autorités sri-lankaises et qu’il n’a subi aucune persécution à cette occasion. Tout en notant l’argument du requérant selon lequel il avait versé des pots-de-vin pour pouvoir quitter le pays, le Comité considère que ce dernier n’a pas suffisamment étayé ses allégations à ce propos.

8.11Le Comité note également l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’existe aucune preuve attestant que le requérant ait jamais participé à des activités politiques, qu’il a joué un rôle important sur le plan politique et qu’il a un casier judiciaire en sorte qu’il peut être une cible à Sri Lanka. Il considère que le requérant n’a pas apporté de preuves crédibles et suffisantes de nature à permettre au Comité de conclure qu’en raison du soutien qu’il a apporté par le passé aux LTTE, il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture par les autorités en cas de retour à Sri Lanka.

8.12Compte tenu de toutes ces considérations prises ensemble, le Comité conclut que le requérant n’a pas apporté suffisamment de preuves permettant d’établir qu’il court un risque réel, prévisible, personnel et actuel d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka Le Comité considère par conséquent que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que le renvoi du requérant à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

9.Compte tenu de ce qui précède, Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’expulsion du requérant vers Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.