Nations Unies

CAT/C/60/D/602/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

7 juillet 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 602/2014*,**

Communication p résentée par :

S. B. B. (représenté par un conseil, Niels‑Erik Hansen)

Au nom de :

S. B. B.

État partie :

Danemark

Date de la requête :

9 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

28 avril 2017

Objet :

Expulsion ; risque de torture

Questions de procédure :

Recevabilité ; requête manifestement mal fondée

Questions de fond :

Non‑refoulement

Article de la Convention :

3 et 22

1.1Le requérant est S. S .B., de nationalité soudanaise, né le 24 juin 1974. Il a présenté une demande d’asile au Danemark et a été débouté. Conformément à une décision de la Commission danoise de recours pour les réfugiés datée du 23 avril 2014, il a été prié de quitter volontairement le Danemark sous quinze jours. Au moment où la communication a été soumise, il n’avait pas quitté le pays et il était frappé d’une mesure d’expulsion. Le requérant affirme que son expulsion vers le Soudan constituerait une violation par le Danemark des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 16 mai 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que sa requête serait à l’examen. Le 27 mai 2014, la Commission de recours pour les réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai imparti au requérant pour quitter le pays, conformément à la demande du Comité. Le 17 novembre 2014, l’État partie a demandé au Comité de lever ces mesures provisoires, demande que ce dernier, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur, a rejetée le 16 février 2016.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est originaire du Darfour. En 2004, il a déménagé à Khartoum et travaillait dans un magasin jusqu’en 2007. La même année, à une date non précisée, trois hommes des forces de sécurité nationale ont pénétré dans le magasin où il travaillait et lui ont infligé des mauvais traitements physiques. Ils voulaient savoir où se trouvait son frère, qui appartient à un groupe d’opposition, le Mouvement pour la justice et l’égalité. Ils l’ont frappé de plusieurs coups de couteau puis l’ont conduit à un hôpital militaire. Son arrestation lui a été signifiée.

2.2Le 24 avril 2007, des fonctionnaires de police sont venus interroger le requérant à l’hôpital. Ils ont menacé de le battre à mort s’il refusait de leur dire où était son frère et de leur donner des renseignements sur ce que celui-ci faisait au sein du Mouvement pour la justice et l’égalité. Ils ont accusé le requérant de ne pas être un vrai musulman parce qu’il vivait avec une chrétienne. Une heure après la fin de l’interrogatoire, un agent d’entretien qui avait assisté à la scène a dit au requérant que s’il ne s’enfuyait pas au plus vite, la police le tuerait. Le requérant s’est échappé de l’hôpital et il est parvenu à quitter le Soudan avec l’aide d’un « agent ».

2.3De 2007 à 2013, le requérant a vécu en Grèce où il avait le statut de demandeur d’asile. Le 25 avril 2012, sa compagne, qu’il avait rencontrée au Soudan en 2006 et qui est de nationalité érythréenne, ainsi que leurs deux enfants, ont obtenu un permis de séjour au Danemark. Le requérant est entré au Danemark et a déposé une demande d’asile le 25 août 2013.

2.4Le 29 janvier 2014, le requérant a été débouté de sa demande d’asile par le Service danois de l’immigration. À une date non précisée, il a fait appel devant la Commission de recours pour les réfugiés. Le 23 avril 2014, concluant que le récit du requérant n’était pas cohérent, la Commission a confirmé la décision du Service danois de l’immigration. Elle n’a pas jugé crédibles les déclarations du requérant sur les mauvais traitements subis, son hospitalisation et son évasion de l’hôpital militaire. Conformément à cette décision, le requérant devait quitter volontairement le Danemark sous quinze jours.

2.5Étant donné que la loi relative aux étrangers ne permet pas de faire appel de la décision de la Commission de recours pour les réfugiés, le requérant affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. Il ajoute que sa requête n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme qu’en l’expulsant vers le Soudan le Danemark violerait les droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il courrait personnellement le risque d’être persécuté et torturé à son retour. Il craint, s’il rentre au Soudan, d’être persécuté voire tué, en raison des activités militantes de son frère et parce que sa compagne est chrétienne.

3.2Le requérant ajoute que la décision par laquelle la Commission de recours pour les réfugiés l’a débouté de sa demande d’asile, qui ne repose pas sur une enquête appropriée et n’est pas dûment étayée, contrevient aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention. De plus, les autorités danoises n’ont pas ordonné d’examen médical visant à confirmer ou réfuter la réalité des mauvais traitements physiques qui lui ont été infligés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 17 novembre 2014, l’État partie explique que le requérant est entré au Danemark le 25 août 2013 sans document de voyage valide et a déposé le même jour une demande d’asile. Le Service danois de l’immigration a rejeté la demande le 29 janvier 2014. Le 23 avril 2014, la Commission de recours pour les réfugiés a confirmé le rejet.

4.2Dans sa décision du 23 avril 2014, la Commission de recours pour les réfugiés a noté, entre autres éléments, que le requérant appartenait au clan el Barti, qu’il était de confession musulmane et qu’il était né à Mallet, dans la région du Darfour, au Soudan. Il n’était membre d’aucune association ou organisation politique ou religieuse, mais avait participé une seule fois à une manifestation, à Mallet, quand la région dont il était originaire avait été attaquée par le Gouvernement. Il ressort également de la décision de la Commission que le requérant a dit qu’il avait peur d’être arrêté et assassiné par les services de renseignement s’il était renvoyé au Soudan du fait de l’appartenance de son frère au Mouvement pour la justice et l’égalité. Le requérant a aussi mentionné sa crainte de subir des représailles de la part aussi bien de particuliers que des autorités, y compris d’être assassiné, parce qu’il avait une relation de couple avec une chrétienne depuis 2006. À l’appui de sa demande d’asile, le requérant alléguait avoir été placé en détention le 12 avril 2007 et torturé. Il avait ensuite été admis dans un hôpital militaire parce qu’il avait perdu connaissance. Il s’en était échappé avec l’aide d’un agent hospitalier.

4.3La majorité des membres de la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas pu retenir comme des faits les déclarations du requérant sur sa détention, son hospitalisation et son évasion de l’hôpital militaire. Dans son évaluation, la Commission a souligné que, sur des points essentiels, le requérant avait varié dans ses déclarations, lesquelles étaient exagérées, et que ses explications et celles de sa compagne sur la raison de leur départ du Soudan étaient contradictoires. Quand il a été interrogé par le Service danois de l’immigration, le requérant a indiqué qu’il avait participé à une manifestation en 2003, ce qui ne lui avait valu aucun problème, et qu’il s’était installé à Khartoum en 2005 parce qu’il ne voulait pas vivre dans la même ville que son frère. À l’audience devant la Commission, le requérant a d’abord déclaré qu’il s’était installé à Khartoum en 2003 parce qu’il était berger et que son troupeau avait été décimé, puis il a changé de version et déclaré qu’il avait commencé à faire des allers et retours à Khartoum en 2003, mais qu’il ne s’y était installé qu’en 2005. Le 20 novembre 2013, pendant son entretien avec le Service danois de l’immigration, le requérant a déclaré que trois hommes l’avaient abordé sur son lieu de travail, l’avaient roué de coups et torturé en lui lacérant tout le corps avec un couteau jusqu’à ce qu’il perde connaissance, puis l’avaient laissé dans un hôpital militaire. Lors de son entretien du 17 janvier 2014, le requérant a déclaré que trois ou quatre individus étaient venus le chercher et l’avaient conduit au poste de police où il avait été frappé et fouetté sur les cuisses ; le lendemain, il avait perdu connaissance et avait donc été transféré dans un hôpital. Le 14 septembre 2009, sa compagne a déclaré au Service danois de l’immigration que le requérant avait été arrêté au domicile de ses parents. Devant la Commission, le requérant a déclaré qu’on lui avait lacéré le corps avec des bouts de métal.

4.4De plus, le requérant et sa compagne ont fait des déclarations différentes sur la raison pour laquelle le requérant avait fui le Soudan. Pendant l’examen de la demande d’asile de sa compagne, celle-ci a déclaré que le requérant avait eu maille à partir avec les autorités parce qu’il était objecteur de conscience, tandis que le requérant a déclaré que c’était en raison de l’appartenance de son frère au Mouvement pour la justice et l’égalité qu’il avait eu des problèmes. Enfin, il ressort de la décision de la Commission que la majorité de ses membres a insisté sur le fait qu’il était peu vraisemblable que le requérant se soit échappé d’un hôpital militaire comme il l’affirmait. La Commission a estimé en outre que la relation du requérant avec une chrétienne ne pouvait pas justifier l’octroi de l’asile. Elle a souligné qu’il ressortait des informations générales disponibles sur le Soudan que les unions entre un homme musulman et une femme chrétienne étaient autorisées, que rien ne portait à croire que les autorités s’élèveraient contre de telles unions et qu’il était très peu probable que ces relations soient signalées à la police puisqu’elles n’étaient pas illégales. La majorité des membres de la Commission a conclu qu’il n’y avait pas lieu de suspendre la procédure en attendant un examen visant à constater des signes de torture.

4.5La majorité a donc conclu que le requérant n’était pas victime de persécution au moment de son départ et qu’il ne courrait pas, en cas de renvoi, un risque de persécution tel qu’il justifie l’octroi d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers.

4.6L’État partie donne également une description détaillée de l’ensemble des règles qui régissent les activités de la Commission de recours pour les réfugiés ainsi que de ses méthodes de travail.

4.7En ce qui concerne l’importance de la crédibilité du demandeur d’asile par rapport à celle des renseignements médicaux, l’État partie renvoie à la décision dans l’affaire Otmanc. Danemark, dans laquelle le Comité a écarté les allégations de torture du requérant et les renseignements médicaux fournis en raison d’un manque général de crédibilité. Dans cette décision, le Comité s’est référé au paragraphe 8 de son observation générale no 1 (1997) sur la mise en œuvre de l’article 3, dans laquelle il souligne que la crédibilité du requérant et la présence ou non d’incohérences factuelles dans ce qu’il affirme comptent parmi les éléments à prendre en considération pour déterminer s’il risque d’être soumis à la torture à son retour. L’État partie renvoie aussi à la décision dans l’affaire Alp c. Danemark, dans laquelle le Comité a noté que les autorités de l’État partie avaient procédé à un examen approfondi de tous les éléments présentés par le requérant, avaient conclu qu’ils n’étaient guère crédibles et n’avaient pas jugé nécessaire d’ordonner un examen médical.

4.8L’État partie renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire X, Y et Z c. Suède et à sa décision dans l’affaire M. C. M. V. F. c. Suède et maintient que l’élément déterminant est la situation qui existe dans le pays d’origine au moment où le demandeur d’asile est susceptible d’y être renvoyé.

4.9L’État partie affirme que le requérant n’a pas établi qu’à première vue sa requête était recevable au titre de l’article 3 de la Convention et renvoie à l’article 113 du règlement intérieur du Comité. Il n’a pas été établi qu’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Il s’ensuit que sa requête est manifestement dénuée de fondement et qu’elle devrait être déclarée irrecevable. Si le Comité devait la juger recevable, l’État partie objecte que le requérant n’a pas suffisamment montré que son renvoi au Soudan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

4.10Il ressort de la décision rendue par la Commission de recours pour les réfugiés que celle-ci n’a pas retenu les déclarations du requérant sur les motifs de sa demande d’asile comme établissant des faits, une majorité de membres ayant relevé que sur des points essentiels l’intéressé avait varié dans ses déclarations, qui étaient exagérées, et que ses déclarations et celles de sa compagne sur la raison de leur départ du Soudan étaient différentes (voir plus haut par. 4.3 et 4.4). La Commission a conclu en conséquence que le requérant n’était pas parvenu à démontrer qu’il avait été victime d’actes de torture.

4.11Pour ce qui est de l’observation du requérant qui souligne que le Service danois de l’immigration a statué sur sa demande d’asile sans demander qu’un examen visant à constater des marques de torture soit effectué alors que l’intéressé consentait à se faire examiner, l’État partie fait remarquer que généralement la Commission de recours pour les réfugiés n’ordonne pas cet examen médical dans le cas où le demandeur d’asile n’est pas apparu comme crédible pendant toute la procédure et où la Commission a dû rejeter dans leur intégralité ses déclarations concernant la torture. L’État partie considère que l’affaire K. H. c. Danemark, examinée par le Comité, diffère considérablement de la présente affaire puisqu’elle concernait un Afghan qui avait déposé une demande d’asile pour des motifs liés aux actes des Talibans et que la Commission avait jugé « crédibles les déclarations du requérant sur ses différends avec les Talibans ».

4.12La Commission de recours pour les réfugiés a également conclu que la relation du requérant avec une chrétienne ne justifiait pas l’octroi de l’asile (voir plus haut par. 4.4). L’État partie renvoie à ce sujet à un rapport du Département d’État des États-Unis en date du 30 juillet 2012 intitulé International  Religious Freedom  Report for 2012  − Sudan, lequel figurait parmi les documents de référence utilisés par la Commission pour évaluer le cas du requérant. Après avoir évalué l’ensemble des renseignements donnés par l’intéressé et les informations circonstanciées versées au dossier, notamment les renseignements communiqués par sa compagne et les informations générales disponibles sur la situation dans la région d’origine du requérant, la majorité des membres de la Commission n’a pas considéré que les déclarations du requérant sur les conflits qu’il aurait eus avec les autorités ou d’autres personnes au Soudan avant de quitter le pays étaient des faits établis. De plus, pour l’État partie, ni le fait que la décision de la Commission n’a pas été unanime ni le fait que le requérant vienne d’un pays où des violations graves des droits de l’homme sont commises ne peuvent conduire à apprécier différemment l’affaire.

4.13L’État partie fait observer que dans sa plainte au Comité le requérant n’apporte aucune autre information sur les mauvais traitements qu’il aurait subis dans son pays d’origine que celles dont la Commission disposait lorsqu’elle a statué sur son recours et sur lesquelles elle a fondé sa décision. Aucun autre renseignement n’a non plus été apporté au Comité qui puisse entraîner une évaluation différente de la crédibilité des informations données par le requérant à l’appui de sa demande d’asile. L’État partie renvoie en outre aux constatations de la Cour européenne des droits de l’homme dans plusieurs affaires relatives à l’évaluation de la crédibilité des demandeurs dans les procédures d’asile, notamment à l’arrêt dans l’affaire R. C. c. Suède : « La Cour observe, dès le départ, qu’il y a un désaccord entre les parties en ce qui concerne les faits, et que le Gouvernement a mis en cause la crédibilité de l’auteur et souligné certaines incohérences dans son récit. Elle reconnaît qu’il est souvent difficile d’établir avec précision la réalité des faits dans des affaires comme celle-ci. La Cour reconnaît, en tant que principe général, que les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité des témoins, car ce sont elles qui ont eu l’occasion de voir l’intéressé, de l’entendre et d’apprécier son comportement. ».

4.14L’État partie souligne également que conformément à la jurisprudence du Comité tout le crédit voulu doit être accordé aux conclusions des autorités sur les faits. La Commission de recours pour les réfugiés a rendu sa décision au terme d’une procédure pendant laquelle le requérant a pu présenter ses vues, tant par écrit qu’oralement, avec l’assistance d’un conseil. Cette décision repose par conséquent sur un examen complet et approfondi de tous les éléments disponibles. Pour juger de la crédibilité du requérant, la Commission a fait une évaluation générale et a tenu compte des déclarations et du comportement de l’intéressé pendant l’audience ainsi que d’autres éléments versés au dossier. Ainsi, elle s’est efforcée de déterminer si les déclarations du requérant étaient plausibles et cohérentes conformément à la jurisprudence du Comité. Dans la plainte qu’il a adressée au Comité, le requérant n’apporte pas de nouvelles précisions sur sa situation et tente en réalité d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir que celui-ci réexamine les faits qu’il a présentés dans sa demande d’asile. L’État partie estime que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de fait de la Commission de recours pour les réfugiés qui, en l’espèce, est le mieux placée pour apprécier les faits.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans des réponses du 21 janvier et du 2 février 2016, le requérant fait observer que le Service danois de l’immigration et la Commission de recours pour les réfugiés ne semblaient pas comprendre la nécessité de faire pratiquer des examens médicaux dans les dossiers de torture. Quand il est arrivé au Danemark le requérant et sa compagne n’ont pas pu obtenir le regroupement familial conformément aux règles applicables au Danemark. Victime d’actes de torture dans son pays d’origine, le requérant a présenté une demande de protection au Danemark pour éviter l’expulsion vers le Soudan.

5.2Le requérant relève que dans toutes les communications relatives à des expulsions, l’État partie soutient que les requérants n’ont pas établi à première vue que leur requête était recevable et en tire, à l’issue d’une argumentation très brève, la conclusion qu’elle est dénuée de fondement. Le requérant ajoute que l’État partie a raison quand il dit qu’il tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel parce qu’il a effectivement « désespérément besoin de son aide ». La législation danoise ne prévoit pas la possibilité de faire appel des décisions de la Commission de recours pour les réfugiés, même dans les dossiers où elle est divisée, comme c’est le cas en l’espèce. Une minorité de membres souhaitait que la Commission accorde l’asile au requérant ou qu’elle ordonne un examen médical avant de rendre une décision définitive. Or ces options ont été écartées par une majorité de membres qui a rendu une décision négative. Le requérant soutient que, conformément au droit à un procès équitable, une telle décision devrait être susceptible d’appel devant une organe supérieur, ce qui n’est pas possible au Danemark. Par conséquent, le requérant convient avec l’État partie que le Comité sert d’organe d’appel, mais il conteste l’argument selon lequel le Comité devrait accorder du poids aux conclusions de la majorité des membres de la Commission, faisant valoir que ces conclusions n’ont pas de « fondement approprié » − en l’espèce, un examen médical visant à établir la réalité des actes de torture.

5.3Le requérant maintient que le Comité devrait déclarer sa communication recevable et rejette l’argument selon lequel il n’a pas apporté d’éléments montrant qu’elle était recevable.

5.4Le requérant renvoie aux décisions du Comité dans l’affaire Aminic. Danemark, et dans l’affaire K. H. c. Danemark (par. 4.5), relevant que, dans les deux cas, la Commission de recours pour les réfugiés a considéré que les requérants avaient menti lorsqu’ils avaient déclaré avoir subi des actes de torture et n’a pas ordonné d’examen médical, mais que les intéressés avaient pu se faire examiner gratuitement par des médecins de l’équipe médicale de la section danoise d’Amnesty International afin d’établir la réalité des actes de torture qu’ils disaient avoir subis. Au Danemark, les demandeurs d’asile ne reçoivent pas de permis de travail et n’ont donc pas les moyens de payer cet examen. Lorsqu’un examen médical visant à établir la réalité des actes de torture n’a pas été ordonné par les autorités, de nombreux demandeurs d’asile font donc appel à Amnesty International pour se faire examiner gratuitement. Toutefois l’organisation ne peut traiter qu’un nombre limité de cas et jusqu’ici le requérant n’a pas pu en bénéficier mais il a déposé une demande. Le requérant maintient que c’est l’État partie à la Convention qui devrait être tenu de prendre l’initiative de l’examen médical visant à constater des marques de torture et non le plaignant, qui n’a pas de ressources, ni des organisations non gouvernementales qui ont des moyens limités et travaillent uniquement avec des bénévoles.

5.5Le requérant mentionne le cas d’un ressortissant turc d’origine kurde qui avait demandé l’asile parce qu’il avait subi des actes de torture avant de prendre la fuite. La Commission de recours pour les réfugiés avait ordonné une expertise médicale pour déterminer s’il avait subi des actes de torture et décidé, sur la base des résultats obtenus, de lui accorder l’asile. Elle avait reporté sa décision en attendant les conclusions de l’examen médical. Le requérant soutient que telle est la « procédure correcte » qui aurait dû être appliquée dans son cas puisqu’il est essentiel d’établir s’il a été victime d’actes de torture avant de s’enfuir du pays pour pouvoir déterminer s’il sera (de nouveau) soumis à la torture en cas de retour. À l’appui de son argumentation, le requérant renvoie aux décisions du Comité dans l’affaire Aranac. France,dans l’affaire Agizac. Suède, et Chun Rongc. Australie. Il renvoie aussi à la décision dans K. H. c. Danemark(par. 8.8) dans laquelle le Comité a considéré clairement « qu’en rejetant la demande d’asile du requérant sans chercher à vérifier davantage ses allégations ni ordonner un examen médical, l’État partie n’a pas déterminé s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était expulsé », et a constaté une violation de l’article 3.

5.6Le requérant se réfère en outre à deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : A. A. c. France et A. F. c. France, dans lesquelles les requérants étaient des demandeurs d’asile originaires du Soudan. Dans les deux affaires, la Cour avait constaté une violation par la France de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en se fondant notamment sur un examen minutieux des informations générales disponibles sur la situation des droits de l’homme au Soudan. Dans le second arrêt, la Cour a estimé qu’il était probable que le requérant, à son arrivée à l’aéroport de Khartoum, attire l’attention défavorable des autorités en raison des quelques années qu’il avait passéesà l’étranger. Le requérant affirme qu’il a lui-même passé beaucoup de temps à l’étranger et attirerait l’attention des autorités à son retour et que les cicatrices laissées par les actes de torture qu’il a subis seraient immédiatement découvertes. La police et les services de sécurité soudanais comprendront alors qu’ils ont affaire à un de leurs anciens « clients ». Il serait donc soumis à un interrogatoire et très probablement torturé. À l’appui de ses affirmations, le requérant joint une photo de ses cicatrices.

5.7Le requérant réaffirme qu’il ressort clairement de l’observation générale no 1 du Comité que l’État partie, lorsqu’il sait que des violations massives des droits de l’homme sont commises dans le pays d’origine, doit déterminer si le demandeur d’asile a subi ou non des actes de torture avant de quitter son pays. Ce point essentiel doit être éclairci pour déterminer si le requérant risque également d’être soumis à la torture à son retour. Il semble que l’État partie estime (à tort) qu’il n’avait pas à déterminer si le requérant avait subi ou non des actes de torture avant de quitter le pays pour apprécier le risque de torture qu’il encourt à son retour. Par conséquent, le requérant considère, sur le fond de l’affaire, que la majorité des membres de la Commission, qui avait refusé la possibilité de le faire examiner par un médecin avant de rejeter sa demande d’asile, a violé les « aspects procéduraux » de l’article 3.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 10 juin 2016, l’État partie a répondu aux commentaires du requérant en date du 21 janvier 2016 ; il maintient ses observations du 17 novembre 2014. Il ajoute qu’il ressort de la décision de la Commission de recours pour les réfugiés que la majorité de ses membres « n’a pas jugé crédible la déclaration du plaignant » selon laquelle, il avait été placé en détention en avril 2007 et torturé par des individus proches des autorités soudanaises parce que son frère était membre du Mouvement pour la justice et l’égalité. La majorité des membres de la Commission a souligné à ce sujet que le requérant avait fait des déclarations exagérées et divergentes sur des aspects essentiels des motifs de sa demande d’asile et qu’il n’avait pas donné la même version que sa compagne sur la raison de leur départ du Soudan (voir plus haut par. 4.1 à 4.4).

6.2L’État partie indique que le dossier de la compagne du requérant, que l’intéressé avait rencontrée en 2006 au Soudan et avec qui il vivait avant qu’ils ne quittent ce pays en 2007, a été pris en considération dans l’examen de la demande d’asile du requérant et donc que c’est un des éléments qui ont servi de fondement aux décisions du Service danois de l’immigration et de la Commission de recours pour les réfugiés. L’État partie confirme les renseignements du requérant sur la procédure d’examen de la demande d’asile présentée par sa compagne, notamment le fait que, le 25 avril 2012, la Commission a accordé à cette dernière un permis de séjour au titre de l’article 7 (par. 2) de la loi relative aux étrangers, en tenant compte de son départ illégal d’Érythrée, de son séjour prolongé à l’étranger et de son insoumission au service militaire. Il ressort également du dossier de demande d’asile de la compagne du requérant que celle-ci a déclaré lors de son entretien du 14 décembre 2009 devant le Service danois de l’immigration que le requérant n’avait pas achevé son service militaire obligatoire et qu’il avait de ce fait été arrêté au domicile de ses parents, puis qu’il s’était échappé après avoir été détenu pendant quatorze jours et que le couple avait quitté le Soudan. Toutefois, le dossier de demande d’asile du requérant montre que celui-ci a déclaré lors de l’entretien du 17 janvier 2014 avoir dit à sa compagne qu’il avait été arrêté en raison des liens de son frère avec le Mouvement pour la justice et l’égalité et qu’il était convaincu qu’elle n’en avait pas fait état devant le Service danois de l’immigration parce que cela ne la concernait pas. Le requérant a également dit que sa compagne avait peut-être besoin d’une prise en charge psychologique et qu’elle ne s’exprimait pas très clairement. Le 23 avril 2014, pendant l’audience devant la Commission de recours pour les réfugiés, il a été prié d’expliquer pourquoi sa compagne avait déclaré lors de l’examen de sa propre demande d’asile qu’il avait dû quitter son pays d’origine en raison de ses obligations militaires. Le requérant a répondu que sa compagne ne maîtrisait pas l’arabe et qu’il ne voulait pas qu’elle sache toute la vérité. L’État partie s’est demandé si les déclarations discordantes du requérant et de sa compagne sur l’incident à l’origine de leur départ du Soudan en 2007 et si les exagérations et contradictions marquant le récit du requérant pouvaient être attribuables à la torture, comme le prétendait le requérant lui-même, mais il a conclu que ce n’était pas le cas.

6.3Pour ce qui est de la photographie des cicatrices sur le corps du requérant, l’État partie fait observer qu’on ne peut pas conclure du fait que le requérant ait ces cicatrices qu’il a été soumis à des mauvais traitements physiques comme il l’affirme. Quand un demandeur d’asile dit avoir subi dans son pays d’origine des actes de torture en raison de circonstances qui continuent de prévaloir et qu’il risque de ce fait d’être de nouveau soumis à la torture s’il retourne dans ce pays, la Commission de recours pour les réfugiés n’ordonne généralement pas d’examen visant à constater d’éventuels signes de torture si le demandeur d’asile n’a pas été crédible tout au long de la procédure, comme en l’espèce. Elle écarte donc totalement les déclarations du demandeur d’asile concerné sur les actes de torture allégués ou sur les circonstances qui ont donné lieu à la torture. Si les déclarations du demandeur d’asile sur les raisons pour lesquelles il a été torturé ne sont pas considérées comme crédibles et que les circonstances qui créent un risque de torture à son retour continuent selon lui de prévaloir, il est naturellement impossible de conclure, sur la base d’une telle affirmation, que le demandeur d’asile risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé dans son pays d’origine. L’État partie renvoie à la décision dans l’affaire S. A. P.c. Suisse, dans laquelle la requérante avait fourni des certificats médicaux à l’appui de sa demande d’asile, et relève que le Comité avait déclaré que la requérante alléguait qu’elle avait été victime de blessures extrêmement graves et de troubles post‑traumatiques. « Le Comité considère toutefois que les requérants n’ont pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure que les blessures constatées ont été causées par les actes présumés de persécution et mauvais traitements par les autorités. »

6.4L’État partie signale qu’il n’ignore pas la décision récente dans l’affaire F. K.c. Danemark dans laquelle le Comité fait valoir notamment ce qui suit : « […] le Comité considère que l’État partie a soulevé d’importants problèmes de crédibilité, mais qu’il a conclu au manque de crédibilité du requérant sans tenir compte d’un aspect fondamental de sa demande. Il estime donc qu’en rejetant la demande d’asile du requérant sans ordonner d’examen médical, l’État partie ne s’est pas suffisamment efforcé d’établir s’il existait des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Turquie. ». De l’avis de l’État partie, on ne peut cependant inférer de cette décision qu’il existe une obligation générale de procéder à un examen visant à détecter d’éventuels signes de torture dans les cas où la déclaration d’un demandeur d’asile concernant les motifs de sa demande ne peut être considérée comme un fait établi parce qu’elle manque de crédibilité. Le raisonnement suivi dans la décision concernant l’affaire F. K. c. Danemark est donc très particulier.

6.5L’État partie affirme qu’indépendamment de la question de savoir s’il peut être considéré comme un fait établi qu’il existe au Soudan un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme, il arrive à la conclusion que le requérant ne courrait pas personnellement un risque précis d’être soumis à des violences relevant de l’article 3 de la Convention s’il est renvoyé dans ce pays. L’État partie se réfère aux décisions dans les affaires Z. c. Danemark et M. S. c. Danemark dans lesquelles le Comité a déclaré que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi une raison suffisante d’établir qu’une personne donnée serait en danger d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires portant à croire que l’intéressé court personnellement un risque. L’État partie affirme en outre que la référence du requérant aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires A. A. c. France et A. F. c. France (voir plus haut par. 5.6) ne peut pas conduire à une appréciation différente de sa demande.

6.6L’État partie fait valoir que, d’après les renseignements qu’il a apportés, le requérant n’appartenait à aucune association ou organisation politique et n’avait pas eu affaire aux autorités avant l’incident qui se serait produit en 2007, incident que la majorité des membres de la Commission de recours pour les réfugiés n’a pas retenu comme un fait établi. L’octroi d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi relative aux étrangers ne peut pas être justifié par le fait que le requérant est d’ascendance africaine et qu’il vient à l’origine du Darfour. Il n’a pas été montré qu’il serait probable que, du simple fait de son séjour prolongé à l’étranger, le requérant attirerait l’attention des autorités soudanaises à son retour. Par conséquent, l’État partie considère que le requérant semble être peu intéressant pour les autorités soudanaises et qu’il ne risque pas de subir des violences à son retour au Soudan. Quant aux autres communications auxquelles le requérant renvoie, l’État partie relève qu’elles concernent des demandeurs d’asile originaires de pays différents et qu’aucun parallèle n’a été établi entre les circonstances de ces affaires et celles de l’affaire examinée. Il considère par conséquent que ces références ne peuvent pas conduire à apprécier différemment la requête.

6.7L’État partie renvoie aux constatations du Comité des droits de l’homme les affaires P. T. c. Danemark, K. c. Danemark, et N. c. Danemark. Il maintient que la communication soumise par le requérant reflète simplement son désaccord avec l’évaluation par la Commission de recours pour les réfugiés de son cas particulier et des documents de référence. Le requérant n’a mis en évidence aucune irrégularité dans la procédure de décision, ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. Par conséquent, l’État partie réaffirme que le requérant tente en fait d’utiliser le Comité comme un organe d’appel pour obtenir un réexamen des circonstances de fait avancées à l’appui de sa demande d’asile. Il rappelle en outre que le Comité doit accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission danoise de recours pour les réfugiés, laquelle, en l’espèce, est le mieux placée pour apprécier les faits.

Délibérations

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

7.3Le Comité rappelle que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est manifestement mal fondée faute d’être suffisamment étayée. Le Comité considère toutefois que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au regard de l’article 3 de la Convention et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, le Comité ne constate pas d’obstacles à la recevabilité et déclare la communication recevable.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Soudan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

8.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture s’il était renvoyé au Soudan. Pour évaluer ce risque, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris l’existence, le cas échéant, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité demeure sérieusement préoccupé par les allégations persistantes et cohérentes laissant entendre que l’utilisation généralisée de la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants par des acteurs étatiques, qu’il s’agisse de l’armée ou de la police, persiste dans de nombreuses parties du Soudan. Il rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé ; des raisons supplémentaires de penser qu’il serait personnellement en danger doivent être présentées.

8.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 dans laquelle il déclare que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable mais il doit être encouru personnellement et actuellement. Le Comité a établi dans de précédentes décisions que le risque de torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.5Le Comité relève que le requérant affirme courir personnellement un risque réel d’être soumis à la torture en cas de renvoi au Soudan pour les raisons suivantes : il a été interrogé par des agents des forces de sécurité nationale et des fonctionnaires de police sur les activités de son frère au sein du Mouvement pour la justice et l’égalité et sur l’endroit où celui-ci se trouvait ; il a été frappé de plusieurs coups de couteau par des agents des forces de sécurité ; il a été menacé de mort par des fonctionnaires de police et il s’est échappé de l’hôpital militaire où il était détenu, puis a quitté le pays. Le requérant a également peur de rentrer au Soudan parce qu’il a une relation de couple avec une chrétienne, raison pour laquelle des policiers l’ont accusé de ne pas être un vrai musulman. Le Comité note également les observations de l’État partie qui affirme que les autorités nationales n’ont pas jugé le requérant crédible parce qu’il avait notamment fait des déclarations contradictoires et exagérées lors de ses entretiens et n’avait pas donné la même version que sa compagne sur la raison de leur départ du Soudan (voir plus haut par. 4.3 et 4.4).

8.6En l’espèce, le Comité observe que pour étayer le risque de torture en cas de renvoi au Soudan qu’il allègue, le requérant se réfère à la situation générale des droits de l’homme dans le pays et affirme qu’en 2007, des agents des services de sécurité et des fonctionnaires de police lui ont porté des coups de couteau, l’ont menacé et l’ont arrêté pour qu’il leur dise où se trouvait son frère, qui est un partisan du Mouvement pour la justice et l’égalité. Le Comité note aussi que l’État partie affirme que le requérant n’a jamais pris lui-même part aux activités de ce Mouvement, que sa seule action politique a consisté à participer à une manifestation et qu’il a fait des déclarations contradictoires sur les circonstances dans lesquelles des mauvais traitements lui ont été infligés et sur les circonstances de son arrestation. Le Comité note que, même s’il faisait abstraction des incohérences susmentionnées et considérait que les allégations du requérant sont fondées, celui-ci n’a pas démontré que les autorités soudanaises l’avaient recherché dans un passé récent ni qu’il les intéressait d’une autre manière. Le Comité relève également que, d’après le requérant, les autorités auraient dû ordonner un examen médical afin de constater s’il avait été ou non soumis à la torture.

8.7Le Comité note que si un requérant demande à être examiné par un médecin pour démontrer qu’il a subi des actes de torture, un examen médical devrait en principe être effectué, indépendamment du crédit aux allégations accordé par les autorités, afin que les autorités chargées de statuer sur un cas concret de renvoi forcé puissent faire une évaluation objective du risque de torture, en se fondant sur les résultats de l’examen médical, sans aucun doute raisonnable. Dans les circonstances particulières de l’espèce toutefois le Comité relève qu’il s’est écoulé de longues années depuis les faits, qui se seraient produits en 2007, et rappelle que, bien que des événements passés puissent avoir une certaine importance, son analyse a pour principal but de déterminer si le requérant court actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Soudan. Le Comité rappelle que des mauvais traitements subis dans le passé ne constituent qu’un élément à prendre en considération car ce que le Comité doit établir si le requérant court actuellement un risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Soudan. Le Comité considère que, même à supposer que le requérant a été torturé dans le passé par les autorités soudanaises, il ne s’ensuit pas automatiquement que, plus de dix ans après les faits allégués, il courrait encore un risque d’être soumis à la torture s’il retourne au Soudan.

8.7Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le risque de torture doit être doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons et ajoute qu’en général il appartient au requérant de présenter des éléments pour étayer ses griefs. Compte tenu de ce qui précède et eu égard à toutes les informations données par le requérant et par l’État partie, y compris sur la situation générale des droits de l’homme au Soudan, le Comité considère que le requérant n’a pas suffisamment montré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi au Soudan l’exposerait personnellement à un risque réel et spécifique de torture, conformément à l’article 3 de la Convention.

9.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, constate que le renvoi du requérant au Soudan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.