Nations Unies

E/C.12/59/D/4/2014

Conseil économique et social

Distr. générale

24 novembre 2016

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels concernant la communication no 4/2014 * , **

Communication présentée par :

Imelda Merino Sierra et Juan Luis Merino Sierra (représentés par l’avocate Antonia Barba García)

Au nom de :

Les auteurs et leur mère Dominica Sierra Pablo (décédée)

État partie :

Espagne

Date de la communication :

13 mai 2014 (date d’expédition dans l’État partie, le cachet de la poste faisant foi)

Date de l ’ adoption de la décision :

29 septembre 2016

Objet :

Traitement médical non consenti ; soins médicaux ni opportuns, ni appropriés, fournis par des tiers

Questions de procédure :

Présentation de la communication dans un délai d’un an après épuisement des recours internes

Questions de fond :

Droit au meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint ; accès à l’assistance médicale et aux services médicaux appropriés

Article(s) du Pacte:

Paragraphe 1 et alinéa d) du paragraphe 2 de l’article 12

Article(s) du Protocole facultatif:

Alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3

1.1Les auteurs de la communication sont Imelda Merino Sierra et Juan Luis Merino Sierra, tous deux de nationalité espagnole, nés le 29 septembre 1976 et le 21 mars 1978, respectivement. Ils affirment que leur mère, Dominica Sierra Pablo (décédée), et eux−mêmes sont victimes d’une violation par l’État partie des droits énoncés au paragraphe 1 et à l’alinéa d) du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013.

1.2Le 6 juillet 2015, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication et les questions de fond seraient examinées séparément.

1.3Dans la présente décision, le Comité résume d’abord les renseignements fournis et les arguments avancés par les parties. Il examine ensuite les questions relatives à la recevabilité de la communication ; et enfin, il formule ses conclusions.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 11 décembre 2007, la mère des auteurs a été admise à l’hôpital X pour de fortes douleurs abdominales. Le 24 décembre 2007, son état s’étant amélioré, elle a pu quitter l’établissement avec un diagnostic de pancréatite aiguë (guérie) et d’adénopathie péripancréatique et périaortique à surveiller. Le 26 décembre cependant, elle a dû être hospitalisée à nouveau en raison de nouvelles douleurs abdominales. Les auteurs affirment que le médecin traitant s’est borné à ordonner des contrôles d’analyse et des examens complémentaires ainsi qu’à prescrire un traitement palliatif qui n’a pas soulagé les douleurs.

2.2Le 24 janvier 2008, la mère des auteurs a été transférée à la clinique de Málaga, où on lui a diagnostiqué un carcinome pancréatique. Les auteurs font valoir qu’en raison du délai écoulé entre l’apparition du carcinome et le diagnostic définitif, leur mère n’a pas pu être opérée, recevant seulement un traitement analgésique associé à une radiothérapie palliative.

2.3Le père des auteurs, M. M. V., est décédé le 10 juin 2008, des suites, selon les auteurs, du stress provoqué par la maladie de leur mère. La mère des auteurs devait décéder à son tour le 11 octobre 2008. En raison des événements décrits, Mme Merino Sierra a été diagnostiquée comme souffrant de dépression le 27 octobre 2008.

2.4Le 2 décembre 2008, les auteurs ont porté plainte contre l’hôpital et le médecin traitant pour négligence médicale et défaut de consentement éclairé au traitement et aux examens médicaux pratiqués sur leur mère, et ont demandé une indemnisation de 300 000 euros, ainsi que la prise en charge des frais de procédure. Les auteurs alléguaient dans leur plainte qu’il y avait eu faute professionnelle étant donné que le médecin traitant avait omis d’effectuer certains examens. Par ailleurs, ce dernier n’avait pas établi de dossier clinique mentionnant, comme la loi le prescrit, le consentement éclairé de leur mère au traitement et aux examens qu’elle avait subis, lesquels ne convenaient pas pour traiter la pathologie/maladie ni pour soulager les douleurs de la patiente.

2.5Le 12 février 2010, le tribunal de première instance no 1 de Torremolinos a débouté les auteurs et les a condamnés aux dépens. Le tribunal a examiné les arguments et les preuves présentés par les parties, y compris les expertises médicales et le dossier clinique établi par l’hôpital, et a estimé que si le consentement éclairé de la patiente faisait défaut pour une partie de l’acte médical accompli le 8 janvier 2008, à savoir la réalisation d’une biopsie, et s’il était vrai que le médecin traitant aurait dû pratiquer une deuxième biopsie, ces omissions ne constituaient pas un élément déterminant pour conclure à l’existence d’une négligence médicale. Il n’était pas non plus possible de conclure que la réalisation tardive de la deuxième biopsie avait été à l’origine du caractère inopérable de la tumeur et du décès consécutif de la mère des auteurs.

2.6Par un recours en date du 6 avril 2010, les auteurs ont attaqué le jugement devant l’Audiencia Provincial de Málaga. Ils ont contesté l’appréciation de la preuve faite par le tribunal et estimé que celui-ci s’était écarté des critères établis par les tribunaux de l’État partie concernant le consentement éclairé des patients, et que le médecin traitant, en tout état de cause, avait fait preuve de négligence.

2.7Le 20 juillet 2011, l’Audiencia Provincial de Málaga a rejeté l’appel et confirmé le jugement de première instance. Elle a estimé, notamment, qu’il n’avait pas été établi que le médecin traitant avait outrepassé ses fonctions ou fait preuve de négligence dans le traitement et les soins administrés à la mère des auteurs.

2.8Les auteurs se sont pourvus en cassation contre cette décision devant la Cour suprême, qui a rejeté le pourvoi le 6 novembre 2012.

2.9Par la suite, les auteurs ont formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel contre la décision de l’Audiencia Provincial de Málaga. Le 6 mars 2013, le Tribunal constitutionnel a décidé de ne pas faire droit à ce recours au motif que les auteurs n’avaient pas épuisé les voies de droit commun puisqu’ils n’avaient pas déposé un recours en nullité, tel qu’il est prévu au paragraphe 1 de l’article 241 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire. Les auteurs affirment avoir été notifiés de cette décision le 12 mars 2013.

2.10Le 27 août 2013, les auteurs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 6 (droit à un procès équitable) et au paragraphe 1 de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention de sauvegarde des droits de l ’ homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l ’ homme). Le 14 novembre 2013, la Cour européenne a rejeté leur requête au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité prévus aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, le 14 février 2014, les auteurs ont présenté une communication au Comité des droits de l’homme, invoquant une violation des dispositions énoncées à l’article 7 (interdiction de soumettre quiconque à une expérience médicale ou scientifique sans son libre consentement) et au paragraphe 1 de l’article 17 (interdiction d’immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée ou familiale) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Néanmoins, le 3 mars 2014, le secrétariat du Comité des droits de l’homme a informé les auteurs que leur communication ne pouvait être traitée car elle ne détaillait pas suffisamment les faits de leur cause et la façon dont leurs droits au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques avaient été violés ; de plus, le Comité des droits de l’homme ne pouvait pas revenir sur l’appréciation des faits et des preuves qui avait été effectuée par les tribunaux nationaux.

2.11Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles. Ils ajoutent que le recours en nullité prévu au paragraphe 1 de l’article 241 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire, auquel il est fait référence dans la décision du Tribunal constitutionnel, est une action qui vise à obtenir la réparation des vices de forme d’une décision de justice ou de la non-conformité du jugement aux règles de droit qui auraient porté atteinte aux droits de la défense ; en tout état de cause, cette démarche n’est pas adaptée à la protection des droits consacrés par le Pacte. L’action en nullité n’est donc pas un recours utile qui doit être exercé. De surcroît, le 19 décembre 2013, le Tribunal constitutionnel lui-même a rendu, dans une autre affaire, un jugement dans lequel il modifie son critère, concluant que la présentation d’un recours en nullité n’est pas nécessaire lorsqu’il apparaît que « les organes judiciaires ont eu la possibilité de se prononcer sur les droits fondamentaux invoqués ensuite par la voie d’un recours constitutionnel. […] Le contraire reviendrait à adopter une approche formaliste qui fermerait la voie du recours constitutionnel et à méconnaître le principe du caractère subsidiaire de cette procédure. ».

2.12Les auteurs ajoutent que le Comité est compétent ratione temporis pour examiner la communication puisque les faits matériels donnant lieu à la violation du Pacte ont un effet continu qui a persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Espagne. À ce sujet, ils soulignent qu’ils subissent toujours des dommages psychologiques liés à la perte de leur mère, laquelle n’a pas reçu un traitement médical approprié. De plus, par suite de leur condamnation aux dépens, les auteurs ont fait l’objet d’une procédure de contrainte et de saisie sur leurs salaires et leurs biens aux fins du recouvrement des sommes dues.

2.13En ce qui concerne la condition énoncée à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, les auteurs font observer qu’il n’y a pas eu inaction procédurale de leur part depuis l’épuisement des recours internes. Après le 6 mars 2013, date où le Tribunal constitutionnel a rendu sa décision, ils ont saisi des organes internationaux, en particulier la Cour européenne des droits de l’homme (voir par. 2.10 ci-dessus) du fait qu’à l’époque, le Comité n’était pas compétent pour examiner des communications présentées par des particuliers affirmant être victimes de violations par l’Espagne des droits consacrés par le Pacte. Si la communication n’a pas été présentée au Comité plus tôt, c’est parce que leur requête devant la Cour européenne est restée pendante jusqu’au 14 novembre 2013, date à laquelle la Cour l’a déclarée irrecevable, sans l’examiner sur le fond.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits énoncés au paragraphe 1 et à l’alinéa d)du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte à l’égard de leur mère, et qu’eux-mêmes ont été victimes de ces violations, ayant subi des dommages psychologiques et matériels.

3.2Selon les auteurs, leur mère a été victime de négligence médicale de la part du médecin traitant et de l’hôpital dans la mesure où elle a subi des examens sans avoir donné son consentement éclairé et où elle n’a pas bénéficié d’un traitement approprié et opportun pour soigner sa maladie ni pour soulager les douleurs aiguës dont elle souffrait. Leur mère a été soumise à un traitement inhumain et ses chances de survie ont été fortement réduites du fait des négligences présumées. Dans ce contexte, l’État partie a enfreint l’obligation qui lui incombait de protéger le droit de leur mère au meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint, et d’empêcher que des tiers portent atteinte à l’exercice de ce droit. En particulier, les tribunaux de l’État partie ont rejeté arbitrairement la plainte déposée par les auteurs contre le médecin traitant et l’hôpital pour négligence médicale, en dépit du fait que, dans le courant de la procédure, les tribunaux eux-mêmes ont établi que le consentement écrit éclairé de leur mère avait fait défaut pour une partie de l’acte médical accompli le 8 janvier 2008 (la biopsie percutanée) et que le médecin traitant aurait dû pratiquer une deuxième biopsie, qui a été réalisée ultérieurement dans un autre hôpital.

3.3Les événements décrits plus haut avaient causé des dommages physiques et psychologiques graves aux auteurs. En outre, le refus de l’indemnisation demandée en réparation des atteintes à la santé de leur mère, et le règlement des frais de justice imposés par les tribunaux leur avaient infligé des dommages psychologiques et économiques qui persistaient à la date de présentation de la communication au Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 4 septembre 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il a demandé que celle-ci soit déclarée irrecevable pour les raisons suivantes : les recours internes n’avaient pas été épuisés ; la communication n’avait pas été présentée dans les douze mois suivant l’épuisement des recours internes ; elle portait sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie ; la question avait déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau international ; et la communication était manifestement mal fondée et constituait un abus du droit de présenter une communication, en vertu du paragraphe 1 et des alinéas a), b), c), e) et f) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, respectivement.

4.2Les auteurs reconnaissent que leur communication n’a pas été présentée dans le délai d’un an suivant l’épuisement des recours internes prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. Pour l’État partie, la saisine d’autres instances internationales, comme la Cour européenne des droits de l’homme, ne constitue pas un motif d’interruption du décompte du délai et ne suppose pas une telle interruption. De la même manière, le fait que le Protocole facultatif n’était pas en vigueur à la date où le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparone constitue pas un motif d’interruption de ce délai. En conséquence, étant donné que la communication a été présentée au Comité le 13 mai 2014, elle devrait être déclarée irrecevable.

4.3Les violations présumées de droits garantis par le Pacte ont pour origine des faits qui se sont produits en 2007 et 2008 (défaut de consentement éclairé de la mère des auteurs et retard dans l’administration d’un traitement médical à celle-ci). Les auteurs font valoir que les conséquences des faits en question ont persisté après le 5 mai 2013, date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Espagne. Cependant, l’exception à la règle générale énoncée à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif vise les cas où les faits − et non leurs effets − ont persisté après la date en question. L’État partie affirme qu’en l’espèce, les faits sur lesquels porte la communication n’ont pas persisté après la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif. On ne saurait non plus prétendre que les effets de ces faits persistent à ce jour au motif que les auteurs subissent encore des dommages psychologiques liés à la perte de leur mère ou doivent faire face au paiement de frais de justice imposés dans le cadre de procédures judiciaires.

4.4Selon l’État partie, la communication est également irrecevable au regard de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif étant donné que la question a déjà fait l’objet d’une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle l’a rejetée le 14 novembre 2013. Par la suite, la même question a été soumise au Comité des droits de l’homme (voir par. 2.10 ci-dessus).

4.5Les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. L’État partie fait observer que le Tribunal constitutionnel n’a pas accueilli le recours en amparodes auteurs au motif que ceux-ci n’avaient pas épuisé les voies de droit commun puisqu’ils n’avaient pas déposé un recours en nullité, tel qu’il est prévu au paragraphe 1 de l’article 241 de la loi organique relative au pouvoir judiciaire. La décision du Tribunal constitutionnel du 19 décembre 2013 citée par les auteurs n’est pas applicable à leur cas ; dans l’affaire considérée, le Tribunal constitutionnel a estimé que l’action en nullité n’était pas nécessaire car la Cour suprême avait déjà statué sur le fond du litige. Dans le cas des auteurs, la Cour suprême n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur les griefs de violation du droit à la santé pour la bonne et simple raison que leur pourvoi en cassation a été rejeté.

4.6La communication est manifestement mal fondée et constitue un abus du droit de présenter une communication, en vertu des alinéas e) et f) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. Les auteurs ont déposé une plainte pour faute médicale en raison des souffrances inhumaines que leur mère aurait dû endurer et du retard mis à diagnostiquer la maladie dont elle souffrait, et ils ont demandé des dommages et intérêts en réparation du préjudice allégué subi. L’État partie fait valoir qu’après avoir administré toutes les preuves, les autorités judiciaires nationales ont conclu qu’il n’y avait pas eu faute professionnelle de la part du médecin et elles ont débouté les auteurs de leur requête. Le fait de ne pas souscrire à ces décisions de justice n’est pas suffisant pour prétendre que l’État partie a enfreint les obligations énoncées dans le Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 1er avril 2016, les auteurs ont adressé leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Ils réaffirment leurs griefs et soulignent qu’aucune autre instance internationale n’a examiné au fond la question faisant l’objet de la communication, en particulier s’agissant du droit à la santé. Leur communication satisfait donc au critère de recevabilité énoncé à l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. Ils ajoutent que la communication a été présentée au Comité dans des délais raisonnables.

5.2Quant à l’exigence d’épuisement des recours internes, les auteurs font valoir qu’ils ont formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême contre le jugement de l’Audiencia Provincial de Málaga. Par conséquent, la Cour suprême a eu la possibilité de se prononcer sur leurs griefs au fond. Cependant, la Cour a considéré que les auteurs demandaient une nouvelle appréciation des faits et n’a pas accueilli leur pourvoi. Dans ces conditions, une action en nullité aurait été inefficace et inutile.

5.3En ce qui concerne la règle prévue à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, les auteurs affirment qu’ils ont vu leur mère souffrir et endurer des douleurs intenses, sans disposer d’éléments d’information et sans qu’un diagnostic soit posé suffisamment tôt, et que le préjudice moral dont leur mère et eux-mêmes ont été victimes n’a pas cessé avec le décès de la mère, mais perdure encore aujourd’hui. Ils répètent que, par suite des actions en justice qu’ils ont intentées en relation avec ces faits, les tribunaux ont ordonné des mesures de saisie contre eux.

5.4Enfin, les auteurs font valoir que leur communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication et que les dommages occasionnés par une faute médicale ne cessent pas à la date où la faute a eu lieu.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable en vertu de ce dernier. Le Comité n’examinera que les communications satisfaisant aux critères de recevabilité établis dans le Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie pour qui la communication est irrecevable en vertu de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif étant donné que la même question a déjà été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme et au Comité des droits de l’homme. Il note également que, selon les auteurs, la Cour européenne et le Comité des droits de l’homme n’ont pas examiné au fond la question sur laquelle porte la présente communication.

6.3Le Comité observe que, le 14 novembre 2013, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré la requête des auteurs irrecevable au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux critères de recevabilité énoncés aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il relève aussi que le Comité des droits de l’homme n’a pas examiné la communication que les auteurs lui avaient présentée car, le 3 mars 2014, le secrétariat du Comité des droits de l’homme a informé les auteurs qu’elle ne contenait pas suffisamment d’éléments d’information pour pouvoir être traitée.

6.4En vertu de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité doit déclarer irrecevable toute communication ayant trait à une question qui a déjà fait ou qui fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau international. Le Comité considère que l’examen par la Cour européenne des droits de l’homme constitue un examen dans le cadre d’une procédure de ce type. En conséquence, il doit déterminer si la décision de la Cour européenne du 14 novembre 2013 constituait un examen de la question, au sens de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. À cet égard, le Comité considère qu’une communication a fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau international si l’examen dans le cadre de ladite procédure : a) portait sur la même question, c’est-à-dire qu’il concernait les mêmes parties, les mêmes faits et les mêmes droits ; et b) s’il ne se bornait pas à un examen des critères de recevabilité portant purement sur la forme, une attention suffisante ayant été accordée aux éléments de fond.

6.5Le Comité relève que la décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 novembre 2013 est formulée en termes généraux et ne précise pas les raisons concrètes qui motivent la conclusion d’irrecevabilité. Dans ces conditions, le Comité estime que la décision d’irrecevabilité de la Cour européenne ne constituait pas un « examen » au sens de l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. Il considère en conséquence que la communication satisfait au critère de recevabilité énoncé à l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le Comité n’a pas compétence ratione temporispour examiner la présente communication étant donné que les faits qui sont à l’origine des violations alléguées se sont produits avant le 5 mai 2013, date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’Espagne, et que ni les faits ni leurs effets possibles n’ont persisté après cette date. Le Comité note également que, de leur côté, les auteurs affirment que les faits matériels ayant donné lieu à la violation de droits garantis par le Pacte ont un effet continu qui a perduré après la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif car le préjudice moral causé à leur mère et à eux-mêmes n’a pas cessé avec le décès de leur mère, mais persiste. De surcroît, les auteurs font l’objet de mesures de contrainte et de saisie sur salaire ordonnées aux fins du recouvrement des frais de procédure imposés à la suite des actions en justice qu’ils ont intentées en relation avec ces faits.

6.7Le Comité rappelle que le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013 et que, conformément à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité doit déclarer irrecevable toute communication portant sur des faits antérieurs à la date d’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie intéressé, à moins que ces faits ne persistent après cette date. Comme le souligne la Commission du droit international :

« Un fait n’a pas un caractère continu simplement parce que ses effets ou ses conséquences s’étendent dans le temps. Il faut que le fait illicite proprement dit continue. Dans de nombreux cas, les conséquences de faits internationalement illicites peuvent se prolonger. La douleur et la souffrance causées par des actes antérieurs de torture, ou les incidences économiques d’une expropriation continuent, même si la torture a cessé ou le titre de propriété a été cédé. Ces conséquences font l’objet des obligations secondaires de réparation, notamment la restitution, […]. La prolongation de ces effets sera pertinente, par exemple, pour déterminer le montant de l’indemnité à verser. Cela ne signifie pas pour autant que la violation proprement dite a un caractère continu. ».

De même, le Comité considère qu’un fait pouvant constituer une violation du Pacte n’a pas un caractère continu simplement parce que ses effets ou ses conséquences s’étendent dans le temps. Le Comité constate en l’espèce que les faits qui auraient donné lieu aux violations alléguées − négligence médicale au détriment de la mère des auteurs liée à un défaut de consentement éclairé aux examens médicaux pratiqués et à un défaut de traitement médical approprié et opportun − se sont produits en 2007 et 2008 et que toutes les décisions rendues par les juridictions nationales dans cette affaire l’ont été entre 2010 et 2013, la dernière étant la décision d’irrecevabilité du recours en amparo rendue par le Tribunal constitutionnel le 6 mars 2013, soit avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie. Il ne ressort pas des informations figurant dans la communication que des faits susceptibles de constituer en tant que tels une violation du Pacte aient persisté après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité se considère empêché, ratione temporis, d’examiner la présente communication et estime que celle-ci est irrecevable en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif.

C.Conclusion

7.Compte tenu de toutes les informations fournies, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, est d’avis que la communication est irrecevable.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que, en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, les présentes constatations seront communiquées aux auteurs de la communication et à l’État partie.