Nations Unies

CAT/OP/CHE/ROSP/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

22 mars 2021

Original : français

Anglais, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Visite effectuée en Suisse du 27 janvier au 7 février 2019 : recommandations et observations adressées à l’État partie

Rapport établi par le Sous-Comité * , **

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Coopération4

III.Le mécanisme national de prévention4

A.Structure et indépendance4

B.Budget5

C.Ressources financières6

D.Membres6

E.Secrétariat7

IV.Cadre juridique et institutionnel7

Compétence fédérale en matière de procédure pénale et de garanties juridiques7

V.Visites de lieux de privation de liberté9

A.Aperçu de la situation carcérale9

B.Établissements de police9

C.Établissements pénitentiaires12

VI.Mesures thérapeutiques institutionnelles et internement20

A.Cadre juridique20

B.Visites de terrain21

VII.Autres questions25

A.Actes délégués à des sociétés privées25

B.Frais de santé des personnes détenues25

VIII.Étapes suivantes 26

Annexes

I.Liste des membres du Gouvernement, ainsi que des autres interlocuteurs rencontrés par le Sous-Comité27

II.Lieux de privation de liberté visités par le Sous-Comité29

I.Introduction

1.Conformément au mandat que lui confère le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a effectué une visite en Suisse du 27 janvier au 7 février 2019.

2.La Suisse a ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants le 2 décembre 1986, et le Protocole facultatif le 24 septembre 2009. La même année, la Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) était établie au titre de mécanisme national de prévention.

3.La délégation du Sous-Comité était composée des membres suivants : Catherine Paulet (Chef de délégation), Satyabhooshun Gupt Domah, Gnambi Garba Kodjo, Petros Michaelides, Abdallah Ounnir et Haimoud Ramdan. Elle était assistée de trois spécialistes des droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et d’interprètes.

4.Les objectifs principaux de la visite étaient les suivants :

a)Se rendre dans divers lieux de privation de liberté afin d’aider l’État partie à s’acquitter pleinement des obligations qui lui incombent au titre du Protocole facultatif, notamment celle de renforcer la protection des personnes privées de liberté contre le risque de torture et de mauvais traitements ;

b)Fournir des conseils et une assistance technique au mécanisme national de prévention et examiner dans quelle mesure les autorités nationales et cantonales appuient ses travaux et donnent suite à ses recommandations, compte tenu des directives du Sous-Comité concernant les mécanismes nationaux de prévention (CAT/OP/12/5).

5.La délégation s’est entretenue avec les personnes dont le nom figure à l’annexe I et a visité les lieux de privation de liberté dont la liste figure à l’annexe II. Elle s’est notamment entretenue avec des personnes privées de liberté, des membres des forces de l’ordre, des agents pénitentiaires et des membres du personnel médical. Elle a tenu des réunions avec des membres du mécanisme national de prévention et a visité en leur compagnie un lieu de privation de liberté choisi par celui-ci, la délégation ayant qualité d’observatrice à cette occasion.

6.À la fin de la visite, la délégation a présenté oralement ses observations préliminaires confidentielles aux autorités, en présence d’un représentant du mécanisme national de prévention.

7.Le Sous-Comité se réfère à l’accord qu’il a conclu avec le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) en juin 2018, qui vise à renforcer la complémentarité de ces deux mécanismes, ainsi qu’aux visites menées en Suisse par le CPT.

8.Le Sous-Comité recommande que le présent rapport soit distribué à tous les organes, services et établissements concernés, notamment à ceux qu’il mentionne expressément.

9.Conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif, le présent rapport restera confidentiel jusqu’à ce que la Suisse décide de le rendre public, ce que le Sous-Comité recommande, étant convaincu que la publication des rapports contribue à la prévention de la torture et des mauvais traitements dans les États parties.

10.Le Sous-Comité attire l’attention de la Suisse sur le fait que des demandes de financement peuvent être faites auprès du Fonds spécial créé par le Protocole facultatif (art. 26), conformément aux critères publiés par celui-ci, lorsque les rapports de visite sont publiés.

II.Coopération

11.Le Sous-Comité tient à remercier les autorités et les agents de liaison pour l’aide et l’assistance qu’ils lui ont apportées pendant la planification et la réalisation de la visite de la délégation.

12.Tout au long de sa visite, la délégation a bénéficié d’une excellente coopération de la part des autorités fédérales et cantonales ainsi que des membres du personnel des établissements dans lesquels elle s’est rendue. Elle a pu avoir accès sans délai à tous les établissements qu’elle souhaitait visiter et s’entretenir sans témoin avec les personnes privées de liberté.

13.Durant sa mission, la délégation a regretté l’absence de statistiques nationales donnant une vue d’ensemble de certaines problématiques, notamment le traitement et le suivi des plaintes, l’exécution de mesures thérapeutiques relevant de l’article 59 du Code pénal et d’internements relevant de l’article 64 du Code pénal, ainsi que la reconduite de telles mesures et leur évolution globale. Le Sous-Comité est d’avis que l’établissement systématique de statistiques officielles au niveau national donnerait aux autorités la possibilité d’analyser l’impact des réformes législatives et des politiques conduites ; plus spécifiquement, elles permettraient d’améliorer le suivi des plaintes et, le cas échéant, de remédier à un problème constaté.

14. Le Sous-Comité recommande que des statistiques officielles soient systématiquement recueillies par canton, puis centralisées et publiées par l’Office fédéral de la statistique. Ces statistiques devraient être analysées et mises à la disposition de toutes les parties prenantes.

III.Le mécanisme national de prévention

15.Entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la loi fédérale no 150.1 du 20 mars 2009 sur la Commission de prévention de la torture a créé la CNPT, lui a attribué la fonction de mécanisme national de prévention de la torture pour la Suisse et l’a dotée d’une compétence sur l’ensemble du territoire de l’État partie.

16.Eu égard aux articles 17 et 18 du Protocole facultatif, les États parties garantissent l’indépendance des mécanismes nationaux de prévention dans l’exercice de leurs fonctions ainsi que l’indépendance de leur personnel, veillent à ce que les experts possèdent des compétences et connaissances professionnelles adéquates, et s’engagent à dégager les ressources nécessaires au fonctionnement des mécanismes.

A.Structure et indépendance

17.Le Conseil fédéral nomme les membres de la CNPT sur proposition du Département fédéral de justice et police et du Département fédéral des affaires étrangères. Les organisations non gouvernementales peuvent proposer des candidats à ces départements, conformément à la loi fédérale no 150.1. La CNPT a été créée en tant que structure rattachée administrativement au Département fédéral de justice et police.

18.L’État partie est libre de déterminer la structure de son mécanisme national de prévention, mais il doit veiller à ce que celui-ci soit pleinement conforme aux dispositions du Protocole facultatif, en tenant compte également des directives concernant les mécanismes nationaux de prévention émises par le Sous-Comité (CAT/OP/12/5). Outre son indépendance institutionnelle, l’indépendance fonctionnelle et opérationnelle du mécanisme doit aussi être garantie, conformément aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

19.Le statut administratif de la CNPT a été évalué dans l’avis juridique conduit par Walter Kälin et Manfred Nowak, lesquels considèrent que le mécanisme n’est pas une unité administrative juridiquement indépendante et qu’il n’a pas de personnalité juridique. De plus, selon eux, l’attribution de la responsabilité administrative du mécanisme au Secrétariat général du Département fédéral de justice et police ne correspond pas aux critères d’indépendance du mécanisme fixés par le paragraphe 1 de l’article 18 du Protocole facultatif.

20.Cet avis juridique est fondé sur une interprétation juridique de l’indépendance fonctionnelle des mécanismes au sens du paragraphe 1 de l’article 18 du Protocole facultatif, à la lumière du droit international, de la pratique du Sous-Comité et des principes de Paris visés au paragraphe 4 de l’article 18 du Protocole facultatif.

21.Le Sous-Comité constate, en accord avec les conclusions de l’étude de Kälin et Nowak, que le mécanisme ne jouit pas d’une identité institutionnelle distincte de celle du Département fédéral de justice et police, et ne peut donc être considéré comme un mécanisme indépendant au sens du paragraphe 1 de l’article 18 du Protocole facultatif.

22.Le Sous-Comité constate également que l’absence de clarté quant à la structure du mécanisme et à la place qu’il occupe au sein du Département fédéral de justice et police contribue à donner une image de manque d’indépendance formelle et structurelle, ce qui est préjudiciable non seulement au bon fonctionnement d’un mécanisme de prévention de la torture mais également à sa perception par les autres acteurs et, surtout, par les personnes privées de liberté.

23.L’expérience acquise par le Sous-Comité en la matière montre qu’un mécanisme national de prévention exerce bien plus efficacement son mandat s’il est indépendant et reconnu en tant que tel.

24. Le Sous-Comité recommande à l’ É tat partie de mettre fin au rattachement de la CNPT au Département fédéral de justice et police , pour que celle-ci puisse fonctionner de manière totalement indépendante, aussi bien institutionnellement qu’opérationnellement, et ainsi exercer toutes ses activités et fonctions de manière différenciée de celles du Département fédéral de justice et police, grâce à une structure propre.

B.Budget

25.L’enveloppe budgétaire du Secrétariat général du Département fédéral de justice et police contient les dépenses de la Commission arbitrale fédérale pour la gestion de droits d’auteur et de droits voisins et de la CNPT, toutes deux rattachées administrativement audit Secrétariat. La CNPT ne bénéficie donc pas d’un budget autonome lui garantissant l’indépendance prévue par le Protocole facultatif.

26.L’indépendance structurelle et fonctionnelle de la CNPT ainsi que celle de son personnel ne peuvent être obtenues sans autonomie budgétaire et la garantie que l’État partie alloue les ressources nécessaires à son fonctionnement, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 18 du Protocole facultatif.

27. Le Sous-Comité recommande ainsi à l’ État p artie de doter la CNPT d’un budget distinct de celui alloué au Département fédéral de justice et police , afin qu’elle jouisse d’une autonomie financière et , par conséquent, d’une indépendance opérationnelle.

C.Ressources financières

28.Il est prévu dans le message du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale no 150.1, qui a établi la CNPT, que celle-ci fasse 20 à 30 visites par an dans des établissements de privation de liberté.

29.Selon la liste fournie par le Gouvernement suisse au Sous-Comité avant la visite, il existe plus de 400 lieux de privation de liberté répartis sur l’ensemble du territoire (hôtels de police, établissements pénitentiaires, hôpitaux psychiatriques, centres de requérants d’asile, centres sociaux fermés, etc.). La CNPT considère que le nombre total de lieux de privation de liberté répondant aux critères de l’article 4 du Protocole facultatif pourrait être proche de 700.

30.La CNPT ne pouvant s’acquitter que d’une quinzaine de visites par an en moyenne, il est évident que les centaines de lieux de privation de liberté existant au sein de l’État partie ne pourront être visités avec la régularité nécessaire et requise par l’article premier du Protocole facultatif. La mission du mécanisme national de prévention résultant du mandat énoncé par le Protocole facultatif d’examiner préventivement et régulièrement la situation des personnes privées de liberté se trouvant dans les lieux visés à l’article 4 du Protocole facultatif est, ainsi, de facto entravée ; cela, indépendamment même du fait que la situation dans les lieux de privation de liberté de l’État partie ne présente pas de problèmes particulièrement graves, comme l’a constaté la délégation lors de sa visite. 

31.Le Sous-Comité est préoccupé par le manque de ressources financières de la CNPT qui constitue un obstacle majeur à son fonctionnement efficace et rationnel, comme le démontre le faible nombre de visites effectuées par rapport au nombre de lieux de privation de liberté existants. Le Sous-Comité regrette que les autorités suisses n’allouent pas les fonds nécessaires à la CNPT pour lui permettre de s’acquitter pleinement de son mandat, y compris ceux relatifs aux services d’interprétation destinés à permettre la communication avec les personnes interrogées, quand cela est nécessaire, et aux expertises médicales, notamment lors de visites d’installations médicales ou hospitalières, entre autres.

32. Le Sous-Comité recommande à l’ État partie de doter la CNPT d’un budget adéquat, afin de garantir son indépendance opérationnelle et le bon exercice de son mandat, conformément aux articles 17 à 20 du Protocole facultatif . Dans cette optique, il encourage l’ État partie à reconsidérer le budget alloué au mécanisme national de prévention , en prenant dûment en compte les besoins exprimés par le mécanisme lui-même, pour lui permettre  : a) de réaliser de manière adéquate son programme annuel de visites sur l’ensemble du territoire national ; b) de recourir au besoin aux services d’experts externes et d’interprètes dans diverses langues ; c) de conduire ses activités de suivi ; d) de travailler en partenariat avec les acteurs concernés par la prévention de la torture  ; et e) de couvrir tous les besoins logistiques indispensables à son bon fonctionnement.

D.Membres

33.Le Sous-Comité est préoccupé par le fait que les 12 membres de la CNPT accomplissent leurs tâches à temps partiel et sans rémunération, selon la tradition dite de « milice », même si cette tradition est une partie intégrante de la coutume participative du pays s’exerçant dans différents domaines, y compris politique et social.

34.Le Sous-comité a pu constater que, malgré l’effort louable des membres de la CNPT et leur fort engagement dans la prévention de la torture, leur disponibilité est de facto réduite, entravant un exercice optimal de leur mandat, notamment pour ce qui est du nombre, de la durée et de la régularité des visites ainsi que de la réactivité nécessaire pour réaliser des visites inopinées et urgentes. Le Sous-Comité est d’avis que le fait que des membres exercent leur mandat à temps partiel et en parallèle à une autre profession les rend moins disponibles pour accomplir les tâches liées au mécanisme national de prévention, notamment les visites, ce qui peut poser des problèmes de compatibilité avec le mandat conféré par le Protocole facultatif.

35. Le Sous-Comité recommande à l’ État partie de revoir le mode d’exercice des membres de la CNPT afin de leur permettre de se consacrer pleinement aux activités du mécanisme national de prévention , notamment en prévoyant la possibilité d’un exercice à temps plein pour certains d’entre eux et l’allocation de s ressources financières nécessaires à leur rémunération.

E.Secrétariat

36.Les ressources humaines du Secrétariat permanent de la CNPT correspondent seulement à l’équivalent de 3,7 postes à temps plein, dont une seule personne (la Secrétaire) est effectivement à temps plein. Le Sous-Comité est d’avis que cet état de fait limite de facto le temps consacré à la préparation et au suivi des visites, à l’établissement des rapports de visite et des rapports thématiques, aux actions de formation et de prévention, au dialogue et à la sensibilisation des parties prenantes, etc.

37.Par ailleurs, le personnel du secrétariat de la CNPT est intégré au Département fédéral de justice et police, nommé par la Commission de la fonction publique. Le Sous-Comité est d’avis que, pour que son indépendance fonctionnelle soit garantie, le mécanisme national de prévention doit avoir la pleine maîtrise de la gestion de ses effectifs.

38.La CNPT devrait être dotée d’un secrétariat permanent composé d’un personnel dévoué exclusivement aux tâches de celle-ci, sans consacrer une partie de son temps à d’autres tâches du Département fédéral de justice et police.Outre le manque de disponibilité, un tel partage de temps peut générer des conflits d’intérêts et porter atteinte à l’indépendance institutionnelle et opérationnelle du mécanisme national de prévention. En outre, il rend plus difficile l’adoption d’une stratégie opérationnelle annuelle pour la CNPT, qui ne peut ainsi prévoir ses activités en tenant compte de la disponibilité permanente de ses cadres.

39. Le Sous-Comité recommande à l’ État p artie de garantir l’indépendance de son mécanisme national de prévention , en accord avec le paragraphe 1 de l’article 18 du Protocole facultatif, et son opérationnalité, en augmentant de manière significative les effectifs du secrétariat de la CNPT, et en s’assurant que tous les membres de son personnel lui sont exclusivement dévoués et exercent sous son contrôle direct.

40. Plus généralement, le Sous-Comité est d’avis qu’un secrétariat permanent étoffé et entièrement dévoué au mandat du mécanisme national de prévention ainsi que des membres exerçant à temps plein seraient plus à même de définir et de conduire une stratégie opérationnelle efficace.

IV.Cadre juridique et institutionnel

41.L’article 123 de la Constitution fédérale reconnaît la compétence de la Confédération en matière de droit pénal et de procédure pénale, et celle des cantons en matière d’organisation judiciaire, d’administration de la justice et d’exécution des peines et des mesures.

Compétence fédérale en matière de procédure pénale et de garanties juridiques

Définition et incrimination de la torture

42.L’article 4 de la Convention contre la torture prescrit que tout État partie veille à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de son droit pénal. L’article10 de la Constitution fédérale interdit la torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants. Cependant, au regard de l’article 264 a du Code pénal ainsi que de l’article 109 du Code pénal militaire, les seuls actes de torture réprimés sont ceux commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre la population civile, c’est-à-dire des actes de torture commis dans le cadre d’un crime contre l’humanité. Ils’ensuit que des actes de torture commis durant l’arrestation, la garde à vue ou l’exécution d’une peine, ou dans tout autre cadre de privation de liberté (hospitalisation psychiatrique, rétention administrative, foyer social, etc.), ne seraient pas incriminés, par manque d’éléments matériellement constitutifs de l’infraction de torture au regard du droit commun. En conséquence, l’article 4 de la Convention n’a pas été transposé dans l’ordre juridique interne de l’État partie.

43. Tout en rappelant les recommandations du Comité contre la torture et du Comité des droits de l’homme , et afin de mettre en œuvre l’article 4 de la Convention contre la torture , le Sous-Comité recommande à l’ État partie d’introduire au sein de son Code pénal une incrimination spécifique du crime de torture, définie conformément à l’article premier de la Convention.

Garanties fondamentales

44.Il a été précisé à la délégation que l’accès aux garanties juridiques commençait lorsque le processus d’audition était amorcé. Dès lors, durant le délai de trois heures qui précède l’audition, la personne interpellée n’a aucune information formelle sur ses droits ni aucun accès à ses proches, à un conseil juridique ou à un médecin. Il en va de même pour l’accès à l’avocat dit « de la première heure », consacré par le Code de procédure pénale, mais dont l’accès effectif ne débute généralement qu’au moment de l’arrestation provisoire, et non de l’appréhension.

45. Le Sous-Comité invite l’État partie à s’assurer que toute personne privée de liberté dispose dès le début de la privation de liberté , c’est-à-dire dès le moment où elle est privée de sa liberté d’aller et de venir par la police, de toutes les garanties juridiques fondamentales, à savoir le droit d’ avoir accès à un avocat, de prévenir ses proches et de bénéficier d’un examen médical indépendant , y compris par un médecin de son choix .

Mécanismes de plainte (internes et externes)

46.Le Sous-Comité s’inquiète de l’absence d’information relative à des mécanismes de dépôt de plainte en cas de mauvais traitements ou autre manquement ou omission. Il rappelle qu’un mécanisme de plainte efficace, indépendant et disponible est une garantie importante contre les mauvais traitements des personnes privées de liberté, lesquelles doivent être en mesure de signaler tout abus commis par un agent de la fonction publique ou tout autre agent agissant à titre officiel, et de porter plainte contre une telle personne.

47. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de garantir l’existence de mécanismes de dépôt de plainte visant des actes ou des omissions des autorités chargées de leur traitement. De tels mécanismes devraient être disponibles au sein de tous les lieux de privation de liberté, et les informations les concernant, transparentes et largement diffusées en plusieurs langues.

48. L’ État partie devrait également veiller à ce que toutes les allégations ou plaintes relatives à des actes de torture et à de mauvais traitements soient communiquées sans délai et de manière impartiale aux autorités compétentes, qu’elles fassent l’objet d’une enquête et, si nécessaire, que des sanctions dissuasives soient appliquées.

V.Visites de lieux de privation de liberté

A.Aperçu de la situation carcérale

49.Selon les données de l’Office fédéral de la statistique, au 14 mars 2019, on comptait 7 394 places de détention pour un taux d’occupation de 93,9 %. Au sein du Concordat sur l’exécution des peines privatives de liberté et des mesures concernant les adultes et les jeunes adultes dans les cantons latins, en 2019, pour 2 582 places de détention, on comptait 2 788 détenus, soit un taux d’occupation de 108 %. On comptait au total 6 943 détenus, parmi lesquels 3 549 en exécution de peine, 295 en mesures de contrainte au sens de la loi fédérale no 142.20 sur les étrangers et l’intégration, et 1 867 en détention préventive (27 %). Les Cantons de Genève, de Zurich, de Vaud et de Berne totalisaient à eux seuls plus de la moitié de l’ensemble des détentions avant jugement.

50. Le Sous-Comité rappelle que la privation de liberté avant jugement ne devrait être utilisée qu’en dernier ressort , et être limitée à des circonstances exceptionnelles et pour des périodes limitées, eu égard au x principe s de nécessité et de proportionnalité.

B.Établissements de police

1.Allégations de mauvais traitements

51.Le Sous-Comité n’a pas reçu d’allégations de mauvais traitement dans les locaux de police durant la garde à vue. Toutefois, certaines personnes rencontrées se sont plaintes d’un usage excessif de la force au moment de l’arrestation et de conditions de transport rudes (menottage trop serré, notamment).

52.Dans certains postes de police, des tâches de surveillance étaient déléguées à des agences de sécurité privées. Quelques personnes détenues ont allégué avoir été verbalement rudoyées par ces agents.

53. Le Sous-Comité recommande qu’il soit fermement rappelé aux agents de police, et a fortiori aux agents privés exerçant des tâches de surveillance contractuellement déléguées par les autorités, de respecter en tout temps les droits et la dignité des personnes privées de liberté sous leur garde (voir également la section VII ).

2.Garanties fondamentales

54.Bien que la procédure pénale soit depuis 2011 de compétence fédérale, le Sous-Comité a relevé des disparités dans son application cantonale, voire d’un commissariat à l’autre, notamment en ce qui concerne l’information sur les droits et les contacts avec les proches.

55.Certaines personnes se sont plaintes de n’avoir pu contacter leur famille ou parler à un avocat lors de leur garde à vue.

56.L’hôtel de police de Zurich disposait de 135 places, principalement pour des personnesen garde à vue mais également en détention de sûreté, de passage en attente d’une audience, en exécution de jours-amende, en exécution de peine en attente de transfert ou, pour les personnes étrangères, en attente de renvoi.

57.Des détenus étrangers se sont plaints du manque d’information sur leur situation et leurs droits dans une langue qu’ils comprennent.

58. Le Sous ‑Comité recommande que toutes les personnes détenues soient dûment informées de leurs droits dans une langue qu’elles comprennent, bénéficient de services d’interprétation le cas échéant et se voient assigner un avocat avec lequel elles puissent s’entretenir.

59.À l’hôtel de police du boulevard Carl-Vogt, à Genève, l’information sur les droits ainsi que l’accès aux garanties juridiques commençaient dès l’amorce du processus d’audition. Dès lors, durant le délai de trois heures qui précédait l’audition, la personne interpellée n’avait aucune information formelle sur ses droits ni aucun accès à ses proches, à un conseil juridique ou à un médecin.

60. Le Sous-Comité réitère sa recommandation d’accorder à toute personne privée de libe rté les garanties fondamentales , dès le moment de la privation de liberté. L’État partie devrait, en outre, veiller à ce que l es informations sur les droits des personnes privées de liberté soient affichées dans les postes de police , à des endroits où elles peuvent être lues aisément et dans les langues appropriées.

61.Au poste de police cantonale de la gare de Berne, la tenue des registres informatisés était irréprochable, et la délégation a pu constater que les personnes en garde à vue ne passaient pas plus de trois heures au poste. Au poste de la police régionale de Berne, la même procédure était appliquée ; au-delà de vingt-quatre heures, les individus placés en garde à vue étaient libérés ou transférés à la prison régionale de Berne, sur décision du Procureur. Une documentation informant les détenus de leurs droits était disponible en plusieurs langues.

62.À l’hôtel de police municipale de Lausanne et au poste de la police cantonale vaudoise de la Blécherette se trouvaient différentes catégories de détenus : des personnes en garde à vue, mais également des prévenus et des détenus en exécution de peine dans l’attente d’une place dans un établissement pénitentiaire. En effet, par défaut de places libres en établissement pénitentiaire, les prévenus et les condamnés étaient maintenus, sur décision du Procureur, dans les locaux des postes de police.

63.La délégation a été consternée d’apprendre que des détenus étaient restés plus d’un mois dansdes cellules de garde à vue. La majorité des personnes rencontrées ne savaient pas combien de temps durerait leur séjour. La délégation a trouvé inconcevable que des détenus condamnés exécutent leur peine dans des commissariats de police, malgré les efforts engagés par le personnel pour y appliquer artificiellement un régime intérieur de nature pénitentiaire.

64.Les compensations consenties – réductions de peines et, parfois, indemnisations financières – ne sauraient justifier une telle situation, qui se prolonge malgré plusieurs condamnations par le Tribunal fédéral, les recommandations de la CNPT et celles de la Commission des visiteurs du Grand Conseil du canton de Vaud.

65. Le Sous-Comité recommande à l’ État partie de transférer sans délai les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine dans les établissements appropriés à une détention de plus longue durée, les commissariats devant impérativement retrouver leur vocation de locaux de garde à vue n’excédant pas les quarante-huit heures , comme prévu par le Code de procédure pénale .

3.Conditions matérielles

66.La délégation a constaté des disparités importantes dans les conditions matérielles des postes et des cellules de police visités.

67.Lors de la visite au poste de la police régionale de Berne, la délégation a pu constater que les conditions matérielles étaient très bonnes.

68.Ces conditions matérielles tranchaient radicalement avec celles observées à l’hôtel de police municipale de Lausanne et au poste de la police cantonale vaudoise de la Blécherette.

69.À l’hôtel de police municipale de Lausanne, les 25 cellules en sous-sol, d’environ 7mètres carrés, étaient caractérisées par un manque d’aération, de lumière naturelle et de point d’eau. En outre, une caméra placée à l’intérieur de la cellule révélait l’ensemble de cette dernière, y compris le coin toilettes, bien que l’image soit floutée à cet endroit précis.

70.Au poste de police de la Blécherette, les conditions étaient comparables : des cellules exiguës en sous-sol, mal éclairées, sans lumière du jour, mal ventilées, dépourvues de douche, avec un accès d’une heure par jour à une cour de promenade, laquelle consistait en un abri aménagé derrière un parking. Plusieurs détenus se sont en outre plaints de l’insuffisance de nourriture.

71. Comme indiqué précédemment, le Sous-Comité recommande à l’ État partie de transférer sans délai les personnes actuellement placées en détention provisoire et purgeant une peine dans les commissariats de police de Lausanne vers des établissements pénitentiaires appropriés .

72.À l’hôtel de police de Zurich, les cellules visitées étaient sombres, froides et mal ventilées, et le seul point d’eau disponible était un lavabo où coulait de l’eau froide.

73. Le Sous-Comité recommande que des mesures appropriées soient prises pour améliorer les conditions matérielles de l’hôtel de police de Z u rich, notamment la mise en place de systèmes d’éclairage naturel, de chauffage, d’accès à l’eau chaude et de ventilation adéquate.

4.Examen médical

74.Concernant les personnes en garde à vue, la délégation a pu observer qu’un médecin était appelé lorsque la personne privée de liberté en faisait la demande ou lorsque des soins apparaissaient nécessaires. Cependant, il n’était pas prévu d’examen médical systématique.

75. Le Sous-Comité recommande que toute personne appréhendée ou arrêtée provisoirement ait un droit effectif, dès le début de la privation de liberté, d’être examinée par un médecin indépendant et, le cas échéant , de son choix . Les résultats de tout examen médical doivent être consignés et mis à la disposition de l a personne détenue et de son avocat , conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) .

76.Concernant l’hôtel de police municipale de Lausanne et le poste de la police cantonale vaudoise de la Blécherette, où les personnes détenues pouvaient séjourner plusieurs semaines, une convention était passée avec le Centre hospitalier universitaire vaudois pour assurer un suivi médical et la gestion des urgences. Il en était de même à l’hôtel de police de Zurich, qui avait passé convention avec l’hôpital universitaire et la clinique psychiatrique de Zurich.

77.Le Sous-Comité souhaite insister sur l’impact psychologique néfaste des conditions de détention prolongée à l’hôtel de police municipale de Lausanne et au poste de la police cantonale vaudoise de la Blécherette, et réitère à cet égard la recommandation formulée au paragraphe 71 du présent rapport.

78.La préparation des traitements était toujours effectuée par du personnel de santé, mais la distribution était occasionnellement confiée au personnel de police ou de sécurité, sur la base d’une délégation de tâches.

79. Le Sous-Comité est d’avis que les traitements médicamenteux devraient être, dans toute la mesure du possible, préparés et distribués par un personnel soignant qualifié.

80.À l’hôtel de police de Zurich, une personne détenue en provenance d’un établissement pénitentiaire voisin transitait par le poste de police en attente d’un transfert vers l’hôpital universitaire de Zurich pour y suivre un traitement. La cellule d’attente était sombre, non chauffée et dépourvue de lit.

81. L’ État partie devrait s’assurer qu’à l’ hôtel de police de Z u rich , la cellule d’attente réservée à l’accueil de détenus malades, a fortiori lors de passages réguliers, donc prévisibles, soit équipée d’un fauteuil et d’un lit, et présente un éclairage suffisant et une température ambiante adéquate.

C.Établissements pénitentiaires

1.Établissements destinés à l’exécution de peines

82.Les établissements visités par la délégation étaient la prison régionale de Berne, la prison de l’aéroport de Zurich, la prison de Pöschwies, à Zurich, et le pénitencier de Bochuz, partie intégrante des Établissements de la plaine de l’Orbe, dans le canton de Vaud.

a)Allégations de mauvais traitements

83.Le Sous-Comité note avec satisfaction n’avoir pas reçu d’allégation de mauvais traitement.

b)Conditions matérielles et personnel

84.Il n’y avait pas de surpopulation pénale et le ratio de personnel était satisfaisant. Les conditions matérielles (équipements, état d’entretien des cellules et bâtiments, nourriture, etc.) étaient, dans l’ensemble, bonnes.

c)Régime de vie

85.À Pöschwies, la délégation a apprécié le régime de portes ouvertes et l’organisation en unités de vie de petite taille, ainsi que le climat serein entre détenus de même qu’entre les détenus et le personnel. Le climat était moins serein à Bochuz, établissement concordataire de haute sécurité, dont la direction était assurée par intérim et où il était fait état de tensions et de violences entre les détenus.

86.Tant à Pöschwies qu’à Bochuz, les détenus n’étaient pas autorisés à porter leurs vêtements personnels, mais les vêtements fournis par l’administration pénitentiaire étaient de bonne qualité et adaptés aux conditions climatiques. L’offre de travail rémunéré était diversifiée et comprenait des formations qualifiantes. Même si la majorité des détenus se sont déclarés satisfaits de cette offre de travail, le Sous-Comité souhaiterait remettre en question le fait qu’un refus de travail fait l’objet de sanctions disciplinaires, en l’occurrence un enfermement en cellule. Seuls les détenus âgés ou faisant l’objet d’une contre-indication médicale étaient dispensés du travail obligatoire.

87. Rappelant l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus ( Règles Nelson Mandela ) , le Sous-Comité invite l’ État partie à reconsidérer sa position selon laquelle un refus de travail entra î ne des sanctions disciplinaires.

d)Contacts avec l’extérieur

88.À Pöschwies, certains détenus se sont plaints de l’accès trop limité au téléphone, un système de roulement de dix minutes étant en place lors de moments de forte demande. Toutefois, la direction pénitentiaire a informé la délégation que des téléphones additionnels allaient être installés.

89. Le Sous-Comité souhaiterait être informé des mesures prises pour améliorer l’accès au téléphone .

e)Quartiers de haute sécurité

90.Aux termes de l’article 78 du Code pénal, l’isolement peut être ordonné si nécessaire pour protéger le détenu ou des tiers. En raison du partage des compétences, les décisions de placement à l’isolement relèvent des cantons et ne sont pas harmonisées. Elles sont généralement prises par la direction de la prison, au titre du règlement intérieur (paragraphe 3 de l’article 47 du Règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées de Genève, par exemple). Un recours est possible devant la chambre administrative de la cour de justice.

91.Les indications sont principalement les troubles du comportement et la dangerosité pour soi ou autrui. Les détenus rencontrés par la délégation étaient seuls en cellule et en promenade ; ils pouvaient travailler en cellule. Dans certains cas, l’isolement était strict et les contacts se faisaient au travers d’une grille, y compris pour les soins médicaux.

92. Le Sous-Comité recommande à l’ État partie d’envisager d’harmoniser la procédure de placement à l’isolement, si possible par voie législative. Il lui recommande en outre de garantir que toute décision de mise à l’isolement est légale, nécessaire, proportionnelle et non discriminatoire. Elle devrait en outre être assortie de garanties juridiques , notamment des possibilités de rec ours et de réexamen périodique .

f)Discipline

93.Dans les deux établissements, les sanctions disciplinaires allaient de la suppression de la télévision et d’activités de loisirs à l’isolement en cellule disciplinaire (pouvant aller jusqu’à vingt jours, mais généralement limité à sept jours), en passant par la suppression des visites des proches.

94. Le Sous-Comité souhaite rappeler que la durée maximale d’isolement disciplinaire ne devrait pas excéder quatorze jours, et qu’il devrait être utilisé uniquement en dernier ressort dans des cas exceptionnels, pour une durée aussi brève que possible, sous contrôle indépendant et uniquement avec l’autorisa tion d’une autorité compétente . En outre, la sanction disciplinaire ne devrait pas comporter de restrictions concernant les contacts avec les proches , sauf en cas d’ infraction impliquant ces derniers .

95.Le Sous-Comité regrette l’absence de registres consignant de manière exhaustive les sanctions disciplinaires ainsi que les recours contre de telles sanctions. Il fallait passer en revue les dossiers individuels pour avoir accès à ces données.

96.De plus, l’isolement était utilisé pour différents motifs : disciplinaire ou isolement (sûreté ou protection).

97. Le Sous-Comité recommande l’instauration, dans chaque établissement pénitentiaire, d’un registre des sanctions disciplinaires, d’un registre des isolements pour motif de protection, et d’un registre des plaintes et des recours formés par les détenus qui indique le suivi accordé à ces plaintes.

98. Le Sous-Comité recommande en outre la mise en place d’un système d’analyse statistique à partir des registres informatisés existants, pour permettre un suivi et une analyse systémique des mesures prises.

g)Détenus sous mesures thérapeutiques (voir également la section VI)

99.À Pöschwies et à Bochuz, des personnes pour lesquelles un traitement institutionnel avait été ordonné au titre de l’article 59 du Code pénal étaient, faute de places disponibles dans un environnement thérapeutique approprié, maintenues en détention ordinaire ou en isolement en quartier de haute sécurité.

100. Le Sous-Comité est d’avis qu’une personne souffrant de troubles psychiatriques, et pour laquelle un traitement institutionnel a été ordonné, devrait être placée et prise en charge dans une structure médicale adaptée, dotée de personnel qualifié.

2.Établissements mixtes destinés à l’exécution de peines et à la détention préventive

101.Les établissements visités par la délégation étaient la prison régionale de Berne, en accompagnement de la CNPT, ainsi que la prison de l’aéroport de Zurich.

a)Allégations de mauvais traitements

102.La délégation a noté avec satisfaction n’avoir pas reçu d’allégation de mauvais traitement.

b)Conditions matérielles

103.Les conditions matérielles étaient bonnes dans les deux établissements. Toutefois, dans la zone de détention administrative de la prison régionale de Berne, une cellule à trois lits bien équipée manquait d’aération, les deux fenêtres ne s’ouvrant pas ; dans la zone disciplinaire et de sécurité, des cellules étaient dépourvues de point d’eau, et dotées d’une caméra de surveillance dont le champ couvrait l’espace toilettes.

104. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de s’assurer que :

a) Les conditions d’aération et de ventilation de l’ensemble des cellules soient adéquates ;

b) Les cellules disciplinaires soient toutes dotées d’un point d’eau, et que l’intimité des détenus soit préservée en excluant les toilettes du champ des caméras de surveillance.

c)Régime de vie

i)Détenus en application du droit pénal

105.La délégation du Sous-Comité a constaté des conditions variables d’un canton à l’autre, et d’un établissement à l’autre. Les restrictions appliquées aux prévenus étaient en général maximales, ces derniers n’ayant, par exemple, pas droit à des contacts téléphoniques avec leur famille, sauf autorisation préalable du Procureur, ou encore se voyant imposer une séparation vitrée aux parloirs, y compris avec leurs enfants.

106. Le Sous-Comité recommande qu’à moins qu’une autorité judiciaire n’ait prononcé , dans un cas individuel et en application des principe s de nécessité et de proportionnalité, une interdiction spécifique pour une période donnée, les prévenus puissent recevoir des visites et être autorisés à communiquer avec leur famille et d’autres personnes dans les mêmes conditions que les détenus condamnés. Le Sous-Comité est d’avis que le respect du droit d’avoir des contacts avec leurs proches est particulièrement important pour les prévenus , au regard du principe de la présomption d’innocence, ainsi que du droit à la liberté privée et à la vie de famille .

ii)Détenus en application du droit administratif (droit des étrangers)

107.Le Sous-Comité est très préoccupé par la détention dans des établissements pénitentiaires de ressortissants étrangers faisant l’objet de mesures de contrainte pour des durées relativement longues.

108.À la prison régionale de Berne, les détenus administratifs devaient en principe être exclusivement hébergés à un étage réservé, mais certains étaient placés aux étages destinés à la détention pénale.

109.Les détenus administratifs avaient un régime de portes ouvertes limité entre 7 h 30 et 11 heures, puis de 18 h 30 à 20 heures, et seulement une heure de promenade par jour. En zone de détention pénale, ils étaient soumis à un régime de portes fermées. Une occupation leur était proposée (emballage, aide en cuisine et diverses tâches internes).

110.À la prison de l’aéroport de Zurich, les détenus administratifs (principalement des étrangers en attente d’un renvoi) avaient un régime de portes ouvertes de 8 heures à 17 heures les lundis, mardis, jeudis et vendredis, mais seulement de 9 h 30 à 11 h 30 et de 13 h 30 à 15 h 30 les week-ends et jours fériés. Le mercredi, les portes restaient fermées. Seules 60 places de travail étaient disponibles, occupées à tour de rôle (blanchisserie). Une salle de sport était accessible deux fois par semaine, pendant une heure. Aucune visite n’était possible les week-ends et jours fériés.

111. Le Sous-Comité rappelle à l’État partie que :

a) L a détention en attente de renvoi ne peut être qu’une mesure de dernier ressort, et devrait être proportionnelle ;

b) L es personnes faisant l’objet de mesures de contrainte , en matière de droit des étrangers , ne devraient pas être hébergées en milieu carcéral mais dans des centres spécifiquement conçus à cet effet  ;

c) L es personnes placées en détention administrative ne devraient pas être soumises à des restrictions plus importantes que ne le justifie leur statut ;

d) L e paragraphe 2 de l ’article 81 de la l oi fédérale n o  142.20 précise que les personnes placées en détention administrative ne doivent pas, dans la mesure du possible, être regroupées avec des personnes en détention avant jugement ou des personnes emprisonnées pour des raisons pénales.

3.Soins de santé dans les établissements pénitentiaires

112.Les unités sanitaires disposaient de locaux bien entretenus et bien équipés. À Bochuz, seule l’unité psychiatrique de huit places a été visitée.

113.La prise en charge des soins de santé était assurée avec compétence et diligence. Les arrivants bénéficiaient d’une visite médicale. Les urgences et la continuité des soins en dehors des horaires d’ouverture étaient assurées par une astreinte téléphonique (à la prison régionale de Berne et à Pöschwies) ou par le service des urgences.

114.Les dossiers médicaux étaient bien tenus ; la confidentialité, respectée. Cependant, il n’était pas tenu de registre de constats lésionnels et d’allégations de violences.

115.La délégation a été préoccupée par le fait que les traitements médicamenteux étaient certes préparés par le personnel soignant, mais distribués généralement par le personnel pénitentiaire, ce qui n’est pas sa mission.

116.La délégation a constaté avec préoccupation que certains détenus, prévenus ou condamnés, souffrant de troubles mentaux et considérés comme dangereux pour autrui, pouvaient être maintenus en isolement prolongé en quartier de haute sécurité sans réelle perspective d’évolution.

117. Le Sous-Comité recommande à l’État partie de faire en sorte  :

a) Qu ’un registre des constats lésionnels et des allégations de violences soit tenu pour permettre une analyse systémique du phénomène  ;

b) Que la distribution des traitements médicamenteux soit assurée dans toute la mesure du possible par le personnel soignant  ;

c) Que des protocoles de prise en charge individualisée et de réhabilitation psychosociale soient établis pour tous les détenus souffrant de troubles mentaux, a fortiori s’ils sont placés en isolement .

4.Établissements de détention administrative (centres de rétention pour migrants)

118.La délégation a visité l’établissement concordataire de Frambois et l’établissement fermé de Favra, dans le canton de Genève.

119.L’établissement fermé de Favra est dévolu à la détention administrative en vertu du droit des étrangers, en vue de leur renvoi au titre des articles 76 et 76a de la loi fédérale no 142.20. Il possède une capacité de 20 places. En cas de rapatriement par voie aérienne de niveau 4, les personnes sont transférées dans l’établissement concordataire de Frambois.

120.L’établissement concordataire de Frambois est un établissement fermé accueillant des détenus administratifs, géré par la Fondation romande de détention LMC, et doté d’une capacité de 20 places.

121.Dans les deux établissements, 90% des détenus admis avaient été transférés sur la base d’un ordre de détention administrative en vue d’un renvoi vers leur pays d’origine (ycompris les retours dits « Dublin »), après avoir purgé une peine d’emprisonnement dans la prison de Champ-Dollon ou un établissement voisin.

a)Garanties

122.Le Sous-Comité rappelle que le Tribunal fédéral a considéré que la détention était illicite si aucune disposition n’avait été prise durant plus de deux mois en vue d’exécuter le renvoi. Dans tous les cas, la durée maximale de détention était de dix-huit mois en préparation ou exécution d’un renvoi ou d’une expulsion (art. 75 et 76 de la loi fédérale no 142.20).

123.Au titre de l’article 115 de la loi fédérale no 142.20, l’immigration illégale est passible de sanctions pénales, y compris des amendes et de l’emprisonnement. Les migrants, ainsi que les demandeurs d’asile déboutés arrêtés pour la première fois pour séjour illicite, sont tenus de quitter le territoire durant un laps de temps donné. S’ils ne quittent pas le territoire durant ce délai et sont appréhendés une nouvelle fois, ils se voient imposer une peine de prison assortie d’un ordre de quitter le territoire, et sont généralement retenus dans un centre de détention administrative en préparation du renvoi. Le Sous-Comité a toutefois été informé de situations dans lesquelles, la détention administrative ne pouvant excéder dix-huit mois, les détenus étaient relâchés après cette période, puis appréhendés lors de contrôles d’identité et se voyaient de nouveau infliger une peine pénale, les exposant à des cumuls de détention de nature administrative et pénale.

124. Le Sous-Comité souhaite obtenir des clarifications de la part de l’État partie concernant la prise en compte, dans l’imposition de peines d’emprisonnement, des périodes de détention précédentes de nature administrative ou pénale. Il souhaiterait également obtenir des clarifications de l’ État partie concernant les mesures éventuelles prises afin d’éviter le cumul des détentions.

125. Le Sous-Comité rappelle que la détention des migrants en situation irrégulière ne devrait être qu’une mesure de dernier recours .

b)Mauvais traitements

126.La délégation n’a reçu aucune allégation de mauvais traitement.

c)Conditions matérielles

127.Bien que l’établissement fermé de Favra soit plus vétuste que celui de Frambois, les conditions matérielles des deux établissements étaient satisfaisantes, avec des locaux en bon état de maintenance et de propreté.

d)Régime de vie

128.La délégation a noté avec satisfaction le régime ouvert, la possibilité de visites et d’appels téléphoniques, l’existence d’un règlement intérieur clair et traduit en différentes langues, l’accès à diverses activités (y compris rémunérées) et les bonnes relations des agents avec les détenus.

129.Toutefois, à Favra, l’exercice physique était permis seulement une heure par jour sous surveillance des agents, car l’espace extérieur n’était pas suffisamment sécurisé.

130. Le Sous-Comité recommande d’accorder aux détenus un large accès à un espace extérieur et de diversifier la palette d’activités proposées.

e)Discipline

131.Les sanctions disciplinaires applicables en cas de manquement au règlement intérieur étaient clairement énoncées.

f)Soins de santé

132.Une équipe mobile des hôpitaux universitaires de Genève intervenait à Favra, sur la base d’une convention. Une infirmière était présente deux fois par semaine, le médecin généraliste consultait une fois par semaine et le psychiatre, à la demande. Tout placement en cellule forte était signalé au service de santé.

133.ÀFrambois, un médecin généraliste et un psychiatre étaient présents une fois par semaine.

134.Les passages à l’acte auto-agressifs étaient assez nombreux dans les deuxétablissements.

135. Le Sous-Comité est d’avis que la présence régulière d’un psychologue dans chacun des établissements apporterait un soutien psychologique utile.

g)Personnel

136.Les agents affectés à Favra étaient des agents pénitentiaires.ÀFrambois, le personnel était constitué d’agents de sécurité, liés par un contrat de droit privé à la Fondation romande de détention LMC. Le Sous-Comité a pu relever l’engagement et les aptitudes multiculturelles du personnel de ce centre.

137. Le Sous-Comité rappelle à l’ État partie que le personnel de surveillance des centres de détention administrative doit faire l’objet d’une sélection particulièrement rigoureuse, et bénéficier de formations adéquates, vu la nature sensible des tâches qui leur incombe nt .

138. Le Sous-Comité est également d’avis que la présence d’un assistant social à Favra , de la même manière qu’il en existe un à Frambois , serait utile afin d’informer les résidents sur leur situation juridico-administrative.

5.Question des renvois forcés

139.Les renvois de niveau 4 (vols spéciaux) sont suivis par la CNPT. De l’avis du Sous-Comité, il s’agit d’une bonne pratique qui devrait être maintenue.

140.En revanche, concernant les renvois de niveau 3 (renvois forcés sur vol de ligne), qui ne sont pas suivis par la CNPT, la délégation a reçu plusieurs allégations d’usage disproportionné de la force et de la contrainte, notamment des entraves trop serrées, attachées dans le dos, ainsi qu’une technique visant à appuyer fortement sur la pomme d’Adam de la personne renvoyée pour l’empêcher de crier. Les personnes y seraient davantage exposées lors de renvois successifs infructueux.

141.Le Sous-Comité considère que les pratiques décrites pour le niveau 3, si elles sont avérées, ne sont pas acceptables et pourraient s’apparenter à des mauvais traitements.

142. Le Sous-Comité recommande à l’ État partie de considérer le suivi des renvois de niveau 3 par des observateurs tels que la CNPT.

6.Centres fédéraux pour requérants d’asile

143.Le Sous-Comité prend note des changements récents introduits par la nouvelle loi no 142.31 sur l’asile, entrée en vigueur le 1er mars 2019, qui prévoit la mise en place de centres fédéraux pour requérants d’asile dans six régions, et introduit de nouvelles normes d’hébergement.

144.Le Sous-Comité n’a visité qu’un seul centre fédéral pour requérants d’asile, l’« Aile nord aéroport », situé dans le centre de transit de l’aéroport de Genève, qui n’hébergeait qu’un seul requérant. Les conditions matérielles, de haute qualité, n’appelaient aucun commentaire. Toutefois, les requérants ne pouvaient se déplacer librement que dans les zones de transit de l’aéroport.

145.Le Sous-Comité ne juge pas ici opportun de se prononcer sur la question de savoir si les séjours dans de tels centres constituent une restriction à la liberté de mouvement, ou une privation de liberté, au sens du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif. Toutefois, il souligne que les demandeurs d’asile ne sauraient être hébergés dans un environnement assimilable à une détention, et recommande que les centres pour requérants d’asile soient visités périodiquement par des mécanismes indépendants, y compris la CNPT.

VI.Mesures thérapeutiques institutionnelles et internement

A.Cadre juridique

146.Au titre du paragraphe 1 de l’article 59 du Code pénal, le juge peut ordonner un traitement institutionnel des troubles mentaux lorsque l’auteur d’un crime ou d’un délit souffre d’un grave trouble mental, qu’il a commis l’infraction en relation avec ce trouble et qu’il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble.

147.La mesure thérapeutique est ordonnée par un juge, sur la base d’une expertise psychiatrique déterminant la nécessité d’un traitement, les chances de succès de celui-ci, et la possibilité que l’auteur commette d’autres infractions, conformément au paragraphe 3 de l’article 56 du Code pénal.

148.Selon l’article 59 du Code pénal, le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures, ou encore dans un établissement pénitentiaire dans la mesure où le traitement nécessaire est assuré par du personnel qualifié. La privation de liberté résultant d’une mesure thérapeutique est d’une durée maximale de cinq ans, laquelle est renouvelable.

149.Conformément à l’article 64 du Code pénal, le juge ordonne l’internement des personnes ayant commis certaines infractions énumérées par la loi (assassinat, meurtre, viol, prise d’otage, etc.) s’il est à craindre qu’elles commettent d’autres infractions de même type en raison des caractéristiques de leur personnalité ou d’un grave trouble mental chronique ou récurrent en relation avec l’infraction, et si la mesure prévue à l’article 59 du Code pénal semble vouée à l’échec.

150.L’internement est ordonné pour une durée indéterminée.

151.Les mesures listées aux articles 59 et 64 du Code pénal peuvent être imposées aux auteurs d’infractions reconnus pénalement irresponsables ainsi qu’à ceux reconnus pleinement responsables.

152.Les auteurs de certains crimes graves énumérés au paragraphe 1 bis de l’article 64 du Code pénal peuvent être placés en internement à vie s’il est hautement probable qu’ils commettent à nouveau un de ces crimes et qu’ils soient qualifiés de durablement non amendables.

153.La probabilité de récidive est établie sur la base d’expertises psychiatriques qui posent un pronostic de dangerosité.

154.Un réexamen périodique des motifs de l’internement est prévu, dans lequel une expertise psychiatrique détermine si les caractéristiques de la personnalité du détenu ou sa dangerosité ont évolué depuis le dernier examen, et s’il demeure nécessaire de protéger la population. Alors que la décision d’internement ordinaire est examinée au bout de deux ans puis chaque année, aucune réévaluation de l’internement à vie n’est prévue, la levée de cette mesure n’étant envisagée qu’en cas de nouvelles connaissances scientifiques, selon le paragraphe 2 de l’article 123a de la Constitution fédérale.

155.S’agissant spécifiquement du paragraphe 1 bisde l’article 64 du Code pénal , le Sous-Comité  :

a) Rappelle que pour qu’une peine à perpétuité demeure compatible avec l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques , il doit exister à la fois une réelle perspective de libération et une possibilité de réexamen approfondi ;

b) É met de sérieux doutes quant à la possibilité d’établir un pronostic médical d’incurabilité à vie et de dangerosité psychiatrique, criminologique et sociale permanente. S’agissant du comportement à venir d’un condamné, la prédiction est par nature aléatoire et incertaine avec un important risque d’erreur. La privation de liberté à vie sur des bases aussi peu consistantes pourrait poser de sérieux problèmes de légalité.

156.En conséquence, le Sous-Comité recommande à l’ État partie de revoir le paragraphe 1 bis de l’art icle 64 du Code pénal à la lumière de ces observations et d’examiner l’opportunité de son abrogation.

B.Visites de terrain

157.Les établissements visités par le Sous-Comité, qui accueillaient des personnes condamnées à une mesure thérapeutique ou à un internement, étaient la prison de Pöschwies, dotée d’un secteur réservé à la prise en charge des condamnés faisant l’objet de mesures relatives à l’article 59 du Code pénal, le pénitencier de Bochuz et la clinique psychiatrique de Rheinau (canton de Zurich).

1.Prison de Pöschwies

158.À Pöschwies, 28 détenus étaient en traitement institutionnel au titre de l’article 59 du Code pénal, dont 18 dans le secteur réservé aux mesures thérapeutiques ; les 10 autres étaient en détention ordinaire.

159.La durée moyenne de séjour en traitement institutionnel était de l’ordre de cinq ans avant l’orientation vers un régime ouvert.

160.Le secteur réservé disposait d’une équipe d’intervenants étoffée et qualifiée, et proposait des prises en charge individualisées avec une large offre de mesures thérapeutiques et de réhabilitation psychosociale, y compris le travail obligatoire. Les psychologues et assistants sociaux du secteur réservé assuraient également le suivi des détenus soumis à des mesures relevant de l’article 59 du Code pénal en détention ordinaire.

161.On comptait également 28 détenus internés au titre de l’article 64 du Code pénal et un en internement à vie au titre du paragraphe 1 bis de ce même article. Beaucoup d’entre eux étaient des personnes âgées ; certains n’avaient pas de troubles psychiatriques, d’autres avaient des troubles psychiatriques sévères et avaient soit été déclarés incurables, soit fait l’objet d’une mesure relevant de l’article 59 du Code pénal qui avait été un échec.

162.Le suivi des personnes internées était assuré par le dispositif sanitaire général de la prison, sans prise en charge spécifique.

163.Il ressort des entretiens avec les personnes détenues que le plus difficile à vivre était l’incertitude par rapport à la durée de la mesure et à ce qui était attendu d’elles.

2.Pénitencier de Bochuz

164.À Bochuz, 22 détenus étaient en traitement institutionnel au titre de l’article 59 du Code pénal, dont 8 hébergés au sein de l’unité psychiatrique, 13 en détention ordinaire et un en isolement de sûreté strict.

165.Six détenus étaient internés au titre de l’article 64 du Code pénal. L’un d’entre eux, condamné initialement à une peine de trois ans d’emprisonnement, était incarcéré depuis dix-huit ans ; les expertises psychiatriques avaient conclu à l’absence de troubles psychiatriques et son internement était reconduit d’année en année en raison d’un risque de récidive.

166.L’unité psychiatrique disposait de locaux agréables et bien entretenus, avec un personnel présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et un régime de portes ouvertes. L’offre de soins était variée, privilégiant les activités groupales. Cela étant, la prise des traitements médicamenteux était obligatoire.

167.Le suivi psychiatrique, assuré par une équipe mise à disposition par le Centre hospitalier universitaire vaudois, était limité à une consultation mensuelle et le suivi psychologique, à une consultation bimensuelle.

3.Clinique psychiatrique de Rheinau

168.La clinique disposait de 105 lits, accueillait des hommes, des femmes et des mineurs, principalement des patients placés au titre des mesures thérapeutiques institutionnelles relevant de l’article 59 du Code pénal, mais également des détenus, des prévenus ou des condamnés en décompensation psychiatrique. Le jour de la visite, il y avait 88 patients dont un mineur de 17 ans et une dizaine de femmes ; 81 faisaient l’objet de mesures au titre de l’article 59 du Code pénal (32 relativement au paragraphe 3 et 49 au paragraphe 1) et 7 étaient des détenus en crise hospitalisés (dont un détenu arrivé la veille en urgence de prison).

169.Pour l’admission des patients sous mesure, l’office cantonal d’exécution des peines prononçait l’ordonnance de placement, après accord du médecin-chef. Le réexamen suivait la procédure ad hoc.

170.Pour l’admission des détenus, des prévenus ou des condamnés, admis en état de crise, il n’était pas fait recours aux dispositions du Code civil relatives au placement aux fins d’assistance. Après accord entre le médecin de la prison et le médecin-chef de la clinique, l’autorité judiciaire compétente (tribunal ou office cantonal d’exécution des peines) prenait un ordre administratif de transfert.

171.Les locaux et les équipements étaient en excellent état ; les membres du personnel étaient nombreux et très qualifiés ; l’offre de mesures thérapeutiques et de réhabilitation psychosociale était étoffée. Les dossiers médicaux étaient bien tenus et les procédures administratives et médico-légales, rigoureusement suivies.

172. Le Sous-Comité souhaite souligner que les détenus souffrant de troubles psychiatriques devraient en toutes circonstances être pris en charge par un personnel qualifié et en nombre suffisant pour leur apporter l’ assistance et les soins requis, dans un environnement adapté, qu’il s’agisse d’unités spécialisées au sein d’un établissement hospitalier ou pénitentiaire.

173.Le Sous-Comité a constaté avec satisfaction le travail réalisé dans les unités spécialisées pour les condamnés sous mesure thérapeutique institutionnelle relevant de l’article 59 du Code pénal, en établissement pénitentiaire et en établissement de santé. Cependant, il déplore que, trop souvent, des condamnés sous mesure thérapeutique soient maintenus en détention ordinaire sans avoir accès à un dispositif et à un niveau de soins qu’ils seraient en droit d’attendre pour accélérer l’amélioration de leur état de santé, gage de perspective de libération.

174.Le Sous-Comité encourage l’ État partie à augmenter le nombre de places destinées à la prise en charge des condamnés sous mesure thérapeutique au sein d’infrastructures adaptées , et souhaite être informé des décisions prises à cet égard.

175.Le Sous-Comité souhaite attirer l’attention de l’État partie sur la situation des personnes internées au titre de l’article 64 du Code pénal. Nombre d’entre elles souffrent de troubles psychiatriques sévères, et certaines ont été déclarées pénalement irresponsables. Elles sont en régime de détention ordinaire, parfois en quartier de haute sécurité, maintenues en isolement prolongé. Elles n’ont pas de soins autres que ceux délivrés par l’unité sanitaire de la prison. Dès lors, il est inévitable que leur état ne puisse pas évoluer favorablement et que leur libération soit un horizon inatteignable.

176. Le Sous-Comité , ayant à l’es prit le paragraphe 1 de la règle  109 des Règles Nelson Mandela , considère que l’ État partie devrait revoir en profondeur la situation des personnes interné e s , et adapter la législation et les réponses institutionnelles en conséquence.

177.Le Sous-Comité est particulièrement préoccupé par l’une des conclusions de l’étude scientifique commandée par la CNPT, qui souligne que les jugements de renouvellement des mesures thérapeutiques sont sommairement motivés, se contentant la plupart du temps de reprendre synthétiquement les rapports thérapeutiques, sans examiner la proportionnalité de la reconduite de la mesure, mais en avalisant la demande de prolongation de la mesure faite par l’autorité d’exécution.

178. Le Sous-Comité recommande que la reconduite d’une mesure thérapeutique soit fondée sur un examen approfondi de sa nécessité et de sa proportionnalité, en prenant dûment en compte les progrès thérapeutiques réalisés par la personne qui en fait l’objet . Il recommande en outre qu’aux fins de la procédure, les détenus soient systématiquement entendus par les autorités cantonales pertinentes avant la reconduction de la mesure et assistés d’un avocat.

179. L e Sous-Comité émet l a même recommandation pour le réexamen des internements.

180.Les condamnés à des mesures thérapeutiques pouvaient se voir imposer un traitement médicamenteux.

181. Le Sous-Comité estime, par principe, et comme le prévoit le C ode civil, qu’un traitement médicamenteux, hors circonstances exceptionnelles pré vues à l’article 434 du Code civil , ne devrait être administré que sur une base volontaire explicite et dûment documentée.

182. Le Sous-Comité est d’avis qu’en application du principe d’équivalence des soins, il n’y a pas de raison de s’affranchir de telles conditions, cumulativement, pour ce qui est des personnes détenues, y compris celles condamnées à des mesures thérapeutiques.

183.Les détenus, prévenus et condamnés, relevant d’une hospitalisation psychiatrique étaient admis dans les services psychiatriques non pas selon le dispositif encadrant le placement à des fins d’assistance prévu aux articles 426 et suivants du Code civil, mais sur la base d’une ordonnance de transfert prise par l’autorité compétente (ministère public ou office cantonal d’exécution des peines) sans que la question du consentement de la personne soit envisagée.

184.Le Sous-Comité est d’avis que les règles applicables au traitement sans consentement du Code civil pourraient être appliquées aux détenus sous mesure s thérapeutiques, par analogie . Le Sous-Comité serait très intéressé par les commentaires de l’ État partie à ce sujet.

VII.Autres questions

A.Actes délégués à des sociétés privées

185.La délégation du Sous-Comité a pu constater, au cours de sa visite, que certaines tâches normalement assurées par des agents de police ou pénitentiaires étaient déléguées à des entreprises de sécurité privées. De même, l’encadrement des requérants d’asile était délégué à une entreprise privée dans de nombreux centres fédéraux.

186.Le Sous-Comité s’inquiète dès lors du niveau de formation de tels agents contractuels privés, pour assumer des fonctions régaliennes qui impliquent potentiellement l’usage de la force. Il s’inquiète en outre de la question corollaire des lignes de responsabilité.

187. Le Sous-Comité rappelle que, lorsque des situations liées à l’encadrement ou au convoyage de détenus font l’objet de contrats ou sont autrement déléguées à des acteurs privés, les obligations qui incombent à l’ État partie au titre du Protocole facultatif demeurent , si bien que celui-ci serait responsable de tout manquement au Protocole facultatif qui serait commis contre des personnes privées de leur liberté à son instigation, ou avec son consentement exprès ou tacite.

B.Frais de santé des personnes détenues

188.Le Sous-Comité a été préoccupé d’apprendre que certains cantons envisageaient une participation substantielle des détenus à leurs frais de santé.

189.Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire rencontrés ont souligné l’effet contre-productif d’une telle mesure, qui est susceptible de nuire aux efforts de prévention et de traitement en milieu carcéral, les détenus refusant dès lors les soins.

190.De plus, le Sous-Comité a eu connaissance de cas où les soins nécessaires étaient compromis par un refus de l’office cantonal d’exécution des peines d’autoriser une avance sur frais.

191.L’accès aux soins de la population pénale est un enjeu majeur de santé individuelle et publique, en raison notamment de la surmorbidité observée chez des publics en situation de précarité et/ou de migration. Cet accès aux soins est d’autant plus aisé que la gratuité des soins est assurée.

192.Le Sous-Comité rappelle l’importance de la santé comme droit fondamental et facteur de réinsertion sociale.

193. Le Sous-Comité souhaite recevoir des informations complémentaires de l’ État partie sur cette question et l’engage à garantir à la population pénale , sur l’ensemble du territoire, un accès aux soins et aux services nécessaires sans frais , conformément au paragraphe 1 de la règle 24 des Règles Nelson Mandela .

VIII.Étapes suivantes

194. Le Sous-Comité souhaite qu’une réponse lui soit communiquée dans les six mois à compter de la date de transmission du présent rapport à la Mission permanente de la Suisse auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève . Dans ce document, l’État partie est invité à répondre à toutes les recommandations et demandes de renseignements complémentaires formulées dans le présent rapport, et à rendre compte des mesures déjà prises ou prévues , accompagnées de calendriers d’exécution , pour donner suite aux recommandations.

195. L’article 15 du Protocole facultatif interdit toutes les sanctions et représailles, quelles qu’en soient la forme et la source, visant une personne qui a été en contact ou tenté d’être en contact avec le Sous-Comité. Le Sous-Comité rappelle à l’État partie l’obligation qui lui incombe de prévenir de telles sanctions ou représailles et le prie de fournir, dans sa réponse, des renseignements détaillés sur les mesures qu’il aura prises pour s’acquitter de cette obligation.

196. Le Sous-Comité rappelle que la prévention de la torture et des mauvais traitements constitue une obligation continue et de large portée revenant à l’État partie . Il demande donc à la Suisse de l’informer de toute mesure législative, réglementaire ou politique et de tout fait nouveau pertinent touchant le traitement des personnes privées de liberté et le mécanisme national de prévention.

197. Le Sous-Comité considère que sa visite et le présent rapport font partie d’un dialogue continu. Il sera heureux d’aider la Suisse à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif en lui fournissant de plus amples conseils et une assistance technique en vue d’atteindre leur objectif commun, qui est de prévenir la torture et les mauvais traitements dans les lieux de privation de liberté. Le Sous-Comité estime que le moyen le plus efficace de poursuivre le dialogue serait pour lui de rencontrer les autorités nationales chargées de la mise en œuvre de ses recommandations dans les six mois qui suivent la réception de la réponse au présent rapport, conformément au paragraphe d) de l’article 12 du Protocole facultatif.

Annexe I

Liste des membres du Gouvernement, ainsi que des autres interlocuteurs rencontrés par le Sous-Comité

1.Autorités

Office fédéral de la justice (Département fédéral de justice et police) :

•Bernardo Stadelmann, sous-directeur de l’OFJ et chef du domaine de direction Droit pénal

•Ronald Gramigna, chef de l’unité Exécution des peines et des mesures

•Béatrice Kalbermatter, cheffe suppléante de l’unité Exécution des peines et des mesures, responsable pour le domaine des mineurs

•Aimée Zermatten, unité Exécution des peines et des mesures

•Alain Chablais, chef de l’unité Protection internationale des droits de l’homme et Agent du Gouvernement suisse (Représentation de la Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité contre la torture)

•Folco Galli, Chef de l’information

Secrétariat d’Etat aux migrations (Département fédéral de justice et police) :

•Beat Perler, Chef unité Bases du retour et aide au retour

Direction politique (Département fédéral des affaires étrangères) :

•Sandra Lendenmann, cheffe de la section Politique des droits de l’homme, Division Sécurité humaine DSH

Association suisse des Magistrats de l’ordre judiciaire :

•Marie-Pierre de Montmollin, Juge, Canton de Neuchâtel

Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) :

•Alain Hofer, secrétaire général adjoint de la CCDJP

Centre suisse de compétence en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP) :

•Patrick Cotti, directeur du CSCSP

•Blaise Péquignot, membre du conseil de fondation du Centre suisse de compétences en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP) et secrétaire général de la Conférence latine des chefs des départements de justice et police (CLDJP)

Ministère public de la Confédération :

•Michael Lauber, Procureur général de la Confédération

•Julie Noto, responsable section terrorisme.

2.Commission nationale de prévention de la torture (CNPT) 

•Alberto Achermann, président

•Sandra Imhof, cheffe du Secrétariat

•Daniel Bolomey

•Alexandra Kossin

•Philippe Gutmann

•Giorgio Battaglioni

•Leo Naf

•Deliad Cinno

•Ursula Klopfiler

•Nadja Kunzle

•David Wagen-Magnon

3.Organisations non gouvernementales

•Roger Staub, Fondation Pro Mente Sana

•Kathi Hermann, Fondation Pro Mente Sana

•Valentina Darbellay, Terre des Hommes (section Lausanne)

•Sarah Frehner, Organisation Suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)

•Muriel Trummer, Amnesty International

•Dominique Joris, Association des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT – Suisse)

•Manuela Ernst, Croix Rouge Suisse, Section Berne

•Réseau « Support for Torture Victims »

Annexe II

Lieux de privation de liberté visités par le Sous-Comité

Canton de Berne

•Regionalgefängnis Bern (prison régionale de Berne)

•PolizeiwacheWaisenhaus (commissariat de police)

•Polizeiwache Bahnhof Bern (poste de police de la gare)

Canton de Zürich

•Flughafengefängnis Zurich (prison d’aéroport de Zurich)

•Flughafengefängnis Zurich (centre de rétention)

•Justizvollzugsanstalt Pöschwies (prison de Pöschwies)

•Gefängnis Zürich (prison a Zurich)

•Psychiatrische Universitätsklinik Zürich (clinique a Rheinau)

•KantonalPolizeigefängnis (police cantonale)

Canton de Genève

•Etablissement fermé de Favra

•Etablissement concordataire de Frambois

•Police de la sécurité internationale (PSI)

•PSI-SARA

•Centre de transit aéroportuaire Genève « aile nord »

•Poste de Police Cornavin

•Poste de police Pâquis

•Poste de police Carl Vogt (VHP)

Canton de Vaud

•Hôtel de Police, Lausanne (VHP)

•Centre de la Blécherette, Police cantonale (zone carcérale)

•Etablissements de la Plaine de l’Orbe (E.P.O.), Bochuz