Présentée par:

M. Jacobus Gerardus Strik

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial prise en application de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 12 février 2002 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

1er novembre 2002

[ANNEXE]

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante-seizième session

concernant la

communication no 1001/2001**

Présentée par:

M. Jacobus Gerardus Strik

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays‑Bas

Date de la communication:

29 juin 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 1er novembre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Jacobus Gerardus Strik, de nationalité néerlandaise, né le 6 octobre 1938. Il se dit victime d’une violation par les Pays‑Bas, du paragraphe 2 de l’article 5, de l’article 7, des paragraphes 6 et 7 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était un employé de mairie de la ville d’Eindhoven depuis 30 ans. Le 8 avril 1990, il a envoyé un rapport au service du personnel ainsi qu’au conseil municipal d’Eindhoven, pour se plaindre du traitement que lui avaient fait, selon lui, subir ses supérieurs hiérarchiques. Il avait apparemment usé d’un langage diffamatoire. La municipalité d’Eindhoven a considéré qu’en écrivant ce rapport l’auteur avait négligé ses obligations professionnelles et avait diffamé ses employeurs. Dans une décision du 25 septembre 1990, la municipalité a donc décidé de supprimer pour deux ans les deux dernières augmentations de salaire dont l’auteur avait bénéficié, de le rétrograder temporairement et de l’affecter à un autre service.

2.2L’auteur a fait appel de la décision de la municipalité en saisissant l’Ambtenarengerecht de Bois‑le‑Duc (s‑Hertogenbosch), qui, dans une décision du 6 juin 1991, a statué que la municipalité était fondée à prendre des mesures disciplinaires, mais que celles-ci étaient disproportionnées par rapport à la nature et aux circonstances de la faute de service, parce que l’auteur était surmené au moment des faits. Le tribunal a donc annulé ces mesures disciplinaires et a laissé la municipalité d’Eindhoven libre de prendre d’autres mesures disciplinaires, qui tiennent compte de la décision du tribunal.

2.3Le 15 décembre 1992, la municipalité ayant fait appel, la Commission centrale de recours a confirmé la décision de la juridiction inférieure. Le 5 janvier 1993, la municipalité d’Eindhoven a pris une nouvelle décision et imposé de nouvelles mesures disciplinaires consistant en une réduction de salaire identique à celle de la première décision.

2.4Depuis le 11 avril 1990, l’auteur était en congé de maladie. Le médecin du travail ayant estimé que l’auteur pouvait reprendre son travail sous certaines conditions, ce dernier a travaillé du 1er janvier 1991 au 1er janvier 1992 au service des affaires culturelles de la municipalité. Par la suite, la municipalité n’ayant pas été en mesure de lui trouver un autre poste susceptible de lui convenir, l’auteur a fait l’objet de ce que la municipalité a appelé un «licenciement honorable», à compter du 1er août 1993, accompagné d’une allocation s’élevant à 80 % de son salaire.

2.5Étant donné que l’auteur a refusé en février 1994 un emploi que la municipalité lui offrait pour deux mois, cette dernière a décidé de diminuer l’indemnité pendant huit mois. L’auteur a porté l’affaire devant le tribunal de district en demandant que la réduction de l’allocation soit suspendue, et a été débouté le 2 juillet 1994. D’après la loi, un fonctionnaire qui est au bénéfice d’une allocation peut se voir proposer un emploi approprié dans un autre service afin de réduire les frais à la charge de l’employeur. À ce stade, l’auteur avait déjà atteint l’âge de 55 ans ce qui devait, selon lui, le dispenser de l’obligation d’accepter cet emploi.

2.6Le 4 juillet 1996, le tribunal de district a rendu sa décision concernant la demande de l’auteur qui attaquait les quatre décisions de la municipalité: a) réduction du salaire à titre de mesure disciplinaire (décision du 5 janvier 1993); b) licenciement (décision du 8 juin 1993); c) fixation du montant de l’allocation en fonction du salaire réduit (décision du 23 juin 1993) et d) réduction temporaire de l’allocation du fait du refus d’accepter un emploi qui pouvait lui convenir. Le tribunal a statué dans une décision du 4 juillet 1996, en ce qui concerne la première décision attaquée [décision a)], que la municipalité était fondée à imposer de nouvelles mesures disciplinaires et que l’argument de l’auteur qui invoquait le principe ne bis in idem n’était pas valable parce que les premières mesures disciplinaires avaient été annulées et que la deuxième décision de la municipalité remplaçait la première. Le tribunal a toutefois considéré que la sanction consistant en une réduction totale de 10 000 florins était toujours disproportionnée par rapport à la nature de la faute de service. Pour ce qui est de la deuxième décision attaquée [décision b)], il a considéré que le licenciement de l’auteur du fait de l’impossibilité de lui retrouver un emploi approprié n’était pas déraisonnable. La troisième décision [décision c)] a été annulée par le tribunal − qui pourtant en approuvait le fondement − comme conséquence de sa décision concernant le grief a). Enfin, en ce qui concerne la quatrième décision attaquée [décision d)], le tribunal de district a débouté l’auteur, considérant qu’il n’avait pas le droit de refuser le travail, et qu’en pareil cas, la loi prévoit la réduction des allocations telle qu’elle lui a été imposée.

2.7Suite au recours, la Commission centrale de recours a décidé en dernier ressort, le 22 janvier 1998, de confirmer la décision du tribunal de district datée du 4 juillet 1996.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il est victime d’une violation du droit à une indemnisation, prévu par la loi, en réparation de la sanction illégale, qui lui a été infligée, du droit de ne pas être puni une deuxième fois pour une infraction qui avait fait l’objet d’une décision finale, du droit de ne pas être puni pour un acte qui ne constituait pas une infraction au moment des faits, du droit de ne pas faire l’objet de discrimination au motif de l’âge, du droit d’exprimer librement son opinion ainsi que du droit de ne pas être soumis à un traitement inhumain.

3.2L’auteur fait valoir qu’il a été puni plusieurs fois pour les mêmes faits de par les décisions de son employeur du 25 septembre 1990, du 5 janvier et du 8 juin 1993, et que ce préjudice n’a pas été réparé en dépit de la décision de la Commission centrale de recours qui lui était favorable, ce qui constitue une violation des paragraphes 6 et 7 de l’article 14.

3.3L’auteur fait valoir ce que la Commission centrale de recours, en ajoutant l’obligation de démissionner aux autres peines, lui a infligé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment de l’infraction, ce qui constitue une violation de l’article 15 du Pacte.

3.4L’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 ou du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte, parce que le tribunal n’a pas appliqué la législation qui empêchait qu’on l’oblige à travailler alors qu’il avait atteint l’âge de 55 ans et lui a imposé plusieurs peines pour les mêmes faits lorsqu’il a été décidé qu’il devait démissionner, alors que la loi l’interdit.

3.5L’auteur dit avoir été sanctionné pour faute de service et diffamation pour avoir rédigé un rapport dans lequel il se plaignait du traitement que lui avaient infligé ses supérieurs alors que le rapport en question reposait sur des faits concrets et n’avait été adressé qu’à la municipalité pour laquelle il travaillait, ce qui constitue une violation du droit à la liberté d’expression énoncé au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

3.6L’auteur fait valoir qu’il a été victime d’un traitement inhumain, en violation de l’article 7 du Pacte, parce que la Commission centrale de recours a tiré argument de son état de santé pour justifier son licenciement, et parce que la procédure dans son ensemble a été très longue.

Réponse de l’État partie quant à la recevabilité

4.1Par note verbale datée du 1er octobre 2001, l’État partie a informé le Comité qu’il contestait la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas porté les griefs qui font l’objet de la communication soumise au Comité devant les tribunaux nationaux. L’auteur n’a donc pas rempli la condition de recevabilité énoncée à l’article 2 du Protocole facultatif.

4.3En outre, en ce qui concerne l’allégation de violation des articles 14 et 15 du Pacte, ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce, puisque l’auteur n’a pas fait l’objet de poursuites du fait de la teneur du rapport qu’il a envoyé à la municipalité.

4.4L’État partie relève en outre qu’en aucune circonstance, l’auteur n’a été soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 7 du Pacte.

4.5En ce qui concerne la plainte pour traitement discriminatoire (art. 26 du Pacte) et pour atteinte à la liberté d’expression (art. 19 du Pacte), l’État partie objecte que l’auteur n’a avancé aucun argument valable.

4.6L’État partie se réfère à la décision d’irrecevabilité rendue le 29 octobre 1998 par la Commission européenne des droits de l’homme dans la même affaire: la Commission, après avoir étudié les pièces soumises par l’auteur, a conclu qu’elles ne font pas apparaître de violation des droits énoncés dans la Convention européenne et ses Protocoles. Il affirme donc que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que la plainte n’est pas étayée et renvoie aux décisions du Comité dans les affaires nos 419/1990, 379/1989, 378/1989, 341/1988 et 329/1988.

Commentaires de l’auteur

5.1Par des lettres datées du 20 novembre 2001 et du 20 février 2002, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur la réponse de l’État partie.

5.2Au sujet de l’objection de non‑épuisement des voies de recours internes opposée par l’État partie, l’auteur fait valoir qu’il a porté ses griefs devant la juridiction nationale la plus élevée et considère donc qu’il a épuisé tous les recours internes.

5.3En ce qui concerne l’objection de l’État partie qui affirme que les articles 14 et 15 du Pacte ne s’appliquent pas parce qu’il n’a pas fait l’objet de poursuites, l’auteur avance qu’il a néanmoins été puni trois fois pour les mêmes faits et que la peine qui lui a été infligée était plus lourde que celle qui était prescrite par la loi, ce qui constitue une violation desdits articles.

Délibérations du Comité

6.Le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a décidé le 12 février 2002 d’examiner la question de la recevabilité et le fond de la communication séparément.

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il a été puni plusieurs fois pour les mêmes faits, dans les décisions prises par son employeur le 25 septembre 1990, les 5 janvier et 8 juin 1993, que le préjudice n’a pas été réparé malgré la décision en sa faveur de la Commission centrale de recours et que cette dernière, en ajoutant l’obligation de démissionner à d’autres peines, lui a infligé une peine plus lourde que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise, ce qui constitue une violation des paragraphes 6 et 7 de l’article 14 et de l’article 15 du Pacte, le Comité note que les dispositions du Pacte invoquées visent les infractions pénales, alors que l’auteur n’a été l’objet que de mesures disciplinaires, et note aussi que les éléments dont il est saisi ne portent pas sur une «infraction pénale» ou un «acte délictueux» au sens des articles 14 et 15 du Pacte. Cette partie de la communication ne relève pas du champ d’application du Pacte et est irrecevable, ratione materiae, au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne le fait que d’après la décision de la Commission centrale de recours, la loi néerlandaise ne conférait pas à l’auteur, qui avait atteint l’âge de 55 ans, le droit de refuser un nouvel emploi, le Comité note que l’auteur n’a pas démontré le contraire en produisant des documents valables. En conséquence, le Comité conclut que l’allégation de violation de l’article 26, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 5, n’est pas étayée, aux fins de la recevabilité de la communication, et qu’elle est de ce fait irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne le grief d’atteinte à la liberté d’expression, le Comité note que prendre des mesures disciplinaires ou autres à l’encontre d’un employé de mairie au motif qu’il a rédigé un rapport critique envers son employeur, lequel qualifie le libellé de diffamatoire, pourrait soulever des questions au regard de l’article 19 du Pacte. Toutefois, puisque toutes les sanctions disciplinaires imposées pour ce motif ont été par la suite annulées par les tribunaux de l’État partie, le Comité considère que l’auteur n’est plus fondé à se déclarer victime d’une violation de l’article 19 du Pacte. En conséquence, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte au motif que l’auteur aurait été soumis à un traitement inhumain du fait de la décision de la Commission centrale de recours de l’autoriser à travailler sous certaines conditions, et de l’inexécution par son employeur des décisions de la Commission centrale de recours qui lui étaient favorables, le Comité conclut que l’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité de sa communication, en quoi ce traitement pourrait soulever des questions au titre de l’article 7 du Pacte.

7.7Étant donné les conclusions qui précèdent, le Comité n’a pas à examiner les autres arguments de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et transmise pour information à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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