Nations Unies

E/C.12/70/D/92/2019

Conseil économique et social

Distr. générale

8 décembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 92/2019 *

Communication présentée par :

Ángela Sariego Rodríguez et Ionut-Cosmin Dincă (représentés par un conseil, María Pilar Galán Luján, de l’antenne d’Oviedo de l’organisation Plataforma de Afectados por la Hipoteca)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leur fils

État partie :

Espagne

Date de la communication :

4 janvier 2019 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

12 octobre 2021

Objet :

Expulsion des auteurs de leur logement

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte :

11

Article(s) d u Protocole facultatif :

3 (par. 1 et 2 e))

1.1Les auteurs de la communication sont Ángela Sariego Rodríguez, de nationalité espagnole, née en 1998, et Ionut-Cosmin Dincă, de nationalité roumaine, né en 1996. Ils agissent en leur nom propre et au nom de leur fils (A. D. S.), de nationalité espagnole également et né en 2018. Ils affirment que l’État partie a violé le droit qu’ils tiennent de l’article 11 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 7 janvier 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail chargé des communications émanant de particuliers, a enregistré la communication et, compte tenu de l’imminence de l’expulsion des auteurs et des allégations selon lesquelles ceux-ci n’avaient pas de logement de remplacement et risquaient de subir un préjudice irréparable, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion tant que la communication serait à l’examen ou, à défaut, d’attribuer un logement convenable aux intéressés, après les avoir dûment consultés, afin qu’eux et leur fils ne subissent pas un préjudice irréparable. Lorsqu’il a enregistré la communication, le Comité a demandé aux auteurs de lui faire parvenir, d’ici au 21 janvier 2019, des informations détaillées sur les raisons pour lesquelles ils avaient refusé la proposition d’hébergement dans un foyer que les services sociaux leur avait faite.

1.3Dans la présente décision, le Comité commence par faire la synthèse des renseignements et des arguments présentés par les parties, sans exprimer ses vues, puis examine les questions de recevabilité que la communication soulève, et, enfin, formule des conclusions et des recommandations.

A.Résumé des renseignements et des arguments présentés par les parties

Exposé des faits

2.1À une date non précisée de mars 2018, les auteurs se sont installés dans un appartement loué 370 euros par mois. Peu de temps après, ils ont arrêté de payer le loyer et, le 2 octobre 2018, le tribunal de première instance no 8 d’Oviedo a déclarée recevable la plainte déposée par la propriétaire contre l’auteure. Le tribunal a ordonné à l’auteure de quitter l’appartement sous dix jours, convoqué une audience pour le 25 octobre 2018 et fixé l’expulsion au 22 novembre 2018. L’auteure ne s’est pas présentée à l’audience et n’a pas demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle.

2.2Le 5 novembre 2018, l’auteure a porté sa situation, notamment le fait qu’elle était visée par une expulsion, à l’attention de l’unité de travail social de Ventanielles, qui relève des services sociaux d’Oviedo. Les auteurs soutiennent que les services sociaux ne leur ont pas proposé de logement de rechange. Le 20 novembre 2018, l’auteure a pris contact avec l’antenne d’Oviedo de l’organisation Plataforma de Afectados por la Hipoteca − Stop Desahucios. Le 21 novembre 2018, assistée par la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, elle a demandé au tribunal no 8 d’Oviedo de suspendre l’expulsion. Le même jour, le tribunal a fait droit à sa demande et a ordonné que l’expulsion soit suspendue pour un mois et que les services sociaux lui soumettent un rapport sur la vulnérabilité de la famille. Le même jour également, l’auteure a demandé au Gouvernement de la Principauté des Asturies de lui attribuer un logement social pour cause d’urgence sociale.

2.3Le 23 novembre 2018, les services sociaux ont soumis au tribunal le rapport demandé, indiquant que l’auteure recherchait activement un emploi et participait régulièrement aux activités auxquelles elle était censée participer. Ils ont précisé que l’auteure s’était vu proposer un hébergement dans le foyer pour sans-abri Cano Mata, à Oviedo, mais l’avait refusé parce que, malgré le manque de place, des proches pouvaient l’héberger. Le 28 novembre 2018, après avoir pris connaissance du rapport des services sociaux, le tribunal a fixé l’expulsion des auteurs au 8 janvier 2019. Le 26 décembre 2018, des représentants de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca se sont entretenus avec la Cheffe du Département des services et des droits sociaux du Gouvernement de la Principauté des Asturies, qui a proposé que les auteurs louent un autre logement ou se fassent héberger à Cano Mata.

2.4Les auteurs affirment que les seules ressources du ménage sont les 642 euros par mois accordés à l’auteure au titre du revenu social minimum. Ils disent avoir essayé de louer un nouveau logement sur le marché privé, en vain. D’une part, un loyer mensuel représenterait plus de 30 % de leurs revenus, qui sont déjà maigres, et, d’autre part, les bailleurs exigent une caution de plusieurs mois de loyer et la présentation d’une fiche de paie attestant de revenus suffisants pour couvrir le loyer.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que les expulser sans leur fournir un logement de remplacement convenable porterait atteinte au droit à un logement convenable qu’ils tiennent de l’article 11 du Pacte. Ils avancent que la protection contre les expulsions est un élément fondamental du droit à un logement convenable, qu’elle est étroitement liée à la sécurité d’occupation, et que, comme l’a indiqué le Comité dans son observation générale no 7 (1997) sur les expulsions forcées, lorsqu’une personne expulsée ne peut subvenir à ses besoins, l’État partie doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement […] lui soient offertes.

3.2Les auteurs estiment que l’hébergement dans le foyer Cano Mata est une solution inacceptable car elle n’est que temporaire et ne remplit pas les conditions minimales de stabilité et de sécurité d’occupation nécessaires à la concrétisation de leur projet de vie. Selon eux, en n’agissant pas au maximum de leurs ressources disponibles pour assurer progressivement la pleine réalisation du droit au logement, les autorités de l’État partie et de la Principauté des Asturies enfreignent les dispositions du Pacte.

3.3Les auteurs demandent au Comité d’engager l’État partie à reconnaître et à réaliser leur droit au logement en leur garantissant l’accès à un logement habitable et adapté à leurs besoins en contrepartie du paiement d’un loyer abordable et proportionné à leurs ressources.

Observations complémentaires des auteurs

4.1Dans des informations complémentaires en date du 18 janvier 2019, les auteurs donnent suite à la demande formulée par le Comité au moment de l’enregistrement de la communication, le 7 janvier 2019, et expliquent pourquoi le foyer pour sans-abri Cano Mata n’est pas une solution de logement convenable. Ils font valoir que cet établissement est un centre d’accueil et de réinsertion pour les personnes sans domicile fixe, dont il couvre temporairement les besoins essentiels (alimentation, logement et hygiène) et qu’il aide à accomplir diverses démarches et à se familiariser avec différentes activités professionnelles. Cano Mata propose trois types d’hébergement et de services : un centre de jour (ouvert de 9 h 30 à 12 h 30 et de 16 heures à 19 h 30) ; un foyer pour personnes sans domicile fixe (pour un hébergement de courte durée − trois à cinq jours) ; et un centre d’accueil (qui comprend trois petits appartements de 30 m2 accueillant pour une durée maximum de trois mois (sauf exception) des familles avec enfants qui sont en situation d’urgence sociale).

4.2Les auteurs expliquent que le foyer accueille une population très particulière, à savoir des personnes seules, en rupture avec leur famille et la société, qui sont sans emploi et dans une situation d’extrême précarité sur le plan du logement et ont des problèmes d’addiction. Ce sont des personnes qui ont très peu de chances de trouver du travail, d’autant qu’elles sont en très mauvaise santé parce qu’elles souffrent de troubles mentaux ou de maladies chroniques graves comme le sida, l’hépatite, la cirrhose ou la pneumonie. Bon nombre d’entre elles, surtout celles qui ont des addictions, sont des petits délinquants. En conséquence, les auteurs estiment que s’ils se faisaient héberger dans le centre d’accueil, où ils devraient cohabiter au quotidien avec d’autres résidents, leur bien-être et leur développement personnel et social, et en particulier le bien-être et le développement de leur enfant, seraient clairement compromis.

4.3Les auteurs expliquent que l’hébergement dans un appartement dont ils ne savent ni à quoi il ressemble, ni dans quelle condition il est ou comment il est équipé est censé être une solution temporaire, pour trois mois maximum, le temps que la famille trouve un logement stable. Toutefois, comme le responsable du foyer l’a lui-même déclaré à la presse, les trois mois se prolongent toujours.

4.4Les auteurs signalent que, dans les Asturies, le seuil de risque de pauvreté est de 785 euros par mois et le seuil de risque de grande pauvreté, de 355 euros par mois. Ils ajoutent qu’à Oviedo, le loyer moyen se situe entre 350 et 400 euros par mois, ce qui représente environ 60 % de leur revenu et les exclut donc totalement de l’accès au logement sur le marché privé. Il s’ensuit que s’ils acceptaient d’être hébergés temporairement dans le foyer, ils risqueraient d’y rester indéfiniment.

4.5Les auteurs déclarent qu’ils ont été expulsés le 8 janvier 2019 et que, faute de logement de remplacement, l’auteure a été hébergée par une amie et son mari est allé vivre chez ses parents avec son fils.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans ses observations du 6 septembre 2019, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable ou, à défaut, de dire qu’elle ne fait pas apparaître une violation du Pacte.

5.2L’État partie souligne que les auteurs n’ont pas comparu à l’audience ni demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle dans le contexte de la procédure d’expulsion et n’ont pas non plus contesté la mesure devant la justice interne, se contentant de demander qu’il soit sursis à son exécution, ce qu’ils ont obtenu. Il souligne également que l’auteure n’a pas déposé de demande de logement social avant le 21 novembre 2018, soit la veille de la date initialement fixée pour l’expulsion. Il ajoute que la réglementation en vigueur prévoit que ce type de demande doit être assorti d’un rapport de la municipalité qui atteste que les circonstances personnelles, économiques ou sociales du demandeur requièrent une attention particulière et que les auteurs ne peuvent pas modifier à leur guise les critères d’attribution des logements sociaux fixés par la loi.

5.3L’État partie explique que, le 3 septembre 2018, après que l’auteure a transmis aux services sociaux une copie de la plainte que la propriétaire avait déposée pour cause de loyers impayés, les autorités locales et régionales se sont coordonnées et ont pris les mesures qui s’imposaient, dans la limite de leurs moyens, pour fournir aux auteurs un logement décent, conformément aux observations générales nos 4 (1991) et 7 (1997) du Comité. Il fait savoir que : a) l’auteure s’est rapidement vu accorder une aide financière (plus de 3 700 euros pour novembre et décembre 2018) destinée à l’aider à subvenir aux besoins de base du ménage ; b) elle s’est vu proposer une allocation logement devant lui permettre de louer un logement privé ; c) les informations pertinentes ont été communiquées au tribunal ; d) un logement temporaire a été réservé à l’auteure pour le cas où la famille serait définitivement expulsée. L’État partie ajoute que le tribunal a fixé l’expulsion au 8 janvier 2019 parce que, vu le montant des aides que l’auteure avait perçues tel qu’il ressortait du rapport des services sociaux du 23 novembre 2018, l’intéressée ne pouvait pas être considérée comme une personne économiquement vulnérable. Selon le même rapport, le 7 novembre 2018, l’auteure a refusé d’être temporairement relogée dans le foyer Cano Mata au motif qu’elle pouvait être hébergée par sa famille, et, le 15 novembre 2018, elle a dit avoir trouvé une nouvelle location qui répondait raisonnablement à ses besoins.

5.4L’État partie allègue que les auteurs omettent de dire que la solution de logement décent qui leur a été proposée est le versement d’allocations devant leur permettre de louer un logement privé, sachant qu’ils devraient justifier que les allocations en question étaient utilisées aux fins auxquelles elles sont effectivement destinées. Il explique que les prix sur le marché locatif privé de la Principauté des Asturies sont abordables, le loyer moyen étant 321 euros par mois, et que l’auteure bénéficierait en outre d’allocations couvrant entre 50 % et 100 % de son loyer, mais l’intéressée et ses représentants de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca refusent d’envisager d’autre solution que l’attribution d’un logement social. Selon le rapport des services sociaux daté du 15 janvier 2019, le 29 novembre 2018, l’auteure s’est vu expliquer que, avec les allocations perçues pour le mois de novembre, elle pourrait se permettre une location, mais elle a dit qu’elle renonçait à prendre le logement qu’elle avait trouvé parce que la Plataforma de Afectados por la Hipoteca lui avait dit qu’elle pourrait bénéficier d’un logement social d’urgence. Selon ce rapport également, bien que les services sociaux lui aient proposé de l’aider chaque fois qu’il y avait une possibilité de location, l’auteure a refusé d’envisager cette solution après qu’une association l’a assurée qu’elle pourrait obtenir un logement social d’urgence.

5.5L’État partie ajoute que les auteurs n’auraient pas besoin de se faire héberger temporairement dans un appartement familial privé du foyer Cano Mata s’ils cherchaient activement un logement à louer sur le marché privé et en trouvaient un avant que l’expulsion ait lieu. Selon le rapport établi par les services sociaux le 15 janvier 2019, le 13 décembre 2018, face au manque de coopération de l’auteure, qui était sur le point d’être expulsée mais refusait qu’on l’aide à trouver une location, les autorités compétentes ont rappelé à l’intéressée que, en dernier recours et en cas d’urgence, elle pourrait loger dans un des appartements du foyer. Encore une fois, l’auteure a refusé cette solution et dit qu’elle se ferait héberger par des proches. L’État partie souligne que l’auteure a de nouveau refusé la solution du foyer lorsqu’elle s’est entretenue avec son assistante sociale le 4 janvier 2019, arguant qu’elle avait un animal de compagnie et que le foyer n’acceptait pas les animaux. Selon le rapport du 15 janvier également, les services sociaux sont intervenus à de nombreuses reprises auprès des familles hébergées dans le foyer, qui est subventionné par la mairie d’Oviedo, sans avoir observé aucun des problèmes de sécurité décrits par les auteurs.

5.6L’État partie allègue que la communication est irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les auteurs abusent du droit de présenter des communications. D’une part, les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que la demande de logement social est toujours pendante et les auteurs n’ont entrepris aucune nouvelle démarche depuis qu’elle a été déposée, en novembre 2018. D’autre part, la communication est manifestement abusive, car les autorités publiques ont mis quantité de ressources à la disposition de l’auteure pour l’aider à surmonter les différentes difficultés auxquelles elle faisait face, et l’intéressée a refusé bon nombre des solutions qui lui étaient proposées, en particulier celle de l’hébergement.

5.7En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie explique que les auteurs allèguent non pas que la procédure d’expulsion n’a pas respecté les garanties judiciaires, mais qu’elle a porté atteinte à l’article 11 parce que leur demande a été rejetée, ou traitée avec un retard excessif, ce qui est d’autant moins vrai qu’ils n’ont demandé un logement social qu’un jour avant la date initialement fixée pour l’expulsion. L’État partie ajoute que les mesures prises par les autorités doivent être examinées à la lumière du comportement des auteurs, et de cet élément en particulier.

5.8En ce qui concerne les droits que les auteurs tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte, l’État partie souligne qu’il subvient aux besoins de la famille en ce qui concerne la santé, l’éducation et l’accès à la justice, auxquels ils ont accès gratuitement, et en leur versant un revenu minimum. Seul le besoin de logement n’est pas satisfait, mais les faits montrent qu’il aurait pu l’être temporairement, en attendant que la demande des auteurs soit traitée, et que ce sont les intéressés qui ont refusé la solution qui leur était proposée.

5.9L’État partie fait valoir que le droit au logement n’est pas un droit absolu qui permet d’occuper tel ou tel logement appartenant à autrui ou de se voir accorder un logement par les autorités même si celles-ci ne disposent pas des ressources nécessaires. Il estime que ni l’article 25 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme ni l’article 11 (par. 1) du Pacte ne consacrent un droit subjectif opposable et que ces dispositions font simplement obligation aux États parties d’adopter des politiques visant à faciliter l’accès de tous à un logement décent. En outre, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 34 (par. 3) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît le droit à l’aide au logement, garantit non pas le droit au logement, mais le droit à l’aide au logement dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’obligation mise à la charge des États parties est expressément transposée dans l’article 47 de la Constitution espagnole et de divers statuts d’autonomie. Conformément à cet article et à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, le droit au logement, s’il découle d’une directive ou prescription d’ordre constitutionnel à vocation essentiellement sociale, ne saurait néanmoins en soi valoir titre de compétence de l’État. Les pouvoirs publics sont donc tenus de créer les conditions et d’adopter les règles nécessaires pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et convenable, et notamment de réglementer l’utilisation des sols dans le respect de l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Par conséquent, l’État partie respecte pleinement ses obligations internationales pour ce qui est du droit au logement, dont la réalisation est progressive.

5.10Suivant le même raisonnement, l’État partie estime que le respect des obligations mises à sa charge par l’article 11 (par. 1) du Pacte doit être apprécié en fonction de trois paramètres : a) le revenu minimum dont une personne doit disposer pour accéder à un logement privé ; b) le nombre de personnes dont le revenu est inférieur à ce minimum ; c) les fonds publics disponibles pour satisfaire les besoins de ces personnes. Il faut donc déterminer si l’État partie s’emploie à satisfaire ces besoins dans toute la mesure des ressources disponibles et, au cas où celles-ci ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins, si les ressources existantes ont été allouées objectivement et sans discrimination. C’est le raisonnement que le Comité a suivi dans son observation générale no 7 pour conclure que, lorsqu’une personne se retrouvait sans toit du fait d’une expulsion, l’État partie devait, « par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement [...] lui soient offertes ».

5.11L’État partie estime que, si on applique ce raisonnement sur la portée du droit à un logement suffisant à la présente affaire, il faudrait, pour que le Comité conclue à une violation du Pacte, que les auteurs démontrent : a) qu’ils sont dans le besoin ; b) que les autorités n’ont pas consacré toutes les ressources dont elles disposent à la satisfaction de leurs besoins ; c) que, si les ressources maximales disponibles ont été utilisées sans que tous les besoins soient couverts, elles n’ont pas été allouées selon des critères rationnels et objectifs ; d) que les auteurs ne se sont pas délibérément placés dans la situation dont ils se plaignent, se privant ainsi eux-mêmes de toute aide publique.

5.12L’État partie explique ce qu’il a fait pour protéger le droit au logement. Il a pris des mesures pour faciliter l’accès à la propriété (allégements fiscaux) et à la location sur le marché privé (aides publiques). Il a aussi adopté des politiques visant à éviter que les propriétaires perdent leur logement, imposant un moratoire sur les expulsions pour non‑paiement de prêts hypothécaires et adoptant un code de bonnes pratiques auquel plus de 93 institutions financières ont adhéré. De surcroît, pour faire face aux situations d’urgence en cas d’expulsions légitimes, notamment fournir aux personnes concernées une solution de logement stable, il a adopté le décret-loi royal no 7/2019, qui établit un mécanisme permettant aux personnes vulnérables de faire reporter leur expulsion d’un ou trois mois selon que le propriétaire est une personne physique ou une personne morale. En outre, les services sociaux municipaux sont chargés d’évaluer de manière suivie les besoins des familles, de gérer les situations d’urgence temporaire de logement et de coopérer avec les communautés autonomes concernées afin de faciliter la transition vers le système de logements sociaux. Par ailleurs, la législation espagnole en matière d’urbanisme permet de maintenir un parc de logements sociaux suffisamment vaste en ce qu’elle prévoit que l’État partie doit se voir céder à titre gracieux, à des fins publiques, une partie des terrains privés que les autorités envisagent de convertir en terrains municipaux afin que des logements sociaux y soient construits. Enfin, l’État partie a établi des critères objectifs sur la base desquels il évalue les besoins des demandeurs de logements sociaux.

5.13L’État partie souligne que, dans le cas présent, les auteurs a) ont reçu et continuent de recevoir des aides publiques conséquentes et, depuis novembre 2018, disposent ainsi de revenus élevés par rapport au coût des loyers dans la Principauté des Asturies ; b) ont rejeté des solutions de logement pour des raisons aussi étranges que le fait qu’elles ne convenaient pas à leur animal de compagnie ; c) se font héberger par des proches ; d) ont présenté une seule demande de logement social, et ce, à la veille de leur expulsion (demande qui est toujours en cours de traitement). Il demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable ou, à titre subsidiaire, de la rejeter.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

6.1Dans leurs commentaires du 22 janvier 2020, les auteurs avancent que l’auteure n’a pas été informée des droits qu’elle avait en tant que défendeuse et c’est pourquoi elle ne s’est pas présentée à l’audience et n’a pas demandé à bénéficier de l’aide juridictionnelle.

6.2Les auteurs font observer qu’ils ont un revenu de 641,84 euros par mois, soit le montant du revenu social minimum que l’auteure perçoit, plus les arriérés qui leur sont dus au titre de cette prestation et certaines allocations ponctuelles et limitées. Ils soutiennent que, dans les Asturies, en 2018, le seuil de risque de pauvreté s’établissait à 796,25 euros par mois et par unité de consommation et le seuil de pauvreté sévère, à 398,13 euros par mois. Ils expliquent que le revenu de la famille, rapporté au nombre de personnes qui la composent, est 356,38 euros par mois, de sorte qu’ils sont non seulement économiquement vulnérables, mais aussi en dessous du seuil de pauvreté sévère. Selon eux, la décision du tribunal de faire exécuter l’expulsion et le refus du Conseil municipal d’Oviedo et du Gouvernement de la Principauté des Asturies de leur fournir un logement de remplacement convenable sont autant de mesures qui les condamnent à la marginalisation et à l’exclusion sociale. Partant, leur communication ne saurait être considérée comme étant manifestement abusive.

6.3Les auteurs indiquent que la Plataforma de Afectados por la Hipoteca d’Oviedo a dit et continue de dire, lorsque l’expulsion risque de placer une famille dans une situation d’extrême précarité, la seule solution digne et viable, étant donné l’impossibilité des intéressés d’accéder à un logement privé, est l’attribution d’un logement social pour un loyer abordable et proportionné au revenu du ménage. Ils expliquent que, si on tient compte de l’indice des prix à la consommation, le coût mensuel moyen des loyers, qui selon l’État partie était de 321 euros par mois en 2017, serait de 329,67 euros par mois en 2018, ce qui représente plus de la moitié de leur revenu (51,4 %). Les auteurs expliquent que le système d’aides au logement établi par la Principauté des Asturies ne garantit pas l’accès des personnes les plus vulnérables à un logement décent et convenable. D’une part, ces aides ont pour effet d’augmenter les prix des loyers et, d’autre part, elles sont insuffisantes : en 2018, 13 345 demandes d’allocations logement ont été présentées, dont 4 385 ont été rejetées faute de crédits suffisants, alors que les demandeurs remplissaient pourtant toutes les conditions requises. Les auteurs ajoutent que, pour les personnes de moins de 35 ans ou plus de 65 ans, les allocations logement couvrent maximum 50 % du loyer mensuel. Ellesse présentent sous la forme d’un paiement unique qui varie selon le montant du loyer et, pendant les trois premiers mois, est calculé approximativement. Selon eux, le problème vient de ce que le parc de logements sociaux des Asturies ne suffit pas à répondre à la demande de logements abordables, qui a tellement augmenté que le système est submergé. Certaines restent plus d’un an sur la liste d’attente, ce qui est incompatible avec le fait qu’ils se trouvent en situation d’extrême vulnérabilité.

6.4En ce qui concerne leur refus de séjourner dans le foyer Cano Mata, les auteurs renvoient aux informations complémentaires qu’ils ont fournies le 18janvier 2019 et ajoutent que, d’après la Plataforma de Afectados por la Hipoteca d’Oviedo, la direction du foyer elle-même recommande aux familles d’éviter tout contact avec les autres résidents.

6.5Les auteurs allèguent que le Gouvernement de la Principauté des Asturies ne s’acquitte pas de l’obligation que lui fait le Pacte d’agir « au maximum de ses ressources disponibles en vue d’assurer progressivement » le plein exercice du droit au logement. Ils ajoutent que, comme le Comité l’a constaté, les mesures d’austérité adoptées après que la bulle immobilière a éclaté, en 2008, ont été préjudiciables à l’exercice du droit à un logement convenable, en particulier par les personnes et les groupes les plus défavorisés et marginalisés vivant dans les Asturies. Ils font valoir que les Asturies ont réduit le montant des dépenses publiques et des investissements consacrés au logement entre 2009 et 2013et que la loi no8/2019 sur le budget de 2020 montre que la Principauté n’agit pas conformément à l’obligation imposée par le Pacte en ce que : a) elle prévoit d’augmenter le nombre de postes de fonctionnaires, ce qui fera passer le montant des dépenses annuelles de 338 600 à 845 000 euros ; b) depuis 2015, 156 millions d’euros ont été décaissés pour payer les dettes contractées par deux sociétés publiques d’aménagement foncier, plus 21 millions d’euros en 2020, somme qui aurait pu être utilisée pour construire 2 500 nouveaux logements sociaux ; c) 638 460 euros ont été alloués à des mesures d’aide à l’accès à la propriété alors qu’ils auraient pu servir à financer l’accès à la location des groupes de population les plus vulnérables. Le fait que près de 25 % de la population asturienne est en situation d’extrême vulnérabilité sur le plan du logement montre que le Gouvernement de la Principauté ne respecte pas les obligations imposées par le Pacte.

6.6Les auteurs soutiennent que le droit à un logement convenable ne devrait pas être subordonnéaudegré de collaboration des personnes vulnérables avec les services sociaux municipaux et qu’ils ne devraient pas se voir reprocher leur manque de coopération. Selon eux, les autorités publiques doivent protéger toutes les personnes et garantir leurs droits fondamentaux, même lorsqu’elles commettent des erreurs de jugement ou prennent des décisions peu judicieuses. Les auteurs ajoutent que la Plataforma de Afectados por la Hipoteca d’Oviedo n’a pas garanti à l’auteure qu’elle obtiendrait un logement de remplacement d’urgence et l’a seulement informée de son droit d’obtenir pareil logement et de la procédure à suivre pour ce faire.

6.7Les auteurs déclarent qu’ils ont présenté leur communication le 4 janvier 2019, date à laquelle ils ont aussi demandé qu’il soit sursis à leur expulsion, prévue pour le 8 janvier 2019, et ont donc saisi le Comité en dernier recours. Ils expliquent que la municipalité dispose de deux mois à compter du dépôt de la demande de logement d’urgence pour envoyer le dossier au Département, qui, à son tour, a un mois pour prendre une décision. L’auteure a déposé sa demande le 21 novembre 2018, soit un mois et douze jours avant de saisir le Comité parce que son expulsion était imminente.

6.8Les auteurs allèguent que, étant donné qu’ils ont démontré que le Gouvernement de la Principauté des Asturies n’agissait pas au maximum de ses ressources disponibles pour garantir aux personnes socialement exclues le droit à un logement convenable, l’argument selon lequel l’État partie accorde une attention prioritaire aux personnes qui sont particulièrement dans le besoin ne résiste pas à l’analyse. Ils ajoutent que, lorsque le respect des droits fondamentaux est en jeu, il ne saurait être question de liste d’attente et de personnes vulnérables de première ou de seconde zone, car le droit fondamental à un logement adéquat doit être universellement garanti, y compris à ceux qui ont fait des choix peu judicieux. Selon eux, les mesures mentionnées par l’État partie (allégements fiscaux, prêts subventionnés, etc.), outre qu’elles sont inutiles en l’espèce, ne servent qu’à justifier que certaines ressources publiques sont utilisées pour promouvoir l’accès à la propriété plutôt que pour garantir l’accès des personnes les plus défavorisées à un logement convenable.

B.Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si cette communication est recevable.

7.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif, il ne peut examiner une communication sans s’être assuré que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’article 2 (par. 1) du Pacte fait obligation aux États parties d’agir, tant par leur effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte par tous les moyens appropriés. Toutefois, il rappelle que, aux termes de l’article 8 (par. 4) du Protocole facultatif, les États parties peuvent adopter un éventail de mesures pour mettre en œuvre les droits énoncés dans le Pacte. Partant, il estime que les États parties peuvent faciliter la protection du droit au logement au moyen de mécanismes administratifs et, notamment, exiger des personnes qui ont besoin d’aide qu’elles fassent certaines démarches pour informer les autorités de leurs besoins, pour autant que les démarches en question ne constituent pas un fardeau excessif ou inutile et n’aient pas d’effet discriminatoire.

7.3Conformément à l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication qui est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée ou qui repose exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Le Comité rappelle qu’il incombe aux auteurs, au premier chef, d’étayer leurs allégations et de fournir des preuves documentaires à l’appui de ce qu’ils avancent. Il est conscient que les communications peuvent être présentées par des personnes qui ne sont pas représentées par des avocats ou des juristes spécialisés en droit international des droits de l’homme et estime que, conformément au principe pro victima, il doit donc s’abstenir d’imposer des formalités compliquant inutilement la soumission des communications. Cela étant, pour qu’il puisse examiner une communication quant au fond, les faits allégués et les griefs formulés doivent permettre de penser, du moins à première vue, que l’auteur a réellement ou potentiellement été victime d’une violation d’un droit consacré par le Pacte.

7.4Le Comité est d’avis que le manque de diligence des auteurs, qui n’ont pas demandé aux autorités administratives nationales de les aider à obtenir un logement de remplacement dans un délai raisonnable, est un élément important pour déterminer si la condition de l’épuisement des recours internes prévue à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif a été remplie et si l’État partie a respecté les obligations découlant de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

7.5En l’espèce, le Comité note que l’État partie allègue que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles parce qu’ils ont attendu la veille de la date à laquelle l’expulsion était initialement prévue pour présenter une demande de logement social et parce que cette demande est toujours en cours d’examen. Il constate que les auteurs n’ont pas répondu à cette allégation, n’ont pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas demandé un logement social plus tôt, par exemple au moment où ils ont arrêté de payer leur loyer, et n’ont pas fourni d’informations sur l’état d’avancement de leur demande lorsqu’ils ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

7.6Le Comité prend note des arguments des auteurs, qui soutiennent qu’ils ont été expulsés sans que l’État partie ne leur fournisse un logement de rechange, qu’ils ont essayé en vain d’obtenir un logement privé et que le foyer Cano Mata, dont ils ne savent ni à quoi il ressemble, ni dans quelle condition il est ou comment il est équipé, ne répond pas aux exigences minimales de stabilité et de sécurité d’occupation. Il constate que l’État partie soutient que, après que l’auteure a informé les services sociaux que la propriétaire avait déposé plainte, des mesures ont été prises pour fournir un logement décent aux auteurs, qui n’ont toutefois rien fait pour qu’elles aboutissent, et que les autorités judiciaires compétentes ont suspendu l’expulsion, à la demande des auteurs, jusqu’à ce que les services sociaux démontrent que les intéressés avaient des ressources suffisantes et un logement à leur disposition. Le Comité note en particulier que, le 15 novembre 2018, l’auteure a déclaré qu’elle avait pris un nouveau logement en location et que, le 29 novembre 2018, elle a dit qu’elle s’était rétractée parce que l’organisation Plataforma de Afectados por la Hipoteca l’avait informée qu’elle pouvait obtenir un logement d’urgence. Il note également que l’État partie soutient que, le 13 décembre 2018, l’auteure a refusé de se faire aider par les autorités pour trouver un nouveau logement et que, le 4 janvier 2019, elle a de nouveau refusé de se faire héberger à Cano Mata au motif qu’elle avait un animal de compagnie que le foyer n’accepterait pas. Il note en outre que, selon l’État partie, l’hébergement dans le foyer Cano Mata était censé être une solution temporaire et de dernier recours.

7.7Le Comité constate que les allégations des auteurs selon lesquelles les autorités de l’État partie ne leur ont pas proposé d’autre hébergement que le foyer Cano Mata sont contredites par les rapports des services sociaux, dont il ressort que les intéressés se sont vu proposer des allocations devant leur permettre de louer un logement privé et que le séjour dans le foyer n’était envisagé que comme solution temporaire de dernier recours pour le cas où ils seraient expulsés. Le Comité constate également que les auteurs soutiennent d’abord que l’hébergement à Cano Mata n’offrait aucune sécurité d’occupation étant donné que, selon les rapports des services sociaux, c’était un hébergement temporaire de dernier recours, puis que ce n’était pas une solution convenable étant donné le type de personnes qui y étaient hébergées, tout en reconnaissant par ailleurs qu’ils ne savent ni à quoi le foyer ressemble, ni dans quelle condition il est ou comment il est équipé. Il note que les auteurs ne contestent pas qu’ils ont refusé d’être hébergés dans le foyer pour la raison exposée dans le rapport des services sociaux. Il note également que l’argument de l’incapacité d’accéder à une location sur le marché privé est en contradiction avec le fait que, d’après le rapport des services sociaux du 23 novembre 2018, les auteurs avaient trouvé une location, mais y ont renoncé parce qu’ils pensaient qu’ils pouvaient se voir attribuer un logement social. Il constate que les auteurs ne contestent pas les informations contenues dans les rapports des services sociaux et se contentent d’expliquer que la Plataforma de Afectados por la Hipoteca d’Oviedo ne leur a fourni aucune assurance ou garantie concernant l’attribution d’un logement d’urgence, mais leur a fait savoir qu’ils avaient le droit de se voir allouer ce type de logement et les a informés de la procédure à suivre pour ce faire. Par ailleurs, les auteurs ne contestent pas non plus qu’ils ont refusé que les autorités les aident à trouver une location sur le marché privé et qu’ils n’ont pas expliqué dans quelle situation ils se trouvaient en matière de logement ni ou en était leur demande de logement social lorsqu’ils ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. À la lumière de ce qui précède et compte tenu du fait que les auteurs n’ont pas agi avec toute la diligence voulue pour demander un logement social (voir supra par. 7.2 à 7.4), le Comité estime que les intéressés n’ont pas suffisamment étayé le grief de violation de leur droit à un logement suffisant ni l’argument selon lequel l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 11 (par. 1) du Pacte.

7.8En conséquence, le Comité estime que les éléments dont il dispose ne suffisent pas à conclure que les auteurs ont agi avec toute la diligence voulue pour épuiser les recours internes ni que leur droit à un logement convenable a été bafoué, à plus forte raison par la faute de l’État partie, et déclare donc la communication irrecevable au regard de l’article 3 (par. 1 et 2 e)) du Protocole facultatif en ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

C.Mesures provisoires et expulsion des auteurs

8.1Le Comité rappelle que la faculté de demander l’adoption de mesures provisoires qui lui est donnée à l’article 5 du Protocole facultatif est essentielle aux fins de l’accomplissement du mandat qu’il tire de cet instrument. Les mesures provisoires visent notamment à préserver l’intégrité de la procédure afin que les droits énoncés dans le Pacte puissent être effectivement protégés lorsqu’il existe un risque de préjudice irréparable. En acceptant les obligations découlant du Protocole facultatif, les États parties se sont engagés à coopérer de bonne foi avec le Comité. Ainsi, tout État partie qui ne prend pas les mesures provisoires demandées par le Comité viole l’obligation de respecter de bonne foi la procédure de communication établie par l’article 2 du Protocole facultatif et l’article 5 dudit Protocole qui permet au Comité de prendre de telles mesures.

8.2Le Comité est donc compétent pour déterminer si l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 2 et 5 du Protocole facultatif et s’il a empêché que la future décision ou les futures constatations du Comité offrent à l’auteure toute la protection voulue, privant ainsi le mécanisme de présentation de communications par des particuliers de sa raison d’être. Le Comité conserve sa compétence pour examiner une violation autonome du Protocole facultatif même s’il déclare la communication irrecevable, car cet instrument impose aux États une obligation autonome de se conformer aux mesures provisoires. C’est pourquoi le Comité a constaté des violations du Protocole même dans des cas où la communication a été déclarée irrecevable au regard des droits consacrés par le Pacte. Ainsi, le Comité peut conclure qu’une communication initiale est suffisamment étayée aux fins de l’enregistrement et concerne une situation requérant l’adoption de mesures provisoires pour éviter un préjudice irréparable. Toutefois, rien ne l’empêche de décider, après avoir examiné de nouvelles informations fournies par l’État partie, que les mesures demandées n’étaient pas justifiées ou ne sont plus nécessaires. Dans le même ordre d’idées, les informations fournies par les parties sur la recevabilité et sur le fond de la communication peuvent amener le Comité à conclure, comme il l’a fait en l’espèce, qu’une communication à première vue recevable ne l’est pas car elle est insuffisamment étayée. Il n’est donc pas contradictoire que le Comité accorde des mesures provisoires et déclare ensuite l’affaire irrecevable. C’est précisément pour cette raison que l’article 7 du règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif permet à l’État partie de s’opposer à une demande de mesures provisoires et d’en demander le retrait, pour autant toutefois qu’il explique que la demande n’est pas justifiée et que le risque de préjudice irréparable est nul. En outre, l’État partie peut aussi arguer que la communication est irrecevable. Le Comité recommande donc à l’État partie d’établir un protocole aux fins de donner effet à ses demandes de mesures provisoires et d’informer toutes les autorités concernées que les mesures demandées doivent être appliquées si l’on veut garantir l’intégrité de la procédure.

8.3En l’espèce, après examen du dossier, le Comité n’a pas d’éléments lui permettant de conclure que l’État partie a violé son obligation internationale de respecter de bonne foi la demande de mesures provisoires formulée au titre des articles 2 et 5 du Protocole facultatif, pour empêcher que les auteurs subissent un éventuel préjudice irréparable.

D.Conclusion

9.En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard de l’article 3 (par. 1 et 2 e)) du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée aux auteurs et à l’État partie.