NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/1/Add.96

7 juin 2004

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSTrente‑deuxième session26 avril‑14 mai 2004

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

LITUANIE

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le rapport initial de la Lituanie sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/1990/5/Add.55) à ses 3e, 4e et 5e séances, tenues les 27 et 28 avril 2004 (voir E/C.12/2004/SR.3 à 5), et a adopté, à sa 29e séance tenue le 14 mai 2004, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité prend note avec satisfaction du rapport initial de l’État partie, qui a été établi conformément à ses directives, ainsi que des réponses écrites complètes à la liste de points à traiter. Le Comité se félicite aussi du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie, qui comprenait des experts des différents domaines visés par le Pacte.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de la réforme du système juridique entreprise dans l’État partie, et prend note avec satisfaction de l’entrée en vigueur, ces dernières années, d’un certain nombre de lois nouvelles visant à mettre ce système en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme: le Code civil de juillet 2001, le Code de procédure civile de janvier 2003, le Code du travail de janvier 2003, ainsi que de l’entrée en vigueur en mai 2003 du nouveau Code pénal, du Code de procédure pénale et du Code de l’application des peines.

4.Le Comité note avec satisfaction que divers programmes nationaux ont été adoptés pour renforcer la protection des droits de l’homme, notamment le Plan national d’action pour la protection et la promotion des droits de l’homme, qui vise un large éventail de droits de l’homme, dont les droits économiques, sociaux et culturels.

5.Le Comité se félicite de la désignation d’un Médiateur parlementaire (1994), d’un Médiateur pour l’égalité des chances (1999) et d’un Médiateur pour les droits des enfants (2000). Il se félicite aussi de l’adoption de la loi de mars 2000 sur l’aide juridictionnelle garantie par l’État, qui donne aux personnes défavorisées le droit d’obtenir une aide juridictionnelle gratuite dans les affaires pénales, civiles et administratives.

6.Le Comité se félicite de la récente décision prise par l’État partie de ratifier le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.

C. Facteurs et difficultés entravant l’application du Pacte

7.Le Comité ne relève aucun facteur ni difficulté insurmontable de nature à empêcher la Lituanie d’appliquer effectivement les dispositions du Pacte.

D. Principaux sujets de préoccupation

8.Bien que la Constitution de l’État partie (troisième partie, art. 138) dispose que le droit international l’emporte sur le droit interne et que le Pacte peut être invoqué devant les tribunaux nationaux, le Comité regrette l’absence de renseignements concernant des décisions précises de tribunaux nationaux dans lesquelles il aurait été fait référence au Pacte et à ses dispositions, absence qui semble indiquer une méconnaissance, chez la population, du Pacte et de la possibilité de l’invoquer directement devant les tribunaux.

9.Tout en notant les efforts déployés, dans le cadre du «Programme d’intégration des Roms à la société lituanienne pour la période 2000‑2004», pour améliorer les conditions de vie de la population rom, le Comité reste préoccupé par les problèmes d’intégration et les pratiques discriminatoires dont la communauté rom continue de souffrir dans les domaines du logement, de la santé, de l’emploi et de l’éducation.

10.Le Comité note avec préoccupation que, malgré les différentes mesures prises pour améliorer la condition des femmes, dont l’adoption du «Programme national 2003‑2004 pour l’égalité de chances entre les femmes et les hommes», les femmes continuent d’être défavorisées dans la société, notamment en ce qui concerne l’emploi et l’égalité de salaire pour un travail d’égale valeur ainsi que la participation à la prise de décisions.

11.Le Comité s’inquiète de ce que les taux de chômage restent élevés, avec des disparités régionales notables. Il note aussi avec préoccupation que le chômage de longue durée s’aggrave et qu’une forte proportion de jeunes âgés de moins de 25 ans se retrouve parmi les chômeurs.

12.Le Comité regrette l’absence de renseignements concernant l’intégration dans le marché du travail des personnes handicapées et s’inquiète de la faiblesse des incitations à l’emploi de personnes handicapées.

13.Le Comité note avec préoccupation le faible niveau du salaire minimum, qui n’est pas suffisant pour assurer aux travailleurs et à leur famille des conditions de vie décentes, ainsi que l’absence d’un mécanisme d’indexation et d’ajustement périodique du salaire minimum en fonction du coût de la vie.

14.Le Comité est gravement préoccupé par l’augmentation, dans l’État partie, du nombre des accidents du travail depuis 2001.

15.Tout en notant que le Code du travail du 1er janvier 2003 a remédié à certaines des faiblesses de la législation antérieure régissant le droit de grève, le Comité s’inquiète toutefois de la définition trop large des «services essentiels» dans lesquels la grève est interdite.

16.Le Comité est préoccupé par le fait que la pension de base n’est pas suffisante pour assurer un niveau de vie décent. L’absence d’un système indexant les pensions de base sur l’indice des prix à la consommation et sur le minimum vital est aussi source de préoccupation.

17.Le Comité note avec préoccupation le faible niveau des allocations de chômage et le fait que ces allocations n’ont été accordées qu’à 11,5 % des chômeurs en 2002 en raison de conditions strictes d’obtention.

18.Le Comité est préoccupé par la répartition inégale des prestations sociales et des services sociaux en fonction du lieu de résidence.

19.Le Comité note avec préoccupation que la traite des femmes et des enfants est devenue un grave problème dans l’État partie, qui est un pays d’origine et de transit, malgré l’existence du «Programme sur la répression et la prévention de la prostitution et de l’exploitation commerciale des personnes pour la période 2002‑2004», et que le nouveau Code pénal institue la responsabilité pénale des auteurs d’un certain nombre d’infractions liées à la traite, notamment le commerce d’êtres humains (art. 147), l’exploitation de la prostitution d’autrui (art. 307) et le proxénétisme (art. 308). En outre, le Comité regrette que l’absence de renseignements concernant le nombre des personnes victimes de la traite ne permette pas de connaître exactement l’étendue du problème.

20.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de personnes portées disparues dans l’État partie.

21.Le Comité est préoccupé par le grand nombre de cas de violence familiale ainsi que par l’absence de foyers pour femmes battues. Il craint aussi que les victimes ne soient pas protégées de manière adéquate par la législation en vigueur.

22.Le Comité est préoccupé par le problème des enfants des rues dans l’État partie et par l’absence de renseignements concernant les enfants placés en institution.

23.Le Comité est préoccupé par la situation régnant dans les régions rurales de l’État partie où, comme cela est indiqué dans les réponses écrites de l’État partie à la liste des points à traiter, l’absence de réforme agraire «a laissé près d’un quart de la population lituanienne sans perspective ni espoir quant à sa situation économique».

24.Le Comité est préoccupé par le problème des sans‑abri dans l’État partie et regrette qu’il n’existe pas de données officielles relatives au nombre des sans‑abri en Lituanie.

25.Le Comité est préoccupé par le nombre insuffisant de logements convenables dans l’État partie et par la grave pénurie de logements sociaux.

26.Le Comité s’inquiète du taux élevé des suicides dans l’État partie, en particulier dans la population rurale.

27.Le Comité est préoccupé par le taux élevé de mortalité dû à l’abus d’alcool et de tabac, en particulier chez les hommes.

28.Le Comité est préoccupé par l’augmentation du nombre d’avortements chez les jeunes femmes (jusqu’à 19 ans) et regrette que l’État partie n’ait pas fourni de renseignements sur la santé de la procréation.

29.Le Comité est préoccupé par les taux d’abandon scolaire observés.

E. Suggestions et recommandations

30.Le Comité recommande que l’État partie prenne les mesures voulues pour mieux faire connaître le Pacte à la magistrature et à la population en général et les sensibiliser à la possibilité d’en invoquer les dispositions devant les tribunaux.

31.Le Comité demande à l’État partie de lui communiquer, dans son deuxième rapport périodique, des renseignements détaillés concernant l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels des Roms, notamment une évaluation, avec la participation de représentants de la communauté rom, du «Programme d’intégration des Roms à la société lituanienne pour la période 2000‑2004», ainsi que des renseignements sur les mesures prises dans le cadre de la deuxième étape du programme visant la période 2005‑2010.

32.Le Comité recommande que l’État partie poursuive et accroisse les efforts déployés pour améliorer la condition des femmes, notamment en étendant la portée du Programme national pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes et en adoptant d’autres mesures appropriées, et qu’il fasse rapport sur les progrès accomplis dans ce domaine dans son prochain rapport périodique.

33.Le Comité exhorte l’État partie à poursuivre et à renforcer la lutte contre le chômage, dans le cadre du Programme pour le développement de l’emploi dans la République de Lituanie pendant la période 2001‑2004, en visant en priorité les régions les plus touchées et les groupes les plus défavorisés et marginalisés.

34.Le Comité recommande que l’État partie prenne, dans le cadre du «Programme national 2003‑2012 pour l’intégration sociale des personnes handicapées», des mesures efficaces pour promouvoir l’intégration de ces personnes dans le marché du travail, notamment par l’octroi d’incitations aux employeurs et le renforcement du système des emplois réservés aux handicapés.

35.Le Comité exhorte l’État partie à s’employer à garantir que le salaire minimum soit suffisant pour assurer aux travailleurs et à leur famille un niveau de vie décent. L’État partie devrait, par ailleurs, mettre en place un mécanisme permettant d’indexer et d’ajuster périodiquement le salaire minimum en fonction du coût de la vie.

36.Le Comité exhorte l’État partie à prendre des mesures efficaces pour prévenir les accidents du travail, notamment en renforçant l’inspection du travail, afin que les employeurs qui n’observent pas les règles de sécurité soient sanctionnés.

37.Le Comité demande à l’État partie de lui communiquer des renseignements détaillés sur les restrictions apportées au droit de grève par le Code du travail ainsi que sur le fonctionnement du Conseil tripartite dans le processus de négociation collective, notamment en ce qui concerne les «services essentiels» dans lesquels les grèves sont interdites.

38.Le Comité exhorte l’État partie à mettre en place un système d’indexation des pensions de base qui permette de tenir compte de l’évolution du coût de la vie, et à veiller à ce que les pensions de base soient suffisantes pour assurer un niveau de vie décent. À cet égard, il engage l’État partie à mettre à exécution son intention de ratifier la Convention no 102 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant la norme minimum de la sécurité sociale et à envisager de ratifier la Convention de l’OIT no 118 concernant l’égalité de traitement des nationaux et des non‑nationaux en matière de sécurité sociale.

39.Le Comité recommande que l’État partie s’emploie à accroître la couverture et le montant des allocations de chômage, afin qu’elles soient suffisantes pour garantir un niveau de vie décent et que les conditions d’obtention soient plus souples.

40.Le Comité exhorte l’État partie à promouvoir l’égalité d’accès aux prestations sociales et services sociaux en s’efforçant de corriger les déséquilibres régionaux.

41.Le Comité recommande que l’État partie renforce les mesures prises au titre du «Programme sur la répression et la prévention de la prostitution et de l’exploitation commerciale des personnes pour la période 2002‑2004», notamment en renforçant la coopération internationale dans ces domaines. L’État partie devrait aussi veiller à ce que les victimes de la traite aient accès à des centres d’accueil d’urgence où elles puissent recevoir une aide. Le Comité recommande que l’État partie communique, dans son deuxième rapport périodique, des renseignements détaillés sur la traite et l’exploitation sexuelle des femmes et des enfants à des fins commerciales, ainsi que des statistiques comparatives indiquant l’ampleur du problème.

42.Le Comité recommande que l’État partie communique, dans son prochain rapport périodique, des informations sur les mesures prises pour résoudre le problème des personnes disparues.

43.Le Comité demande instamment à l’État partie d’intensifier les efforts consacrés à la lutte contre la violence familiale. En particulier, il encourage l’État partie à envisager de promulguer une loi spécifique érigeant en infraction la violence familiale et assurant une protection efficace aux victimes. L’État partie devrait également prendre des mesures efficaces de formation pour sensibiliser le personnel chargé de l’application des lois et les juges au caractère criminel de la violence familiale. En outre, le Comité exhorte l’État partie à faire en sorte que des centres d’accueil d’urgence, où les victimes puissent bénéficier d’un logement sûr et d’une assistance psychologique, soient disponibles et accessibles.

44.Le Comité exhorte l’État partie à lutter en priorité contre le phénomène des enfants des rues. À cet égard, l’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour s’attaquer aux causes profondes de la négligence, des abus et de l’abandon d’enfants, en particulier en accordant une aide accrue aux familles avec enfants. Il demande aussi à l’État partie de lui communiquer des renseignements détaillés et des statistiques comparatives récentes sur cette question dans son deuxième rapport périodique.

45.Le Comité demande instamment à l’État partie de renforcer les programmes visant à améliorer les conditions de vie dans les zones rurales. Il recommande aussi que l’État partie mette au point un mécanisme permettant de mesurer et de suivre le niveau de pauvreté, et qu’il fasse figurer dans son deuxième rapport périodique des données ventilées et comparatives sur le nombre de personnes vivant au‑dessous du seuil de pauvreté. À cet égard, le Comité prie l’État partie de se reporter à sa Déclaration sur la pauvreté et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adoptée le 4 mai 2001 (E/C.12/2001/10).

46.Le Comité encourage aussi l’État partie à effectuer une étude du problème des sans‑abri afin de se faire une idée plus précise de son ampleur et de ses causes profondes.

47.Le Comité exhorte l’État partie à adopter des mesures nationales pour veiller à ce que les familles bénéficient d’un logement et de commodités convenables et que des ressources suffisantes soient allouées aux logements sociaux, en particulier pour les familles à faibles revenus et les groupes défavorisés et marginalisés. À cet égard, il appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale no 7 (1991) sur le droit à un logement suffisant.

48.Le Comité recommande que l’État partie entreprenne une étude des causes profondes des suicides et redouble d’efforts dans le cadre du Programme national de prévention du suicide afin de réduire le taux de suicide.

49.Le Comité recommande que l’État partie veille à la mise en œuvre effective des programmes de prévention du tabagisme et de l’alcoolisme, et leur fasse rapport à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

50.Le Comité prie l’État partie de redoubler d’efforts pour sensibiliser la population à la santé en matière de sexualité et de procréation, aux méthodes de contraception sans risque et au danger pour la santé de l’avortement comme méthode de contrôle des naissances, et de rendre compte des mesures adoptées dans ce domaine et de leurs résultats dans son prochain rapport périodique.

51.Le Comité demande à l’État partie de lui communiquer, dans son prochain rapport périodique, des données ventilées et comparatives sur le taux d’inscription scolaire et le taux d’abandon scolaire. Il invite l’État partie à se reporter à son Observation générale no 13 (1999), où il trouvera des indications sur la manière de présenter des informations relatives au droit à l’éducation dans ledit rapport.

52.Le Comité encourage l’État partie à envisager de créer une institution nationale indépendante de défense des droits de l’homme conformément aux Principes de Paris (annexe de la résolution 48/134 en date du 20 décembre 1993 de l’Assemblée générale), qui serait compétente pour les droits économiques, sociaux et culturels.

53.Le Comité demande à l’État partie d’assurer une large diffusion des présentes observations finales à tous les niveaux de la société, en particulier auprès des fonctionnaires et des magistrats, et de l’informer, dans son prochain rapport périodique, de toutes les mesures prises pour appliquer ses observations. Il encourage également l’État partie à associer des organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile au processus d’examen au niveau national de son deuxième rapport périodique avant la présentation de ce dernier.

54.Enfin, le Comité demande à l’État partie de présenter son deuxième rapport périodique au plus tard le 30 juin 2009.

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