Nations Unies

E/C.12/69/D/48/2018

Conseil économique et social

Distr. générale

12 avril 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 48/2018 *

Communication présentée par :

Soraya Moreno Romero

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et ses enfants

État partie :

Espagne

Date de la communication :

16 août 2018 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

22 février 2021

Objet :

Expulsion de l’auteure de son logement

Question(s) de procédure :

épuisement des recours

Question(s) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte :

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 1)

1.1L’auteure de la communication est Soraya Moreno Romero, de nationalité espagnole, née le 8 mars 1987. Elle agit en son nom et au nom de ses trois enfants mineurs, nés en 2008, 2014 et 2018. Elle affirme qu’elle et ses enfants sont victimes d’une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013. L’auteure n’est pas représentée.

1.2Dans les présentes constatations, le Comité fait d’abord la synthèse des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties, sans exprimer ses vues ; il examine ensuite les questions de recevabilité et de fond que la communication soulève ; enfin, il expose ses conclusions.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments présentés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

Faits antérieurs à l’enregistrement de la communication

2.1Jusqu’en mai 2015, l’auteure vivait au domicile de parents à elle, avec ses enfants mineurs. En raison de cette situation d’entassement et de son manque de ressources financières, l’auteure a décidé, en mai 2015, d’occuper une maison appartenant à une institution financière. Alors que l’auteure négociait avec cette entité pour établir un contrat de location de type logement social, la maison a été vendue à une société d’investissement.

2.2Le 25 mars 2016, l’auteure a déposé une demande de logement social auprès de la Communauté autonome de Madrid. Cette demande a ensuite été classée car les documents demandés n’avaient pas tous été reçus. L’auteure a formé un recours administratif hiérarchique contre cette décision.

2.3Le 21 novembre 2017, la société d’investissement propriétaire du logement occupé par l’auteure a déposé une plainte contre celle-ci pour l’infraction mineure d’occupation d’habitation.

2.4Le 30 janvier 2018, le tribunal d’instruction no 30 de Madrid a déclaré l’auteure coupable de l’infraction mineure d’occupation d’habitation, l’a condamnée à une peine de trois mois-amende à raison de 2 euros par jour et lui a ordonné de quitter les lieux. Dans son jugement, la Cour a indiqué qu’il ne convenait pas d’apprécier l’opportunité de retenir l’exonération partielle ou totale de responsabilité pour cause d’état de nécessité car l’auteure n’avait pas démontré qu’elle avait épuisé tous les autres moyens d’obtenir un logement avant de recourir à l’acte illégal d’occupation sans titre. Le tribunal a souligné, en particulier, que l’auteure n’avait pas prouvé qu’elle s’était adressée aux services sociaux avant d’occuper les lieux.

2.5Le 19 avril 2018, l’Audience provinciale de Madrid a confirmé l’intégralité du jugement de première instance.

2.6Le 23 avril 2018 a été ordonnée l’exécution du jugement et l’expulsion de l’auteure dans le cas où elle n’aurait pas encore quitté le logement. Le 11 mai 2018, l’auteure a demandé que l’expulsion soit reportée d’un mois afin qu’elle puisse trouver un autre logement. Le demandeur à l’exécution ne s’est pas opposé à cette demande et, en conséquence, l’expulsion a été reportée le 29 mai 2018.

2.7Le 30 mai 2018, l’auteure a fait une demande de logement social locatif au titre du régime exceptionnel d’urgence sociale auprès de la Communauté de Madrid.

2.8Le 30 juillet 2018, la police municipale a notifié l’auteure de l’ordonnance d’expulsion, qui serait exécutée le 20 août 2018 à 10 heures si l’auteure n’avait pas quitté volontairement le logement avant cette date.

2.9Le 2 août 2018, l’auteure a demandé au tribunal d’instruction no 30 de Madrid de suspendre la mesure d’expulsion en raison de sa situation de vulnérabilité et afin de lui permettre de négocier avec l’entreprise propriétaire de l’habitation.

Faits postérieurs à l’enregistrement de la communication

2.10Le 17 août 2018, le Comité a enregistré la communication et a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires pour éviter que d’éventuels préjudices irréparables ne soient causés à l’auteure et à ses trois enfants mineurs pendant que le Comité examinait l’affaire, notamment de suspendre la mesure d’expulsion ou de fournir à ceux-ci un logement de remplacement adapté à leurs besoins, en réelle concertation avec l’auteure.

2.11Le 20 août 2018, l’auteure a soumis le document d’enregistrement du Comité et la demande de mesures de protection au tribunal d’instruction no 30 de Madrid. Ce même jour, le tribunal a rendu une décision par laquelle il rejetait la demande de suspension de la mesure d’expulsion. Le tribunal a souligné que la mesure d’expulsion avait été décidée dans le cadre d’une procédure pénale, qu’elle constituait un élément d’une peine qui avait été confirmée en appel par l’Audience provinciale en appel et que le pouvoir juridictionnel était exercé exclusivement par les juridictions et tribunaux désignés par la loi. En outre, le tribunal a rappelé que l’auteure s’était vu accorder des sursis successifs à l’expulsion du logement et qu’il importait de mettre en balance les intérêts concurrents en jeu et de tenir compte du droit du demandeur à l’exécution de reprendre possession du logement.

2.12Le 28 septembre 2018, le tribunal d’instruction no 30 de Madrid a rejeté le recours en rectification formé par l’auteure contre la décision du 20 août 2018. En ce qui concernait la demande de mesures de protection, le tribunal a souligné que le Comité n’exigeait pas la suspension de la mesure d’expulsion, mais qu’il demandait que celle-ci soit suspendue pour éviter que des préjudices irréparables ne soient causés, ou, à défaut, l’octroi d’un logement de remplacement. Le tribunal a déclaré que le jugement avait été exécuté de manière à ne pas empêcher que l’auteure puisse obtenir les ressources dont dispose l’administration publique pour atténuer les conséquences de l’expulsion, celle-ci ayant été initialement reportée et les services sociaux ayant été informés de la situation afin qu’ils puissent engager l’action publique de protection prévue. En outre, le tribunal a rappelé qu’à la date prévue pour l’expulsion, des services d’assistance médicale étaient présents sur les lieux pour fournir l’aide nécessaire. Le tribunal a fait valoir qu’en tant qu’organe judiciaire, il ne lui appartenait pas de porter une appréciation sur la politique du logement, mais qu’il avait pour rôle de veiller à l’exécution des jugements. L’auteure a formé un recours contre cette décision de rejet.

2.13Le 18 mars 2019, l’Audience provinciale de Madrid a rejeté le recours de l’auteure au motif, d’une part, que la demande de mesures de protection présentée par le Comité à l’État partie était adressée à l’État en tant que tel, et qu’elle ne devait donc pas justifier ou protéger des situations illégales constitutives d’un infraction, et que les conséquences ne devaient pas en être supportées par des particuliers ou des personnes morales, ce qui n’excluait pas que l’État prenne d’autres mesures. L’Audience provinciale a considéré, d’autre part, que lorsque l’on mettait en balance les intérêts en jeu, il en ressortait que l’auteure occupait illégalement le logement depuis des années sans s’être adressée aux services sociaux, qui sont l’entité chargée de répondre à ses besoins, avant le début de la procédure, et que cette procédure était retardée depuis un an sans que l’auteure n’ait pris des dispositions pour remédier à sasituation.

2.14Le 4 avril 2019, le tribunal d’instruction no 30 de Madrid a rendu une ordonnance d’expulsion des lieux à l’encontre de l’auteure et de ses enfants. Le 6 avril 2019, l’auteure a formé un recours en rectification contre cette décision. Le 6 mai 2019, la police judiciaire s’est présentée au domicile de l’auteure et a procédé à son expulsion. L’auteure affirme qu’elle ne se trouvait pas dans le logement à ce moment-là, que ses enfants y étaient, sous la garde d’un membre de sa famille, et que suite au refus de cette personne d’ouvrir la porte, les autorités ont enfoncé ladite porte. L’auteure indique qu’elle a été expulsée du logement et qu’elle n’a pas été autorisée à récupérer ses biens, qu’elle a définitivement perdus. Elle affirme en outre que les services sociaux et les services de santé n’étaient pas présents lors de l’expulsion, comme l’exigent les dispositions en vigueur. L’auteure a formé un recours contre la mesure d’expulsion le jour même où celle-ci a été exécutée.

2.15Après que l’auteure a informé les services sociaux de son expulsion, ceux-ci lui ont proposé, à titre de mesure d’urgence, un hébergement de deux semaines dans un centre d’accueil ou un hôtel. Cependant, l’auteure, considérant que cette proposition ne répondait pas à ses besoins, a logé pendant quelques jours dans une chambre mise à sa disposition par une amie, puis dans une chambre mise à disposition par un parent.

2.16Le 28 mai 2019, le tribunal d’instruction no 30 de Madrid a rejeté le recours en rectification formé par l’auteure, considérant que l’on avait « concilié le respect de l’obligation d’exécuter un jugement et de faire cesser des actes constitutifs d’une infraction pénale avec une action des pouvoirs publics visant à en atténuer autant que possible les effets ». Le tribunal a souligné en particulier que l’auteure avait été informée du fait qu’un logement partagé était disponible, et qu’elle avait rejeté cette proposition.

Teneur de la plainte

3.Dans sa lettre initiale, l’auteure affirmait que son expulsion, qui à l’époque avait été ordonnée, puis suspendue par le tribunal d’instruction no 30 de Madrid, constituerait une violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte, car elle ne disposait pas d’un logement de remplacement convenable. L’auteure affirmait que dans le procès pénal dont elle avait fait l’objet, il n’avait pas été tenu compte de son état de nécessité ni de sa situation de précarité financière, et indiquait qu’elle avait ainsi été reconnue coupable de l’infraction d’usurpation. L’auteure affirmait également que l’expulsion pourrait nuire gravement à la scolarité de ses enfants, et qu’en raison de sa maternité récente, elle ne pouvait pas postuler pour un emploi.

Observations de l’État partie au titre de l’article 8 (par. 4) du Protocole facultatif

4.Dans des notes en date du 5 septembre 2018 et du 7 février 2019, l’État partie a indiqué que, conformément à la demande de mesures de protection adressée par le Comité, les services sociaux de la mairie de Madrid avaient fait deux propositions de logement de remplacement à l’auteure, qu’il renouvelait et auxquelles il ajoutait une troisième proposition. La première possibilité consiste en un logement partagé situé dans le même quartier que celui dans lequel réside l’auteure, avec un droit d’utilisation exclusive d’une ou de plusieurs chambres pour garantir l’intimité de la famille, et une utilisation partagée des parties communes du logement. Cette première possibilité serait offerte pour six mois au maximum, et viserait à faciliter la transition vers un logement du marché privé, où la famille cohabiterait avec une autre famille et dont le bail serait géré par la mairie de Madrid. La deuxième possibilité consisterait en un accueil dans un centre dont les chambres peuvent être partagées par plusieurs familles. Cette deuxième possibilité serait offerte pour une durée maximale de trois mois et déboucherait sur une solution similaire à la précédente. L’État partie ajoute une troisième possibilité consistant en une recherche par la mairie d’un appartement dont l’auteure aurait les moyens de payer le loyer avec le revenu d’insertion qu’elle perçoit, bien que ce logement pourrait ne pas être situé dans sa zone de résidence actuelle. L’État partie souligne que les services sociaux estiment que la première option est la plus appropriée, mais qu’en tout état de cause les services sociaux s’occuperont de l’auteure.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie au titre de l’article 8 (par. 4) du Protocole facultatif

5.1Dans des notes en date du 27 janvier et du 22 août 2019, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteure souligne que la proposition reçue émane de la mairie de Madrid, mais qu’elle n’a pas reçu de proposition de l’Office du logement social de la Communauté autonome de Madrid, organisme qui a une compétence exclusive en matière de logement et qui possède des logements d’urgence et des logements sociaux locatifs.

5.3En ce qui concerne la première proposition des services sociaux décrite par l’État partie, l’auteure affirme n’avoir reçu aucune proposition concrète d’appartement partagé, dans laquelle lui auraient été précisées l’adresse de celui-ci et la famille avec laquelle elle le partagerait. Pour ce qui est de la proposition d’accueil dans un centre, l’auteure indique que d’autres familles ont déjà été expulsées de tels centres en raison d’un manque de place, ces centres hébergeant des sans-abri pendant la saison froide. En outre, elle fait observer que tant l’option de l’appartement partagé que celle du centre d’accueil sont des solutions purement temporaires, ayant pour objectif d’accueillir des personnes puis de les aiguiller. Concernant la troisième possibilité offerte par l’État partie, à savoir celle consistant en une recherche de logement locatif par la mairie de Madrid, l’auteure assure n’avoir jamais reçu de telle proposition et se dit troublée par le fait que la mairie n’ait pas privilégié la négociation d’un contrat de location de logement social avec la société propriétaire de son logement actuel pour qu’elle puisse continuer à y habiter.

5.4L’auteure indique qu’elle a présenté une demande écrite de logement pour personne ayant des besoins particuliers à l’Office du logement social de la Communauté de Madrid le 26 octobre 2018, demande mise à jour le 3 décembre de cette même année. Elle a également présenté une nouvelle demande écrite de logement à la mairie de Madrid et formé un recours administratif hiérarchique contre le classement de la demande de logement qu’elle avait adressée à la Communauté de Madrid le 25 mars 2016.

5.5L’auteure souligne que la mesure d’expulsion a été exécutée avant que la décision de l’Audience provinciale de rejeter son recours contre la décision du 28 septembre 2018 ne lui soit notifiée. Elle affirme qu’un de ses enfants souffre de problèmes psychologiques consécutifs à l’expulsion et à l’usage de la force par les forces de l’ordre. Elle met en relief la situation critique dans laquelle elle se trouve, n’ayant pas de logement stable et ayant perdu tous ses biens, et affirme que l’administration publique n’a rien fait pour remédier à cette situation. Elle souligne également que le tribunal n’a pas suivi les indications du Comité, considérant qu’elles n’étaient que de simples recommandations.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 15 octobre 2019, l’État partie a demandé au Comité de mettre fin à l’examen de la communication, ou, à défaut, de la considérer comme irrecevable ou de conclure qu’elle ne fait apparaître aucune violation du Pacte.

6.2L’État partie souligne qu’en l’espèce, il y a eu une occupation sans titre avant qu’une demande de logement social ne soit présentée le 22 mars 2018 à la mairie et le 1er août 2018 à la Communauté autonome. En outre, malgré le jugement de condamnation du 30 janvier 2018, l’auteure a continué d’occuper le logement jusqu’au 6 mai 2019.

6.3L’État partie joint un rapport des services sociaux daté du 30 août 2018, dans lequel il est indiqué que l’auteure a un dossier auprès des services sociaux depuis 2010, et que ceux‑ci procèdent à des interventions régulières depuis le 15 juin 2017. Les services sociaux de la mairie de Madrid disent avoir proposé à plusieurs reprises les trois possibilités de logement décrites ci-dessus, mais que la famille a rejeté ces propositions en affirmant disposer d’une autre possibilité au sein de son cercle de connaissances. Les services sociaux affirment que l’auteure n’accepte pas et n’approuve pas le projet sociorésidentiel proposé, qui consiste à mettre fin à l’occupation sans titre juridique et à partager temporairement un logement avec une autre famille présentant des caractéristiques similaires, tout en continuant à explorer d’autres possibilités de logement à moyen terme. Dans un autre rapport, daté du 14 octobre 2019, les services sociaux signalent que, depuis l’expulsion, la famille a été accueillie par différentes personnes faisant partie de son cercle de connaissance, et qu’elle est inscrite au centre de services sociaux afin de ne pas perdre l’accès aux prestations sociales auxquelles elle a droit. Les services sociaux indiquent qu’ils ont renouvelé la proposition de solution temporaire consistant en un logement partagé, et que l’auteure l’a de nouveau rejetée. S’agissant de la demande de logement social adressée à la mairie de Madrid, l’auteure a été placée sur la liste d’attente.

6.4En ce qui concerne la demande de logement social adressée à la Communauté autonome de Madrid le 1er août 2018, l’État partie indique que l’auteure a été invitée à compléter sa demande à trois reprises, son dossier étant incomplet. Pour ce qui est de la demande datée du 22 mars 2016, l’auteure a été informée le 30 avril 2019 de la décision de classement de cette demande, décision qui fait actuellement l’objet d’un recours administratif hiérarchique intenté par l’auteure.

6.5Compte tenu de ce qui précède, L’État partie considère que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes. Premièrement, parce qu’elle n’a pas fait de demande de logement avant de commencer à occuper illégalement le logement. Deuxièmement, parce que, après l’occupation, elle n’a pas présenté les documents demandés par la Communauté autonome de Madrid. La demande de logement est un recours disponible dans le système de l’État partie en ce qui concerne le droit au logement, et l’auteure aurait donc dû l’épuiser. En conséquence, l’État partie estime que la communication est irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.6L’État partie considère que les dispositions de l’article 11 du Pacte ne couvrent pas les personnes qui occupent illégalement un logement appartenant à un tiers. Le droit à la propriété individuelle et collective est visé par l’article 17 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et par l’article 33 de la Constitution de l’État partie. La protection de la propriété se conçoit, au niveau international, comme un droit de l’homme fondamental, qui permet aux personnes qui possèdent des biens de satisfaire leurs besoins fondamentaux, raison pour laquelle il doit y avoir une protection contre la privation arbitraire de ce droit. C’est pourquoi l’article 11 (par. 1) du Pacte ne saurait être invoqué pour justifier l’usurpation de biens d’autrui, comme c’est le cas en l’espèce. Dans le même ordre d’idées, le Comité, dans son observation générale no 7 (1997), a indiqué que l’expulsion était appropriée dans certains cas, au nombre desquels figurait l’occupation d’un bien appartenant à un tiers, mais qu’elle devait se faire conformément à la loi, que la personne concernée devait disposer de recours juridiques adéquats et qu’il devait y être procédé à un moment opportun, en présence de fonctionnaires compétents.

6.7L’État partie soutient que le droit à un logement convenable ne comprend pas le droit absolu d’occuper tel ou tel logement appartenant à un tiers ou de se voir attribuer en toutes circonstances un logement si les ressources publiques sont insuffisantes pour assurer l’exercice de ce droit. L’État partie considère que l’article 25 (par. 1) de la Déclaration universelle des droit de l’homme et l’article 11 (par. 1) du Pacte ne reconnaissent pas un droit subjectif opposable, mais qu’ils prescrivent simplement aux États d’adopter des mesures propres à promouvoir des politiques publiques visant à faciliter l’accès de tous à un logement décent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 34 (par. 3) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui reconnaît le droit à une aide au logement, ne garantit pas le droit au logement mais le droit à une aide au logement dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette obligation faite aux États est expressément reconnue par l’article 47 de la Constitution de l’Espagne et divers statuts d’autonomie. Selon cet article et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit au logement constitue « une prescription ou une directive constitutionnelle » qui doit avoir une teneur essentiellement sociale, mais qui ne constitue pas en soi un titre de compétence autonome accordé à l’État. Les pouvoirs publics sont donc tenus de promouvoir les conditions nécessaires pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et convenable et d’établir les règles voulues à cette fin, notamment de réglementer l’utilisation des sols conformément à l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Aussi, l’État partie respecte pleinement ses obligations internationales relatives à ce droit, dont la réalisation doit être assurée de façon progressive, et, concernant les efforts qu’il déploie dans le domaine du logement, renvoie aux indications données dans des communications similaires.

6.8Pour ce qui est de la région concernée par la communication de l’auteure, la Communauté autonome de Madrid est dotée d’un office du logement social qui administre le parc de logements sociaux de ladite région. Les logements sont attribués selon la procédure régie par le décret no 52/2016. Les conditions d’accès aux logements pour personnes ayant des besoins particuliers sont les suivantes : le demandeur doit être majeur ou un mineur émancipé, avoir un revenu correspondant au maximum à 3,5 fois l’indicateur public de revenus à effets multiples (en 2018 : 537,84 euros par mois), ne pas s’être fait attribuer un logement social au cours des dix dernières années, ne pas avoir la pleine propriété d’un autre logement, résider ou travailler dans la Communauté de Madrid et ne pas occuper un logement sans titre et sans le consentement du propriétaire de celui-ci. Les situations de besoins particuliers comprennent notamment le fait d’avoir été expulsé d’un logement, le fait d’être victime de violence et le fait de vivre dans un logement offrant de mauvaises conditions d’habitabilité, insalubre ou inadéquat, ou dont le loyer est supérieur à 30 % aux revenus familiaux. Les demandes sont examinées et notées selon un barème commun et les logements sont attribués en fonction de leur disponibilité, dans l’ordre des notes attribuées en fonction de la situation financière, personnelle et sociale des cellules familiales concernées.

6.9En l’espèce, les auteurs ont accédé à un logement par des moyens illégaux, et ils affirment que l’article 11 (par. 1) couvre cette occupation illégale. Il est bien évident que le droit au logement ne saurait justifier des actes illégaux. L’État partie souligne que les administrations ont agi dans la mesure de leurs ressources disponibles et conformément à la réglementation relative à l’attribution des logements sociaux, dans le respect des principes de l’égalité, de la publicité et de la concurrence, le logement étant une ressource limitée. L’auteure s’est vu offrir des solutions de logement qu’elle a rejetées à plusieurs reprises, et n’a pas complété sa demande de logement. L’État partie conclut que la communication ne fait apparaître aucune violation du Pacte et demande qu’il soit mis fin à son examen.

Commentaires de l’auteure sur la recevabilité et sur le fond

7.1Dans une note en date du 6 janvier 2020, l’auteure a affirmé une nouvelle fois qu’elle se trouvait dans une situation de grande précarité depuis son expulsion. Elle affirme également que l’administration ne lui a pas proposé d’hébergement ou de logement précis hormis un séjour de six mois dans un centre d’accueil temporaire, où les conflits de cohabitation sont nombreux, ce qui n’est pas une possibilité envisageable pour une famille avec des mineurs.

7.2L’auteure affirme également dans cette note qu’avant le procès pour une infraction mineure à l’issue duquel elle a été reconnue coupable, elle a fait l’objet, en 2016, d’une plainte de l’institution financière qui était l’ancienne propriétaire du logement. Cette plainte a été provisoirement classée le 4 août 2016, faute d’éléments suffisants pour engager des poursuites. Le 3 septembre 2018, cette procédure a été définitivement close du fait de l’extinction de la responsabilité pénale. L’auteure affirme que le fait d’avoir jugé recevable la plainte déposée contre elle par le nouveau propriétaire, le 21 novembre 2017, constitue une violation du principe non bis in idem.

7.3L’auteure souligne qu’elle n’a pas obtenu le logement demandé à la mairie et à la Communauté de Madrid, bien qu’elle soit une mère célibataire ayant un taux d’incapacité reconnu de 35 %, et que cela s’explique par le fait qu’elle a été victime de discrimination parce qu’elle est gitane.

7.4L’auteure indique que son allocation financière lui a été retirée parce qu’elle est enregistrée à une adresse relevant de l’administration publique, et que compte tenu de sa condition de femme gitane handicapée, l’ensemble de ces faits constituent une violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

B.Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 9 de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si cette communication est recevable.

8.2Le Comité rappelle que, conformément à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif, il ne peut examiner une communication sans s’être assuré que son auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. L’État partie affirme que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes car elle n’a pas demandé de logement social avant de commencer à occuper illégalement le logement et n’a pas présenté les documents exigés par la Communauté autonome de Madrid pour compléter sa demande de logement social après cette occupation. Le Comité considère que, aux fins de l’application de l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif, les « recours internes » sont tous les recours internes dont dispose l’auteure ou l’auteure en rapport direct avec les faits à l’origine de la violation alléguée et qui peuvent être raisonnablement considérés, à première vue, comme utiles pour remédier efficacement aux violations alléguées du Pacte. Le Comité note que le principal grief formulé dans la communication de l’auteure est que son expulsion est contraire au Pacte parce qu’elle n’a pas d’autre possibilité de logement. Par conséquent, les recours qui doivent être épuisés sont, tout d’abord, ceux qui sont en rapport direct avec l’expulsion, par exemple, ceux qui visent à éviter ou à retarder la mesure d’expulsion, ainsi que ceux par lesquels les instances judiciaires sont informées de l’absence de logement de remplacement. À cet égard, le Comité constate que l’auteure a épuisé tous les recours disponibles visant à éviter ou à retarder l’expulsion, puisque, au moment de la soumission de sa communication, elle avait fait appel du jugement de condamnation par lequel elle s’était fait ordonner de quitter le logement, épuisant ainsi ce recours, et elle avait demandé que la mesure d’expulsion soit suspendue, compte tenu de l’absence de logement de remplacement, et que les services sociaux en soit informés. En ce qui concerne la demande de logement social adressée à la Communauté autonome de Madrid, le Comité prend note de l’indication de l’État partie selon laquelle les personnes qui occupent un logement sans titre juridique, comme c’est le cas de l’auteure, ne peuvent pas demander un logement social à cet organisme. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas dûment démontré que ce recours était utile et disponible dans les circonstances de l’espèce. Le Comité conclut donc que l’auteure a épuisé les recours internes en ce qui concerne ce grief et déclare celui-ci recevable au regard de l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif.

8.3Le Comité constate que l’auteure affirme, dans sa dernière note, que sa déclaration de culpabilité pour l’infraction d’usurpation constituait une violation du principe non bis in idem, car une procédure pénale antérieure portant sur les mêmes faits avait été close. Le Comité relève cependant que ce grief n’a pas été soulevé dans sa lettre initiale, bien qu’il y soit fait référence à des faits antérieurs à cette procédure. Le Comité constate en outre que l’auteure n’a aucunement soulevé ce grief dans son recours du 18 février 2018 devant l’Audience provinciale. Par conséquent, le Comité déclare ce grief irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif.

8.4Le Comité constate que le reste de la communication satisfait aux autres critères de recevabilité énoncés aux articles 2 et 3 du Protocole facultatif, et, partant, déclare celle-ci recevable et passe à son examen au fond.

C.Examen au fond

Faits et points de droit

9.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées, conformément aux dispositions de l’article 8 du Protocole facultatif.

9.2Le Comité passe à l’examen des faits qu’il estime être avérés et pertinents au regard de la plainte.

9.3L’auteure a commencé à occuper un logement en mai 2015. En novembre 2017, des poursuites pénales ont été engagées contre elles pour l’infraction d’usurpation. Le 30 janvier 2018, l’auteure a été reconnue coupable de l’infraction mineure d’occupation d’habitation et a été condamnée à une peine de trois mois-amende à raison de 2 euros par jour et s’est vu ordonner de quitter le logement. Ce jugement a ensuite été confirmé par l’Audience provinciale de Madrid le 19 avril 2018.

9.4Entre mars et mai 2018, l’auteure a demandé un logement à la mairie et à la Communauté autonome de Madrid, cette dernière demande ayant été complétée par la suite à plusieurs reprises.

9.5Les services sociaux de Madrid ont proposé à l’auteure à plusieurs reprises, entre mars 2018 et mai 2019, trois possibilités de logement temporaire, à savoir un logement partagé avec une autre famille, un hébergement dans un centre d’accueil et une aide pour trouver un logement qui soit dans ses moyens, dans un autre quartier. L’auteure a rejeté ces propositions au motif que l’entité qui proposait les solutions de logement n’était pas celle qui était compétente en la matière et que ces solutions n’étaient pas appropriées car elles n’étaient que temporaires et supposaient de partager un logement.

9.6L’exécution de l’ordonnance d’expulsion de l’auteure a été reportée d’un mois à compter du 29 mai 2018, avec l’accord du propriétaire. Il a été décidé qu’il serait procédé à une expulsion forcée le 20 août 2018, laquelle n’a pas eu lieu. Le 6 mai 2019, l’auteure a été expulsée.

9.7Suite à l’expulsion, les services sociaux de Madrid ont proposé à l’auteure, à titre de mesure d’urgence, un hébergement de deux semaines dans un centre d’accueil ou un hôtel, proposition que l’auteure a rejetée, pour ensuite être accueillie par des personnes faisant partie de son cercle de connaissances.

9.8L’auteure considère que le fait qu’elle ait été expulsée, sans qu’un logement de remplacement adéquat lui soit fourni, constitue une violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte, car il n’a pas été tenu compte de son état de nécessité ni de sa situation de précarité financière. L’État partie affirme que le Pacte ne couvre pas les situations d’expulsion pour occupation sans titre juridique. En outre, l’État partie considère que le Pacte ne reconnaît pas un droit subjectif opposable, mais plutôt un droit devant être réalisé progressivement, et qu’il respecte pleinement ses obligations internationales en la matière puisqu’il a pris toutes les mesures, dans la limite des ressources disponibles, pour fournir à l’auteure un logement de remplacement.

9.9Compte tenu des faits jugés pertinents par le Comité et des arguments des parties, la question soulevée par la communication est celle de savoir si l’expulsion de l’auteure constitue ou non une violation du droit à un logement convenable reconnu par l’article 11 (par. 1) du Pacte. Pour répondre à cette question, le Comité commencera par rappeler sa doctrine en ce qui concerne la protection contre les expulsions forcées. Il analysera ensuite le cas concret de l’expulsion de l’auteure et formulera ses conclusions concernant les questions soulevées par la communication.

La protection contre les expulsions forcées

10.1Le droit à un logement convenable est un droit fondamental sur lequel repose la jouissance de tous les droits économiques, sociaux et culturels, et est intégralement lié à d’autres droits de l’homme, y compris à ceux qui sont consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le droit au logement doit être assuré à tous sans distinction de revenus ou de toutes autres ressources économiques, et les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires et agir au maximum de leurs ressources disponibles pour parvenir à la pleine réalisation de ce droit.

10.2Les expulsions forcées sont prima facie contraires aux dispositions du Pacte et ne peuvent être justifiées que dans les situations les plus exceptionnelles. Lorsqu’il apparaît qu’une expulsion pourrait porter atteinte au droit au logement de la personne expulsée, les autorités compétentes doivent garantir qu’elle soit conforme à une législation compatible avec le Pacte et qu’elle respecte le principe de proportionnalité entre l’objectif légitime de l’expulsion et les conséquences de l’expulsion pour cette personne.

10.3Pour que l’expulsion soit compatible avec les dispositions du Pacte, il faut qu’elle constitue une mesure prévue par la loi et soit appliquée en dernier recours, et que la personne visée ait préalablement eu accès à un recours utile, dans le cadre duquel il a pu être déterminé que cette mesure était dûment justifiée, par exemple par l’absence de titre juridique d’occupation. De surcroît, il faut qu’il n’y ait pas d’autre solution ni de mesure qui porte moins atteinte au droit au logement, qu’il y ait une véritable consultation préalable entre les autorités et la personne touchée et que celle-ci ne se retrouve pas dans une situation qui constitue une violation d’autres droits garantis par le Pacte ou d’autres droits de l’homme, ou qui l’expose à pareille violation.

L’obligation de l’État de fournir un logement de remplacement en cas de nécessité

11.1En particulier, il ne faut pas que, suite à une expulsion, une personne se retrouve sans toit ou puisse être victime d’une violation d’autres droits de l’homme. Lorsqu’une personne expulsée ne peut subvenir à ses besoins, l’État partie doit, par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement, de réinstallation ou d’accès à une terre productive, selon le cas, lui soient offertes. Il est également tenu de prendre des mesures raisonnables pour fournir un logement de remplacement aux personnes qui se retrouvent sans abri par suite d’une expulsion d’un logement, et ce, que cette mesure ait été prise à l’initiative des autorités publiques ou d’une entité privée, par exemple le propriétaire du logement. Lorsqu’une personne est expulsée sans que les autorités ne lui octroient ou ne lui garantissent un logement de remplacement, l’État partie doit démontrer qu’il a examiné les circonstances de l’affaire et que, bien qu’il ait pris toutes les mesures raisonnables et agi au maximum des ressources disponibles, il n’a pas pu assurer l’exercice du droit au logement de l’intéressé. Les informations fournies par l’État partie doivent permettre au Comité de déterminer si les mesures adoptées sont appropriées, conformément à l’article 8 (par. 4) du Protocole facultatif.

11.2L’obligation de fournir un logement de remplacement aux personnes expulsées devenues sans-logis suppose que, conformément à l’article 2 (par. 1) du Pacte, les États parties prennent toutes les mesures nécessaires, au maximum de leurs ressources disponibles, pour garantir le droit au logement. À cette fin, ils peuvent opter pour des politiques très diverses. Cependant, toute mesure prise doit avoir un caractère volontariste et concret et viser aussi clairement que possible à réaliser ce droit au logement, de la manière la plus rapide et la plus efficace possible. Les mesures de relogement après expulsion doivent être proportionnées à l’état de nécessité des personnes touchées et à l’urgence de la situation, et doivent respecter la dignité de la personne. De plus, les États parties doivent prendre des mesures cohérentes et coordonnées pour remédier aux défaillances institutionnelles et aux facteurs structurels à l’origine du manque de logements.

11.3Le logement de remplacement doit être adéquat. L’adéquation aux besoins dépend en partie de facteurs sociaux, économiques, culturels, climatiques, écologiques et autres, mais le Comité est d’avis qu’en tout état de cause, on peut recenser certains aspects de ce droit qui doivent être pris en considération à cette fin dans n’importe quel contexte. Ce sont notamment la sécurité juridique de l’occupation ; l’existence de services, matériaux, équipements et infrastructures ; la capacité de paiement ; l’habitabilité ; la facilité d’accès ; l’emplacement, qui doit permettre l’accès aux services sociaux (éducation, emploi et services de santé) ; le respect du milieu culturel, de manière à permettre l’expression de l’identité culturelle et de la diversité. Le droit des membres de la famille de ne pas être séparés doit également être pris en considération.

11.4Dans certaines circonstances, les États parties peuvent démontrer que, bien qu’ils aient fait tous les efforts possibles, au maximum de leurs ressources disponibles, il a été impossible de fournir un logement de remplacement permanent à une personne expulsée qui en avait besoin. En pareilles circonstances, il est possible d’octroyer un hébergement d’urgence temporaire qui ne réponde pas à toutes les exigences en matière de logement de remplacement convenable. Les États doivent toutefois veiller à ce que cet hébergement temporaire respecte la dignité des personnes expulsées, réponde à toutes les exigences de sécurité et ne devienne pas une solution permanente, mais constitue une étape vers un logement convenable.

Examen de la proportionnalité de l’expulsion de l’auteure

12.1Le Comité passe à l’examen de la question de savoir si l’expulsion de l’auteure a constitué une violation de son droit à un logement convenable.

12.2Le Comité constate que l’auteure a pu faire appel des décisions rendues en première instance et a bénéficié de l’assistance d’un avocat.

12.3Le Comité prend note de ce que, pour l’État partie, le fait d’autoriser l’auteure à rester dans le logement reviendrait à valider, au nom du droit au logement, un comportement illégal au regard du droit pénal et une atteinte au droit à la propriété reconnu au propriétaire du logement par la législation nationale. Il précise que le droit à la propriété privée n’est pas un droit énoncé dans le Pacte, mais reconnaît l’intérêt légitime qu’a l’État partie à garantir la protection de tous les droits prévus par son système juridique, pour autant que cela ne soit pas contraire aux droits consacrés par le Pacte. L’auteure ayant été reconnue coupable de l’infraction mineure d’usurpation, le Comité considère qu’il y avait une raison légitime qui pouvait justifier son expulsion. Le Comité constate que le tribunal d’instruction no 30 de Madrid a examiné tous les griefs de l’auteure concernant son droit au logement et a apprécié la proportionnalité de la mesure d’expulsion. Le tribunal a tout d’abord accepté de reporter l’expulsion au 29 mai 2018. Dans ses décisions du 20 août et du 28 septembre 2018 et du 28 mai 2019, le tribunal a indiqué qu’il refusait de reporter à nouveau l’expulsion, soulignant, notamment, que des prolongations avaient été accordées à l’auteure pour faciliter son départ du logement, que la situation avait été portée à la connaissance des services sociaux, que l’auteure s’était vu proposer un logement partagé, proposition qu’elle avait rejetée, et qu’il importait de tenir compte des intérêts du demandeur à l’exécution et de concilier la situation de l’auteure avec l’exécution de la peine et la cessation de l’infraction pénale.

12.4Le Comité considère que les États parties jouissent généralement d’une certaine latitude pour réglementer des questions telles que l’occupation illégale d’habitation, ainsi que pour déterminer les recours judiciaires permettant de protéger la jouissance pacifique de la propriété dans une société démocratique. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas illimité et doit être compatible avec les obligations mises à la charge des États parties par le Pacte et autres instruments applicables relatifs aux droits de l’homme. En particulier, le Comité considère que, si une personne est expulsée dans le cadre d’une procédure pénale, les autorités compétentes doivent veiller à ce que des recours juridiques soient disponibles et que la procédure soit menée conformément à une législation compatible avec le Pacte et dans le respect des principes généraux du caractère raisonnable et de la proportionnalité entre l’objectif légitime de l’expulsion et les effets de cette expulsion sur les personnes touchées. Cette obligation découle de l’interprétation des obligations de l’État partie au titre du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 11, et conformément aux prescriptions de l’article 4, qui précise les conditions dans lesquelles des limitations à l’exercice des droits énoncés dans le Pacte sont autorisées. Ainsi, les expulsions qui font suite à une procédure pénale ne doivent pas être généralisées, doivent être déterminées par la loi, doivent promouvoir le bien-être général dans une société démocratique, doivent être appropriées au but légitime poursuivi et doivent être strictement nécessaires. L’État partie doit justifier au cas par cas le recours à des procédures pénales aux fins d’expulsion et déterminer s’il existe d’autres mesures moins contraignantes susceptibles d’atteindre l’objectif légitime visé.

12.5En l’espèce, le Comité constate que l’auteure n’a soumis, ni aux autorités nationales ni au Comité, aucune allégation relative au fait que son affaire a été examinée dans le cadre d’une procédure pénale. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle lorsque, à la lumière des éléments dont il est saisi, il existe des faits, établis dans la procédure contradictoire, au sujet desquels les parties ont pu faire leurs observations et commentaires respectifs, et d’où il ressort à l’évidence qu’une disposition du Pacte qui n’a pas été invoquée pourrait avoir été violée, le Comité est habilité à déterminer si des articles que les parties n’ont pas invoqués ont été violés, dans la limite des allégations formulées dans la communication. Dans les circonstances de cette affaire et à la lumière des éléments soumis par les parties, le Comité estime qu’il n’est pas pertinent en l’espèce d’examiner ce point.

12.6Le Comité prend note du fait que l’État partie considère que, face à la mesure inévitable d’expulsion, les propositions de logement temporaire d’urgence faites à l’auteure par les services sociaux, agissant au maximum de leurs ressources disponibles, constituent une réponse qui met en évidence que l’État partie a rempli l’obligation que lui fait le Pacte de prendre toutes les mesures, dans la limite des ressources disponibles, pour fournir à l’auteure un logement de remplacement. Le Comité constate que l’auteure a rejeté les propositions de logement temporaire partagé, lesquelles, selon les services sociaux, s’inscrivent dans un projet sociorésidentiel ayant pour objet d’accompagner la famille pour qu’elle puisse devenir autonome et accéder à un logement sur le marché privé qui soit dans ses moyens. Le Comité note que l’auteure a rejeté cette proposition, au motif, essentiellement, qu’elles portaient sur un logement temporaire. S’agissant de la proposition d’aide à la recherche d’un logement qui soit dans les moyens financiers de l’auteure, celle-ci se borne à déclarer qu’il aurait fallu privilégier la négociation avec l’entité propriétaire du logement qu’elle occupait, et rien n’indique qu’elle a repris contact avec les services sociaux pour obtenir de plus amples informations sur l’une des trois options. Le Comité constate que l’auteure n’a pas présenté d’élément qui montrerait que les propositions d’hébergement temporaire seraient incompatibles avec la dignité humaine, dangereuses ou inacceptables pour un autre motif. En conséquence, et en l’absence de tout autre élément indiquant que l’État partie n’a pas pris toutes les mesures nécessaires, au maximum des ressources disponibles, pour protéger les droits de l’auteure, le Comité considère que les éléments dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

D.Conclusion

13.Compte tenu des considérations de fait et de droit qui précèdent, le Comité, agissant en vertu de l’article 9 (par. 1) du Protocole facultatif, conclut que l’expulsion de l’auteure n’a pas constitué une violation de son droit à un logement convenable, qu’elle tient de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

14.En conséquence, le Comité décide que, conformément à l’article 9 (par. 1) du Protocole facultatif, les présentes constatations seront communiquées à l’auteure de la communication et à l’État partie.