Nations Unies

CRPD/C/27/D/51/2018

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

27 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre del’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 51/2018 * , **

Communication présentée par :

Maria Simona Bellini (représentée par un conseil, Andrea Saccucci)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure, Letizia Costanzo et Salvatore Lentini

État partie :

Italie

Date de la communication :

28 mars 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 avril 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

26 août 2022

Objet :

Absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux de personnes handicapées et absence de soutien social à ces aidants

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Égalité et non-discrimination ; sensibilisation ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; droit de ne pas être soumis à l’exploitation, à la violence et à la maltraitance ; autonomie de vie et inclusion dans la société ; respect de la famille ; santé ; niveau de vie adéquat et protection sociale

Article(s) du Pacte :

5, 8, 12, 16, 19, 23, 25 et 28

Article(s) du Protocole facultatif :

2 (al. d) et e))

1.L’auteure de la communication est Maria Simona Bellini, de nationalité italienne, née en 1957. Elle s’occupe de sa fille, Letizia Costanzo, née en 1988, et de son compagnon, Salvatore Lentini, né en 1956, tous deux de nationalité italienne et handicapés. Elle soumet la communication en son nom et au nom de sa fille et de son compagnon. Elle affirme que le système juridique italien n’accorde ni statut ni protection aux aidants familiaux, en violation des articles 5, 8, 12, 16, 19, 23, 25 et 28 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 juin 2009. L’auteure est représentée par un conseil.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure joue le rôle d’aidante pour sa fille, Letizia Costanzo, et pour son compagnon, Salvatore Lentini. D’après le diagnostic qui a été posé, sa fille présente une brachycéphalie, une quadriplégie avec hypotonie généralisée, une épilepsie myoclonique, un handicap intellectuel, des troubles de l’alimentation et du sommeil, une ataxie, une incapacité complète d’utiliser le langage verbal, un syndrome de vomissements cycliques, une sialorrhée incontrôlable et une tendance à l’automutilation. L’auteure s’occupe de tous les aspects de la vie quotidienne de sa fille, notamment en ce qui concerne l’hygiène personnelle, les médicaments, les changements de posture, les repas, l’utilisation de dispositifs de réadaptation, le ménage, le changement quotidien du linge de lit et les soins à prodiguer pendant la nuit. L’auteure indique que, du lundi au vendredi, de 9 h 30 à 14 h 30, et le samedi, de 9 h 30 à 12 heures, elle accompagne sa fille dans un centre spécialisé, où elle reste avec elle pour l’aider. La nuit, elle ne peut souvent pas dormir, car elle doit la surveiller et gérer ses crises d’épilepsie et de vomissements. Sa fille ayant en outre tendance à s’automutiler, notamment en se mordant la langue et les mains, ce qui lui a valu plusieurs opérations de chirurgie réparatrice, l’auteure est souvent obligée de lui mettre un doigt dans la bouche, y compris la nuit, pour l’empêcher de se mordre.

2.2Depuis une dizaine d’années, l’auteure s’occupe également de son compagnon. En 2007, cinq ans après le début de leur relation, celui-ci a eu une hémorragie cérébrale qui l’a plongé dans le coma et lui a laissé de graves séquelles. D’après le diagnostic dont il a fait l’objet, il a du diabète, de l’hypertension, une ataxie cérébelleuse, des problèmes d’équilibre et de mobilité, des troubles de la mémoire et une dépression. Il a constamment besoin d’être assisté pour tout ce qui touche à l’hygiène, la prise des médicaments, les repas et la marche.

2.3L’auteure aide également sa fille et son compagnon en s’occupant de toutes leurs interactions avec les organes publics, dont la municipalité, le département des services sociaux, les hôpitaux, l’école, les centres de réadaptation, les institutions de crédit et les centres d’aide à l’autonomisation, afin d’obtenir des services, des prestations, des allocations familiales, des rendez-vous et des services médicaux. En outre, elle remplit diverses formalités administratives pour leur compte.

2.4L’auteure consacre le temps et l’énergie qui lui restent à améliorer ses connaissances dans les domaines médicaux et juridiques liés au handicap. Afin de gagner des revenus permettant à sa famille de subsister, elle travaille à domicile. En 2013, elle a obtenu l’autorisation de télétravailler, car son travail de bureau n’était pas compatible avec l’assistance qu’elle doit apporter à sa fille et à son compagnon. Cependant, cette autorisation de télétravail a été annulée en janvier 2017, ce qui l’a empêchée de conserver son emploi.

2.5L’auteure fait observer qu’aux termes de l’article premier du Protocole facultatif, le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation par cet État partie des dispositions de la Convention. Elle fait valoir qu’en vertu dudit article, elle a qualité pour agir en tant qu’aidante familiale de personnes handicapées. Elle invoque à l’appui de cette affirmation les trois arguments suivants, qui sont liés entre eux : a) il existe un lien fondamental entre elle en tant qu’aidante et les personnes handicapées dont elle s’occupe ; b) les activités que mènent les aidants sans bénéficier d’une quelconque reconnaissance juridique constitue une forme de discrimination ; c) les soins à la personne constituent un droit fondamental.

2.6L’auteure signale en outre qu’elle préside la « Coordinamento famiglie disabili gravi e gravissimi » (ci-après « l’Association »), fondée en 2007. L’Association a pour but de promouvoir les droits de toutes les personnes handicapées et des aidants familiaux et de faire mieux connaître les lois, les procédures administratives, les soins et les institutions, et d’améliorer la communication entre les familles et les institutions. Ces dix dernières années, elle a mené plusieurs opérations visant à demander à l’État partie de prendre des mesures pour que les aidants familiaux soient protégés par la loi. Elle a saisi le Parlement italien d’une pétition, signée par 200 000 personnes, dans laquelle elle réclamait l’adoption d’une législation accordant un statut et des droits aux aidants familiaux. Avec le soutien de l’Association, l’auteure et d’autres aidants familiaux ont intenté une action en justice contre l’Institut national de la sécurité sociale pour obtenir le versement de prestations de sécurité sociale. Toutefois, des tribunaux de Milan et de Rome ont rejeté leurs requêtes. Au cours de la dernière décennie, plusieurs projets de loi relatifs aux aidants familiaux ont été soumis aux deux chambres du Parlement, mais les délibérations sur ces projets n’ont pas abouti et aucun d’eux n’est entré en vigueur.

2.7En raison de l’inaction du législateur, l’Association, soutenue par quelque 30 000 personnes, a soumis une pétition au Parlement européen, qui l’a examinée le 17 septembre 2015, ce qui a suscité un vif intérêt pour la question traitée. À l’issue de cet examen, le Président de la Commission des pétitions a adressé une lettre au Ministre italien de la santé dans laquelle il demandait quelle suite avait été donnée aux requêtes formulées.

2.8L’auteure indique qu’à l’heure actuelle, le système juridique de l’État partie n’offre aucune protection aux aidants familiaux pour ce qui est de leur droit à une retraite, à des indemnités ou à l’assurance maladie. Elle souligne que cette absence de reconnaissance et de soutien peut avoir de graves répercussions sur la santé, la situation financière et socioéconomique ainsi que sur la vie personnelle et sociale des aidants familiaux comme elle, dont la situation s’est précarisée. Elle n’a pas droit à des indemnités ni à un soutien financier pour les soins qu’elle prodigue à sa fille et à son compagnon. La seule allocation pour soins existant dans l’État partie consiste en une aide très modeste destinée à la personne handicapée. L’auteure fait observer que, n’étant plus autorisée à télétravailler, elle perdra son emploi et le revenu correspondant, puisqu’elle est obligée de rester à la maison pour s’occuper de sa fille et de son compagnon. Elle ajoute qu’en tant qu’aidante familiale, elle est contrainte d’assumer les coûts directs et indirects liés aux soins qu’elle prodigue. En outre, le fait qu’elle ne pourra plus travailler ni toucher un salaire aura des incidences à long terme sur sa pension de retraite.

2.9L’auteure affirme qu’en raison de cette lacune juridique, elle ne dispose d’aucun recours interne utile qui lui permettrait d’obtenir réparation pour les violations des droits que les membres de sa famille et elle-même tiennent de la Convention. Ainsi, les droits des aidants familiaux n’étant pas reconnus par la loi, il serait vain d’épuiser d’autres voies de recours ordinaires.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’absence de dispositions accordant un statut et un soutien aux aidants familiaux a donné lieu à une violation des droits que sa fille, son compagnon et elle‑même tiennent des articles 5, 8, 12, 16, 19, 23, 25 et 28 de la Convention.

Article 5

3.2L’auteure affirme que la lacune que présente le système juridique italien rend les aidants familiaux vulnérables et les expose au risque d’être victimes de « discrimination par association », ce qui est contraire à l’article 5 de la Convention. Elle soutient qu’elle est étroitement associée aux proches dont elle s’occupe et que, de ce fait, elle a été victime de discrimination dans le travail, ce dont témoignent l’annulation de son autorisation de télétravailler et le risque pour elle de perdre son emploi. Elle ajoute qu’il est difficile pour les aidants de concilier un travail rémunéré et les activités qu’ils mènent pour s’occuper d’un proche, raison pour laquelle ils doivent souvent se résoudre à prendre un emploi à temps partiel ou à quitter définitivement le marché du travail, ce qui est la source de graves problèmes financiers et de coûts pour leur famille. L’auteure soutient également qu’elle est victime de discrimination fondée sur le genre, car la plupart des aidants familiaux sont des femmes. Elle souligne que l’État partie a l’obligation d’adopter toutes les mesures voulues pour prévenir la discrimination et instaurer une égalité réelle, et notamment de prendre des mesures spéciales et des mesures d’action positive en faveur des personnes handicapées et de leur famille.

Article 8

3.3L’auteure affirme que, compte tenu de l’absence d’accompagnement spécialisé, d’informations et de reconnaissance officielle des compétences des aidants familiaux, les faits décrits dans la communication font apparaître une violation par l’État partie des dispositions de l’article 8 de la Convention. Elle dit n’avoir reçu des autorités publiques aucune information susceptible de l’aider à assumer ses responsabilités d’aidante, notamment en ce qui concerne les critères à remplir pour bénéficier de prestations sociales et de services sociaux et médicaux à domicile. Elle considère que les aidants familiaux devraient être épaulés par des professionnels qui leur expliquent comment répondre aux besoins des personnes handicapées afin qu’ils connaissent les soins existants et soient libres de leur choix en la matière, et que les personnes handicapées bénéficient d’une assistance adaptée et de grande qualité. Or, les aidants familiaux sont souvent livrés à eux‑mêmes et ne reçoivent ni assistance ni soutien de la part des autorités, y compris en ce qui concerne l’accomplissement de certains gestes médicaux tels que les changements de canules trachéobronchiques ou de sondes d’alimentation, l’aspiration nasotrachéale ou la réanimation cardiopulmonaire. L’auteure estime que l’État partie devrait mettre en place des programmes spéciaux de formation visant à améliorer la qualité des soins dispensés à domicile et à reconnaître officiellement les compétences des aidants à l’échelon national.

Article 12

3.4L’auteure se dit victime d’une violation de l’article 12 de la Convention au motif que l’État partie n’accorde pas un statut aux aidants familiaux. Elle affirme que, si l’on interprète l’article 12 à la lumière du droit de vivre dans la société, il signifie que l’accompagnement dans l’exercice de la capacité juridique doit être fourni dans le cadre d’une approche axée sur la société. En ce sens, il importe de reconnaître le rôle clef joué par les aidants familiaux, car ce n’est que de cette façon que l’objectif de la pleine inclusion des personnes handicapées dans la société et de leur pleine participation à la société pourra être atteint. L’auteure ajoute que, dans une situation telle que celle des membres de sa famille, la capacité juridique est exercée par l’aidant familial. Or, le système juridique de l’État partie ne confère pas de statut aux aidants familiaux, ne reconnaît pas leur rôle et ne prévoit pas de leur offrir une formation, une assistance ou une préparation spéciales afin qu’ils soient à même d’assumer leurs tâches.

Article 16

3.5L’auteure affirme qu’en ne prévoyant aucune mesure spéciale de prévention permettant de concilier travail, assistance et vie familiale, l’État partie ne fait rien pour prévenir l’épuisement psychologique et physique des aidants familiaux, ce qui constitue une violation de l’article 16 de la Convention. Elle souligne que, si les aidants familiaux ne sont pas à même de répondre pleinement aux besoins de la personne nécessitant une assistance, celle‑ci risque d’être victime de négligence ou de maltraitance.

Article 19

3.6L’auteure affirme que l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux a de graves répercussions sur le droit des personnes handicapées, dont les membres de sa famille, de vivre de manière autonome au sein de la société et sur leur droit à l’inclusion dans la société et à la participation à la société, et constitue donc une violation des droits qui leur sont consacrés par l’article 19 de la Convention. Elle affirme que, selon les dispositions de cet article, les personnes handicapées devraient avoir le droit de décider où et avec qui elles vont vivre et ne devraient pas être obligées de vivre dans un milieu de vie particulier. Elle soutient que les personnes handicapées et leur famille jouissent du droit de prendre des décisions concernant leur vie et de bénéficier d’un soutien en adéquation avec leurs besoins particuliers. Le principe de la protection de l’autonomie de vie et de l’inclusion dans la société signifie que l’État partie est tenu d’offrir un soutien aux familles, en particulier aux aidants. L’auteure estime que ce soutien ne devrait pas se limiter au versement d’allocations et fait observer que ce type de prestation n’existe même pas dans l’État partie puisque les aidants familiaux ne peuvent pas prétendre à une aide financière, et que seule la personne handicapée a droit à une allocation pour soins, d’ailleurs d’un montant modeste. L’auteure indique que sa famille devrait bénéficier de services de garde de jour d’un coût abordable, de services d’aide à domicile, de prise en charge de répit et de veille de nuit, de services d’orientation et d’accompagnement et de possibilités d’éducation et de formation professionnelle.

Article 23

3.7L’auteure affirme en outre qu’en n’allouant pas de ressources spéciales d’ordre financier, social et autre aux familles de personnes handicapées afin d’assurer leur accès à toutes les formes de soutien dont elles ont besoin, l’État partie viole l’article 23 de la Convention. Elle affirme que cet article fait obligation à l’État partie d’adopter des mesures sous forme d’aides financières, d’un montant adapté aux besoins de la personne handicapée, afin que celle-ci puisse vivre avec sa famille et ne soit pas placée en institution. Elle soutient que l’absence de mesures appropriées en soutien à sa famille constitue une violation de l’article 23 de la Convention.

Article 25

3.8L’auteure affirme également que les droits que les membres de sa famille et elle‑même tiennent de l’article 25 de la Convention ont été violés, car le système juridique de l’État partie ne prévoit pas que le rôle joué par l’aidant familial soit pris en compte dans le système de santé. Elle soutient que les besoins des personnes handicapées en matière de soins de santé rendent nécessaire l’instauration d’une coopération harmonieuse entre l’aidant familial et les professionnels de santé.

Article 28

3.9L’auteure considère qu’il y a violation de l’article 28 de la Convention, car l’État partie ne fait bénéficier les aidants familiaux d’aucune forme de protection ou d’assurance sociale. En outre, aucune prestation sociale n’est accordée aux aidants familiaux qui, comme elle, perdent leur emploi en raison des activités qu’ils mènent pour s’occuper d’un proche. En conséquence, les familles de personnes handicapées courent un risque élevé de précarisation et ont donc tout particulièrement besoin d’une protection sociale afin de disposer notamment de ressources et de temps et de bénéficier de services. L’auteure indique que les mesures visant à améliorer les conditions de vie des personnes handicapées et de leur famille peuvent prendre différentes formes telles que le remboursement des dépenses, la facilitation de l’accès au logement, l’offre de services de soins d’un coût abordable, l’instauration d’un régime fiscal plus favorable, la possibilité d’avoir des horaires de travail flexibles, l’accès à un lieu de travail proche de leur domicile, la reconnaissance du statut d’aidant dans le régime de retraite et la protection contre la discrimination au travail et contre les licenciements arbitraires. Or, elle relève qu’aucune de ces mesures n’a été mise en place dans l’État partie et qu’aucune prestation appropriée de sécurité sociale n’est accordée à sa famille.

Réparation demandée

3.10L’auteure prie le Comité de conclure que l’État partie n’a pas respecté les obligations mises à sa charge par les articles 5, 8, 12, 16, 19, 23, 25 et 28 de la Convention, de recommander à l’État partie d’adopter toutes les mesures nécessaires pour donner suite aux conclusions qu’il a formulées et d’assurer à sa famille une réparation effective, notamment le remboursement de tous les frais de justice engagés ainsi qu’une indemnisation.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 12 juin et le 12 octobre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement et pour non‑épuisement des recours internes.

4.2L’État partie indique qu’avec le soutien de l’Association, l’auteure a intenté une action en justice contre l’Institut national de la sécurité sociale devant des tribunaux de Milan et de Rome pour réclamer le versement d’allocations de sécurité sociale et de prestations sociales. Il souligne que, dans des décisions rendues le 15 juillet et le 14 octobre 2014, respectivement, ces juridictions ont rejeté les requêtes de l’auteure. Il soutient que, pour épuiser les recours internes, l’auteure aurait dû former un recours contre ces décisions. Il ajoute que, l’auteure ayant soulevé des griefs de discrimination dans le travail fondés sur l’annulation de son autorisation de télétravailler, elle aurait dû « se prévaloir de la mesure de protection judiciaire » prévue par la loi no 67 du 1er mars 2006 (relative à la protection judiciaire des personnes handicapées victimes de discrimination).

4.3Concernant le fond de la communication, l’État partie signale que diverses formes de protection sont prévues par la législation nationale : premièrement, le droit pour les employés du secteur public ou du secteur privé qui s’occupent d’un proche lourdement handicapé de prendre trois jours de congés payés, par application de l’article 33 de la loi no 104 du 5 février 1992 (relative à l’assistance aux personnes handicapées, à leur intégration sociale et à leurs droits) ; deuxièmement, le droit pour les personnes salariées qui s’occupent d’une personne handicapée de prendre un congé payé exceptionnel de deux ans, par application de l’article 42 du décret législatif no 151 du 26 mars 2001, selon lequel l’aidant peut prétendre à une allocation d’un montant correspondant au dernier salaire touché et la période de congé est couverte par une cotisation sociale imputée ; troisièmement, le droit pour les proches de personnes handicapées de bénéficier du soutien du fonds d’aide aux personnes dépendantes, créé en application de l’article premier de la loi no 296 du 27 décembre 2006, qui prévoit une aide financière pour l’achat de services de soins et d’aide à domicile et pour l’admission dans une institution assurant une prise en charge de répit ; quatrièmement, la contribution du fonds d’appui aux aidants familiaux dans leurs prestations de soin et d’assistance, établi en application de l’article premier (254) de la loi no205 du 27 décembre 2017, qui a alloué 20 millions d’euros par an, en 2018, 2019 et 2020, au financement d’initiatives législatives visant à reconnaître le rôle socioéconomique des aidants familiaux ; cinquièmement, la possibilité pour les parents d’enfants handicapés d’obtenir un congé parental plus long, d’une durée pouvant aller jusqu’à trois ans, par application du décret législatif no 151.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

5.1Le 21 décembre 2018, l’auteure a transmis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Elle maintient que la communication est recevable.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteure soutient que les griefs soulevés dans la communication sont directement fondés sur le droit interne, ou plutôt sur le fait que l’État partie ne s’est pas doté d’un cadre juridique adéquat pour la reconnaissance du rôle joué par les aidants familiaux. Elle considère qu’en raison de cette lacune, aucun recours judiciaire ne peut être considéré comme utile au regard de l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif.

5.3L’auteure renvoie aux requêtes qu’elle-même et d’autres aidants familiaux ont soumises au tribunal de Rome le 3 février 2014, et au tribunal de Milan, le 26 février 2014, et selon lesquelles l’État devrait s’acquitter du paiement des contributions de sécurité sociale des aidants familiaux. L’auteure souligne qu’elle a intenté cette action uniquement pour obtenir une forme de reconnaissance juridique du travail qu’elle accomplit en tant qu’aidante familiale. Elle a prié les tribunaux de déclarer que les dispositions relatives à d’autres catégories de personnes bénéficiant d’une protection s’appliquaient également aux aidants familiaux. En particulier, elle a revendiqué le droit de cotiser au système de sécurité sociale et au régime obligatoire d’assurance accidents, maladie et responsabilité civile. Dans une décision datée du 15 juillet 2014, le tribunal de Milan a expressément reconnu l’existence d’une lacune structurelle dans le système juridique italien, ajoutant qu’au vu de sa teneur et de sa portée, la question dont était saisie l’autorité judiciaire devait être examinée par le Parlement. Le tribunal a estimé en outre que, comme le statut juridique des aidants familiaux n’était pas défini dans la législation, il ne pouvait pas être établi par jurisprudence. L’auteure affirme que, compte tenu de ce qui précède, un recours n’aurait eu aucune chance d’aboutir. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, dans l’affaire Oliari et autres c . Italie, a constaté que les tribunaux nationaux ne pouvaient qu’inviter le pouvoir législatif à prendre des mesures et qu’en conséquence, il ne pouvait pas être reproché à des requérants de ne pas avoir épuisé un recours, par définition inutile, soit en ne l’exerçant pas du tout, soit en n’allant pas jusqu’au bout de la procédure judiciaire. L’auteure fait observer en outre qu’en vertu de la législation interne, les particuliers ne peuvent pas saisir directement la Cour constitutionnelle pour lui demander de contrôler la constitutionnalité d’une loi ou pour se plaindre de l’absence de mesures législatives. Les tribunaux nationaux ont compétence pour interpréter et appliquer la législation en vigueur, mais ils ne sont pas habilités à la modifier.

5.4En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle la loi no 67 offre un recours aux victimes de discrimination, l’auteure considère que cet argument est fallacieux, car cette loi ne couvre pas le type de grief soulevé par elle-même et sa famille, à savoir l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux, mais concerne plutôt les procédures applicables lorsqu’il est allégué qu’une personne handicapée fait l’objet d’une discrimination dans l’emploi et en matière de conditions de travail.

5.5L’auteure constate que l’État partie renvoie à un certain nombre de textes législatifs (voir par. 4.3) qui, de son point de vue, offrent une protection aux aidants familiaux. L’auteure réaffirme que le système juridique de l’État partie, y compris les dispositions invoquées par celui-ci, ne prévoit pas de mesures efficaces de protection sociale visant à soutenir les aidants familiaux telles que le remboursement des dépenses, la facilitation de l’accès au logement, l’offre de services de soins d’un coût abordable, l’instauration d’un régime fiscal plus favorable, la possibilité d’avoir des horaires de travail flexibles, l’accès à un lieu de travail proche de leur domicile, la reconnaissance du statut d’aidant dans le régime de retraite et la protection contre la discrimination au travail et contre les licenciements arbitraires. L’auteure relève que l’État partie renvoie aux dispositions de l’article 33 de la loi no 104, selon lesquelles les aidants familiaux ont droit à trois jours de congés rémunérés par mois et l’État s’acquitterait des contributions de sécurité sociale correspondantes. Elle fait observer qu’à l’évidence, ces mesures sont loin d’être suffisantes pour répondre aux besoins de personnes telles que les membres de sa famille, qui ont besoin d’aide en permanence. Elle prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle la durée du congé parental a été portée à trois ans pour les parents qui ont des enfants lourdement handicapés de moins de 12 ans. Elle indique que la législation concernée n’est pas applicable dans son cas, car sa fille est adulte. Pour ce qui est de l’information fournie par l’État partie concernant la possibilité d’obtenir un congé exceptionnel rémunéré en vertu du décret législatif no 151/2001, l’auteure signale qu’il s’agit d’une mesure exceptionnelle dont le proche aidant ne peut bénéficier qu’une seule fois et dont la durée ne peut dépasser deux ans. Ce type de mesure ne serait pas adaptée à sa situation, car sa fille et son compagnon ont besoin d’une prise en charge constante, ininterrompue et attentive. En outre, l’auteure relève que l’État partie mentionne la création du fonds d’aide aux personnes dépendantes. Elle souligne que cette mesure ne constitue pas non plus une forme de reconnaissance officielle des aidants familiaux et de réglementation de leur situation. Elle fait observer que le soutien financier qui peut être obtenu du fonds est alloué au cas par cas et que sa portée est limitée, les ressources disponibles étant souvent affectées à des services particuliers. Enfin, elle constate que l’État partie a également mentionné l’existence d’un fonds d’appui aux aidants familiaux dans leurs prestations de soin et d’assistance. Elle fait observer que les informations fournies par l’État partie sont incomplètes et de nature à induire en erreur, étant donné que le Ministère de l’économie et des finances n’a pas approuvé les modifications qui devaient être apportées au budget pour que des ressources soient affectées au fonctionnement de ce fonds. Officiellement, celui-ci existe, mais il n’est pas encore opérationnel, et aucune forme de réparation ou d’indemnisation n’a été accordée à des personnes comme l’auteure, qui s’occupent de proches handicapés.

B.Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie considère que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes au motif que l’auteure n’a pas formé de recours contre les décisions des tribunaux de Milan et de Rome datées respectivement du 15 juillet et du 14 octobre 2014, par lesquelles ces juridictions ont rejeté les griefs soulevés par l’auteure, qui portaient sur le paiement des contributions de sécurité sociale des aidants familiaux. Il note également que, selon l’État partie, l’auteure aurait dû demander une protection judiciaire au titre de la loi no 67, lorsqu’elle a soulevé son grief de discrimination dans le cadre du travail fondé sur l’annulation de son autorisation de télétravailler. Le Comité note en outre que l’auteure affirme que les griefs soulevés dans sa communication reposent directement sur le fait que l’État partie ne s’est pas doté d’un cadre juridique adéquat pour la reconnaissance du statut aux aidants familiaux et, partant, qu’aucun recours judiciaire ne peut être considéré comme utile au regard de l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif.

6.4Rappelant sa jurisprudence, le Comité souligne que, même s’ils n’ont pas l’obligation d’épuiser les recours internes s’ils n’ont objectivement aucune chance de les voir aboutir, les auteurs des communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les recours disponibles, et que de simples doutes ou supputations quant à l’utilité des recours internes ne les dispensent pas de l’obligation de les épuiser.

6.5Le Comité note que l’auteure indique que, dans sa décision du 15 juillet 2014, le tribunal de Milan a expressément reconnu que le système juridique italien présentait une lacune structurelle, mais a considéré que cette lacune, compte tenu de sa nature et de sa portée, ne pouvait pas être comblée par l’intervention des autorités judiciaires, mais seulement grâce à l’adoption de mesures législatives par le Parlement. Le Comité note également que l’auteure affirme que la législation interne n’autorise pas les particuliers à saisir directement la Cour constitutionnelle pour lui demander de contrôler la constitutionnalité d’une loi ou pour se plaindre de l’absence de mesures législatives. Il note en outre que l’auteure soutient que le recours offert par la loi no 67 aux victimes de discrimination ne peut pas être exercé pour dénoncer l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux, mais sert plutôt à demander réparation en cas de discrimination à l’égard des personnes handicapées dans l’emploi et en matière de conditions de travail. Le Comité relève que l’État partie n’a pas contesté les informations fournies par l’auteure concernant la décision du tribunal de Milan, les possibilités qu’ont les particuliers de saisir la Cour constitutionnelle ou les recours offerts par la loi no 67aux victimes de discrimination. L’État partie n’a pas non plus fourni d’informations sur les perspectives de succès qu’aurait eu un recours contre les décisions des tribunaux de Milan et de Rome datées respectivement du 15 juillet et du 14 octobre 2014, compte tenu du fait que le rejet de la requête initiale dont l’auteure avait saisi ces juridictions était fondé sur l’absence de législation nationale conférant un statut aux aidants familiaux. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif. Il constate que, selon l’auteure, le fait que la loi n’accorde pas un statut ni un soutien aux aidants familiaux a entraîné une violation des droits que sa fille, son compagnon et elle‑même tiennent des articles 5, 8, 12, 16, 19, 23, 25 et 28 de la Convention. De plus, l’auteure affirme avoir qualité pour agir en son nom propre en sa qualité d’aidante familiale, en raison des trois arguments suivants, qui sont liés entre eux, à savoir : a) il existe un lien fondamental entre l’aidant et la personne handicapée ; b) les activités que mènent les aidants sans bénéficier d’une quelconque reconnaissance juridique constituent une forme de discrimination ; c) les soins à la personne constituent un droit fondamental.

6.7Le Comité fait observer qu’aux termes de l’article premier du Protocole facultatif, il a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers qui prétendent être victimes d’une violation par cet État partie des dispositions de la Convention. Rappelant sa jurisprudence, il souligne qu’en vertu de l’article premier de la Convention, par personnes handicapées on entend notamment, mais pas uniquement, des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. Le Comité considère que la différence entre maladie et handicap est une différence de degré et non une différence de nature. Une détérioration de l’état de santé initialement considérée comme une maladie peut aboutir à une invalidité dans le contexte du handicap en raison de sa durée ou de sa chronicité. Une approche du handicap fondée sur les droits de l’homme exige de prendre en considération la diversité des personnes handicapées (al. i) du préambule) et de reconnaître l’interaction entre les personnes présentant des déficiences et les barrières liées aux attitudes et à l’environnement (al. e) du préambule). En l’espèce, il est clair que les informations fournies par les parties n’empêchent pas le Comité de considérer que la fille et le compagnon de l’auteure peuvent être empêchés de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l’égalité avec les autres, au sens de l’article premier de la Convention, en raison de l’interaction de leurs incapacités avec des barrières.

6.8Le Comité note que l’auteure n’a pas dit avoir elle‑même des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables au sens de l’article premier de la Convention. Par conséquent, en ce qui concerne les griefs que l’auteure soulève au sujet de ses propres droits, le Comité doit déterminer si la Convention protège les droits de personnes autres que les personnes handicapées et si la violation de tels droits peut donner lieu à la présentation de griefs au titre du Protocole facultatif . Le Comité rappelle que, comme indiqué à l’article premier de la Convention, celle-ci a pour objet de promouvoir, de protéger et d’assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme par les personnes handicapées. Il a toutefois conscience que, dans certains cas, l a réalisation d es droits des personnes handicapées passe par la protection des aidants familiaux . À cet égard, il fait observer que l’alinéa x) du préambule de la Convention précise que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État et que les personnes handicapées et les membres de leur famille devraient recevoir la protection et l’aide nécessaires pour que les familles puissent contribuer à la pleine et égale jouissance de leurs droits par les personnes handicapées. En accord avec l’objet de la Convention, tel que décrit en son article premier, l’article 28 (par. 1) reconnaît le droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles-mêmes et pour leur famille. Toutefois, le même article 28 dispose expressément, en son paragraphe 2 (al. c)) que les États parties doivent prendre des mesures appropriées pour assurer aux personnes handicapées et à leur famille l’accès à l’aide publique, de manière à protéger et à promouvoir le droit des personnes handicapées à la protection sociale. Ce texte − qui figurait initialement, au stade de la rédaction de la Convention, dans ce qui constitue aujourd’hui l’article 23 − donne à penser que, dans le contexte étroit du paragraphe 2 (al. c)) de l’article 28, la Convention confère aux membres de la famille d’une personne handicapée le droit à l’assistance publique. Ce droit, comme tous les autres droits garantis par la Convention, vise à servir l’objet de celle-ci, tel que décrit à l’article premier. En conséquence, le droit que les membres de la famille tiennent du paragraphe 2 (al. c)) de l’article 28 est indissociable de l’obligation de protéger les droits des membres de la famille ayant un handicap. Le paragraphe 2 (al. c)) de l’article 28 confère un droit aux membres de la famille qui n’ont pas de handicap, sous réserve que l’exercice de ce droit soit une condition préalable et nécessaire à la réalisation des droits des membres de la famille ayant un handicap et qu’il y ait lieu de penser que le déni de ce droit aurait des incidences néfastes directes sur les droits des membres de la famille ayant un handicap. Le respect de ces conditions préalables doit être évalué au cas par ca s . Comme le Comité l’a indiqué dans son observation générale no 6 (2018) (par. 20), l’intégration de la notion de « discrimination par association » dans la Convention tient à la nécessité d’éliminer et de combattre toutes les situations discriminatoires et/ou tous les comportements discriminatoires liés au handicap.

6.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’auteure a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité, que l’accès de l’auteure, en sa qualité d’aidante familiale, à l’aide publique au titre de l’article 28 (par. 2 c)), est une condition nécessaire à la réalisation des droits de sa fille et de son compagnon handicapés avec lesquels elle vit en famille, que la jouissance de leurs droits est indissociable de la reconnaissance des droits que l’auteure tient de l’article 28 (par. 2 c)), et que l’absence d’un tel soutien aurait des incidences néfastes directes sur les droits de sa fille et de son compagnon. Étant parvenu à cette conclusion, il considère également que l’article premier du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner les griefs que l’auteure a présentés non seulement au nom de sa fille et de son compagnon, mais aussi en son propre nom, dans le cas du grief tiré de l’article 28 (par. 2 c)) de la Convention, l’ensemble des articles invoqués étant lus conjointement avec l’article 5.

6.10Le Comité prend note des griefs de l’auteure selon lesquels le fait de ne conférer aucun statut aux aidants familiaux constitue une violation de l’article16 de la Convention ainsi que de son affirmation selon laquelle les droits qu’elle-même et les membres de sa famille tiennent de l’article25 de la Convention ont été violés au motif que le système juridique de l’État partie ne prévoit pas que le rôle joué par l’aidant familial soit pris en compte dans le système de santé. Toutefois, constatant que l’auteure n’a pas fourni d’informations ou d’arguments complémentaires à l’appui de ces griefs, il considère que ceux-ci sont irrecevables pour défaut de fondement au regard de l’article2 (al.e)) du Protocole facultatif.

6.11Le Comité prend également note des griefs de l’auteure selon lesquels l’article 8 de la Convention a été violé du fait que les aidants ne bénéficient pas de services de conseil et d’information fournis par des professionnels et que leurs compétences d’aidants ne sont pas reconnues officiellement. Il prend aussi note des griefs de violation que l’auteure tire de l’article 12 de la Convention au motif que l’État partie ne confère pas de statut aux aidants familiaux. Le Comité constate toutefois que ces griefs concernent les droits de l’auteure en tant qu’aidante et que celle‑ci n’a pas précisé en quoi les faits qu’elle signale constituent une violation des droits que sa fille et son compagnon tiennent de ces articles. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 12 de la Convention, le Comité relève que l’auteure n’a pas affirmé que sa fille ou son compagnon avaient été privés de leur capacité juridique. En conséquence, le Comité considère que les griefs tirés des articles 8 et 12 de la Convention sont irrecevables, car ils sont insuffisamment étayés au regard de l’article 2 (al. e)) du Protocole facultatif.

6.12Le Comité prend note des autres griefs de l’auteure, qui affirme qu’en raison des responsabilités qu’elle assume en tant qu’aidante familiale, elle a été victime de discrimination dans le cadre du travail, ce qui lui a fait perdre son emploi et son salaire, en violation de l’article 5 de la Convention ; que l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux a porté atteinte aux droits de sa fille et de son compagnon de vivre de manière autonome dans la société et à leur droit à l’inclusion dans la société et à la participation à la société, et constitue donc une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 19 de la Convention ; que le fait que l’État partie n’accorde pas de ressources spéciales d’ordre financier, social et autre à sa famille constitue une violation des droits que sa fille et son compagnon tiennent de l’article 23 de la Convention. Le Comité prend également note des arguments de l’auteure selon lesquels l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux et l’absence de protection financière et sociale qui en résulte constituent une violation de l’article 28 de la Convention. Le Comité croit comprendre que les griefs soulevés au titre de l’article 28 de la Convention concernent l’ensemble des membres de la famille de l’auteure et portent sur le fait que l’État partie n’apporterait pas une assistance aux familles qui, comme celle de l’auteure, ont en leur sein des personnes handicapées, et les exposerait donc à un risque élevé de vivre dans la pauvreté. Compte tenu des informations communiquées par l’auteure, le Comité considère que celle-ci a suffisamment étayé les griefs soulevés au nom de sa fille et de son compagnon au titre des articles 19 et 23 ainsi que les griefs soulevés au nom de sa famille − à savoir sa fille, son compagnon et elle-même − au titre de l’article 28, lu conjointement avec l’article 5 de la Convention, aux fins de la recevabilité.

6.13En l’absence d’autres objections à la recevabilité de la communication, le Comité déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteure au nom de sa fille et de son compagnon au titre des articles 19 et 23 de la Convention ainsi que les griefs soulevés par l’auteure en son nom propre et au nom des membres de sa famille au titre de l’article 28 (par. 2 c)), lu conjointement avec l’article 5 de la Convention, et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 73 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

7.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux a de graves répercussions sur le droit des personnes handicapées et, plus particulièrement, sur le droit des membres de sa famille, de vivre de manière autonome au sein de la société ainsi que d’être inclus dans la société et de participer à la société, et constitue de ce fait une violation des droits garantis par l’article 19 de la Convention. Il prend également note que, selon l’auteure, les personnes handicapées devraient avoir le droit de décider où et avec qui elles souhaitent vivre et ne pas être contraintes de vivre dans un milieu de vie particulier, et que les personnes handicapées et leur famille ont le droit de prendre des décisions concernant leur vie et de bénéficier d’un soutien en adéquation avec leurs besoins particuliers. Il prend aussi note de l’observation de l’État partie selon laquelle diverses formes de protection destinées aux membres de la famille des personnes handicapées sont prévues par sa législation nationale.

7.3Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 19 de la Convention, les États parties prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance du droit de vivre dans la société avec la même liberté de choix que les autres personnes, et de leur droit à la pleine inclusion dans la société et participation à la société, notamment en veillant à ce que les personnes handicapées aient la possibilité de choisir leur lieu de résidence et de choisir où et avec qui elles vont vivre, sur la base de l’égalité avec les autres ; qu’elles aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ; que les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins.

7.4Le Comité rappelle en outre que, dans son observation générale no 5 (2017) sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société, il souligne que l’accès à des services d’appui personnalisés doit être considéré comme un droit et non comme une forme de prise en charge médicale, sociale ou caritative. Les personnes handicapées ont le droit de choisir les services dont elles souhaitent bénéficier et les prestataires de services en fonction de leurs besoins propres et de leurs préférences personnelles, et les services de soutien personnalisé devraient être suffisamment souples pour s’adapter aux exigences des usagers, et non l’inverse. Le Comité a considéré que l’obligation de faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance du droit de vivre dans la société imposait aux États de promouvoir, de favoriser et d’adopter des mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires, programmatiques ou promotionnelles, entre autres, qui soient de nature à assurer la pleine réalisation du droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société consacré par la Convention. Le Comité a souligné que les États parties devraient donner aux membres de la famille de la personne handicapée les moyens d’aider leur proche handicapé à réaliser son droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société. Il a précisé que les services d’appui aux personnes handicapées devaient être disponibles, accessibles, abordables, acceptables et adaptables à toutes les personnes handicapées, et tenir compte des différences de conditions de vie, telles que les revenus individuels ou familiaux, ainsi que des caractéristiques individuelles. Il a souligné que les États parties devraient fournir des services d’appui adéquats aux aidants familiaux afin qu’ils puissent aider leur enfant ou leur proche à vivre de manière autonome dans la société. Cet appui devrait notamment inclure des services de placement temporaire. En outre, le Comité a considéré qu’il était essentiel d’apporter un soutien financier aux aidants familiaux, qui souvent vivent dans des situations d’extrême pauvreté sans pouvoir accéder au marché du travail, et que les États parties avaient donc l’obligation de fournir des services de soutien social aux familles et de promouvoir le développement des services de conseil, des cercles de soutien et d’autres formes de soutien appropriées. Le Comité signale que, dans ses observations finales sur le rapport initial de l’État partie, il s’est dit préoccupé par le fait que les personnes handicapées étaient souvent replacées en institution et que des fonds continuent d’être affectés aux placements en institution plutôt que de servir à promouvoir et à assurer l’autonomie de vie de toutes les personnes handicapées dans leur communauté. En outre, il a pris note avec préoccupation des incidences de ces politiques sur les femmes, qui sont contraintes de rester à la maison pour s’occuper des membres handicapés de la famille au lieu de travailler à l’extérieur. Le Comité a recommandé à l’État partie d’appliquer des garanties afin de préserver le droit à l’autonomie de vie dans toutes les régions, de réaffecter les ressources consacrées au placement en institution aux services communautaires et d’augmenter les aides budgétaires pour que les personnes handicapées bénéficient sur l’ensemble du territoire national de l’autonomie de vie et de l’égalité d’accès aux services, y compris aux services d’aide personnelle.

7.5En l’espèce, le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel l’absence de reconnaissance juridique des aidants familiaux et l’absence de soutien en leur faveur a porté atteinte aux droits de sa fille et de son compagnon de vivre de manière autonome dans la société, d’être inclus dans la société et de participer à la société, et constitue donc une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 19 de la Convention. Il relève que, selon l’auteure, l’État partie n’a proposé à sa famille aucune forme de soutien telle qu’une aide financière ou des services de soutien social, de garde de jour abordables, d’aide à domicile, de prise en charge de répit, de veille de nuit, d’orientation et de conseil, et qu’il ne leur a pas non plus offert de possibilités de bénéficier d’une éducation ou d’une formation professionnelle. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la législation interne prévoit différentes formes de protection pour les membres de la famille de personnes handicapées, notamment le droit pour les aidants familiaux de bénéficier de trois jours de congés payés ; le droit pour tout employé qui s’occupe d’une personne handicapée d’obtenir un congé payé exceptionnel d’une durée de deux ans ; le droit de recevoir une aide du fonds d’appui aux membres de la famille de personnes handicapées ; la possibilité pour les parents d’un enfant handicapé d’obtenir un congé parental de trois ans. Cependant, le Comité prend note de l’argument de l’auteure, selon lequel aucune des mesures mentionnées par l’État partie n’est applicable aux membres de sa famille, car ceux-ci ont besoin d’une assistance constante. Il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel aucune des dispositions mentionnées par l’État partie ne prévoit de mesures efficaces de protection sociale visant à soutenir les aidants familiaux telles que le remboursement des dépenses, la facilitation de l’accès au logement, l’offre de services de soins d’un coût abordable, l’instauration d’un régime fiscal plus favorable, la possibilité d’avoir des horaires flexibles, l’accès à un lieu de travail proche de leur domicile, la reconnaissance du statut d’aidant dans le régime de retraite et la protection contre la discrimination au travail et contre les licenciements arbitraires. Le Comité prend aussi note des informations communiquées par l’auteure selon lesquelles la famille de celle-ci n’a bénéficié d’aucune forme de réparation ou d’indemnisation visant à améliorer sa situation ni d’une aide provenant des fonds mentionnés par l’État partie.

7.6Le Comité note que l’auteure indique que sa famille n’a bénéficié d’aucun service de soutien propre à garantir la réalisation du droit de sa fille et de son compagnon de vivre dans la société avec la même liberté de choix que les autres personnes, d’être pleinement inclus la société et de participer pleinement à la société. Il constate que l’État partie n’a pas réfuté les affirmations de l’auteure et s’est borné à donner des informations sur quelques mesures générales de soutien prévues par la législation nationale, qui ne sont pas applicables en l’espèce. Compte tenu de ce qui précède et des informations versées au dossier, le Comité conclut que le fait que la fille et le compagnon de l’auteure n’ont pas bénéficié de services de soutien personnalisés ; que l’État partie n’a pas fait en sorte de promouvoir, de favoriser et d’adopter des mesures législatives, administratives, budgétaires, judiciaires, programmatiques ou promotionnelles, entre autres, qui soient de nature à assurer la pleine réalisation du droit à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société consacré par la Convention ; que l’État partie n’offre pas aux aidants familiaux des services de soutien qui leur permettent d’aider leurs proches à vivre de manière autonome dans la société, notamment des services de prise en charge de répit et d’autres services d’accompagnement, des aides financières et sociales, des services de conseil et d’autres formes appropriées de soutien, constitue une violation des droits que la fille et le compagnon de l’auteure tiennent de l’article 19 de la Convention.

7.7Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’État partie n’alloue pas de ressources spéciales d’ordre financier, social et autre qui permettent aux familles qui, comme la sienne, comptent des personnes handicapées, d’avoir accès à toutes les formes de soutien nécessaires, en violation de l’article 23 de la Convention. Il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel l’article 23 impose à l’État partie l’obligation d’adopter des mesures sous forme d’une aide financière, dont le montant est fixé en fonction des besoins de la personne handicapée, afin que celle‑ci puisse vivre avec sa famille et ne pas être placée en institution. Le Comité rappelle que le droit de vivre de manière autonome dans la société est intimement lié au droit des enfants et des parents handicapés de mener une vie de famille et que l’absence d’accompagnement et de services de proximité peut créer des difficultés et des contraintes financières pour la famille des personnes handicapées. Le Comité rappelle que, dans ses observations finales concernant le rapport initial de l’État partie, il s’était dit préoccupé par l’absence de mesures spéciales visant à soutenir les familles d’enfants ou d’adultes handicapés qui avaient besoin d’un accompagnement plus poussé, y compris sur le plan financier. Il avait recommandé à l’État partie d’allouer des ressources spéciales d’ordre financier, social et autre à toutes les régions du pays afin que toutes les familles comptant des personnes handicapées, y compris des personnes ayant besoin d’un accompagnement plus poussé, puissent bénéficier de tout le soutien dont elles ont besoin et se voir ainsi garantir le droit au respect du domicile et de la famille ainsi qu’à l’inclusion dans la communauté locale et à la participation à la vie de celle-ci ; il lui avait également recommandé de mettre fin au placement en institution. En l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation non contestée de l’auteure selon laquelle sa famille n’a bénéficié d’aucune mesure spéciale de soutien, en particulier financier, visant à garantir le droit de sa fille et de son compagnon au respect du domicile et de la famille et à l’inclusion dans la communauté locale et à la participation à la vie de celle-ci, ainsi qu’à éviter que les familles se trouvant dans une situation analogue à la sienne n’aient à recourir à un placement en institution. En conséquence, le Comité considère qu’en n’accordant pas à la famille de l’auteure un soutien approprié au titre du droit au respect du domicile et de la famille, l’État partie a violé les droits que la fille et le compagnon de l’auteure tiennent de l’article 23 de la Convention.

7.8Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les droits que sa famille tient de l’article 28 de la Convention ont été violés, au motif que l’État partie ne fait bénéficier les aidants familiaux d’aucune forme de protection ou d’assurance sociale et qu’en raison de cette lacune, les familles qui, comme celle de l’auteure, comptent des personnes handicapées courent un risque élevé de précarisation et ont donc particulièrement besoin d’une protection sociale, et notamment de ressources, de temps et de services. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 (al. c)) de l’article 28 de la Convention, les États parties prennent des mesures appropriées afin que les personnes handicapées et leur famille, lorsque celles‑ci vivent dans la pauvreté, bénéficient de l’aide publique pour couvrir les frais liés au handicap, notamment les frais permettant d’assurer adéquatement une formation, un soutien psychologique, une aide financière ou une prise en charge de répit. Il rappelle également qu’afin de garantir aux personnes handicapées un niveau de vie adéquat, les États parties sont tenus de leur donner accès à des services, dispositifs et autres formes d’assistance appropriés et abordables permettant de répondre à leurs besoins liés à leur handicap, ce qui vaut tout particulièrement pour les personnes handicapées qui vivent dans le dénuement. En outre, l’accès aux programmes de logement public et de logement subventionné au sein de la société est impératif. Le Comité souligne qu’est considéré comme contraire à la Convention le fait que les personnes handicapées paient elles-mêmes les dépenses engagées en rapport avec leur handicap. Il rappelle de plus que, dans ses observations finales concernant le rapport initial de l’État partie et, en particulier, à propos de l’application de l’article 28 de la Convention, il s’était dit préoccupé par les différences entre les mécanismes de protection sociale selon les régions, l’absence de normes minimales en matière d’aide sociale, le niveau élevé de pauvreté chez les personnes handicapées et leur famille dans l’État partie et l’absence d’étude sur les effets néfastes des mesures d’austérité.

7.9Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle la lacune que présente le système juridique italien rend les aidants familiaux vulnérables et les expose au risque d’être victimes de discrimination par association, en violation de l’article 5 de la Convention. Il prend aussi note des affirmations de l’auteure selon lesquelles celle-ci est étroitement associée aux proches dont elle s’occupe et, pour cette raison, a été victime de discrimination dans le travail, comme il ressort de l’annulation de son autorisation de télétravailler et de la perte de son emploi et de son salaire. Le Comité rappelle son observation générale no 6 (2018) sur l’égalité et la non‑discrimination, dans laquelle il souligne que l’obligation d’interdire toute discrimination fondée sur le handicap vise à protéger les personnes handicapées et leur entourage, par exemple les parents d’enfants handicapés, que la discrimination « fondée sur le handicap » peut donc viser aussi les personnes associées à une personne handicapée (« discrimination par association »), et que la large portée de l’article 5 tient à la nécessité d’éliminer et de combattre l’ensemble des situations ou comportements discriminatoires liés au handicap. À ce propos, le Comité a indiqué que la pauvreté était à la fois un facteur aggravant et le résultat de la discrimination plurielle. L’incapacité de donner effet au droit des personnes handicapées à un niveau de vie adéquat pour elles‑mêmes et pour leur famille était contraire aux objectifs de la Convention. Pour avoir un niveau de vie adéquat, comparable à celui des autres, les personnes handicapées devaient généralement engager des dépenses supplémentaires. Les États parties avaient donc l’obligation de prendre des mesures efficaces pour permettre aux personnes handicapées de couvrir les frais supplémentaires liés à leur handicap. Le Comité constate que la Cour européenne de justice a considéré que le principe de l’égalité de traitement en ce qui concerne l’emploi et le travail ne s’appliquait pas uniquement aux personnes handicapées et que, lorsqu’un employeur traitait un employé ne présentant pas un handicap de manière moins favorable qu’un autre employé ne l’était, ne l’avait été ou ne le serait dans une situation comparable, et qu’il était établi que le traitement moins favorable réservé à cet employé était fondé sur le handicap de son enfant, auquel il dispensait l’essentiel des soins dont celui-ci avait besoin, un tel traitement était contraire à l’interdiction de la discrimination directe. Le Comité note que, dans un arrêt, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que le traitement discriminatoire dont le requérant se disait victime en raison du handicap de son enfant constituait une forme de discrimination fondée sur le handicap couverte par l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme.

7.10En l’espèce, le Comité prend note de l’argument non contesté de l’auteure selon lequel, en perdant l’autorisation de télétravailler, celle-ci avait aussi perdu son emploi et sa source de revenu. Il prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel, sa fille et son compagnon ayant besoin de soins constants, celle-ci devait impérativement pouvoir travailler à la maison si elle voulait à la fois conserver son emploi et s’occuper des membres de sa famille, de manière à leur éviter un placement en institution. Il prend aussi note de l’argument de l’auteure selon lequel l’impossibilité dans laquelle elle se trouve d’accéder à un emploi sur le marché du travail en raison des responsabilités d’aidante familiale qu’elle assume constitue une forme de discrimination par association couverte par l’article 5 de la Convention. En outre, il constate que l’État partie n’a communiqué aucune information sur d’éventuelles mesures de soutien, d’assistance ou de protection sociale qu’il aurait prises en faveur de la famille de l’auteure. En conséquence, le Comité conclut qu’en ne proposant pas de mesures de protection sociale, d’aides permettant de couvrir les dépenses liées au handicap, de formations adéquates, d’accompagnement psychologique, de soutien financier ou de prise en charge de répit, l’État partie a violé les droits que l’auteure et sa famille tiennent de l’article 28, lu conjointement avec l’article 5 de la Convention.

C.Conclusion et recommandations

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 19, 23 et 28 (par. 2 c)), lus conjointement avec l’article 5 de la Convention, à l’égard de la fille et du compagnon de l’auteure, ainsi qu’aux obligations mises à sa charge par l’article 28 (par. 2 c)), lu conjointement avec l’article 5, à l’égard de l’auteure elle-même. En conséquence, il adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteure, de sa fille et de son compagnon, l’État partie a pour obligation :

i)De leur accorder une indemnisation appropriée, notamment pour tous frais de justice engagés aux fins de la soumission de la présente communication ;

ii)De prendre les mesures voulues pour que les membres de la famille de l’auteure bénéficient de services de soutien appropriés et personnalisés, notamment de services de prise en charge de répit, de services de conseil, d’aides financières et sociales et d’autres formes appropriées de soutien, et exercent les droits qu’ils tiennent des articles 19, 23 et 28 (par. 2 c)) de la Convention ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité le prie de prendre les mesures suivantes :

i)Veiller à ce que les programmes de protection répondent aux besoins des personnes handicapées dans toute leur diversité, dans des conditions d’égalité avec les autres, en apportant des modifications à sa législation, si nécessaire ;

ii)Informer les personnes handicapées de leur droit de vivre de façon autonome et d’être incluses dans la société, par des moyens, modes et formes de communication qu’elles peuvent comprendre, et mettre en place des programmes de formation à l’autonomisation en vue d’aider les personnes handicapées à apprendre comment faire respecter leurs droits ;

iii)Appliquer des garanties relatives au droit à l’autonomie de vie dans toutes les régions, réaffecter les ressources destinées au placement en institution aux services communautaires et augmenter les aides budgétaires afin que les personnes handicapées bénéficient de l’autonomie de vie et de l’égalité d’accès aux services, y compris aux services d’aide personnelle et à un soutien aux aidants familiaux, selon qu’il convient.

9.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité. En outre, le Comité prie l’État partie de rendre publiques les présentes constatations, de les faire traduire dans sa langue officielle et de les diffuser largement et sous une forme accessible auprès de tous les segments de la population.