Nations Unies

E/C.12/70/3

Conseil économique et social

Distr. générale

15 novembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Rapport sur le suivi des communications émanant de particuliers *

1. Communication n o 5/2015, Ben Djazia et consorts c. Espagne

Date des constatations :

20 juin 2017

Teneur de la communication initiale :

Les auteurs ont été expulsés du logement qu’ils louaient à Madrid, pour défaut de paiement du loyer. Ils considèrent que leur expulsion constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte. Ils estiment également que la procédure engagée devant le tribunal n’a pas été menée dans le respect des garanties judiciaires, étant donné que l’expulsion a été ordonnée sans qu’il ait été tenu compte des effets qu’elle pourrait avoir sur eux.

Articles enfreints :

Article 11 (par. 1), lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 1) et 10 (par. 1) du Pacte

Recommandations du Comité concernant les auteurs :

L’État partie est tenu d’offrir aux auteurs une réparation effective, et notamment :

a)S’ils ne disposent pas d’un logement convenable, d’évaluer leur situation actuelle et, le cas échéant, de leur octroyer un logement social ou de les faire bénéficier d’une autre mesure leur permettant de vivre dans un logement convenable, après les avoir véritablement consultés et compte étant tenu des critères établis dans les présentes constatations ;

b)De les indemniser pour les violations subies ;

c)De les rembourser des honoraires d’avocat associés au traitement de la communication, dans la mesure du raisonnable.

Recommandations générales du Comité :

L’État partie a les obligations suivantes :

a)Adopter les mesures législatives ou administratives qui s’imposent pour que, dans le cadre des procédures judiciaires d’expulsion de locataires, les défendeurs puissent faire opposition ou interjeter appel afin que le juge examine les effets de leur expulsion éventuelle et sa compatibilité avec le Pacte ;

b)Prendre les mesures nécessaires pour remédier au manque de cohérence entre les décisions rendues par les tribunaux et les mesures prises par les services sociaux, qui peut conduire à ce qu’une personne expulsée se retrouve sans logement adéquat ;

c)Prendre les mesures nécessaires pour que les arrêtés d’expulsion frappant des personnes qui n’ont pas les moyens de se reloger ne soient mis à exécution qu’après que les intéressés ont été véritablement consultés et que l’État a fait tout ce qui s’imposait, en agissant au maximum des ressources disponibles, pour que ceux-ci soient relogés, en particulier lorsque l’expulsion concerne des familles, des personnes âgées, des enfants ou d’autres personnes vulnérables ;

d)Élaborer et mettre en œuvre, en coordination avec les communautés autonomes et en agissant au maximum des mesures disponibles, un plan global et intégré visant à garantir l’exercice du droit à un logement suffisant par les personnes à faible revenu, conformément à l’observation générale no 4 (1991). Dans ce plan devront être indiquées les ressources et les mesures qui seront mises en œuvre pour garantir le droit au logement de ces personnes, ainsi que les délais correspondants et les critères qui seront utilisés pour déterminer si l’objectif a raisonnablement été atteint.

Décision précédente :

À sa soixante-sixième session, le Comité a adopté son rapport sur le suivi des communications, dans lequel il a estimé que quelques mesures initiales avaient été prises, mais que d’autres étaient encore nécessaires et qu’il fallait donner des informations sur les mesures prises. Il a décidé de poursuivre la procédure de suivi de la communication et a invité l’État partie à apporter, dans les quatre‑vingt-dix jours suivant la publication du présent document, des renseignements sur les mesures qu’il a prises au sujet des recommandations b) et c) concernant les auteurs, et des recommandations générales a), b), c) et d), et, en particulier, de l’adoption du décret-loi royal no 7/2019.

Réponse de l’État partie :

Par une note verbale datée du 6 février 2020, l’État partie a répondu aux recommandations du Comité.

Pour ce qui est des recommandations concernant les auteurs, l’État partie est en désaccord avec elles, estimant que l’octroi d’un logement social est une mesure suffisante pour s’acquitter de ses obligations. Néanmoins, il indique qu’une demande d’indemnisation auprès des services de la Communauté de Madrid est en cours d’instruction.

En ce qui concerne les recommandations d’ordre général, l’État partie souligne que le Défenseur du peuple, dans son rapport du 23 septembre 2019, a fait état de l’adoption du décret-loi royal no 7/2019, qui répond à la volonté du Gouvernement de poursuivre la mise en œuvre de ses engagements internationaux en matière de logement, en faisant expressément référence aux constatations qui font l’objet du présent suivi. Pour répondre aux situations d’urgence en cas d’expulsion légitime et tant que les intéressés ne se voient pas proposer un logement convenable, ce règlement prévoit une coordination entre les décisions judiciaires et les actions des services sociaux, de sorte que les autorités judiciaires puissent, avec l’accord des défendeurs, transmettre les informations les concernant aux services sociaux afin qu’ils puissent déterminer si ces personnes sont en situation de vulnérabilité. Le décret-loi royal no 7/2019 prévoit également l’obligation de fixer la date et l’heure précises de l’expulsion. En outre, les services sociaux sont tenus de déterminer si les intéressés sont en situation de vulnérabilité et, le cas échéant, de suspendre la procédure jusqu’à ce que les mesures qui s’imposent soient prises, dans un délai maximum d’un mois ou de trois mois si le demandeur est une personne morale. Par ailleurs, l’État continue d’œuvrer en faveur de l’élargissement des protocoles de collaboration entre toutes les administrations compétentes en matière d’expulsion.

En conclusion, l’État partie estime s’être conformé aux recommandations du Comité et demande qu’il soit mis fin au suivi des constatations.

Commentaires des auteurs :

Le 23 octobre 2020, les auteurs sont revenus sur les recommandations les concernant. Ils ont indiqué qu’ils avaient engagé, en juin 2018, devant la Communauté de Madrid, une action en responsabilité de l’État, ainsi que leur avait recommandé le Bureau du Défenseur du peuple, et que cette action était toujours en cours. Ils estiment qu’il n’existe pas de mécanismes suffisamment clairs pour former un recours utile en cas de violation des droits de l’homme.

Les auteurs demandent que l’État partie soit tenu de s’acquitter de son obligation de réparation.

Interventions de tiers :

Le 23 octobre 2020, le Groupe de suivi de la société civile pour le respect des constatations du Comité dans l’État a fait parvenir une note sur le suivi des recommandations d’ordre général formulées par le Comité.

Le Groupe de suivi précise que le Défenseur du peuple a clos la procédure de plainte interne ouverte à sa demande, mais que cela ne veut pas dire que celui-ci estime que les recommandations du Comité ont été appliquées de manière satisfaisante.

Le Groupe de suivi considère que les mesures prévues par le décret‑loi royal no 7/2019 ne suffisent pas pour donner effet aux recommandations du Comité et examine dans quelle mesure ce règlement satisfait à chacune des recommandations générales formulées par le Comité. Tout d’abord, il estime que le décret-loi royal ne garantit pas que les effets d’une expulsion et la compatibilité de cette mesure avec le Pacte puissent être prises en compte dans les procédures judiciaires. En ce qui concerne la recommandation a), selon le Groupe de suivi, il n’est pas prévu que le juge évalue systématiquement la proportionnalité de la mesure d’expulsion. Dans son intervention, le Groupe de suivi soutient en outre que si, dans son arrêt no 1797/2017 du 23 novembre 2017, la Cour suprême a établi que le principe de proportionnalité devait s’appliquer dans pareil cas, cette pratique n’est pas généralisée. En ce qui concerne la recommandation b), il précise que, si le règlement prévoit effectivement la mise en place de mesures de coordination entre les services sociaux et les autorités judiciaires, les expulsions ordonnées à l’issue d’une procédure civile engagée pour occupation non autorisée (sans contrat de location) n’entrent pas dans son champ d’application. Par ailleurs, il estime que la recommandation c) suppose que le règlement établisse l’obligation de garantir le relogement des personnes sans ressources. En ce qui concerne la recommandation d), il considère que les mesures prévues par le décret-loi royal ne suffisent pas pour répondre aux besoins de l’État. Ce règlement prévoit que des rapports sur le parc de logements disponibles doivent être régulièrement établis et accorde à l’administration un droit de préemption pour certaines transactions, l’objectif étant d’élargir le parc des logements sociaux. Les mesures fiscales dissuadant les propriétaires de conserver des logements inoccupés sont d’autres dispositions bienvenues de ce règlement. Cependant, le Groupe de suivi estime que le règlement aurait dû définir le concept de « logement vide » et rappelle qu’en matière de logement social, l’Espagne est en retard par rapport à d’autres pays européens voisins. En ce qui concerne l’abordabilité des logements, le règlement prévoit plusieurs mesures positives, telles que l’encadrement de la hausse des loyers, la diminution du montant de la garantie et la création d’un indice de référence pour les loyers. Toutefois, le Groupe de suivi estime que ces mesures ne suffisent pas pour empêcher la hausse des prix dans l’État partie et qu’un mécanisme contraignant de maîtrise des prix est indispensable.

En ce qui concerne les protocoles de coordination établis entre les organes judiciaires et les services sociaux, le Groupe de suivi précise qu’ils s’appliquent uniquement aux expulsions ordonnées pour non‑paiement d’un prêt hypothécaire ou du loyer. En outre, ils ne couvrent pas l’intégralité du territoire de l’État partie, mais seulement 10 communautés autonomes sur 17. Enfin, il est à noter que les expulsions locatives ont augmenté de manière linéaire depuis 2015 et que les expulsions sans relogement continuent d’avoir lieu dans l’État partie. Ainsi, entre le début de 2020 et la date de l’intervention,11 042 expulsions ont été ordonnées, dont beaucoup, en raison de la crise sanitaire, ont été reportées, mais pourraient reprendre à tout moment. Le Groupe de suivi affirme que l’État partie s’est engagé à construire 20 000 logements sociaux ces prochaines années, ce qu’il juge positif, bien qu’il ne connaisse pas ce plan dans le détail. Par ailleurs, il évoque, dans son intervention, le rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, selon lequel il existe un décalage profond entre les besoins de logement et les réponses politiques apportées dans l’État partie.

Décision du Comité :

Le Comité note que l’État partie n’est pas d’accord avec ses recommandations concernant une indemnisation pour les violations subies et le remboursement des frais qui ont pu raisonnablement être engagés. Il maintient par conséquent son analyse selon laquelle quelques mesures satisfaisantes ont été prises pour donner effet aux recommandations concernant les auteurs, mais qu’il n’a pas encore été répondu aux recommandations b) et c), pour lesquelles aucune mesure satisfaisante n’a été prise.

En ce qui concerne les recommandations générales, il prend acte des progrès apportés par l’application des décrets-lois royaux nos 7/2019, 11/2020 et 37/2020, qui ont permis aux services sociaux et aux autorités judiciaires de dialoguer et de se coordonner, et de mieux prendre en compte la vulnérabilité socioéconomique des personnes qui sont sous le coup d’une expulsion ordonnée par la justice. Le Comité estime que ces mesures peuvent contribuer à donner effet à ses recommandations a) et b), mais note que certaines d’entre elles ont une application limitée à la durée de l’état d’alerte, et que le nombre des expulsions reste très élevé.

Le Comité prend note du soutien budgétaire et administratif apporté au plan national du logement pour la période 2018-2021, même si les aides ne sont pas encore parvenues à toutes les catégories de citoyens dans le besoin. Il se félicite également de l’initiative en faveur de l’adoption d’une loi sur le logement. Il estime que ces mesures peuvent contribuer au suivi des recommandations c) et d), et engage l’État partie à poursuivre dans cette voie.

À la lumière de toutes les informations reçues, le Comité estime que quelques mesures initiales ont été prises mais que d’autres sont encore nécessaires, et qu’il faut donner des informations sur les mesures prises. Il décide de continuer la procédure de suivi et invite l’État partie à apporter des renseignements sur les mesures qu’il a prises au sujet des recommandations b) et c) concernant les auteurs, et de toutes les recommandations générales. Il demande que ces renseignements lui soient transmis dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la publication du présent document et souhaite être régulièrement tenu informé des progrès dans la suite donnée à ses recommandations.

2. Communication n o 37/2018, López Albán et consors c. Espagne

Date des constatations :

11 octobre 2019

Teneur de la communication initiale :

L’auteure et ses enfants ont été expulsés du logement qu’ils occupaient sans titre juridique et n’ont pas été relogés. La demande de logement de l’auteure avait déjà été rejetée, les personnes qui occupent un logement sans titre valable ne pouvant faire une demande de logement. Après l’expulsion, l’auteure et ses enfants ont été transférés dans deux foyers différents.

Articles enfreints :

Article 11 du Pacte

Recommandations du Comité concernant l’auteure :

L’État partie est tenu d’offrir à l’auteure et à ses enfants une réparation effective, et notamment :

a)S’ils ne disposent pas d’un logement convenable, de réévaluer leur état de nécessité et leur rang de priorité dans la liste d’attente pour un logement, compte tenu de la date de dépôt de la demande auprès des services de la Communauté de Madrid, afin de leur attribuer un logement public ou de les faire bénéficier de toute autre mesure qui leur permette de vivre dans un logement convenable, selon les critères établis dans la présente communication ;

b)D’indemniser l’auteure et ses enfants pour les violations subies ;

c)De rembourser à l’auteure les frais de justice qui ont raisonnablement pu être engagés dans le cadre de la présente communication.

Recommandations générales du Comité :

L’État partie a les obligations suivantes :

a)Élaborer un cadre normatif régissant les expulsions de personnes de leur logement, en prévoyant l’obligation pour les autorités judiciaires d’examiner la proportionnalité entre le but poursuivi par la mesure et ses effets sur les personnes visées, ainsi que la compatibilité de la mesure avec le Pacte dans tous les cas, y compris ceux d’occupation sans titre juridique ;

b)Veiller à ce que les personnes sous le coup d’un ordre d’expulsion puissent s’opposer à la décision ou faire appel de celle‑ci afin que les autorités judiciaires puissent examiner la proportionnalité entre le but légitime poursuivi par la mesure et ses effets sur les personnes expulsées, ainsi que sa compatibilité avec le Pacte dans tous les cas, y compris ceux d’occupation sans titre juridique ;

c)Prendre les mesures nécessaires pour que chacun puisse accéder, dans des conditions d’égalité, au parc de logements sociaux, en supprimant toute exigence déraisonnable susceptible d’exclure une personne exposée au risque d’indigence. En particulier, l’État partie doit faire en sorte que toutes les personnes qui occupent un logement sans titre juridique pour cause d’état de nécessité ne soient plus automatiquement exclues des listes de requérants ;

d)Prendre les mesures nécessaires pour que les ordonnances d’expulsion frappant des personnes n’ayant pas les moyens de se reloger ne soient mises à exécution qu’après avoir véritablement consulté les intéressés et fait tout ce qui s’imposait, en agissant au maximum des ressources disponibles, pour que ceux-ci soient relogés, en particulier lorsque l’expulsion concerne des familles, des personnes âgées, des enfants ou d’autres personnes vulnérables ;

e)Élaborer et mettre en œuvre, en concertation avec les communautés autonomes et à l’aide de toutes les ressources disponibles, un programme global et détaillé visant à garantir le droit à un logement convenable aux personnes à faible revenu, conformément à l’observation générale no 4 du Comité. Ce programme devra mentionner les ressources, les mesures, les délais et les critères d’évaluation qui permettront de garantir, de manière raisonnable et vérifiable, le droit au logement à ces personnes ;

f)Établir un protocole pour l’accession aux demandes de mesures provisoires formulées par le Comité, en informant toutes les autorités concernées de la nécessité de se conformer auxdites demandes pour garantir l’intégrité de la procédure.

Réponse de l’État partie :

Par une note verbale datée du 2 juin 2021, l’État partie a répondu aux recommandations du Comité.

En ce qui concerne la recommandation a) relative à l’auteure, l’État partie indique que la demande présentée par l’auteure le 11 septembre 2019 a été acceptée, celle-ci occupant le douzième rang de la liste d’attente pour les logements comportant quatre chambres. En outre, selon le rapport des services sociaux qu’elle a joint, l’auteure et ses enfants partagent un logement avec des proches, dans lequel ils occupent deux chambres. L’État considère donc qu’ils disposent d’un logement de remplacement. L’État partie n’est pas d’accord avec les recommandations b) et c) concernant l’auteure, car il estime que la demande de logement qu’elle a présentée et son inscription sur la liste d’attente dans le cadre d’une procédure qui répond à toutes les exigences légales et garantit le principe d’égalité entre tous les demandeurs constituent une mesure suffisante pour donner effet aux constatations.

En ce qui concerne les recommandations générales, l’État partie indique que, dans le contexte de l’urgence sanitaire créée par la maladie à coronavirus (COVID-19), des mesures ont été prises pour que la pandémie n’ait pas d’effets économiques sur le droit des personnes les plus vulnérables à un logement convenable. Tout d’abord, un moratoire sur le remboursement des prêts hypothécaires a été adopté pour les personnes rencontrant des difficultés de paiement. Ensuite, une série de mesures ont été adoptées au moyen des décrets-lois royaux nos 11/2020 et 37/2020 pour établir un équilibre dans les relations entre les locataires et les propriétaires, ainsi que pour faire face aux situations de vulnérabilité créées par la crise sanitaire. En outre, le plan national du logement pour la période 2018-2021 a été modifié de sorte à prendre en compte un programme d’aide au loyer visant à atténuer les effets de la crise sanitaire, ainsi qu’un programme d’aide aux victimes de violences fondées sur le genre, aux personnes menacées d’expulsion, aux sans-abri et aux autres personnes vulnérables. De même, grâce à la modification du 9 avril 2020, les communautés autonomes peuvent rapidement proposer une aide au loyer allant jusqu’à 900 euros par mois pour une durée de six mois. Le cas échéant, cette mesure est compatible avec tout autre dispositif d’aide. En outre, le financement du plan a été accru, passant de 346 millions d’euros à 446 millions d’euros. Enfin, des initiatives sont encouragées pour développer le parc locatif de logements sociaux.

L’État partie indique également qu’une loi sur le droit à un logement convenable est en cours d’élaboration.

Commentaires de l’auteure :

Le 2 juillet 2021, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant chaque recommandation.

Elle soutient qu’elle vit dans un logement surpeuplé, qu’elle partage avec une autre famille. En outre, elle est également, pour ce logement, sous le coup d’une procédure d’expulsion, dans le cadre de laquelle elle s’est vu accorder des sursis successifs, mais sa situation est extrêmement précaire. En ce qui concerne sa demande de logement, celle-ci a été acceptée depuis plus de deux ans, sans que pour autant elle ait progressé dans la liste d’attente. En outre, l’auteure rappelle que cette demande n’a été acceptée que parce que, à la suite de son expulsion, elle a cessé d’occuper un logement sans titre légal. La date qui figure sur cette demande ne correspond pas, comme le demande le Comité, à celle à laquelle l’auteure a soumis la demande initiale de logement qui a été refusée au motif qu’elle occupait un autre logement sans titre légal. Il n’y a pas non plus eu le moindre contact pour lui accorder une réparation financière ou la faire bénéficier d’une prise en charge, dans la mesure du raisonnable, des frais de justice engagés. Dès lors, l’auteure estime que l’État partie rejette l’ensemble des constatations en tant que source d’obligation.

En ce qui concerne les recommandations générales, l’auteure confirme les commentaires formulés dans l’intervention de tiers.

Interventions de tiers :

Le 2 juillet 2021, le Groupe de suivi de la société civile pour le respect des constatations du Comité dans l’État a fait parvenir une note sur le suivi des recommandations d’ordre général formulées par le Comité.

Le Groupe de suivi constate que la décision a été publiée sur le site Internet du Ministère de la justice, mais que l’accès à ce document est difficile et nécessite une connaissance approfondie du site.

Le Groupe de suivi souligne également que l’Agence pour le logement social de la Communauté de Madrid n’a attribué que 5 335 logements entre 2008 et 2020, ce qui est très loin des besoins recensés dans cette région, qui reçoit chaque année entre 7 000 et 8 000 demandes. En outre, en ce qui concerne la demande de logement soumise par l’auteure, il précise aussi qu’aucune mesure concrète n’a été prise à la suite des constatations relatives au logement de l’auteure et de ses enfants, bien que la Cour suprême ait reconnu, dans un arrêt de 2018, l’existence d’une obligation de réparation individuelle, à laquelle l’État ne peut se soustraire, et le caractère contraignant des recommandations émanant des organes conventionnels.

Le Groupe de suivi admet qu’un travail législatif considérable a été mené dans le domaine du logement, par rapport aux périodes précédentes. Toutefois, il constate que la plupart des mesures ne s’appliquent que dans le cadre de l’état d’urgence dû à la crise sanitaire. En ce qui concerne les recommandations générales a) et b), la réglementation a effectivement été modifiée pour permettre aux autorités judiciaires de demander un rapport sur l’état de vulnérabilité sociale ou économique d’une personne et de suspendre l’ordre d’expulsion tant qu’une solution de relogement ne lui a pas été proposée. Toutefois, cette mesure ne sera en vigueur que pendant l’état d’alerte. Si l’on exclut le facteur de la crise sanitaire, le nombre des expulsions reste très élevé, s’établissant à 54 006 en 2019 contre 29 406 en 2020, soit plus de la moitié. Ce chiffre reste d’autant plus élevé si l’on tient compte du fait que l’année 2020 a été marquée par la crise sanitaire. En tout état de cause, le nouveau règlement ne prévoit aucune obligation d’examiner la proportionnalité de la mesure d’expulsion.

En ce qui concerne la recommandation générale c), le Groupe de suivi souscrit à la décision du Défenseur du peuple de demander expressément à la Communauté de Madrid de modifier la loi afin d’abroger la disposition qui interdit à toute personne occupant un logement sans titre légal de faire une demande de logement social. La Communauté de Madrid a néanmoins rejeté cette demande. Cette restriction s’ajoute, selon le Groupe de suivi, à une stigmatisation croissante, dans les discours tenus dans la société, des personnes qui occupent un logement sans titre légal, sans que l’on fasse la distinction entre les raisons qui ont pu conduire à cette situation, et à même incité à l’usage de la force contre ces personnes, en dehors de tout cadre légal. Ces discours sont encouragés par certaines forces politiques. Dans ce contexte, le fait que cette recommandation soit restée lettre morte est d’autant plus grave.

En ce qui concerne la recommandation générale d), si, comme l’indique l’État partie, un plan d’aide peut être déployé par l’intermédiaire des communautés autonomes dans certaines situations d’expulsion, ces aides ne sont pas encore disponibles sur l’ensemble du territoire, comme c’est le cas dans la Communauté de Madrid, communauté autonome de résidence de l’auteure et une des régions où aucune procédure administrative n’est encore en place pour solliciter une telle aide. En tout état de cause, il s’agirait d’une aide ponctuelle au paiement du loyer qui ne réglerait qu’une partie du problème. Le Groupe de suivi rappelle que le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté a établi un rapport à l’issue de sa visite en Espagne, dans lequel il s’est dit particulièrement préoccupé par la crise du logement dans l’État partie.

En ce qui concerne la recommandation générale f) au sujet de l’application des demandes de mesures provisoires formulées par le Comité, le Groupe de suivi indique que non seulement aucune mesure n’a été prise à cet égard, mais que le Bureau du Procureur de l’État a publié, en date du 22 octobre 2020, la circulaire no 1/2020 sur le caractère juridique des décisions rendues par les comités des Nations Unies chargés du suivi des traités relatifs aux droits de l’homme, dans laquelle il affirme que ces demandes ne sont pas contraignantes.

Décision du Comité :

Le Comité note que l’auteure et ses enfants vivent dans un logement partagé, dans lequel ils occupent deux chambres, sans sécurité d’occupation, puisqu’ils font l’objet d’une procédure d’expulsion. Il note également que les services du logement social considèrent que la cellule familiale de l’auteure requiert un logement comprenant quatre chambres à coucher, ce qui explique que sa demande n’ait pas encore été satisfaite, les logements présentant cette caractéristique étant peu nombreux. Il note en outre que dans sa demande, l’auteure, qui figure toujours sur la liste d’attente, n’indique pas la date de sa demande initiale, qui a été rejetée, mais celle d’une demande ultérieure. Il prend acte du fait que l’État partie est en désaccord avec ses autres recommandations et estime donc que la réponse de l’État partie ne montre pas que les recommandations concernant l’auteure et ses enfants ont été appliquées de manière satisfaisante.

En ce qui concerne les recommandations générales, il prend note des progrès apportés par l’application des décrets-lois royaux nos 7/2019, 11/2020 et 37/2020, qui ont permis aux services sociaux et aux autorités judiciaires de dialoguer et de se coordonner, et de mieux prendre en compte la vulnérabilité socioéconomique des personnes sous le coup d’une expulsion ordonnée par la justice. Le Comité estime que ces mesures peuvent contribuer à donner effet à ses recommandations a) et b), mais note que certaines d’entre elles ont une application limitée à la durée de l’état d’alerte, et que le nombre des expulsions reste très élevé.

Le Comité prend note du soutien budgétaire et administratif apporté au plan national du logement pour la période 2018-2021, même si les aides ne sont pas encore parvenues à toutes les catégories de citoyens dans le besoin. Il se félicite également de l’initiative en faveur de l’adoption d’une loi sur le logement. Il estime que ces mesures peuvent contribuer au suivi des recommandations d) et e), et encourage l’État partie à poursuivre dans cette voie.

Le Comité note que l’État partie n’a fait état d’aucun progrès en ce qui concerne les recommandations c) et f) relatives au refus d’accorder un logement social aux personnes qui occupent un logement sans titre légal et au respect des demandes de mesures provisoires formulées par le Comité. Il est préoccupé par la teneur de la circulaire no 1/2020 de la Direction des services juridiques de l’État (AbogacíadelEstado), selon laquelle les demandes de mesures provisoires formulées par le Comité en application du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif ne sont pas contraignantes. Il rappelle que l’État partie qui ignore une demande de mesures provisoires fait fi de l’obligation d’agir de bonne foi et dans le respect de la procédure d’examen des communications individuelles établie dans le Protocole facultatif, et prive le Comité de la possibilité d’offrir un recours utile aux personnes qui se disent victimes d’une violation du Pacte.

À la lumière de toutes les informations reçues, le Comité estime que quelques mesures initiales ont été prises mais que d’autres sont encore nécessaires, et qu’il faut donner des informations sur les mesures prises. Il décide de continuer la procédure de suivi et invite l’État partie à apporter des renseignements sur les mesures qu’il a prises au sujet de toutes les recommandations, qu’elles concernent l’auteure ou aient un caractère général. Il demande que ces renseignements lui soient transmis dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant la publication du présent document et souhaite être régulièrement tenu informé des progrès dans la suite donnée à ses recommandations.

3. Communication n o 22/2017, S. C. et G. P. c. Italie

Date des constatations :

7 mars 2019

Teneur de la communication initiale :

Les auteurs, pour des raisons médicales, ont eu recours à une fécondation in vitro. Ils ont affirmé que S. C. avait été contrainte d’accepter le transfert d’un embryon dans son utérus contre sa volonté et qu’on leur avait interdit de faire don de leurs embryons à la recherche scientifique. Ils soutiennent que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 10, 12 (par. 1 et 2 c) et d)) et 15 (par.1 b), 2 et 3), lus conjointement avec l’article 2 (par. 1), du Pacte.

Articles enfreints :

Article 12 seul et lu conjointement avec l’article 3 du Pacte

Recommandations du Comité concernant les auteurs :

L’État partie est tenu d’offrir aux auteurs une réparation effective, et notamment :

a)De créer les conditions appropriées pour que les auteurs puissent exercer leur droit de recourir à la fécondation in vitro avec l’assurance que leur droit de révoquer leur consentement aux traitements médicaux sera respecté ;

b)De veiller à ce que S. C. soit protégée contre toute intervention médicale non désirée et à ce que son droit de prendre librement des décisions concernant son propre corps soit respecté ;

c)D’accorder à S. C. une indemnisation adéquate pour le préjudice physique, psychologique et moral subi ;

d)De rembourser aux auteurs les frais de justice raisonnablement engagés pour le traitement de la communication.

Recommandations générales du Comité :

L’État partie a les obligations suivantes :

a)Adopter les mesures législatives ou administratives appropriées pour garantir le droit de toutes les femmes de prendre librement des décisions concernant les interventions médicales qu’elles subissent, en particulier leur droit de révoquer leur consentement à l’implantation d’embryons dans leur utérus ;

b)Adopter les mesures législatives ou administratives appropriées pour garantir l’accès à tous les soins de santé procréative généralement disponibles et pour permettre à quiconque de révoquer son consentement à l’implantation d’embryons à des fins de procréation, en veillant à ce que toutes les restrictions à l’accès à ces traitements répondent aux critères énoncés à l’article 4 du Pacte.

Décision précédente :

À sa soixante-huitième session, le Comité a adopté son rapport intérimaire sur la suite donnée aux communications, dans lequel il a estimé que les recommandations formulées n’avaient pas encore été appliquées, et a décidé de poursuivre la procédure de suivi de la communication. Il a invité l’État partie à fournir des informations sur les mesures prises à la lumière de ses recommandations. En particulier, il lui a demandé d’apporter des précisions sur le décret no 265 et sur les mesures adoptées par la région de la Toscane, ainsi que sur toute autre mesure susceptible de contribuer à protéger le droit de toutes les femmes de retirer leur consentement au transfert d’embryons dans leur utérus.

Réponse de l’État partie :

Par une note verbale datée du 2 avril 2021, l’État partie a fait part d’informations supplémentaires concernant les recommandations du Comité.

Il indique à nouveau que les constatations du Comité ont été rendues publiques et seront transmises au Parlement pour examen.

Il énumère également une série de règlements, adoptés avant les constatations, relatifs à l’assistance médicale à la procréation et au don de tissus et de cellules humains, sans expliquer ce qu’ils contiennent ni en quoi ils s’appliquent en l’espèce. En ce qui concerne le décret adopté le 11 août 2020 par la région de la Toscane, l’État partie fait valoir que le consentement donné par les personnes aux interventions médicales en matière de procréation médicalement assistée n’empêche pas de fournir des informations personnalisées à tous les patients. Ainsi, l’existence d’un consentement signé ne dispense pas les médecins de leur obligation d’informer les patientes de manière adéquate, rapide et efficace. Les formulaires de consentement doivent donc être considérés comme un outil pour les établissements d’assistance médicale à la procréation, un outil qui peut être modifié.

Commentaires des auteurs :

Le 7 juin 2021, les auteurs ont soumis des commentaires supplémentaires en réponse aux observations de l’État partie.

Ils font observer que la note de l’État partie ne fait référence à aucun des règlements adoptés après la publication des constatations, et que les règlements en question étaient déjà mentionnés dans son rapport précédent. En outre, ils expliquent que les courriers qu’ils ont envoyés le 3 juin 2020 à diverses autorités, dont plusieurs membres du Conseil des ministres, sont restés sans réponse, de même que la lettre adressée par la société civile au sujet des constatations du Comité.

Les auteurs estiment que l’État partie ne tient pas compte des recommandations du Comité et demandent à celui-ci d’engager l’État partie à prendre au sérieux ses obligations à l’égard de toutes les parties au Pacte, à l’égard du Comité et à leur égard.

Décision du Comité :

Le Comité note que l’État partie n’a fait état d’aucune nouvelle mesure concrète indiquant que l’une quelconque des recommandations formulées par le Comité ait été appliquée, qu’elle concerne les auteurs ou soit de portée générale.

En conséquence, le Comité considère que la réponse de l’État partie n’est pas satisfaisante et que les recommandations qu’il a formulées n’ont pas encore été suivies d’effet, et décide de poursuivre la procédure de suivi de la communication. Il invite l’État partie à fournir des informations sur les mesures prises à la lumière de ses recommandations. Il demande que ces informations lui soient transmises dans les quatre-vingt-dix jours suivant la publication du présent document et souhaite être régulièrement tenu informé des progrès dans la suite donnée à ses recommandations.