Nations Unies

E/C.12/72/D/86/2018

Conseil économique et social

Distr. générale

15 décembre 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, concernant la communication no 86/2018 * , **

Communication soumise par :

Mohammed Stitou et Mariem Ben Hmdou

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leurs enfants

État partie :

Espagne

Date de la communication :

28 novembre 2018 (date de la lettre initiale)

Date de la décision :

10 octobre 2022

Objet :

Expulsion d’une famille suite à une procédure de saisie hypothécaire contre le propriétaire du logement

Question ( s ) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés

Question ( s ) de fond :

Droit à un logement convenable

Article(s) du Pacte:

11 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

3 (par. 1 et 2 e))

1.1Les auteurs de la communication sont Mohammed Stitou, de nationalité marocaine, né le 23 décembre 1973 à Oujda (Maroc), et Mariem Ben Hmdou, née le 1er février 1980 à Tanger (Maroc). Ils agissent en leur nom propre et au nom de leurs enfants, tous de nationalité marocaine : N. S., née le 8 décembre 2000, Y. S., née le 29 mars 2003, M. S., né le 2 février 2007 et B. S., né le 19 mars 2013. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 5 mai 2013.

1.2Le 6 décembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail chargé des communications émanant de particuliers, a enregistré la communication et, compte tenu de l’imminence de l’expulsion des auteurs et des allégations selon lesquelles ceux-ci n’avaient pas de logement de remplacement et risquaient de subir un préjudice irréparable, a demandé à l’État partie de prendre des mesures provisoires consistant à suspendre l’expulsion des auteurs tant que la communication serait à l’examen ou, à défaut, à mettre à leur disposition un logement de remplacement convenable, après les avoir véritablement consultés, afin qu’ils ne subissent pas un préjudice irréparable.

1.3Dans la présente décision, le Comité fait d’abord la synthèse des informations et des arguments présentés par les parties ; il examine ensuite les questions de recevabilité que la communication soulève, avant de formuler des conclusions.

A.Résumé des renseignements et des arguments présentés par les parties

Exposé des faits

2.1Les auteurs affirment qu’ils ont emménagé dans un logement situé à Badalona en février 2015 après avoir conclu un bail verbal avec une personne qui prétendait être la propriétaire de l’immeuble et à qui ils versaient un loyer mensuel de 300 euros.

2.2Les auteurs indiquent que le tribunal de première instance no 5 de Badalona leur a notifié que le logement qu’ils occupaient faisait l’objet d’une procédure de saisie hypothécaire et avait été attribué à la banque saisissante par un décret daté du 3 avril 2014. Le 27 mars 2015, un des auteurs a comparu devant le tribunal en tant que troisième occupant du bien visé par la procédure de saisie et a produit un bail écrit signé le 1er juin 2014 avec le précédent propriétaire (débiteur saisi). En apprenant que la personne à laquelle ils payaient un loyer n’était pas la propriétaire de l’immeuble, les auteurs ont décidé de mettre fin aux versements et de continuer d’occuper le logement sans titre, n’ayant pas de solution de remplacement.

2.3Dans une ordonnance du 29 avril 2015, le tribunal a conclu que le bail produit par un des auteurs était nul, le bailleur n’ayant pas le droit de louer le logement qui avait été attribué au créancier saisissant par décret le 3 avril 2014. Il a ordonné l’expulsion des auteurs, considérant que ceux-ci n’avaient pas de titre d’occupation valide, et a fixé le 8 juillet 2015 comme date d’expulsion.

2.4Le 29 mai 2015, un des auteurs a sollicité une aide juridictionnelle, qui lui a été accordée le 16 juin 2015.

2.5Le 3 juillet 2015, les services sociaux de Badalona ont demandé au tribunal de reporter l’expulsion prévue le 8 juillet 2015 compte tenu de la présence de quatre mineurs dans l’habitation et du fait que les revenus mensuels de la famille, à savoir 426 euros provenant d’allocations de chômage, ne lui permettaient pas de trouver un logement de remplacement. Le tribunal a accédé à cette requête et a reporté l’expulsion au 7 octobre 2015.

2.6Le 16 septembre 2015, les auteurs ont envoyé à la banque propriétaire de l’immeuble un télégramme dans lequel ils reconnaissaient qu’ils commettaient une infraction d’occupation illicite et demandaient à pouvoir rester dans le logement contre paiement d’un loyer ou, à défaut, à pouvoir occuper un autre logement vu leur situation de vulnérabilité. Ils n’ont reçu aucune réponse.

2.7Le 2 octobre 2015, à la demande du créancier saisissant, le tribunal a sursis à l’expulsion prévue le 7 octobre 2015 et l’a reportée au 13 janvier 2016.

2.8Les auteurs ont déposé une demande de logement abordable auprès de l’office local du logement de Badalona le 4 décembre 2015 et ont sollicité leur inscription sur la liste des demandeurs de logement social de Catalogne le 1er décembre 2015.

2.9Le 4 janvier 2016, le tribunal a suspendu l’expulsion prévue car les parties visées par la procédure de saisie n’en avaient pas été informées. Il a fixé le 24 février 2016 comme nouvelle date d’expulsion, et les auteurs ont été personnellement notifiés de cette décision. Constatant la présence de quatre mineurs dans le logement lors de la remise de la notification, et ayant reçu une demande en ce sens du créancier saisissant, le tribunal a sursis à l’expulsion prévue le 24 février 2016 et, le 10 juin 2016, il a informé les auteurs que le 21 septembre 2016 avait été fixé comme nouvelle date d’expulsion. Le 20 septembre 2016, il a de nouveau sursis à l’expulsion à la demande du créancier et, le 4 septembre 2017, il a défini le 1er janvier 2018 comme nouvelle date d’expulsion. Le 1er janvier 2018, la Commission judiciaire a décidé de suspendre l’expulsion alors qu’elle était en cours, compte tenu de la présence de mineurs dans l’habitation, et l’a reportée au 31 janvier 2018. L’expulsion a de nouveau été suspendue à la demande du créancier et reportée au 27 juin 2018.

2.10Dans un rapport envoyé le 25 janvier 2018, les services sociaux de Badalona ont informé le tribunal que les auteurs vivaient avec une allocation de 1 062 euros par mois au titre du revenu minimum garanti, ce qui, vu la taille de leur foyer (avec quatre enfants), ne leur permettait pas de trouver un autre logement sur le marché privé. Ils ont en outre indiqué que les auteurs souhaitaient négocier un logement social avec les propriétaires de l’habitation qu’ils occupaient. Par conséquent, ils ont demandé au tribunal de surseoir à l’expulsion prévue le 31 janvier 2018.

2.11Le 15 juin 2018, le créancier saisissant a demandé par écrit au tribunal de reporter de trois mois l’expulsion prévue le 27 juin 2018, de sorte que les auteurs puissent faire le nécessaire pour se reloger. Le tribunal a approuvé cette demande le 21 juin 2018 et a fixé le 21 novembre 2018 comme nouvelle date d’expulsion.

2.12Le 21 novembre 2018, des membres de la Commission judiciaire du tribunal se sont présentés au logement occupé par les auteurs pour procéder à l’expulsion. Les auteurs leur ont alors indiqué que cette dernière ne leur avait pas été notifiée. Comme les quatre enfants étaient à l’école, les commissaires ont accepté de ne pas expulser les auteurs et ils les ont informés que l’expulsion pourrait être effectuée à tout moment, avec l’intervention de l’unité spéciale des forces de police de la Communauté autonome de Catalogne (Mossos d’Esquadra). Le tribunal a indiqué dans une ordonnance que l’expulsion pourrait avoir lieu à partir du 2 janvier 2019.

2.13Le 26 novembre 2018, les auteurs ont fait recours en révision de l’ordonnance rendue par le tribunal le 21 novembre 2018, alléguant une violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte et indiquant qu’ils avaient soumis une communication au Comité.

Faits postérieurs à l’enregistrement de la communication

2.14Le 6 décembre 2018, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail chargé des communications, a enregistré la communication et a demandé à l’État partie de suspendre l’expulsion des auteurs tant que la communication serait à l’examen. Par une ordonnance du 8 janvier 2019, le tribunal de première instance no 5 de Badalona a débouté les auteurs de leur demande de suspension préventive de l’expulsion au regard des mesures provisoires recommandées par le Comité, considérant que les avis de ce dernier n’étaient pas contraignants.

2.15Les auteurs ont été expulsés le 7 février 2019 et ont passé les nuits suivantes dans une voiture qui leur avait été prêtée. Ils sont ensuite retournés dans le logement duquel ils avaient été expulsés. Un des auteurs a occupé un emploi du 31 janvier au 30 juin 2019.

2.16Le 11 mars 2019, les auteurs ont déposé une demande auprès de l’organisme d’attribution de logements d’urgence de Badalona. Leur demande a été rejetée le 2 avril 2019 car ils ne remplissaient pas l’un des critères, à savoir qu’ils ne risquaient pas de perdre leur logement ou d’être expulsés.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs soutiennent que les expulser du logement qu’ils occupent sans qu’ils aient de solution de remplacement porterait atteinte au droit à un logement convenable qu’ils tiennent de l’article 11 (par. 1) du Pacte. Ils affirment que l’ordre d’expulsion ne tient pas compte de leur situation de vulnérabilité et de la présence de mineurs dans le foyer.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 octobre 2019, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2En ce qui concerne les faits présentés par les auteurs, l’État partie précise que l’expulsion a été suspendue une première fois le 8 juillet 2015, puis replanifiée à dix reprises. Après dix suspensions sur décision du tribunal, elle a eu lieu le 7 février 2019. L’État partie affirme que les mesures provisoires demandées par les auteurs dans la communication ne sont donc pas justifiées à l’heure actuelle.

4.3S’agissant de la recevabilité, l’État partie souligne que les auteurs ont demandé à être inscrits sur la liste des demandeurs de logement social de Badalona plusieurs mois après avoir comparu devant le tribunal et demandé un premier sursis de l’expulsion. En outre, un des auteurs a déposé une demande de logement social auprès de l’organisme d’évaluation des situations d’urgence économiques et sociales le 11 mars 2019, soit cinq mois après que la communication a été soumise au Comité. L’État partie considère que, par conséquent, la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

4.4En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie fait valoir que les services publics pourvoient aux besoins de la famille, qui bénéficie de services de santé et d’éducation, d’un revenu minimum, d’un accès gratuit à la justice et de fournitures gratuites ou à prix réduit. Il souligne en particulier que les services sociaux de Badalona s’occupent de la famille depuis 2007, notamment que les autorités municipales et Caritas lui versent diverses aides financières afin qu’elle puisse se nourrir. En outre, un des auteurs a été accompagné dans les démarches nécessaires pour bénéficier de nouveau du revenu minimum garanti.

4.5L’État partie soutient que le droit au logement n’est pas un droit absolu permettant d’occuper un bien qui appartient à autrui ou garantissant la mise à disposition d’un logement par les autorités si les ressources publiques sont insuffisantes. Il considère que l’article 25 (par. 1) de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 11 (par. 1) du Pacte n’énoncent pas un droit subjectif exécutoire mais confèrent aux États la charge d’adopter des mesures stratégiques adaptées pour faciliter l’accès de tous les citoyens à un logement décent. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 34 (par. 3) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne garantit pas le droit au logement mais le droit à une aide au logement dans le cadre des politiques sociales fondées sur l’article 153 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette obligation faite aux États est expressément consacrée par l’article 47 de la Constitution espagnole et divers statuts d’autonomie. Selon cet article et la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, le droit au logement est une obligation ou une directive constitutionnelle dont la teneur est surtout d’ordre social et qui n’entre pas dans le champ des compétences directes de l’État. Les pouvoirs publics sont donc tenus de créer les conditions nécessaires et d’établir les règles pertinentes pour donner effet au droit des Espagnols à un logement décent et convenable, notamment en réglementant l’utilisation des sols conformément à l’intérêt général afin d’empêcher la spéculation. Par conséquent, l’État partie respecte pleinement ses obligations internationales pour ce qui est du droit au logement, dont la réalisation est progressive.

4.6Suivant le même raisonnement, l’État partie estime que le respect des obligations mises à sa charge par l’article 11 (par. 1) du Pacte doit être apprécié en fonction de trois paramètres : a) le revenu minimum dont une personne doit disposer pour accéder à un logement privé ; b) le nombre de personnes dont le revenu est inférieur à ce minimum ; c) les fonds publics disponibles pour satisfaire les besoins de ces personnes. Il faut donc déterminer si l’État partie s’emploie à satisfaire ces besoins dans toute la mesure des ressources disponibles et, au cas où celles-ci ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins, si les ressources existantes ont été allouées objectivement et sans discrimination. C’est précisément le raisonnement sur lequel se fonde le Comité dans son observation générale no 7 (1997), dont il ressort que, lorsqu’une personne se retrouve sans domicile à la suite d’une expulsion légale, l’État doit, « par tous les moyens appropriés, au maximum de ses ressources disponibles, veiller à ce que d’autres possibilités de logement [...] soient offertes [à cette personne] » (par. 16).

4.7L’État partie estime que, si on applique ce raisonnement sur la portée du droit à un logement convenable à la présente affaire, il faudrait, pour que le Comité conclue à une violation du Pacte, que les auteurs démontrent : a) qu’ils sont dans le besoin ; b) que les autorités n’ont pas consacré toutes les ressources dont elles disposent à la satisfaction de leurs besoins ; c) que, si toutes les ressources disponibles ont été utilisées sans que tous les besoins soient couverts, ces ressources n’ont pas été allouées selon des critères rationnels et objectifs ; d) qu’ils ne se sont pas délibérément placés dans la situation dont ils se plaignent, se privant ainsi eux-mêmes de toute aide publique.

4.8L’État partie explique ce qu’il a fait pour protéger le droit au logement. Il a pris des mesures pour faciliter l’accès à la propriété (allégements fiscaux) et à la location sur le marché privé (aides publiques). Il a aussi adopté des politiques pour que les propriétaires ne perdent pas leur logement, imposant un moratoire sur les expulsions pour non‑remboursement de prêts hypothécaires et adoptant un code de bonnes pratiques auquel plus de 93 institutions financières ont adhéré. En outre, pour que les personnes visées par un ordre d’expulsion légitime ne se retrouvent pas dans une situation d’urgence en attendant de trouver un logement stable, il a adopté le décret-loi royal no 7/2019, qui établit un mécanisme permettant aux personnes vulnérables de faire reporter leur expulsion d’un ou trois mois selon que le propriétaire est une personne physique ou une personne morale. De surcroît, les services sociaux municipaux sont chargés d’évaluer de manière suivie les besoins des familles, de gérer les situations d’urgence temporaire en matière de logement et de coopérer avec les communautés autonomes concernées afin de faciliter la transition vers le système de logements sociaux. À cet égard, l’État partie met en avant la loi du 11 octobre 2007 sur les services sociaux (no 12/2007), la loi du 27 juillet 2006 sur les prestations sociales de nature financière (no 13/2006) et en particulier son article 30 relatif aux prestations sociales urgentes, et le décret du 11 octobre 2010 par lequel il a adopté le programme de services sociaux de la Généralité de Catalogne pour 2010-2011 (no 142/2010). Par ailleurs, l’État partie veille à maintenir un parc de logements sociaux suffisamment vaste et, à cet effet, la législation urbanistique prévoit la cession à titre gracieux, à des fins publiques, d’une partie des terrains privés que les autorités envisagent de convertir en terrains constructibles, et l’État partie finance la construction de logements sociaux sur ces terrains. Enfin, l’État partie a établi des critères objectifs sur la base desquels il évalue les besoins des demandeurs de logements sociaux.

4.9L’État partie souligne qu’en l’espèce : a) la situation dans laquelle se trouvent les auteurs est due au fait qu’ils n’ont demandé un logement social par les voies légales que plusieurs mois après avoir pris connaissance de la procédure judiciaire ; b) l’administration centrale, les autorités des communautés autonomes et les autorités locales n’ont pas violé l’article 11 (par. 1) du Pacte vu que les auteurs ont reçu diverses aides financières, que l’un d’entre eux a bénéficié d’un revenu minimum garanti de 1 112 euros par mois et a travaillé pendant six mois, avec un salaire suffisant pour louer un logement sur le marché privé, et que les autorités judiciaires ont sursis à l’expulsion des auteurs à neuf reprises ; c) selon le rapport des services sociaux de Badalona, les auteurs sont retournés occuper illégalement le logement duquel ils avaient été expulsés, ce qui est clairement déraisonnable compte tenu de toutes les mesures prises pour les aider. L’État partie soutient que le Comité ne peut pas accepter que des individus imposent la réalisation de leurs droits, comme c’est le cas en l’espèce, ni que les auteurs ne l’aient pas informé de leur retour dans le logement saisi. Il demande donc au Comité de déclarer la communication irrecevable ou, à défaut, de la rejeter sur le fond.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.Le 20 décembre 2021, dans leurs commentaires, les auteurs ont informé le Comité que leurs revenus mensuels avaient légèrement diminué et s’élevaient alors à 925 euros pour l’ensemble du ménage. Ils se sont inscrits auprès de l’office de l’emploi et ont suivi des formations. L’un d’entre eux a trouvé du travail grâce à l’Institut municipal de promotion de l’emploi de Badalona. Les auteurs poursuivent les démarches liées à leur inscription auprès de l’organisme d’attribution des logements d’urgence de Badalona, après avoir surmonté un certain nombre d’obstacles.

B.Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 10 (par. 2) de son règlement intérieur provisoire relatif au Protocole facultatif, déterminer si cette communication est recevable.

6.2Le Comité note que, selon l’État partie, la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes étant donné que les auteurs ont demandé à bénéficier d’un logement social plusieurs mois après avoir comparu devant le tribunal et qu’ils ont déposé une demande de logement auprès de l’organisme d’évaluation des situations d’urgence économiques et sociales cinq mois après avoir soumis la communication à l’examen. Il constate que les auteurs sont en relation avec les services sociaux depuis 2007 et qu’ils ont déposé plusieurs demandes auprès de l’office local du logement de Badalona depuis 2011, dont une demande d’allocation-logement, en 2011, qui a été rejetée. Il constate également que les auteurs ont déposé une demande de logement abordable et une demande de logement social auprès de l’office local du logement de Badalona en décembre 2015, dans le cadre de la procédure d’expulsion, et qu’ils ont demandé un logement pour urgence sociale en 2019. Par conséquent, le Comité estime que les auteurs ont exercé la diligence voulue en sollicitant l’aide des autorités administratives pour trouver un logement de remplacement, ce qui est essentiel tant pour remplir la condition de l’épuisement des recours internes énoncée à l’article 3 (par. 1) du Protocole facultatif que pour étayer l’allégation de violation des droits découlant de l’article 11 (par. 1) du Pacte, conformément à l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif.

6.3Conformément à l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif, le Comité déclare irrecevable toute communication qui est manifestement mal fondée ou insuffisamment étayée ou qui repose exclusivement sur des informations diffusées par les médias. Il note que, selon l’État partie, les auteurs ont bénéficié de plusieurs aides, notamment d’un revenu minimum garanti de 1 112 euros par mois, et l’un d’entre eux a été employé pendant six mois, avec un salaire suffisant pour louer un logement sur le marché privé. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs ont agi de manière clairement déraisonnable en retournant occuper illégalement le logement duquel ils avaient été expulsés et en ne portant pas ce fait à l’attention du Comité, en particulier compte tenu des nombreux sursis à leur expulsion. Il constate que les auteurs n’ont pas répondu à ces allégations et n’ont donné aucune preuve de leurs revenus, ni au moment de l’expulsion ni après. Il constate également que les auteurs n’ont rien dit de la situation dans laquelle ils se trouvent en matière de logement depuis l’expulsion, du fait qu’ils seraient retournés occuper le logement duquel ils avaient été expulsés et de la possible modification de leurs revenus après que l’un d’entre eux a été employé pendant plusieurs mois.

6.4Les auteurs n’ont fourni aucun document venant étayer l’argument selon lequel l’expulsion les a privés de leur droit à un logement convenable, en ce qu’ils se sont retrouvés sans-abri ou ont été contraints de vivre dans un logement qui ne répondait pas aux conditions minimales pour constituer un logement adapté à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Le Comité rappelle qu’il incombe aux auteurs, au premier chef, d’étayer leurs allégations et de fournir des preuves documentaires à l’appui de ce qu’ils avancent. Il est conscient que les communications peuvent être présentées par des personnes qui ne sont pas toujours représentées par des avocats ou des juristes formés au droit international des droits de l’homme. Il estime que, suivant le principe pro victima, il doit donc s’abstenir d’imposer des formalités compliquant inutilement la soumission des communications. Toutefois, pour qu’il examine le bien-fondé d’une communication, il est nécessaire que les faits et les griefs présentés laissent supposer, du moins à première vue, que les auteurs pourraient être des victimes réelles ou potentielles de la violation d’un droit consacré par le Pacte. En l’espèce, le Comité constate qu’il existe des incohérences entre la lettre initiale des auteurs, selon laquelle un bail verbal aurait été conclu en février 2015, et le bail écrit daté de juin 2014 dont il est question dans le dossier judiciaire présenté par l’État partie. Il note que les auteurs n’ont répondu à aucune des allégations formulées par l’État partie en ce qui concerne leur situation en matière de logement et leurs revenus actuels. Il considère donc que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé l’allégation selon laquelle ils seraient dans le besoin parce que leurs revenus ne leur permettent pas de trouver un logement sur le marché privé. En outre, les auteurs n’ont pas expliqué où ils vivaient depuis l’expulsion, ni en quoi cette dernière les avait empêchés d’accéder à un logement convenable. En conséquence, ayant examiné les informations communiquées par les auteurs, et vu que les informations présentées dans la communication ne donnent pas une vision claire des faits de la cause, le Comité considère qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure que le droit des auteurs et de leurs enfants à un logement convenable a été bafoué. Partant, il estime que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et est donc irrecevable au regard de l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif en ce qui concerne le grief de violation de l’article 11 (par. 1) du Pacte.

6.5Le Comité rappelle que, bien que la lettre initiale ait paru recevable à première vue car suffisamment étayée aux fins de l’enregistrement, rien ne l’empêche de conclure ultérieurement, sur la base des informations fournies par les deux parties en ce qui concerne la recevabilité, que la communication est irrecevable car insuffisamment étayée.

C.Conclusion

7.En conséquence, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable au regard de l’article 3 (par. 2 e)) du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.