NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/ECU/CO/38 février 2006

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑cinquième sessionGenève, 7‑25 novembre 2005

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESEN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS DU COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Équateur

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l’Équateur (CAT/C/39/Add.6) à ses 673e et 675e séances, les 11 et 14 novembre 2005 (CAT/C/SR.673 et 675), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité prend note avec satisfaction du troisième rapport périodique de l’Équateur, mais observe qu’il aurait dû être présenté en avril 1997, c’est‑à‑dire six ans plus tôt. Il se félicite du dialogue constructif établi avec la délégation de haut niveau et des réponses écrites franches et directes aux questions du Comité.

3.Tout en prenant note des efforts entrepris par l’État partie pour se conformer aux directives du Comité concernant la présentation de rapports, le Comité constate que le rapport ne contient pas suffisamment d’informations sur les aspects pratiques de l’application des dispositions de la Convention et espère qu’à l’avenir l’État partie s’acquittera pleinement des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 19 de la Convention.

B. Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de la nouvelle Constitution politique de la République de 1998 qui renforce de manière générale la protection des droits de l’homme. Il se félicite également, en particulier, de l’adoption en 2003 du Code de l’enfance et de l’adolescence et, en 2005, de la loi de réforme du Code pénal qui qualifie les infractions d’exploitation sexuelle de mineurs. Il se félicite en outre de l’intégration définitive des juges pour mineurs au pouvoir judiciaire.

5.Le Comité se félicite de la présentation au pouvoir législatif de différents projets de loi, comme l’avant‑projet de loi sur l’administration de la justice autochtone, le projet de loi organique sur l’exécution des peines, le projet de loi sur la défense publique et le projet de loi sur les crimes contre l’humanité.

6.Le Comité se félicite de l’adoption du Plan national pour les droits de l’homme et des plans opérationnels sectoriels et de la création de sous‑commissions provinciales dotées de programmes thématiques qui répondent aux priorités régionales et locales. Il prend note avec satisfaction de la prise en compte des questions relatives à la prison dans le Plan opérationnel sur les droits de l’homme.

7.Le Comité prend note de la diminution du nombre de plaintes déposées auprès du Commissariat à la femme et à la famille.

8.Le Comité prend note avec satisfaction de l’invitation permanente de l’État partie à tous les mécanismes spéciaux de la Commission des droits de l’homme et se félicite en particulier de la visite récente du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats.

9.Le Comité salue la création, en 2002, de la Commission de coordination publique pour les droits de l’homme, mécanisme interinstitutions aux travaux duquel la société civile participe activement, et qui est chargé d’élaborer les rapports périodiques que l’État partie doit présenter en application des instruments internationaux des droits de l’homme auxquels il est partie.

10.Le Comité note également avec satisfaction que le Bureau d’enquêtes sur les délits a été supprimé et que c’est le ministère public qui dirige l’enquête préalable au jugement et l’instruction pénale.

11.Le Comité se félicite de la collaboration de la Commission permanente du Plan national pour les droits de l’homme avec la société civile en vue de l’élaboration de manuels de formation à l’intention du personnel pénitentiaire.

12.Le Comité se félicite en outre de la ratification par l’État partie de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille en 2003, du Statut de la Cour pénale internationale en 2002 et de la Convention interaméricaine sur les disparitions forcées en 2002.

C. Facteurs et difficultés entravant la mise en œuvre de la Convention

13.Le Comité prend note de la crise politique et constitutionnelle que connaît l’État partie. Toutefois, il signale qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture.

D. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

14.Bien que la législation de l’État partie interdise le recours à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes, le Comité note avec préoccupation que l’État partie n’a pas complètement aligné la définition du crime de torture du Code pénal équatorien sur les dispositions des articles 1 et 4 de la Convention.

L’État partie doit prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que tous les actes de torture visés aux articles 1 et 4 de la Convention soient considérés comme des infractions au regard de sa législation pénale interne et pour veiller à l’application de peines appropriées qui prennent en considération la gravité de ces infractions. De même, le Comité recommande l’adoption du projet de loi sur les crimes contre l’humanité qui s’inscrit dans le processus de mise en œuvre du Statut de Rome, y compris en ce qui concerne le crime de torture.

15.Tout en prenant note avec satisfaction de la mise en place du Plan national pour les droits de l’homme et de ses plans opérationnels sectoriels, à l’élaboration desquels la société civile a beaucoup participé, le Comité regrette que ne participe plus à la mise en œuvre de ces plans qu’une des cinq organisations de la société civile qui l’avaient initialement appuyé (art. 2).

L’État partie doit stimuler l’application du Plan national pour les droits de l’homme par le biais de mécanismes véritablement opérationnels qui permettent aux organisations de la société civile de participer à la mise en œuvre dudit Plan.

16.Le Comité prend note avec préoccupation des allégations selon lesquelles au moins 70 % des détenus des centres de réadaptation sociale de Quito ont été victimes d’un recours excessif et illégitime à la force, y compris de tortures psychologiques et sexuelles, de la part de fonctionnaires de l’administration de la justice pénale et de la force publique au cours de leur détention (art. 2 et 7).

L’État partie devrait prendre des mesures pour mettre un terme à l’impunité des responsables présumés d’actes de torture et de mauvais traitements à l’encontre de ces détenus et veiller à ce que des enquêtes promptes, impartiales et exhaustives soient menées à ce sujet, que les auteurs de ces actes soient jugés et, le cas échéant, reconnus coupables et condamnés à des peines appropriées, et que les victimes soient convenablement indemnisées. En outre, il devrait mettre en place des programmes de formation destinés à résoudre ces problèmes.

17.Le Comité est préoccupé par les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements commis à l’encontre de groupes vulnérables, comme par exemple les membres des communautés autochtones, les minorités sexuelles et les femmes (violence familiale), bien que la législation interne protège ces groupes. Les enquêtes menées sur ces allégations, qui portent aussi sur le traitement des défenseurs des droits de l’homme, sont insuffisantes (art. 2 et 12).

L’État partie doit veiller à ce que les allégations d’actes de torture et de mauvais traitements commis à l’encontre de ces groupes fassent l’objet d’enquêtes minutieuses et à ce que les responsables soient poursuivis. De même, l’État partie devrait développer et renforcer les services du défenseur du peuple destinés à protéger ces groupes.

18.Le Comité prend note avec préoccupation de la lenteur et du retard avec lesquels les affaires judiciaires sont traitées. Il a été informé que, rien qu’à Pichincha, plus de 390 000 affaires étaient en souffrance.

L’État partie doit allouer des ressources qui permettent de réduire et, à terme, d’éliminer, le véritable engorgement que connaît l’appareil judiciaire et prendre des mesures pour éviter qu’un tel phénomène se reproduise.

19.Le Comité note avec préoccupation l’application de la détention avant mise en accusation («detención en firme»), mesure par laquelle le magistrat instructeur de l’affaire, au moment de rendre une ordonnance de renvoi, doit obligatoirement ordonner la détention de la personne afin de garantir sa présence au procès et éviter la suspension de la procédure (art. 2).

L’État partie devrait favoriser les progrès législatifs de manière à contribuer à la réduction de la durée de la détention provisoire, et notamment à supprimer du Code de procédure pénale la détention avant mise en accusation («detención en firme»), qui doit faire l’objet d’un recours en inconstitutionnalité devant le Tribunal constitutionnel dont les membres seront désignés prochainement.

20.Le Comité est préoccupé par les allégations selon lesquelles, dans le cadre des procédures d’expulsion, les règles relatives à une procédure régulière ne seraient pas pleinement respectées et l’application des mécanismes empêchant de faire courir des risques à une personne en la renvoyant dans son pays d’origine ne serait pas totalement garantie. Il regrette aussi l’insuffisance des mécanismes permettant aux autorités migratoires de vérifier si une personne risque d’être soumise à la torture si elle est renvoyée dans son pays d’origine (art. 3 et 6).

L’État partie doit adopter dans toutes les intendencias du pays des mesures administratives visant à garantir le respect d’une procédure régulière pendant l’expulsion, en particulier le droit à la défense, la présence d’un agent diplomatique du pays de la personne détenue et, dans le cas des réfugiés, la présence obligatoire de personnel du HCR. Il lui est aussi recommandé d’organiser dans l’ensemble du pays, à l’intention des membres de la police des migrations et des fonctionnaires de l’administration chargés des expulsions, des programmes de formation au droit international des réfugiés mettant l’accent sur le contenu et la portée du principe de non ‑refoulement.

21.Le Comité prend note avec préoccupation des allégations d’actes de torture commis lors de la détention au secret, à laquelle serait soumis un grand nombre de détenus. Certains avocats disent que, dans les locaux de la police judiciaire, ils ne sont pas autorisés à s’entretenir avec leur client et que, dans certains cas, le détenu ne peut être examiné par un médecin indépendant. Il semblerait aussi que, dans certains cas, la victime n’ait pas eu le droit de contacter son propre avocat (art. 4 et 6).

L’État partie doit garantir la mise en pratique de garanties légales de base applicables aux personnes détenues par la police, en veillant à ce que soit respecté leur droit de contacter un proche, de consulter un avocat et un médecin de leur choix et d’être rapidement informées de leurs droits et, lorsqu’il s’agit de mineurs, de bénéficier de la présence de leur représentant légal pendant l’interrogatoire.

22.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas encore mis en place un programme de formation et de renforcement des capacités à l’intention du personnel de l’appareil judiciaire, du ministère public, de la police et des établissements pénitentiaires, y compris à l’intention du personnel médical, des psychiatres et des psychologues, sur les principes et normes de protection des droits de l’homme dans le traitement des détenus, comme le demande l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 7 septembre 2004.

L’État partie doit améliorer et approfondir la formation des forces de sécurité de l’État en matière de droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne les dispositions de la Convention, en faisant appel à la société civile (universités et ONG notamment). Il devrait adopter et appliquer rapidement le Plan national des forces armées pour les droits de l’homme. De même, il devrait, conformément à l’arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Tibi , créer un comité interinstitutions chargé de définir et d’exécuter des programmes de formation sur les droits de l’homme et le traitement des détenus.

23.Le Comité prend note avec préoccupation des allégations selon lesquelles la torture et autres traitements inhumains ou dégradants constituent une pratique habituelle dans le cadre des enquêtes pénales effectuées dans les locaux de la police judiciaire par des agents de la force publique (art. 11 et 16).

L’État partie doit veiller à ce que les allégations faisant état d’un usage excessif de la force pendant les enquêtes pénales fassent l’objet d’enquêtes minutieuses et à ce que les responsables soient poursuivis. Il doit veiller à ce que, pendant l’enquête, les personnes soient détenues dans des lieux adaptés, où s’exerce une surveillance constante.

24.Le Comité regrette vivement la situation qui existe dans les centres de détention, en particulier dans les centres de réadaptation sociale, où les violations des droits fondamentaux des détenus sont une constante. Le surpeuplement, la corruption et les mauvaises conditions matérielles qui prévalent dans les établissements pénitentiaires, en particulier le manque d’hygiène, d’aliments appropriés et de soins de santé adaptés, constituent des violations des droits consacrés par la Convention (art. 11).

L’État partie doit adopter des mesures efficaces, y compris l’allocation des crédits budgétaires nécessaires pour améliorer les conditions matérielles dans les établissements pénitentiaires, réduire le surpeuplement et répondre comme il se doit aux besoins fondamentaux de toutes les personnes privées de liberté, en particulier la présence de personnel médical indépendant et qualifié chargé d’examiner à intervalles réguliers les personnes détenues. De même, le Comité encourage la Sous ‑Commission sectorielle pour les droits de l’homme en prison à mettre en pratique le plan opérationnel prévoyant entre autres objectifs le suivi des programmes de formation et des plaintes relatives à des violations des droits de l’homme dans le système pénitentiaire présentées par des particuliers.

25.Le Comité exprime une nouvelle fois son inquiétude quant à l’existence de juridictions militaires et policières qui ne se contentent pas de statuer dans des affaires portant sur des délits commis dans l’exercice de fonctions policières ou militaires. Cette situation n’est pas compatible avec les instruments internationaux auxquels l’Équateur est partie (art. 12 et 13).

L’État partie doit garantir aux tribunaux ordinaires le plein exercice de leur fonction, conformément à ses obligations internationales et à la vingt ‑sixième disposition transitoire de la Constitution politique de la République, afin de garantir l’indépendance des juges.

26.Le Comité regrette que la législation de l’État partie ne prévoie aucun mécanisme spécifique pour indemniser les victimes d’actes de tortures et/ou leur offrir réparation et pour leur fournir les moyens nécessaires à leur réadaptation (art. 14).

L’État partie doit établir un cadre normatif spécifique pour la réparation des actes de torture et pour la conception et l’application de programmes complets de soins et d’appui destinés aux victimes d’actes de torture.

27.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a participé à des processus de règlement amiable au niveau international, en particulier dans le cadre du système interaméricain, afin de donner suite à des plaintes relatives à des violations des droits de l’homme (y compris la torture). Cependant, il s’est généralement contenté d’indemniser les victimes sans enquêter suffisamment sur les plaintes et sans punir les responsables (art. 14).

L’État partie doit s’assurer que, dans les cas de règlement amiable, outre le versement d’indemnités, une enquête approfondie est menée pour établir la responsabilité des auteurs des violations des droits de l’homme.

28.Le Comité recommande à l’État partie de diffuser largement les rapports qu’il a présentés au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations de celui‑ci, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

29.Le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapport à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

30.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations contenues dans les paragraphes 17, 22, 24 et 25 à compter de l’adoption des présentes conclusions.

31.Le Comité invite l’État partie à présenter son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme regroupant les quatrième, cinquième et sixième rapports au plus tard le 28 avril 2009, date limite de présentation de son sixième rapport périodique.

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