Observations finales concernant le rapport du Myanmar (présenté à titre exceptionnel) *

Le Comité a examiné le rapport du Myanmar (présenté à titre exceptionnel) (CEDAW/C/MMR/EP/1) à sa 1668e séance (CEDAW/C/SR.1668), le 22 février 2019.

A.Introduction

À l’issue de l’examen du quatrième-cinquième rapport périodique du Myanmar (CEDAW/C/MMR/4-5) à ses 1407e et 1408e séances (CEDAW/C/SR.1407 et CEDAW/C/SR.1408), le 7 juillet 2016, le Comité a prié l’État partie de soumettre par écrit, avant juillet 2018, des informations sur les mesures qu’il a prises pour appliquer les recommandations du Comité tendant à garantir l’enregistrement des naissances des Rohingya et des personnes appartenant à d’autres minorités ethniques, de lever tous les obstacles auxquels se heurtent les femmes et les filles rohingya en ce qui concerne la nationalité, de créer de toute urgence un organe indépendant chargé d’enquêter sur les allégations de violence à l’égard des femmes et des filles qui appartiennent à des minorités ethniques, y compris la violence sexuelle et d’autres formes de violence fondée sur le genre, de poursuivre les auteurs présumés et, s’ils sont reconnus coupables, de les punir en leur infligeant des peines appropriées (CEDAW/C/MMR/CO/4-5, par. 45 d) et f) et par. 54). Le Comité a adressé un rappel à l’État partie le 14 janvier 2019.

Conformément à sa décision 68/II, le Comité a décidé de demander au Gouvernement du Myanmar de soumettre, pour mai 2018, un rapport à titre exceptionnel sur la situation des femmes et des filles rohingya dans le nord de l’État rakhine (voir A/73/38, deuxième partie, chap. I). Le Comité accueille avec satisfaction le rapport exceptionnel de l’État partie, soumis le 1er février 2019, mais déplore que celui-ci ne contienne que peu d’informations, vagues de surcroît, et qu’il ne réponde pas de façon adéquate à toutes les questions posées par le Comité.

* Adoptées par le Comité à sa soixante-douzième session (18 février-8 mars 2019).

Le Comité remercie l’État partie d’avoir envoyé une délégation de haut niveau, conduite par Win Myat Aye, Ministre de la protection sociale, des secours et de la réinstallation. La délégation comprenait aussi des représentants du Ministère de la défense, du Ministère de l’intérieur (représenté par les services de police), du Ministère des affaires étrangères, de la Mission permanente de la République de l’Union du Myanmar auprès de l’Office des Nations Unies et d’autres organisations internationales à Genève.

B.Contexte

Le Comité déplore les actes de violence systématique et généralisée ciblant en particulier les femmes et les filles rohingya durant les « opérations de nettoyage » menées par l’armée, qui ont fait suite aux attaques du 25 août 2017 contre des postes-frontières dans le nord de l’État rakhine, et ont provoqué le déplacement massif de plus de 745 000 Rohingya vers le Bangladesh. Il remarque que la violence sexuelle perpétrée contre les femmes et les filles prenait notamment la forme de viol, de viol collectif, d’esclavage sexuel, de nudité forcée, d’humiliation sexuelle, de mutilation et d’agression sexuelle. Dans certains cas, les victimes étaient ensuite tuées. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que des exactions similaires sont signalées depuis plus de 30 ans et qu’aucune mesure ne semble avoir été prise afin de lutter contre les violations des droits de la personne et de les prévenir efficacement. Il souligne que les autorités de l’État partie continuent de nier que des actes violence sexuelle aient pu se produire, ce qui porte à croire qu’aucun véritable effort n’a été fait pour amener les auteurs à répondre de leurs actes. Le Comité se dit vivement préoccupé par la situation des quelque 596 000 Rohingya apatrides qui se trouvent toujours dans le nord de l’État rakhine, dont plus de 120 000 ont récemment été déplacés. Par ailleurs, compte tenu de l’afflux ininterrompu, jusqu’en décembre 2018, de réfugiés rohingya au Bangladesh et des témoignages qu’ils ont livrés, le Comité conclut que les femmes et les filles restent exposées à la violence fondée sur le genre, notamment la violence sexuelle.

Le Comité constate qu’au cours des dernières décennies, les femmes et les filles rohingya ont été victimes d’au moins quatre épisodes de violence généralisée, se manifestant notamment par des massacres, des arrestations, de la torture, des viols et le recours au travail forcé, et entraînant des vagues de déplacements massifs. En 1977, 200 000 Rohingya se sont réfugiés au Bangladesh pour échapper à la violence perpétrée dans le cadre du programme gouvernemental connu sous le nom de Nagamin (dragon roi). En 1991, 250 000 Rohingya ont à nouveau fui au Bangladesh. En 2012, près de 200 000 Rohingya ont été confinés dans des camps de déplacés à Sittwe (Myanmar) et aux alentours. En 2016 et 2017, les « opérations de nettoyage » de l’armée ont provoqué l’afflux au Bangladesh de plus de 800 000 réfugiés.

Les multiples rapports crédibles établis par les organes des Nations Unies chargés des questions relatives aux droits de l’homme, notamment le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, la Représentante spéciale du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé et la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, ont recueilli des informations faisant état d’atrocités généralisées commises contre les femmes et les filles rohingya, qui ont systématiquement été prises pour cible en raison de leur appartenance ethnique et religieuse. Selon ces informations, les forces armées du Myanmar auraient ordonné, orchestré et perpétré des actes de violence sexuelle, avec la participation de la police des frontières et de milices.

Le Comité est préoccupé par les structures gouvernementales en place dans le nord de l’État rakhine, où la police des frontières détient l’autorité en matière de sécurité et d’administration dans les villes où la population rohingya est prédominante. Un ensemble d’arrêtés locaux établis dans le cadre de cet arrangement unique restreint la liberté de circulation des femmes et des filles rohingya dans l’État partie, y compris vers les lieux liés à la subsistance, et leur accès aux services de santé, notamment sexuelle et procréative, à l’éducation et au logement. Le Comité rappelle que la responsabilité qui incombe à l’État partie de s’acquitter des obligations que lui impose l’article 2 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes est engagée dans les actes ou les omissions de toutes les administrations publiques. La décentralisation des pouvoirs n’annule d’aucune façon la responsabilité qui incombe à l’État partie de s’acquitter de ses obligations envers toutes les femmes relevant de sa juridiction.

Le Comité souligne que l’État partie a créé une série de commissions nationales afin d’améliorer la situation dans le nord de l’État rakhine; on citera à cet égard : la Commission d’enquête sur les violences confessionnelles dans l’État rakhine, en août 2012 ; la Commission d’enquête sur le massacre de Du Chee Yar Tan et les événements connexes, en 2014 ; la Commission consultative sur l’État rakhine, présidée par Kofi Annan, en septembre 2016 ; le Comité national sur les violences commises à Maungdaw, en octobre 2016 ; la Commission d’enquête de la région de Maungdaw, en décembre 2016 ; le Comité d’enquête militaire sur les violences commises à Maungdaw, dirigé par le général de corps d’armée Aye Win, en février 2017 ; l’enquête départementale de la police sur les violences commises à Maungdaw, en février 2017 ; la Commission d’enquête indépendante, présidée à titre personnel par Rosario Manalo, membre du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, en 2018. Le Comité regrette profondément que chacune de ces enquêtes aient abouti à la conclusion qu’aucune violation des droits de la personne n’a été commise et que, par conséquent, aucun auteur n’a dû répondre de ses actes. Il déplore également l’absence d’institutions judiciaires nationales indépendantes et fiables dans l’État partie.

Dans sa recommandation générale no 35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no19, le Comité considère que les États parties ont le devoir d’agir avec la diligence voulue pour enquêter sur tous les crimes, notamment ceux liés à la violence sexuelle à l’égard des femmes et des filles, punir les auteurs et indemniser rapidement les victimes. Afin de s’acquitter de ces obligations, le Comité recommande aux États parties de prendre des mesures de sanction, de réadaptation, de prévention et de protection.

C.Aspects positifs

Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises en vue de l’adoption d’un projet de loi sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et leur protection contre la violence, ainsi que le mécanisme de coopération technique établi entre le Gouvernement et des organismes des Nations Unies afin de veiller au respect de la Convention.

Le Comité salue la signature, le 7 décembre 2018, d’un communiqué conjoint entre l’État partie et la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit, élaboré dans le cadre de l’application de la résolution 2106 (2013) du Conseil de sécurité, axée sur six domaines de coopération prioritaires : l’appui aux réformes juridiques visant à répondre à la violence sexuelle ; la formation et le renforcement des capacités dans les secteurs de la justice et de la sécurité ; l’aide aux survivantes de violences sexuelles ; la prise en compte de la prévention de la violence sexuelle dans les accords de paix et de justice transitionnelle ; élimination de la possibilité d’amnistie pour les auteurs ; la lutte contre la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle liée au conflit.

D.Réforme législative

Le Comité est préoccupé par l’immunité accordée aux agents de l’État dans la Constitution du Myanmar de 2008 , ainsi que par l’indépendance garantie à l’armée qui perpétue l’impunité, étant donné que cet instrument :

a)Accorde aux services de défense le droit de gérer et de juger toutes les affaires militaires, conformément au paragraphe b) de l’article 20 du chapitre I ;

b)Exempt le commandant en chef de contraintes juridiques, conformément à l’article 419 du chapitre XI ;

c)Interdit l’engagement de poursuites contre les membres du Gouvernement pour tout acte réalisé dans l’exercice de leurs fonctions, conformément à l’article 445 du chapitre XIV ;

d)Accorde au Président le pouvoir d’amnistie, conformément à la recommandation du Conseil national de la défense et de la sécurité et au paragraphe b) de l’article 204 du chapitre V.

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier les normes constitutionnelles qui accordent aux agents de l ’ État, y compris aux agents de l ’ armée et de la sécurité, l ’ immunité en cas d ’ atteinte aux droits de la personne, et de créer une juridiction civile compétente en matière de violation des droits de la personne.

Le Comité demeure préoccupé par le fait que le Code pénal de 1861 ne prévoit aucune disposition ni sanction visant à assurer la protection des femmes et des filles contre la violence, notamment contre les viols, les agressions sexuelles, d’autres formes de violence fondée sur le genre et la traite.

Rappelant sa recommandation générale n o 35, le Comité recommande à l ’ État partie de modifier son Code pénal en adoptant un e définition de la violence à l ’ égard des femmes, y compris le v iol et d ’ autres formes de violence sexuelle et fondée sur le genre, conformément à la Convention et aux normes internationales, et de veiller à ce que les autorités judiciaires civiles soient compétentes p our poursuivre des membres de l ’ armée accusés d ’ avoir commis des violences contre des femmes et des filles.

S’il accueille avec satisfaction les progrès réalisés en vue de l’adoption d’un projet de loi sur la prévention de la violence à l’égard des femmes et leur protection contre la violence, le Comité s’inquiète des retards accusés dans ce processus. Il est particulièrement préoccupé par le manque d’informations sur :

a)La portée des infractions pénales prises en compte dans le projet de loi, ainsi que l’attention qui y est portée à la protection et à l’accompagnement des victimes et des témoins de violence sexuelle, y compris de violence sexuelle liée aux conflits ;

b)L’incertitude concernant la possibilité d’enquêter sur les actes de violence sexuelle liée aux conflits commis par les agents de la sécurité et de poursuivre ces derniers, et, si une telle possibilité existe, la détermination de la juridiction compétente.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter rapidement le projet de loi sur l a prévention de la violence à l ’ égard des femmes et leur protection contre la violence, et de veiller à ce qu ’ il tienne compte de la violence sexuelle liée aux conflits, qu ’ il prévoie une protection et un accompagnement adéquat des victimes et des témoins de violences sexuelles, et qu ’ il établisse une juridiction civile compéten te pour ces crimes, même lorsqu ’ ils s ont commis par des membres de l ’ armée ou d ’ autres forces de sécuri té. Il recommande également à l ’ État partie de soumettre ce projet de loi à une consultation publique et de solliciter la coopération technique des Natio ns Unies, notamment celles de l ’ équipe de pays des Nations Unies, de la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit et de la Représentante spéciale pour le sort des enfants en temps de conflit armé, afin de veiller à ce qu ’ il soit conforme à la Convention et aux normes internationales.

Le Comité déplore l’absence d’une loi générale de protection contre les déplacements forcés et de programmes axés sur les femmes exposées à des expulsions forcées, en particulier celles appartenant à une minorité ethnique, telle que les Rohingya.

Le Comité réitère sa précédente recommandation [ CEDAW/C/MMR/CO/4 ‑ 5 , par. 15 c)] dans laquelle il demandait à l ’ État partie d ’ adopter une législation complète de protection des femmes contre les déplacements forcés, particulièrement de celles appartenant à diverses minorités ethniques telles que les Rohingya.

Le Comité constate avec préoccupation que, bien que l’État partie ait ratifié la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, il n’a pas encore intégré le crime de génocide dans son Code pénal. Il est également préoccupé par le fait que l’État partie n’ait pas encore criminalisé de graves crimes internationaux, tels que les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Le Comité recommande à l ’ État partie de procéder rapidement à un examen de son Code pénal afin de criminaliser les graves crimes internationaux, y compris le génocide, les crimes contre l ’ humanité et les crimes de guerre, tels que la violence sexuelle liée aux conflits, et d ’ établir une juridiction civile compétente pour ces crimes.

Nationalité

Le Comité demeure profondément préoccupé par le fait que l’État partie ne tienne pas compte des divers avertissements qui lui ont été adressés concernant le caractère discriminatoire et dépassé des dispositions de la loi sur la citoyenneté de 1982 et les multiples contrôles de nationalité effectués dans le nord de l’État rakhine, qui entraînent la déchéance de nationalité arbitraire et l’apatridie des femmes et des filles rohingyas. Il s’inquiète également de constater que les Rohingya, y compris les femmes et les filles, qui refusaient d’être enregistrées en tant que « Bengali » ont été arbitrairement exclues des procédures de vérification.

Le Comité rappelle sa précédente recommandation ( CEDAW/C/MMR/CO/ 4-5 , par. 33) et recommande à l ’ État partie de modifier la loi sur la citoyenneté afin de supprimer les dispositions discriminatoires fondées sur l ’ appartenance ethnique, d ’ utiliser des critères objectifs pour accorder la citoyenneté, tels que l ’ origine, et de restituer la citoyenneté des femmes et des filles rohingya. Il lui recommande également de garantir l ’ enregistrement des enfants rohingya, au moyen d ’ extraits d ’ actes de na issance, ainsi que leur droit d ’ acquérir une nationalité dans les cas où faute de cela ils se trouveraient apatrides, conformément à l ’ article 7 de la Conv ention relative aux droits de l ’ enfant. Il lui recommande en outre de reconn aître le droit des Rohingya à l ’ auto-identification, de veiller à ce que les programmes de vérification de la nationalité soient exécutés de façon non arbitra ire et non discriminatoire et d ’ octroyer aux Rohingya des documents d ’ ident ité dans un délai raisonnable.

E.Principe de responsabilité, enquête et procédure judiciaire

Le Comité déplore que, dans son rapport, l’État partie note qu’« en dépit de multiples accusations selon lesquelles les forces de sécurité du Myanmar auraient commis de façon systématique des viols et des violences contre des femmes et des filles musulmanes vivant dans l’État rakhine, aucun élément de preuve ne permet d’étayer ces allégations dénuées de fondement » (CEDAW/C/MMR/EP/1, par. 11) et que « bien que des membres des forces de sécurité aient fait l’objet d’allégations et d’accusations, aucune condamnation n’a été prononcée, faute d’éléments de preuve et de motifs suffisants. On ne saurait statuer en se fondant sur des témoignages et des rumeurs provenant de sources peu fiables » (ibid., par. 16). Le Comité constate avec préoccupation que les autorités de l’État partie ont, à plusieurs reprises, réfuté les accusations de violence, y compris de viol et d’autres formes de violence sexuelle, commise par les forces de sécurité contre des femmes et des filles rohingya, contredisant ainsi de nombreuses preuves du contraire, notamment des photographies et les témoignages de milliers de témoins recueillis, entre autres, par les organes des Nations Unies chargés des questions relatives aux droits de l’homme. Le Comité est profondément préoccupé par les points suivants :

a)Les propos désobligeants et humiliants que de hauts fonctionnaires ont tenus à l’égard des femmes rohingya, notamment les déclarations du colonel Phone Tint, Ministre de la sécurité des frontières de l’État rakhine, qui, en septembre 2017, a dit : « Regardez ces femmes. Qui aurait envie de les violer ? » ;

b)Le fait qu’aucune enquête efficace, indépendante et impartiale n’a été menée sur les violences, notamment les violences sexuelles liées aux conflits, commises par les forces de sécurité dans le nord de l’État rakhine ces dernières années et, en particulier, depuis les « opérations de nettoyage » d’août 2017, et que nul n’a été arrêté, poursuivi ou condamné pour ces violences ;

c)Le manque d’informations sur les mesures prises pour donner suite aux recommandations formulées dans le communiqué conjoint concernant la nécessité d’enquêter rapidement sur les violences sexuelles dont les femmes et les filles rohingya auraient été victimes.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ enquêter rapidement sur les graves crimes internationaux, notamment les crimes contre l ’ humanité, les crimes de guerre et les violences sexuelles liées aux conflits, qu ’ auraient commis des membres des forces de sécurité, y compris des hauts responsables de la Tatmadaw, et de poursuivre les responsables en tenant compte des conclusions du rapport de la Mission d ’ établissement des faits des Nations Unies, qui contient suffisamment d ’ informations pouvant faire office de preuves.

Le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie montre peu d’empressement à identifier les militaires qui ont participé aux « opérations de nettoyage » de 2017, et ce, malgré les déclarations fiables de victimes et de témoins qui ont attesté la présence dans le nord de l’État rakhine du commandement ouest, dirigé par Maung Soe (jusqu’en novembre 2017), de la 33e Division d’infanterie légère du général de brigade Aung, de la 99e Division d’infanterie légère du général Than Oo et de la police des frontières, commandée d’octobre 2016 à octobre 2017 par le général de brigade Thura San Lwin et, depuis, par le général de brigade Myint Toe. Le Comité note que, selon les informations qui lui ont été communiquées, la 99e Division d’infanterie légère est retournée dans le nord de l’État rakhine en janvier 2019, accompagnée de la 22e Division d’infanterie légère.

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire le nécessaire pour identifier les unités militaires, les unités de police et les unités de gardes-frontière qui étaient présentes dans le nord de l ’ État rakhine pendant les « opérations de nettoyage » d ’ août 2017 et celles qui s ’ y trouvent encore, ainsi que pour en établir la composition et la chaîne de commandement, et de mettre ces informations à la disposition des mécanismes d ’ enquête nationaux et internationaux, notamment ceux chargés d ’ enquêter sur les violations des droits de l ’ homme et les crimes internationaux. Il recommande également à l ’ État partie de veiller à ce que, à l ’ intérieur et à l ’ extérieur du pays, les victimes et les témoins qui participent aux procédures judiciaires soient protégés contre les agressions physiques et les représailles.

Le Comité regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur les moyens par lesquels l’État partie entend garantir l’indépendance et l’impartialité de la commission indépendante créée le 30 juillet 2018 pour enquêter sur les allégations de violations des droits de l’homme et les questions connexes et éviter les conflits d’intérêts en son sein, ni de renseignements sur le mandat, les fonctions et le calendrier des travaux de cette institution, la procédure régissant les auditions de témoins, la suite devant être donnée aux enquêtes, la juridiction qui sera saisie des conclusions et recommandations formulées, les mécanismes chargés d’assurer la protection des victimes et des témoins et les garanties que la commission mènera ses travaux dans le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme. Le Comité note qu’une de ses membres, Mme Manalo, a accepté de présider la commission à titre personnel.

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures suivantes :

a) Faire le nécessaire pour permettre à la commission d ’ enquête indépendante de mener ses travaux de manière véritablement indépendante et impartiale et éviter tout conflit d ’ intérêts entre ses membres ;

b) Rendre publiques les informations concernant le mandat, les fonctions, le calendrier de travail et la méthode d ’ enquête de cette institution et la suite devant être donnée à ses conclusions et recommandations, y compris les éventuelles poursuites pénales engagées contre les auteurs présumés de violations ;

c) Veiller à ce que la commission suive une démarche axée sur les victimes et les survivants et garantisse la protection des victimes et des témoins co ntre les représailles ;

d) Veiller à ce que la commission enquête dans le respect des normes internationales relatives aux droits de l ’ homme en vue de faire appliquer le principe de responsabilité.

Le Comité déplore que l’État partie ait refusé de coopérer avec la mission d’établissement des faits et les autres mécanismes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme et de leur donner accès au nord de l’État rakhine, refus qui montre qu’il est peu désireux de permettre que toute la lumière soit faite sur les événements et de faire appliquer le principe de responsabilité.

Le Comité engage instamment l ’ État partie à coopérer avec les mécanismes des Nations unies relatifs aux droits de l ’ homme et au principe de responsabilité, notamment le Haut-Commissariat aux droits de l ’ homme, la mission d ’ établissement des faits, le mécanisme d ’ enquête indépendant, la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l ’ homme au Myanmar, la Représentante spéciale du Secrétaire général chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit et la Représentante spéciale du Secrétaire général pour le sort des enfants en temps de conflit armé, et à accorder à ces mécanismes un accès sans restriction au nord de l ’ État rakhine afin qu ’ ils puissent enquêter sur les violations des droits de l ’ homme qui y ont été commises.

Le Comité est très préoccupé par le fait que ni le système de justice civile ni le système de justice militaire de l’État partie n’ont l’indépendance, l’impartialité et les capacités requises pour enquêter sur les violations graves des droits de l’homme dont des femmes et des filles rohingya ont été victimes et poursuivre et punir les responsables de ces violations.

Le Comité recommande à l ’ État partie de ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et d ’ envisager de créer, sous les auspices d ’ une autorité internationale indépendante, un tribunal spécial chargé d ’ enquêter et de faire la lumière sur les allégations selon lesquelles la Tatmadaw et d ’ autres entités ont commis de graves crimes internationaux contre des femmes et filles rohingya, notamment des crimes contre l ’ humanité, des crimes de guerre et des violences sexuelles liées aux conflits. Le Comité recommande en outre que ce tribunal spécial soit chargé d ’ enquêter sur la responsabilité des autorités civiles, qui, par leurs actes et omissions, peuvent avoir contribué à ces crimes.

F.Violences sexuelles liées aux conflits

Le Comité est profondément préoccupé par le caractère généralisé des violences sexuelles auxquelles les femmes et les filles rohingya ont été soumises par la Tatmadaw et d’autres forces de sécurité pendant et après les « opérations de nettoyage » menées en août 2017 dans le nord de l’État rakhine, ainsi que par la quasi-absence de mesures de protection et de services d’aide mis à la disposition des victimes et des survivantes. Il regrette que l’État partie n’ait pas donné la suite voulue aux préoccupations exprimées en 2016 concernant l’impunité des auteurs d’actes criminels [CEDAW/C/MMR/CO/4-5, par. 26 a)] et n’ait pas pris les mesures qui s’imposaient pour prévenir les violences.

Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que le commandant en chef des forces armées donne à toutes les forces de sécurité des instructions détaillées interdisant expressément le viol et toute forme de violence sexuelle et de s ’ assurer que les allégations de violation des droits de l ’ homme donnent lieu à de véritables enquêtes, à des procès équitables et à des sanctions appropriées, telles que la révocation et l ’ emprisonnement. Il lui recommande également de faire en sorte que l ’ ensemble des membres des services de sécurité se voient dispenser une formation approfondie sur ces nouvelles instructions et soient informés des moyens de combattre et de signaler les éventuelles violations des droits de l ’ homme, et l ’ engage à créer un climat propice au signalement.

Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles 6 097 cas de violence sexuelle et sexiste ont été signalés entre fin août 2017 et fin mars 2018 et 306 cas de violence sexiste ont été signalés entre le 22 et le 28 octobre 2017 seulement, dont 96 % ont nécessité des soins médicaux d’urgence. Il constate que ces chiffres ne peuvent que refléter une situation générale désastreuse puisque de nombreuses victimes et survivantes ne se manifestent pas. Le Comité regrette :

a)Que les femmes et les filles rohingya qui vivent dans des camps de réfugiés au Bangladesh n’aient pas eu accès à tous les soins nécessaires après un viol, y compris à la contraception d’urgence, à la prophylaxie post-exposition au VIH/sida, à l’avortement sécurisé et à un accompagnement psychologique ;

b)Que l’accès aux services de santé sexuelle et procréative, aux soins de santé maternelle et aux services d’accompagnement psychologique reste insuffisant, notamment pour les femmes et les filles qui ont donné naissance à un enfant après avoir été violées ;

c)Qu’il y ait de plus en plus d’enfants abandonnés dans les camps de réfugiés.

Le Comité recommande à l ’ État partie de coopérer avec le Gouvernement bangladais, les entités des Nations Unies et les autres partenaires internationaux et nationaux en vue de fournir des services spécialisés, inclusifs et accessibles à toutes les femmes et les filles rohingya victimes de violences sexuelles liées aux conflits, notamment de faire en sorte que toutes les survivantes aient accès aux services de santé sexuelle et procréative, aux soins de santé maternelle et à des services d ’ accompagnement psychologique. Il recommande également à l ’ État partie de veiller à ce que les enfants abandonnés aient accès aux soins et à l ’ enregistrement des naissances.

Le Comité est préoccupé par la situation des femmes et des filles rohingya, notamment celles qui vivent dans des camps de réfugiés au Bangladesh, qui sont exposées à d’autres formes de violence sexiste parmi lesquelles le mariage d’enfants, le mariage forcé et la traite.

Le Comité recommande à l ’ État partie de coopérer avec le Gouvernement bangladais, les entités des Nations Unies et les autres partenaires internationaux et nationaux en vue de prévenir les mariages d ’ enfants et les mariages forcés et de prendre des mesures d ’ atténuation du risque de traite liée au conflit, notamment de sensibiliser et de former les agents de la police des frontières et des services d ’ immigration, conformément à la résolution 2331 (2016) du Conseil de sécurité.

Le Comité est profondément préoccupé par le fait que les viols et les actes de violence sexuelle et sexiste commis contre les réfugiées rohingya sont à ce point généralisés que bon nombre de survivantes qui sont restées dans le nord de l’État rakhine continuent d’être exposées à des violences sexuelles liées aux conflits et, de surcroît, n’ont pas accès à des mécanismes de plainte et de réparation, à des services de santé sexuelle et procréative ou à des soins d’urgence.

Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures qui s ’ imposent pour mettre fin aux violences sexuelles liées aux conflits commises dans le nord de l ’ État rakhine et de prendre les mesures suivantes :

a) Établir un mécanisme efficace, accessible et sûr chargé de recueillir les allégations de viol et de violences sexuelles et de les transmettre aux autorités compétentes pour qu ’ elles enquêtent à leur sujet ;

b) Mener des campagnes d ’ information au niveau local afin que les femmes qui veulent signaler un acte de violence aient les moyens de le faire sans compromettre leur sécurité ;

c) Veiller à ce que, conformément aux principes d ’ inclusion et d ’ accessibilité, les femmes et les filles rohingya aient accès aux services de santé sexuelle et procréative, aux soins préventifs et aux soins d ’ urgence, y compris les soins obstétriques, prénatals et postnatals ; aux informations sur la contraception et aux services correspondants ; à la contraception d ’ urgence ; à la prophylaxie post-exposition au VIH/sida ; à l ’ avortement sécurisé ; et, pour les victimes et les survivantes de viol ou d ’ autres formes de violence sexuelle et sexiste, à des services d ’ accompagnement psychologique ;

d) Garantir la participation des femmes et des filles rohingya à l ’ élaboration et l ’ exécution des programmes relatifs aux services de santé sexuelle et procréative, établir des mécanismes de suivi pour garantir l ’ accessibilité et la qualité de ces services, et éliminer les pratiques discriminatoires et abusives du personnel de santé.

Le Comité regrette que l’État partie n’ait fourni que peu d’informations sur les mesures concrètes qu’il a prises pour donner effet aux recommandations formulées dans le communiqué conjoint, notamment sur le calendrier de constitution de la commission interministérielle, l’étendue des responsabilités de cette entité, la nomination de ses membres et les ministères concernés.

Le Comité recommande à l ’ État partie de constituer rapidement la commission interministérielle chargée d ’ appliquer les recommandations formulées dans le communiqué conjoint, de veiller à ce que tous les ministères concernés y soient représentés comme il se doit, d ’ informer le public de l ’ étendue des responsabilités et du plan d ’ action de cette entité et de publier régulièrement des informations sur ses activités.

G.Liberté de circulation, accès humanitaire et protection

Le Comité est profondément préoccupé par la privation de liberté de circulation que continuent de subir les femmes et filles Rohingya dans le nord de l’État rakhine, avec pour effet de limiter considérablement leur accès aux soins de santé, à l’éducation et à des lieux liés à la subsistance tels que les marchés, les champs et les zones de pêche. Le Comité note avec préoccupation que, depuis 2012, la présence militaire limite les déplacements à l’extérieur des villages rohingya en raison de l’obligation d’obtenir un permis de circulation, des couvre-feux et des postes de contrôle de sécurité. Il note également que des femmes et des filles ont été victimes de violences sexuelles, d’extorsion, d’arrestations arbitraires et de détention par les forces de sécurité. Le Comité note en outre que ces contraintes ont été aggravées par les restrictions que les femmes et les filles rohingya se sont imposées elles-mêmes, préférant rester chez elles par crainte des violences militaires. Il est préoccupé par les informations attestant que les quelque 600 000 Rohingya qui restent dans le nord de l’État rakhine après les « opérations de nettoyage » menées par les forces de sécurité en 2016 et 2017 connaîtraient des conditions de famine forcée, les forces de sécurité leur refusant l’accès aux rizières et aux marchés restants.

Le Comité rappelle sa recommandation précédente ( CEDAW/C/MMR/CO/ 4-5 , par. 45) et recommande à l ’ État partie d ’ abroger toutes les ordonnances locales qui restreignent indûment la liberté de circulation, notamment celles relatives à des couvre-feux, des points de contrôle et des exigences en matière de permis de circulation, et de garantir que les femmes et filles rohingyas puissent se déplacer librement et en sécurité pour accéder aux soins médicaux, à l ’ éducation et à des sources de revenus.

Le Comité est profondément préoccupé par le fait que l’État partie continue de restreindre l’accès et l’aide humanitaires, y compris les soins médicaux et les vivres qui sauvent des vies, dans le nord de l’État rakhine, seul le Programme alimentaire mondial (PAM) et le Comité international de la Croix-Rouge étant autorisés à effectuer des distributions d’aide mais subissant des restrictions importantes en matière d’accès.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ autoriser l ’ Organisation des Nations Unies et les autres organisations humanitaires à se rendre sans délai et sans restriction dans le nord de l ’ État rakhine pour y effectuer des évaluations des besoins, fournir aide humanitaire et protection à la population touchée, et livrer des services vitaux aux femmes et aux filles touchées par le conflit.

H.Retour et réinstallation en toute sécurité, librement consentis et dans la dignité

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur la construction de centres d’accueil à Taung Pyo Let We et Nga Khu Ya et du camp de transit de Hla Phoe Khaung et sur sa capacité, depuis janvier 2018, à accueillir des « rapatriés dont le statut a été vérifié ». Il relève avec une vive préoccupation que :

a)Ni le mémorandum d’accord signé en juin 2018 par l’État partie, le Programme des Nations Unies pour le développement et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés pour la sécurité, l’accueil et la réintégration des rapatriés ni l’instrument relatif aux modalités pour le retour des personnes déplacées originaires de l’État rakhine, conclu par l’État partie et le Bangladesh le 23 novembre 2017 pour guider la coordination et l’application du processus de rapatriement, ne sont des documents publics, et leur conformité au droit international des réfugiés et des droits de l’homme, notamment au principe du retour volontaire en toute sécurité et dans la dignité, est peu apparente ;

b)Tant le mémorandum d’accord que l’instrument relatif aux modalités de retour exigent que les Rohingya se soumettent à un processus de vérification de leur citoyenneté dans des conditions identiques à celles qui ont conduit à l’apatridie de la majorité de leur communauté, et de présenter des documents prouvant leur résidence au Myanmar, tels que des cartes d’identité et de citoyenneté, des cartes nationales d’immatriculation ou des cartes d’immatriculation temporaire, auxquels ils n’ont pas eu accès. De plus, tout autre document pouvant prouver leur résidence est susceptible d’avoir été perdu au cours de leur fuite ;

c)Les centres de résidence et camps de transit qui ont été construits sont entourés de hautes clôtures en barbelés et ressemblent à des camps d’internement, et les Rohingya risquent d’y rester indéfiniment, car la situation rappelle celle entourant les camps de déplacés établis en 2012 à Sittwe et dans ses environs, où les femmes et les filles rohingya sont restées pendant des années ; et les personnes qui y resteraient pourraient être placées de force dans des localités confinées ou ségréguées.

Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De garantir le retour en toute sécurité, librement consentis et dans la dignité, des femmes et des filles rohingya et de faciliter des consultations sensibles aux problématiques de genre dans les camps de réfugiés pour garantir la pleine participation des femmes et des filles au processus de rapatriement ;

b) De faciliter le rapatriement en n ’ imposant pas aux femmes rohingya réfugiées et à leurs familles un processus discriminatoire de vérification de la citoyenneté et d ’ accepter diverses formes réalistes de preuve de résidence au Myanmar, y compris des déclarations sous serment ;

c) De veiller à ce que les femmes et les filles rohingya réfugiées et déplacées ne soient pas placées de force dans des camps ségrégués, ce qui pourrait entraîner l ’ internement forcé de la population rohingya à long terme, mais au contraire puissent choisir librement où elles seront réinstallées. Des efforts particuliers devraient être faits pour assurer la pleine participation des femmes rohingya revenues, ainsi que de leurs familles, à la planification et à la gestion des programmes de réinstallation.

Le Comité est préoccupé par le fait que les femmes et les filles rohingya réfugiées et déplacées risquent de ne pas pouvoir retourner dans leur lieu d’origine si elles le souhaitent, à la suite des « opérations de nettoyage » des forces de sécurité qui ont entraîné l’incendie d’environ 300 villages rohingya, car le Gouvernement a annoncé qu’il allait confisquer les terres des villages rohingya conformément à la loi de 2013 sur la gestion des catastrophes naturelles, qui en son article 2 b) définit les catastrophes naturelles comme étant « des accidents ou faits de négligence d’origine naturelle ou humaine, tels que des incendies » et dispose que des terres brûlées deviennent des terres placées sous la responsabilité des autorités.

Le Comité recommande à l ’ État partie de protéger les terres des Rohingya contre toute confiscation par une entité gou vernementale ou un acteur privé  ; de veiller à ce que les femmes et les filles rohingya touchées puissent retourner et se réinstaller, sur une base volontaire, dans les terres o ù elles habitaient précédemment  ; et de s ’ abstenir en outre d ’ appliquer la loi sur la gestion des catastrophes naturelles d ’ une manière qui dépossède les femmes et les filles rohingya de leurs biens.

Le Comité est préoccupé par le fait qu’il ne sera pas possible d’assurer la protection des réfugiés et des personnes déplacées qui rentrent chez eux sans que le personnel des Nations Unies chargé des droits de l’homme et de l’action humanitaire ait accès au nord de l’État rakhine.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accorder aux mécanismes de défense des droits de l ’ homme et aux organismes, fonds et programmes humanitaires des Nations Unies un accès sans restriction au nord de l ’ État rakhine afin qu ’ ils puissent évaluer les besoins, et de solliciter leur coopération dans la planification et la mise en œuvre du retour et de la réinstallation en toute sécurité, librement consentis et dans la dignité des femmes rohingya réfugiées et déplacées et de leurs familles, afin de créer des conditions excluant tout climat de peur et de privation.

I.Réadaptation, indemnisation adéquate et réinsertion économique

Le Comité note que la discrimination qui frappe depuis longtemps la communauté rohingya empêche l’autonomisation des femmes et des filles rohingya, et il est profondément préoccupé par les conséquences à court, moyen et long terme de la violence et des déplacements subis par les femmes et les filles rohingya, et en particulier par les effets sur l’exercice de leurs droits fondamentaux à la santé, à l’éducation, à la propriété, à la participation à la vie locale et aux possibilités économiques, et par l’insuffisance des informations relatives à la prise de mesures visant à faciliter leur réinsertion, notamment des mesures d’indemnisation adéquates.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie de prendre d ’ urgence des mesures pour fournir aux femmes et aux filles rohingya des services spécialisés, inclusifs et accessibles pour leur réadaptation, y compris l ’ accès aux soins de santé, notamment sexuelle et procréative, à un soutien psychologique, à l ’ éducation, à l ’ entreprenariat et aux moyens de subsistance.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ aider les femmes et les filles rohingya à recouvrer, dans la mesure du possible, les biens immobiliers et mobiliers qu ’ elles ont laissés ou dont elles ont été dépossédées et, lorsque cela n ’ est pas possible, d ’ accorder une indemnisation appropriée ou d ’ autres formes de réparation équitable, notamment l ’ accès aux régimes d ’ indemnisation, comme les indemnités pour les cultures et les terres, et de leur fournir gratuitement une aide juridique à cet égard.

Le Comité prend note des informations fournies par l’État partie sur la mise en œuvre de plans de développement et de plans économiques dans l’État rakhine, mais regrette l’absence de participation des femmes et des filles rohingya à la préparation et à l’exécution des projets de développement et d’investissement. Il note également l’exécution du programme de transferts monétaires pour la mère et l’enfant dans l’État rakhine, la création d’un système de gestion des dossiers, la fourniture d’une assistance pécuniaire aux survivantes et l’ouverture de centres d’assistance aux femmes qui assurent des services sociaux, notamment psychologiques, aux survivantes de tous les états et de toutes les régions, mais il déplore le manque d’informations concernant la manière dont ces programmes sociaux serviront les intérêts des femmes et des filles rohingya, particulièrement celles qui sont réfugiées, déplacées ou vivent dans le nord de l’État rakhine.

Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller, dans le cadre de ses efforts de réadaptation et de réinsertion économique, à ce que les femmes et les filles rohingya participent pleinement et véritablement à la planification et à la gestion des projets de développement et d ’ investissement. Il lui recommande également d ’ assurer aux femmes et aux filles rohingya, notamment celles qui se sont réfugiées au Bangladesh, celles qui ont été déplacées et celles qui demeurent dans le nord de l ’ É tat rakhine, un accès libre et non-discriminatoire aux programmes sociaux précités.

Le Comité, ayant à l’esprit le grand nombre de femmes et de filles rohingya qui ont été victimes de violences liées aux conflits et le fait que, dans la plupart des cas, ces violences conduisent à des handicaps, aussi bien visibles (déficiences physiques ou sensorielles) qu’invisibles (troubles psychosociaux dus à la maladie mentale, notamment les troubles post-traumatiques), est préoccupé par le manque d’informations sur les mesures prises par l’État partie pour repérer les cas de handicap acquis parmi les femmes et filles rohingya et garantir la réinsertion des personnes touchées.

Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ élaborer et de mettre en œuvre des programmes destinés à détecter les cas de handicap parmi les femmes et les filles rohingya et à assurer l ’ accès à des services de réadaptation adéquats à celles qui en ont besoin.

J.Femmes, paix et sécurité

Le Comité reste préoccupé par l’absence d’un plan d’action national pour la mise en œuvre de la résolution 1325 (2000) du Conseil de sécurité et des résolutions ultérieures sur les femmes et la paix et la sécurité pour orienter les processus de gestion des situations de conflit et d’après-conflit dans l’État partie, ainsi que par la sous-représentation persistante des femmes dans les négociations de paix et les processus d’après-conflit.

Le Comité rappelle sa recommandation antérieure ( CEDAW/C/MMR/CO/4-5 , par. 13) et recommande à l ’ État partie de tenir dûment compte de sa recommandation générale n o  30 (2013) sur les femmes dans la prévention des conflits, les conflits et les situations d ’ après-conflit, et :

a) D ’ élaborer un plan d ’ action national global pour la mise en œuvre du programme d ’ action du Conseil de sécurité concernant les femmes, la paix et la sécurité, énoncé dans ses résolutions 1325 (2000) , 1820 (2008) , 1888 (2009) , 1889 (2009) , 2122 (2013) et 2242 (2015) , pour assurer une paix durable dans l ’ État partie ;

b) De faire participer pleinement les femmes et les filles dans toutes les phases du processus de reconstruction après le conflit, y compris dans la prise de décisions.

K.Suite donnée aux observations finales

Le Comité rappelle à l’État partie qu’en vertu de l’article 18 de la Convention, il doit soumettre son sixième rapport périodique en 2020 . Il lui demande de fournir par écrit des informations concernant les mesures prises pour appliquer les recommandations formulées aux paragraphes 16 (modification du Code pénal), 38 (appui aux Rohingya qui vivent dans des camps de réfugiés au Bangladesh), 50 b) (rapatriement) et 54 (accès à la partie nord de l’État rakhine) ci-dessus, soit en tant que supplément à son sixième rapport périodique soit en tant que soumission distincte, dans un délai d’un an, d’ici à mars 2020.