NATIONS UNIES

E

Conseil Économique

et Social

Distr.

GÉNÉRALE

E/C.12/1/Add.73

5 décembre 2001

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES,SOCIAUX ET CULTURELSVingt-septième session12‑30 novembre 2001

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIESCONFORMÉMENT AUX ARTICLES 16 ET 17 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

CROATIE

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le rapport initial de la Croatie (E/1990/5/Add.46) sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels à ses 69e, 70e et 71e séances, tenues les 19 et 20 novembre 2001 (E/C.12/2001/SR.69 à 71) et adopté, à ses 83e et 84e séances, tenues le 28 novembre 2001, les observations finales ci-après.

A. INTRODUCTION

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de l’État partie, qui a été établi selon ses directives.

3.Le Comité note avec satisfaction la haute qualité des réponses qu’a données l’État partie à ses questions, par écrit et oralement, ainsi que le caractère ouvert du dialogue constructif qu’il a eu avec sa délégation, laquelle comprenait des experts de haut niveau. Il se félicite de ce que la délégation se soit déclarée prête à fournir par écrit des renseignements complémentaires concernant les questions auxquelles elle n’a pas pu répondre au cours de ce dialogue.

B. ASPECTS POSITIFS

4.Le Comité se félicite que l’État partie soit devenu partie par succession aux six principaux instruments relatifs aux droits de l’homme, dont le Pacte, et aux conventions de l’Organisation internationale du Travail relatives aux droits fondamentaux. Il note avec satisfaction que, conformément à l’article 140 de sa Constitution révisée (2001), les accords internationaux auxquels il est partie priment les lois internes et sont directement applicables en droit interne. Il se félicite que le Pacte ait été invoqué à plusieurs occasions dans les débats judiciaires. Il salue également les efforts faits pour former les juges aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme. Il se félicite en outre que la Constitution révisée énumère expressément un certain nombre de droits économiques, sociaux et culturels.

5.Le Comité note avec satisfaction que nombre de lois datant d’avant l’indépendance et de mesures de transition adoptées après l’indépendance sont actuellement modifiées ou remplacées par de nouvelles lois plus conformes aux principes internationaux régissant les droits de l’homme. Des lois ont été adoptées ou modifiées de manière à faire d’un certain nombre de types spécifiques de violence à l’égard des femmes des infractions pouvant faire d’office l’objet de poursuites par le parquet. La politique nationale pour la promotion de l’égalité entre les sexes 2001-2005 et les amendements aux lois régissant les élections ont notamment pour objectif d’encourager la participation politique des femmes. En outre, le Comité se félicite de la modification récente de l’ancien article 210 de la loi sur le travail, aux termes de laquelle le fait de ne pas verser un salaire dû dans les 30 jours est désormais reconnu comme un motif valable de grève.

6.Le Comité note que l’État partie bénéficie d’une assistance internationale en ce qui concerne les grandes questions de la démocratisation, des droits de l’homme, de la reconstruction et du développement, qui touchent à la jouissance de nombreux droits économiques, sociaux et culturels. Il note que d’importants programmes d’assistance sont exécutés par des États donateurs et des organisations internationales et régionales. Il se félicite de la collaboration instituée entre l’État partie et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme.

C. FACTEURS ET DIFFICULTÉS ENTRAVANT L’APPLICATION DU PACTE

7.Le Comité reconnaît que la Croatie est un État en transition, qui se relève d’un conflit armé, ce qui lui crée toutes sortes de difficultés d’ordre socioéconomique, politique et autre dans la mise en œuvre des droits consacrés par le Pacte. La Croatie souffre notamment de l’effondrement de son système de sécurité sociale, d’un chômage élevé et de dommages étendus à son infrastructure matérielle. L’un des héritages de la guerre est une violence extrême, à la fois physique et verbale, dans les domaines public et privé. Le problème de la violence, notamment celle dirigée contre les femmes, les syndicalistes ainsi que les membres de certains groupes ethniques, est exacerbé par le marasme économique.

8.Le Comité note que le grand nombre de réfugiés et personnes déplacées grève encore davantage les ressources de la nation. Le Comité note aussi la forte proportion de personnes âgées qui vivent dans l’État partie ou cherchent à y retourner, ce qui constitue une charge élevée pour une population active relativement peu nombreuse qui doit financer le système des pensions, le système de santé et d’autres programmes d’aide sociale.

D. PRINCIPAUX SUJETS DE PRÉOCCUPATION

9.Le Comité note avec préoccupation que les mesures prises pour promouvoir l’harmonie ethnique semblent insuffisantes et sont entravées par le maintien en vigueur de lois, politiques et pratiques discriminatoires. Il est préoccupé par les informations qui lui parviennent selon lesquelles les actes individuels de discrimination et de violence motivée par des raisons ethniques ne sont souvent pas traités comme il conviendrait par les autorités compétentes.

10.Le Comité note avec préoccupation que de nombreux Serbes de souche déplacés continuent de se heurter à des difficultés juridiques et administratives lorsqu’ils tentent de reprendre possession de leur ancien domicile. Le Comité s’inquiète de constater que, si le processus de rapatriement et de réinstallation des Serbes de souche commence à montrer des signes d’amélioration, le bilan et le rythme de leur retour, de même que le règlement des réclamations concernant leurs biens et leurs droits d’occupation, révèlent, si on les compare à la situation d’autres Croates déplacés, que le retour des Serbes de souche continue de se heurter à des difficultés excessives. Le Comité est profondément préoccupé par le fait que ces obstacles ont eu pour conséquence la violation des droits de nombreux Serbes au titre des articles 2 et 11 du Pacte.

11.Le Comité se déclare particulièrement préoccupé par le fait que l’octroi de la nationalité en vertu de la loi de 1991 sur la nationalité croate n’obéit pas à des critères équitables, objectifs et non discriminatoires, fondés sur le fait d’avoir résidé en Croatie avant la guerre et l’existence de liens avec la Croatie et, par conséquent, favorise largement les Croates de souche. Le Comité note avec préoccupation que l’impossibilité de prouver le lieu de résidence habituelle diminue les chances des personnes appartenant à certains groupes minoritaires qui ont quitté la Croatie au cours de la guerre et souhaitent y revenir d’obtenir la nationalité croate.

12.Le Comité est profondément préoccupé par l’ampleur du chômage dans l’État partie, qui crée des conditions dans lesquelles le droit au travail ne peut être exercé par une partie considérable de la population, en particulier dans les régions qui comptent un grand nombre de rapatriés. Il est également préoccupé par les informations faisant état, en matière d’emploi, de discrimination fondée sur le sexe, l’âge ou l’origine ethnique.

13.Le Comité est préoccupé par le fait que les femmes sont généralement employées dans les branches d’activité les moins rémunératrices et faiblement représentées dans la fonction publique et les fonctions électives. Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail n’est toujours pas officiellement interdit. Bien que l’on puisse se féliciter que l’infraction de violence sexuelle ait été incorporée dans le Code pénal réformé (1999) et que les infractions de viol entre époux et de violence dans la famille aient été inscrites dans la nouvelle loi de 1999 sur la famille, l’absence de sensibilisation des policiers à ces infractions et l’absence de procédures permettant de les réprimer efficacement ne laissent en pratique aux femmes guère de protection contre la violence au foyer.

14.Le Comité note avec préoccupation que la Croatie est signalée comme l’une des principales plaques tournantes de la traite des êtres humains, en particulier des femmes. Il regrette de ne pas avoir reçu d’informations sur la nature, l’étendue ou les causes du phénomène de la traite des êtres humains.

15.Le Comité s’alarme de l’important arriéré judiciaire, estimé à environ 1 million d’affaires, dans un pays qui compte environ 4,8 millions d’habitants, arriéré qui entrave l’accès à la justice. Il est également préoccupé par le fait que de nombreuses décisions de justice favorables aux minorités, en particulier aux Serbes de souche, ne sont pas appliquées par les responsables de l’application des lois concernés. Les obstacles que rencontrent de nombreux Serbes de souche pour faire respecter leurs droits d’occupation et les difficultés qu’ils ont à obtenir réparation devant les tribunaux sont illustrés en particulier par une affaire récemment jugée par la Cour européenne des droits de l’homme (requête n° 45943/99, Rudan c. Croatie). Cette affaire met en évidence les obstacles juridiques et administratifs auxquels se heurte une famille serbe pour faire appel d’une décision mettant fin unilatéralement à ses droits d’occupation. Bien que la Cour européenne ait déterminé que la requête était irrecevable ratione temporis, le Comité note que les événements décrits dans cette affaire ont commencé en 1992, alors que le Pacte était en vigueur en Croatie, et que la situation perdure aujourd’hui.

16.Le Comité note avec préoccupation que les critères juridiques régissant la création de syndicats sont indûment restrictifs, et non conformes à l’article 8 du Pacte. Il est préoccupé par le fait que le nombre minimum de salariés nécessaire à la formation d’un syndicat est trop restrictif.

17.Le Comité note avec préoccupation qu’il n’existe aucune donnée fiable permettant à l’État d’identifier les groupes les plus défavorisés et marginalisés.

18.Le Comité est préoccupé par la détérioration du niveau de vie général, qui résulte en partie de l’instabilité économique, du chômage élevé, du non-versement des salaires de nombreux travailleurs, du non-recouvrement des cotisations de retraite versées par les Croates avant l’indépendance et de la destruction au cours de la guerre d’infrastructures vitales et de localités qui n’ont pas encore été reconstruites. Le Comité s’inquiète de ce que certains efforts de reconstruction semblent bénéficier de façon disproportionnée à certains groupes ethniques.

19.En ce qui concerne le droit à l’éducation, le Comité complimente l’État partie d’avoir quasiment réalisé l’enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous, conformément à l’article 14 du Pacte. Toutefois il est préoccupé par les informations qu’il reçoit selon lesquelles certains enfants appartenant à certains groupes minoritaires, notamment les Roms, et les enfants d’étrangers en situation irrégulière ne seraient pas scolarisés. Le Comité s’inquiète d’apprendre que les programmes et les manuels scolaires contiennent des références péjoratives aux groupes minoritaires.

E. SUGGESTIONS ET RECOMMANDATIONS

20.Le Comité invite instamment l’État partie à entreprendre une étude approfondie de toutes les formes de discrimination au sens de l’article 2 du Pacte et des dispositions pertinentes d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il est partie, notamment la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il lui recommande d’adopter les mesures nécessaires, y compris des réformes législatives, pour veiller à ce que les droits de tous les groupes minoritaires soient exercés dans l’ensemble du territoire, sans discrimination, conformément à l’article 2.

21.Le Comité invite instamment l’État partie à prendre des mesures efficaces pour accélérer le retour et la réinsertion dans la société croate de tous les réfugiés croates sans discrimination, notamment les Serbes de souche, en accélérant la restitution de leurs logements, en veillant à ce qu’ils disposent de logements de substitution décents ou en leur proposant une indemnisation lorsque la restitution n’est pas possible, comme précisé par le Comité dans son Observation générale n° 7 sur le droit à un logement décent.

22.Le Comité invite instamment l’État partie à établir des critères objectifs d’octroi de la nationalité aux personnes qui souhaitent l’obtenir, en particulier à celles qui ont quitté la Croatie pendant la guerre et veulent y revenir, sans distinction d’origine ethnique, et de modifier en conséquence la loi sur la nationalité croate. Il recommande en outre à l’État partie de ratifier la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie.

23.Le Comité encourage l’État partie à poursuivre ses efforts pour réduire le chômage et promouvoir l’esprit d’entreprise. Ce faisant, l’État partie devrait veiller à ce que toutes les mesures nécessaires, y compris la formation des personnes à la recherche d’un emploi et le placement des demandeurs d’emploi, soient prises de manière non discriminatoire.

24.Le Comité recommande vivement à l’État partie d’entreprendre une étude approfondie de la situation des femmes dans tous les aspects de la vie, en tant que membres de la famille, membres de la population active et fonctionnaires, afin d’évaluer les situations dans lesquelles les femmes sont défavorisées et d’élaborer des lois et politiques appropriées pour éliminer les inégalités.

25.Le Comité recommande à l’État partie de prendre des mesures pour faire du harcèlement sexuel sur le lieu de travail un délit passible de poursuites.

26.Le Comité recommande que toutes les politiques, lois et pratiques présentes et futures soient examinées à la lumière de leur incidence potentielle sur les femmes et que des mesures appropriées soient prises pour veiller à ce que celles-ci ne soient pas désavantagées.

27.Le Comité recommande à l’État partie de faire figurer dans son deuxième rapport périodique des informations détaillées sur la nature, l’étendue ou les causes du phénomène de la traite des êtres humains.

28.Étant donné le nombre énorme de personnes concernées par des problèmes de droits d’occupation, d’acquisition de la nationalité et d’autres questions résultant de la guerre et des conséquences de l’indépendance, le Comité estime qu’on pourrait réduire considérablement la charge de travail de l’appareil judiciaire en adoptant des lois non discriminatoires et en rationalisant en conséquence les procédures légales et administratives.

29.Le Comité recommande à l’État partie de prendre des dispositions pour assurer une formation approfondie en matière de droits de l’homme aux membres de toutes les professions qui jouent un rôle direct dans la promotion et la protection des droits de l’homme, notamment les juges, les avocats, les policiers et les militaires. Une telle formation devrait comprendre des cours d’instruction consacrés au Pacte.

30.Le Comité recommande vivement à l’État partie d’examiner les critères régissant la création de syndicats conformément à l’article 8 du Pacte ainsi qu’aux conventions appropriées de l’OIT auxquelles il est partie.

31.Le Comité invite instamment l’État partie à organiser ses efforts de collecte des données de telle manière qu’il soit possible d’identifier clairement les groupes les plus défavorisés et marginalisés de la société. Il invite instamment l’État partie à mener des études sur toutes ses lois, politiques et pratiques pour en définir les effets potentiels sur ces groupes, notamment en ce qui concerne les domaines qui ont l’incidence la plus directe sur les conditions de vie fondamentales comme l’emploi, la restitution des logements, la réinstallation, les droits d’occupation, les soins de santé, la naturalisation et l’éducation. Toutes ces données devraient être ventilées selon des critères tels que l’appartenance ethnique, le sexe, la religion, les invalidités et tout autre critère pertinent qui aidera l’État partie à élaborer des programmes d’aide ciblés sur les plus démunis.

32.Le Comité recommande à l’État partie de continuer à prendre des mesures pour lutter contre le chômage élevé.

33.Le Comité recommande de manière pressante à l’État partie de poursuivre ses négociations avec les autorités compétentes pour veiller à ce que tous les Croates qui ont cotisé pour leur retraite avant l’indépendance puissent bénéficier de leur pension.

34.Le Comité recommande à l’État partie d’examiner attentivement les effets probables de ses projets de privatisation de certaines parties du système national de soins de santé sur les franges les plus défavorisées et marginalisées de la société, notamment les chômeurs et les chômeurs partiels, les sans-abri et ceux qui vivent dans la pauvreté.

35.Le Comité invite instamment l’État partie à veiller à ce que, conformément au paragraphe 1 de l’article 13 du Pacte, le contenu de l’éducation vise à renforcer le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, et à favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié.

36.Le Comité recommande que des mesures soient prises immédiatement pour veiller à ce que tous les enfants qui résident sur le territoire de l’État partie, quelle que soit leur origine ethnique ou la condition de leurs parents, puissent aller à l’école et soient protégés de la discrimination.

37.Le Comité demande instamment que les programmes scolaires de tous niveaux soient réexaminés afin de promouvoir les droits de l’homme, la compréhension mutuelle, la tolérance et l’amitié, conformément à l’article 13. Inversement, tout support éducatif discriminatoire ou péjoratif envers les autres devrait être supprimé. Le Comité recommande à l’État partie de s’appuyer, dans cette réforme de l’éducation, sur l’Observation générale n° 13 du Comité sur le droit à l’éducation et l’Observation générale n° 1 du Comité des droits de l’enfant relative aux buts de l’éducation.

38.Le Comité recommande fermement à l’État partie de mettre en place une procédure inclusive qui permettrait de tenir compte des vues des organisations non gouvernementales au cours de l’établissement des rapports futurs. Le prochain rapport devrait être largement diffusé dans tous les milieux intéressés de la société civile, dont il convient de solliciter l’apport.

39.Le Comité prie l’État partie de diffuser largement ses observations finales, y compris auprès des organismes gouvernementaux et du secteur de la justice, et de l’informer de toutes les mesures prises pour les mettre en œuvre dans son deuxième rapport périodique.

40.Le Comité prie l’État partie de présenter son deuxième rapport périodique avant le 30 juin 2006.

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