Nations Unies

E/C.12/70/D/102/2019

Conseil économique et social

Distr. générale

8 décembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 102/2019 *

Communication présentée par :

Gladis Patricia Loor Chila (représentée par Carmen Oriol Fita)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et ses petits-enfants

État partie :

Espagne

Date de la communication :

21 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

12 octobre 2021

Objet :

Expulsion de l’auteure de son logement

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement ; épuisement des recours

Question(s) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte :

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 1 et 2 e))

1.1L’auteure de la communication est Gladis Patricia Loor Chila, de nationalités espagnole et équatorienne, née le 10 octobre 1966. Elle agit en son nom propre et au nom de ses petits-enfants mineurs, nés respectivement le 11 septembre 2003 et le 2 avril 2009, dont elle a la charge. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle et ses petits-enfants tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 5 février 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail chargé des communications émanant de particuliers, a enregistré la communication et, prenant note de l’imminence de l’expulsion et des allégations selon lesquelles aucune solution de relogement n’était proposée et le risque de préjudice irréparable était bien réel, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que la communication serait à l’examen ou, à défaut, d’attribuer un logement convenable à l’auteure, après l’avoir dûment consultée, afin qu’elle et ses petits-enfants ne subissent pas un préjudice irréparable.

1.3Dans la présente décision, le Comité fait d’abord la synthèse des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties, sans exprimer ses vues ; il examine ensuite les questions de recevabilité que la communication soulève ; enfin, il expose ses conclusions.

A.Résumé des renseignements et des arguments présentés par les parties

Exposé des faits

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.1À une date indéterminée entre août 2017 et février 2018, l’auteure a commencé à occuper illégalement un logement.

2.2Le 6 février 2018, le fonds propriétaire du logement a engagé contre l’auteure une procédure d’expulsion pour occupation à titre précaire afin de reprendre possession du logement. Le 27 juin 2018, le tribunal de première instance no 8 de Rubí (Barcelone) a donné gain de cause au plaignant, considérant qu’il avait dûment démontré sa qualité de propriétaire du bien en cause, et attendu que la défenderesse n’avait produit aucun élément permettant d’établir qu’elle détenait un titre ou un droit d’occupation. Le tribunal a donc ordonné l’expulsion et décidé que celle-ci aurait lieu le 25 septembre 2018, si entre-temps l’auteure n’avait pas libéré le logement et si le jugement devenait définitif. L’auteure a fait appel du jugement rendu.

2.3Le 25 octobre 2018, le tribunal de première instance no 8 de Rubí a fait droit à la demande introduite par le fonds propriétaire du logement aux fins de l’exécution provisoire du jugement dans l’attente de la décision de la juridiction d’appel, lequel ordonnait à l’auteure de libérer le logement, faute de quoi elle serait expulsée le 9 janvier 2019. L’auteure a introduit un recours pour contester l’exécution provisoire. Le 17 décembre 2018, le tribunal de première instance no 8 de Rubí a confirmé l’exécution provisoire, déclarant que le jugement rendu était sans ambiguïté et qu’il était peu probable que le recours en appel aboutisse, que l’auteure bénéficiait de l’aide des services sociaux, et qu’elle aurait toujours la possibilité d’occuper de nouveau le logement en question si elle obtenait gain de cause en appel.

2.4Le 3 janvier 2019, le tribunal de première instance no 8 de Rubí a demandé aux services sociaux d’établir un rapport d’évaluation du risque social et de proposer des mesures permettant d’écarter ce risque. Le 7 janvier 2019, les services sociaux et l’auteure ont demandé la suspension de l’expulsion compte tenu de la présence de mineurs et faute de solution de relogement. À la même date, le tribunal de première instance no 8 de Rubí a décidé de ne pas reporter l’expulsion, le délai prévu par l’article 704 de la loi de procédure civile (un mois renouvelable une fois) ayant déjà été dépassé.

2.5Le 9 janvier 2019, l’auteure n’avait pas libéré le logement ; l’expulsion n’a toutefois pas eu lieu, la commission judiciaire n’ayant pu bénéficier du concours des forces de l’ordre. Le 10 janvier 2019, la nouvelle date de l’expulsion a été fixée au 6 février 2019.

Faits postérieurs à l’enregistrement de la communication

2.6Le 5 février 2019, les services sociaux ont informé le tribunal de première instance no 8 de Rubí que leur présence ne serait pas nécessaire le jour de l’expulsion, puisque l’auteure, aidée par des amis, avait pu trouver une solution de relogement temporaire. Le 6 février 2019 à 13 heures, une commission judiciaire s’est présentée pour procéder à l’expulsion ; elle a trouvé le logement vide, a constaté la présence de quelques meubles et effets personnels, mais aucune trace d’éventuels occupants.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son expulsion est une mesure disproportionnée, contraire à l’article 25 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 9 de la Convention relative aux droits de l’enfant, à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, à l’article 11 (par. 1) du Pacte et à l’article 47 de la Constitution espagnole.

3.2L’auteure estime que, puisque l’administration publique elle-même considère que sa famille risque l’exclusion en matière de logement et qu’elle pourrait sous peu se retrouver sans domicile, ses revenus n’étant pas suffisants pour lui permettre d’accéder au marché privé du logement, il est incohérent qu’une autre autorité de cette même administration ait ordonné qu’elle soit expulsée. L’auteure affirme que ses revenus se limitent au montant de l’allocation qu’elle reçoit au titre de l’entretien des mineurs dont elle a la charge. Elle souligne à ce propos que sa situation est bien différente de celle du fonds propriétaire du logement, qui détient d’importants actifs et n’utilise pas ledit logement, et que, si ce fonds souhaitait mettre celui-ci en location, il pourrait tout à fait le lui louer à elle.

3.3L’auteure souligne également que le jugement qui fait l’objet d’une exécution provisoire n’est pas définitif et qu’en l’espèce, il n’est pas urgent pour le fonds propriétaire du logement de récupérer son bien qui, de surcroît, n’est pas fongible et ne perdra pas sa valeur le temps que le jugement devienne définitif.

3.4L’auteure estime que son expulsion entraînerait un préjudice grave et irréparable et porterait atteinte à ses droits et à ceux de ses petits-enfants, surtout si on la sépare de ceux‑ci faute de logement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans des observations datées du 3 octobre 2019, l’État partie demande au Comité de considérer que la communication est irrecevable ou, à défaut, qu’elle ne met en évidence aucune violation du Pacte.

4.2L’État partie fait savoir qu’il ressort de l’ordonnance du 6 février 2019, versée au dossier judiciaire que, d’après les informations communiquées par les services sociaux, l’auteure et ses petits-enfants ont été relogés.

4.3L’État partie souligne que l’auteure recevait une allocation de chômage d’un montant de 430,27 euros au moment de l’expulsion et qu’en outre, selon un rapport des services sociaux daté du 27 septembre 2019, elle avait signé en septembre 2018 un contrat de travail temporaire à temps plein. Selon le même rapport des services sociaux, elle n’a d’ailleurs pas assisté à l’expulsion le 6 février 2019 parce que l’horaire coïncidait avec ses horaires de travail ; or, dans la communication datée du 1er février 2019 qu’elle a soumise au Comité, l’auteure affirmait ne pas avoir d’autres revenus que ceux provenant de l’allocation de chômage dont elle bénéficiait. Par conséquent, l’État partie estime qu’il incombe à l’auteure d’apporter la preuve de sa situation économique réelle.

4.4L’État partie souligne également que l’auteure connaissait la date de l’expulsion depuis le 25 octobre 2018 et qu’elle a néanmoins attendu le 1er février 2019 pour soumettre sa communication, ce qui fait que l’État partie a reçu la demande de mesures provisoires moins de vingt-quatre heures avant l’expulsion ; il lui était difficile de réagir dans un délai si court.

4.5L’État partie estime que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes : elle a en effet attendu avril 2018 pour demander l’aide des services sociaux et juin 2018 pour demander un logement social, alors même qu’elle occupait déjà illégalement le logement en cause depuis février 2018 au moins et faisait déjà l’objet d’une procédure judiciaire. Par conséquent, au moment où l’auteure a soumis sa communication, les recours internes n’avaient pas été épuisés.

4.6Pour ce qui est des droits que l’auteure et ses petits-enfants tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte, l’État partie fait observer que les intéressés ont accès gratuitement à des soins de santé de qualité dans le cadre du système de santé publique et que les petits‑enfants de l’auteure bénéficient de la gratuité de l’enseignement public, ce qui inclut l’accès à la cantine subventionnée pour les mineurs. L’auteure a aussi eu accès gratuitement à la justice et à une aide juridictionnelle et a le droit de bénéficier des services de base gratuits ou subventionnés grâce aux réductions prévues au titre des aides sociales pour l’électricité, le chauffage et l’eau. De plus, l’auteure avait un travail rémunéré au sujet duquel elle n’a donné, à ce jour, aucun détail. En dépit de tout cela, les services sociaux de la municipalité de Rubí ont entrepris les démarches voulues pour que la famille reçoive des colis alimentaires afin qu’elle puisse subvenir à ses besoins essentiels pendant six mois et, en septembre 2019, une demande a été déposée pour que les petits-enfants de l’auteure puissent bénéficier d’une aide à la restauration scolaire ; on a en outre proposé à l’auteure de prendre en charge 50 % du montant de la cantine le temps que la demande soit traitée. L’État partie estime que tout cela montre que les besoins de la famille sont pris en charge par l’État, dans la limite des ressources disponibles, si bien qu’il ne reste à régler que la question du logement. À ce propos, il souligne qu’il ressort des faits que l’auteure a attendu d’occuper illégalement un logement avant de déposer une demande de logement social ; il ajoute qu’en janvier 2019, la demande de logement social présentée par l’auteure a été acceptée et l’auteure a été placée sur liste d’attente et qu’elle a également été autorisée à bénéficier du programme 60/40, qui lui permettait de rechercher sur le marché locatif privé un logement situé dans la commune la mieux adaptée à ses besoins.

4.7L’État partie estime que les dispositions de l’article 11 du Pacte ne protègent pas les personnes qui occupent illégalement un logement. Le droit à la propriété, individuelle et collective, est consacré par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’article 33 de la Constitution de l’État partie. La protection de la propriété est internationalement reconnue comme un droit fondamental ; celui qui possède un bien trouve dans la propriété un moyen de répondre à ses besoins essentiels et doit donc être protégé contre ce qui pourrait l’en priver arbitrairement. C’est pourquoi l’article 11 (par. 1) du Pacte ne saurait être invoqué pour justifier l’usurpation de biens, comme c’est le cas en l’espèce. Dans son observation générale no 7 (1997), le Comité admet, au surplus, que les expulsions sont pertinentes dans certains cas, notamment lorsqu’il s’agit de mettre fin à l’occupation du bien d’autrui, pour autant qu’elles soient exécutées dans le respect de la loi, en temps voulu et en présence de fonctionnaires compétents et que les personnes expulsées disposent de recours effectifs.

4.8L’État partie affirme que le droit au logement n’est pas un droit absolu en vertu duquel quiconque peut prendre possession d’un bien immobilier donné ou obtenir un logement en tout état de cause, même lorsque les autorités ne disposent pas de ressources suffisantes. Il considère que l’article 25 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 11 (par. 1) du Pacte n’énoncent pas un droit subjectif exécutoire mais confèrent aux États la charge d’adopter des mesures stratégiques adaptées visant à faciliter l’accès de tous les citoyens à un logement décent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 34 (par. 3) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne garantit pas le droit au logement mais le droit à une aide au logement dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette obligation faite aux États est expressément consacrée par l’article 47 de la Constitution espagnole et divers statuts d’autonomie. Selon cet article et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit au logement figure dans la Constitution comme une obligation ou une directive dont la teneur est surtout d’ordre social, mais n’entre pas dans le champ des compétences directes de l’État. Les pouvoirs publics sont donc tenus de créer les conditions nécessaires et d’établir les règles pertinentes pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et convenable, notamment en réglementant l’utilisation des sols conformément à l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Le droit au logement étant un droit à réalisation progressive, l’État partie estime qu’il respecte pleinement ses obligations internationales. Il renvoie aux mesures prises dans le domaine du logement qui sont mentionnées dans des communications comparables à la présente.

4.9Suivant le même raisonnement sur la nature des obligations de l’État partie au regard de l’article 11 (par. 1) du Pacte, l’État partie estime que, pour déterminer s’il s’acquitte des obligations susdites, il faut tenir compte de trois éléments, à savoir : a) le niveau de ressources minimal dont une personne a besoin pour accéder au marché privé du logement ; b) le nombre de personnes qui vivent en deçà de ce niveau ; c) les fonds publics disponibles. Il faut donc déterminer si l’État consacre toutes les ressources possibles au financement de ces besoins et, lorsque ces ressources sont insuffisantes, si elles ont été affectées selon des critères objectifs et sans discrimination, par ordre de priorité. C’est précisément le raisonnement sur lequel se fonde le Comité dans son observation générale no 7 (1997) dont il ressort que, lorsque, suite à une expulsion légale, une personne se retrouve sans domicile, l’État doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement lui soient offertes.

4.10L’État partie estime que, pour constater une violation du Pacte, si l’on applique à la présente affaire le raisonnement susdit concernant la portée du droit à un logement convenable, il faut que l’auteure ait démontré : a) qu’elle se trouve dans le besoin ; b) que les autorités n’ont pas consacré toutes les ressources dont elles disposaient ; c) que, si l’État a consacré toutes les ressources dont il disposait sans parvenir à répondre à l’ensemble des besoins, celles-ci n’ont pas été allouées selon des critères raisonnables et objectifs ; d) qu’elle ne s’est pas placée volontairement et consciemment dans la situation dont elle tire grief, se privant de la possibilité de bénéficier des aides publiques.

4.11L’État partie rend compte des décisions prises pour protéger le droit au logement. Il a pris des mesures pour faciliter l’accès au régime de la propriété privée par des allégements fiscaux et au régime de la location privée par des aides publiques. Des politiques ont également été adoptées pour que les propriétaires puissent conserver leurs biens, grâce au moratoire sur les expulsions pour non-paiement de prêts hypothécaires et à l’adoption du Code des bonnes pratiques, auquel plus de 93 établissements financiers ont adhéré. En outre, pour remédier aux situations d’urgence en cas d’expulsions légales jusqu’à ce qu’un nouveau logement stable soit trouvé, le décret-loi royal no 7/2019 a établi un mécanisme permettant aux personnes vulnérables d’obtenir la suspension de leur expulsion pendant un mois lorsque le propriétaire est une personne physique ou trois mois lorsqu’il s’agit d’une personne morale. À cela s’ajoute, dans la communauté autonome de Catalogne, les aides sociales d’urgence qui servent à remédier à des situations de nécessité ponctuelle, urgente et essentielle. L’État partie s’emploie également à faire en sorte qu’il y ait un parc suffisant de logements sociaux et, à cette fin, a inscrit dans la législation espagnole en matière d’urbanisme l’obligation de céder gratuitement à des fins publiques une partie des terrains privés à bâtir et en finançant la construction de logements sociaux sur ces terrains. Enfin, il établit des critères objectifs pour évaluer les besoins des demandeurs de logements sociaux.

4.12En l’espèce, l’auteure a commencé à occuper un bien immobilier avant de déposer une demande de logement social. L’État partie estime que la protection garantie par l’article 11 (par. 1) du Pacte ne s’étend pas à ce cas de figure et qu’en agissant ainsi, l’auteure a porté préjudice à la personne morale propriétaire du bien en question. Les services sociaux étaient présents à toutes les dates d’expulsion fixées et assurent un suivi et une aide à l’auteure depuis 2017. La demande de logement social a été acceptée et l’auteure a pu bénéficier du programme 60/40, qui lui permettait de rechercher un logement sur le marché locatif privé. Enfin, l’auteure est en grande partie responsable de sa situation, puisqu’elle occupait le logement en question depuis février 2018 sans avoir déposé de demande de logement social. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que les autorités n’ont pas manqué à leurs obligations au regard de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 20 mars 2020, l’auteure fait savoir que la mesure d’expulsion n’a pas été suspendue et a été exécutée à la date prévue. Selon elle, si l’expulsion n’a pas été suspendue, c’est parce que les services sociaux ont informé le tribunal de première instance no 8 de Rubí qu’elle s’était relogée par ses propres moyens. Or l’auteure affirme que ce n’était pas le cas, la famille ayant simplement été accueillie pour une nuit chez une voisine.

5.2L’auteure affirme que les services sociaux n’ont entrepris aucune démarche pour vérifier quelle était la situation de la famille en matière de logement et qu’elle et ses petits‑enfants ont perdu tous les effets personnels qu’ils n’ont pas pu récupérer dans le logement avant l’expulsion. Elle ajoute que l’organisme d’évaluation des situations d’urgence économiques et sociales avait constaté sa situation et que, pour autant, on ne lui a pas fourni de logement social. En outre, l’auteure affirme n’avoir pas été informée qu’elle bénéficiait désormais du programme 60/40, ainsi qu’il est dit dans le rapport des services sociaux, et qu’on ne lui a pas davantage proposé de bénéficier de ce programme. Aprèsréception des observations de l’État partie, l’auteure a demandé aux services sociaux des renseignements sur le programme60/40 et on lui a expliqué que, bien que celui-ci soit approuvé par la Generalitat de Catalogne, elle n’y avait pas droit dans sa situation.

5.3L’auteure estime qu’en l’expulsant pour permettre à un fonds patrimonial de reprendre possession d’un logement qu’il avait refusé de louer et qui reste vacant, on a porté atteinte à son droit au logement. Elle considère en outre qu’il n’a pas été tenu compte de la demande de mesures provisoires du Comité et que les services sociaux ont fait preuve de négligence. Selon l’auteure, l’administration a agi de façon ambivalente en reconnaissant qu’elle devait bénéficier d’une aide sans pour autant lui permettre d’en bénéficier.

B.Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si cette communication est recevable.

6.2Le Comité note que, d’après l’État partie, l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes puisqu’elle occupait déjà illégalement un logement et était déjà visée par une procédure judiciaire lorsqu’elle a sollicité l’aide des services sociaux et déposé une demande de logement social. Il relève que l’auteure ne répond pas à cette allégation de l’État partie et n’explique pas pourquoi elle a attendu de commencer à occuper le bien immobilier en question avant de solliciter l’aide de l’administration publique pour trouver un logement.

6.3Le Comité note qu’aux termes de l’article 2 (par. 1) du Pacte, les États parties ont l’obligation positive d’agir, tant par leur effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum des ressources dont ils disposent, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte par tous les moyens appropriés. Le Comité rappelle toutefois que les États parties peuvent adopter un éventail de mesures pour mettre en œuvre les droits énoncés dans le Pacte, comme le prévoit l’article 8 (par. 4) du Protocole facultatif. Il admet donc que les États parties peuvent établir des moyens administratifs pour faciliter la protection du droit au logement, y compris en demandant aux individus d’engager certaines démarches administratives pour informer les autorités de leur besoin d’assistance concernant la protection de leur droit en la matière. Ces démarches ne doivent pas leur imposer de charge excessive ou superflue et ne doivent pas avoir d’effet discriminatoire.

6.4Par conséquent, le Comité estime que le fait que l’auteure n’ait pas exercé la diligence voulue en sollicitant l’aide des autorités administratives de l’État partie pour trouver un autre logement dans un délai raisonnable constitue un élément important tant au regard de la règle de l’épuisement des recours internes énoncée à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif que pour ce qui est d’étayer l’allégation selon laquelle l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 11 (par. 1) du Pacte.

6.5Conformément à l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication qui est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée ou qui repose exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Il note que, selon l’État partie, l’auteure n’a pas démontré qu’elle était dans le besoin, puisqu’il existe des incohérences entre sa communication et d’autres informations concernant sa situation professionnelle et ses revenus au moment de l’expulsion et après ; l’État partie a demandé à l’auteure d’apporter des éclaircissements sur ce point. Le Comité relève que l’auteure n’a pas répondu à ces allégations et n’a pas indiqué quels étaient ses revenus ni quelle était sa situation professionnelle au moment de l’expulsion et à l’heure actuelle. Il note également que l’auteure ne dit rien de sa situation en matière de logement depuis l’expulsion, outre qu’elle n’a bénéficié d’aucune aide directe de la part de l’administration dans ce domaine.

6.6L’auteure n’a fourni aucun document venant étayer l’argument selon lequel l’expulsion l’a privée de son droit à un logement convenable en la plaçant en situation de sans‑abrisme ou, à tout le moins, en la contraignant à vivre dans un logement qui ne répond pas aux conditions minimales pour être un logement convenable et adapté à ses besoins et à ceux de ses petits-enfants. Le Comité rappelle qu’il incombe aux auteurs, au premier chef, d’étayer leurs allégations et de fournir des preuves documentaires à l’appui de ce qu’ils avancent. Le Comité est conscient que les communications peuvent être présentées par des personnes qui ne sont pas toujours représentées par des avocats ou des juristes formés au droit international des droits de l’homme. Il estime que, suivant le principe pro victima, il doit donc s’abstenir d’imposer des formalités compliquant inutilement la soumission des communications. Toutefois, pour que le Comité examine le bien-fondé d’une communication, il est nécessaire que les faits et les griefs présentés laissent supposer, du moins à première vue, que les auteurs pourraient être des victimes réelles ou potentielles de la violation d’un droit consacré par le Pacte. En l’espèce, le Comité note qu’il existe des incohérences entre les informations que l’auteure a initialement communiquées concernant ses revenus et celles contenues dans les documents produits par l’État partie. Il relève que, bien que l’auteure soit représentée par un conseil tant dans le cadre des procédures internes que devant le Comité, elle n’a apporté aucune réponse ni aucune explication concernant ces incohérences. Par conséquent, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel elle est dans le besoin, n’ayant pas de revenus suffisants pour accéder au marché privé du logement. L’auteure n’a pas davantage expliqué où elle vivait depuis son expulsion ni en quoi celle-ci l’avait empêchée d’accéder à un logement convenable. Partant, et étant donné qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure qu’en l’espèce, le droit de l’auteure ou de ses petits-enfants à un logement convenable a été bafoué ou est réellement menacé, le Comité estime que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable au regard de l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif en ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 du Pacte.

C.Mesures provisoires et expulsion de l’auteure

7.1Le Comité rappelle que la faculté de demander l’adoption de mesures provisoires en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif est essentielle à l’accomplissement du mandat qu’il tire de cet instrument. Les mesures provisoires visent notamment à préserver l’intégrité de la procédure afin que les droits énoncés dans le Pacte puissent être effectivement protégés lorsqu’il existe un risque de préjudice irréparable. En acceptant les obligations découlant du Protocole facultatif, les États parties se sont engagés à coopérer de bonne foi avec le Comité. Ainsi, tout État partie qui ne prend pas les mesures provisoires demandées par le Comité viole l’obligation de respecter de bonne foi la procédure de communication établie par l’article 2 du Protocole facultatif ainsi que l’article 5 dudit Protocole qui permet au Comité de prendre de telles mesures.

7.2Le Comité est donc compétent pour déterminer si l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 2 et 5 du Protocole facultatif et empêché que la future décision ou les futures constatations offrent à l’auteure toute la protection voulue, privant ainsi le mécanisme de présentation de communications par des particuliers de sa raison d’être. Il conserve sa compétence pour examiner une violation autonome du Protocole facultatif même s’il déclare la communication irrecevable, car le Protocole facultatif impose aux États une obligation autonome de se conformer aux mesures provisoires. Cela explique qu’il ait constaté des violations du Protocole facultatif même dans des cas où la communication avait été déclarée irrecevable au regard des droits consacrés par le Pacte. Il peut en effet conclure qu’une communication initiale est suffisamment étayée aux fins de l’enregistrement et concerne une situation qui requiert l’adoption de mesures provisoires pour éviter un préjudice irréparable. Toutefois, rien ne l’empêche de décider, après avoir examiné de nouvelles informations fournies par l’État partie, que les mesures demandées n’étaient pas justifiées ou ne sont plus nécessaires. Dans le même ordre d’idées, les informations fournies par les parties sur la recevabilité et sur le fond de la communication peuvent amener le Comité à conclure, comme il l’a fait en l’espèce, qu’une communication à première vue recevable ne l’est pas car elle est insuffisamment étayée. Le fait de demander des mesures provisoires n’exclut donc pas la possibilité que la communication soit déclarée irrecevable. C’est précisément pour cette raison que l’article 7 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif permet à l’État partie de s’opposer à une demande de mesures provisoires et d’en demander le retrait, pour autant qu’il explique les raisons pour lesquelles la demande n’est pas justifiée et il n’y a pas de risque de préjudice irréparable. L’État partie peut aussi arguer que la communication est irrecevable. Le Comité recommande donc à l’État partie d’établir un protocole aux fins de donner effet à ses demandes de mesures provisoires et d’informer toutes les autorités concernées que les mesures demandées doivent être appliquées afin de garantir l’intégrité de la procédure.

7.3En l’espèce, après examen du dossier, le Comité n’a pas d’éléments lui permettant de conclure que l’État partie a violé son obligation internationale de respecter de bonne foi la demande de mesures provisoires formulée au titre des articles 2 et 5 du Protocole facultatif, pour empêcher que l’auteure subisse un éventuel préjudice irréparable.

D.Conclusion

8.En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard de l’article 3 (par. 2 e) du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’auteure de la communication et à l’État partie.