Nations Unies

E/C.12/69/D/56/2018

Conseil économique et social

Distr. générale

12 avril 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 56/2018 *

Communication présentée par :

Asmae Taghzouti Ezqouihel

Victimes présumées:

L’auteure et ses enfants

État partie :

Espagne

Date de la communication :

21 septembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

22 février 2021

Objet :

Expulsion de l’auteure de son domicile

Question(s) de procédure :

Bien-fondé des allégations

Question(s) de fond :

Droit à un logement suffisant

Article(s) du Pacte :

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 2 e) et f))

1.1L’auteure de la communication est Asmae Taghzouti Ezqouihel, de nationalité espagnole, née le 21 mai 1982. L’auteure agit en son nom et au nom de ses enfants mineurs, nés le 19 octobre 2006 et le 30 septembre 2019. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle et ses enfants tiennent du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. L’auteure n’est pas représentée.

1.2Le 21 septembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Groupe de travail chargé des communications émanant de particuliers, a enregistré la communication et, prenant note de l’imminence de l’expulsion et des allégations selon lesquelles aucune solution de relogement n’était proposée et le risque de préjudice irréparable était bien réel, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que ladite communication serait à l’examen ou, à défaut, d’attribuer un logement suffisant à l’auteure, après l’avoir dûment consultée, afin que celle‑ci et sa fille mineure ne subissent pas un préjudice irréparable.

1.3Dans la présente décision, le Comité fait d’abord le résumé des renseignements et des arguments présentés par les parties, sans exprimer ses vues ; il examine ensuite les questions de recevabilité et de fond que la communication soulève ; enfin, il expose ses conclusions.

A.Résumé des renseignements et des arguments présentés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.1En 2014, après la dation en paiement de son ancien logement, que son ex‑mari et l’auteure, qui en étaient les propriétaires, avaient hypothéqué, et en l’absence de réponses de l’administration, l’auteure a pris possession, pour cause de nécessité et avec l’aide de tiers, d’un logement appartenant à une banque. Par l’entremise de son avocat commis d’office, l’auteure a tenté de négocier un loyer social auprès de ladite banque, mais toutes ses tentatives sont restées vaines.

2.2Le 16 juin 2015, dans sa décision no 99/2015, le tribunal de première instance no 5 de Badalona a fait droit à la demande d’expulsion pour occupation illégale visant l’auteure. Le 11 septembre 2017, la propriétaire du logement a demandé l’exécution de cette décision.

2.3Le 15 janvier 2018, le tribunal de première instance no 5 de Badalona s’est prononcé en faveur de l’exécution de la décision no 99/2015. Le même jour, il a rendu une ordonnance enjoignant à l’auteure de restituer volontairement le logement qu’elle occupait à sa propriétaire, faute de quoi, elle serait expulsée en date du 16 mai 2018.

2.4L’auteure explique que, le 16 mai 2018, la « présence de citoyens » a permis de surseoir à l’expulsion, prévue à cette date. Le même jour, le tribunal de première instance no 5 de Badalona a décidé de reporter l’expulsion au 26 septembre 2018.

2.5En juin 2018, l’équipe chargée du logement d’urgence à la mairie de Badalona a transmis le rapport rendant compte de la situation de l’auteure au service des urgences sociales pour qu’il l’examine et évalue les possibilités d’accès à un logement.

2.6Le 10 juillet 2018, l’auteure a fait une demande au service d’orientation professionnelle de la Communauté autonome de Catalogne pour bénéficier du revenu garanti au titre du programme d’insertion professionnelle de la Communauté. Le 23 juillet 2018, elle s’est vu accorder une prestation complémentaire.

2.7Le 14 septembre 2018, l’auteure a été inscrite sur le registre des personnes à la recherche d’un logement d’urgence auprès du Bureau local du logement de Badalona.

2.8Le 21 septembre 2018, l’auteure a demandé au tribunal de première instance no 5 de Badalona de surseoir à son expulsion.

Faits postérieurs à l’enregistrement de la communication

2.9Le 21 septembre 2018, le Comité a enregistré la communication et demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires afin que l’auteure et sa fille mineure ne risquent pas de subir des préjudices irréparables tant que la communication serait à l’examen, notamment en suspendant la procédure d’expulsion ou en attribuant à l’auteure, après l’avoir dûment consultée, un logement de remplacement qui réponde à ses besoins.

2.10Le 25 septembre 2018, le tribunal de première instance no 5 de Badalona a décidé de surseoir à l’expulsion et de la reporter au 14 novembre 2018. Le 3 octobre 2018, l’auteure a présenté une nouvelle demande de suspension de la procédure. Le 18 octobre 2018, le tribunal s’est prononcé en faveur de la suspension et a reporté l’expulsion au 24 avril 2019.

2.11Le 17 avril 2019, le Comité a demandé de nouveau à l’État partie de prendre des mesures provisoires afin que l’auteure et sa fille mineure ne risquent pas de subir des préjudices irréparables tant que la communication serait à l’examen. Le 18 avril 2019, l’auteure a présenté une nouvelle demande de suspension de la procédure d’expulsion. Le 18 juin 2019, le tribunal de première instance no 5 de Badalona l’a déboutée. Le 14 septembre 2020, la banque a demandé au tribunal de fixer la date d’exécution de la procédure d’expulsion visant l’auteure.

2.12L’auteure affirme que, si le Comité n’intervient pas, sa famille se retrouvera à la rue et que l’État partie, « à l’aide de fonds européens », lui retirera la garde de ses enfants. Elle signale que son logement a été vendu par la banque qui en était auparavant le propriétaire à une grande société immobilière, et qu’aucune nouvelle date n’a été fixée pour son expulsion.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure considère que son expulsion constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, car elle n’a pas de solution de relogement satisfaisante. Elle affirme que l’État partie n’a pas agi, au maximum de ses ressources disponibles, pour épargner à sa famille l’indignité de vivre dans la rue. Elle estime que l’État partie n’a fait preuve d’aucune humanité, alors que les vraies victimes dans cette affaire, ce sont ses enfants et elle-même, qui sont obligés d’enfreindre la loi pour pouvoir survivre.

3.2L’auteure indique que les services sociaux continuent de lui opposer qu’ils ne peuvent pas lui venir en aide et ne lui proposent aucune solution de relogement décente. Elle affirme que ses revenus actuels ne lui permettent pas d’acheter ou de prendre en location un logement sur le marché libre, même à bonne distance de son lieu de résidence actuel. Elle allègue que c’est peut‑être à cause de cette situation d’incertitude et de terreur qu’elle a fait une fausse couche, à deux mois de grossesse.

3.3L’auteure dit qu’elle est actuellement sans emploi et qu’une allocation de chômage, de 580 euros par mois, lui sera versée jusqu’en septembre 2019. Selon un rapport des services sociaux de la mairie de Badalona, en date du 19 avril 2018, l’auteure et sa fille sont en situation de détresse. Selon un autre rapport de la mairie de Badalona, en date du 4 septembre 2018, la famille risque de perdre son logement, car ses revenus représentent seulement 0,89 fois le seuil de pauvreté, et pour cette même raison, devrait pouvoir disposer d’un logement dont le loyer ne dépasse pas 10 % de ses revenus totaux.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations en date du 25 avril 2019, l’État partie demande au Comité de considérer que la communication est irrecevable ou, à défaut, qu’elle ne met en évidence aucune violation du Pacte.

4.2L’État partie fait observer que, le 14 septembre 2018, l’auteure a été inscrite, à sa demande, sur le registre des personnes à la recherche d’un logement d’urgence de Badalona. Il prend note que l’auteure a été reconnue admissible au bénéfice d’une allocation de chômage par le Ministère du travail et des affaires sociales. Il affirme que les griefs de l’auteure ne sont pas fondés.

4.3L’État partie considère que la communication doit être jugée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et abus du droit de présenter une communication selon les dispositions prévues aux paragraphes 1 et 2 f) de l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait observer que, bien qu’elle ait su dès 2015 qu’elle devrait quitter son logement, l’auteure n’a apparemment présenté une première demande de logement d’urgence aux services municipaux de Badalona que plusieurs années après l’ouverture de la procédure judiciaire et alors qu’une ordonnance d’expulsion avait déjà été rendue, en janvier 2018. Il relève que l’auteure a été inscrite, à sa demande, sur le registre des personnes à la recherche d’un logement d’urgence, le 14 septembre 2018, quatre jours seulement avant la présentation de la communication au Comité. Il relève également que rien n’indique que l’auteure ait présenté une demande de logement social auprès de l’administration de la Communauté autonome, qui est l’autorité compétente en matière de logement.

4.4De plus, l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes, car si elle était en litige avec la mairie au sujet du délai d’attribution d’un logement d’urgence, elle aurait dû saisir les juridictions administratives, puis les juridictions judiciaires, et non pas consentir ni accepter d’être inscrite sur une liste d’attente. L’auteure ne prétend pas que des manquements ont été commis au cours d’une procédure judiciaire, mais que l’État partie ne s’est pas acquitté des obligations mises à sa charge par l’article 11 du Pacte − prétention qui serait fondée s’il avait refusé d’attribuer un logement social à l’auteure ou s’il l’avait fait avec retard.

4.5En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie fait remarquer qu’à l’exception du logement, il a pourvu aux besoins essentiels de l’auteure et de sa famille, en garantissant à l’auteure l’accès gratuit aux services de santé publique, l’admissibilité au régime de revenu garanti et le droit à l’aide juridictionnelle et en garantissant à sa fille l’accès gratuit à l’éducation publique. Pour ce qui est du logement, l’État partie rappelle que l’auteure n’a présenté aucune demande de logement social, hormis sa demande d’attribution d’un logement d’urgence.

4.6L’État partie considère que les dispositions de l’article 11 du Pacte ne sauraient protéger les personnes qui occupent illégalement un logement. Le droit à la propriété, individuelle et collective, est consacré par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 33 de la Constitution espagnole. La protection de la propriété est internationalement reconnue comme un droit fondamental ; celui qui possède trouve dans la propriété un moyen de répondre à ses besoins essentiels et doit donc être protégé contre ce qui pourrait l’en priver arbitrairement. De même, dans son observation générale no 7 (1997), le Comité admet que les expulsions sont pertinentes dans certains cas, notamment lorsqu’il s’agit de mettre fin à l’occupation du bien d’autrui, pour autant qu’elles soient exécutées dans le respect de la loi, en temps voulu et en présence de fonctionnaires compétents et que les personnes expulsées disposent de recours effectifs.

4.7L’État partie affirme que le droit au logement n’est pas un droit absolu en vertu duquel quiconque peut prendre possession d’un bien immobilier donné ou obtenir un logement en tout état de cause, même lorsque les autorités ne disposent pas de ressources suffisantes. Le paragraphe 1 de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte ne consacrent pas le droit au logement en tant que droit subjectif exécutoire, mais obligent les États parties à adopter des politiques publiques visant à faciliter l’accès de tous les citoyens à un logement décent. De plus, selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, le paragraphe 3 de l’article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne garantit pas le droit au logement, mais le droit à une aide au logement, dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. L’obligation des États susmentionnée est expressément énoncée à l’article 47 de la Constitution espagnole et dans divers statuts d’autonomie. Selon cet article et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit au logement figure dans la Constitution comme une obligation ou une directive dont la teneur est surtout d’ordre social, mais n’entre pas dans le champ des compétences directes de l’État. Concrètement, les pouvoirs publics sont tenus de créer les conditions nécessaires et d’établir les dispositions pertinentes pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et suffisant, en particulier en soumettant l’utilisation des sols à une réglementation dictée par l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Le droit au logement étant un droit à réalisation progressive, l’État partie estime qu’il respecte pleinement ses obligations internationales. Il renvoie aux mesures prises dans le domaine du logement qui sont mentionnées dans des communications comparables à la présente.

4.8L’État partie indique que les services sociaux municipaux s’occupent d’évaluer les besoins des familles et de surveiller leur situation, et de remédier aux problèmes temporaires de logement, en coordination avec l’administration de la communauté autonome concernée. Dans la présente affaire, il s’agit de la Communauté de Catalogne, qui dispose de ses propres lois sur le sujet, à savoir la loi no 12/2007 du 11 octobre 2007 sur les services sociaux et la loi no 13/2006 du 27 juillet 2006 sur les prestations sociales de nature financière. L’État partie souligne que, selon l’article 30 de cette dernière loi, les aides sociales d’urgence servent à remédier à des situations de nécessité ponctuelle, urgente et essentielle en répondant à des besoins vitaux tels que l’alimentation, l’habillement et le logement (par. 1) et les situations d’urgence sociale sont examinées par les services sociaux primaires, qui donnent la priorité aux personnes ou ménages ayant des enfants à charge (par. 3).

4.9En ce qui concerne les mesures visant à garantir l’accès ordonné aux logements sociaux selon une évaluation objective des besoins des demandeurs, l’État partie rappelle que l’évaluation des besoins des personnes en état de nécessité et le suivi de leur situation incombent aux services sociaux de la municipalité et de la communauté autonome concernées. C’est sur la base des rapports établis par ces services que sont élaborés les barèmes de notation qui serviront à classer les demandeurs en fonction de leur état de nécessité et à leur attribuer les logements disponibles en conséquence. L’État partie souligne qu’il peut arriver que ces logements ne soient pas en nombre suffisant, auquel cas le demandeur lésé pourra invoquer devant les tribunaux, non pas son droit à un logement déterminé, mais son droit à voir ses besoins dûment évalués et soumis au barème, et satisfaits dès que les ressources disponibles le permettent.

4.10L’État partie considère que, dans la présente affaire, l’auteure a pris possession du bien immobilier d’autrui de manière illégale, sans avoir jamais présenté une quelconque demande de logement social. Il réaffirme que cet acte n’est pas couvert par le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte et précise qu’il a causé un préjudice réel à la propriétaire du logement illégalement occupé, pendant plus de quatre ans. L’État partie estime que les autorités étatiques, régionales et locales n’ont pas enfreint le paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte, puisque les autorités judiciaires ont informé les services municipaux de la situation de nécessité dans laquelle l’auteure était supposée se trouver au moment de la procédure d’expulsion dont elle faisait légitimement l’objet et ont reporté l’exécution de cette procédure de plusieurs mois ; la situation de nécessité de l’auteure a été appréciée par les autorités locales ; cette situation est surtout le fait de l’auteure elle‑même qui a occupé illégalement un logement et n’a présenté aucune demande d’attribution d’un logement social suivant les voies légales, avant 2018. L’État partie considère que la communication ne met en évidence aucune violation du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 14 septembre 2020, l’auteure fait observer que, comme l’État partie le signale, sa famille satisfait aux critères qui lui permettraient d’obtenir un logement social ou de bénéficier d’une autre solution contre l’expulsion, dans le respect des lois de l’État partie. Elle répète que sa famille ne dispose pas de revenus suffisants. Elle ne reçoit que 530 euros par mois − 430 euros au titre d’une allocation et 100 euros, versés par la sécurité sociale, au titre du paiement anticipé de la pension alimentaire due par son ex‑mari. Elle précise que même la location d’une chambre est exclue, car les bailleurs n’acceptent pas les enfants.

5.2L’auteure indique qu’elle est inscrite à l’Institut national de l’emploi et est à la recherche d’un emploi ou d’une formation qui lui permettent d’améliorer les conditions de vie de sa famille.

5.3L’auteure précise qu’elle a effectué toutes les démarches requises pour pouvoir disposer d’un logement, que ce soit auprès des services chargés de l’attribution de logements sociaux/accessibles ou du service des urgences sociales.

B.Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité prend note de ce que l’État partie fait valoir que la communication est abusive et doit être jugée irrecevable en vertu du paragraphe 2 f) de l’article 3 du Protocole facultatif car l’auteure n’a pas fait preuve de diligence dans sa demande de logement social. L’État partie note ce qui suit : a) l’auteure n’a présenté aucune demande de logement social avant de prendre possession illégalement d’un bien immobilier, en 2014 ; b) il semble que, bien qu’elle ait su dès juin 2015 qu’elle devrait quitter son domicile, l’auteure n’a fait une première demande de logement d’urgence auprès de la mairie de Badalona qu’en septembre 2018, quatre jours avant la présentation de la communication au Comité, et alors qu’une ordonnance d’expulsion avait déjà été rendue ; c) rien n’indique que l’auteure ait présenté une demande de logement social auprès de l’administration de la Communauté autonome, autorité compétente en matière de logement ; d) dans l’hypothèse d’un litige au sujet du délai d’obtention d’un logement d’urgence, l’auteure n’a formé aucun recours, administratif ou judiciaire.

6.3Le Comité prend note de ce que l’auteure n’a présenté une demande de logement d’urgence auprès de la mairie de Badalona que le 14 septembre 2018, seulement quatre jours avant la présentation de la communication au Comité et alors qu’elle occupait illégalement un logement depuis quatre ans et que la décision relative à son expulsion avait été rendue depuis plus de trois ans. Le Comité considère que le fait pour l’auteure de pas avoir exercé la diligence voulue pour s’adresser aux autorités administratives afin d’avoir accès à un logement de remplacement ne peut constituer en soi un abus du droit de présenter une communication au sens du paragraphe 2 f) de l’article 3 du Protocole facultatif. La diligence ou l’absence de diligence constituent cependant un élément important pour étayer l’allégation selon laquelle l’État partie a manqué aux obligations qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte.

6.4Le Comité note que le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte confère aux États parties une obligation positive d’agir, tant par leur effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte par tous les moyens appropriés. Le Comité rappelle toutefois que les États parties peuvent adopter un éventail de mesures pour mettre en œuvre les droits énoncés dans le Pacte, comme l’énonce le paragraphe 4 de l’article 8 du Protocole facultatif. Le Comité admet donc que les États parties peuvent établir des moyens administratifs pour faciliter la protection du droit au logement, y compris en demandant aux individus d’engager certaines démarches administratives pour informer les autorités de leur besoin d’assistance concernant la protection de leur droit à cet égard. Ces démarches ne doivent pas leur imposer de charge excessive ou superflue et ne doivent pas avoir d’effet discriminatoire.

6.5Le Comité remarque que l’auteure ne lui a fourni aucun élément à l’appui des motifs pour lesquels elle n’avait pas présenté plus tôt une demande de logement d’urgence, alors qu’elle occupait illégalement un logement depuis 2014 et que la décision no 99/2015 ordonnant son expulsion avait été rendue le 16 juin 2015. L’auteure n’a pas non plus allégué que les demandes de logement d’urgence étaient soumises à des conditions excessives ou superflues, ou dont l’effet serait discriminatoire.

6.6Le Comité prend aussi note de ce que, dans les éléments communiqués par l’auteure, rien n’indique que celle‑ci a présenté une demande de logement social auprès des services de la Communauté autonome de Catalogne, qui sont compétents en la matière. Il remarque que l’auteure n’a fourni aucun élément à l’appui des motifs pour lesquels elle n’avait pas présenté une demande de logement social, ni aucun élément qui atteste que ce recours n’était pas disponible ou que les conditions d’une telle demande étaient excessives ou inutiles, ou avaient un effet discriminatoire. En l’espèce, le Comité constate que l’auteure occupait illégalement un logement depuis 2014 et avait eu plusieurs années pour faire une demande de logement social ; il considère que l’auteure n’a pas suffisamment établi que l’État ait manqué aux obligations qui lui sont imposées au paragraphe 1 de l’article 11 du Pacte. En conséquence, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé sa plainte et que la communication n’est pas recevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 du Protocole facultatif.

C.Conclusion

7.Compte tenu de toutes les informations qui lui ont été communiquées, le Comité, agissant en vertu du Protocole facultatif, décide que la communication n’est pas recevable au regard du paragraphe 2 e) de l’article 3 de cet instrument.

8.En conséquence, le Comité décide qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, la présente décision sera communiquée à l’auteure de la communication et à l’État partie.