Nations Unies

E/C.12/SEN/CO/3

Conseil économique et social

Distr. générale

13 novembre 2019

Original : français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Sénégal *

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Sénégal (E/C.12/SEN/3) à ses 42e et 43e séances (voir E/C.12/2019/SR.42 et 43), les 7 et 8 octobre 2019, et adopté les présentes observations finales à sa 60e séance, le 18 octobre 2019.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du troisième rapport périodique par le Sénégal, bien qu’il ait été soumis avec beaucoup de retard. Il sait gré, par ailleurs, à l’État partie de la soumission des réponses écrites à la liste de points (E/C.12/SEN/Q/3/Add.1) ainsi que du dialogue constructif qu’il a noué avec sa délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité se félicite des mesures adoptées par l’État partie, qui contribuent à la réalisation des droits contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, telles que :

a)La loi no 2014‑37 du 15 décembre 2004 modifiant et complétant la loi d’orientation de l’éducation nationale no 91‑22 du 16 février 1991, rendant obligatoire la scolarité jusqu’à l’âge de 16 ans et proclamant la gratuité de l’enseignement primaire ;

b)La loi no 2010‑11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue homme‑femme dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives, dont la mise en œuvre est suivie par l’Observatoire national de la parité ;

c)La loi no 2012‑30 du 28 décembre 2012 portant création de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption ;

d)La loi no 2013‑05 du 8 juillet 2013 portant modification de la loi no 61‑10 du 7 mars 1961 déterminant la nationalité, permettant à l’époux étranger d’une femme sénégalaise et à leurs enfants d’acquérir la nationalité ;

e)Le décret no 2014‑26 du 9 janvier 2014 portant création, organisation et fonctionnement de l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes ;

f)La Stratégie nationale de protection sociale 2015‑2035, adoptée en juin 2016 et ayant pour objectif une couverture sociale universelle à l’horizon 2035 ;

g)Les articles 25-1 et 25‑2 de la loi constitutionnelle no 2016‑10 du 5 avril 2016 portant révision de la Constitution de 2001 consacrant les droits à un environnement sain, aux ressources naturelles et au patrimoine foncier.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Collecte de données

4.Le Comité est préoccupé par l’insuffisance de données relatives à l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels dans le troisième rapport périodique de l’État partie, dans ses réponses à la liste de points ainsi que dans ses réponses orales durant le dialogue interactif. Cette insuffisance ne permet pas au Comité d’évaluer l’impact de toutes les mesures adoptées par l’État partie dans le but de donner plein effet aux dispositions du Pacte (art. 2).

5. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures pour améliorer son système de collecte de données, notamment son recensement national, afin de recueillir des données complètes et comparables, ce qui permettrait d ’ évaluer le degré d ’ exercice des droits inscrits dans le Pacte, en particulier par les individus et groupes les plus défavorisés et les plus marginalisés. Il lui recommande par ailleurs de faire figurer dans son prochain rapport périodique les statistiques comparatives annuelles nécessaires pour évaluer les progrès accomplis dans la réalisation des droits inscrits dans le Pacte, et de veiller à ce que ces données soient ventilées par sexe, âge, région géographique, handicap, religion et toute autre situation.

Institution nationale des droits de l’homme

6.Le Comité constate que le Comité sénégalais des droits de l’homme n’est pas pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), notamment en raison de l’absence d’un processus transparent et pluraliste de désignation de son président et de ses membres, et d’un manque d’indépendance notamment financière, qui nuirait à son fonctionnement. Il prend note, cependant, de l’engagement pris par l’État partie de remédier à cette situation dans son projet de loi (art. 2).

7. Le Comité encourage vivement l ’ État partie à prendre toutes les mesures de nature à permettre au Comité sénégalais des droits de l ’ homme d ’ exercer son mandat tout en conservant son indépendance vis ‑ à ‑ vis des pouvoirs exécutif et législatif et à le protéger contre toute ingérence de la part d ’ un quelconque organe de l ’ État. Il enjoint à l ’ État partie de s ’ assurer que le projet de loi portant révision de l ’ institution nationale des droits de l ’ homme sera conforme aux Principes de Paris.

Justiciabilité des droits

8.Le Comité salue la consécration des droits économiques, sociaux et culturels par la Constitution de l’État partie. Il relève que la Constitution reconnaît la primauté des instruments internationaux ratifiés par le Sénégal sur les lois, et que les droits économiques, sociaux et culturels peuvent donc être directement invoqués devant les tribunaux. Le Comité regrette néanmoins qu’aucune information n’ait été fournie sur des affaires dans lesquelles les droits reconnus par le Pacte ont été invoqués ou directement appliqués par les tribunaux nationaux (art. 2).

9. Le Comité encourage l ’ État partie à faire connaître le Pacte et sa justiciabilité ainsi que les observations générales du Comité auprès des juges, des avocats, des agents publics et des autres acteurs chargés de l ’ application des lois, ainsi qu ’ auprès de la population, et à garantir l ’ accès à des recours effectifs en cas d ’ atteinte aux droits consacrés par le Pacte. Le Comité invite également l ’ État partie à informer les parlementaires de leur rôle dans la mise en œuvre du Pacte, et se réfère à cet égard à son observation générale n o 9 (1998) sur l ’ application du Pacte au niveau national.

Maximum des ressources disponibles

10.Le Comité note avec préoccupation que la part des fonds publics alloués aux services sociaux présente une tendance à la baisse, à l’exception des programmes phares. Il est également préoccupé par le fait que les recettes fiscales représentent une partie relativement faible des budgets publics, et qu’un pourcentage élevé de ces recettes provient de la fiscalité indirecte, limitant la capacité de l’État partie à réduire le taux élevé d’inégalité. Le Comité note que l’État partie s’appuie en grande partie sur l’assistance et la coopération internationales, et regrette qu’une plus grande part des ressources internes ne soit pas mobilisée pour la réalisation des droits consacrés par le Pacte (art. 2, par. 1).

11. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à la mobilisation effective des ressources internes, y compris par le développement d ’ une politique fiscale plus efficace, progressive et socialement juste, et par l ’ augmentation des redevances demandées aux investisseurs étrangers pour l ’ exploitation des ressources extractives et halieutiques , dans le but de lutter contre les inégalités économiques et d ’ assurer progressivement le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels. Il lui recommande également de veiller à ce que les processus d ’ adoption des politiques fiscales et des budgets soient transparents et participatifs.

Non-discrimination

12.Le Comité note avec préoccupation l’existence de dispositions législatives discriminatoires dans le droit sénégalais. Il note également l’absence d’une législation générale interdisant toute forme de discrimination directe et indirecte. Le Comité est préoccupé par la persistance d’actes discriminatoires à l’égard de certains individus du fait de leur sexe, de leur couleur de peau (albinisme), de leur ascendance ou de leur orientation sexuelle (art. 2).

13. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter une législation complète sur la non-discrimination qui : a) comporte une définition et une incrimination claires de la discrimination, directe et indirecte ; b) couvre une liste complète de motifs de discrimination, y compris l ’ ascendance et la couleur, l ’ orientation sexuelle, l ’ identité de genre, le handicap, la situation de séjour et toute autre situation ; et c) fournisse aux victimes des recours effectifs. Le Comité exhorte l ’ État partie à dépénaliser les relations homosexuelles librement consenties et à abroger l’alinéa 3 de l’article 319 du Code pénal, ainsi que toute disposition légale discriminatoire concernant l ’ orientation sexuelle et l ’ identité de genre. Le Comité attire l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale nº 20 (2009) sur la non ‑ discrimination dans l ’ exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

Égalité entre hommes et femmes

14.Le Comité prend note des mesures prises par l’État partie, notamment l’adoption de la loi no 2010‑11 sur la parité et la mise en place de l’Observatoire national de la parité. Il reste néanmoins préoccupé par le manque d’effectivité de cette loi sur l’intégralité du territoire. Il est aussi préoccupé par le fait qu’elle ne garantit pas la participation des femmes à tous les postes de prise de décisions, notamment au sein du Gouvernement et au niveau des collectivités locales. Le Comité est par ailleurs préoccupé par le maintien de dispositions discriminatoires à l’égard des femmes dans le Code de la famille, mais aussi dans le Code de la sécurité sociale (art. 3).

15. Le Comité exhorte l ’ État partie à mettre sa législation en conformité avec l ’ exigence d ’ égalité entre hommes et femmes. Il lui recommande notamment d ’ abroger : a) les dispositions concernées du Code de la famille, dont l ’ article 152 sur la puissance paternelle, mais aussi les dispositions relatives au choix du domicile conjugal, à l ’ âge du mariage, à l ’ interdiction de la recherche judiciaire de paternité et aux droits successoraux ; et b) l ’ article 21 du Code de la sécurité sociale allouant uniquement au père les allocations familiales. Le Comité recommande à l ’ État partie de faire respecter la loi n o  2010 ‑ 11 sur la parité sur l ’ ensemble de son territoire et d ’ étendre la loi à tous les postes, y compris nominatifs. Le Comité attire l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale nº 16 (2005) sur le droit égal de l ’ homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels.

Droit au travail

16.Tout en notant les initiatives prises par l’État partie pour réduire le chômage, y compris chez les jeunes, les femmes et les personnes handicapées, le Comité demeure préoccupé par l’impact limité de ces initiatives, dont atteste le taux de chômage élevé chez les jeunes et les femmes. Le Comité alerte également sur le faible taux d’emploi des personnes handicapées (art. 6).

17. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour :

a) Renforcer la mise en œuvre de sa politique nationale de l’emploi en y introduisant des objectifs précis, en ciblant ses efforts en particulier sur les jeunes et les femmes, et en renforçant la qualité de l’éducation et de la formation technique et professionnelle ;

b) Répondre aux attentes sociétales quant au rôle des femmes et à leur autonomisation, améliorer leur accès au crédit et accroître les possibilités d ’ éducation et de formation (y compris à des fonctions de direction) pour leur implication dans des activités économiques fructueuses et durables ;

c) Décentraliser les initiatives pour l ’ emploi des jeunes dans les zones rurales, améliorer l ’ orientation professionnelle, et proposer un meilleur encadrement dans la conception et la réalisation de projets professionnels ;

d) Intégrer les marchés de l ’ informel dans le secteur formel, afin notamment de renforcer la protection des travailleurs et d ’ augmenter les recettes fiscales ainsi que les contributions à la sécurité sociale.

18. Le Comité se réfère à cet égard à son observation générale n o 18 (2005) sur le droit au travail.

Droit à des conditions de travail justes et favorables

19.Le Comité déplore les failles dans la protection du droit à des conditions de travail justes et favorables pour les travailleurs et travailleuses du secteur informel, au sein duquel les femmes sont surreprésentées, ainsi que le fait que les femmes perçoivent des salaires nettement inférieurs à ceux des hommes pour un travail de même valeur. Le Comité est préoccupé par l’insuffisance des moyens humains et budgétaires mis à la disposition de l’Inspection du travail, ce qui ne lui permet pas de couvrir efficacement la situation de personnes exploitées, notamment chez les travailleurs domestiques non déclarés et les enfants (art. 7).

20. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De garantir le droit à des conditions de travail justes et favorables, y compris dans le secteur informel, conformément à la Recommandation de 2015 sur la transition de l ’ économie informelle vers l ’ économie formelle (n o  204) de l ’ Organisation internationale du travail ;

b) De veiller à la stricte application de l ’ article L.105 du Code du travail pour garantir qu ’ à travail de même valeur, les hommes et les femmes perçoivent un salaire égal, y compris dans le secteur informel ;

c) De prendre des mesures urgentes pour assurer un travail décent à toutes les femmes, en particulier les travailleuses domestiques et les femmes rurales, et pour garantir l ’ accès à des mécanismes de protection, ainsi qu ’ à des recours effectifs et à des mesures de compensation, aux femmes victimes de discrimination, de harcèlement, d ’ abus ou de violence, et d ’ inclure à cet effet dans le Code du travail une disposition qui punisse le harcèlement sexuel sur le lieu de travail ;

d) De protéger les enfants des formes de travail pouvant porter préjudice à leur développement ou à leur santé physique ou psychique.

21. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ accroître les moyens humains et budgétaires octroyés à l ’ Inspection du travail et de ratifier la Convention de 2011 sur les travailleuses et travailleurs domestiques (n o 189) de l ’ Organisation internationale du Travail. À cet égard, le Comité renvoie l ’ État partie à son observation générale n o 23 (2016) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables.

Droits syndicaux

22.Le Comité constate que des entraves à la liberté syndicale persistent sur le territoire de l’État partie, notamment s’agissant du droit de former librement des syndicats sans autorisation préalable et d’exercer ce droit sans intimidation. Le Comité est notamment préoccupé par le fait que le Ministère de l’intérieur a un pouvoir discrétionnaire pour délivrer le récépissé valant reconnaissance de l’existence d’un syndicat après avoir veillé à ce que les fondateurs d’une organisation de quelque nature que ce soit soient de bonne moralité et ne soient pas en conflit avec la loi. Il est également préoccupé par le fait que cette disposition exclut la possibilité pour les travailleurs migrants de former des syndicats (art. 8).

23. Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre son cadre législatif sur les droits syndicaux en conformité avec l ’ article 8 du Pacte, tout en prenant en compte la Convention de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (n o  87) de l ’ Organisation internationale du Travail. Il recommande également l ’ abrogation de la loi n o 76 ‑ 28 du 6 avril 1976 et la modification de l ’ article L.8 du Code du travail, afin de garantir aux travailleurs et aux organisations de travailleurs le droit de constituer des organisations de leur choix en supprimant l ’ autorisation préalable du Ministère de l ’ intérieur pour leur constitution.

Sécurité sociale

24.Tout en prenant note des efforts effectués par l’État partie pour accroître le socle de protection sociale au Sénégal, le Comité est préoccupé par le faible taux de protection sociale dans le secteur formel, d’après les chiffres de 2016 de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie. Le Comité note en outre que 83 % des femmes travaillent dans le secteur informel, ce qui a des conséquences sur leur accès à la protection sociale, et que cet accès limité touche en particulier les travailleuses domestiques. Le Comité est également préoccupé par le faible taux de couverture sociale pour les migrants, qui ont rarement accès à l’information sur leurs droits (art. 9).

25. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour améliorer ses régimes de sécurité sociale, en particulier à l ’ égard des femmes dans le secteur informel, des personnes handicapées et des personnes âgées, en vue de couvrir progressivement tous les travailleurs dans le pays et d ’ offrir un niveau de prestations permettant à chacun de jouir d ’ un niveau de vie suffisant. Le Comité demande à l ’ État partie de lui fournir des données détaillées sur ses régimes de sécurité sociale et leur taux de couverture dans son prochain rapport périodique. Enfin, le Comité attire l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o 19 (2007) sur le droit à la sécurité sociale et sa déclaration sur les socles de protection sociale (E/C.12/2015/1).

Mendicité forcée et exploitation des enfants

26.Le Comité demeure profondément préoccupé par :

a)La persistance de la pratique actuelle dans certaines écoles coraniques dirigées par des marabouts d’utiliser des enfants à des fins économiques, qui les empêche également d’avoir accès à leurs droits à la santé, à l’éducation et à de bonnes conditions de vie ;

b)Le fait que l’adoption du plan de retrait des enfants de la rue en 2016 a soulevé des difficultés en matière de coordination, de capacité de prise en charge temporaire, de réhabilitation et de réintégration durable, et n’a donné lieu à aucune condamnation des responsables éventuels ;

c)Les allégations nombreuses et de différentes sources selon lesquelles la police n’enquête pas toujours sur les cas de mendicité forcée et d’exploitation, les travailleurs sociaux omettent de signaler de nombreux cas de ce type, et les charges retenues contre des enseignants coraniques continuent d’être abandonnées ou les peines réduites en justice. Le Comité constate que la plupart des mesures annoncées pour contrer ce fléau n’ont pas abouti (art. 10).

27. Réitérant les recommandations déjà formulées par le Comité des droits de l ’ enfant (CRC/C/SEN/CO/3 ‑ 5, par. 68 et 70), le Comité contre la torture (CAT/C/SEN/CO/4, par. 32) et le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (CMW/C/SEN/CO/2 ‑ 3, par. 57), le Comité enjoint à l ’ État partie :

a) D ’ envoyer un signal fort de volonté politique de mettre fin à l ’ exploitation de la mendicité forcée des enfants ;

b) De permettre aux associations de se constituer partie civile afin de contribuer à la lutte contre l ’ impunité pour ces formes d ’ exploitation.

Droit à un niveau de vie suffisant

28.Tout en saluant la création de la Commission nationale de réforme foncière et l’approbation du nouveau Plan directeur d’urbanisme de Dakar visant à sécuriser les assiettes à usage agricole menacées d’accaparement par des promoteurs immobiliers, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles certaines collectivités territoriales continuent d’attribuer de grandes superficies de terres réservées à l’agriculture et au pâturage à des sociétés étrangères ou à des autorités religieuses, privant les communautés qui en dépendent, et notamment de nombreuses femmes rurales, de leurs moyens de subsistance. Le Comité est également préoccupé par la privation pour les petits pêcheurs de leurs moyens de subsistance du fait de la surpêche par des entreprises majoritairement étrangères (art. 11).

29. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De mettre en place un mécanisme transparent afin de garantir un accès équitable à la terre ainsi que de sécuriser les droits fonciers, particulièrement des femmes, et de prendre en considération les propositions de la Commission nationale de réforme foncière chargée de proposer un texte de politique foncière pour remédier notamment aux lacunes de la loi n o  64 ‑ 46 du 17 juin 1964 relative au domaine national ;

b) De s ’ assurer de la participation significative et réelle des pêcheurs concernés dans la négociation des accords de pêche, et d ’ accroître les moyens de contrôle de la surpêche, avec l ’ aide et la coopération de la communauté internationale en cas de besoin.

Droit au logement

30.Tout en notant l’adoption de la loi no 2014‑03 du 22 janvier 2014 portant baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée, le Comité regrette qu’elle n’ait été appliquée que pour les locataires qui occupaient leur logement au moment de l’adoption de la loi et non pour les suivants. Le Comité est préoccupé par les montants de loyers, notamment en zone urbaine, qui rendent l’accès au logement difficile pour une grande partie de la population (art. 11).

31. Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre en place un dispositif de suivi aussi bien à l ’ échelon national qu ’ à l ’ échelon local de l ’ application de la loi n o 2014 ‑ 03, afin de permettre la dénonciation des contrevenants, et d ’ envisager une réforme de la loi de manière à favoriser l ’ accès au logement à un coût abordable pour les non ‑ propriétaires. Le Comité rappelle à ce titre son observation générale n o 4 (1991) sur le droit à un logement suffisant.

Accès aux services de santé de qualité

32.Tout en notant les mesures prises par l’État partie pour aboutir à une couverture universelle de santé, le Comité demeure préoccupé par l’insuffisance des ressources allouées au secteur de la santé, qui se traduit par le taux extrêmement bas (8 %) du budget de l’État affecté au Ministère de la santé. Le Comité est particulièrement préoccupé par l’insuffisance, d’une part, des mesures prises pour retenir les médecins qualifiés au sein des structures de santé publique et, d’autre part, des moyens permettant un accès gratuit aux soins pour les personnes les plus nécessiteuses (art. 12).

33. Le Comité demande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour garantir un accès à la santé de qualité sur l ’ ensemble de son territoire, et notamment :

a) De rendre effective la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans, surtout ceux établis en milieu rural ;

b) D ’ élargir la carte sanitaire pour permettre aux enfants vivant dans les zones reculées d ’ accéder aux services de soins ;

c) D ’ accroître le budget de l ’ État consacré à la santé, afin de pouvoir mobiliser plus de ressources pour recruter le personnel spécialisé et acquérir les intrants nécessaires à l ’ accès aux services de santé de qualité.

Droit à la santé et environnement

34.Le Comité est préoccupé par le manque de mesures prises pour lutter contre la pollution atmosphérique, notamment à Dakar, par les conséquences du déversement d’ordures ménagères et d’eaux usées dans les zones urbaines et périurbaines, et par la pollution provoquée par l’utilisation et le rejet de sachets plastiques malgré l’adoption de la loi no 2015‑09 du 4 mai 2015 relative à l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastiques de faible micronnage et à la gestion rationnelle des déchets plastiques (art. 12).

35. Le Comité encourage l ’ État partie à prendre immédiatement des mesures pour remédier aux risques environnementaux qui altèrent la santé de la population, notamment en milieu urbain et périurbain :

a) En réglementant strictement l ’ usage des véhicules polluants ;

b) En améliorant l ’ encadrement et la gestion des eaux usées ;

c) En appliquant strictement la loi n o 2015-09.

Droit à la santé sexuelle et procréative

36.Le Comité relève avec préoccupation que l’interruption volontaire de grossesse constitue une infraction pénale dans l’État partie, sauf dans le cas où la vie de la femme est en danger, ce qui a pour conséquence que de nombreuses femmes avortent clandestinement, sans assistance médicale, et souffrent par la suite de complications qui mettent en danger leur vie et qui, dans certains cas, entraînent leur mort, complications accentuées en milieu rural. Le Comité note par ailleurs le taux élevé de grossesses précoces qui entravent le droit à l’éducation et le droit à la santé des jeunes filles. Tout en notant le caractère tabou de la question de la sexualité et des réticences socioculturelles y afférentes, le Comité est préoccupé par l’accès insuffisant à l’information et aux services sur la sexualité et la reproduction, qui devraient aborder la prévention des violences sexuelles et les risques liés aux grossesses précoces (art. 12).

37. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De réviser sa législation pénale afin de la rendre compatible avec les droits des femmes, et d ’ élargir les circonstances autorisées pour l ’ interruption volontaire de grossesse ;

b) De veiller à ce que les femmes qui ont recours à cette pratique ne soient pas tenues responsables pénalement ;

c) D ’ assurer la diffusion d ’ informations et la prestation de services adaptés de qualité en matière de santé sexuelle et procréative, et de garantir l ’ accès à ces informations et services, notamment aux services de planification familiale, à toutes les femmes et adolescentes, en particulier dans les zones rurales et reculées ainsi que dans les écoles.

38. Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o 22 (2016) sur le droit à la santé sexuelle et procréative.

VIH/sida

39.Tout en notant les efforts entrepris par l’État partie pour réduire la prévalence du VIH/sida au sein de la population, le Comité note avec préoccupation que celle-ci est en revanche bien supérieure à la moyenne nationale pour les travailleurs et travailleuses du sexe, les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les utilisateurs de drogues et les personnes détenues. Le Comité est également préoccupé par les chiffres qui indiquent une faible couverture de la thérapie antirétrovirale chez les enfants, ce qui implique que cette catégorie de la population est laissée de côté (art. 12).

40. Compte tenu du fait que les groupes qui affichent une plus grande prévalence du VIH/sida sont souvent des catégories dites « en conflit avec la loi », le Comité encourage l ’ État partie à adopter une stratégie nationale de lutte contre la stigmatisation empêchant ces catégories de la population de jouir de leur droit à la santé sur un pied d ’ égalité avec le reste de la population. À cet effet, le Comité demande à l ’ État partie de considérer la possibilité de décriminaliser :

a) L es relations entre personnes de même sexe  ;

b) L a consommation de drogue s .

Accès à l’éducation

41.Le Comité note avec satisfaction l’augmentation des taux de scolarisation primaire dans l’État partie, particulièrement due à l’introduction de la mesure de suppression des frais de scolarité. Toutefois, le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles il existe encore des coûts indirects de scolarité, notamment au niveau de l’enseignement secondaire. Il regrette aussi l’insuffisance de l’offre d’éducation et de formation, notamment dans les zones rurales et défavorisées, ainsi que le taux de 47 % des enfants d’âge scolaire qui se trouveraient en dehors du système scolaire, notamment du fait de l’absence d’acte d’état civil. Le Comité note avec préoccupation l’insuffisance de l’offre éducative inclusive et de qualité dans les établissements publics, et ce, au profit d’écoles privées potentiellement coûteuses et d’écoles franco-arabes et coraniques généralement gratuites, mais dont le programme d’enseignement actuel ne garantit pas le même niveau d’éducation que dans les structures publiques. L’insuffisance de formation à la pédagogie inclusive ou à la pédagogie du handicap ne permet pas non plus suffisamment aux enfants handicapés d’avoir les formations nécessaires à leur insertion, y compris professionnelle (art. 13 et 14).

42. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De renforcer les mesures tendant à garantir la gratuité véritable de l ’ enseignement primaire et, progressivement, de l ’ enseignement secondaire ;

b) D ’ éliminer l ’ obligation de posséder un certificat de naissance pour accéder à l ’ éducation et de renforcer les mesures visant à accroître l ’ enregistrement des naissances ;

c) De poursuivre ses efforts d ’ adoption de normes en vue d ’ assurer une éducation de qualité pour tous ;

d) D ’ améliorer la qualité et l ’ infrastructure des écoles, en particulier dans les zones rurales, et de permettre que les enfants handicapés aient un égal accès à l ’ éducation sur tout le territoire national.

Abus sexuels à l’école

43.Tout en reconnaissant les efforts entrepris par l’État partie pour lutter contre les violences fondées sur le genre, le Comité est vivement préoccupé par la persistance d’abus sexuels dans des écoles secondaires du Sénégal, qui ne semblent pour l’instant faire l’objet que d’une réponse partielle de l’État partie. Le Comité est en particulier préoccupé par le manque de statistiques connues sur le nombre de cas signalés par les principaux des écoles, le nombre de cas pour lesquels les auteurs ont été poursuivis et les peines prononcées. Une telle situation d’impunité peut sérieusement entraver le droit à l’éducation des jeunes filles. Le Comité note à ce propos le taux élevé d’abandon scolaire aux niveaux primaire et secondaire, en particulier celui des filles, du fait notamment de grossesses précoces (art. 13).

44. Le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre ses efforts visant à réduire le taux d ’ abandon scolaire aux niveaux primaire et secondaire, particulièrement pour les filles. Il exhorte l ’ État partie à prendre au sérieux la question des abus sexuels contre les jeunes filles à l ’ école et lui demande :

a) D ’ adopter une politique nationale d ’ éducation contre l ’ exploitation sexuelle à l ’ école ;

b) D ’ amender le Code pénal pour ajouter comme circonstance aggravante les abus sexuels perpétrés en milieu scolaire ;

c) D ’ adopter un code de conduite contraignant pour les directeurs d ’ école, les enseignants et les responsables d ’ éducation qui soit affiché dans toutes les écoles ;

d) De mettre en place un mécanisme de plainte et de signalement confidentiels dans les écoles ;

e) De diligenter les enquêtes nécessaires au sujet de tout cas d ’ abus sexuel signalé.

D.Autres recommandations

45. Le Comité encourage l ’ État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

46. Le Comité recommande à l ’ État partie de tenir pleinement compte des obligations que lui impose le Pacte et de garantir le plein exercice des droits qui y sont énoncés dans la mise en œuvre au niveau national du Programme de développement durable à l ’ horizon 2030, avec l ’ aide et la coopération de la communauté internationale en cas de besoin. La réalisation des objectifs de développement durable serait grandement facilitée si l ’ État partie établissait des mécanismes indépendants pour suivre les progrès réalisés et s ’ il considérait que les bénéficiaires des programmes publics étaient titulaires de droits qu ’ ils peuvent faire valoir. La mise en œuvre des objectifs dans le respect des principes de participation, de responsabilité et de non ‑ discrimination permettrait de garantir que nul n ’ est laissé de côté. À ce propos, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur sa déclaration sur l ’ engagement de ne laisser personne de côté (E/C.12/2019/1).

47. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour mettre au point et appliquer progressivement des indicateurs appropriés à la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, et faciliter ainsi l ’ évaluation des progrès réalisés pour se conformer aux obligations que lui impose le Pacte pour diverses catégories de la population. À cet égard, il renvoie au cadre conceptuel et méthodologique concernant les indicateurs des droits de l ’ homme mis au point par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme (HRI/MC/2008/3).

48. Le Comité prie l ’ État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société, aux échelons national et régional, en particulier auprès des membres de l ’ Assemblée nationale, des responsables publics et des autorités judiciaires, et de l ’ informer dans son prochain rapport périodique des mesures prises pour y donner suite. Il l ’ encourage à associer le Comité sénégalais des droits de l ’ homme, les organisations non gouvernementales et les autres membres de la société civile au suivi des présentes observations finales et au processus de consultation nationale avant la soumission de son prochain rapport périodique.

49. Conformément à la procédure concernant la suite à donner aux observations finales adoptées par le Comité, l ’ État partie est prié de fournir, dans un délai de vingt ‑ quatre mois à compter de l ’ adoption des présentes observations finales, des informations sur l ’ application des recommandations faites par le Comité aux paragraphes 13 (non ‑ discrimination), 27 (mendicité forcée et exploitation des enfants) et 44 (abus sexuels à l ’ école) ci ‑ dessus.

50. Le Comité prie l ’ État partie de lui soumettre, le 31 octobre 2024 au plus tard, son quatrième rapport périodique, qui sera établi conformément aux directives concernant les rapports que le Comité a adoptées en 2008 (voir E/C.12/2008/2). Il l ’ invite aussi à mettre à jour, selon qu ’ il conviendra, son document de base commun conformément aux directives harmonisées pour l ’ établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme (HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).