Présentée par:

M. C. [nom supprimé](représenté par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

23 novembre 1999 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 86 et à l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 décembre 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

28 octobre 2002

Le 28 octobre 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 900/1999. Le texte est annexé au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE *

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Soixante ‑seizième session

concernant la

Communication n o  900/1999 **

Présentée par:

M. C. [nom supprimé](représenté par un conseil, M. Nicholas Poynder)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Australie

Date de la communication:

23 novembre 1999 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 900/1999, présentée au nom de M. C. en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations adoptées au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, lettre initiale datée du 23 novembre 1999, est M. C., citoyen iranien, né le 15 janvier 1960, actuellement détenu à la prison de Port Phillip, à Melbourne. Il se dit victime de violations par l’Australie des articles 7 et 9, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil.

1.2Après la présentation de la communication au Comité des droits de l’homme le 23 novembre 1999, une demande d’adoption de mesures provisoires en application de l’article 86 du règlement intérieur a été communiquée à l’État partie le 2 décembre 1999, lui demandant de surseoir à l’expulsion de l’auteur en attendant que le Comité examine son cas.

Rappel des faits

2.1L’auteur, qui a des liens de famille étroits en Australie mais aucun en Iran, a séjourné légalement en Australie du 2 février 1990 au 8 août 1990, puis a quitté le pays. Le 22 juillet 1992, l’auteur est revenu en Australie avec un visa de touriste, mais sans billet de retour, et il a été arrêté, en tant que «non‑citoyen» sans visa d’entrée, et placé en détention (rétention) en vertu de l’article 89 de la loi de 1958 sur les migrations (Migration Act alors en vigueur) en attendant son expulsion («la première détention»).

a) Première demande d’octroi du statut de réfugié

2.2Le 23 juillet 1992, l’auteur a présenté une demande d’octroi du statut de réfugié, en raison d’une crainte justifiée d’être victime d’une persécution religieuse en Iran en tant que chrétien assyrien. Le 8 septembre 1992, la demande a été rejetée par le représentant du Ministre de l’immigration et des affaires multiculturelles. Le 26 mai 1993, le Comité d’examen du statut de réfugié a confirmé le refus et l’auteur a fait appel devant la Cour fédérale.

b) Demande de mise en liberté provisoire adressée au Ministre

2.3En juin 1993, l’auteur a demandé au Ministre de l’immigration de le mettre en liberté provisoire en attendant que la Cour fédérale statue sur sa demande d’octroi du statut de réfugié. Le 23 août 1993, le représentant du Ministre a rejeté la demande, en faisant observer que l’article 89 de la loi sur les migrations ne permettait pas de libérer une personne, sauf si elle était expulsée d’Australie ou se voyait accorder un visa d’entrée. Le 10 novembre 1993, la Cour fédérale a rejeté la requête de l’auteur demandant le réexamen de la décision du Ministre par un organe juridictionnel, en confirmant que l’article 89 de la loi sur les migrations ne conférait, expressément ou implicitement, aucun pouvoir discrétionnaire/résiduel permettant de libérer une personne détenue en vertu de cette loi. Le 15 juin 1994, la Chambre plénière de la Cour fédérale a rejeté un nouvel appel de l’auteur. Elle a notamment rejeté l’argument selon lequel le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte allait dans le sens d’une interprétation de l’article 89 comme autorisant seulement une période minimale de détention et impliquant, en cas de besoin, un pouvoir de remise en liberté en attendant qu’il soit statué sur une demande d’octroi du statut de réfugié.

c) Mise en liberté pour troubles mentaux et deuxième demande d’octroi du statut de réfugié

2.4Le 18 août 1993, l’auteur a fait l’objet d’une expertise psychologique, suite à des «préoccupations concernant son état de santé physique et mental après une longue incarcération». L’auteur, qui a tenté de se suicider par électrocution, a refait une tentative et présentait des symptômes se situant «aux extrêmes sur toutes les échelles d’évaluation de la dépression». Des tranquillisants lui avaient été prescrits en août 1992 et de mars à juin 1993. La psychologue, observant chez lui un «tremblement ralenti», a estimé que sa paranoïa n’était «pas surprenante». Elle a relevé «de nombreux signes des souffrances vécues pendant les 12 mois d’emprisonnement», a constaté qu’il était «activement suicidaire» et «représentait un grave danger pour lui‑même». Il ne pouvait supporter les visites de sa famille, car il avait acquis «un sentiment de persécution au centre et croyait que les autres parlaient fort pour le gêner». Selon elle, «s’il était libre, il pourrait retrouver un équilibre mental».

2.5Le 15 février 1994, l’auteur a de nouveau fait l’objet d’une expertise psychiatrique en raison de l’aggravation de son état. L’expert a recommandé une «nouvelle expertise et un nouveau traitement psychiatriques d’urgence», qui aurait peu de chance d’être efficace si l’auteur restait en détention. L’auteur «avait besoin d’urgence d’échapper à ces conditions [de détention]», et il fallait «explorer d’urgence» d’autres dispositions appropriées à l’extérieur du centre afin d’éviter «le risque d’autoagressivité ou de troubles du comportement si des mesures n’étaient pas prises d’urgence». Le 18 juin 1994, à la demande du personnel du centre de rétention, le même expert a réexaminé l’auteur. L’expert a constaté une aggravation significative de l’état de l’auteur, qui manifestait le sentiment accru d’être surveillé et persécuté et des «délires caractérisés». Comme précédemment, la dépression était importante, et l’expert considérait que l’auteur était maintenant en proie «à des troubles délirants caractérisés conjugués à des symptômes dépressifs». Son état nécessitait à l’évidence des médicaments antipsychotiques et probablement des antidépresseurs par la suite. Comme l’état de l’auteur était «dû essentiellement au stress prolongé du maintien en détention», l’expert a recommandé la libération et un traitement externe. Il a toutefois averti que «rien ne garantissait que les symptômes disparaîtraient rapidement même si l’intéressé était libéré et [qu’]un traitement psychiatrique spécialisé serait nécessaire après la libération pour suivre le processus de guérison».

2.6Le 10 août 1994, conformément à l’article 11 de la loi sur les migrations, l’auteur a été libéré et confié à la garde de sa famille en raison de ses besoins spéciaux en matière de santé (mentale). À ce moment‑là, l’auteur avait un comportement délirant et suivait un traitement psychiatrique. Le 29 août 1994, l’auteur a de nouveau demandé le statut de réfugié, qui lui a été accordé le 8 février 1995 compte tenu de ce qu’il avait vécu en Iran en tant que chrétien assyrien, et de l’aggravation de la situation de cette minorité religieuse en Iran. A été prise en compte aussi «l’aggravation sensible de son état psychiatrique pendant la période prolongée de sa détention ainsi que le diagnostic de troubles délirants, de psychose paranoïde et de dépression nécessitant un traitement pharmaceutique et psychothérapeutique», état qui accentuerait la réaction hostile des autorités iraniennes ainsi que le caractère excessif de la réaction de l’auteur. Le 16 mars 1995, l’auteur a obtenu le visa de protection lui reconnaissant le statut de réfugié.

d) Actes délictueux et procédures pénales

2.7Le 20 mai 1995, en proie au délire et armé de couteaux, l’auteur s’est introduit de force au domicile d’une amie et parente par alliance, Mme A., et s’est caché dans un placard. Le 17 août 1995, jugé pour présence illicite dans des locaux et dégâts causés intentionnellement à des biens, il a plaidé coupable et a fait l’objet d’une mesure non privative de liberté à accomplir en milieu ouvert et accompagnée d’un traitement psychiatrique. Le 1er novembre 1995, l’auteur est retourné chez Mme A., a causé des dégradations matérielles et menacé de la tuer, puis a été arrêté. Le 18 janvier 1996, l’auteur a menacé par téléphone Mme A. de la tuer, a été de nouveau arrêté et placé en garde à vue. À la suite des deux derniers incidents, le 10 mai 1996, l’auteur a été reconnu coupable par le County Court de Victoria de cambriolage à main armée et de menaces de mort, et a été condamné à une peine cumulative de trois ans et demi d’emprisonnement (avec 18 mois de période de sûreté). L’auteur n’a pas fait appel de la condamnation.

e) Arrêté d’expulsion et procédures d’examen

2.8Le 16 décembre 1996, l’auteur a été interrogé par un représentant du Ministre en vue d’une éventuelle expulsion en tant que non‑citoyen séjournant en Australie depuis moins de 10 ans qui avait commis un crime et avait été condamné à un an de prison au moins. Le 21 octobre 1996, l’auteur a fait l’objet d’une expertise psychiatrique à la demande du représentant du Ministre. Selon cette expertise, aucune maladie ne s’était manifestée auparavant chez l’auteur et ses croyances de persécution d’origine morbide se sont développées en détention, il n’y avait donc «guère de doute qu’un lien de causalité directe existait entre le délit pour lequel il est actuellement incarcéré et les croyances de persécution dues à de sa maladie [schizophrénie paranoïde]». Selon l’expertise, à la suite du traitement reçu, l’auteur présentait un risque moindre de commettre d’autres actes déclenchés par sa maladie, mais continuait à nécessiter un suivi psychiatrique sérieux. Le 24 janvier 1997, l’auteur a fait l’objet d’une nouvelle expertise psychiatrique qui a abouti aux mêmes conclusions. Le 8 avril 1997, le Ministre a ordonné l’expulsion de l’auteur sur la base de ces expertises.

2.9Le 24 avril 1997, l’auteur a fait appel de l’arrêté d’expulsion devant le Tribunal des recours administratifs (AAT). Le 28 juillet 1997 et le 1er août 1997, l’auteur a fait l’objet d’autres expertises psychiatriques. Le 26 septembre 1997, le Tribunal des recours administratifs a rejeté le recours de l’auteur tout en semblant accepter que la maladie mentale de l’auteur était causée par sa détention prolongée dans le centre de rétention. Le 11 novembre 1997, le psychiatre qui suivait l’auteur pendant l’accomplissement de sa peine est intervenu motu proprio auprès du Ministre en faveur de l’auteur. Le 29 juillet 1998, l’auteur a gagné son appel devant la Cour fédérale d’Australie, au motif que ses troubles mentaux et sa situation personnelle n’avaient pas suffisamment été pris en compte pour apprécier si les menaces de mort étaient un «crime ou délit particulièrement grave» qui, en vertu de l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 («la Convention»), pourrait justifier le refoulement. L’affaire a donc été renvoyée devant le Tribunal des recours administratifs. En mars 1998, l’auteur a commencé un nouveau traitement (Clorazil) qui a été suivi d’améliorations spectaculaires de son état de santé.

2.10Le 26 octobre 1998, le Tribunal des recours administratifs, siégeant dans une composition différente, a de nouveau confirmé la décision d’expulsion après réexamen de l’affaire. Il a conclu que, même si l’auteur pouvait connaître une récidive de comportement délirant en Iran, ce qui, vu son appartenance ethnique et religieuse, risquait d’entraîner une privation de liberté, cela ne serait pas «en raison de» sa race ou de sa religion. Par conséquent, le cas de l’auteur ne relevait pas des dispositions de la Convention. Le Tribunal a également constaté que, si l’auteur pouvait se maîtriser lorsqu’il prenait les médicaments appropriés, il ne se considérait toutefois pas comme malade et risquait vraiment de cesser de prendre ses médicaments. Tout en constatant qu’il «n’était pas certain» que l’auteur puisse se procurer du Clorazil en Iran, le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le niveau des soins de santé en Iran. Néanmoins, il a considéré qu’il existait un risque sérieux que l’auteur ne se mette pas en quête d’un traitement approprié, et en particulier de Clorazil, sans lequel ses délires psychotiques reviendraient. Le Tribunal a considéré que rien ne prouvait que l’auteur trouverait un traitement de soutien en Iran au cas où il ne prendrait pas son médicament et que la probabilité d’une récidive de la maladie était plus grande en Iran qu’en Australie. Le Tribunal n’a formulé aucune conclusion sur la cause de la maladie mentale de l’auteur.

2.11Le 23 novembre 1998, l’auteur a de nouveau fait appel de la décision du Tribunal des recours administratifs devant la Cour fédérale. Le 4 décembre 1998, l’auteur a obtenu une libération conditionnelle (condamnation pénale) assortie de conditions rigoureuses, mais il est resté détenu au centre de rétention en attendant que son appel de la décision du Tribunal des recours administratifs soit examiné. Le 15 janvier 1999, la Cour fédérale, en procédure accélérée, a de nouveau admis l’appel formé par l’auteur contre la décision du Tribunal des recours administratifs. Elle a conclu que ce dernier avait mal interprété la protection conférée par l’article 33 de la Convention (relative au statut des réfugiés) et qu’en outre, il n’avait pas pris convenablement en considération les circonstances atténuantes liées à l’état mental de l’auteur au moment où il a commis les délits. La Cour a renvoyé l’affaire au Tribunal des recours administratifs pour qu’il l’examine d’urgence et a par conséquent rejeté la requête de l’auteur demandant une mise en liberté provisoire. Le 5 février 1999, le Ministre a fait appel de la décision de la Cour fédérale devant la Chambre plénière de la Cour fédérale («The Full Court»). Le 20 juillet 1999, la Chambre plénière a admis l’appel du Ministre de la décision du 15 février 1999, estimant que les conclusions du Tribunal des recours administratifs dans «un cas extrêmement difficile», tout en étant «discutables», n’étaient pas contredites par les éléments de preuve dont il était saisi et reflétaient un équilibre entre les différents facteurs. La Cour a noté que «si [sa] maladie peut être contrôlée par des médicaments disponibles en Australie [Clorazil], ce médicament n’est probablement pas disponible en Iran». En conséquence, la décision a eu pour effet de maintenir l’arrêté d’expulsion. Le 5 août 1999, l’auteur a présenté à la Haute Cour (High Court) une demande d’autorisation spéciale de faire appel de la décision de la Chambre plénière. Le 11 février 2000, cette demande a été rejetée.

f) Demandes adressées au Ministre

2.12Le 19 janvier 1999, à la suite de la deuxième décision de la Cour fédérale rendue en faveur de l’auteur contre le Tribunal des recours administratifs, puis en février et mars, l’auteur s’est adressé au Ministre pour demander la révocation de l’arrêté d’expulsion et sa mise en liberté (il était retenu en vertu de la loi sur l’immigration), en fournissant un abondant dossier médical à l’appui.

2.13Les 11 et 18 mars 1999, le Ministre a décidé qu’il n’ordonnerait pas la libération de l’auteur et que ce dernier resterait en détention (rétention). Le 29 mars 1999, l’auteur a demandé à la Cour fédérale que la décision du Ministre soit examinée par un organe juridictionnel. Le 8 avril 1999, l’auteur a présenté une demande en référé en attendant la décision de la Cour fédérale sur la demande principale du 29 mars. Le 20 avril 1999, la Cour fédérale a rejeté la demande de réexamen de la décision du Ministre de ne pas le libérer. La Cour a considéré que, si l’on pouvait se poser sérieusement la question de savoir si le Ministre avait pris en compte une considération sans objet en prenant sa décision, tout bien pesé, la balance penchait en faveur du rejet vu l’imminence de l’examen de l’appel formé devant la Chambre plénière concernant la décision du Tribunal des recours administratifs. Le 19 mai 1999, le Ministre a indiqué les raisons pour lesquelles il avait refusé la mise en liberté de l’auteur. S’appuyant en partie sur les décisions du Tribunal des recours administratifs qui avaient été révoquées en appel, il a estimé que la possibilité d’une récidive de la part de l’auteur était assez élevée et a conclu que ce dernier constituait un danger persistant pour la communauté et pour sa victime. Le 15 octobre 1999, le Ministre a répondu aux requêtes des 6 et 22 septembre 1999, et du 15 octobre 1999, demandant la révocation de l’arrêté d’expulsion et/ou la mise en liberté provisoire en attendant qu’il soit statué définitivement sur cette affaire. Il a rejeté la demande de mise en liberté provisoire et a déclaré qu’il continuait à examiner la demande de révocation de l’arrêté d’expulsion. En décembre 2000, à la suite de nouvelles demandes d’intervention, le Ministre a refusé de libérer l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation des droits que lui reconnaît l’article 7 à un double titre. Premièrement, les circonstances et la durée de sa détention (depuis son arrivée le 22 juillet 1992 jusqu’au 10 août 1994) ont déclenché chez lui une maladie mentale dont il ne souffrait pas auparavant. Les experts médicaux sont unanimes à conclure que cette maladie psychiatrique sévère est due à son incarcération prolongée, et cette conclusion a été acceptée par le Tribunal des recours administratifs et les tribunaux. L’auteur affirme qu’il a été emprisonné à l’origine sans aucune preuve qu’il présente un risque ou un autre danger pour la communauté. Il aurait pu être remis en liberté en milieu ouvert sous caution ou sous d’autres conditions telles que l’assignation à résidence ou l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités. L’auteur affirme également que son maintien actuel en détention est contraire à l’article 7.

3.2Deuxièmement, l’auteur estime qu’il y a violation de l’article 7 par l’Australie en ce sens que, s’il était expulsé vers l’Iran, il courrait un risque réel d’être victime d’une violation par l’Iran des droits que lui reconnaît le Pacte, au moins de l’article 7 et éventuellement aussi de l’article 9. À ce sujet, il mentionne la jurisprudence du Comité selon laquelle il peut y avoir violation du Pacte lorsqu’un État partie expulse une personne relevant de sa juridiction dans des circonstances telles que la conséquence nécessaire et prévisible sera une violation des droits de cette personne protégés par le Pacte dans un autre État. Il considère que la représentant e du Ministre a constaté que l’auteur avait des craintes justifiées d’être persécuté en Iran en raison de sa religion et parce que son état psychologique pouvait appeler sur lui l’attention des autorités et aboutir à une mesure de privation de liberté dans des conditions constituant une persécution. Loin d’être infirmé dans les procédures ultérieures, cette position a été confirmée par le Tribunal des recours administratifs. En outre, l’auteur fait valoir que l’attitude de l’Iran vient étayer la conclusion selon laquelle, dans l’hypothèse d’une expulsion, l’auteur sera exposé à une violation de ses droits protégés par le Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre que sa détention prolongée en Australie dès son arrivée est contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte car il a été arrêté et détenu dès son arrivée en vertu des dispositions impératives (non discrétionnaires) de l’article 89 de la loi sur les migrations (en vigueur à l’époque). Ces dispositions ne prévoient aucun réexamen de la mesure de détention, que ce soit par un organe judiciaire ou administratif. L’auteur considère que son cas relève des principes énoncés par le Comité dans ses constatations concernant A . c. Australie, dans lesquelles le Comité a estimé que la détention, même celle d’un immigrant en situation illégale, qui n’a ni été réexaminée périodiquement ni autrement justifiée, constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9 et que l’absence d’examen par un organe judiciaire ayant la possibilité d’ordonner une mise en liberté était une violation du paragraphe 4 de l’article 9. L’auteur a souligné que, comme dans le cas de A, rien ne justifiait sa détention prolongée et que la législation actuelle avait le même effet, à savoir le priver de la possibilité de demander qu’un organe judiciaire réexamine sa détention. Pour ces violations de l’article 9, l’auteur demande une réparation adéquate pour sa détention‑rétention en invoquant le paragraphe 3 de l’article 2. L’auteur affirme aussi que la détention dont il fait actuellement l’objet est une violation de l’article 9.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

4.1Dans des observations du 1er mars 2001, l’État partie a répondu à la fois sur la recevabilité des plaintes de l’auteur et sur le fond.

4.2Pour ce qui est de la recevabilité des plaintes formulées au titre de l’article 7, l’État partie fait valoir que la plupart d’entre elles sont irrecevables. En ce qui concerne la première plainte, à savoir que la détention prolongée est une violation de l’article 7, l’État partie considère que cette allégation n’est pas fondée, qu’elle n’entre pas dans le champ d’application de l’article 7 et que les recours internes n’ont pas été épuisés. L’auteur n’a produit aucune preuve démontrant que des actes ou des pratiques imputables à l’État partie, allant au‑delà du simple fait de la détention, auraient pu rendre sa détention particulièrement pénible ou répréhensible. Le seul élément de preuve présenté par l’auteur est qu’il a développé une schizophrénie paranoïde pendant sa détention, mais il n’a pas démontré que sa maladie mentale ait été causée par d’éventuels mauvais traitements du type de ceux qu’interdit l’article 7. Deuxièmement, comme la plainte est en réalité une attaque contre la détention de l’auteur proprement dite en soi plutôt que contre un traitement ou un aspect répréhensible liés à cette détention, elle ne relève pas de l’article 7 comme l’a déjà déterminé le Comité. Troisièmement, l’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il pouvait déposer plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances, qui fait rapport au Parlement, ou auprès de l’Ombudsman du Commonwealth, qui peut recommander une réparation, notamment une indemnisation.

4.3En ce qui concerne la deuxième partie de la plainte présentée au titre de l’article 7, qui met en cause la responsabilité de l’État pour une violation ultérieure en Iran des droits reconnus à l’auteur par l’article 9, l’État partie fait valoir que cela n’entre pas dans le champ d’application de l’article 7. L’État partie affirme que l’interdiction du refoulement en vertu de l’article 7 est limitée aux risques de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Cette interdiction ne s’applique pas aux violations de l’article 9, la détention en soi n’étant pas une violation de l’article 7. En outre, le Comité n’a jamais déclaré que l’article 9 comportait une obligation de non‑refoulement comparable. Selon l’interprétation de l’État partie, les constatations du Comité dans l’affaire ARJ c. Australie signifient que les garanties d’une procédure régulière n’entrent pas dans le champ d’application de l’interdiction du non‑refoulement et l’État partie fait valoir que, par analogie, il en va de même des violations potentielles de l’article 9.

4.4Quant aux plaintes formulées au titre de l’article 9, l’État partie ne conteste pas la recevabilité de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 9, mais considère que la plainte formulée au titre du paragraphe 4 de l’article 9 est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et absence d’éléments de preuve à l’appui. L’État partie affirme que la première période de détention de l’auteur a été examinée et déclarée légale par un juge unique et, en appel, par la C hambre plénière de la Cour fédérale. À aucun stade de la première ou de la deuxième détention‑rétention l’auteur n’a formé de recours en habeas corpus ni invoqué la compétence de la Haute Cour (High Court) pour demander une ordonnance de mandamus ou une autre mesure. L’État partie rappelle que de simples doutes sur l’utilité des recours ne dispensent pas le plaignant de l’obligation de les utiliser. L’État partie fait également valoir que l’auteur se plaint en fait qu’il n’y avait aucun moyen pour lui de demander à être remis en liberté, soit par la voie administrative soit par la voie judiciaire. Il n’a produit aucun élément de preuve pour montrer en quoi le paragraphe 4 de l’article 9 avait été violé et, comme on l’a déjà indiqué, il a effectivement contesté la légalité de sa détention à plusieurs reprises. Par conséquent, sa plainte n’est pas suffisamment étayée.

4.5En ce qui concerne le bien‑fondé des allégations, l’État partie considère que toutes sont sans fondement.

4.6Au sujet de la première partie de la plainte formulée au titre de l’article 7 (concernant la détention‑rétention de l’auteur), l’État partie note que le Comité n’a pas établi de distinctions nettes entre les éléments de l’article 7, mais qu’il a défini de grandes catégories. Il observe que la torture s’entend d’un traitement délibéré visant à infliger une souffrance particulièrement intense et cruelle pour atteindre un certain objectif. Les peines ou traitements inhumains ou dégradants sont des actes (infligés principalement en détention) qui doivent atteindre un seuil minimal de gravité, mais qui ne constituent pas des actes de torture. Les peines ou traitements «dégradants» sont le niveau le «plus faible» de violation de l’article 7, où la gravité des souffrances est moins importante que le degré d’humiliation ou d’avilissement infligés à la victime.

4.7Par conséquent, il est clair que si des conditions de détention particulièrement pénibles peuvent constituer une violation de l’article 7 (que les souffrances soient physiques ou morales), la détention en soi n’est pas une violation de l’article 7. Dans l’affaire Vuolanne c. Finlande, le Comité a considéré «qu’une peine n’est dégradante que si l’humiliation ou l’abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et, en tout état de cause, s’il comporte des éléments qui dépassent le simple fait d’être privé de liberté». De même, le Comité a toujours considéré que même des détentions prolongées dans «un quartier de condamnés à mort» ne constituent pas une violation de l’article 7. Pour qu’une détention constitue une violation de l’article 7, il faut que le traitement des détenus comporte un élément répréhensible.

4.8Évaluant les conditions générales de la rétention en vertu de la loi sur l’immigration à la lumière des normes susmentionnées, l’État partie souligne que, pour assurer le bien‑être de toutes les personnes détenues à ce titre, il a établi les normes de rétention (Immigration Detention Standards) qui régissent les conditions de vie des détenus dans les centres de rétention et précisent la nature particulière des services qui doivent être disponibles pour les personnes retenues. Ces normes concernent la protection de la vie privée; les soins de santé et la sécurité; les activités spirituelles, sociales, éducatives et récréatives; la présence d’interprètes ainsi que la formation du personnel à la diversité et aux valeurs culturelles. L’État partie est d’avis que les conditions régnant dans le centre de rétention de Melbourne (MIDC) sont humaines et assurent le confort des résidents qui attendent qu’il soit statué sur leur demande de visa.

4.9En ce qui concerne la situation particulière de l’auteur, il n’a à aucun moment adressé une plainte au Département de l’immigration et des affaires multiculturelles (DIMA), à l’Ombudsman du Commonwealth, à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances ou au Haut‑Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, possibilités qui faisaient l’objet d’une large diffusion. L’auteur a toujours été traité avec humanité au centre de rétention de Melbourne (MIDC), où le personnel lui a porté une attention prioritaire et a veillé à son intégrité et à son bien‑être physiques et mentaux en lui prodiguant des soins allant au‑delà du régime ordinaire. Par exemple, à la suite de ses plaintes sur le niveau sonore, le personnel du centre de rétention de Melbourne a diminué le volume sonore du système d’annonces et réduit le nombre des annonces faites pendant la journée. En outre, lorsqu’il s’est plaint de ne pas pouvoir dormir à cause du bruit dans la zone des dortoirs, on lui a proposé de dormir ailleurs. De même, avant qu’il ne soit mis en liberté et confié à la garde de sa famille, le personnel du centre de Melbourne avait pris des dispositions pour qu’il aille dans sa famille une fois tous les 15 jours pour prendre un repas en famille et échapper à la routine du centre. Enfin, le 10 août 1994, l’auteur a été mis en liberté et confié à sa famille, lorsqu’il est apparu que son état psychologique justifiait cette mesure. De plus, il a toujours reçu des soins médicaux adéquats dispensés par des professionnels.

4.10En ce qui concerne la schizophrénie paranoïde développée par l’auteur, l’État partie affirme qu’une abondante bibliographie indique de manière convaincante qu’il existe une prédisposition génétique à la schizophrénie. Par conséquent, il est très regrettable que les symptômes de sa schizophrénie se soient développés chez l’auteur pendant sa détention, mais il était probablement prédisposé à cette maladie et son apparition n’est pas nécessairement la conséquence des conditions dans lesquelles il était détenu. S’il est indéniable que toute privation de liberté peut causer un certain stress psychologique, ce stress ne constitue pas un traitement cruel, inhumain ou dégradant (et certainement pas une peine). En tout état de cause, il est médicalement avéré que le développement de la schizophrénie n’est pas lié au fait d’être soumis à un «agent stressant caractérisé».

4.11Quant à la deuxième partie des plaintes formulées au titre de l’article 7 (concernant des violations futures des droits de l’auteur en Iran en cas d’expulsion), l’État partie admet qu’il est soumis à une obligation limitée de ne pas exposer l’auteur à des violations des droits que lui reconnaît le Pacte en le renvoyant en Iran. Il estime toutefois que cette obligation ne s’étend pas à tous les droits énoncés dans le Pacte, mais qu’elle est limitée aux droits les plus fondamentaux seulement, qui concernent l’intégrité physique et mentale de la personne. L’État partie croit comprendre, d’après la jurisprudence du Comité, que cette obligation n’a été prise en compte qu’en cas de menace d’exécution (art. 6) et de torture (art. 7) au retour et estime par conséquent que cette obligation se limite aux deux droits énoncés à l’article 6 et à l’article 7. Concernant l’article 7, l’interdiction doit à l’évidence se rapporter à la substance de cet article, et ne peut donc porter que sur le risque de torture et, éventuellement, de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Selon l’État partie, le Comité a lui‑même déclaré que les actes prohibés par l’article 7 n’englobent pas, par exemple, les garanties d’une procédure régulière protégées à l’article 14. En outre, il est bien établi que le risque d’une violation de l’article 7 doit être réel au sens où ce risque doit être une conséquence nécessaire et prévisible du retour de la personne.

4.12Dans le cas à l’examen, l’État partie réfute l’affirmation de l’auteur selon laquelle son retour en Iran aura pour conséquence nécessaire et prévisible qu’il sera soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et avance trois raisons pour cela.

4.13Premièrement, le statut de réfugié a été accordé à l’auteur en fonction de nombreuses considérations autres que le risque d’une violation de l’article 7. L’État partie affirme que le statut de réfugié a été octroyé à l’auteur parce que ce dernier risquait d’être victime de «persécutions» s’il rentrait en Iran. Selon l’État partie, par «persécutions», on peut entendre un harcèlement persistant pratiqué ou toléré par les autorités. Au sens étroit du terme, la «persécution» signifie la privation de la vie ou de la liberté physique, mais elle comprend aussi les formes de harcèlement que sont le refus d’accès à l’emploi, aux professions libérales ou à l’enseignement, et la restriction des libertés traditionnellement reconnues dans une société démocratique, telle que la liberté d’expression, de réunion, de culte ou la liberté de mouvement. Des facteurs comme la discrimination dans l’emploi, l’éducation et le logement, les difficultés éprouvées pour pratiquer sa religion et l’aggravation de la situation des droits de l’homme en Iran à l’époque ont été pris en compte pour accorder le statut de réfugié à l’auteur. Par conséquent, la persécution est une notion beaucoup plus large que celle visée par l’article 7 du Pacte et l’octroi du statut de réfugié ne doit pas amener le Comité à conclure que le retour de l’auteur en Iran aurait pour conséquence nécessaire et prévisible des violations de l’article 7 à son égard.

4.14Deuxièmement, l’État partie affirme que les rapports du Docteur C. Rubinstein sur la situation des droits de l’homme en Iran, sur lesquels l’auteur s’appuie, déforment la réalité. L’État partie fait valoir que cette situation s’est beaucoup améliorée en Iran ces dernières années, après l’élection d’un président et d’un gouvernement réformistes et renvoie à ce sujet à la déclaration faite par la Haut‑Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme en avril 2000, lorsqu’elle a salué le rapport du Représentant spécial de la Commission des droits de l’homme sur l’amélioration de la situation des droits de l’homme en Iran. Il y a des signes qui indiquent que les relations entre le Gouvernement iranien et les chrétiens assyriens s’améliorent sensiblement.

4.15Selon l’État partie, il semble que les immixtions officielles dans les activités religieuses des chrétiens concernent seulement les chrétiens qui font du prosélytisme et les musulmans qui se convertissent au christianisme; il affirme que les chrétiens assyriens ne cherchent pas à faire des convertis et qu’en réalité ils découragent les musulmans de se convertir. Selon des renseignements émanant de la Mission de l’État partie en Iran, cela signifie qu’ils sont beaucoup moins surveillés et persécutés que les membres d’autres confessions chrétiennes et d’autres confessions minoritaires. À la connaissance du Gouvernement australien, les arrestations, les agressions et les homicides visant les chrétiens dont il est question dans les rapports de M. Rubenstein sont des incidents isolés et ne concernent pas les chrétiens assyriens, mais les chrétiens évangélistes et les apostats.

4.16La Mission australienne en Iran a également fait savoir que les chrétiens assyriens, s’ils respectent les lois du pays, peuvent mener une vie normale sans être inquiétés. Cela fait un certain temps qu’ils ne sont pas en butte à la discrimination du Gouvernement iranien. En outre, les informations dont dispose l’État partie montrent bien que les chrétiens assyriens n’ont jamais été victimes du même degré de harcèlement que les autres religions minoritaires. Ils ont, dans l’ensemble, été autorisés à mener leurs activités religieuses sans ingérence des autorités. Beaucoup de signes montrent aussi que récemment la situation politique des chrétiens assyriens s’est renforcée. Le Président Khatami a rencontré le représentant des chrétiens assyriens au Majlis (Parlement), M. Shamshoon Maqsudpour, qui a également réussi à obtenir des modifications de la loi iranienne afin d’en éliminer toute discrimination dans l’emploi à l’égard des chrétiens.

4.17L’État partie croit comprendre aussi qu’en 1999 la Commission islamique des droits de l’homme, qui dépend du système judiciaire iranien, a commencé à travailler à l’amélioration des droits des minorités religieuses en Iran. Cet effort doit être vu à la lumière de l’engagement pris récemment par le Gouvernement iranien de promouvoir le respect de la légalité, notamment d’éliminer les arrestations et détentions arbitraires, et de mettre le système pénitentiaire, législatif et judiciaire en conformité avec les normes internationales.

4.18L’État partie reconnaît toutefois que l’auteur et sa famille ont fait l’objet d’un harcèlement de la part des «pasdahs» (jeunes miliciens) en Iran. L’auteur a été arrêté et détenu par les pasdars, qui l’ont questionné à propos du contenu de certaines cassettes trouvées dans sa voiture, et l’ont relâché au bout de 48 heures après lui avoir porté plusieurs coups au visage. Une autre fois, sa famille a été arrêtée et détenue pendant environ 24 heures par des pasdars pour avoir servi de l’alcool à une réception. La famille a été relâchée sans avoir subi de violence physique. L’État partie fait valoir que ces événements se sont produits il y a quelques années et que rien n’indique que les pasdars aient voulu s’en prendre spécialement à l’auteur ou à sa famille. Ces deux incidents ne représentent pas une persécution personnelle de l’auteur, qui n’est pas une personnalité en vue chez les chrétiens assyriens.

4.19Le Gouvernement australien est d’avis qu’en réalité la situation d’un chrétien assyrien en Iran est beaucoup moins dure que celle décrite par M. Rubenstein. Dans la plupart des cas, les chrétiens assyriens peuvent pratiquer leur religion et mener une vie normale sans faire l’objet de brimades de la part des autorités iraniennes. Ils sont peut‑être encore en butte à une certaine discrimination dans le domaine du logement, de l’éducation et de l’emploi certes, mais il y a des signes manifestes d’une volonté croissante de la part du Gouvernement iranien de résoudre les différends avec les chrétiens assyriens en particulier, et d’améliorer la situation des droits de l’homme en Iran en général.

4.20Troisièmement, pour ce qui est des effets potentiels de la maladie psychiatrique de l’auteur, l’État partie croit comprendre, d’après les informations fournies par sa Mission en Iran, que les autorités médicales iraniennes connaissent bien les maladies mentales, que les personnes souffrant de maladie mentale (notamment de schizophrénie paranoïde) peuvent recevoir tous les soins appropriés en Iran, aussi bien à domicile qu’à l’hôpital. Il n’y a pas d’obligation non plus de déclarer sa religion lors de l’admission à l’hôpital et rien ne prouve que les chrétiens assyriens auraient un accès limité aux hôpitaux psychiatriques. À la connaissance de l’État partie, il serait sans précédent que des personnes soient détenues arbitrairement ou victimes de violations de l’article 7 pour la simple raison qu’elles souffrent d’une maladie mentale.

4.21L’État partie estime avoir pris toutes les mesures possibles pour bien informer l’auteur de la nature de sa maladie, afin que celui-ci continue à suivre son traitement, et il lui fournira tous les documents médicaux nécessaires pour qu’il continue à se faire soigner à son retour en Iran. Affirmer que l’auteur ne poursuivra pas son traitement médical à son retour en Iran est une pure conjecture, vu que l’auteur a toujours fait preuve de coopération à cet égard en Australie. On ne peut pas affirmer avec certitude que son retour en Iran aura pour conséquence nécessaire la cessation du traitement. Même si l’auteur décidait effectivement d’interrompre la prise des médicaments, le fait d’agir de manière à s’exposer à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ne serait pas une conséquence nécessaire de son retour en Iran. Dans la schizophrénie paranoïde, tout comportement violent ou étrange est lié directement aux délires du malade. Par conséquent, ceux-ci n’ont pas des comportements globalement et constamment agressifs ou extraordinaires. Ce type de comportement est seulement lié à l’objet de leurs pensées délirantes. Dans le cas de l’auteur, ce comportement n’a visé que des personnes très précises, et son dossier ne fait pas apparaître d’antécédents d’un comportement généralement agressif ou hystérique à l’égard des fonctionnaires ou dans les structures ou contextes officiels ou administratifs. Par conséquent, l’État partie n’est pas d’avis que le retour de l’auteur en Iran aura pour conséquence nécessaire une réaction hostile de sa part vis‑à‑vis des autorités iraniennes.

4.22Pour ce qui est des plaintes de l’auteur au titre de l’article 9, l’État partie les considère aussi comme dénuées de tout fondement. Il précise d’emblée que, d’un point de vue juridique, il faut entendre par «détention initiale» la période qui court du jour où, à son arrivée, l’auteur a été placé en état d’arrestation au jour où un visa de protection lui a été délivré en mars 1995, même si, en fait, il a été libéré à titre exceptionnel et remis aux soins de sa famille en août 1994, car la loi veut qu’une personne demeure détenue jusqu’à son expulsion ou l’octroi d’un permis de séjour en Australie. S’agissant de la «détention actuelle» dans l’attente de l’exécution d’un arrêté d’expulsion, la détention n’est pas obligatoire et une personne peut être relâchée pour autant que le ministre le juge bon.

4.23En ce qui concerne la plainte au titre du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie fait valoir que l’interdiction de la privation de liberté n’est pas absolue. S’il va de soi qu’une détention doit être légale au regard de l’ordre juridique interne, il affirme que pour déterminer la dimension arbitraire de la détention dans un cas particulier, il est capital de savoir si les conditions dans lesquelles une personne est détenue sont «raisonnables» et «nécessaires» quelles que soient les circonstances, ou arbitraires dans la mesure où la détention est inappropriée, injuste ou difficilement prévisible. Il souligne que la jurisprudence du Comité ne donne pas à penser que la rétention de personnes arrivées clandestinement ou la détention pendant un laps de temps donné puisse être considérée arbitraire en soi; le facteur déterminant ne résiderait pas dans la durée de la détention, mais plutôt dans la question de savoir si les motifs de la détention sont raisonnables, nécessaires, proportionnels, appropriés et justifiables dans le cas considéré.

4.24Dans le cas présent, l’État partie fait valoir que la détention (rétention) de l’auteur était et est légale, ainsi que raisonnable et nécessaire dans toutes les circonstances, ce en quoi, selon l’État partie, elle se distingue également clairement des faits en jeu dans l’affaire A. c. Australie.

4.25Pour ce qui est de la détention initiale, l’auteur a été placé en détention conformément à la loi, en l’occurrence l’article 89 de la loi de 1958 sur les migrations. Cette détention a été par deux fois confirmée par la justice. Pour ce qui est de son caractère arbitraire, tant les dispositions de la loi sur les migrations en vertu de laquelle l’auteur a été détenu que les circonstances propres à son cas justifiaient sa détention, nécessaire et raisonnable.

4.26L’État partie souligne que la rétention d’office est une mesure exceptionnelle réservée au premier chef aux personnes qui arrivent en Australie sans autorisation. Elle est nécessaire pour s’assurer que les personnes qui pénètrent en Australie en ont bien le droit et que toute la procédure applicable en matière de migration est bien respectée. La rétention de personnes arrivées clandestinement sert à les empêcher d’entrer en Australie avant que les autorités n’aient dûment évalué leur requête et jugé qu’elle justifiait leur entrée dans le pays. Elle donne aussi aux autorités un accès effectif à ces personnes de façon à enquêter et traiter leur requête sans retard et si ces requêtes ne sont pas fondées, à les expulser au plus tôt. L’État partie fait valoir que la rétention de personnes qui arrivent clandestinement est compatible avec les droits fondamentaux de la souveraineté, y compris le droit des États de contrôler les entrées sur leur territoire. En l’absence de système de cartes d’identité ou de dispositif semblable pour autoriser l’accès aux services sociaux, il est plus difficile à l’État partie qu’à d’autres pays dotés d’un tel système de repérer, suivre et appréhender les immigrants illégaux dans la population.

4.27L’État partie sait par expérience que, sauf à contrôler strictement les personnes placées en rétention, il y a de fortes chances qu’elles prennent la fuite et disparaissent dans la population. Il est arrivé que des personnes arrivées clandestinement, tenues de se présenter aux autorités, qui avaient été hébergées dans des foyers pour migrants non clos, s’échappent. De plus, il avait été difficile d’obtenir la coopération des communautés ethniques locales pour les retrouver. Les autorités avaient donc de bonnes raisons de soupçonner que si les intéressés n’étaient pas placés en rétention, et au contraire laissés en liberté au sein de la population dans l’attente d’une décision, ils seraient fortement incités à ne pas respecter leurs conditions de mise en liberté et à se fondre dans la population. L’État partie rappelle que les demandes d’entrée ou de séjour sont toutes examinées scrupuleusement, cas par cas, et que par conséquent sa politique de rétention des personnes arrivées clandestinement est raisonnable, proportionnelle et nécessaire quelles que soient les circonstances. De ce fait, les dispositions en vertu desquelles l’auteur était retenu, tout en exigeant une détention d’office, n’étaient pas arbitraires, puisqu’elles se justifiaient et étaient proportionnelles au vu des motifs décrits plus haut.

4.28Qui plus est, les facteurs individuels à prendre en compte dans la rétention de l’auteur illustrent aussi l’absence d’arbitraire. L’auteur est arrivé avec un visa de touriste, mais sans billet d’avion de retour, et quand on l’a interrogé à l’aéroport, on a constaté qu’il avait fait un certain nombre de fausses déclarations en remplissant le formulaire de demande de visa. Il avait notamment déclaré que son père et sa mère vivaient en Iran alors que son père était décédé et que sa mère vivait en Australie où elle avait demandé le statut de réfugié. Il a aussi déclaré disposer de 5 000 dollars pour son séjour, mais était arrivé sans un sou et a menti à ce sujet lors de l’entretien. Il avait aussi acheté un billet de retour pour obtenir son visa, mais se l’était fait rembourser une fois son visa en poche. On pouvait donc raisonnablement craindre que si on l’autorisait à pénétrer en Australie, il y demeurerait illégalement. La rétention s’avérait donc nécessaire pour l’empêcher de disparaître, elle n’était pas disproportionnée par rapport au but recherché et n’était pas difficile à prévoir, attendu que les dispositions relatives à la rétention étaient en vigueur depuis un certain temps et avaient été publiées.

4.29L’État partie estime aussi qu’il y avait d’autres raisons pour maintenir l’auteur en rétention en attendant que l’on ait statué sur sa demande du statut de réfugié. Comme le traitement de sa demande ne devait pas traîner indûment en longueur, il n’était pas justifié de le remettre en liberté. Le traitement de la demande et la procédure de recours se sont déroulés rapidement au niveau tant de l’organe qui avait à se prononcer en premier que de l’organe de recours, l’auteur étant resté en rétention à peine plus de deux ans. La demande initiale a été traitée en moins de deux mois et le premier réexamen de la décision a pris environ six semaines. En tout, entre le dépôt de la première demande, le 23 juillet 1992, et l’aboutissement de l’examen en première instance et de plusieurs réexamens administratifs de la première demande du statut de réfugié, il s’est écoulé moins d’un an.

4.30L’État partie fait valoir que, une fois que les autorités se sont aperçues que la prolongation de la rétention ne facilitait pas le traitement de la maladie mentale de l’auteur, il a été libéré et confié aux soins de sa famille. De ce fait, si la rétention était obligatoire, elle n’était pas arbitraire, la politique à l’origine des dispositions relatives à la rétention étant suffisamment souple pour prévoir une mise en liberté dans des circonstances exceptionnelles. Aussi ne peut-on prétendre qu’il n’y avait pas de motifs à faire valoir pour demander une mise en liberté, que ce soit par la voie administrative ou par la voie judiciaire.

4.31L’État partie, tout en ne partageant pas les constatations du Comité dans l’affaire A. c. Australie, relève d’importantes différences factuelles avec ce dernier cas. Premièrement, la durée de la rétention était sensiblement inférieure (quelque 26 mois au lieu de 4 ans). Deuxièmement, le temps mis à traiter la demande initiale a été sensiblement plus court (moins de 6 semaines contre 77 semaines). Troisièmement, dans le cas présent, rien ne donne à penser que la durée et les conditions de détention aient empêché l’auteur d’avoir accès à une représentation juridique ni à des visites de ses proches. Enfin, l’auteur a effectivement quitté les lieux de rétention habituels et a été remis aux soins et à la garde de ses proches, l’exécutif ayant exercé son pouvoir discrétionnaire à cet effet.

4.32Pour ce qui est de sa détention actuelle, l’auteur a été légalement placé en rétention, conformément aux articles 253 et 254 de la loi de 1958 sur les migrations, car il avait bénéficié d’une libération conditionnelle suite à sa condamnation à une peine de prison le 4 décembre 1998. Loin d’être arbitraire, cette mesure est nécessaire et raisonnable quelles que soient les circonstances et proportionnée au but recherché, qui est de s’assurer que l’auteur ne disparaîtra pas en attendant d’être expulsé et de protéger la population australienne. Après l’épuisement des recours, l’État partie a suspendu la procédure d’expulsion comme il y était invité par le Comité conformément à l’article 86 de son règlement intérieur, en attendant que l’affaire soit complètement réglée. L’État partie estime par ailleurs qu’il est raisonnable de craindre que l’auteur n’enfreigne ses conditions de mise en liberté et ne disparaisse s’il était libéré.

4.33L’État partie note que son ministre de l’immigration s’est penché personnellement à plusieurs reprises sur les raisons justifiant la prolongation de la rétention et la Cour fédérale, qui a examiné sa décision du 11 mars 1999 de ne pas libérer l’auteur, l’a jugée justifiée. Les raisons motivant la décision du ministre montrent bien qu’elle n’était pas arbitraire. Les autorités ont passé en revue tous les facteurs pertinents en l’espèce pour décider de ne pas mettre l’auteur en liberté, se fondant sur le risque assez élevé que l’auteur récidive et sur le fait qu’il continuait de représenter un danger pour la collectivité et en particulier pour sa victime, Mme A.

4.34Pour ce qui est de la plainte au titre du paragraphe 4 de l’article 9, l’État partie note que cette disposition exige qu’une personne puisse apprécier la légalité de la détention. Il rejette l’idée émise par le Comité dans A. c. Australie que, dans cette disposition, la «légalité» ne se limitait pas au respect du droit interne et devait être compatible avec le paragraphe 1 de l’article 9 et d’autres dispositions du Pacte. À son avis, rien dans les termes ni la structure du Pacte ni dans les travaux préparatoires ni dans les Observations générales du Comité n’étaye une telle interprétation.

4.35L’État partie recense les différents mécanismes qui existent dans sa législation pour éprouver la légalité de la détention, et déclare qu’il était à tout moment loisible à l’auteur de poursuivre ces mécanismes. Il répète que, pour ce qui est de la première rétention, l’auteur ne l’a jamais contestée directement devant les tribunaux, mais a demandé sa mise en liberté provisoire au ministre en attendant l’issue de son recours contre le rejet de sa demande de statut de réfugié. Par deux fois, les tribunaux ont confirmé la décision du ministre de rejeter sa demande. Pour ce qui est de sa détention actuelle, s’il est vrai que l’auteur a demandé à être mis provisoirement en liberté, à aucun moment par contre, il n’a contesté directement la légalité de sa détention. L’État partie note à ce sujet que l’auteur a demandé en vain à plusieurs reprises sa mise en liberté au ministre et à la cour fédérale. Le fait que les tribunaux n’aient pas statué en sa faveur ne prouve aucunement la violation du paragraphe 4 de l’article 9. En tout état de cause, il n’a pas cherché à exercer les voies de recours qui lui étaient ouvertes pour contester directement sa détention. L’État partie renvoie à l’affaire Stephens c. Jamaïque dont il ressort que le fait de ne pas tirer parti d’une voie de recours existante telle, par exemple, que l’habeas corpus, ne prouve nullement que le paragraphe 4 de l’article 9 a été violé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Par un courrier du 16 mai 2001, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie.

5.2Pour ce qui est des observations de l’État partie sur les recours internes disponibles, l’auteur se réfère à la jurisprudence du Comité selon laquelle de tels recours peuvent s’entendre de recours juridictionnels, surtout dans les cas de violations graves des droits de l’homme, telles qu’une détention arbitraire et prolongée. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas d’obligation de poursuivre des recours inopérants et inutiles et une plainte auprès de la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances ou de l’Ombudsman ne débouche pas sur une décision opposable à l’État. Quant à poursuivre une requête d’habeas corpus devant la Haute Cour, une telle démarche serait inutile puisque la Haute Cour a confirmé la validité des lois sur la rétention d’office.

5.3En réponse à l’affirmation de l’État partie que rien ne prouve qu’un manquement à l’article 7 ait causé la maladie mentale de l’auteur, l’auteur renvoie à la série d’examens qu’il a subis aux mains d’experts sur une longue période et dont les rapports sont joints à la communication, en même temps qu’à une nouvelle expertise dont il ressort sans conteste qu’il existe un lien spécifique de cause à effet entre sa détention et ses troubles psychiatriques. L’auteur critique le fait que l’État partie s’appuie sur des articles de psychiatrie générale pour prouver au contraire que les troubles mentaux dont il était atteint s’expliquaient par une prédisposition plutôt que par une détention prolongée et invite le Comité à s’en tenir aux bilans spécifiques qu’on lui a fait passer. Selon l’auteur, les observations de l’État partie sur les conditions de vie au MIDC sont hors de propos, car sa plainte pour manquement à l’article 7 vise la durée de sa détention, alors que l’État partie savait qu’elle lui causait un grave traumatisme psychologique. À partir du 19 août 1993, les autorités de l’État partie étaient au courant de ce traumatisme et son maintien en détention en connaissance de cause représente l’«élément répréhensible» visé à l’article 7.

5.4Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’article 7 serait violé s’il retournait en Iran, l’auteur note que, de toute évidence, le type de persécution que la représentante du ministre avait à l’esprit le 8 février 1995 lorsqu’elle a approuvé la demande de statut de réfugié s’étendait à la violation des droits protégés par l’article 7. Elle a estimé qu’il y avait de fortes chances que l’auteur soit privé de liberté «dans des conditions telles qu’elles constituent des persécutions au sens de la Convention [relative au statut des réfugiés]» ce qui, d’après l’auteur, va évidemment bien au-delà de la détention proprement dite. L’auteur rejette aussi la supposition de l’État partie que la situation en Iran s’est améliorée au point que l’on ne puisse pas prévoir de risque de violation de ses droits. Le rapport du Représentant spécial évoqué par l’État partie est loin d’être concluant sur une «amélioration» de la situation des droits de l’homme, notant qu’«il reste beaucoup à faire en matière de droits de l’homme en Iran» et que «des efforts plus soutenus sont nécessaires». Qui plus est, dans son rapport suivant, le Représentant spécial estimait que le statut des minorités restait un domaine «négligé» et qu’on était «encore loin d’une démarche qui prenne davantage en compte les préoccupations des minorités, ethniques et religieuses». L’auteur soutient par ailleurs que les rapports d’examen psychologique contredisent l’affirmation de l’État partie qu’il n’interromprait pas son traitement en cas de retour ou, s’il le faisait, n’aurait pas de réaction d’hostilité face aux autorités iraniennes. L’auteur note que l’on ignore s’il pourrait se procurer ce traitement en Iran.

5.5Pour ce qui est de la réclamation au titre de l’article 9, l’auteur soutient que l’affaire A. c. Australie a établi une fois pour toutes que la politique de rétention d’office était contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9 et que ce précédent, dont le cas présent ne se distinguait pas du point de vue des faits, méritait d’être suivi. L’auteur est manifestement arrivé pour demander l’asile et l’a d’ailleurs fait dans les 24 heures qui suivaient. Il est illusoire de suggérer que sa détention initiale de deux ans était justifiée par de fausses déclarations sur l’endroit où se trouvaient ses parents et sur ses ressources. Au cours de cette période, sa rétention n’a pas fait l’objet de réexamen de la part des autorités administratives et ses efforts en vue d’un réexamen judiciaire n’ont pas abouti parce que personne n’était habilité à le mettre en liberté. Sa libération, le 10 août 1994, motivée par la détérioration de son état de santé mentale est intervenue au bout de deux ans pendant lesquels sa détention ne pouvait être remise en cause, comme l’a prouvé l’inutilité de requêtes adressées antérieurement à la cour fédérale pour qu’elle revoie la décision de rétention. Pour ce qui est de la prolongation de sa détention, elle n’était nullement justifiée, car trois rapports différents de psychiatres de mars 2000 (soumis au ministre) indiquaient que sa mise en liberté ne poserait aucun «risque prévisible», qu’«il fallait le considérer comme ne présentant plus aucun risque majeur pour qui que ce soit» et qu’il ne présentait «aucun risque que ce soit pour son ancienne victime ou la population australienne». L’auteur transmet aussi un rapport psychiatrique daté du 7 mai 2001 aux termes duquel il avait complètement récupéré depuis plusieurs années et ne constituait pas une menace pour la collectivité, que ce soit pour une personne en particulier ou de façon générale.

Observations supplémentaires de l’État partie et de l’auteur

6.1Par un courrier du 16 août 2001, l’État partie rappelle plusieurs courriers antérieurs et avance de nouveaux arguments. Pour ce qui est de la recevabilité, il rejette l’interprétation donnée de RT c. France par l’auteur, à savoir que seuls les recours juridictionnels doivent être épuisés, car la décision renvoie «au premier chef» aux recours juridictionnels. D’autres recours, administratifs, peuvent être envisagés, aussi la disposition exigeant l’épuisement des recours internes n’exclut-elle pas une plainte à la Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances par exemple. De même, d’après l’État partie, la jurisprudence, Vincente c. Colombie, n’exclut à ce titre que les recours administratifs qui sont inefficaces. Dans le même ordre d’idées, l’État partie fait valoir que le Comité n’a pas jugé indispensable l’exercice de la voie de recours dont il était question dans Ellis c. Jamaïque (recours en grâce dans une affaire où la peine de mort avait été prononcée), qu’il considérait comme inefficace plutôt que comme «inopérant» comme le prétend l’auteur. Dans le cas présent au contraire, l’État partie affirme que ses recours administratifs sont utiles, qu’ils n’ont pas été poursuivis par l’auteur et que les exigences du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne sont donc pas remplies.

6.2En réponse à l’assertion de l’auteur que son maintien en détention, alors que les autorités savaient que la prolongation de sa détention lui causait un préjudice psychologique, constituait «un élément répréhensible de plus» visé à l’article 7, l’État partie remarque qu’en fait le ministre, qui a jugé que la santé mentale de l’auteur gagnerait à ce qu’il soit soigné par sa famille, a ordonné sa mise en liberté.

6.3L’État partie a aussi compris la plainte initiale au titre de l’article 7 comme portant uniquement sur la détention initiale de l’auteur, mais croit comprendre à la lecture de ses commentaires ultérieurs (et de la référence au rapport psychiatrique du 7 mai 2001 évaluant l’état de santé actuel de l’auteur) que l’auteur formule une allégation nouvelle, portant sur sa détention actuelle. Or, rien ne permet de penser que sa détention actuelle est particulièrement pénible ou répréhensible au point de constituer une violation de l’article 7. L’État partie fait observer que selon le rapport du 7 mai 2001, l’auteur jouit d’un bon état de santé mentale et que ce rapport n’apportait la preuve d’aucun acte ou pratique donnant à penser que la détention actuelle en elle-même où du fait des conditions dans lesquelles elle se déroulait, soulevait des questions au titre de l’article 7. Toute suggestion selon laquelle la détention actuelle causerait un préjudice psychologique à l’auteur et violerait par conséquent l’article 7 est difficilement tenable et devrait être rejetée pour être dénuée de tout fondement ou irrecevable ratione materiæ.

6.4Enfin, pour ce qui est de la réclamation touchant l’article 9 en rapport avec la rétention initiale, l’État partie rejette parce qu’il est incorrect le jugement par l’auteur que l’affaire A. c. Australie «a établi une fois pour toutes que la politique australienne de rétention d’office était contraire aux paragraphes 1 et 4 de l’article 9». Au lieu de commenter cette politique d’un point de vue théorique, il jugeait que le «caractère arbitraire» devait être apprécié au vu des justifications appropriées de la prolongation de la rétention dans les circonstances particulières de cette affaire. Effectivement, il a déclaré qu’il n’était pas arbitraire en soi de placer des requérants d’asile en rétention.

6.5Par un courrier du 21 septembre 2001, l’auteur a répondu aux observations supplémentaires de l’État partie, en précisant aussi que les plaintes qu’il formule au titre des articles 7 et 9 ont trait à sa détention actuelle comme à sa détention initiale. Pour ce qui est de la recevabilité, il maintient que les recours administratifs évoqués par l’État partie sont «inutiles et inopérants». Comme toute décision des pouvoirs publics de donner suite à la recommandation de l’un ou l’autre organe relève de leur pouvoir exécutif et discrétionnaire, il ne faudrait pas en exiger l’épuisement.

6.6Pour ce qui est du fond, l’auteur rejette l’argument de l’État partie pour qui, comme le rapport du 7 mai 2001 montre que l’auteur est en bonne santé, on ne saurait prétendre que la prolongation de sa détention lui a causé un préjudice psychologique. L’auteur observe que le rapport visait à déterminer si c’était sa maladie qui l’avait incité à commettre les actes délictueux pour lesquels il doit être expulsé et s’il représente actuellement une menace quelconque à qui que ce soit. Il a été répondu par l’affirmative à la première question et par la négative à la seconde. En tout état de cause, attendu que l’État partie reconnaît que l’auteur est actuellement en bonne santé, il n’y a aucune raison pour qu’il soit maintenu en détention ou expulsé.

6.7L’auteur poursuit en avançant que le fait qu’il ignore si et quand il sera mis en liberté ou si et quand il sera expulsé représente en soi une violation de l’article 7. Il s’agit là d’une peine ou d’un traitement particulièrement cruel car il a exécuté la peine de prison dont ses crimes l’avaient rendu passible et parce qu’il a souffert de troubles psychiatriques lors de sa rétention dans des conditions où il ignorait si ou quand il serait libéré ou expulsé.

6.8L’auteur conclut, en ce qui concerne la jurisprudence internationale, que la rétention d’office de non-citoyens aux fins d’expulsion, en l’absence de justification individuelle, est presque toujours considérée comme contraire au droit de ne pas être soumis à une détention arbitraire et illégale.

Délibérations du Comité

Considérations concernant la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas déjà à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Pour ce qui est de la question de l’épuisement des recours internes, le Comité prend acte de l’argument de l’État partie pour qui l’auteur n’a pas poursuivi certains recours administratifs (Ombudsman du Commonwealth et Commission des droits de l’homme et de l’égalité des chances). Le Comité fait observer que toute décision de ces mécanismes, même si elle avait été en faveur de l’auteur, n’aurait eu qu’un effet de recommandation à l’exclusion d’un effet exécutoire, de sorte que l’exécutif aurait eu toute liberté pour ne pas en tenir compte. Ces recours ne sauraient donc être qualifiés d’utiles, aux termes du Protocole facultatif.

7.4Pour ce qui est des plaintes concernant la première période de détention, le Comité note que la législation conformément à laquelle l’auteur a été retenu prévoit la rétention d’office jusqu’à ce qu’un permis soit délivré ou l’intéressé expulsé. Comme les tribunaux l’ont confirmé, aucune autorité n’a ici un pouvoir discrétionnaire de mise en liberté. Le Comité observe que les tribunaux sont seulement habilités, à titre de réexamen, à déterminer officiellement si l’intéressé est bien un «non-citoyen illégal» auquel la disposition s’applique, ce qui est incontesté en l’espèce, et non à apprécier quant au fond si des raisons justifient la rétention dans les circonstances considérées. Ainsi, l’application directe de la loi supprime tout contrôle juridictionnel de la décision quant au fond qui pourrait constituer un recours. Les exceptions prévues à l’article 11 de la loi qui propose d’autres formules possibles de contrainte et de garde (c’est ainsi que l’auteur a été confié à sa famille), tout en maintenant l’intéressé officiellement en rétention, ne modifient en rien cette conclusion. Le Comité note aussi que la Haute Cour a confirmé la constitutionnalité de régimes de rétention d’office au vu des facteurs de politique générale avancés par l’État partie. Il s’ensuit que l’État partie n’a pas fait la preuve de l’existence de recours internes que l’auteur aurait pu épuiser s’agissant des réclamations portant sur la période initiale de détention et que ces réclamations sont donc recevables.

7.5Pour ce qui est des réclamations concernant l’expulsion envisagée de l’auteur vers l’Iran, le Comité note que la Haute Cour lui ayant refusé l’autorisation de faire recours, l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles en l’espèce et que ces réclamations sont donc recevables.

7.6Pour ce qui est des autres arguments de l’État partie selon lesquels les réclamations touchant la première période de détention et l’expulsion envisagée de l’auteur sont sans fondement, le Comité est d’avis, au vu des informations dont il est saisi, que l’auteur a suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que ces faits soulèvent des questions dont il y a lieu de débattre aux termes du Pacte.

7.7Pour ce qui est des réclamations touchant la deuxième période de détention (rétention dans l’attente de l’expulsion), le Comité note que, contrairement à la rétention d’office à la frontière, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la détention d’une personne qui a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion. Le Comité relève qu’une telle décision, ainsi que tout rejet ultérieur par le ministre d’une demande de mise en liberté peuvent être contestés devant les tribunaux. Ce contrôle juridictionnel peut annuler une décision de rétention (ou de prolongation de la rétention) si elle est manifestement déraisonnable, si des facteurs pertinents n’ont pas été pris en considération, si des facteurs non pertinents ont été pris en considération ou si la décision était illégale pour toute autre raison. Le Comité note que la cour fédérale a considéré, dans son arrêt du 20 avril 1999 sur la demande en référé de l’auteur lui demandant d’urgence de prendre des mesures en attendant qu’il soit statué sur son recours du 29 mars 1999 contre la décision du ministre de ne pas le mettre en liberté, que si l’on pouvait se poser sérieusement la question de savoir si le ministre avait pris en compte une considération sans objet, tout bien pesé, la balance penchait en défaveur de la mise en liberté vu l’imminence de l’examen de l’appel formé devant la chambre plénière concernant la procédure d’expulsion.

7.8Le Comité note que l’auteur n’a pas précisé s’il avait (et, sinon, pourquoi il n’avait pas) poursuivi sa demande de réexamen du 29 mars 1999 contre la décision du ministre ou accepté l’invitation de la cour à demander à nouveau qu’il lui soit fait justice une fois que la chambre plénière avait statué sur son recours. L’auteur n’a pas expliqué non plus pourquoi il avait apparemment renoncé à faire recours contre les décisions rendues ultérieurement par le ministre, le 15 octobre 1999, puis en décembre 2000, de ne pas le remettre en liberté. Dans ces conditions, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles pour les questions que pouvait soulever la deuxième période de détention, et ses plaintes, au titre des articles 7 et 9 concernant cette période, sont irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Examen quant au fond

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations qui lui avaient été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Pour ce qui est des allégations concernant la première période de détention, au regard du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité rappelle sa jurisprudence, à savoir que, pour éviter toute caractérisation de ce que constitue une détention «arbitraire», il considère que la détention ne devrait pas se poursuivre au-delà de la période pour laquelle l’État partie peut fournir une justification appropriée. Dans le cas présent, la détention de l’auteur en tant que non-citoyen sans autorisation d’entrée s’est poursuivie d’office jusqu’à ce qu’il soit expulsé ou reçoive un permis. Bien que l’État partie avance des raisons particulières pour justifier la détention de l’auteur (par. 4.28 et suiv.), le Comité note que celui‑ci n’a pas prouvé que ces raisons justifiaient le maintien en détention de l’auteur compte tenu du temps écoulé et des faits intervenus. En particulier, l’État partie n’a pas prouvé que, compte tenu des circonstances particulières de l’auteur, il n’existait pas de moyens moins contraignants de réaliser les mêmes objectifs, c’est‑à‑dire le respect de la politique d’immigration de l’État partie, en lui imposant par exemple l’obligation de se présenter aux autorités, le dépôt d’une caution ou d’autres conditions, qui tiendraient compte de la détérioration de l’état de l’auteur. Dans ces circonstances, quelles qu’aient été les raisons de la détention initiale, la prolongation de la rétention aux fins d’immigration pendant plus de deux ans sans justification individuelle et sans aucune possibilité de réexamen judiciaire était, de l’avis du Comité, arbitraire et constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

8.3Pour ce qui est de la plainte de l’auteur dénonçant également la violation du paragraphe 4 de l’article 9 à propos de cette période de détention, le Comité renvoie à l’examen de la recevabilité ci-dessus et observe que le recours juridictionnel disponible à l’auteur était limité à une simple évaluation de pure forme de la question de savoir si l’intéressé était un «non‑citoyen» sans visa d’entrée. Le Comité observe qu’aucun tribunal n’était libre, comme la chambre plénière elle-même l’avait reconnu dans son arrêt du 15 juin 1994, de réexaminer la rétention de l’auteur quant au fond pour savoir si sa prolongation était justifiée. Le Comité estime que l’impossibilité de contester en justice une détention qui était contraire au paragraphe 1 de l’article 9, ou l’était devenue, constitue une violation du paragraphe 4 de l’article 9.

8.4Pour ce qui est des allégations de l’auteur pour qui sa première période de détention violait l’article 7, le Comité note que les rapports d’expertises psychiatriques pratiquées sur la personne de l’auteur sur une longue période, acceptés par les tribunaux de l’État partie, étaient dans l’ensemble unanimes à indiquer que les troubles psychiatriques de l’auteur étaient dus à la période prolongée de détention aux fins d’immigration. Le Comité note que l’État partie savait, au moins à partir d’août 1992, lorsqu’on lui a prescrit des tranquillisants, que l’auteur avait des difficultés d’ordre psychiatrique. De fait, en août 1993, il était évident que la prolongation de sa détention était incompatible avec sa santé mentale. Malgré des bilans de plus en plus inquiétants de l’état de l’auteur en février et juin 1994 (et une tentative de suicide), ce n’était qu’en août 1994 que le ministre avait exercé sa faculté, à titre exceptionnel, de lever la mesure de détention aux fins d’immigration pour raisons médicales (alors que légalement il demeurait en détention). Comme la suite des événements l’a montré, à ce moment-là, la maladie de l’auteur s’était tellement aggravée que des conséquences irréversibles devaient suivre. De l’avis du Comité, le maintien en détention de l’auteur, alors que l’État partie connaissait son état de santé mentale et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter la détérioration de son état, a constitué une violation du droit de l’auteur en vertu de l’article 7 du Pacte.

8.5Pour ce qui est des arguments avancés par l’auteur pour qui son expulsion violerait l’article 7, le Comité attache une importance au fait que l’auteur s’était vu dans un premier temps accorder le statut de réfugié sur la base d’une crainte fondée de persécution en sa qualité de chrétien assyrien, conjuguée aux conséquences que ne manquerait pas d’avoir son retour sur son état de santé. De l’avis du Comité, l’État partie n’a pas démontré que les circonstances existant dans l’État d’accueil sont telles que l’octroi du statut de réfugié n’a plus de validité. Le Comité observe par ailleurs que le Tribunal des recours administratifs, dont la décision a été confirmée en appel, a convenu qu’il était peu probable que l’auteur puisse se procurer en Iran le seul médicament efficace (Clorazil) et le traitement de soutien, et qu’il a jugé que l’«on ne pouvait pas reprocher à l’auteur sa maladie» qui «s’est déclarée pour la première fois en Australie». Alors que l’État partie a reconnu qu’il avait une obligation de protection à l’égard de l’auteur, le Comité considère que l’expulsion de l’auteur vers un pays où il est peu probable qu’il puisse obtenir le traitement nécessaire pour soigner la maladie provoquée, en tout ou en partie, par la violation des droits de l’auteur de la part de l’État partie, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 et des paragraphes 1 et 4 de l’article 9 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. Pour ce qui est des violations des articles 7 et 9 dont l’auteur a été victime au cours de la première période de détention, l’État partie devrait indemniser l’auteur convenablement. S’agissant de l’expulsion envisagée de l’auteur, l’État partie devrait s’abstenir d’expulser l’auteur vers l’Iran. L’État partie a l’obligation d’éviter des violations similaires à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est aussi invité à publier les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley, membre du Comité

Je m’associe aux conclusions du Comité concernant les violations du paragraphe 1 de l’article 9 et du paragraphe 7. Toutefois, le Comité, ayant conclu à une violation du paragraphe 1 de l’article 9, a également conclu inutilement qu’il y avait eu violation du paragraphe 4 de l’article 9, employant des termes tendant à interpréter une violation du paragraphe 1 de l’article 9 comme signifiant ipso jure une «illégalité» au sens du paragraphe 4 de l’article 9. Le Comité a en ceci suivi la voie qu’il avait tracée dans l’affaire A. c. Australie (560/1993).

À mon avis, cette voie offrait une trop grande marge et n’était pas non plus justifiée par le texte du Pacte. La notion de caractère «arbitraire» évoquée au paragraphe 1 de l’article 9 englobe certes la notion d’illégalité. Ce fait ressort à l’évidence du concept même de l’arbitraire et des travaux préparatoires. Je ne vois pas toutefois comment l’inverse serait également vrai. Rien dans les travaux préparatoires ne le justifie non plus. Telle est pourtant l’approche suivie dans l’affaire A. c. Australie, réaffirmée apparemment par le Comité dans l’affaire à l’examen.

Cette difficulté à l’égard de l’approche du Comité ne signifie pas nécessairement que les dispositions du paragraphe 4 de l’article 9 ne peuvent jamais être invoquées s’agissant d’une personne détenue par un État partie tant que les formes légales sont respectées. Je peux concevoir, par exemple, que la torture d’un détenu pourrait justifier la nécessité d’appliquer un recours entraînant la mise en question du caractère toujours légal de la détention.

Mon avis en l’espèce est simplement que la question ne devait pas être traitée dans la communication à l’étude, compte tenu en particulier du fait que l’absence de possibilité de contestation de la détention devant la justice fait partie des arguments avancés par le Comité pour conclure à une violation du paragraphe 1 de l’article 9.

(Signé) Nigel Rodley

[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. David Kretzmer, membre du Comité

Le Comité a estimé que l’absence de possibilité de réexamen judiciaire de fond était l’un des facteurs qui devait être pris en considération pour conclure que le maintien en détention de l’auteur était arbitraire, en violation des droits de l’auteur en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Comme mon collègue, Nigel Rodley, j’estime qu’il n’était pas nécessaire, dans les circonstances, d’examiner la question de savoir si cette absence d’examen signifiait également qu’une violation du paragraphe 4 de l’article 9 avait été commise.

(Signé) David Kretzmer

[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (en partie dissidente) de MM. Nisuke Ando, Eckart Klein et Maxwell Yalden, membres du Comité

Nous partageons l’avis du Comité qui a conclu à une violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 9, mais nous ne sommes pas convaincus par la conclusion selon laquelle l’État partie a également violé l’article 7 du Pacte.

Le Comité a conclu à des violations de l’article 7 pour deux raisons. La première, énoncée au paragraphe 8.4 des constatations du Comité, repose sur l’évaluation de la détention prolongée de l’auteur, alors qu’il était devenu évident que «la prolongation de sa détention était incompatible avec sa santé mentale». Il nous paraît difficile de suivre ce raisonnement. S’il est vrai que la santé mentale de l’auteur s’est détériorée jusqu’à ce qu’il soit libéré et remis aux soins de sa famille le 10 août 1994, nous ne pouvons conclure à une violation de l’article 7 car une telle conclusion signifierait une interprétation excessive de la portée de cet article, en considérant que le conflit entre la prolongation de la détention de l’auteur et sa santé mentale ne pouvait être résolu que par la libération de l’auteur − et qu’en l’absence d’une telle solution, l’État partie a violé les dispositions en question. Les circonstances de l’affaire prouvent que l’auteur a subi des examens psychologiques et a été sous observation permanente. Le fait que l’État partie n’ait pas ordonné immédiatement la libération de l’auteur, mais n’ait pris sa décision qu’en se fondant sur un rapport d’expertise psychiatrique daté de juin 1994 recommandant sans équivoque la libération et un traitement externe (voir le paragraphe 2.5), ne peut pas, à notre avis, être assimilé à une violation de l’article 7 du Pacte.

Nous estimons de même que le deuxième motif sur lequel le Comité a fondé sa constatation concluant à une violation de l’article 7 (par. 8.5) n’est pas valable. L’évaluation du Comité repose sur plusieurs arguments, dont aucun n’est convaincant, que ceux‑ci soient considérés individuellement ou dans leur ensemble. Nous n’estimons pas que l’État partie n’a pas étayé sa conclusion selon laquelle l’auteur, un chrétien assyrien, ne serait pas victime de persécution s’il était expulsé vers l’Iran. Nous nous référons à cet égard aux paragraphes 4.13 à 4.19 des constatations du Comité. Pour ce qui est de l’argument selon lequel l’auteur ne bénéficierait pas d’un traitement médical efficace en Iran, nous renvoyons aux observations de l’État partie telles qu’elles sont exposées aux paragraphes 4.20 et 4.21 des constatations du Comité. Nous ne nous expliquons pas que ces arguments détaillés aient pu être aussi légèrement écartés pour conclure à une violation de l’article 7, comme l’a fait la majorité.

(Signé)M. Nisuke AndoM. Eckart KleinM. Maxwell Yalden

[Adopté en anglais (original), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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