Nations Unies

CAT/OP/CHL/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

16 mai 2017

Français

Original : espagnol

Anglais, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Visite au Chili du 4 au 13 avril 2016 : observations et recommandations adressées à l’État partie

Rapport établi par le Sous-Comité * , **

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Mécanisme national de prévention4

III.Aspects relatifs au cadre juridique et institutionnel de la prévention de la torture et des mauvais traitements5

A.Incrimination de la torture5

B.Administration de la justice5

IV.Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants8

V.Santé9

VI.Conditions de détention11

A.Surpopulation et entassement11

B.Infrastructure13

C.Alimentation et produits de première nécessité13

VII.Groupes privés de liberté particulièrement vulnérables14

A.La situation des femmes14

B.Protection des enfants et des adolescents en conflit avec la loi16

C.Mapuches17

D.Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués19

VIII.Répercussions de la visite20

IX.Conclusion20

Annexes

I.Lista de las personas con quienes se reunió el Subcomité21

II.Lugares de privación de libertad visitados23

I.Introduction

1.Conformément aux dispositions du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a effectué sa première visite régulière au Chili, du 4 au 13 avril 2016.

2.Le Sous-Comité était représenté par Mme Lorena González Pinto (cheffe de la délégation), M. Roberto Michel Feher Pérez, M. Enrique Font et M. Emilio Ginés Santidrián.

3.La délégation était assistée de trois spécialistes des droits de l’homme et de deux agents de sécurité du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.

4.La délégation a visité 22 lieux de privation de liberté à Antofagasta, Quillota, Santiago, Temuco, Valdivia et Valparaíso et rencontré des représentants des trois pouvoirs de l’État, de l’Institut national des droits de l’homme et de la société civile ainsi que des fonctionnaires du système des Nations Unies. Au total, elle a mené 364 entretiens avec des personnes privées de liberté.

5.À l’issue de la visite, le Sous-Comité a présenté ses observations préliminaires confidentielles aux autorités. Dans le présent rapport, le Sous-Comité expose ses conclusions et recommandations concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements à l’encontre des personnes privées de liberté au Chili. L’expression « mauvais traitements » y est utilisée au sens générique et vise toutes les formes de peines ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants.

6.Le Sous-Comité a jugé constructive l’annonce d’une série de mesures institutionnelles dans le domaine de droits de l’homme, parmi lesquelles un projet de loi visant à incriminer la torture et la création prochaine d’un sous-secrétariat aux droits de l’homme qui renforcera les politiques et la coordination de l’État en la matière.

7.Le Sous-Comité exprime sa gratitude aux autorités chiliennes, qui ont facilité la visite de sa délégation et coopéré avec ses membres. La délégation a eu accès aux lieux de détention rapidement et librement, y compris un accès sans restriction aux personnes privées de liberté avec lesquelles elle souhaitait s’entretenir en privé, ainsi qu’aux rapports et aux registres qu’elle avait demandé à consulter.

8. Le Sous-Comité demande aux autorités chiliennes de lui rendre compte de manière détaillée, dans les six mois qui suivront la transmission du présent rapport, des mesures qu ’ elles auront prises pour donner suite aux recommandations formulées.

9.Le présent rapport restera confidentiel jusqu’à ce que l’État partie décide de le rendre public. Le Sous-Comité est convaincu que sa publication ne peut que contribuer à prévenir la torture et les mauvais traitements. Il estime en effet qu’une large diffusion des recommandations formulées favorisera un dialogue national transparent et fructueux sur les questions abordées dans le rapport.

10. Le Sous-Comité recommande au Chili de demander la publication du présent rapport, conformément au paragraphe 2 de l ’ article 16 du Protocole facultatif, comme l ’ ont déjà fait d ’ autres États-parties.

11.Le Sous-Comité tient à appeler l’attention de l’État partie sur le Fonds spécial créé en vertu de l’article 26 du Protocole facultatif. Les recommandations formulées par le Sous-Comité dans ses rapports de visite rendus publics peuvent servir de base à l’État partie s’il souhaite faire une demande de financement de projets particuliers auprès du Fonds spécial.

II.Mécanisme national de prévention

12.Le Sous-Comité salue la participation du Chili à l’Initiative sur la Convention contre la torture, qui promeut l’assistance technique et la coopération entre les États afin de relever les défis que présentent la ratification et la mise en œuvre de la Convention contre la torture. Il salue également sa participation à l’élaboration de la résolution intitulée « Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants : garanties pour prévenir la torture pendant la garde à vue et la détention provisoire », que le Conseil des droits de l’homme a adoptée en mars 2016. Dans ladite résolution, les États soulignent que « les visites des lieux de garde à vue et de détention provisoire par une autorité indépendante contribuent à la prévention de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants […] pour être pleinement efficaces, ces visites doivent être régulières et pouvoir être inopinées, et l’autorité qui en est chargée devrait être habilitée à examiner toutes les questions relatives au traitement des personnes en garde à vue ou en détention provisoire et à interroger les personnes détenues en toute confidentialité ».

13.Le Sous-Comité constate néanmoins avec préoccupation que l’État partie accuse un retard de plus de six ans dans l’exécution des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en ce qui concerne la création d’un mécanisme national de prévention. Cette situation est d’autant plus notable que très peu d’États parties accusent un retard si important. À cet égard, pendant sa 28e session (du 15 au 19 février 2016), le Sous-Comité est convenu de rendre publique la liste des États parties qui ont plus de trois ans de retard dans la création d’un mécanisme national de prévention.

14.De plus, il convient de rappeler qu’à l’occasion du deuxième Examen périodique universel concernant le Chili, en 2014, le Gouvernement a accepté une recommandation tendant à ce qu’il accélère le processus d’établissement du mécanisme national de prévention.

15.Bien que le Sous-Comité ait été informé du fait que l’Institut national des droits de l’homme, créé en 2009, a été désigné par le Gouvernement comme mécanisme national de prévention, il reste à établir la base juridique, la structure et le budget du mécanisme.

16.Le Protocole facultatif est sans équivoque quant à la nécessité pour l’État partie de dégager les ressources nécessaires au fonctionnement du mécanisme national de prévention (art. 18, par. 1) en vue de garantir l’indépendance du mécanisme dans l’exercice de ses fonctions. Cela signifie que le mécanisme national de prévention doit agir de manière indépendante, non seulement de l’État, mais aussi de l’Institut national des droits de l’homme. À cette fin, l’État partie doit garantir l’allocation DE fonds spécifiquement destinés au mécanisme national de prévention.

17. En vue de garantir l ’ autonomie fonctionnelle du mécanisme national de prévention, le Sous-Comité recommande que le mécanisme ne soit subordonné en aucune manière à l ’ Institut national des droits de l ’ homme. L ’ organigramme de l ’ Institut devrait refléter les exigences du Protocole facultatif, qui précisent que le mécanisme national de prévention doit jouir d ’ une autonomie de fonctionnement en ce qui concerne ses ressources, son programme de travail, ses conclusions et ses recommandations et avoir un contact direct et confidentiel avec le Sous-Comité.

18.Dans le cadre de sa visite, la délégation du Sous-Comité s’est entretenue avec des députés dans le but d’inciter le pouvoir législatif à contribuer à l’exécution de l’obligation volontairement souscrite par l’État d’établir un mécanisme national de prévention dans les plus brefs délais.

19.Comme suite à ces entretiens, le Sous-Comité a été informé du fait que, le 12 avril 2016, la Commission des droits de l’homme de la Chambre des députés avait présenté un projet d’accord dans lequel il était demandé à la Présidente de la République de présenter rapidement un projet de loi visant à créer le mécanisme national de prévention.

20. Le Sous-Comité demande instamment à l ’ État partie de s ’ acquitter rapidement de son obligation internationale d ’ établir un mécanisme national de prévention, qui présente les garanties spécifiques exigées des mécanismes nationaux . Il est important en particulier que l ’ État partie prévoie dans son budget 2017 les fonds nécessaires à cette fin. Le Sous-Comité répète qu ’ il est pleinement disposé à coopérer avec l ’ État partie en lui fournissant les conseils et l ’ appui voulus en ce qui concerne le projet de loi sur le mécanisme national de prévention à propos duquel le Gouvernement s ’ est engagé au cours de la visite.

III.Aspects relatifs au cadre juridique et institutionnel de la prévention de la torture et des mauvais traitements

A.Incrimination de la torture

21.Le Sous-Comité a appris que le projet de loi visant à introduire l’infraction de torture dans le Code pénal a été adopté par la Chambre des députés et transmis au Sénat. Le Sous-Comité salue l’engagement de l’État partie à s’acquitter de ses obligations internationales et constate que le projet de loi susmentionné établit l’imprescriptibilité de l’infraction de torture et durcit les peines prévues.

22.Le Sous-Comité note néanmoins avec préoccupation que, bien que le projet de loi introduise une nouvelle infraction pénale, il maintient en vigueur les dispositions actuellement applicables, à savoir, les articles 150 A et 150 B du Code pénal, qui concernent les « contraintes illégitimes », et l’article 19 de la loi sur la police de la sûreté (décret-loi no 2460), qui vise « tout acte de violence commis en vue d’obtenir des déclarations de la part du détenu ». Le Sous-Comité s’inquiète de ce que ce projet, sous sa forme actuelle, puisse entraîner des problèmes d’interprétation et un manque de sécurité juridique, ce qui pourrait favoriser l’impunité s’agissant des actes constitutifs de torture.

23.De même, le Sous-Comité note avec préoccupation que l’incrimination de la torture telle qu’envisagée dans ledit projet ne sanctionne pas les traitements cruels, inhumains et dégradants.

24. Le Sous-Comité fait siennes les recommandations du Comité contre la torture (2009) ainsi que les recommandations issues du second Examen périodique universel concernant le Chili (2014) et demande instamment à l ’ État partie de rendre les dispositions incriminant la torture pleinement conformes au droit international, en particulier à l ’ article premier de la Convention contre la torture. Il prie également l ’ État partie d ’ harmoniser sa législation et, en particulier, d ’ abroger les articles 150 A et 150 B du Code pénal ainsi que l ’ article 19 du décret-loi n o 2460. Pour finir, le Sous-Comité recommande de prévoir dans la loi des sanctions pour les traitements cruels, inhumains et dégradants qui ne sont pas constitutifs de torture.

B.Administration de la justice

25.Le Sous-Comité note que le Code de justice militaire dispose que les enquêtes et les poursuites concernant les infractions de droit commun commises par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions sont du ressort des tribunaux militaires et non des juridictions de droit commun. Il fait remarquer que selon la doctrine et la jurisprudence internationale et régionale, les affaires où l’une des parties est un civil ou qui impliquent un civil et un militaire doivent être renvoyées à la juridiction de droit commun. D’après les informations qu’il a reçues, dans de nombreux cas les responsables n’ont pas été condamnés ou les peines prononcées ont été réduites par les juridictions supérieures, ce qui signifie que, dans la pratique, les victimes ou leurs proches n’ont pas véritablement accès à la justice ou à un recours efficace.

26. Le Sous-Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ adapter son ordre juridique pour faire en sorte que la compétence militaire soit restrictive et qu ’ elle s ’ applique uniquement aux membres des forces armées qui agissent d ’ une manière contraire à la discipline et à l ’ ordre militaire, sans qu ’ elle ne puisse en aucun cas s ’ étendre aux infractions de droit commun, au détriment des civils. De même, il faudrait garantir que les enquêtes et les procès dans les affaires impliquant des fonctionnaires du corps des carabiniers se déroulent devant les juridictions de droit commun. L ’ État partie devrait veiller à ce que les victimes de violations des droits de l ’ homme aient accès, dans le cadre de la justice ordinaire, à un recours effectif, qui inclue des mesures de réparation intégrales et de réadaptation, ainsi que des mesures de satisfaction et des garant ies de non répétition.

27.Le Sous-Comité se déclare préoccupé par la qualité des services de défense publique offerts aux personnes privées de liberté. Il a reçu de nombreux témoignages concordants qui indiquaient que l’entretien avec le défenseur public préalable à l’audience préliminaire était très bref ou que l’accusé ne rencontrait son défenseur qu’à l’audience ou seulement quelques instants avant qu’elle ne débute. Les personnes interrogées ont toutes dit que, sauf exceptions, les défenseurs publics ne leur demandaient pas si elles avaient été victimes de torture ou de mauvais traitements. Lorsque les personnes privées de liberté faisaient savoir qu’elles avaient été victimes de ce type de violations, les défenseurs accordaient peu d’attention à leurs allégations et ils les dissuadaient d’évoquer ce point à l’audience ou de déposer plainte. Il est également ressorti des témoignages reçus que les inculpés n’avaient pas vraiment la possibilité d’intervenir pendant les audiences préliminaires, qui étaient expédiées et lors desquelles les défenseurs leur recommandaient de garder le silence.

28. Étant donné que le Sous-Comité considère la défense publique et le Bureau du Procureur général comme des institutions cl ef s pour la détection de la torture et des mauvais traitements, il recommande à l ’ État partie :

a) De veiller à ce que le Service de la défense pénale publique fournisse une assistance efficace et adéquate dès les premières heures de la détention, en s ’ assurant que les entretiens avec les personnes privées de liberté ont toujours lieu avant les audiences et qu ’ ils respectent une durée et un contenu minimums propres à garantir l ’ exercice du droit la défense et la détection systématique des cas de torture et de mauvais traitements ;

b) D ’ établir des protocoles d ’ action pour le Service de la défense pénale publique et le Bureau du Procureur général afin de garantir que les actes de torture et les mauvais traitements soient dûment décelés et signalés et que leurs auteurs soient sanctionnés, conformément aux compétences respectives de ces institutions. Ces protocoles devraient également prévoir la tenue de registres de tous les cas recensés ou signalés par les victimes et des cas qui ont donné lieu à des poursuites et à des sanctions ;

c) De doter tous les acteurs judiciaires concernés des capacités suffisantes pour appliquer convenablement le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d ’ Istanbul) dans le cadre de toutes leurs interventions et à tous les stades de la procédure pénale.

29.Le Sous-Comité a noté que le Bureau du Procureur général tout comme le Service de la défense pénale publique utilisaient des procédures accélérées et simplifiées encourageant l’auto-incrimination. La reconnaissance de culpabilité en vue d’une atténuation de la peine, qui permet d’obtenir une libération immédiate ou anticipée, a un effet paradoxal : l’intéressé retrouve la liberté, mais à la condition d’accepter une condamnation qui, s’il est de nouveau arrêté, l’expose à la possibilité d’être placé en détention provisoire ou condamné à une peine de prison ferme. Les conditions de surpopulation, qui, dans certains établissements visités, touchent plus fortement les personnes en détention provisoire privées de liberté pour la première fois, incitent elles aussi à opter pour les procédures auto-incriminantes promues par la défense et le Bureau du Procureur général, comme moyen de retrouver la liberté.

30.Le Sous-Comité a reçu de nombreuses allégations concordantes de la part de personnes privées de liberté qui affirmaient avoir subi des pressions de la part de procureurs et de défenseurs publics les poussant à opter pour une procédure auto-incriminante. Le Sous-Comité a notamment pu constater qu’un inculpé était privé de liberté depuis plus de sept jours dans un commissariat sur ordre du Procureur général pour prétendument réfléchir à une proposition d’auto-incrimination.

31. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de dresser un bilan complet de l ’ utilisation qui est faite des procédures reposant sur l ’ auto-incrimination, de veiller à ce que les droits à la défense et à une procédure régulière soient respectés dans la pratique et de garantir qu ’ aucune pression d ’ aucune sorte ne soit exercée pour que les accusés optent pour ces procédures.

32.Le Sous-Comité a constaté que la base de données interne du Bureau du Procureur général, dite système d’appui, était parfois utilisée de manière abusive pour présenter aux audiences des renseignements touchant à de supposés antécédents délictueux des accusés. Or, ces renseignements sont le fruit d’un travail unilatéral du Bureau du Procureur général, qui s’appuie sur des faits qui n’ont pas nécessairement été établis par décision de justice.

33.La délégation du Sous-Comité a constaté qu’à la prison de haute sécurité de Santiago l’administration tenait un tableau des détenus catalogués, entre autres, comme « anarchistes/subversifs », qui était affiché dans le bureau du directeur. Consulté par la délégation, le directeur a indiqué que le classement des détenus dans cette catégorie se faisait à partir des informations dont disposait l’administration pénitentiaire et de décisions de justice. De même, le Sous-Comité a relevé l’utilisation du terme « ex subversif », accolé au nom d’une personne privée de liberté, dans une décision de justice.

34. Le Sous-Comité recommande au Bureau du Procureur général de donner instruction aux procureurs de ne pas utiliser les données du système d ’ appui pour des usages contraires au droit à une procédure régulière. Il recommande aussi à la Cour suprême de justice de déclarer l ’ irrecevabi lité de ces données en tant qu ’ « antécédent pénal ».

35.Le Sous-Comité constate avec préoccupation que tout antécédent psychiatrique consigné implique une présomption de dangerosité qui entraîne automatiquement une évaluation de la responsabilité par l’hôpital psychiatrique. Il peut arriver, comme la délégation a pu l’observer, que cela conduise à une situation de flou juridique dans laquelle l’intéressé est maintenu en milieu psychiatrique plusieurs mois après que l’évaluation a été achevée et transmise au juge.

36. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de prier instamment tous les acteurs de la justice de n ’ avoir recours à la privation de liberté aux fins de l ’ évaluation psychiatrique que de manière restrictive et de garantir le strict respect des délais légaux lorsqu ’ il est statué sur la nécessité de la pr ivation de liberté à cette fin.

37.Alors que la réforme de la procédure pénale a introduit la fonction de juge des garanties (juzgado de garantía) dans le but de garantir les droits de l’accusé, il n’existe toujours pas d’institution compétente pour exercer un contrôle juridictionnel sur l’exécution des peines de privation de liberté. La nécessité de se doter d’un système de surveillance de l’application des peines ou de contrôle pénitentiaire est reconnue par toutes les instances, y compris la Cour suprême, l’administration pénitentiaire et le Bureau du Défenseur public.

38. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de mettre en place un système dans lequel le contrôle et la surveillance de l ’ exécution des peines de privation de liberté sont assurés par un organe juridictionnel spécialisé.

39.Le Sous-Comité prend note de l’absence de texte organique qui encadre la situation des personnes privées de liberté de manière claire par voie légale, le système pénitentiaire demeurant régi par des normes de rang infralégal (Règlement pénitentiaire et autres décrets accessoires). Cette lacune a conduit à des cas potentiellement constitutifs de torture ou de mauvais traitements. À titre d’exemple, le Sous-Comité a eu connaissance de cas de recours aveugle à la force dans les prisons et de sanctions disciplinaires disproportionnées, avec peu ou pas de possibilités de contrôle juridictionnel. Il a également pu constater que ces pratiques contribuaient à un déficit de prévention important. En application des normes en vigueur relatives au régime pénitentiaire, diverses sanctions disciplinaires sont imposées par le personnel pénitentiaire, sans aucun contrôle d’un organe juridictionnel impartial.

40.Le Sous-Comité recommande l ’ adoption d ’ une législation complète sur le système pénitentiaire, qui soit conforme aux normes internationales, notamment à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) et aux Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l ’ imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok), afin de régir, entre autres, l ’ usage de la force et les sanctions disciplinaires appliquées par l ’ administration pénitentiaire. De même, le cadre réglementaire devrait garantir la possibilité de bénéficier d ’ une remise de peine effective et d ’ avoir accès à la libération conditionnelle.

41.Le Sous-Comité a appris l’existence de peines d’emprisonnement à perpétuité dites effectives et qualifiées, dont l’application implique que le détenu concerné ne peut bénéficier des aménagements visés par le décret-loi no 321 qu’après avoir purgé, respectivement, vingt ans et quarante ans de sa peine.

42. Le Sous-Comité recommande de prévoir dans le cadre de la réforme de la législation pénitentiaire la possibilité d ’ obtenir des aménagements de peine, dont la libération conditionnelle, conformément à la Règle 95 des Règles Nelson Mandela et au principe d ’ humanité, de sorte que les peines les plus lourdes ne deviennent pas une sorte de peine de mort anticipée.

IV.Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

43.Le Sous-Comité est préoccupé par les nombreuses allégations reçues de personnes en détention indiquant avoir subi des actes de torture ou des mauvais traitements dans différentes circonstances − en particulier au moment de leur arrestation, lors de perquisitions, avant et après la constatation de lésions et pendant les transferts depuis et vers les commissariats de police, les locaux de police judiciaire et les établissements pénitentiaires. Il a aussi constaté des cas de mauvais traitements dans le dépôt du Centre de justice de Santiago. Il a en outre reçu des informations faisant état de cas de privation de liberté de courte durée dans des commissariats sans enregistrement et sans constatation des lésions, lors de manifestations et autres mouvements sociaux.

44.Le plus souvent, les mauvais traitements décrits étaient des coups portés avec le plat de la main, le poing, une baguette, la crosse d’une arme à feu, le genou ou le pied, parfois par plusieurs agents, et même après que les intéressés avaient été maîtrisés et menottés. Dans d’autres cas, les méthodes décrites consistaient en l’utilisation prolongée de menottes dans diverses positions, des torsions des extrémités supérieures, l’utilisation de gaz irritant, la privation d’eau et de nourriture, et l’exposition à des températures particulièrement froides pendant plusieurs heures. Des sources concordantes ont fait état de détenus menottés les mains dans le dos, parfois pour la nuit entière. De telles situations ont également été constatées dans des véhicules de police et à l’arrivée dans les lieux de détention.

45.Il ressort de divers témoignages que des mauvais traitements sont commis dans les commissariats et dans d’autres lieux disposant de cellules relevant de la police. Ils se produisent en général dans les lieux qui ne sont pas équipés de caméras de surveillance, comme les sanitaires ou des locaux adjacents aux lieux de détention eux-mêmes. Dans l’un des commissariats visités, l’arrivée de la délégation du Sous-Comité a interrompu deux situations de mauvais traitements, qui ont ensuite été décrites par les détenus dans leurs témoignages. La délégation a, de même, constaté que les personnes en garde à vue étaient systématiquement immobilisées à l’aide de menottes plus serrées que nécessaire, ce qui engendrait lésions et douleurs.

46.La délégation a vu dans les centres de justice de Santiago et de Valdivia des personnes privées de liberté qui attendaient leur transfèrement, menottées et portant une camisole de force, pendant longtemps. Au Centre de Santiago, plusieurs personnes étaient ainsi depuis vingt-quatre heures, voire davantage.

47.À plusieurs occasions, les allégations de torture ou de mauvais traitements qui concernaient des faits récents ont été corroborées par les examens réalisés par le médecin de la délégation.

48.Le Sous-Comité a reçu des allégations répétées et cohérentes dénonçant diverses formes de mauvais traitements lors des fouilles réalisées par le personnel pénitentiaire. D’après les déclarations des détenus, ces fouilles donnent souvent lieu à des violences verbales, à la destruction d’effets personnels et à l’utilisation de gaz irritant. D’autres allégations font état de fouilles corporelles particulièrement humiliantes pour les femmes qui sont détenues ou viennent rendre visite à un détenu.

49. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de garantir que le Service de la défense pénale publique, le Bureau du Procureur général et le pouvoir judiciaire puissent régulièrement effectuer des visites inopinées dans les lieux de détention relevant de la police et de la police judiciaire et dans les centres de justice. Les personnes chargées de ces visites doivent pouvoir s ’ entretenir en toute confidentialité avec les détenus afin de repérer les situations de torture et de mauvais traitement, d ’ aider les victimes, de leur apporter la protection voulue contre les représailles et d ’ enquêter sur les faits détectés afin que les sanctions administratives et pénales qui s ’ imposent puissent être prises.

V.Santé

50.Le Sous-Comité a reçu de l’État partie des informations selon lesquelles les personnes privées de liberté sont systématiquement examinées par du personnel médical lorsqu’elles sont arrêtées et avant d’être conduites au commissariat. Le Sous-Comité a toutefois pu constater que cela n’était le cas que lorsqu’il y avait une lésion flagrante. La majorité des personnes privées de liberté avec lesquelles il s’est entretenu dans les commissariats et les établissements pénitentiaires ont indiqué n’avoir eu aucun contact avec le personnel de santé.

51.Dans les commissariats de police, le détenu doit remplir un formulaire sur son état de santé. Il y est demandé, entre autres choses, s’il a des maladies, s’il suit un traitement et s’il présente des lésions, auquel cas le document n’a plus de valeur (mention figurant dans un paragraphe dudit document) et le détenu doit être conduit à l’hôpital. Ce document est avalisé par le fonctionnaire de police à la suite d’un interrogatoire du détenu, qui le signe. Le policier évalue les lésions et autres affections du détenu, l’entretien médical et l’évaluation de l’état de santé relevant quant à eux exclusivement de la compétence d’un médecin.

52.Le Sous-Comité note avec une vive préoccupation que lorsqu’un détenu se présente dans un hôpital pour que ses lésions soient constatées, il est examiné en présence de l’agent qui l’a amené, ce qui est contraire au droit inaliénable au respect de la vie privée et au secret médical. Il semble qu’il soit fréquent que le médecin interroge le détenu sur l’existence de lésions sans procéder à un examen visuel ou plus approfondi. La délégation a identifié des détenus qui auraient eu besoin de médicaments ou d’un autre traitement pour des lésions qui n’avaient pas été décelées, ce qu’a confirmé le rapport médical. Après une seconde consultation médicale, effectuée à la demande du Sous-Comité, les patients sont retournés au commissariat sans avoir reçu les soins voulus, sans médicaments et sans contrôle de l’affection qui avait motivé la consultation, comme le Sous-Comité a pu le constater dans le dossier médical. De plus, le médecin remet son rapport au policier, ce qui nuit à la confidentialité et engendre un risque de représailles.

53. Le Sous-Comité recommande que tous les détenus aient systématiquement accès à un contrôle médical dans un établissement de santé public après leur arrestation, que ce contrôle se déroule dans les conditions voulues de confidentialité, et que le formulaire sur l ’ état de santé soit rempli par le personnel de santé. Il recommande aussi qu ’ un protocole soit établi pour l ’ intervention des médecins, en vue en particulier de la détection proactive des lésions éventuelles, conformément au Protocole d ’ Istanbul, que le détenu-patient certifie l ’ exactitude des éléments du dossier et que, compte dûment tenu du principe de confidentialité, le rapport soit remis sous pli cacheté au juge des garanties. Il recommande en outre que soit tenu au sein du système de santé un registre dans lequel seraient consignées les lésions susceptibles d ’ avoir été causées par des actes de torture ou des mauvais traitements ainsi que les allégations portées par les personnes privées de liberté examinées.

54.Le Sous-Comité a constaté que, dans certains des centres de détention visités par la délégation, les services médicaux fonctionnaient correctement. Dans d’autres, la délégation a reçu des plaintes, tant des détenus que des fonctionnaires des services de santé et des services pénitentiaires, concernant le manque de consultations médicales adaptées et l’absence de suivi, de médicaments et de contrôle des patients en cours de traitement.

55.Les entretiens réalisés avec les détenus dans les centres de détention provisoire et l’étude ultérieure de leur dossier médical ont fait apparaître des incohérences entre les renseignements enregistrés et l’état de santé réel des détenus, ce qui signifie que leurs maladies n’étaient pas connues lors de leur incarcération, avec toutes les conséquences que cela peut avoir.

56.La délégation a constaté dans un centre de détention provisoire que la moitié seulement des consultations étaient consignées dans les dossiers médicaux, ce qui constitue une violation des droits du détenu.

57.À Santiago, les services médicaux sont satisfaisants, aussi bien dans les établissements pénitentiaires qu’à l’hôpital pénitentiaire. Il n’en va pas de même pour les prisons visitées à Valparaíso et à Antofagasta. La délégation a noté que dans certains établissements les détenus avaient des difficultés à avoir accès à un médecin, le personnel pénitentiaire refusant de les conduire à la structure de santé. Le Sous-Comité note avec préoccupation qu’à l’hôpital pénitentiaire le psychiatre, le dermatologue et le cardiologue ont donné leur démission et que leurs remplaçants n’ont toujours pas été nommés après plus d’un mois. Il relève de même que la présence d’un anesthésiste est rare, ce qui rend difficile de procéder à des actes chirurgicaux. Si nécessaire, l’hôpital général est sollicité, avec des délais excessifs de plusieurs mois, voire d’une année, entre les consultations, et selon les témoignages des intéressés, des personnels de santé eux-mêmes et du personnel pénitentiaire, les détenus y sont traités de manière discriminatoire. Le Sous-Comité note également avec préoccupation qu’une fois un rendez-vous obtenu à l’hôpital général, il arrive que le détenu ne puisse s’y rendre faute d’ambulance, car il n’y en a qu’une pour la région Valparaíso, par exemple. De surcroît, il n’y a pas de médecin le week-end, ce qui ajoute encore aux difficultés.

58.Le Sous-Comité recommande de veiller à ce que les documents médicaux soient correctement remplis dans tous les cas. De plus, l ’ hôpital pénitentiaire devrait pouvoir proposer toutes les spécialités mentionnées plus haut, entre autres, et dans le cas contraire l ’ État devrait faire en sorte qu ’ une coordination rapide et efficace soit mise en place, en fonction des différentes pathologies. Le Sous-Comité estime en outre qu ’ un observateur indépendant, tel qu ’ un mécanisme national de prévention, serait à même de suivre de telles situations de manière appropriée.

59.En ce qui concerne les services dentaires, la délégation a pu constater que ceux-ci étaient bien structurés au Centre de détention provisoire no 1 et à la prison de haute sécurité. Dans cette dernière étaient assurés aussi bien les soins ponctuels que le suivi des traitements. Les registres étaient bien tenus. En revanche, au Centre de San Miguel, les détenues se sont plaintes du manque d’accès aux services dentaires.

60.Le Sous-Comité s’inquiète des conditions réelles d’accès aux services dentaires pour la population carcérale dans sa totalité, ainsi que des difficultés rencontrées par les détenus pour être effectivement conduits aux rendez-vous par le personnel pénitentiaire.

61.Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de mettre en place un registre permettant de convoquer les détenus de manière programmée et de veiller à ce qu ’ ils ne subissent aucune discrimination pour quelque motif que ce soit, ni de la part des fonctionnaires ni de la part des dentistes eux-mêmes.

62.La disponibilité des médicaments n’est pas homogène dans l’ensemble des lieux visités. Dans certains d’entre eux, le Sous-Comité l’a jugée adaptée aux besoins. Dans la majorité des cas, les détenus atteints d’une affection chronique se voyaient remettre leur traitement et devaient signer eux aussi le registre correspondant. Dans certains établissements, cependant, comme à Antofagasta et à Valparaíso, le manque de médicaments était préoccupant. À Valparaíso, plusieurs détenus atteints du VIH se sont plaints d’interruptions dans leur traitement. Le Sous-Comité souligne que cela serait d’une extrême gravité, étant donné qu’un patient séropositif qui interrompt sa prise d’antirétroviraux risque davantage de déclarer le sida.

63. Au vu de ce qui précède, le Sous-Comité recommande d ’ accorder une attention toute particulière à la délivrance des médicaments aux détenus atteints du VIH et d ’ autres maladies chroniques, ainsi qu ’ aux patients ayant besoin de traitements ponctuels, et de tenir dans tous les cas un registre dans lequel chaque détenu doit attester qu ’ il a reçu son médicament. Il recommande aussi aux services de santé des établissements pénitentiaires de procéder aux aménagements nécessaires dans leurs protocoles et leurs installations pour que les détenus qui le souhaitent puissent utiliser les connaissances et les médecines traditionnelles, en remplacement ou en complé ment des traitements habituels.

64.Pour ce qui est de l’hôpital psychiatrique, la délégation du Sous-Comité a apprécié la présentation qui lui a été faite du service. Elle a toutefois relevé avec préoccupation qu’il n’y avait pas de protocole en place pour repérer d’éventuels mauvais traitements ou actes de torture sur les personnes internées contre leur gré lorsqu’elles étaient amenées par des policiers, ou même par des membres de leur famille, et présentaient des contusions. C’est un cas de figure dont le service médical nie même la possibilité, s’agissant de patients qui, bien souvent, ne sont pas capables de discernement.

65.Le Sous-Comité relève avec une vive préoccupation que les individus qui entrent à l’hôpital pour une évaluation de leur responsabilité restent internés pendant plus de six mois après la conclusion de l’expertise.

66. Le Sous-Comité recommande qu ’ une attention toute particulière soit prêtée à l ’ examen des patients qui présentent des lésions, et que des spécialistes soient formés à cet effet.

VI.Conditions de détention

A.Surpopulation et entassement

67.Le Comité considère qu’il ressort des entretiens que la délégation a eus avec des fonctionnaires, des personnes privées de liberté et des organisations de défense des droits de l’homme que la politique pénale actuelle a grandement contribué à l’augmentation de la population carcérale. Le fonctionnement actuel de l’administration de la justice a également eu des effets sur la surpopulation, notamment depuis la réforme de la justice pénale. Cette réforme a renforcé l’efficacité du système de poursuites et permis de traiter une plus large gamme d’infractions. Toutefois, elle présente des lacunes en ce qui concerne les garanties, le traitement de la criminalité complexe et la réduction de la surpopulation. En outre, la diminution notable du pourcentage de prévenus dans la population carcérale, s’est faite au prix d’un accroissement significatif du nombre de personnes privées de liberté, comme l’illustre le taux d’emprisonnement actuellement élevé au Chili. Cette situation aggrave la vulnérabilité de certains groupes, définis entre autres par la classe sociale, le sexe, l’origine ethnique ou l’âge, qui sont davantage susceptibles de faire l’objet de poursuites pénales, de subir des mauvais traitements et des actes de torture au moment de leur arrestation et pendant leur détention, d’être victimes de violations du droit à un procès équitable et d’être emprisonnés.

68. Le Sous-Comité recommande d ’ apporter, dans les plus brefs délais, des modifications à la politique de poursuites pénales et à l ’ administration de la justice, afin de réduire le nombre de personnes privées de liberté et d ’ inverser la tendance à l ’ augmentation de la population carcérale, notamment au moyen de mesures de substitution à la privation de liberté. Il recommande en outre de faire en sorte que ces modifications contribuent à remédier à la vulnérabilité particulière de certains groupes, qui sont davantage susceptibles d ’ être emprisonnés et exposés aux mauvais traitements dans les lieux de détention.

69.Le Sous-Comité est préoccupé par les conditions de surpopulation observées dans la grande majorité des centres de détention et qui sont telles que, dans certains cas, trois personnes sont obligées de partager le même matelas. Il s’inquiète également du manque de lumière (naturelle ou artificielle), de chauffage, d’exercice physique à l’air libre ou d’autres activités pendant des périodes prolongées, ce qui, pris dans son ensemble, peut constituer un traitement cruel, inhumain et dégradant.

70.La délégation du Sous-Comité a pu constater au cours de ses visites que les conditions de détention n’étaient pas les mêmes pour tous au sein d’un même établissement. Certaines personnes privées de liberté reçoivent un traitement différencié de la part de l’établissement, sur décision judiciaire ou en raison de leur situation socioéconomique ou du rang intermédiaire ou élevé qu’elles occupent au sein d’une organisation criminelle. Cette différence de traitement comprend le placement dans des locaux non surpeuplés ou des espaces séparés, dotés de sanitaires en bon état, d’une salle de sport, d’une télévision, de chambres individuelles, d’une cafétéria et d’une salle commune, dans lesquels les détenus bénéficient de contrôles plus souples de la part des autorités. À l’inverse, dans le même établissement, d’autres personnes privées de liberté vivent dans des locaux surpeuplés et n’ont, au mieux, qu’un accès limité à des espaces extérieurs, à des sanitaires, à l’eau, à des activités de loisirs ou à du travail.

71.De plus, dans quelques-uns des centres de détention visités, la délégation a constaté que les quartiers dans lesquels étaient placés les prévenus, les primo-délinquants et les personnes ayant commis une infraction considérée comme mineure étaient ceux dans lesquels les conditions de détention étaient les pires, et notamment les plus surpeuplés et les plus touchés par le manque d’activités et de privilèges. Cette situation constitue un facteur supplémentaire poussant les personnes privées de liberté à opter pour une procédure simplifiée ou abrégée dans le but de recouvrer leur liberté au plus tôt. Il existe un manque général d’activités éducatives et récréatives et de formations professionnelles, entre autres, dans les établissements pénitentiaires, ce qui compromet la finalité de la peine, à savoir la réhabilitation et l’intégration sociale. La peine devient ainsi une punition.

72.D’après les chiffres officiels, la population carcérale est d’environ 45 000 détenus, prévenus et condamnés (soit un taux de 248 détenus pour 100 000 habitants). Dans certains établissements, comme dans ceux de Valparaíso et de Santiago Sud, la délégation du Sous-Comité a constaté des conditions particulièrement déplorables, notamment un manque d’espace pour dormir, des amoncellements d’ordures, la présence de rongeurs, la prolifération de punaises, l’absence totale d’hygiène et le manque de services, de ventilation et d’infrastructures de base comme les toits, laissant les détenus peu ou pas protégés des basses températures ou de la pluie.

73.La délégation s’est rendue à l’Unité spéciale de haute sécurité de Santiago. Elle a noté qu’il n’y avait pas de problème de surpopulation dans cette prison mais constaté avec préoccupation que de nombreux détenus y étaient placés à l’isolement pour une longue durée. Cette situation était aggravée par l’absence d’activités et d’ateliers et le manque d’exposition à la lumière naturelle.

74.Le Sous-Comité est préoccupé par le fait que les ailes des établissements sous contrat dans lesquelles sont détenus les prévenus sont soumises à des conditions plus strictes pour ce qui est des horaires de visite et de l’accès à des activités récréatives. Dans le centre pénitentiaire sous contrat de Valdivia, il existe un problème de surpopulation excessive dans l’un des quartiers.

75. Le Sous-Comité recommande l a pleine application des règles 58 et 105 des Règles Nelson Mandela concernant le droit des détenus de recevoir des visites sans discrimination et l ’ accès à des activités récréatives et culturelles.

76. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de prendre de toute urgence des mesures pour s ’ attaquer au problème de surpopulation, notamment par des peines de substitution à l ’ emprisonnement, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l ’ élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo), et de redoubler d ’ efforts pour réduire le recours à la détention provisoire. Il lui recommande également de s ’ efforcer de réduire autant que possible les écarts qui existent de fait entre les établissements pénitentiaires publics et les établissements sous contrat pour ce qui est du nombre de détenus et d ’ envisager de fixer une capacité d ’ accueil maximale pour le système pénitentiaire public au niveau national, comme cela est fait pour les établissements sous contrat. Tant que le grave problème de surpopulation carcérale n ’ est pas résolu, et étant donné que les conditions constatées peuvent constituer des mauvais traitements, l ’ État partie devrait promouvoir le droit des victimes de former des recours et d ’ obtenir une réparation adéquate, conforméme nt au paragraphe 3 de l ’ article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l ’ article 14 de la Convention contre la torture. Dans ce contexte, le Sous-Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager, à titre de réparation partielle pour le préjudice subi, d ’ accorder une réduction de peine et la libération conditionnelle aux personnes vivant dans des conditions de détention inhumaines.

B.Infrastructure

77.La délégation du Sous-Comité a constaté des conditions lamentables dans certains établissements pénitentiaires, par exemple le centre de détention provisoire de Santiago Sud, dans lequel 283 primo-délinquants sont détenus dans une même section. Elle a relevé que les cellules visitées à Santiago Sud et à Valparaíso ne respectaient pas les normes en matière d’infrastructure, d’hygiène et de services. Là où elles existent, les installations sanitaires sont insuffisantes, et les égouts, qui sont à ciel ouvert, sont souvent inondés et traversent les dortoirs, provoquant infections graves et odeurs nauséabondes. À Santiago Sud, l’entassement dans le bâtiment d’origine est tel que les détenus ont construit dans la cour une structure en bois, en tôle et en plastique, elle-même surpeuplée, qui sert d’annexe aux cellules d’origine.

78. Le Sous-Comité recommande d ’ adopter d ’ urgence les mesures nécessaires pour améliorer les conditions inacceptables dans la prison de Valparaíso et dans le centre de détention provisoire de Santiago Sud. Dans le cas de ce dernier, il est recommandé de déplacer les détenus, en tenant compte du fait que ce sont des primo-délinquants, et de démonter la structure précaire qui fait office d ’ annexe au vu des conditions inhumaines qui y règnent.

C.Alimentation et produits de première nécessité

79.Le Sous-Comité salue le fait que, dans la prison d’Antofagasta, les personnes atteintes du VIH/sida reçoivent un traitement antirétroviral, ainsi qu’une alimentation spéciale élaborée par un nutritionniste. Cependant, dans tous les centres de détention visités, les détenus se sont systématiquement plaints de la qualité et du manque de variété de la nourriture. Dans les établissements pénitentiaires publics, les détenus doivent compléter leurs repas ou les remplacer par des vivres apportés par leur famille. Ceux qui n’ont pas de famille ou de moyens financiers souffrent de graves carences alimentaires. Par ailleurs, le Sous-Comité a pu constater la mauvaise qualité de la nourriture dans la prison de Valparaíso, où les repas étaient en outre servis dans des sachets plastiques, sans couverts ni assiettes, ce qui peut être assimilé à un traitement dégradant.

80.Selon des informations reçues, il y aurait des pénuries alimentaires dans les établissements sous contrat. De même, la réglementation des cantines présente d’importantes lacunes, en particulier dans les prisons sous contrat, les prix étant excessivement élevés par rapport au marché externe.

81. Étant donné qu ’ une bonne alimentation est essentielle pour la santé, le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les établissements pénitentiaires offrent, aux heures usuelles des repas, une alimentation de bonne qualité, convenablement préparée et ayant une valeur nutritive suffisante. De même, il convient de garantir que l ’ équipe sanitaire joue le rôle d ’ observateur dans toutes les étapes de l ’ élaboration des repas et de leur distribution aux détenus et utilise des registres à cette fin.

82.Le Sous-Comité est particulièrement préoccupé par le manque de nourriture en garde à vue, tant dans les commissariats et les centres de justice que pendant les transferts. Ces situations, qui peuvent durer de quelques heures à quelques jours, pourraient constituer des mauvais traitements.

83. Le Sous-Comité recommande que, conformément aux Règles Nelson Mandela (règle 22), l ’ État partie garantisse que tout détenu reçoive de l ’ administration pénitentiaire aux heures habituelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé. De la même manière, aucune personne privée de liberté ne devrait dépendre de tiers pour obtenir de la nourriture. À cet égard, le Sous-Comité recommande d ’ allouer au système pénitentiaire le budget nécessaire pour fournir une alimentation suffisante aux personnes privées de liberté, y compris dans les prisons sous contrat. S ’ agissant de la réception et de la distribution des aliments, des médicaments, des articles de toilette et des vêtements, il a été recommandé d ’ appliquer des procédures régulières pour garantir qu ’ ils parviennent à leurs destinataires, dans le respect de s Règles Nelson Mandela (règles 18 et 19).

VII.Groupes privés de liberté particulièrement vulnérables

A.La situation des femmes

84.En ce qui concerne les femmes privées de liberté, le Sous-Comité se déclare préoccupé par les conséquences de la détention provisoire, qui touche les femmes de manière disproportionnée dans la mesure où elle a des effets psychologiques graves sur les mères ayant des enfants à charge, en particulier les mères célibataires. Le Sous-Comité a recensé des cas de femmes accompagnées d’enfants qui sont restées en détention provisoire pendant plus d’un an dans les prisons de San Miguel (Santiago) et d’Antofagasta.

85. Le Sous-Comité rappelle à l ’ État le principe de l ’ intérêt su périeur de l ’ enfant et la règle 58 des Règles de Bangkok sur les mesures de substitution à la détention provisoire et les peines de substitution qui doivent être appliquées aux femmes.

86.Les conditions matérielles difficiles dans trois établissements visités (San Miguel, Quillota et Antofagasta) ont de graves conséquences sur le bien-être physique des femmes. Dans les prisons mentionnées, l’accès aux installations sanitaires était insuffisant. Dans la prison d’Antofagasta, les femmes ne disposaient pas de toilettes dans les chambres et devaient utiliser des seaux pendant les heures où elles étaient enfermées. Dans le quartier réservé aux femmes de la prison sous contrat de Valdivia, l’intimité des détenues n’était pas respectée, étant donné que les installations sanitaires étaient dans l’angle de vue d’une caméra placée dans la cour. Aucun des établissements visités ne mettait à disposition des femmes des serviettes hygiéniques ou d’autres produits d’hygiène personnelle de base. Ces produits devaient être apportés par les visiteurs ou, dans le cas des femmes qui ne recevaient pas de visites, donnés par d’autres détenues.

87.Les nombreux entretiens qu’a eus la délégation ont mis en évidence des pratiques discriminatoires en révélant que les femmes recevaient moins de visites conjugales que les hommes et avaient moins accès qu’eux aux ateliers professionnels et aux activités récréatives ou sportives. Les ateliers de la prison d’Antofagasta contribuaient à maintenir des stéréotypes sexistes (mannequinat, couture, coiffure et manucure), eux-mêmes sources d’inégalités dans l’accès à l’emploi et d’une vulnérabilité accrue à la pauvreté.

88.Dans la prison de Valdivia, la délégation du Sous-Comité a observé que toutes les détenues partageaient un même espace, contrairement aux hommes, qui étaient séparés selon la catégorie à laquelle ils appartenaient. Elle a relevé une forte tension entre les différentes détenues et un degré élevé de dangerosité. Cet état de fait pourrait constituer une discrimination systémique dans les prisons sous contrat.

89. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie d ’ intégrer les questions de genre dans sa politique pénitentiaire et de réinsertion, selon une approche transversale.

90.Le Sous-Comité est préoccupé par la grave discrimination dont sont victimes les détenues lesbiennes du fait que les relations intimes ne sont pas tolérées pour elles, alors qu’elles le sont dans les centres pour hommes. Pour protester contre cela, plusieurs détenues ont attenté à leur vie en buvant du chlore ou en s’immolant par le feu pour ne pas être séparées de leur partenaire. De plus, plusieurs couples ont rapporté avoir fait l’objet d’insultes et d’humiliations à caractère sexuel de la part des fonctionnaires.

91. Le Sous-Comité recommande l ’ élaboration et l ’ application de stratégies, en consultation avec les services de soins de santé mentale et de protection sociale, pour prévenir le suicide et l ’ automutilation chez les détenues, conformément à la règle 16 des Règles de Bangkok.

92.La suspension des visites en tant que sanction disciplinaire est un autre élément qui porte atteinte aux droits des femmes. Ce type de mesure est appliqué aux hommes comme aux femmes dans les prisons, mais il touche différemment les femmes. Le Sous-Comité a relevé des cas de femmes dont les visites avaient été suspendues pendant plusieurs mois, en raison de mesures ordonnées par le tribunal ou d’une décision prise par les gardiens chargés du centre. Cette suspension avait entraîné une grave souffrance psychologique. Par ailleurs, la délégation a reçu dans tous les centres visités plusieurs plaintes dénonçant le caractère arbitraire des sanctions et le manque de cohérence dans l’application de ces sanctions pour une même infraction.

93. Le Sous-Comité rappelle à l ’ État partie que, selon la règle 23 des Règles de Bangkok, les sanctions disciplinaires applicables aux détenues ne doivent pas comporter l ’ interdiction des contacts familiaux, en particulier avec les enfants.

94.Le Sous-Comité a constaté la grave situation dans laquelle se trouvait une ancienne gardienne de prison qui purgeait sa peine dans une cellule d’isolement de la prison de San Miguel, sans accès aux toilettes, alors que d’anciens gardiens détenus dans la prison d’Antofagasta et dans l’Unité spéciale de haute sécurité de Santiago bénéficiaient eux de privilèges multiples.

95.Dans le centre de San Miguel, la délégation du Sous-Comité a relevé que deux femmes enceintes dont la santé était menacée n’avaient pas passé les examens médicaux qui s’imposaient. De plus, elle a reçu des informations selon lesquelles les autres femmes enceintes n’étaient pas suivies de manière régulière. De même, elle a remarqué plusieurs détenues qui avaient d’urgence besoin de soins de santé mentale dans l’établissement d’Antofagasta et la prison sous contrat de Valdivia.

96. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de garantir que de vastes programmes de soins de santé mentale et de réadaptation personnalisés tenant compte des différences entre les sexes soient offerts aux détenues nécessitant des soins de santé mentale, conformément à la règle 12 des Règles de Bangkok.

97.Le Sous-Comité s’inquiète du régime d’enfermement excessif (jusqu’à quinze heures par jour) constaté dans le quartier réservé aux femmes accompagnées d’enfants de moins de 2 ans de la prison d’Antofagasta, sans chauffage ni accès à la cour extérieure. Il souligne que l’enfermement prolongé a des effets préjudiciables non seulement sur la stabilité mentale des femmes, mais également sur celle de leurs enfants, car l’enfermement peut avoir de graves répercussions sur leur développement. Dans la prison d’Antofagasta, la délégation a reçu des allégations selon lesquelles le placement à l’isolement aurait été utilisé comme sanction contre une femme enceinte, alors que les Règles de Bangkok (règle 22) interdisent ce type de punitions pour les femmes enceintes.

98. Dans l ’ esprit des Règles de Bangkok, le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les mères allaitantes et leurs enfants, y compris dans la prison d ’ Antofagasta, disposent d ’ un espace suffisant, d ’ un temps quotidien d ’ exposition à la lumière naturelle, et d ’ une ventilation et d ’ un chauffage appropriés, adaptés aux conditions climatiques du lieu de privation de liberté.

99.Dans tous les centres visités, la délégation du Sous-Comité a reçu des informations concernant des fouilles corporelles invasives qui auraient été réalisées sur des femmes privées de liberté au cours de perquisitions et de contrôles, ainsi que sur des visiteuses. Plusieurs personnes ont déclaré que ces fouilles étaient fréquentes, voire systématiques, et très humiliantes.

100. Conformément aux règles 19 et 20 des Règles de Bangkok, le Sous-Comité engage vivement l ’ État partie à prendre des mesures efficaces pour garantir la protection de la dignité et de la vie privée des femmes détenues pendant les fouilles corporelles, et à utiliser d ’ autres méthodes de contrôle, par exemple le scanner, dont l ’ usage pourrait être généralisé pour remplacer les fouilles à nu et les fouilles corporelles invasives.

101.Le Sous-Comité fait part de sa préoccupation concernant les effets disproportionnés que la loi no 20 000, qui réprime le trafic de drogues, a sur les femmes. Il a été informé que le nombre de femmes privées de liberté a plus que doublé depuis l’entrée en vigueur de ladite loi, en 2005. Il est préoccupé par le fait que cette loi, en plus de prévoir des peines lourdes, rend plus difficile l’obtention de la libération conditionnelle, qui ne peut être demandée qu’une fois les deux tiers de la peine purgés, et non la moitié, comme pour les autres infractions de droit commun.

102. Compte tenu des effets discriminatoires sur les femmes de l ’ application de la loi n o  20 000, le Sous-Comité recommande que l ’ État partie envisage de faciliter l ’ obtention de la libération conditionnelle et des permissions de sortir, dans les mêmes conditions que pour toute autre infraction de droit commun.

B.Protection des enfants et des adolescents en conflit avec la loi

103.En vue de connaître la situation des enfants et des adolescents privés de liberté, la délégation du Sous-Comité a rencontré des responsables du Service national pour la protection des mineurs et des représentants des organisations de la société civile, et elle a visité les quartiers pour mineurs du complexe pénitentiaire de Valparaíso et de la prison sous contrat d’Antofagasta ainsi que l’unité pour mineurs de l’hôpital psychiatrique de Santiago.

104.Elle s’est également rendue dans le centre de détention provisoire de San Joaquín, géré par le Service national pour la protection des mineurs, qui accueillait 233 mineurs le jour de la visite. Le Sous-Comité prend note avec satisfaction des bonnes conditions matérielles dans ce centre, où les détenus reçoivent une alimentation de qualité et ont un accès suffisant aux cours de promenade et aux ateliers. Néanmoins, il est préoccupé par les multiples allégations, corroborées par divers entretiens, faisant état de perquisitions violentes dans les cellules menées par les agents chargés d’assurer la sécurité dans le centre, parfois en présence de fonctionnaires du Service national pour la protection des mineurs ou avec leur accord. Ces perquisitions seraient une forme de sanction collective appliquée lorsqu’une infraction a été commise par l’un des mineurs détenus. Les adolescents ont rapporté avoir reçu des insultes, des coups portés avec le plat de la main ou le poing, des coups de pied donnés avec des bottes militaires et des pulvérisations de gaz au poivre dans les yeux, et avoir été contraints de faire des flexions. Quelques personnes interrogées ont également montré des traces de coups dans leur dos et des vêtements déchirés, conséquence d’une perquisition qui avait eu lieu la veille de la visite. Le Sous-Comité souligne que ces faits, ajoutés à la vulnérabilité du mineur, constituent des actes de torture et des mauvais traitements et violent les normes internationales applicables en matière de traitement des mineurs privés de liberté. Par ailleurs, les mineurs rencontrés ignoraient s’il existait un mécanisme de plainte pour signaler les mauvais traitements et les punitions infligés dans le cadre des perquisitions.

105.Dans ce contexte, le Sous-Comité s’est déclaré préoccupé par les représailles qui pourraient être exercées contre les mineurs avec lesquels la délégation s’était entretenue.

106.Les employés du centre interrogés ont mis en avant les taux de récidive élevés et signalé que 10 tentatives de suicide avaient eu lieu en 2015. Au premier trimestre 2016, il y avait également eu deux tentatives de suicide, visiblement liées à la surpopulation qui prévalait dans le centre à cette période et à la présence de mineurs souffrant de graves problèmes de santé mentale.

107.Le Sous-Comité a constaté que la privation de liberté n’était pas toujours utilisée pour une durée aussi brève que possible, étant donné que plusieurs adolescents étaient détenus dans le centre depuis plus de six mois. Il a aussi été informé de cas d’enfants qui étaient restés dans le centre en tant que prévenus pendant plus d’un an.

108.Le Sous-Comité note avec une profonde préoccupation que l’ancienne directrice du centre a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de révocation de ses fonctions en 2014, qui aurait été prononcée comme suite à des mauvais traitements à l’égard des mineurs détenus. Le Sous-Comité exhorte l ’ État partie à mener une enquête indépendante et impartiale et à protéger les témoins et les victimes.

109.Enfin, la délégation du Sous-Comité a consulté les registres et relevé 22 plaintes, transmises aux tribunaux compétents et au Bureau du Procureur, qui faisaient état de lésions présentées par des mineurs à leur arrivée dans le centre. Sept plaintes mettaient en cause des carabiniers, quatre le personnel pénitentiaire, une la police d’investigation et une autre un fonctionnaire du Service pour la protection des mineurs. Les fonctionnaires du centre ont indiqué recevoir fréquemment des mineurs roués de coups lors d’une « arrestation citoyenne ».

110.Le Sous-Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que tous les centres de privation de liberté et de protection de remplacement pour mineurs soient soumis à un système de visites de contrôle régulières et inopinées, et de faire en sorte que les mineurs aient accès à des mécanismes de plainte indépendants. De même, l’État partie devrait garantir que toutes les plaintes pour mauvais traitements déposées dans le centre de détention provisoire de San Joaquín fassent sans délai l’objet d’une enquête impartiale, que tous les auteurs présumés soient traduits en justice pour éviter la répétition de ces actes, et que les témoins et les victimes soient protégés. Le Sous-Comité recommande aux autorités de bien connaître le Protocole d’Istanbul et de l’appliquer dans le cadre des procédures d’enquête relatives aux plaintes ou informations alléguant des actes de torture ou des mauvais traitements, afin d’établir la réalité des faits.

111.Le Sous-Comité relève que plusieurs interlocuteurs ont souligné la nécessité d’apporter des modifications à la loi sur la responsabilité pénale des adolescents, eu égard notamment à la multiplicité des causes et au manque de spécialisation des organes en matière de justice pour mineurs.

112.Le Sous-Comité a pu constater que de nombreux adolescents prévenus et condamnés faisaient appel aux services d’avocats privés en raison de l’absence d’un système de représentation en justice spécialisé.

113. Le Sous-Comité recommande de garder à l ’ esprit le fait que la formation et la réinsertion sociale du délinquant doivent être privilégiées dans la justice pénale pour mineurs, ce qui implique de mettre en place des procédures rapides et de disposer de mesures socioéducatives. De plus, il faut chercher à atténuer les conséquences stigmatisantes du procès et de la sanction pénale. L ’ audience doit donc se dérouler à huis clos, et l ’ identité de l ’ adolescent en conflit avec la loi ne doit pas être divulguée.

C.Mapuches

114.Le Sous-Comité a reçu des informations fiables et concordantes faisant état d’un usage excessif et disproportionné de la force, notamment par des carabiniers du Groupe d’opérations policières spéciales, contre des membres du peuple mapuche au moment de leur arrestation. Parmi les méthodes employées figuraient l’utilisation d’armes à feu à une faible distance des victimes pour disperser les membres de la communauté mapuche dans le cadre de mouvements de protestation sociale, ainsi que des coups portés au hasard et des insultes pendant les arrestations et les perquisitions. Plusieurs de ces incidents ont causé des blessures graves dont les victimes ont gardé d’importantes séquelles, par exemple une perte partielle de la vision ou des fractures ayant paralysé, immobilisé ou altéré de façon permanente des parties du corps. Le Sous-Comité a également été informé du fait que des membres de la communauté mapuche avaient été victimes de torture ou de mauvais traitements après avoir été arrêtés. Parfois, ces actes ont été infligés à des personnes blessées par balle avant leur arrestation.

115.Le Sous-Comité est profondément préoccupé par les renseignements reçus concernant les différentes formes de contrôle policier pratiquées sur le territoire mapuche, notamment les entraves à la liberté de circulation par le biais d’arrestations effectuées sur des routes de campagne, visant très souvent à empêcher les communautés mapuches de participer à des activités et des réunions. Il a aussi été informé de cas de détentions provisoires prolongées en milieu rural, sans transfèrement vers des commissariats, au cours desquelles des mauvais traitements auraient été commis.

116.Le Sous-Comité considère que toute opération policière qui implique l’arrestation de Mapuches devrait tenir compte des multiples facettes des problèmes rencontrés par cette population, notamment en ce qui concerne sa cosmovision. Il fait sienne la recommandation du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste concernant l’adoption d’une stratégie nationale visant à trouver une solution globale à la question mapuche dans des délais précis et relativement brefs.

117.De même, le Sous-Comité a reçu des témoignages cohérents selon lesquels des lois pénales spéciales seraient appliquées à des détenus membres du peuple mapuche. Ces lois ont été utilisées d’une manière discriminatoire et arbitraire, portant atteinte au droit des prévenus à un procès équitable.

118.En ce qui concerne le débat législatif autour d’une nouvelle loi antiterroriste, le Sous-Comité souligne que cette loi doit respecter les normes internationales relatives aux droits de l’homme.

119. Le Sous-Comité recommande de mettre immédiatement fin à l ’ utilisation de lois pénales spéciales contre des personnes appartenant au peuple mapuche, de n ’ avoir recours à la loi antiterroriste que dans le cas d ’ infractions terroristes, sur la base d ’ une interprétation restrictive de ce type d ’ infractions, et d ’ éviter l ’ application de la loi antiterroriste à des mouvements de protestation sociale organisés par un groupe, quel qu ’ il soit, notamment le peuple mapuche.

120.La délégation du Sous-Comité a pu constater que les membres du peuple mapuche étaient parfois séparés du reste de la population carcérale. Malgré cela, les personnes rencontrées ont indiqué qu’elles ne pouvaient pas pratiquer les rituels reposant sur leur cosmovision, notamment pour soigner leurs problèmes de santé au moyen de méthodes ancestrales.

121. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires pour que les personnes privées de liberté appartenant au peuple mapuche aient le droit d ’ observer leurs traditions et coutumes culturelles, conformément aux normes internationales en la matière , de la même manière qu ’ on permet à d ’ autres groupes spécifiques de personnes privées de liberté de pratiquer librement leur religion.

122. De plus, le Sous-Comité recommande aux services de santé des établissements pénitentiaires d ’ adapter leurs protocoles et leurs installations afin que les personnes privées de liberté qui le souhaitent puissent utiliser leurs connaissances ancestrales et leur pharmacopée traditionnelle à la place ou en plus des traitements normalement dispensés.

D.Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués

123.À sa vingt-huitième session, le Sous-Comité a approuvé un document dans lequel figurent des préoccupations et des recommandations relatives aux personnes privées de liberté appartenant à une minorité sexuelle, qui sont souvent exposées à des formes multiples et extrêmes de discrimination pouvant constituer une forme de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. De nombreux faits mènent à la conclusion que la torture et les mauvais traitements dont sont victimes les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués sont des problèmes endémiques, comme l’avait souligné la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme (A/HRC/19/41).

124.Pendant sa visite, la délégation du Sous-Comité a reçu des allégations de lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués faisant état d’insultes, de passages à tabac et d’autres traitements dégradants infligés au moment de leur arrestation. Lorsqu’elle s’est rendue dans les centres de Valparaíso, d’Antofagasta et de Santiago, elle a remarqué que les gays et les transgenres étaient logés dans une section à part et que l’administration ainsi que d’autres personnes privées de liberté adoptaient des pratiques et des attitudes discriminatoires et affichaient des préjugés homophobes ou transphobes. Contrairement aux personnes détenues dans les autres sections visitées dans les mêmes établissements, les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués n’avaient pas accès à des activités récréatives, à des ateliers, au travail et à l’éducation, officiellement en raison de leur mauvais comportement. Ces restrictions étaient un frein aux récompenses pour bonne conduite et à la libération conditionnelle.

125.À Antofagasta, par exemple, dans le quartier réservé aux lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués, le manque de chauffage et les inondations mettaient en danger la santé des détenus, notamment des personnes atteintes du VIH/sida, dont les défenses immunitaires étaient affaiblies.

126. Le Sous-Comité rappelle que l ’ isolement, la mise au secret et la ségrégation administrative ne sont pas des moyens appropriés d ’ assurer la sécurité des personnes, et que ces mesures ne peuvent être justifiées que si elles s ’ appliquent en dernier recours, à titre exceptionnel, pour une durée aussi brève que possible et dans le respect des garanties juridiques fondamentales (voir CAT/C/57/4, par. 64 et 78).

127.Sur la base de divers entretiens, le Sous-Comité a conclu que les autorités exerçaient une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, et le fait que, dans certains endroits, les fouilles étaient réalisées en présence d’hommes démontrait clairement la méconnaissance des besoins des personnes considérées. Par ailleurs, ces personnes ne pouvaient faire entrer ni vêtements pour femmes ni maquillage.

128.Le Sous-Comité est profondément préoccupé par les soins médicaux dispensés aux personnes atteintes du VIH/sida dans l’aile réservée aux gays et transgenres de la prison de Valparaíso, comme il l’a signalé dans un précédent paragraphe.

129.Le Sous-Comité est particulièrement alarmé par les menaces de représailles proférées par le personnel de la prison sous contrat d’Antofagasta contre la population gay et transgenre de la section 88.

130. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de prévenir les mauvais traitements et la marginalisation des lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués privés de liberté, en veillant en particulier à ce qu ’ ils aient accès sans discrimination à l ’ éducation, à des ateliers, à l ’ emploi et à des activités récréatives. Il recommande également l ’ organisation de formations à l ’ intention du personnel pénitentiaire et des agents des forces de l ’ ordre, non seulement pour leur donner des indications sur la manière de communiquer efficacement et professionnellement avec les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués détenus, mais également pour les sensibiliser aux normes et principes internationaux relatifs aux droits de l ’ homme qui concernent l ’ égalité et la non-discrimination, y compris l ’ orientation sexuelle et l ’ identité de genre. Le Sous-Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ adopter la loi qui reconnaît et protège le droit à l ’ identité de genre, conformément aux normes internationales.

VIII.Répercussions de la visite

131. Conformément à l ’ article 15 du Protocole facultatif et au document de travail du Sous-Comité concernant les représailles , le Sous-Comité demande aux autorités compétentes chiliennes de veiller à ce qu ’ aucunes représailles ne soient exercées après sa visite. Il demande à l ’ État partie de lui donner, dans sa réponse, des informations détaillées sur les mesures prises pour empêcher que les personnes qu ’ il a rencontrées, avec lesquelles il s ’ est entretenu ou qui lui ont donné des renseignements durant sa visite soient victimes de représailles.

IX.Conclusion

132. Le Sous-Comité espère que sa visite et le présent rapport marqueront le début d ’ un dialogue constructif avec le Chili en vue d ’ aider l ’ État partie à s ’ acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif, afin d ’ atteindre l ’ objectif commun de prévention de la torture et des mauvais traitements.

133. Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de rendre public le présent rapport, considérant que cela est en soi une mesure de prévention. Il lui recommande en outre de faire distribuer ce rapport à tous les départements et établissements publics concernés.

Annexe I

[Espagnol seulement]

Lista de las personas con quienes se reunió el Subcomité

I.Autoridades

Sra. Michelle Bachelet, Presidenta de la República

Sra. Javiera Blanco, Ministra de Justicia y Derechos Humanos

Sr. Tucapel Jiménez, Presidente de la Comisión de Derechos Humanos, Cámara deDiputados

Sr. Giorgio Jackson, Diputado, Cámara de Diputados

Sr. Hugo Dolmetsch Urra, Presidente de la Corte Suprema

Sr. Andrés Mahnke, Defensor Nacional, Defensoría Penal Pública

Sr. Jorge Abbott Charme, Fiscal Nacional

Sr. Bruno Villalobos, Director de Carabineros de Chile

Sr. Tulio Arce Araya, Director Nacional, Gendarmería de Chile

Sr. Alejandro Salinas Rivera, Oficial de Enlace, Ministerio Relaciones Exteriores

Sra. Marcela Labraña Santana, Servicio Nacional de Menores

Representantes del Ministerio de Relaciones Exteriores

Representantes del Ministerio del Interior y Seguridad Pública

Representantes del Ministerio de Salud

II.Naciones Unidas

Coordinador Residente de las Naciones Unidas en Chile

Oficina del Alto Comisionado para los Derechos Humanos, Oficina Regional paraAmérica del Sur

III.Organizaciones de la sociedad civil

Agrupación de expresos políticos Salvador Allende

Amnistía Internacional

Casa Memoria José Diego Cañas

Centro de Estudios en Seguridad Ciudadana

Centro de Salud Mental y Derechos Humanos

Centro Derechos Humanos de la Universidad de Chile

Comisión Ética Contra la Tortura

Comunidad Ecuménica Martin Luther King

Corporación Opinión

Corporación Humanas

Expresa política Mapuche

Fundación Pro Bono

Frente de la Diversidad Sexual

Libertades Públicas

Litigación Estructural para América del Sur

Observatorio Ciudadano

Red de Apoyo a los Presos Políticos Mapuche

Red de Psicólogos de la diversidad sexual

Representantes de distintas comunidades indígenas

Annexe II

Lugares de privación de libertad visitados

Establecimientos pertenecientes a la Gendarmería

Unidad Especial de Alta Seguridad, Santiago

Cárcel San Miguel (Centro de Detención Preventivo)

Centro de Detención Preventivo Santiago Sur

Centro de Cumplimiento Penitenciario (hombres) de Temuco

Complejo Penitenciario de Valparaíso (hombres)

Complejo Penitenciario de Quillota, Valparaíso

Cárcel de hombres de Antofagasta

CPF de mujeres de Antofagasta

Complejo Penitenciario concesionado (privado) de Llancahue, Valdivia

Establecimientos pertenecientes a Comisarías

Tercera Comisaría de Carabineros, Antofagasta

Comisaría de La Legua, 50 Comisaría de San Joaquín, Santiago

Subcomisaría de Cristi Gallo, Valdivia

Primera Comisaría, Valdivia

Tenencia Rubén Mogollones, Valdivia

Tenencia Los Jazmines, Valdivia

Segunda Comisaría, Temuco

Establecimientos pertenecientes a la Policía de Investigaciones

Brigada de Policía de Investigación, Valdivia

Brigadas de Policía de Investigación, Antofagasta (brigadas antinarcóticos, homicidios, delitos sexuales, delitos contra el medioambiente, investigación criminal, delitos económicos)

Establecimiento del Poder Judicial

Juzgado de Garantía, Santiago

Juzgado de Garantía, Tribunal Oral en lo Penal y Garantía, Valdivia

Instituciones psiquiátricas

Hospital Psiquiátrico de Santiago, Unidad de Psiquiatría Forense

Centro de niños, niñas y adolescentes

Centro de Internación Provisoria para adolescentes en la Comuna de San Joaquín (Santiago)