Nations Unies

E/C.12/UKR/CO/7

Conseil économique et social

Distr. générale

2 avril 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant le septième rapport périodique de l’Ukraine *

1.Le Comité a examiné le septième rapport périodique de l’Ukraine (E/C.12/UKR/7) à ses 8e et 9e séances (voir E/C.12/2020/SR.8 et 9), les 20 et 21 février 2020, et adopté les présentes observations finales à sa 30e séance, le 6 mars 2020.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le septième rapport périodique de l’État partie, élaboré à partir d’une liste de points préalable établie par le Comité (E/C.12/UKR/QPR/7). Il sait gré à l’État partie d’avoir accepté de soumettre son rapport conformément à la procédure simplifiée, qui permet de mieux cibler l’examen du rapport et le dialogue avec la délégation. Le Comité se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation interministérielle de l’État partie et des informations complémentaires qui lui ont été transmises par la suite.

B.Aspects positifs

3.Le Comité se félicite des mesures législatives et institutionnelles et des orientations que l’État partie a prises pour renforcer le niveau de protection des droits économiques, sociaux et culturels dans le pays, comme indiqué dans les présentes observations finales. Il prend note, en particulier, de l’adoption et de la mise en œuvre de la Stratégie nationale relative aux droits de l’homme à l’horizon 2020.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Obligation d’agir au maximum des ressources disponibles

4.Le Comité prend note des progrès accomplis dans le domaine de la réduction de la pauvreté, mais constate avec préoccupation que les niveaux de pauvreté absolue, en pourcentage des personnes dont les dépenses ou les revenus sont inférieurs au salaire minimum, restent élevés. Il est également préoccupé par :

a)Le creusement des inégalités de revenus dans l’État partie, comme l’atteste l’augmentation du pourcentage de ménages dont les revenus sont inférieurs au revenu médian des ménages ;

b)La baisse de la part des fonds publics alloués aux services sociaux, de 29,8 % en 2016 à 24,4 % en 2018 ;

c)La baisse des subventions, notamment aux services publics tels que le service du gaz, résultant de la politique d’assainissement des finances publiques que l’État partie a mise en place pour se conformer aux conditions d’octroi de prêt par le Fonds monétaire international, qui touche de manière disproportionnée les groupes et les personnes vulnérables tels que les femmes vivant dans la pauvreté ou dans des zones rurales, et le manque d’informations sur le point de savoir si l’État partie a évalué les effets à moyen terme dudit programme sur l’exercice des droits énoncés dans le Pacte ;

d)L’ampleur de la fraude fiscale, y compris dans les secteurs de l’emploi et de l’immobilier (art. 2, par. 1).

5. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’étudier les effets de ses politiques macroéconomiques et budgétaires sur les droits de l’homme, afin de dégager le plus possible de ressources à consacrer à la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels ;

b) De relever le niveau des dépenses sociales, en accordant une attention particulière aux personnes défavorisées et marginalisées, ainsi qu’aux régions présentant des taux élevés de chômage et de pauvreté ;

c) D’évaluer pleinement, avec la participation du Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien et des organisations de la société civile, les effets de sa politique d’assainissement des finances publiques sur l’exercice des droits consacrés par le Pacte, en particulier sur les groupes et les personnes marginalisés et défavorisés, tels que les populations rurales et les femmes. Il appelle aussi l’attention de l’État partie sur sa déclaration de 2016 concernant la dette publique et les mesures d’austérité sous l’angle du Pacte (E/C.12/2016/1) ;

d) De lutter énergiquement contre la fraude fiscale, en particulier la pratique des salaires non déclarés (versés de main à la main) et la sous-évaluation des biens immobiliers.

Réformes de décentralisation

6.Le Comité relève avec préoccupation que l’État partie n’a pas pris suffisamment de mesures pour éviter que les réformes de décentralisation en cours aient pour effet de conditionner, au niveau local, l’exercice des droits consacrés par le Pacte aux ressources financières dont disposent les collectivités locales, et donc d’accentuer les disparités régionales (art. 2).

7.Le Comité rappelle à l’État partie qu’il lui incombe, en dernier ressort, d’appliquer le Pacte à tous les niveaux, y compris à l’échelon local. Il lui recommande de faire en sorte que toutes les autorités publiques, y compris au niveau local, aient pleinement conscience des obligations mises à leur charge par le Pacte. À cette fin, il l’encourage à publier les informations nécessaires et à les diffuser auprès des autorités locales afin que celles-ci soient à même de fournir les services sociaux voulus, à un prix abordable, aux habitants de leur localité. Le Comité recommande en outre à l’État partie d’apporter tout l’appui nécessaire, notamment budgétaire, aux autorités locales, afin qu’elles puissent garantir, à l’échelon local, la réalisation des droits énoncés dans le Pacte.

Corruption

8.Le Comité félicite l’État partie des mesures qu’il a prises pour lutter contre la corruption, notamment la création du Bureau national anticorruption et de la Haute Cour anticorruption, mais demeure préoccupé par le niveau de la corruption qui reste élevé, et par les informations concernant l’ingérence politique dans les affaires de corruption. Il constate également avec inquiétude que le système de vérification automatique du patrimoine et des revenus des fonctionnaires (déclarations électroniques) n’est pas suffisamment efficace ou transparent. En outre, il s’inquiète des attaques et des menaces dont font l’objet les militants anticorruption et les journalistes (art. 2, par. 1).

9. Le Comité recommande à l’État partie de redoubler d’efforts dans sa lutte contre la corruption en :

a) Veillant à l’application des lois anticorruption et en luttant contre l’impunité, en particulier dans les affaires impliquant des hauts fonctionnaires, des ministères et des organismes publics chargés de faire respecter les droits économiques, sociaux et culturels ;

b) Renforçant l’indépendance du pouvoir judiciaire pour lui permettre de lutter plus efficacement contre la corruption et en s’attaquant à l’ingérence politique dans les affaires de corruption ;

c) Améliorant le système de vérification des déclarations électroniques pour le rendre plus efficace et plus transparent ;

d) Assurant l’application effective de la loi ( n o 198-IX) sur la protection des lanceurs d’alerte, de sorte à protéger de la violence les lanceurs d’alerte et les militants de la société civile qui luttent contre la corruption, ainsi que les témoins et les journalistes.

Non-discrimination

10.Le Comité constate que le Code du travail interdit expressément la discrimination sur le lieu de travail fondée sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle, mais est préoccupé par le fait que la loi ukrainienne relative aux principes de prévention et de répression de la discrimination ne proscrit pas ces motifs de discrimination. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les autorités de l’État partie n’appliquent souvent pas l’article 161 du Code pénal dans les cas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Le Comité note en outre avec inquiétude que le cadre législatif de protection contre la discrimination est parcellaire et n’intègre pas la notion de discrimination multiple ni ne prévoit de recours utiles contre les différentes formes de discrimination (art. 2, par. 2).

11. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De faire en sorte que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre soit expressément interdite dans la loi ukrainienne relative aux principes de prévention et de répression de la discrimination ;

b) De dispenser la formation nécessaire aux agents des forces de l’ordre, au personnel judiciaire et aux autres professionnels du droit sur la manière de traiter les cas de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, notamment au regard de l’article 161 du Code pénal ;

c) De redoubler d’efforts afin d’éliminer les stéréotypes négatifs envers les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes et de remédier à la stigmatisation de ces personnes, notamment en menant des campagnes de sensibilisation auprès du public, des prestataires de soins de santé, des travailleurs sociaux et des membres des forces de l’ordre et d’autres agents de l’État ;

d) D’adopter un cadre juridique complet et cohérent de lutte contre la discrimination, en accélérant les réformes d’harmonisation des lois antidiscrimination et en renforçant les recours en cas de discrimination, compte tenu de l’observation n o 20 (2009) sur la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

Personnes déplacées à l’intérieur du pays

12.Le Comité félicite l’État partie des efforts qu’il déploie pour résoudre les problèmes que rencontrent les nombreuses personnes déplacées à l’intérieur du pays (1,4 million de personnes enregistrées), notamment l’adoption de la loi no 1706-VII sur la protection des droits et libertés des personnes déplacées, la stratégie d’intégration des personnes déplacées et la mise en œuvre de solutions à long terme visant à régler la question des déplacements internes à l’horizon 2020. Néanmoins, il relève avec préoccupation que les personnes déplacées se considèrent encore comme victimes de discrimination du fait des politiques et des réglementations publiques, en particulier dans les domaines des soins de santé, de l’emploi et du logement. Le Comité est également préoccupé par les difficultés particulières que rencontrent les femmes déplacées, qui ont deux fois plus de risques que les hommes de vivre dans la pauvreté, et par l’image négative qu’ont, semble-t-il, certaines communautés d’accueil des personnes déplacées (art. 2, par. 2).

13. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’élaborer et d’adopter une nouvelle stratégie nationale globale et un plan d’action visant à intégrer les personnes déplacées et leur permettre d’exercer leur s droits économiques, sociaux et culturels après 2020 ;

b) De prendre des mesures ciblées pour s’attaquer aux problèmes particuliers que rencontrent les femmes déplacées, notamment en leur donnant accès aux infrastructures et aux services d’appui sociaux tels que la garde d’enfants, afin qu’elles participent davantage au marché du travail, et en améliorant l’offre de logements sociaux abordables. À cette fin, l’État partie devrait collecter des données statistiques, ventilées par sexe, appartenance ethnique et situation géographique, sur l’emploi, le logement et les conditions de vie de ces femmes ;

c) De renforcer les programmes visant à sensibiliser le public aux difficultés que rencontrent les personnes déplacées et à faciliter la médiation communautaire afin de réduire le risque de conflit entre les communautés d’accueil et les personnes déplacées.

Roms

14.Le Comité prend note des services sociaux spéciaux fournis par le Ministère de la politique sociale, mais il est préoccupé par le fait que les Roms continuent de se heurter à un certain nombre d’obstacles et de barrières pour accéder aux droits consacrés par le Pacte et exercer ces droits dans des conditions d’égalité, notamment dans les domaines de l’emploi, du logement, des soins de santé et de l’éducation. Le Comité constate avec préoccupation que les femmes et les personnes handicapées roms sont particulièrement défavorisées. Il s’inquiète également de voir que bien qu’ils soient nombreux à ne pas avoir de documents d’identité, les Roms saisissent rarement les tribunaux, faute de connaissances juridiques et de ressources financières. Bien que la délégation ait affirmé qu’il n’est pas nécessaire, pour bénéficier d’une aide juridictionnelle primaire gratuite, de présenter une pièce d’identité, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les personnes qui ne possèdent pas de documents d’identité n’ont pas accès aux centres d’aide juridictionnelle secondaire gratuite financés par l’État (art. 2, par. 2).

15. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’élaborer et d’adopter une stratégie d’intégration renforcée des Roms pour l’après-2020, en tenant compte des résultats de l’évaluation, sous l’angle des questions relatives au genre, de la Stratégie de protection et d’intégration de la minorité nationale rom dans la société ukrainienne à l’horizon 2020 et de son plan d’action ;

b) D’envisager de créer des mécanismes institutionnels visant à lutter plus efficacement contre la discrimination à l’égard des Roms, en particulier les femmes et les personnes handicapées ;

c) De lutter activement contre la stigmatisation des Roms et les préjugés à leur sujet, notamment au moyen de campagnes de sensibilisation ;

d) De mieux informer les Roms de la procédure judiciaire à suivre pour obtenir des documents d’identité et de leur garantir l’accès à des services juridiques gratuits.

Égalité entre les hommes et les femmes

16.Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré les lois et un programme national en faveur de l’égalité des droits, les femmes ne jouissent pas, dans les faits, de cette égalité, pour ce qui est de l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Le Comité est également préoccupé par les stéréotypes de genre qui perdurent concernant les rôles des hommes et des femmes, qui perpétuent les inégalités entre les sexes dans l’État partie et ont pour effet que les femmes, en particulier celles qui se trouvent dans des situations vulnérables comme les femmes déplacées et les femmes roms, continuent de devoir assumer plus que leur part des tâches domestiques et familiales sans rémunération, ce qui compromet leur pleine participation à la vie publique et au marché du travail (art. 3 et 6).

17. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De veiller à l’application effective du Programme social national en faveur de l’égalité des droits et des chances entre les femmes et les hommes pour la période allant jusqu’à 2021, notamment en collectant des statistiques ventilées par sexe, en particulier sur les effets de la pauvreté sur des groupes de femmes se trouvant dans des situations différentes ;

b) De mettre en œuvre l’initiative de budgétisation tenant compte des questions de genre approuvée au titre de l’ordonnance n o 1 du 2 janvier 2019 et d’envisager d’effectuer des enquêtes sur les budgets-temps afin de mesurer la répartition du travail rémunéré et non rémunéré entre les femmes et les hommes ;

c) De lutter contre les stéréotypes de genre dans la famille et dans la société, notamment au moyen de campagnes de sensibilisation sur le partage équitable des responsabilités familiales, afin de faciliter la participation égale des femmes au marché du travail et dans d’autres domaines de la vie sociale et culturelle.

18. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 16 (2005) sur le droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels.

Les femmes dans l’emploi

19.Le Comité constate avec préoccupation que les femmes sont sous-représentées dans la fonction publique et sur le marché du travail privé. Il s’inquiète également de la ségrégation horizontale et verticale entre les femmes et les hommes sur le marché du travail et de l’écart de rémunération important qui existe entre eux, qui s’élève à 21,2% (art.3, 6 et 7).

20. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De poursuivre ses efforts en vue de promouvoir une plus grande représentation des femmes dans l’emploi et dans les secteurs public et privé ;

b) De promouvoir la pleine participation des femmes au marché du travail, notamment en élaborant des solutions de garde d’enfants adéquates et abordables et en incitant les hommes à exercer leur droit au congé de paternité et au congé parental rémunéré ;

c) De réduire l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, notamment en inscrivant pleinement dans la loi le principe d’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, afin de garantir l’égalité des droits et des chances pour les femmes, et en élaborant des méthodes d’évaluation objective du travail à accomplir en vue d’assurer une classification des emplois exempte de tout préjugé lié au genre.

Droit au travail

21.Le Comité prend note avec satisfaction de l’augmentation générale de la représentation des déplacés internes, des Roms et des personnes handicapées sur le marché du travail et dans l’emploi, mais est préoccupé par le taux de chômage élevé parmi ces personnes (art. 6).

22. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour augmenter la représentation des personnes déplacées, des Roms et des personnes handicapées sur le marché du travail, notamment en :

a) Leur proposant un enseignement et une formation professionnels qui tiennent compte de leur expérience et de leurs qualifications ;

b) Appliquant les quotas relatifs à l’emploi des personnes handicapées ;

c) Faisant mieux connaître les programmes d’aide aux employeurs qui embauchent des personnes déplacées ;

d) Adoptant une démarche cohérente et coordonnée pour résoudre les problèmes d’accès au logement et à l’emploi, en ayant à l’esprit l’importance que revêt le logement pour obtenir et conserver un emploi, en particulier dans le cas des personnes déplacées et des Roms.

23. Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale n o 18 (2005) sur le droit au travail.

Conditions de travail justes et favorables

24.Le Comité prend note de ce que les personnes occupant un emploi dans l’économie informelle sont plus nombreuses à bénéficier de la sécurité sociale, mais demeure préoccupé par l’ampleur de l’emploi informel. Il s’inquiète également de l’augmentation des arriérés de salaire, qui s’élèvent à près de 3,33 milliards de hryvnias, et de l’impossibilité pour les travailleurs non rémunérés d’avoir accès à un recours effectif. Le Comité constate en outre avec préoccupation que le projet de loi sur le travail (no 2708) et le projet de loi portant modification du Code du travail ukrainien en ce qui concerne les motifs supplémentaires de licenciement (no 2584) soulèvent de graves interrogations au regard du Pacte (art. 6 et 7).

25. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De redoubler d’efforts pour régulariser la situation des travailleurs du secteur informel, en particulier les travailleurs migrants et les femmes, et, en attendant cette régularisation, de leur faire bénéficier de la couverture prévue par la législation en vigueur en matière de protection du travail et de protection sociale ;

b) De contrôler efficacement le paiement des salaires et de mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible qui permette non seulement le paiement des sommes dues, mais également l’indemnisation équitable des pertes subies en raison des retards de paiement ;

c) De faire en sorte que toutes les régions de l’État partie disposent des ressources matérielles et humaines nécessaires pour contrôler efficacement les conditions de travail et que les injonctions des inspecteurs du travail soient dûment respectées et mises en œuvre ;

d) De revoir le projet de loi sur le travail ( n o 2708) et le projet de loi portant modification du Code du travail ukrainien en ce qui concerne les motifs supplémentaires de licenciement ( n o 2584), afin de garantir le droit à la protection contre le licenciement abusif, le droit au repos et aux loisirs, ainsi que le droit à la limitation raisonnable de la durée de travail et au paiement des heures supplémentaires, conformément aux articles 6 et 7 du Pacte.

26. Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale n o 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables.

Droits syndicaux

27.Le Comité craint que les modifications de la législation du travail proposées par l’État partie en décembre 2019 (projets de loi nos 2681 et 2682) n’affaiblissent les pouvoirs des syndicats, notamment le droit de grève, aboutissant à la violation de l’article 8 du Pacte et d’autres normes internationales (art. 8).

28.Le Comité exhorte l’État partie à revoir le projet de loi portant modification d’actes législatifs (relatifs à certaines questions liées aux activités syndicales) ( n o 2681) et le projet de loi sur les grèves et les lock-out ( n o 2682), afin de garantir l’effectivité de la négociation collective et du droit à la représentation syndicale, conformément à l’article 8 du Pacte et aux dispositions de la Convention de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ( n o 87) et de la Convention de 1949 sur le droit d’organisation et de négociation collective ( n o 98) de l’Organisation internationale du Travail. Il recommande également à l’État partie de protéger les syndicalistes des agressions, des persécutions et du harcèlement.

Sécurité sociale

29.Le Comité prend acte de l’explication fournie par la délégation concernant la difficulté de déterminer et de vérifier les droits à pension et à d’autres prestations sociales des résidents de la zone non contrôlée par le Gouvernement des régions de Donetsk et de Louhansk. Néanmoins, il constate avec préoccupation qu’un grand nombre de ces résidents ont vu le versement de leur pension suspendu et continuent d’avoir du mal à percevoir leur pension et d’autres prestations sociales. Ces difficultés s’expliquent par le fait que pour recevoir leur pension de retraite et d’autres prestations sociales, les bénéficiaires doivent impérativement s’inscrire en tant que personnes déplacées. Pour ce faire, ils doivent prouver qu’ils ont et conservent une résidence dans les zones contrôlées par le Gouvernement, ce qui les oblige à se rendre sur le territoire sous contrôle gouvernemental tous les soixante jours. Cette obligation a des conséquences particulièrement importantes pour les personnes à mobilité réduite (art. 9).

30. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter une législation qui supprime l’obligation faite aux résidents de la zone non contrôlée par le Gouvernement de s’enregistrer en tant que personnes déplacées pour pouvoir percevoir leur pension de retraite et d’autres prestations sociales, et d’accélérer l’adoption de procédures de vérification et de paiement permettant aux résidents de la zone non contrôlée par le Gouvernement de percevoir leurs prestations sociales sans avoir à franchir la ligne de contact ;

b) D’établir une procédure particulière pour le paiement des arriérés de pension accumulés depuis la suspension des versements ;

c)De faire en sorte que les politiques de protection sociale dont relèvent les résidents de la zone non contrôlée par le Gouvernement ne limitent pas, de manière directe ou indirecte, les droits à la sécurité sociale qu’ils tiennent du Pacte.

Enregistrement des naissances et des décès et procédure de détermination de l’apatridie

31.Le Comité est préoccupé par le fait que, malgré le cadre juridique en place, les autorités de l’État partie ne reconnaissent pas les documents médicaux confirmant les naissances et les décès émis dans la zone non contrôlée par le Gouvernement des régions de Donetsk et de Louhansk, et que la voie judiciaire est le seul moyen d’obtenir des actes de naissance ukrainiens pour les enfants nés dans ces régions, ce qui prive de nombreux enfants de familles vulnérables desdits actes. Il est également préoccupé par le fait que seuls les enfants nés de parents apatrides résidant légalement dans l’État partie peuvent obtenir la citoyenneté ukrainienne, alors qu’une procédure de détermination de l’apatridie fait toujours défaut dans l’État partie (art. 3 et 10).

32. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De redoubler d’efforts pour mettre en place une procédure administrative visant à faciliter l’enregistrement des naissances et des décès survenant dans la zone non contrôlée par le Gouvernement des régions de Donetsk et de Louhansk ;

b) De veiller à l’application effective de la loi sur les aspects particuliers de l’ordre public visant à sauvegarder la souveraineté de l’Ukraine sur le territoire temporairement occupé des régions de Donetsk et de Louhansk ( n o 2268), afin de faciliter la vérification des documents médicaux émis dans la zone non contrôlée par le Gouvernement ;

c)De prévenir l’apatridie à la naissance, notamment i) en accélérant la mise en place d’une procédure de détermination de l’apatridie, ii) en accordant la nationalité ukrainienne aux enfants apatrides nés dans l’État partie, quel que soit le statut juridique de leurs parents, et iii) en incorporant pleinement dans le droit interne les dispositions de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Droit à un niveau de vie suffisant

33.Le Comité constate avec préoccupation que la nouvelle méthode établie pour calculer le minimum vital actuel dans l’État partie ne tient pas suffisamment compte du coût réel de la vie et est défavorable aux personnes qui vivent de prestations sociales calculées sur la base de cet indicateur, en particulier les femmes. L’absence d’indexation des prestations sociales sur le coût réel de la vie entraîne une baisse du niveau de vie des personnes tributaires de ces prestations (art. 11).

34. Le Comité recommande à l’État partie d’accélérer la modification de sa méthode de calcul du minimum vital, en s’appuyant sur des indicateurs objectifs qui reflètent le minimum vital réel, afin de garantir un niveau de vie suffisant.

Droit au logement

35.Le Comité est préoccupé par le fait qu’aucune enquête statistique sur le registre du logement et l’attribution des logements n’a été menée depuis 2015 dans l’État partie et qu’il n’existe pas d’autres données ou indicateurs qui permettraient d’élaborer et de mettre en œuvre de manière ciblée la politique nationale en matière de logement. Le Comité observe également avec préoccupation que le logement reste l’un des principaux problèmes pour les Roms et que le montant de l’aide au logement est insuffisant compte tenu de l’augmentation du coût de la vie. Le Comité prend note de la déclaration de la délégation selon laquelle un groupe de travail, au sein du Conseil de coordination pour le respect des droits des personnes déplacées et des personnes résidant dans le territoire temporairement occupé, a été créé pour évaluer et restituer ou indemniser les biens endommagés ou détruits pendant les hostilités armées. Néanmoins, il regrette le retard pris dans la mise en place d’un dispositif administratif à cette fin. Il constate également avec inquiétude que la question de l’utilisation militaire des biens civils n’a pas été résolue (art. 11).

36. Le Comité recommande à l’État partie :

a) De mettre au point et d’appliquer avec efficacité une stratégie nationale du logement fondée sur les droits de l’homme et, à cette fin, de collecter des statistiques ventilées, en particulier sur la situation des groupes et des personnes vulnérables au regard du logement ;

b) D’augmenter l’aide au logement de sorte qu’elle soit ajustée en fonction du coût de la vie ;

c) D’accélérer la mise en place d’un dispositif administratif permettant d’indemniser les biens endommagés ou détruits pendant les hostilités armées, et de s’attaquer véritablement à la question de l’utilisation militaire de biens civils, notamment en proposant une indemnisation ou un logement de remplacement.

37. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 4 (1991) sur le droit à un logement suffisant.

Droit à la santé

38.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles, bien qu’ils aient droit à des services de santé gratuits, les réfugiés et les personnes bénéficiant d’une protection complémentaire doivent souvent payer des frais non officiels pour obtenir des examens médicaux et des médicaments. Il est également préoccupé par le fait que la récente réforme du système de soins de santé a privé les demandeurs d’asile du droit qu’ils avaient jusque‑là de bénéficier gratuitement de services de soins de santé, y compris de l’aide médicale urgente et des premiers examens médicaux (art. 12).

39. Le Comité recommande à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les personnes dans l’État partie, y compris les migrants et les demandeurs d’asile, aient accès à des soins de santé préventifs, curatifs et palliatifs dans des conditions d’égalité, indépendamment de leur statut juridique et des documents d’identité en leur possession. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint et sur sa déclaration sur les devoirs des États envers les réfugiés et les migrants au titre du Pacte (E/C.12/2017/1).

Santé mentale

40.Le Comité note que les anciens combattants et d’autres populations touchées par le conflit bénéficient de services de réadaptation et d’une aide psychologique, mais constate avec préoccupation que ces personnes ont encore un accès limité aux soins de santé mentale et au soutien psychologique, notamment en raison du manque de personnel et d’installations médicales. Le fait que les enfants vivant à proximité de la ligne de contact n’ont pas suffisamment accès à un soutien psychologique est particulièrement préoccupant. Le Comité s’inquiète également de la stigmatisation sociale générale subie par les personnes ayant des problèmes de santé mentale (art. 12).

41. Le Comité recommande à l’État partie :

a) D’adopter une politique nationale de santé mentale visant à rendre les services en la matière disponibles et accessibles à tous et de veiller à la mise en œuvre de cette politique aux niveaux national et régional ;

b) De concevoir des politiques et des programmes publics systématiques visant à fournir des services de santé mentale et une aide psychosociale à toutes les personnes touchées par le conflit, y compris les personnes déplacées, ainsi qu’aux enseignants, aux travailleurs sociaux et aux psychologues scolaires, en particulier ceux qui vivent à proximité de la zone de conflit ;

c) D’élaborer et de mettre en œuvre une politique ciblée visant à répondre aux besoins des populations touchées par le conflit, notamment par la collecte de données statistiques, et de faire en sorte que les enfants vivant à proximité de la ligne de contact aient suffisamment accès à des services de santé mentale, y compris les services des travailleurs sociaux et des psychologues scolaires ;

d) De prendre des mesures efficaces pour lutter contre la stigmatisation sociale des personnes ayant des problèmes de santé mentale.

Consommation de drogues

42.Le Comité se félicite des politiques fondées sur les faits que l’État partie a adoptées pour lutter contre la consommation de drogues, telles que les traitements de substitution aux opiacés et les programmes de réduction des risques. Cependant, il est préoccupé par la criminalisation de la possession de très petites quantités de drogues, ce qui prive les usagers, qui craignent d’être poursuivis, de l’accès aux traitements nécessaires ou aux programmes de réduction des risques. Il est également préoccupé par la persistance d’un taux élevé d’infection au VIH et à l’hépatite C chez les personnes qui s’injectent des drogues, par les restrictions imposées aux détenus pour accéder aux traitements de substitution aux opiacés et aux programmes de réduction des risques, et par la stigmatisation sociale des usagers de drogues. Il prend note avec inquiétude de l’absence d’informations sur la privatisation de certains programmes de traitement de substitution aux opiacés et sur la surveillance exercée par les autorités sur ces programmes (art. 12).

43.Le Comité recommande à l’État partie d’appliquer aux usagers de drogues une approche cohérente fondée sur les droits de l’homme et d’envisager de dépénaliser la possession de drogues à des fins d’autoconsommation. Le Comité encourage également l’État partie à continuer de s’employer à développer des programmes de réduction des risques, en particulier dans les prisons, et de veiller à la qualité et à la pertinence des programmes privatisés de traitement de substitution aux opiacés. L’État partie devrait également prendre les mesures nécessaires pour lutter contre la stigmatisation sociale des usagers de drogues en formant la police, les travailleurs sociaux, les agents de protection de l’enfance et les professionnels de la santé, et en sensibilisant le public, en particulier au droit à la santé reconnu aux usagers de drogues.

Droit à l’éducation

44.Le Comité est préoccupé par les disparités régionales en matière d’accès à une éducation de qualité dans l’État partie. Il prend note de l’augmentation du nombre d’enfants handicapés inscrits dans des classes inclusives, mais s’inquiète des problèmes qui subsistent dans le territoire contrôlé par la « République populaire de Donetsk » et la « République populaire de Louhansk » autoproclamées. Le Comité est également préoccupé par le taux toujours élevé d’analphabétisme parmi la population rom, par le taux élevé d’abandon scolaire des enfants roms dans l’enseignement secondaire et par leur sous-représentation dans l’enseignement secondaire et supérieur, ainsi que par la ségrégation de fait dont ils font l’objet. Il regrette l’absence de données ventilées sur le pourcentage d’enfants roms scolarisés dans les différents niveaux d’enseignement (art. 13 et 14).

45. Le Comité encourage l’État partie à redoubler d’efforts pour garantir l’accès universel à une éducation de qualité à tous les niveaux. Il lui recommande :

a) D’assurer une répartition juste et équitable des ressources entre les régions et d’accorder une attention particulière aux zones rurales et aux zones situées le long de la ligne de contact ;

b) De faciliter l’accès des enfants handicapés à l’éducation inclusive, notamment en améliorant l’accessibilité physique des écoles, en fournissant des moyens de transport suffisants, en dotant les écoles de matériels pédagogiques adaptés et en dispensant aux enseignants et éducateurs une formation adéquate ;

c)De prendre des mesures efficaces pour garantir l’accès à l’éducation de tous les enfants roms, accroître leur taux d’achèvement des études secondaires et augmenter leur nombre dans l’enseignement secondaire et supérieur. À cet égard, l’État partie devrait collecter des statistiques ventilées sur le pourcentage d’enfants roms scolarisés dans les différents niveaux ;

d) De lutter contre la ségrégation scolaire de fait, en prenant des mesures visant à scolariser davantage d’enfants roms dans des écoles ordinaires, y compris en sensibilisant les parents qui appartiennent à différents groupes ethniques aux avantages de la diversité ethnique.

46. Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale n o 13 (1999) sur le droit à l’éducation.

Langues minoritaires

47.Le Comité s’inquiète de ce que la loi sur le fonctionnement de l’ukrainien en tant que langue officielle (no 2704-VIII) prévoit une différence de traitement pour différentes langues minoritaires. Il est également inquiet de ce que cette loi fait largement référence à une loi, encore inexistante, sur les peuples autochtones et les minorités, ce qui crée un vide juridique en matière de protection des langues minoritaires (art. 15).

48. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que les groupes ethniques minoritaires, les peuples autochtones et d’autres groupes aient les mêmes possibilités d’apprendre leur langue et de l’utiliser en privé et en public. À cette fin, il lui recommande :

a) De veiller à ce que toute révision, application ou interprétation de la loi sur le fonctionnement de l’ukrainien en tant que langue officielle ( n o 2704-VIII) et de la loi sur l’éducation ( n o 2145-VIII) respecte pleinement les articles 2 (par. 2) et 15 du Pacte, notamment en ce qui concerne la différence de traitement des langues des peuples autochtones, des langues des minorités nationales qui sont des langues officielles de l’Union européenne et des langues de minorités nationales qui n’ont pas ce statut ;

b) D’accélérer l’élaboration et l’adoption du projet de loi sur la réalisation des droits des peuples autochtones et des minorités nationales d’Ukraine, de veiller à ce qu’il soit pleinement conforme à l’article 15 du Pacte, et de faire en sorte que les représentants des peuples autochtones et des minorités nationales soient dûment consultés à ce sujet.

D.Autres recommandations

49. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

50.Le Comité recommande à l’État partie de tenir pleinement compte des obligations que lui impose le Pacte et de garantir le plein exercice des droits qui y sont consacrés dans la mise en œuvre au niveau national du Programme de développement durable à l’horizon 2030, avec l’aide et la coopération de la communauté internationale si nécessaire. La réalisation des objectifs de développement durable serait sensiblement facilitée si l’État partie établissait des mécanismes indépendants pour le suivi des progrès et considérait les bénéficiaires des programmes publics comme les titulaires de droits qu’ils peuvent faire valoir. Appliquer les objectifs d’après les principes de participation, de responsabilité et de non ‑ discrimination permettrait de faire en sorte que nul ne soit laissé de côté. À cet égard, le Comité appelle l’attention de l’État partie sur la déclaration relative à l’engagement qu’il a pris de ne laisser personne de côté (E/C.12/2019/1).

51. Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte de mettre au point et d’appliquer progressivement des indicateurs appropriés sur la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels de manière à faciliter l’évaluation des progrès qu’il aura accomplis dans le respect des obligations que lui impose le Pacte pour diverses catégories de la population. À cet égard, il renvoie au cadre conceptuel et méthodologique concernant les indicateurs des droits de l’homme, établi par le Haut ‑C ommissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (voir HRI/MC/2008/3).

52. Le Comité prie l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société, y compris aux échelons national, provincial et territorial, en particulier auprès des parlementaires, des fonctionnaires et des autorités judiciaires, et de l’informer dans son prochain rapport périodique des dispositions qu’il aura prises pour y donner suite. Il l’encourage à associer le Commissaire aux droits de l’homme du Parlement ukrainien, les organisations non gouvernementales et d’autres membres de la société civile au suivi des présentes observations finales et au processus de consultation nationale avant la soumission du prochain rapport périodique.

53.Conformément à la procédure de suivi des observations finales adoptées par le Comité, l’État partie est prié de fournir, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de l’adoption des présentes observations finales, des informations sur la mise en œuvre des recommandations formulées par le Comité aux paragraphes 30 (Sécurité sociale), 32 (Enregistrement des naissances et des décès et procédure de détermination de l’apatridie) et 48, alinéa b (Langues minoritaires).

54.Le Comité prie l’État partie de lui soumettre, le 31 mars 2025 au plus tard, son huitième rapport périodique. À cette fin, et compte tenu du fait que l’État partie a accepté d’établir son rapport selon la procédure simplifiée, le Comité lui adressera en temps voulu une liste préalable de points à traiter. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront le huitième rapport périodique qu’il soumettra en application de l’article 16 du Pacte. Le Comité invite aussi l’État partie à mettre à jour son document de base commun conformément aux directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (voir HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).