NATIONS UNIES

E

Conseil économique et social

Distr. GENERAL

E/C.12/FRA/3 15 mars 2007

Original: FRANÇAIS

Session de fond de 2007

APPLICATION DU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS ECONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

Troisièmes rapports périodiques devant être présentés par les États parties en vertu des articles 16 et 17 du Pacte

FRANCE * ** ***

[6 mars 2007]

GE.07-40922Table des Matières

1 ière partie : Réponses aux observations et recommandations du comité relatives au 2 e rapport (partie E - 30 novembre 2001)

Paragraphes Page

Recommandation 21 1 - 34 5

Résultats de la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion, du plan national d’action visant à lutter contre la violence dans la famille et de la campagne lancée pour lutter contre l’abus d’alcool et de tabac

Recommandation 22 35 - 40 11

Nature d’infraction pénale du trafic des êtres humains

Recommandation 23 41 - 42 12

Formation des magistrats et autres professions judiciaires à la connaissance du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels

Recommandation 24 43 12

Augmentation de l’Aide publique au Développement française

Recommandation 25 44 - 48 13

Reconnaissance juridique des minorités

Recommandation 26 49 - 50 14

Préservation et enseignement des cultures et langues régionales et minoritaires

Recommandation 27 51 14

Age minimum du mariage

Recommandation 28 52 14

Politiques menées pour lutter contre l’insécurité de l’emploi

Recommandation 29 53 - 66 15

Représentativité et liberté syndicale

Recommandation 30 67 - 74 17

Ratification des Conventions 117 et 174 de l’OIT

Recommandation 31 75 19

Phénomène des sans-abris

Recommandation 32 76 - 80 19

Rôle de la France au Conseil d’administration des Institutions de Bretton-Woods

Recommandation 33 81 - 82 20

Diffusion des observations du CIDESC

Table des Matières

2 ème partie : La lutte contre les situations de précarité et d’exclusion en France, en particulier les difficultés spécifiques des jeunes et des « sans domicile ».

I.Description des situations de précarité et d’exclusion en France.22

A.Le creusement des inégalités23

B.L’importance et le profil des bénéficiaires des minima sociaux24

C.Le développement du phénomène des « travailleurs pauvres »26

D.Le chômage, en particulier chez les jeunes adultes.27

E.Les difficultés d’accès au logement29

F.Le phénomène des « sans-domicile »30

II.Comment la montée de la précarité s’explique-t-elle en France ?32

A.Des causes générales, internationales et nationales32

1.Les effets de la globalisation32

2.La diminution du pouvoir économique et social des Etats35

3.La faiblesse structurelle de la croissance36

4.La ségrégation urbaine, facteur d’exclusion37

5.L’inadaptation de l’école à une société plus diverse39

B.Les facteurs explicatifs propres à certaines populations41

1.Le chômage des jeunes adultes.41

2.« Le mal-être » des jeunes43

3.Les discriminations44

4.Les causes qui poussent à devenir un « sans-domicile »45

III.Les politiques gouvernementales de lutte contre le chômage, la précarité et l’exclusion en France.46

A.Les mesures traitant des causes structurelles des inégalités47

1.Les politiques gouvernementales incitatives pour l’emploi, plus particulièrement des jeunes.47

a.Le Plan Emplois-Jeunes (1997).47

b.Le Plan National d’Actions pour l’Emploi : une stratégie coordonnée pour l’emploi depuis 1998.48

c.Le Plan de Cohésion Sociale portant réforme du Service Public de l’Emploi (2005).49

d.Le volet emploi de la Loi de Programmation pour la Cohésion Sociale (2005) et le 3e Plan emploi.51

e.L’engagement nouveau des entreprises en faveur de l’emploi et contre les discriminations raciales.52

f.Les politiques de lutte contre les discriminations de genre53

2.Les politiques de lutte contre les discriminations territoriales : la « politique de la ville ».54

a.Les politiques en faveur des Zones Urbaines Sensibles (ZUS).54

b.Les zones franches urbaines, élément d’attractivité56

c.Les politiques de lutte contre l’habitat vétuste.56

3.Les politiques visant à redonner au système éducatif son rôle intégrateur.57

a.Les mesures relatives à la lutte contre l’échec scolaire dès l’école primaire.57

b.Les politiques d’insertion par l’éducation au sein de la Politique de la Ville58

- Les Zones d’Education Prioritaire (ZEP), premières mesures gouvernementales pour la réussite scolaire.58

- Le Contrat Educatif Local, mesure d’insertion par l’éducation.59

c.Pour l’égalité des chances à l’université et à l’entrée des  grandes écoles.60

- L’exemple du lycée Henri-IV.60

- L’institut d’études politiques (IEP) de Paris, acteur éducatif.60

- Le débat universités-emploi.61

d.Les établissements d'insertion de la Défense (EID)62

B.Les mesures gouvernementales de lutte contre la précarité et l’exclusion visant les publics les plus vulnérables.63

1.La Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions (1998).63

2.Le droit au travail articulé avec le droit à la protection sociale64

3.Le droit à la santé66

a.L’accès aux soins66

b.Les actions gouvernementales de lutte contre le suicide.67

4.Le droit au logement : politiques de résorption du phénomène des sans-domicile.68

a.Les mesures gouvernementales en faveur des «  sans-domicile ».68

b.Les actions du milieu associatif et caritatif en faveur des personnes sans-domicile.71

CONCLUSION73

Première partie : Réponses aux observations et recommandations du Comité relatives au 2ème rapport (partie E - 30 novembre 2001)

Recommandation 21

1. Résultats de la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion, du plan national d’action visant à lutter contre la violence dans la famille et de la campagne lancée pour lutter contre l’abus d’alcool et de tabac

Le bilan de la loi d’orientation relative à la lutte contre l’exclusion appelle d’importants développements qui figureront dans la seconde partie du présent rapport.

Bilan du plan national de lutte contre la violence dans la famille

2. En réponse aux observations faites par le comité et par certaines associations, la France s’efforce de mieux connaître et combattre les violences commises contre les femmes et les mineurs. Plusieurs mesures ont donc été prises pour améliorer le dispositif de lutte contre les violences en complément au plan de lutte contre la violence dans la famille.

a) Vers une meilleure connaissance et prise en compte de la violence dans la famille

3. Le Gouvernement a lancé plusieurs études et projets de recherches pour mieux connaître le phénomène de violences au sein du couple. En novembre 2005, une première estimation nationale des morts violentes survenues au sein du couple en 2003 et 2004 a été réalisée par l’ENSEA Junior Études, à la demande du Ministère délégué à la cohésion sociale et à la parité, dans le cadre d'un partenariat avec le Ministère de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il en ressort que près de 150 femmes meurent par an de violences commises au sein du couple.

4. En outre, le Ministère chargé des droits des femmes a sensibilisé l’Observatoire national de la délinquance (OND), département de l'Institut national des hautes études de sécurité (INHES), à la nécessité d’obtenir des statistiques sexuées en matière de violences. L’OND, en collaboration avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), prépare le lancement, en 2007, d’une véritable enquête de victimation au sens des enquêtes nationales anglo-saxonnes.

5. Enfin, le Ministère chargé des droits des femmes a confié une étude en 2006 au Centre de recherches économiques, sociologiques et de gestion (CRESGE), afin d'examiner la faisabilité d'une étude du coût économique des violences au sein du couple en France.

b) Le plan global d’action « 10 mesures pour l’autonomie des femmes »

6. Le 24 novembre 2004, un plan global d'actions sur trois ans (2005-2007) contre les violences faites aux femmes, intitulé « 10 mesures pour l'autonomie des femmes », a été adopté par le Gouvernement. Il a d'ores et déjà permis des avancées concrètes :

- Amélioration des dispositifs d’hébergement et de logement

7. En matière d'hébergement, si en principe l’éloignement de l’auteur de violence est privilégié, plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour mieux répondre aux besoins en hébergement des victimes de violences au sein de la famille. Des référents « violences-hébergement », à même de connaître en temps réel toutes les places disponibles, ont été nommés par les préfets dans tous les départements. De plus, la circulaire du 24 mars 2005 prévoit que les femmes victimes de violences doivent désormais figurer parmi les publics prioritaires pour l’accès aux nouvelles places des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) et au sein des plans départementaux d’accès au logement des personnes défavorisées (PDALPD).

8. Un groupe de travail, placé sous l’égide du Service des droits et de l’égalité (SDFE) a ainsi été mis en place en juillet 2006, pour élaborer une méthodologie de comptabilisation des offres et surtout des besoins en matière d’hébergement et de logement des femmes victimes de violences pour améliorer la connaissance des besoins et des offres en matière d’hébergement.

9. En parallèle, une réflexion portant sur les difficultés juridiques rencontrées par les femmes victimes de violences en recherche d'un (re)logement a été engagée au sein d’un groupe de travail piloté par le Ministère en charge du logement et auquel le SDFE participe.

10. Enfin, la palette des dispositifs d’hébergement des femmes victimes de violences a été élargie grâce à un nouveau mode d’accueil en famille. Une expérimentation est actuellement menée, dans les départements de la Drôme, de l’Ardèche et de la Réunion, d’un accueil à titre onéreux en familles de femmes victimes de violences.

- Ouverture de droits sociaux suite à des actes de violence

11. Un accord signé par les partenaires sociaux le 18 janvier 2006 prévoit que l’Union Nationale Interprofessionnelle Pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce (UNEDIC) considère désormais comme légitime la démission consécutive au changement de résidence d’un salarié dès lors que celui-ci est victime de violences conjugales et justifie avoir déposé une plainte auprès du procureur de la République. Ce cas de démission ouvre des droits à l'assurance chômage en faveur de la personne victime de ce type de violences.

- Développement de partenariats avec les acteurs locaux et les institutions

12. Les Commissions départementales d'action contre les violences faites aux femmes ont favorisé la mobilisation des acteurs locaux, en mettant en place plusieurs protocoles départementaux de prévention et de lutte contre les violences envers les femmes, visant à mettre en réseau les différents acteurs locaux afin de mutualiser leurs actions.

13. Des partenariats institutionnels avec les Ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Défense, du Logement, de l’Éducation nationale et de la Santé constituent un véritable chaînage d’interventions et de compétences s’exerçant en matière de prévention, de traitement judiciaire des situations de violence et d’accompagnement des femmes qui en sont victimes.

14. Ainsi, une circulaire du Garde des Sceaux du 19 avril 2006 présentant aux magistrats, notamment ceux du parquet, les dispositions de droit pénal et de procédure pénale de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Ce texte illustre la volonté du Gouvernement de voir traiter avec plus de fermeté ce type de violences en incitant tous les magistrats à se montrer sensibles à la nécessaire rigueur en la matière. La prise en charge des victimes pourra être renforcée en assurant leur accompagnement et leur soutien par des associations dont les actions devront être concertées. À cet effet, le parquet pourra requérir systématiquement l’association d’aide aux victimes compétente.

15. Avec les Ministères de l’Intérieur (pour la police) et de la Défense (pour la gendarmerie), des axes de travail prioritaires ont été retenus, notamment sur :

- l’accueil et l’écoute des victimes dans les commissariats et les brigades de gendarmerie ;

- l’installation de permanences d’associations d’aides aux victimes ou d’assistants sociaux dans les services de police ou de gendarmerie (convention signée avec l’Institut National d’Aide aux Victimes Et de Médiation, la Fédération Nationale Solidarité Femmes et le Centre National d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles). Une délégation aux victimes a été créée en octobre 2005.

16. Enfin, en collaboration avec le Ministère de la Santé et des Solidarités, la coordination des différents professionnels de santé concernés par la prise en charge des femmes victimes de violence (médecins de ville, services d'urgence, services judiciaires et services sociaux municipaux et départementaux) est en cours d’amélioration avec la création, à titre expérimental, de réseaux d’accueil à partir des professionnels de santé.

- Sensibilisation accrue de l’ensemble de la société

17. Une campagne nationale de communication « Stop violence - Agir, c'est le dire » a été lancée en novembre 2004. A cette occasion, un dépliant national « Stop violence – Agir c’est le dire », tiré à 100 000 exemplaires, a permis de détailler les dispositifs de ressources existants et les informations spécifiques sur les minima sociaux. Une carte « Stop violence - Agir c’est le dire » a également été tirée à 100 000 exemplaires. Un nouveau dépliant départemental devrait apporter des réponses de proximité aux femmes victimes de violences.

18. La sensibilisation des professionnels a également été renforcée. Des formations initiales et continues sont dispensées aux policiers, gendarmes, magistrats, professionnels de santé et intervenants sociaux. D’autre part, une brochure réalisée en 2005 et réactualisée en 2006, visant à  expliquer les mécanismes et la gravité des violences et à impliquer plus fortement les professionnels sur cette thématique, a été largement diffusée.

19. Les enfants sont également les cibles d’actions de sensibilisation, dans le cadre d’une convention signée avec le Ministère de l’éducation nationale.

- Augmentation des subventions

20. En matière de soutien financier, les subventions accordées au secteur associatif spécialisé ont augmenté de près de 20 % en 2005, effort qui a été maintenu en 2006.

c) Législation renforcée contre les violences commises au sein du couple

21. Depuis plusieurs années, le législateur s’efforce de mieux réprimer les violences commises au sein du couple. Ainsi en témoigne la loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les enfants.

22. La création et l’extension de la circonstance aggravante résultant de la qualité, de conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité, de la victime permet de renforcer considérablement la répression des actes commis dans le couple. Cette circonstance aggravante est également constituée lorsque les faits sont commis par l’ancien conjoint, l’ancien concubin ou l’ancien partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. De plus, la circonstance aggravante résultant de la qualité de l’auteur est désormais applicable en cas de meurtre (art. 221-4, 11°, du Code pénal), de viol ou d’autres agressions sexuelles (art. 222-24, 11° et art. 222-28, 7°, du même code). D’autre part, alors que la répression du vol entre époux était jusqu'alors impossible, la nouvelle loi pose une exception limitée au vol d'objets ou de documents particulièrement importants, tels les documents d'identité relatifs au titre de séjour ou de résidence d'un étranger, ou des moyens de paiement.

23. Par ailleurs, les dispositions de la loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales prévoyant l’éviction de l’auteur des violences du domicile ou de la résidence du couple ont été complétées et précisées par la loi n°2006 ‑399 du 4 avril 2006. Dorénavant, à tous les stades de la procédure pénale et afin de protéger la victime, l’autorité judiciaire peut proposer (dans le cadre d’une composition pénale ou d’une autre procédure alternative aux poursuites) ou imposer (dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l'épreuve ou d’une mesure d’aménagement de peine) à l’auteur des faits de violence de résider hors du domicile du couple et, le cas échéant, de s’abstenir de paraître dans ce domicile ou aux abords immédiats de celui-ci. L’auteur des faits peut, également, se voir proposer ou imposer une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique.

24. Enfin, le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, actuellement en discussion devant le Sénat, comporte plusieurs mesures concernant les violences au sein du couple, en particulier :

- L’extension du champ d’application d’un suivi social et judiciaire aux auteurs de violences au sein du couple ;

- La possibilité pour un médecin d’informer le procureur de la République des violences au sein du couple dont son patient aurait pu être victime, sans que ce dernier ait à lui donner son accord ;

- La possibilité pour les associations de se porter parties civiles en cas de délit de provocation aux crimes et délits d’agression sexuelle ou commis au sein du couple.

d) Politique pénale renforcée en matière de violences au sein du couple

25. Au niveau national, le nombre des affaires enregistrées est en hausse, passant entre 2003 et 2004 de 39 156 à 42 400 affaires. Conformément aux orientations du Garde des Sceaux, le taux de réponse pénale s’est amélioré, passant de 68,9 % à 76,2 % entre 2004 et 2005. Ainsi, d’après les chiffres fournis par l’infocentre national qui regroupe sept tribunaux de grande instance de la région parisienne , 41 % des affaires qui peuvent être poursuivies ont fait l’objet en 2004 de mesures alternatives aux poursuites, notamment le rappel à la loi et la médiation pénale et 34,9 % ont fait l’objet de poursuites devant le tribunal. Parallèlement, le nombre de classements sans suite baisse significativement. Le nombre de condamnations pour violences commises au sein du couple, qu’il s’agisse de crimes ou de délits, a sensiblement augmenté passant ainsi de 656 condamnations en 1994 à 9030 en 2004. Les condamnations pour violences n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail sont, d’année en année, plus nombreuses et le plus grand nombre de condamnations est prononcé pour des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours (5827 en 2004). La peine la plus fréquemment prononcée est la peine d’emprisonnement, la part des emprisonnements fermes étant en constante progression.

26. La circulaire du 19 avril 2006 de la Direction des affaires criminelles et des grâces, présente les dispositions de la loi du 4 avril précitée et précise la politique pénale en la matière. Cette circulaire tient compte des évolutions législatives et reprend les principales orientations de politique pénale déjà exposées dans le guide de l’action publique relatif à la lutte contre les violences au sein du couple diffusé en septembre 2004. Ce guide fixe une échelle des poursuites et des alternatives aux poursuites, s’inspirant notamment des bonnes pratiques des parquets. En effet, afin d’améliorer l’effectivité de la réponse pénale aux faits de violences au sein du couple, la circulaire préconise le traitement en temps réel des procédures et présente les modes de poursuites les plus appropriés à ce type de contentieux. Les procureurs de la République sont invités à requérir l’éviction de l’auteur des violences du domicile ou de la résidence du couple, quel que soit le stade de la procédure. Enfin, la circulaire recommande que les procureurs de la République inscrivent leur action dans un cadre partenarial afin d’améliorer la prise en charge des victimes des violences, ainsi que des enfants du couple, d’une part, et de garantir la mise en œuvre de l’éviction de l’auteur des violences du domicile, d’autre part.

27. À cet effet, il est utile de noter les bonnes pratiques mises en place par certains procureurs, tels le Procureur Frémiot à Douai, où la lutte contre les violences commises contre les femmes a été présentée comme une priorité depuis 2003. Désormais, les policiers informés sur des cas de violence se réfèrent directement et systématiquement au Procureur et mènent des enquêtes plus approfondies, mais aussi orientent, et accompagnent si nécessaire, les victimes vers les Urgences médico-judiciaires et contactent une association qui pourra les prendre en charge et les soutenir.

28. Enfin en juillet 2006, suite au rapport du docteur Coutanceau relatif à la prise en charge des auteurs de violences au sein du couple et remis le 21 mars 2006 à la Ministre en charge de la parité, un groupe de travail a été mis en place sur cette thématique. Le groupe est chargé d’évaluer les progrès réalisés et l’efficience, au regard de la récidive, des dispositifs existants en matière de prise en charge et de suivi des hommes auteurs de violences.

Bilan de la campagne de lutte contre l’alcool et le tabac :

a) La lutte contre l’alcool

29. L’un des moyens les plus actifs de lutte contre l’alcool a été, le renforcement des contrôles d’alcoolémie auxquels les conducteurs automobiles et motocyclistes sont désormais soumis dans le cadre d’une application plus stricte des limitations de vitesse. Les résultats de la campagne sont particulièrement impressionnants en termes de diminution du nombre des morts et blessés à la suite d’accidents de la circulation : d’une tendance moyenne de diminution de leur nombre annuel de – 2,3 % entre 1974 et 2001, on est passé, pour les quatre dernières années, à un taux annuel moyen de –10 %. En tout de 2001 à 2005, on observe une baisse de –35,6% du nombre de morts par accident de la route dus à l’alcool, et de –29,6 % du nombre de blessés.

30. Selon certaines estimations, l’alcool est la deuxième cause de mortalité évitable en France et le gouvernement est résolu à poursuivre ses efforts pour endiguer ce fléau. Le plan 2007-2001 de prévention des addictions prévoit de renforcer les moyens attribués à la prévention, en particulier, de l’addiction à l’alcool, ainsi que la mise en œuvre d’une campagne de communication destinée au grand public, d’une campagne d’information destinée au personnel de santé et d’un numéro indigo d’information.

31. Les résultats sur la santé de la population se feront sentir sur une plus longue durée, sachant qu’ils devraient être plus importants pour les catégories sociales à faible revenu qui souffrent le plus des effets des addictions.

32. Une des conséquences involontaires du succès de la campagne mérite aussi d’être signalée, dans le domaine économique et social : une mévente sans précédent de la production viticole et une crise sociale de la viticulture française.

b) La lutte contre le tabagisme

33. La lutte contre le tabagisme initiée depuis plusieurs années et articulée autour de trois mesures essentielles, le fort renchérissement des taxes, le renforcement de l’information sur les effets nocifs (obligatoire en grosses lettres sur chaque paquet) et l’interdiction de fumer dans les lieux publics, s’est traduite par une chute très nette des ventes de tabac en France : le nombre de cigarettes vendues par mois est passé de plus de 7,3 millions en juillet 2000 à 4,7 millions en mars 2006, soit une baisse supérieure à 30 %. Ces chiffres manifestent une prise de conscience de l’importance du fléau sanitaire que constitue la consommation de ce produit. Les baisses de consommation les plus fortes sont conformes aux priorités arrêtées par le Plan cancer : une femme sur dix a cessé de fumer ( 26,5 % continuent) et les jeunes de moins de 15 ans ne sont plus que 8,6 % en 2005 à fumer, soit une baisse de près de moitié (14,4 % en 2000). Signe que cette évolution est portée par l’ensemble du corps social, les conditions de l’interdiction de fumer dans tous les lieux affectés à un usage collectif annoncée en octobre 2006, ont été fixées par le décret 2006-1386 du 15 novembre 2006. Ce décret prévoit l’interdiction de fumer dans les écoles, collèges et lycées, les transports publics et les lieux fermés accueillant du public ou constituant un lieu de travail dès le 1er février 2007. L’interdiction sera étendue à tous les établissements débitant des boissons à consommer sur place (bars, restaurants, casinos etc.) au 1er janvier 2008. Enfin le décret prévoit que toute violation de ces dispositions sera sanctionnée par une amende de 68 euros. Les centres de consultation antitabac se sont d’autre part multipliés, offrant des conseils gratuits pour amorcer des cures de désintoxication.

34. Les conséquences de cette politique sur la santé publiques seront lentes à mesurer précisément, mais seront sans nul doute importantes, il y a lieu d’en attendre un effet dans la lutte contre certains cancers ; là aussi des progrès plus importants étant attendus au profit des classes les plus populaires, les plus concernées par l’addiction à ce produit.

Recommandation 22

Nature d’infraction pénale du trafic des êtres humains

35 L’infraction de traite des êtres humains s’inscrit dans un arsenal juridique mis en place par le législateur français en 2003 pour réprimer l’esclavage moderne et réaffirmer l’absolue nécessité du respect de la dignité humaine, dans un contexte de développement des réseaux criminels.

36. Le code pénal la définit comme étant « le fait, en échange d’une rémunération ou de tout autre avantage ou d’une promesse de rémunération ou d’avantage, de recruter une personne, de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir, pour la mettre à la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre cette personne des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit ». L’article 706-73 du code de procédure pénale a retenu la traite des êtres humains aggravée au titre des infractions de criminalité organisée notamment lorsqu’elle est commise à l’égard d’un mineur, d’une personne particulièrement vulnérable, à l’égard de plusieurs personnes, à l’égard d’une personne qui se trouvait hors du territoire de la République, avec emploi de la violence, de la menace ou de contraintes visant l’intéressé ou sa famille.

37. À ce titre, la loi du 9 mars 2004 a donnée aux magistrats et aux enquêteurs de nouveaux moyens juridiques de lutte contre les réseaux le plus souvent tentaculaires et internationaux en autorisant l’emploi de moyens d’investigations spécifiques (infiltrations, sonorisations et fixations d’images dans certains lieux ou véhicules, interception de communication téléphonique dès l’enquête etc.). Des juridictions interrégionales spécialisées sont chargées de la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions relevant de la criminalité organisée.

38. Depuis la loi du 18 mars 2003 incriminant la traite des êtres humains, aucune condamnation n’a été inscrite au casier judiciaire national. Cette donnée ne signifie toutefois pas qu’aucune poursuite n’a été engagée de ce chef mais seulement qu’aucune condamnation définitive n’est intervenue depuis l’entrée en vigueur de cette loi principalement en raison de la longueur des procédures d’instruction et de jugement induites par la complexité de ces affaires.

39. Outre la traite des êtres humains stricto sensu, le code pénal incrimine le proxénétisme aggravé, l’exploitation de la mendicité et la rétribution insuffisante ou inexistante du travail d’une personne vulnérable. Des opérations visant le milieu de la prostitution sont régulièrement menées et font l’objet d’une stratégie définie en liaison avec l’office central de répression de la traite des êtres humains, l’autorité préfectorale et l’autorité judiciaire. 34 infractions d’exploitation de la mendicité et de rétribution insuffisante du travail ont été sanctionnées en 2005 ( ) (contre 28 en 2003 et en 2004) ainsi que 550 infractions de proxénétisme aggravé (638 en 2004, 693 en 2003). 5 de ces infractions de proxénétisme aggravé concernaient des victimes particulièrement vulnérables, 74 des victimes livrées à la prostitution à leur arrivée en métropole, 28 des victimes mineures.

40. Parallèlement à ce dispositif répressif, la loi du 18 mars 2003 a mis en place une procédure d’admission au séjour des étrangers ayant déposé plainte ou témoigné dans le cadre d’une procédure pénale à l’encontre de personnes soupçonnées d’infractions de proxénétisme ou de traite des êtres humains.

Recommandation 23

Formation des magistrats et autres professions judiciaires à la connaissance du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels

41. Les Magistrats sont familiarisés avec des aspects et mécanismes du droit international tout au long de leur carrière, dès leur entrée à l’Ecole nationale de la magistrature en qualité d’auditeurs de justice. En plus de la possibilité d’effectuer des stages à l’extérieur d’une durée de dix semaines (soit dans un pays étranger, soit auprès d’une juridiction, d’une organisation internationale ou d’une ambassade) pendant leurs formation initiale, les auditeurs de justice bénéficient d’une formation en droit international plus spécifiquement axée sur la coopération civile et pénale, certains aspects de droit comparé, le droit communautaire européen et la Convention européenne des droits de l’homme. Le concours de recrutement des avocats exige, quant à lui, des candidats, une connaissance des traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme.

42. L’entrée en vigueur de la Charte sociale européenne révisée, que la France est le seul pays à avoir ratifiée dans son intégralité, assortie d’une procédure de réclamations collectives, a suscité depuis quelques années un quasi-contentieux et une jurisprudence qui concernent assez fréquemment la France, suscitant un intérêt accru pour les droits économiques, sociaux et culturels et les instruments internationaux qui favorisent leur effectivité, dont le Pacte. Enfin, l’engagement clair qu’a pris le gouvernement français en faveur du projet de protocole additionnel au Pacte, traduit notamment par l’organisation d’un séminaire d’experts à Nantes en septembre 2005 suivi de la publication et de la diffusion de ses actes sous le titre « Des droits économiques, sociaux et culturels à portée de citoyen », a contribué à faire connaître beaucoup plus largement le Pacte.

Recommandation 24

Augmentation de l’Aide Publique au Développement française

43. Le Gouvernement français a pris des engagements très nets en vue d’atteindre l’objectif de consacrer 0,7 % de son Produit intérieur brut (PIB) à l’aide publique au développement, qui sera atteint en 2012 avec une étape intermédiaire à 0,5 % en 2007. Entre 2001 et 2005, l’aide publique au développement (APD) française est déjà passée de 0,32 à 0,45 %, avec une prévision à 0,47 % pour 2006, ce qui en fait le 3e donateur bilatéral mondial après les USA et le Japon. Elle est en outre à l’origine d’une initiative importante pour l’augmentation de l’APD mondiale : l’instauration d’une taxe sur les billets d’avion, qu’un petit nombre de pays, dont elle-même, appliquent dès cette année.

Recommandation 25

Reconnaissance juridique des minorités

44. La Constitution française définit la nation comme composée de personnes égales en droits : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. » (art. 2). La position de la France signifie que les minorités ne sont pas reconnues comme titulaires de droits collectifs mais cette position n’interdit pas qu’il y ait, dans l’espace public, des manifestations ou expressions différenciées.

45. De plus, la position française ne fait pas obstacle au fait que des politiques sociales, éducatives et culturelles fondées sur des enquêtes systématiques et sophistiquées s’attachent à lutter contre toutes formes de discriminations et à apporter des soutiens ciblés aux personnes en situation de vulnérabilité. Ces politiques ont été détaillées dans le rapport actualisé que la France a remis et présenté au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) en février 2005.

46. La conception française de la nation ne fait pas non plus obstacle au fait que la France s’efforce de respecter les particularismes locaux, en particulier dans les départements et régions d’outre-mer (DOM/ROM) et collectivités d’outre-mer (COM). En effet, la position française n’exclut pas le droit des populations autochtones d’outre-mer d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. La France privilégie la voie statutaire pour la prise en compte de particularismes locaux et on a ainsi abouti dans les DOM/ROM et COM à des systèmes sui generis de coexistence entre le droit civil codifié et la coutume locale de tradition orale qui régissent à des niveaux spécifiques l’organisation sociale, et dont les conflits sont réglés par la jurisprudence.

47. Le droit des personnes est le domaine où la France a pris le plus clairement parti pour la reconnaissance des populations autochtones en outre-mer, en l’inscrivant dans l’article 75 de la Constitution, qui dispose que « les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé ». Le statut personnel est un concept qui marque la soumission d’une personne à une loi personnelle de droit local et non de droit commun. Concrètement cette dualité se traduit par l’existence de deux états civils qui demeure aujourd’hui en Nouvelle Calédonie, à Wallis et Futuna et à Mayotte.

48. Si le concept de droits des communautés autochtones et locales est étranger au droit français, l’Etat a néanmoins su intégrer depuis longtemps des pratiques et usages des communautés et des savoirs populaires locaux. C’est le cas, à titre d’exemple, en matière de politiques de conservation de la biodiversité. En effet, l’article 8  j de la Convention sur la diversité biologique reconnaît l’apport des communautés locales et autochtones en matière de préservation et d’utilisation durable de la biodiversité et est aujourd’hui retranscrit quasiment dans son intégralité dans le droit positif national par la loi n°2000-1207 d’orientation sur l’outre-mer du 13 décembre 2000 (art. 33).

Recommandation 26

Préservation et enseignement des cultures et langues régionales et minoritaires

49. Ces deux préoccupations font partie des politiques conduites avec volontarisme par la France depuis les années 1980. Nombre de musées et centres culturels dédiés aux cultures régionales ont été créés ; des festivals axés sur la valorisation de ces patrimoines sont soutenus par le Ministère de la culture et de la communication, outre les collectivités locales. Le Conseil et la mission du patrimoine ethnologique, établis dès 1980 sous la tutelle du Ministère de la culture sont chargés d’assurer la conservation des éléments fondateurs de l’identité des cultures locales et de contribuer à la coordination de la politique de recherche ethnologique sur l’ensemble du territoire métropolitain et outre-mer. D’autre part, le gouvernement soutient de nombreux projets de recherche sur les langues régionales et les coutumes locales et fournit des aides à l’édition. Enfin, la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 contient des mesures en faveur des langues et cultures régionales des DOM et prévoit dans son article 34 que les langues régionales en usage dans les départements d’outre-mer font partie du patrimoine linguistique de la nation.

50. Dans le système éducatif, les langues régionales et minoritaires font l’objet d’un enseignement à option et de concours de recrutement spécifiques d’enseignants du premier et du second degré. C’est le cas notamment pour le basque, le breton, le catalan, le corse et l’occitan en métropole et le créole, le tahitien et les langues mélanésiennes outre-mer. Nombre d’autres langues locales, notamment certaines langues amérindiennes, font l’objet d’actions et enseignements expérimentaux au sein de quelques établissements. Certaines écoles privées sous contrat proposent des enseignements linguistiques renforcés, y compris dans des langues étrangères pratiquées par des migrants. Des informations détaillées ont été données sur ces différents sujets dans le rapport précité remis au CERD en février 2005.

Recommandation 27

Age minimum du mariage

51. L’article 1er de la loi n°2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple et contre les mineurs a donné satisfaction à la sage recommandation du Comité de porter à 18 ans l’âge minimum légal du mariage des filles, mettant fin à une inégalité inacceptable aujourd’hui. Le nouvel article 144 du Code civil prévoit désormais que « l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». Cet article du Code civil est applicable de plein droit dans tout le territoire français, y compris dans l’ensemble des DOM/ROM et COM.

Recommandation 28

Politiques menées pour lutter contre l’insécurité de l’emploi

52. Ce thème nécessite des développements importants qui figureront dans la seconde partie du rapport.

Recommandation 29

Représentativité et liberté syndicale

53. La situation spécifique d’un très faible taux de syndicalisation en France fait peser la menace de la création de syndicats non indépendants du patronat dans certaines branches et a concouru à la définition des critères de représentativité particuliers et à la restriction à cinq centrales syndicales du droit de se présenter à certaines élections ouvrant droit à la participation à certains mécanismes de cogestion, notamment aux plans judiciaire ou des mécanismes de protection et d’assurance. La liberté syndicale reste néanmoins entière, comme le garantit la Constitution.

a) Les critères de représentativité

54. L’application des critères de la représentativité n’est mise en œuvre que lorsque celle-ci est contestée. La représentativité de droit peut être irréfragablement présumée ou prouvée et un débat est en cours pour définir d’éventuelles évolutions.

- Présomption irréfragable de représentativité

55. La représentativité de droit résulte de l’arrêté du 31 mars 1966 relatif à la détermination des organisations appelées à la discussion et à la négociation des conventions collectives de travail. Ce texte désigne comme représentatives de droit au niveau national cinq syndicats : la CGT, la CFDT, la CGT-FO et la CFTC pour l’ensemble des catégories professionnelles, et la CFE-CGC pour les cadres. Ces organisations syndicales de salariés bénéficient à ce titre d’une présomption irréfragable de représentativité.

56. Il résulte de la loi du 27 décembre 1968 relative aux sections syndicales, une présomption irréfragable de représentativité au niveau de l’entreprise (art. L.412-4 al. 2 du code du travail) accordée aux organisations affiliées à une organisation représentative au niveau national. Elle a été étendue par la loi du 13 juillet 1971 réformant le droit des conventions collectives à la conclusion d’accords collectifs (art. L.132-2 du code du travail) et ce principe est appliqué pour la représentativité de droit aux élections professionnelles (art. L.423-2 et L.433-2 du code du travail).

57. En ce qui concerne la représentativité des organisations patronales , une présomption de représentativité existe, dans la pratique, pour celles représentées à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC), même si elle n’est pas juridiquement établie. Elle résulte du décret n°97-80 du 30 janvier 1997, codifié à l’article R. 136-3 du Code du travail, qui fixe la représentation des employeurs à la CNNC : MEDEF, CGPME, UPA et UNAPL.

- Représentativité prouvée

58. Si leur représentativité est contestée, les syndicats peuvent apporter la preuve de leur représentativité soit au niveau de l’entreprise, soit au niveau de la branche.

59. Au niveau de l’entreprise , les syndicats qui estiment être représentatifs agissent en tant que tels et, notamment, créent une section syndicale, désignent un délégué syndical, interviennent dans la préparation des élections professionnelles, proposent des candidats au premier tour et participent à la négociation annuelle obligatoire.

60. L’employeur et les autres organisations syndicales présentes dans l’entreprise ne sont pas habilités à apprécier cette représentativité mais peuvent la contester devant le juge. Dans ce cadre, le syndicat, pour se voir reconnaître le caractère d’organisation syndicale représentative, doit rapporter la preuve qu’il réunit dans l’entreprise les critères dégagés par la loi (art. L. 133-2 Code du travail) et par la jurisprudence. Les critères légaux, définis dans la loi du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs, sont les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat et l’attitude patriotique pendant l’occupation (ce dernier critère étant tombé en désuétude) La jurisprudence y ajoute les critères de l’activité, de l’audience et de l’influence. Ces critères ne sont pas cumulatifs.

61. Au niveau de la branche , le principe reconnu est celui de l’acceptation mutuelle de chacun des syndicats appelés à participer à la négociation collective. Ce n’est donc que lorsque le ou les syndicats présents s’opposent mutuellement quant à leur caractère représentatif ou lorsqu’un syndicat demande à participer à la négociation qu’il y a lieu d’établir quels vont être les syndicats habilités à négocier. Dans ce cadre précis, c’est le ministre chargé du travail qui est compétent pour déterminer la ou les organisations représentatives au niveau de la branche (art. L. 133-3 du code du travail). Les critères d’appréciation de la représentativité sont les mêmes que ceux examinés par le juge dans le cadre de l’entreprise.

- Le débat en cours

62. Un débat existe en France depuis plusieurs années sur la nécessaire réforme des critères de représentativité, sur les modalités et le contenu d’une telle réforme. Le récent rapport Hadas-Lebel sur la représentativité et le financement des syndicats remis en mai 2006 au Premier ministre, dresse un constat de la situation en France et propose des scénarios d’évolution concernant la représentativité des organisations professionnelles et syndicales . Il explore notamment la voie d’une appréciation fondée sur les résultats électoraux (élections prud’homales, élection des délégués du personnel, élection de représentativité dans la branche). Ce rapport est actuellement soumis au Conseil économique et social dont l’avis est attendu fin 2006.

b) Le respect de la liberté syndicale

63. La liberté syndicale et le droit d'exercer une activité syndicale sont garantis par la Constitution (alinéa 6 du Préambule de la constitution du 27 octobre 1946 et sa référence dans la Constitution du 4 octobre 1958). Le préambule de la Constitution dispose que tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.

64. Il résulte des règles relatives au droit syndical codifiées aux articles L. 410-1 à L. 413-2 du code du travail que :

-Les syndicats peuvent se constituer librement sous réserve du respect des conditions légales tenant à leur objet et au respect de conditions de dépôt.

-Ils ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu'individuels, des personnes visées par leurs statuts (art. L. 411-1).

-Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou connexes, concourant à l'établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement (art. L. 411-2). Les fondateurs de tout syndicat professionnel doivent déposer les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l'administration ou de la direction (art. L. 411-3).

-Toute personne peut adhérer à un syndicat de son choix (art. L 411-5). Cela implique également que tout syndiqué a la liberté de se retirer à tout instant de son syndicat, nonobstant toute clause contraire (art. L 411-8). Il n'y a que trois modes de dissolution : volontaire, statutaire et judiciaire (art. L. 411-9).

-Enfin, l'exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises (art. L. 412-1 ) et le code du travail prohibe toute forme de discrimination syndicale qui émanerait du chef d’entreprise (art. L. 412-2) et d’une manière générale (art. L. 122-45 du code du travail), à raison de l’exercice d’une activité syndicale ou de l’appartenance à un syndicat.

65. L’ensemble de ces règles, propres à garantir la liberté syndicale, s’appliquent indifféremment à toute organisation syndicale légalement constituée . En conséquence, les petits syndicats et les nouveaux peuvent par principe librement exercer leurs activités. Ce n’est qu’en cas de contestation qu’ils doivent prouver leur représentativité pour légitimer leur action.

66. Ainsi, les critères actuels de la représentativité, bien qu’imparfaits, permettent de déterminer objectivement s’ils peuvent légitimement engager la collectivité de travail qu’ils ont vocation à représenter. Le droit pour les petits syndicats ou les nouveaux syndicats d’exercer librement leurs activités n’est donc pas compromis par l’application des critères de la représentativité.

Recommandation 30

Ratification des Conventions 117 et 174 de l’OIT

Convention n°174 sur la prévention des accidents industriels majeurs :

67. Les dispositions de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, permettent de répondre aux exigences de la Convention n°174 de l’OIT. Au même titre que quatre autres conventions internationales du travail (173, 176, 184 et 181), cette convention est maintenant en cours de ratification. La direction juridique du Ministère des affaires étrangères est mobilisée et la procédure requise, qui implique notamment une saisine préalable du Conseil d’Etat, nécessite un certain temps.

Convention n°117 sur la politique sociale (objectifs et normes de base):

68. Il ne nous paraît pas opportun d’envisager la ratification de la Convention n°117. En effet, même si le contenu des articles déclinés dans cette convention ne soulève en général pas d’objection, ils apparaissent pour la plupart totalement obsolètes on inadéquats car ils traitent de situations aujourd’hui soit totalement disparues ou partiellement disparues.

69. L’examen de cette convention montre qu’elle est devenue inappropriée pour les raisons suivantes : les motifs et la date de son élaboration et de son adoption (1962 – il y a 44 ans) ; l’évolution des modes de vie des populations concernées : les sociétés rurales des années 50 et 60 ; l’anachronisme des propositions ; la désuétude de la forme.

a) Les motifs et la date de son élaboration et de son adoption (1962)

70. Les propositions contenues dans cette convention visent à réviser la convention sur la politique sociale de 1947 qui portaient sur des « territoires non métropolitains » afin que dorénavant les Etats indépendants qui leur ont succédé continuent à l’appliquer, comme le précise le Préambule. Cette convention correspondait à une période de l’histoire marquée par des processus de décolonisation. Il apparaissait important alors que les nouveaux pays indépendants adoptent des objectifs et normes sociales de base. La convention suppose aussi que des mouvements importants de population pourraient avoir lieu (principalement à l’intérieur des régions des nouveaux pays indépendants). Malgré ces circonstances particulières, il a été estimé nécessaire en 1962 que ces propositions concernant les normes de base de la politique sociale fassent l’objet d’une convention internationale.

b) L’évolution des modes de vie des populations concernées : les sociétés rurales des années 50 et 60

71. De manière générale, la convention vise prioritairement des pays où les population rurales et les activités agricoles sont majoritaires. Elle traite essentiellement des conditions de travail des « cultivateurs » et des travailleurs agricoles, dans des termes ne correspondant plus vraiment à la réalité de notre pays :

« Il faut contrôler, par l’application d’une législation appropriée, la propriété et l’usage de la terre….en tenant compte des droits traditionnels » (art. 4),

« Toutes mesures pratiques et possibles seront prises en vue de la protection des salariés et des producteurs indépendants contre l’usure… » (art. 13),

« Il faut contrôler les conditions de tenure et de travail afin d’assurer aux fermiers et aux travailleurs agricoles le plus haut niveau de vie possible et une part équitable des avantages pouvant provenir d’une amélioration du rendement ou des prix » (art. 4).

c) L’anachronisme des propositions

72. Elle contient des propositions et des préoccupations non appropriées au contexte actuel  du monde du travail. À titre d’exemple on peut citer :

- L’article 11, paragraphe 2 : « Les salaires ne seront normalement payés qu’en monnaie ayant cours légal »

- L’article 11 – paragraphe 3 : « Les salaires seront normalement payé au travailleurs lui-même ».

- L’article 11 – paragraphe 4 : « Le remplacement partiel ou total, par de l’alcool ou des boissons alcooliques, des salaires dus pour des prestations accomplies par les travailleurs sera interdit ».

- L’article 11 – paragraphe 5 : «  Le paiement du salaire ne pourra être fait dans un débit de boissons ni dans un magasin de vente, si ce n’est aux travailleurs employés dans ces établissements ».

d) La désuétude dans la forme

73. Le vocabulaire employé dans cette convention apparaît souvent désuet. Même si certains termes peuvent encore apparaître pertinents, ils ne sont plus employés de nos jours. Ainsi on évoque les discriminations pour des raisons de « couleur ». Les termes d’« instruction publique » employés dans le Préambule, seraient sans doute remplacés par ceux d’éducation et formation.

74. L’ensemble des raisons évoquées ci-dessus explique pourquoi ni la France, ni la plupart des pays européens, n’ont ratifié la Convention n°117.

Recommandation 31

Phénomène des sans-abris

75. Il est, au moins pour partie, l’une des conséquences de la précarisation de l’emploi et des limites que rencontrent les politiques de lutte contre l’exclusion. Il fera l’objet de développements dans la seconde partie du rapport.

Recommandation 32

Rôle de la France au Conseil d’administration des Institutions de Bretton-Woods

76. La France, qui assure à la promotion des droits de l’Homme une place de choix dans l’ensemble de sa politique internationale, exerce son mandat de membre du Conseil d’administration de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international en ayant bien présent à l’esprit l’effet de levier que ces institutions peuvent jouer dans ce domaine. Si des évolutions ont pu être notées au cours des dernières années dans les politiques de ces deux institutions qui manifestent une prise en compte croissante du respect des droits de l’Homme, c’est pour une partie non négligeable sous l’influence d’un pays qui a été l’un des premiers à attirer l’attention sur les conséquences des plans d’ajustement structurel sur l’accès des populations vulnérables aux droits, en particulier aux droits économiques, sociaux et culturels.

77. En 2001, le Haut Conseil français de la Coopération internationale a eu l’honneur d’organiser avec le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies un séminaire sur la responsabilité des Institutions économiques et financières internationales en matière de respect des droits, qui a permis de sensibiliser un peu plus ces dernières au sujet. On a pu constater que la Banque mondiale a lancé depuis le Business Partners for Development , qui vise à promouvoir des partenariats exemplaires entre entreprises, États et organisations non gouvernementales (ONG) intégrant les différentes dimensions du développement, y compris en termes de droits de l’Homme.

78. Elle a aussi parrainé, au travers de sa filiale la Société financière internationale, l’élaboration des Principes de l’Équateur, adoptés en 2003, que des banques d’investissement (une trentaine aujourd’hui) s’engagent à respecter et, ce faisant, à s’intéresser de près aux conséquences écologiques et sur les droits de l’Homme, des infrastructures qu’elles financent.  Les projets d’infrastructures soutenus par la Banque mondiale ayant été fréquemment pointés du doigt pour leurs effets négatifs sur l’environnement proche, notamment humain, la Banque mondiale a développé une méthodologie d’études d’impacts préalables devenue très exigeantes. Celles qui concernent les grandes retenues d’eau se font désormais sous l’observation vigilante de la Commission mondiale des barrages, une institution indépendante bénéficiant du soutien de la Banque. Dans le cas du barrage Nam Teun 2 en République démocratique populaire lao, par exemple, des programmes d’assistance ont été, à la demande de la France, financés pour permettre aux autorités locales de mettre en place des actions spécifiques visant à réduire la pauvreté. La France a particulièrement insisté sur la nécessité d’assurer un suivi rigoureux de la construction et de l’exploitation de ce barrage.

79. L’Institut de la Banque mondiale a publié en 2005 plusieurs études sur les liens existant entre violations des droits de l’homme, mauvaise gouvernance et faible développement, qui attestent d’une incorporation progressive de la question des droits dans la réflexion stratégique de la Banque.

80. Enfin, un rapport est publié de manière annuelle par le Gouvernement français depuis 1998 pour faire le point sur l’action de la France au sein de la Banque mondiale et du FMI. Ce rapport fait l’objet d’un débat en commission des affaires étrangères et parfois en séances publiques, ce qui permet aux parlementaires français d’évaluer l’engagement de la France en faveur des droits de l’Homme au sein des institutions financières internationales.

Recommandation 33

Diffusion des observations du CIDESC

81. Le site Internet du Ministère des Affaires étrangères, qui comprend une rubrique « Droits de l’Homme » accessible dès la page d’accueil, présente le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et conduit, par liens vers le dernier rapport de la France et les observations que le Comité a formulées à son propos.

82. Les observations faites par le Comité à l’issue de la présentation du deuxième rapport périodique ont été largement diffusées auprès des différentes administrations concernées. Plusieurs des réponses ci-dessus attestent d’une réelle prise en compte par de nombreuses administrations. La préparation du troisième rapport a associé étroitement la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ainsi qu’il est d’un usage strict pour l’ensemble des rapports devant les organes des traités. La sous-commission internationale de la Commission avait consacré plusieurs séances à des échanges avec l’administration sur les orientations qui pourraient être celles de ce rapport ; les propositions que reflète la présente note ont été concertées avec cette sous-commission qui a tenu une séance commune avec d’autres sous-commissions, le 18 décembre 2006.

Deuxième partie :

La lutte contre les situations de précarité et d’exclusion en France, en particulier les difficultés spécifiques des jeunes et des « sans domicile ».

83. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a bien voulu adresser au Gouvernement français, à l’issue de l’examen, en 2001, de son deuxième rapport périodique, trois recommandations qui sont toutes relatives à la lutte contre les situations les plus frappantes de précarité et d’exclusion :

Recommandation 21  : souhait de renseignements sur les résultats de l’application de la loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions ;

Recommandation 28  : recommandation de mesures d’urgence pour s’attaquer à l’insécurité de l’emploi, ainsi qu’au grave problème des suicides liés à cette insécurité ;

Recommandation 31  : souhait d’une attention particulière, en plus des campagnes menées pour aider les sans-abri, surtout durant les mois d’hiver, à la sensibilisation de la population à ce phénomène et à l’élaboration de mesures tendant à traiter le problème non seulement à titre d’urgence mais structurellement.

84. Ces trois recommandations touchent à des sujets à la fois essentiels et complexes que rencontrent aujourd’hui un grand nombre des sociétés des pays industrialisés, particulièrement en Europe. Ils sont au cœur des préoccupations du Gouvernement français, qui a élaboré sur chacun de ces thèmes des politiques concertées et volontaristes cherchant à répondre aux défis de société qu’ils représentent.

85. Cette seconde partie du rapport périodique décrira successivement comment se caractérisent les situations de précarité et d’exclusion en France, quelles sont les causes que l’on peut identifier et les politiques conduites par le gouvernement français pour y remédier, la conclusion étant consacrée à une présentation des premiers résultats qui peuvent être mis en regard des initiatives publiques les plus récentes.

I - DESCRIPTION DES SITUATIONS DE PRÉCARITÉ ET D’EXCLUSION EN FRANCE

86. La France connaît, depuis les années 1970, une montée de la précarité et de l’exclusion. Malgré les politiques publiques déployées et régulièrement révisées, ces phénomènes restent prégnants et continuent d’affecter un nombre non négligeable de Français.. Si le nombre de pauvres reste relativement stable, les écarts se creusent et les personnes démunies restent plus longtemps dans la pauvreté . La vulnérabilité au chômage et à la précarité affecte au premier chef les jeunes, les familles monoparentales, les femmes seules et les personnes vieillissantes, cinq catégories identifiables, mais que relient entre elles des éléments communs, à commencer par une même dynamique d’exclusion.

87. Plusieurs symptômes caractérisent l’existence de phénomènes aggravés de précarité en France aujourd’hui. On en retiendra ici six qui permettront de dresser un bilan sans complaisance de la situation et d’en saisir la complexité : (A) le creusement des inégalités, (B) l’importance et le profil des personnes qui perçoivent des minima sociaux, (C) le développement du phénomène des « travailleurs pauvres », (D) l’importance du chômage pour certaines catégories vulnérables, particulièrement les jeunes, les femmes et les migrants de fraîche date d’origine étrangère venant de certains pays, (E) les difficultés d’accès au logement et (F) le développement du phénomène des sans-abri.

A. Le creusement des inégalités

88.La mesure de l’évolution des inégalités au sein d’une société développée est nécessaire à la compréhension de la pauvreté et de la précarité. Ces inégalités se manifestent dans plusieurs domaines.

89. D’abord les inégalités de revenus . Même si elles ont peu évolué en France, entre 1996 et 2004, elles ont joué un rôle significatif. Le rapport du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERCS) publié en novembre 2006 précise que les individus du décile le plus riche de la population avaient, en 2005, un revenu plus de trois fois supérieur à celui des individus du décile le plus pauvre, et que les accroissements des revenus de ces deux déciles extrêmes avaient progressé plus rapidement que ceux des autres : les plus pauvres avaient donc réduit leur écart avec les classes moyennes, mais les plus riches avaient creusé l’écart par rapport à toutes les autres catégories. Les inégalités de revenus se déclinent, plus précisément, selon la catégorie socioprofessionnelle, la formation, l’âge et la localisation. À cet égard, les agriculteurs et les ouvriers non qualifiés sont sur-représentés dans le décile le plus pauvre par rapport à leur nombre dans la population totale. Il en va de même pour les individus peu diplômés (ils constituent 61,8 % du dernier décile, alors qu’ils ne représentent que 40,6 % de la population totale), les jeunes de moins de 30 ans (10 % du dernier décile et 8,2 % de la population totale) et les individus vivant hors aire urbaine (29,5 % dans le dernier décile par rapport à 24,1 dans la population totale) .

90. Le patrimoine (financier et immobilier) est plus concentré que les revenus et représente une source encore plus importante d’inégalité. En effet, d’après le même rapport du CERCS, les 10 % des ménages les plus riches possédaient près de la moitié (46 %) du patrimoine national, et que, parmi eux, les 1 % les plus riches en détenaient 13 %, alors que les 50 % les moins riches n’en partageaient que 7 %.

91. Le « baromètre des inégalités et de la pauvreté » ou bip 40 permet d’observer qu’à partir de 2004, les écarts de taux de chômage entre cadres et ouvriers d’une part, entre jeunes et plus âgés d’autre part, ont recommencé à augmenter et ont accompagné un gonflement du nombre de bénéficiaires des minima sociaux. Parmi les chômeurs, 34 % sont des chômeurs de longue durée, le taux de chômage des ouvriers étant trois fois supérieur à celui des cadres (en 2003). Enfin, les inégalités sont visibles aussi dans la santé , où l’écart de l’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres était de 8,3 ans en 2003.

92. Les inégalités se ressentent également au niveau du territoire . On observe, en effet, que la proportion de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté est plus importante dans un « croissant nord » de la France (de la Seine-Maritime aux Ardennes) et le long du pourtour méditerranéen. Dans plusieurs domaines, notamment ceux de l’emploi, l’éducation et de la santé, les difficultés sont également plus importantes dans les départements, régions et collectivités d’Outre Mer (DOM, ROM et COM). À titre d’exemple, le nombre de bénéficiaires du Revenu minimum d’Insertion (RMI) est, dans plusieurs DOM/ROM ou COM, très supérieur au nombre de bénéficiaires en métropole . Les inégalités sont plus marquées dans les villes : la proportion des ménages vivant sous le seuil de pauvreté est de 21 % dans les zones urbaines sensibles (ZUS) soit près du double du taux de pauvreté moyen .

93. Les Français sont près de 35 % à percevoir une augmentation de l’injustice dans la société . L’ensemble de ces éléments participe à la montée d’un sentiment de précarité . 93 % des sondés se déclaraient en 2005 préoccupés à titre personnel par la pauvreté, et 90 % par le chômage. 82 % avaient le sentiment que la pauvreté avait augmenté au cours de l’année. Ils étaient 14 % de plus qu’en 2002. La cause citée en premier était le surendettement (79 %), avant le manque de travail (57 %) .

B. L’importance et le profil des bénéficiaires des minima sociaux

94. Dans une société caractérisée par d’importants mécanismes de solidarité publique, la paupérisation d’une partie de la population française peut se mesurer en partie par l’évolution du nombre des bénéficiaires de minima sociaux.

95. Au 31 décembre 2004, 3,4 millions de personnes étaient allocataires d’un des neuf minima sociaux ou du revenu de solidarité (dispositif spécifique aux DOM) . Les principaux et les plus représentatifs sont le RMI, l’Allocation Parent Isolé (API) et l’Allocation pour Adulte Handicapé (AAH).

96.Le RMI, créée en 1988, garantit des ressources minimales à toute personne âgée de plus de 25 ans ou qui a un ou plusieurs enfants à charge. Il est défini par voie réglementaire en tenant compte de la composition du foyer et du nombre de personnes à charge. Son montant est fixé par décret et révisé une fois par an en fonction de l'évolution des prix. Sa création a visé à répondre à la situation des populations démunies de ressources propres, exclues des mécanismes de sécurité sociale et en difficulté d’insertion sociale dans une société où l’accès à l’emploi était devenu plus difficile. Le nombre d’allocataires du RMI, qui s’élevait à 1 276 800 personnes au 31 mars 2006, a augmenté de manière particulièrement marquée au cours des années précédentes : si, en 2002 ce nombre n’avait augmenté que de 1,3 %, il avait cru de 5 % en 2003, et de 8,5 % en 2004. La hausse s’est poursuivie en 2005 à un rythme un peu moins élevé mais toujours soutenu, soit 6,2 % entre septembre 2004 et septembre 2005.

97. Il convient néanmoins d’atténuer ce constat, en observant que ces augmentations trouvent partiellement leur source dans le durcissement des conditions d’indemnisation du chômage décidé pour inciter les demandeurs à adopter une attitude plus active dans la recherche d’un emploi. Depuis le début de l’année 2003 en effet, pour un grand nombre de personnes entrées au chômage à compter de cette date, les durées d’indemnisation ont été réduites et les conditions d’accès aux indemnités chômage sont devenues plus exigeantes. Le nombre de demandeurs d’emploi non indemnisés a augmenté, conséquemment, de 9 % en 2004 , se traduisant par un accroissement arithmétique des bénéficiaires du RMI. 40 % des demandeurs d’emploi étaient bénéficiaires du RMI fin 2005, soit environ 500 000 personnes, alors que 1,2 millions d’entre eux ne percevaient ni indemnisation, ni prestation générale de solidarité.

98. Parallèlement, l’augmentation importante du nombre de bénéficiaires de l’API et l’AAH, permet de cerner les populations plus particulièrement vulnérables. L’API est attribuée sous condition de ressources aux personnes sans conjoint assurant seules la charge d’enfants. Elle est versée par l’État pour une durée limitée. Le nombre de bénéficiaires de l’API est en hausse soutenue depuis sa création. Au 31 décembre 2004, 175.600 personnes en bénéficiaient, soit une hausse de 3,3 % par rapport à l’année précédente . Le nombre de familles monoparentales bénéficiaires du RMI a également connu une hausse importante entre 1994 et 2003, de 53 % (concernant 259 900 de ces familles en 2003), alors que l’effectif total des bénéficiaires du RMI n’augmentait que de 26 % . C’est le signe du fait que les familles monoparentales sont de plus en plus nombreuses et que leurs ressources sont très insuffisantes pour subvenir aux besoins de leurs enfants.

99. Les bénéficiaires de l’AAH sont également en constante évolution depuis les années 1990. Cette allocation, financée par l’État, s’adresse aux personnes handicapées qui ne peuvent prétendre ni à un avantage vieillesse, ni à une rente d'accident du travail. Son montant est réévalué tous les ans. Au premier juillet 2005, l’AAH à taux plein s’élevait à 599,49 euros par mois (montant qui peut être complété jusqu’au total de 766 euros par mois). En 2004, le nombre d’allocataires de l’AAH s’est accru de 2,5 % pour atteindre 760 100 à la fin de l’année . Cette hausse, qui équivaut à la hausse moyenne observée entre 2001 et 2003, révèle les difficultés particulières d’insertion des personnes handicapées et l’augmentation de la précarité qu’elles subissent du fait des emplois peu qualifiés et peu rémunérés qui leur sont proposés. 63,2 % des allocataires perçoivent une AAH à taux plein, ce qui témoigne de l’absence de ressources propres pour un grand nombre des intéressés.

100. L’utilisation croissante des minima sociaux mesure le recours accru aux dispositifs d’assistance et révèle des changements importants dans la société française. Si elle n’implique pas une augmentation symétrique du nombre de personnes en situation de pauvreté monétaire, puisqu’elle illustre pour partie la substitution de ressources d’assistance à d’autres (les indemnités de chômage), elle suggère que les situations de très faibles revenus se sont en partie aggravées entre 2003 et 2005 et, avec elles, les situations de pauvreté et de précarité.

C. Le développement du phénomène des « travailleurs pauvres »

101. Une troisième réalité observée, principalement depuis 2002, est le développement de la pauvreté dans l’emploi, c’est à dire des « travailleurs pauvres ».

102. Cette notion a des allures d’oxymore : les deux termes « emploi » et « pauvreté » semblent, dans les sociétés européennes, antinomiques. L’emploi est supposé être une situation dans laquelle l’individu détient des ressources financières qui lui permettent de vivre et sécuriser sa vie dans le long terme. La pauvreté s’identifie le plus souvent aux inactifs et retraités. Cette perception stéréotypée a retardé l’organisation de l’adaptation de l’accès à certains minima sociaux et la mise en place de politiques répondant au problème.

103. Car il apparaît aujourd’hui que le travail ne protège pas toujours de la pauvreté. Le « travailleur pauvre » existe, qui travaille mais ne peut retirer de son activité des ressources suffisantes pour assurer à son ménage un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté défini à 50 % ou à 60 % du revenu médian . En 2004, le revenu médian s’élevait à 1320 euros par mois, soit un seuil de pauvreté, à 50 %, de 657 euros et, à 60 %, de 788 euros par mois, ce qui correspond à 3,6 millions de personnes pauvres au premier seuil et 6,8 millions de pauvres au deuxième seuil . La pauvreté frappe en particulier les jeunes, les personnes seules, et les familles monoparentales. En 2001, parmi ces personnes pauvres et selon le seuil choisi, respectivement 0,99 million ou 1,97 million étaient des travailleurs pauvres . De plus, si en moyenne le revenu disponible brut par ménage avait augmenté de 1,7% entre 1993 et 2005, le pouvoir d’achat, à l’inverse, avait stagné, un phénomène qui accentue le sentiment de pauvreté au travail .

104. Cette situation recouvre plusieurs cas possibles au regard du marché du travail : une alternance de périodes de travail et de chômage, un travail à temps partiel faiblement rémunéré, ou encore un travail à temps plein rémunéré au SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance).

105. La pauvreté au travail est déterminée par plusieurs facteurs liés. Le risque de pauvreté chez les travailleurs est d’abord déterminé par la situation sur le marché du travail , qui connaît d’importantes évolutions depuis 15 ans, affectant les conditions d’emploi et de rémunération . La recherche de flexibilité par les entreprises incite celles-ci à « ajuster » la main d’œuvre à leur demande, évaluée à court terme, en lui proposant des contrats de travail qui ne sont pas forcément au niveau des besoins élémentaires des ménages  (emplois trop peu payés, à temps partiel ou de durée courte, par exemple) et qui les font entrer dans un processus de paupérisation progressif.

106. L’évolution de la composition des ménages est un second facteur qui peut entraîner des situations de pauvreté au travail : les familles monoparentales et les familles nombreuses sont particulièrement exposées à la pauvreté au travail à l’inverse des ménages dans lesquels il y a deux revenus ou peu d’enfants à charge. Or la France a connu une augmentation marquée du nombre des familles monoparentales au cours des dernières années.

107. Le niveau de formation  est un troisième facteur déterminant la pauvreté au travail: 34 % des « travailleurs pauvres » sont dépourvus de diplôme. Celui-ci ne garantit toutefois pas contre cette forme de précarité : en effet, la part des diplômés du supérieur est passée de 7 % à 9 % parmi les travailleurs pauvres entre 1997 et 2001. Un tiers des travailleurs pauvres étaient des ouvriers en 2001 (33%), alors que 29% des travailleurs pauvres l’étaient en 1997 . Si le chômage connaît une décroissance depuis la fin de l’année 2005, on constate que la tendance au plein-emploi peut être synonyme de précarité. Le plein-emploi d’aujourd’hui ne ressemble plus à celui des « Trente glorieuses » (années de reconstruction qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale). Il se caractérise plutôt par la diversité des contrats, par l’incertitude, par le temps de travail à temps partiel, conséquence de la flexibilité accrue du marché du travail.

108. Enfin, il est utile de noter que le phénomène de la pauvreté au travail est particulièrement ressenti lors de la reprise d’un emploi après une période plus ou moins longue de chômage. La perte des droits connexes liés au statut d’allocataire de minima sociaux (avantages fiscaux, tarification spéciale pour certains services, accès privilégié au parc locatif social, par exemple) conduit à une hausse des dépenses pour les travailleurs, souvent mal prise en compte.

109. Ainsi, les liens entre précarité et activité sont-ils devenus très complexes, l’emploi ne constituant plus toujours une garantie contre la précarité.

D. Le chômage, en particulier chez les jeunes adultes

110. La France alterne, depuis 1998, des périodes de réduction et d’aggravation des situations de chômage. Jusqu’en 2003, le chômage a tendu plutôt à une stabilisation, si ce n’est à une légère baisse, en relation étroite avec la reprise de la croissance économique du pays et avec l’impact des mesures de lutte contre le chômage. Après le début de l’année 2003, la situation s’est dégradée pour atteindre un niveau proche des 10 % de la population active. Depuis le début de l’année 2006, la situation française se caractérise par une diminution du nombre de chômeurs, dont le nombre est passé sous les 9 % de la population active en septembre.

111. Une identification des populations plus vulnérables au chômage permet de comprendre les différentes formes de précarité que revêt la société française aujourd’hui au regard de ce facteur.

112. Le chômage frappe tout d’abord les jeunes  : 22 % des 18-29 ans qui ne sont plus scolarisés sont au chômage, un taux plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale. Sachant que les jeunes sans enfants n’ont pas accès aux minima sociaux avant 26 ans, un nombre important d’entre eux commence sa vie adulte en connaissant la pauvreté due à l’inactivité. Ce qui était autrefois une transition courte, des études à l’emploi, est devenu un parcours plus long marqué par de multiples incertitudes, jalonné de stages ou d’emplois temporaires. En effet, si la majorité des jeunes occupe un contrat à durée indéterminée, 21 % d’entre eux exercent un emploi temporaire .

113. Si, depuis 1998, une volonté gouvernementale de promotion de l’insertion professionnelle des jeunes s’exprime, ces derniers ont longtemps été laissés dans un entre-deux des politiques sociales, oubliés par les politiques de la famille et très peu pris en compte par les politiques redistributives. Or, alors que les familles sont aidées lorsqu’elles ont des jeunes enfants, les transferts dont elles disposent diminuent quand, devenus adultes, ces derniers demeurent à charge et sous leur toit, car connaissant fréquemment des problèmes de logement.

114. Cette évolution résulte aussi de l’allongement général de la durée des études. Le diplôme est considéré en France comme une valeur indispensable pour l’insertion sociale et professionnelle (espérée) des jeunes. Si un diplôme élevé n’est pas la garantie d’un emploi stable, il assure un risque moindre de connaître le chômage. Les jeunes ayant un niveau bac+2 sont respectivement 68 % à avoir un emploi à durée indéterminée tandis que les non diplômés ne sont que 43 % . L’insertion professionnelle des jeunes diplômés est toutefois aujourd’hui plus difficile puisque 40 % des diplômés du troisième cycle ont commencé par un emploi temporaire. Mais 63 % des non-diplômés sont dans ce cas, signe de l’intérêt maintenu de la formation initiale .

115. Les jeunes sans diplôme rencontrent, en effet, des difficultés plus importantes . Alors que certains contrats temporaires offerts aux diplômés sont en fait des périodes d’essais qui servent de tremplin vers un emploi durable, les mêmes contrats, occupés par les moins ou non diplômés, caractérisent une insécurité de l’emploi durable, notamment lorsqu’il ne leur est proposé que des contrats à durée déterminée (CDD).

116. Un autre aspect du chômage des jeunes est sa concentration dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS). 40 % des jeunes résidents en ZUS sont touchés par le chômage, soit un taux plus de quatre fois supérieur au taux de chômage général, bien qu’ils bénéficient moins des dispositifs d’insertion . Aux écarts selon l’âge s’ajoutent donc ceux liés au lieu d’habitation .

117. Ce décalage s’explique par les effets de la ségrégation urbaine. Les « quartiers » périphériques à forte concentration de pauvreté ont connu, à partir des années 80, le départ massif des couches moyennes, étant perçus de plus en plus comme des lieux de concentration des difficultés sociales et de faible attractivité économique. On y trouve aujourd’hui des populations connaissant des difficultés importantes pour obtenir un emploi. Nous y reviendrons.

E. Les difficultés d’accès au logement

118.La « crise du logement » que connaît aujourd’hui la France est très différente de celle qui était apparue après la Seconde Guerre mondiale. La caractérisent principalement une inadéquation entre l’offre et la demande de logement, et une hausse exacerbée des loyers. La concentration croissante de l’activité économique sur les métropoles provoque, depuis une dizaine d’années, une inflation considérable des prix du foncier (des taux annuels parfois supérieurs à 10 %) qui renforce la précarité des ménages à revenus réduits. Les collectivités publiques, à qui incombe une responsabilité légale en matière de construction de logement social, se trouvent handicapées par cette explosion des prix des terrains à bâtir qui obère d’autant leur budget de construction.

119. Cette crise du logement se décompose en plusieurs composantes : insuffisance quantitative du logement social, « mal logement » et insalubrité.

120.Il existait en France 4 258 362 logements sociaux au 1er janvier 2004. Sur l’ensemble des ménages vivant en France, 17,6 % sont locataires dans le secteur social. Ce pourcentage est plus élevé pour les ménages immigrés : 30,1 % d’entre eux occupent un logement social. L’enquête sur le logement de l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) de 2002 a évalué la demande annuelle non satisfaite de logement social à 1 300 000. Or l’offre annuellement disponible, n’est que de 433 000 logements (en 2004). En d’autres termes, seule une demande sur trois peut être satisfaite chaque année. Le programme de construction et de transformation budgété sur les cinq prochaines années, pourtant important, de 800 000 logements, ne suffira pas pour combler le déficit. Selon la Fondation Abbé Pierre, l’État, les collectivités locales et les partenaires sociaux dépensaient 1,95 % du PIB pour l’habitat social, taux en diminution par rapport à 2000 (2,07 %) qui s’explique par l’accroissement corrélatif d’autres types de dépenses sociales.

121.Le « mal-logement » concernait environ 3 millions de Français en 2001 .Il s’agit principalement des ménages pauvres, obligés de se contenter de logements inadaptés à leur taille et de faible confort, du fait de l’insuffisance de leurs revenus et ce malgré les prestations sociales qu’ils perçoivent. De plus en plus de ménages se tournent vers des proches pour être hébergés : près d’un million de personnes étaient dans cette situation en 2002, 50 000 de plus qu’en 1996, dont 150 000 à 300 000 dans des conditions très précaires. Les dispositions de la loi de 1948 qui avaient gelé, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les prix des loyers, permettant à de nombreux ménages modestes de se maintenir dans des quartiers devenus très onéreux, sont pratiquement devenues obsolètes avec le décès ou le départ en maisons de retraite des bénéficiaires. Le budget consacré au logement occupe désormais une part considérable des revenus des ménages modestes, même si des aides publiques existent (6 millions de ménages reçoivent une Aide Personnalisée au Logement -APL). Selon une étude, « la valeur moyenne au mètre carré des loyers des personnes pauvres a augmenté plus vite depuis le début des années 1970 que celle des ménages dont le revenu est au point médian. (…) Les loyers des ménages pauvres sont aujourd’hui en moyenne plus élevés de 20 % que ceux des ménages des classes moyennes ». Conséquence du coût devenu inaccessible du logement pour les plus pauvres, 16 % des personnes hébergées dans les centres d’urgence ont un emploi fixe ou précaire.

122.De nouvelles catégories de populations sont affectées par les difficultés d’accès au logement, notamment les salariés qui connaissent une fragilisation professionnelle, les jeunes ainsi que les populations étrangères ou issues de l’immigration. Ces dernières connaissent une double difficulté car elles sont parfois aussi victimes de discriminations de fait, bien qu’interdites par la loi, dans l’accès au logement. L’émergence de « quartiers » d’exclusion sociale ajoute une dimension spatiale au « mal logement » : la spécialisation des espaces est subie, alors qu’elle accentue la précarité et l’exclusion.

123.L’insalubrité est une autre caractéristique de la situation française au regard du logement, même si les conditions de confort s’accroissent et le surpeuplement diminue depuis plusieurs années. La loi de 1948 précitée avait eu des effets pervers importants qui ne sont pas encore résorbés : leurs revenus étant gelés, les propriétaires s’étaient souvent refusés à entreprendre tout aménagement, y compris pour une mise aux normes sanitaires et de sécurité. Il y aurait, de ce fait entre 400 000 et 600 000 logements insalubres en France, hors hôtels meublés et habitat précaire, occupés par des ménages pauvres qui n’ont pas pu trouver d’autre solution : 44 % des occupants sont des personnes isolées et 40 % des ménages âgés.

124.Le sentiment de précarité que provoque cette « crise du logement » social se traduit par le fait que, « pour un Français sur trois, la pauvreté, c’est ne pas avoir de logement ».

F. Le phénomène des « sans-domicile »

125. La population des « sans domiciles » (ou « sans-abri ») est particulièrement difficile à évaluer puisqu’elle se caractérise par l’errance et l’isolement. . Pour ses études statistiques, l’INSEE considère qu’une personne « sans-domicile » est une personne qui a passé la nuit précédente dans un centre d’hébergement ou dans un lieu non prévu pour l’habitation. Dans son étude de 2001 portant sur les populations fréquentant les services d’hébergement ou les distributions de repas chauds, l’INSEE retient le nombre de 86 000 personnes « sans-domicile » sur 93 000 personnes fréquentant les services en une semaine. Cette estimation exclut les situations de logement difficile, les « sans-domicile » qui ne fréquentent pas les services d’hébergement et de repas, ainsi que ceux qui habitent dans des agglomérations de moins de 20 000 habitants . D’autres estimations estiment le nombre de « sans-domicile » entre 300 000 et 800 000 personnes.

126. Le 115, numéro national d’urgence gratuit pour les « sans-abri » qui traite plus de 1,2 million de cas chaque année, évalue ainsi à plus des deux tiers les appels concernant des demandes d’hébergement. Dans les grandes villes, où la plupart des sans-domcile se concentrent, du fait des ressources en abris de fortune qu’offre l’urbanisme des mégapoles, les hébergements provisoires qui leur sont destinés en hiver ne suffisent pas,  malgré une forte augmentation des dispositifs d’accueil. Entre avril 2002 et avril 2006, en région parisienne, le dispositif d’accueil est passé de 17 211 à 26 642 places, toutes structures confondues (hébergements d’urgence, centres d’hébergement et de réinsertion sociale, centres d’accueil pour les demandeurs d’asile et chambres d’hôtels) . Au niveau national, le dispositif d’accueil est constitué d’environ 95 000 places. Le plan hiver 2006-2007 prévoyait la création de 4 273 places en plus qui devraient, à terme, être pérennisées à l’année.

127. La situation des « sans-abri » représente une exclusion extrême qui touche l’ensemble de la vie de l’individu. Les profils des sans-domicile révèlent des situations très différentes . Ces personnes ont connu généralement une désocialisation progressive au cours de laquelle elles ont perdu leurs repères et leurs codes sociaux. D’autres deviennent « SDF » du jour au lendemain suite à un choc : rupture conjugale ou familiale, perte d’emploi, accident de santé, etc. Les plus nombreux sont dans la rue avec l’espoir d’en sortir. D’autres affirment avoir choisi la rue, leur marginalisation revendiquée leur évitant de subir certaines contraintes de la vie sociale. . Ils ne recherchent ni aide ni réinsertion. Leur marginalisation est présentée comme un acte individuel et politique, posé en signe de rejet de la société dans laquelle ils vivent, posture plus ou moins sincère qui renvoie au difficile sujet de savoir si cette intériorisation de leur condition n’est pas d’abord un signe de leur situation de victime : ce sont un patron failli qui estime avoir été victime d’un manque de compréhension, un mari (ou une femme) divorcé privé de la garde de ses enfants, une mère célibataire, un ancien détenu, un vieillard en perte de repères, etc.

128. Certaines catégories de personnes sont plus touchées que d’autres. Aux hommes citadins, jeunes ou âgés, s’ajoutent les étrangers, les femmes seules et les familles monoparentales. Des associations telles que les Restos du Cœur remarquent, en effet, la présence de plus en plus fréquente de jeunes mères seules avec leurs enfants, de jeunes de moins de 26 ans qui ne peuvent pas encore avoir accès au Revenu Minimum d’Insertion, et de personnes âgées dont la retraite ne suffit plus pour payer des loyers qui explosent d’année en année. Elles constatent la tendance nouvelle des « sans-domicile » à se regrouper non plus à deux ou trois, mais en groupes de plus de douze personnes au sein desquels se recréent une certaine sociabilité et des codes propres. Ces regroupements, figeant les situations de marginalisation, compliquent la tâche des organismes en charge de la réinsertion de ces personnes.

129. Même lorsque les « sans-domicile » déclarent avoir choisi la rue, les pouvoirs publics ne peuvent se désintéresser de ces personnes car elles sont souvent frappées par la maladie. Selon l’étude de 2001 de l’INSEE, 16 % des personnes « sans-domicile » s’estiment en mauvaise santé, contre 3 % des personnes ayant un logement personnel. Une personne sans domicile sur dix souffrirait de maladies respiratoires, de séquelles d’un accident ou d’une maladie grave. Ce cumul des vulnérabilités accroît les difficultés des politiques publiques qui doivent associer aux actions d’urgence des programmes d’aide et de réinsertion pluridimensionnels.

130. Spectaculaire, le phénomène des « sans-domicile », population errante et vivant aux marges d’une société d’abondance, est un révélateur intéressant des dysfonctionnements de la société urbaine. Ce miroir favorise aussi une prise de conscience de la part de l’ensemble de la population. Pendant l’été 2006, l’attention de la presse s’est concentrée, à Paris, à la fois sur les problèmes que posaient les campements de « sans-domicile », à qui une association avait procuré des tentes, sur les berges de la Seine, lieu où la municipalité avait choisi d’élargir l’espace de loisir proposé aux populations moyennes et pauvres qui n’ont pas la possibilité de partir en vacances, et d’autre part sur la vulnérabilité de ces personnes à la canicule, du fait de leur mauvais état de santé. La question a rebondi au début de l’hiver suivant, un groupe de personnes ayant décidé de proposer aux Parisiens de venir partager les tentes des « sans abri », en signe de solidarité et de protestation contre l’insuffisance des réponses publiques au problème. Ce miroir peut aussi être déformant en ce qu’il tend à focaliser l’attention sur les problèmes d’hébergement alors que les questions posées sont beaucoup plus complexes.

II - COMMENT LA MONTÉE DE LA PRÉCARITÉ S’EXPLIQUE-T-ELLE EN FRANCE ?

131.Après le constat, et avant de présenter les politiques publiques conduites pour répondre aux problèmes identifiés, il convient d’analyser les causes de la montée de la précarité et des exclusions, seuls de bons diagnostics pouvant fonder des thérapies efficientes.

132. On distinguera des causes générales concernant l’ensemble de la société et des causes plus particulières à certaines catégories.

A - Des causes générales, internationales et nationales

133.La mondialisation de l’économie produit des effets sociaux indéniables, positifs et négatifs qui méritent d’être observés dans le cas français. Le modèle social français et le système éducatif, dans ce contexte, rencontrent certaines difficultés de réaction et d’adaptation.

1.Les effets de la globalisation

134 À l’heure de la mondialisation, toutes sortes d’acteurs extérieurs jouent désormais un rôle dans la vie économique nationale.

135. Les entreprises multinationales disposent d’un pouvoir croissant, maîtrisant, à travers les échanges intra-groupes, une part importante du commerce mondial, évaluée entre un et deux tiers de celui-ci.

136. La mondialisation organise une distribution internationale du travail entre les pays, en application de la loi de Ricardo, maximisant en théorie les avantages comparatifs de chacun. Ce principe produit des laissés-pour-compte et pousse au renforcement des compétitivités relatives. Les effets sur le marché du travail sont importants, tout particulièrement pour les emplois industriels et agricoles dont les produits sont soumis à une concurrence de plus en plus grande. Une pression à la baisse s’exerce sur les salaires dans ces secteurs, accrue par la menace des délocalisations.

137.Le phénomène des délocalisations n’est pas nouveau en France. Dès les années 1980 et 1990, des délocalisations ont touché massivement les secteurs industriels de la sidérurgie, du charbon, de l’armement naval et du textile, jetant certaines régions dans des crises profondes dont les aides structurelles à la reconversion de l’Union européenne n’ont pas toujours réussi à les tirer : les taux de chômage des régions Lorraine et Nord-Pas de Calais, sont, pour cette raison, supérieurs à la moyenne nationale, bien que des mises à la retraite anticipées aient été organisées en grand nombre.

138. Les délocalisations se sont poursuivies ces dernières années dans un nombre élargi de secteurs. Elles concernent les activités à faible intensité technologique qui requièrent le plus souvent peu de qualification. Dans le secteur industriel, se produit, après celle du textile et de l’électronique, une délocalisation d’une partie de la métallurgie et de la plasturgie vers les pays d’Europe centrale et orientale, de plus en plus d’entreprises déplaçant certains de leurs sites dans des pays en développement ou les pays d’Europe dont la main d’œuvre est meilleur marché.

139. Une nouvelle vague menace : l’accès d’un certain nombre de NPI à un niveau de recherche élevé risque d’affecter à son tour les secteurs industriel et tertiaire , à forte composante de recherche, qui se pensaient jusque là préservés. Le rapport annuel 2005 de la Conférence des Nations Unis pour le Commerce et le Développement (CNUCED) estime « qu’il existe des raisons fondamentales pour que l’internationalisation de la recherche-développement vers les pays en développement se poursuive ». Déjà, plus de la moitié des entreprises multinationales ont délocalisé une partie de leur recherche-développement en Chine, en Inde ou à Singapour. La mondialisation a donné naissance à un modèle de répartition géographique des activités assez complexe : les entreprises s’organisent en réseaux internationaux et recherchent des partenaires et des sous-traitants au niveau mondial .

140. Les délocalisations ont des conséquences économiques importantes pour les pays et régions qui les subissent, entraînant tout d’abord souvent des pertes d’emplois. Elles sont fréquemment citées comme l’une des explications de la persistance d’un chômage structurel, frappant des personnes déjà mûres et peu formées qu’il est difficile de reconvertir, a fortiori dans des zones déprimées. Elles se traduisent aussi par le gonflement des prestations sociales compensatoires : compléments à des préretraites insuffisantes, aides sociales diverses, allocations de chômage qui grèvent les budgets sociaux et limitent les marges de manœuvre des pouvoirs publics pour des politiques plus offensives.

141. Les délocalisations industrielles et de services exercent d’autre part un effet psychologique important. Elles renforcent le sentiment d’insécurité devant l’emploi . D’après une enquête ‘CSA - L’Expansion - France Inter’ d’octobre 2004, 88 % des Français estiment que la délocalisation des entreprises françaises est un phénomène « grave », et 70 % qu’il sera « durable ». Or le pessimisme est un élément qui fait obstacle à l’investissement.

142. Tandis que les économies nordiques, également touchées, semblent avoir réussi globalement à concilier des politiques sociales avec le maintien d’un taux élevé d’emploi, la France connaît un bilan moins satisfaisant. L’impact des délocalisations y est, en fait, difficilement mesurable. Sur les vingt dernières années, la mondialisation des échanges aurait détruit quelque 300.000 emplois . La Fondation Européenne pour l’Amélioration des Conditions de Vie et de Travail a recensé, pour le deuxième trimestre 2004, 163 restructurations ayant conduit à prés de 60.000 licenciements contre 16 000 créations d’emplois . Sur les 3 718 emplois délocalisés en France entre 2002 et 2004, les télécommunications et la métallurgie avaient été les plus concernées. Les délocalisations se traduisent surtout par des pertes d’emplois peu qualifiés : « 1,3 million d’emplois de production concrète perdus, alors qu’augmentaient les emplois de conception, gestion et marketing (0,9 m), les emplois dans l’industrie, dont une bonne partie pour l’industrie, (0,7), les emplois dans les services collectifs (1,3)  ».

143. Ce constat pessimiste doit être atténué dans la mesure où « la majorité des IDE [investissements directs à l’étranger] sortant de France sont effectués à destination d’autres pays développés dans le but de soutenir les exportations de produits manufacturés dans des secteurs créateurs nets d’emplois en France  ». La France est relativement bien dotée en secteurs qui échappent structurellement à la délocalisation   : « activités exigeant une culture très occidentale et une connaissance de nos habitudes de vie (marketing-publicité, métiers d’art), services de proximité (fonction publique, bâtiment, entretien, hôtellerie, restauration et tourisme), économie solidaire (près de 2 millions d’emplois), agriculture et élevage, marques de luxe mondialement connues », et services de proximité aux personnes appelés à se développer avec l’allongement moyen de la durée de vie. « Les dix secteurs industriels qui ont le plus investi à l’étranger ont créé 100 000 emplois en France entre 1997 et 2000 . »

144. La mondialisation, à laquelle les industriels réagissent par une recherche de productivité plus intense, exerce un autre effet sur le marché du travail, l’accroissement des exigences en matière de diplôme, avec corrélativement une fragilisation de ceux qui n’en ont pas . Les travailleurs peu qualifiés connaissent un chômage en moyenne deux à trois fois plus élevé que les qualifiés et subissent une baisse relative de leur rémunération . L’évolution des techniques de production conduit aussi les entreprises à sélectionner leurs salariés en ayant le souci de pouvoir en faire un usage pluriel et flexible. D’où un appel à des personnels de plus en plus qualifiés – même si c’est pour peu faire usage de leurs compétences.

145. Les entreprises s’adaptent d’autre part aux transformations économiques qui s’opèrent dans le monde par une production à flux tendus soucieuse de réduire les stocks au minimum et de répondre aux commandes le plus vite possible, ce qui se traduit par des méthodes de production accentuant la flexibilité des travailleurs . Les entreprises modulent le volume de travail pour faire face aux fluctuations temporelles de la demande qui connaît des variations imprévisibles, qu’elles soient dans le mois, dans la semaine ou bien dans la journée. Par conséquent, selon les secteurs d’activité et les types d’entreprises, l’emploi présente des caractéristiques différentes et de fortes disparités entre salariés. Dans de nombreuses activités de services, la prestation fournie étant d’une durée faible ne peut garantir ni emploi à temps plein ni sur une longue durée. La flexibilité du volume du travail est obtenue soit en interne, par des contrats à durée déterminée, des contrats d’intérims ou à temps partiels, soit en externe par la sous-traitance.

146.Les disparités en matière de stabilité de l’emploi sont importantes et ont tendance à s’accroître et se différencier selon les catégories : non qualifiés ou qualifiés, jeunes ou plus expérimentés. La précarisation des emplois touche plus particulièrement les populations déjà vulnérables, c’est à dire les femmes et les jeunes adultes. Dans l’espoir de ne pas perdre leur emploi, ces personnes acceptent toutes sortes d’emplois et n’importe quelles conditions de travail pour autant qu’elles assurent leur survie.

2.La diminution du pouvoir économique et social des États

147.Un autre effet de la mondialisation, qu’encadrent certaines règles comme celles édictées par l’OMC, c’est la limitation des pouvoirs d’intervention des États sur l’économie, à travers des éléments qui ont forgé leur souveraineté historique, comme les droits de douanes et les contrôles de capitaux, mais aussi des instruments plus récents comme la politique industrielle.

148. La réduction de la souveraineté de l’État français en matière d’intervention économique s’explique aussi par son appartenance à l’Union européenne, notamment depuis la ratification du Pacte de Stabilité et de Croissance lors du Conseil Européen d’Amsterdam, en juin 1997.

149. Deux volets caractérisent ce Pacte. D’abord, un volet préventif organise la surveillance des positions budgétaires des Etats membres ainsi que la coordination de leurs politiques économiques. Ensuite, un volet correctif vise à mettre en œuvre une « procédure de déficit excessif » si le déficit budgétaire d’un Etat membre vient à dépasser un seuil de référence fixé à 3 % du produit intérieur brut. Le Pacte de Stabilité et de Croissance répond à une logique de discipline budgétaire qui vise à limiter le risque de comportement « free rider », dans l’objectif que l’Union européenne puisse réagir avec efficacité à un choc réel extérieur et d’assurer la solvabilité monétaire des pays membres.

150. Le Pacte n’a pas jusqu’ici produit tous les effets souhaités. Les performances économiques de la zone euro ont souvent été médiocres malgré un environnement international favorable. En quinze ans (1990/2004), le poids relatif de la zone euro a baissé de 16 % par rapport aux Etats-Unis et de 9 % par rapport au Royaume-Uni . De manière générale, la zone euro a conjugué un rythme de croissance économique faible, un taux d’inflation comparable et un taux de chômage globalement supérieur à ceux de ses partenaires internationaux (environ 9 % dans la zone euro). Des voix s’élèvent pour regretter que la rigidité du Pacte ne permette pas aux pays membres de profiter de la situation économique extérieure afin d’accumuler des marges de réserve, ni d’augmenter le déficit budgétaire d’un pays pour relancer la croissance.

151. Au vu des insuffisances constatées, que se soit dans son volet préventif ou correctif, et des difficultés rencontrées par certains membres pour atteindre les objectifs budgétaires, le Pacte a été légèrement réformé à la demande du Conseil Européen de mars 2005. Les modifications apportées sont, en particulier, la possibilité d’une différenciation des objectifs budgétaires à moyen terme pour prendre en compte la diversité des situations économiques et budgétaires des pays membres et le renforcement du volet correctif pour mieux considérer les réalités d’une Union élargie à vingt-cinq États membres . Il reste que la politique économique et sociale de la France est désormais limitée par les obligations d’équilibre budgétaire et relatives à sa dette extérieure qu’emporte son appartenance à la zone euro.

3.La faiblesse structurelle de la croissance

152. La relation insuffisamment active entre croissance et emploi est l’une des explications que fournit classiquement la science économique à l’existence du chômage de masse. La corrélation entre les deux phénomènes a pu être étudiée dès les années 70, lorsque la croissance de la France, très dynamique au cours des « Trente glorieuses », a été ralentie par les chocs pétroliers de 1973 et 1979. Le nouveau rythme de croissance n’a plus suffi à absorber celui de la population active. Le marché s’est détérioré progressivement, ce qui s’est traduit par une instabilité et une insécurité accrues de l’emploi, touchant à la fois les salariés et ceux qui recherchent des emplois.

153 . Depuis les années 80, le taux de croissance demeurant faible, la difficulté de résorber le chômage se pérennise, avec de faibles fluctuations  : le taux de sortie du chômage a atteint son minimum en 1993-1994, quand le taux de croissance du PIB affichait des taux négatifs ; la tendance s’est inversée entre 1997 et 2001 avec la reprise ; les deux courbes sont ensuite reparties à la baisse ; le taux de sortie du chômage est de nouveau en hausse depuis janvier 2006, conséquence partielle d’un mieux être de l’économie européenne.

154. La relation est toutefois complexe : le CERCS (Conseil de l’Emploi, des Revenus, de la Cohésion sociale) signale ainsi une hausse de l’instabilité après 1997, due au fait que des salariés qualifiés qui avaient accepté des emplois inférieurs à leur niveau de compétence ont profité de la reprise de la croissance pour rechercher des emplois correspondants à leurs espérances, pesant ainsi sur le marché de l’emploi. Il faut compter aussi avec l’effet peu stimulant sur le taux de sortie du chômage, malgré les réformes en cours, de certains mécanismes d’assurance chômage. Ces éléments, ajoutés au fait que le rythme de croissance reste faible, expliquent que le nombre de chômeurs de longue durée reste important en France .

4.La ségrégation urbaine, facteur d’exclusion

155.Le paysage urbain français a été marqué, dans les années 1950-1970, par l’apparition de grands ensembles urbains à la périphérie des grandes villes, dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre, de l’éradication des « bidons-villes », puis d’un effort particulier de logement de familles d’immigrés accueillies pour compenser le déficit de main d’œuvre. Cette organisation spatiale, conçue à l’origine comme un facteur de modernité, s’est muée en un instrument pernicieux de ségrégation sociale aux effets négatifs pour les populations recluses dans ces « quartiers ».

156. Imaginée au lendemain de la Guerre par l’architecte Le Corbusier, concepteur des « Cités radieuses » , et ses disciples de l’École d’Athènes, la politique des grands ensembles a concouru à une formidable amélioration des conditions globales d’hygiène de l’habitat en France : 39 % des logements n’avaient aucun élément de confort au début des années 1970, chiffre descendu à 2,6 % en 2002 . Comme on le verra, très tôt l’État a cherché à répondre au grave défit que représentait le dévoiement de l’utopie des « villes nouvelles ». Si les résultats n’ont pas été à la hauteur des efforts, le choix politique consensuel d’une libéralisation progressive du marché immobilier et la décentralisation, développée à partir de 1982 (la part du logement dans le budget de l’État est ainsi passée de 5,2 % en 1984 à 2,8 % en 2004 ) y ont joué, avec l’évolution des goûts de la classe moyenne, un rôle clé.

157.La construction de ces grands ensembles s’inspirait, à leur origine, très largement de théories urbanistiques novatrices. Celles-ci proposaient la construction de villes verticales supposées plus fonctionnelles et propices aux rencontres. Les grands ensembles ont été conçus à partir de ce concept. Les architectes construisaient alors dans un contexte de croissance économique et démographique accélérée.

158. D’autre part, les urbanistes et édiles des années 60 étaient guidés par le souci, plus spécifiquement français, d’éviter l’engorgement des centres villes, planifiant à cette fin un développement urbain qui se voulait pluripolaire. Plutôt qu’un système radial, ils concevaient des réseaux polycentriques dans lesquels chaque grand ensemble devait devenir à son tour une ville , grâce à l’association d’emplois, de services publics, de commerces et de centres de loisirs (les Maisons de la Culture lancées par André Malraux). Ces « villes nouvelles » reposaient sur un modèle volontariste qui a trouvé deux limites : le ralentissement de la croissance, et donc de l’emploi, et la mutation des goûts des classes moyennes qui ont plébiscité les habitats pavillonnaires.

159. Les grands ensembles, peinant à intégrer toutes les fonctions espérées d’une ville, et d’abord des emplois diversifiés, sont peu à peu devenus des « cités dortoirs » que délaissèrent d’abord les jeunes cadres puis les classes moyennes. Les premiers travaux scientifiques, initiés autour de Paul-Henri Chombart de Lauwe s’interrogeaient, dès les années 60, sur la possibilité d’une vie sociale dans cet habitat collectif. Les enquêtes sociologiques et psychologiques recensaient déjà la tendance à une forte homogénéité démographique, sociale et professionnelle porteuse de repli identitaire, culturel, ainsi que des problèmes d’alcoolisme et de fatigue physique et nerveuse.

160. La détérioration de l’image des grands ensembles s’est poursuivie dans les années 70, lorsque la politique d’immigration a permis la venue des familles des travailleurs immigrés. Les grands ensembles, délaissés par les classes moyennes, sont devenus le lieu d’implantation en masse par excellence des familles pauvres et immigrées . Les difficultés face à l’emploi ont aggravé la situation. Dans le même temps, les grandes opérations de réhabilitation des quartiers centraux anciens conduites sous l’égide du Ministère de la culture ont modifié radicalement l‘image de ces derniers, qui est devenue très positive, poussant les classes moyennes et supérieures à revenir au cœur des villes. Un véritable engouement pour la maison individuelle moderne a touché d’autres part l’ensemble des classes moyennes, encouragé par la politique du crédit immobilier aidé. De nouveaux quartiers périphériques sont apparus, mais purement pavillonnaires, résidentiels et socialement homogènes. Dans les années 90, le phénomène de l’accession à la propriété s’est amplifié au bénéfice de la classe moyenne, facilité par la baisse des taux d’intérêts (jusqu’à être négatifs) et l’allongement des prêts qui a permis aux ménages de s’endetter jusqu’à 25 – 30 ans. Le parc locatif privé a diminué en conséquence : il s’est réduit de 900 000 logements entre 1978 et 1988 .

161.Les grands ensembles périphériques, où se maintient l’essentiel du parc locatif social, abandonnés par la classe moyenne, sont devenus les archétypes urbains de l’exclusion, tout au moins de la ségrégation visible. Ils subissent aussi une dégradation physique : d’une part les sociétés en charge de l’habitat social doivent faire face à des problèmes croissants de recouvrement des loyers du fait que se concentrent dans leurs immeubles les populations les plus pauvres ; d’autre part, la norme spatiale conçue pour les familles autochtones s’avère inadaptée pour des familles souvent nombreuses issues de la migration, ce qui amène une sur-utilisation des appartements et une occupation spontanée non prévue et agressive des espaces communs.

162. Alors que tous, dans ces grands ensembles, ne sont pas exclus et que tous les exclus ne sont pas rassemblés dans ces quartiers, la représentation exagérée dont ils sont victimes produit à son tour une forte distanciation sociale : habiter dans tels lieux est un handicap dans la recherche d’emploi. La question de la sécurité, ajoutée à ces représentations, légitime les effets de ségrégation. Les « émeutes des banlieues » de novembre 2005 ont généralisé un sentiment d’inquiétude cristallisé dans des quartiers désormais synonymes d’insécurité, accélérant la marginalisation sociale de leurs habitants et leur rupture avec le « monde extérieur ». Les contradictions s’approfondissent entre les pratiques sociales, les représentations que les gens ont d’eux-mêmes, et l’espace qu’ils habitent. Le phénomène que les sociologues appellent « prophétie auto-réalisatrice » se produit : les habitants sont tellement influencés par l’image que l’extérieur a d’eux-mêmes, qu’ils reproduisent ces représentations et ces stéréotypes, même si elles ne sont pas en adéquation avec ce qu’elles sont réellement. L’adresse portée sur le curriculum vitae est vécue comme stigmatisante.

163. Les possibilités de mobilité spatiale des habitants sont, du fait d’un manque de ressources financières, très réduites, compte tenu de la « crise du logement », particulièrement en centre-ville. L’écart se creuse entre le loyer moyen des ZUS et le loyer moyen du secteur locatif privé. Selon l’enquête trimestrielle des loyers et charges de l’INSEE, ce dernier était presque deux fois supérieur au loyer des ZUS au 1er janvier 2005. . L’absence de mobilité résidentielle entraîne une certaine spécialisation sociale des ZUS  : certains parlent d’une « ghettoïsation » de ces quartiers. Chez les jeunes, la « prophétie auto-réalisatrice » se traduit par une sous-estimation de leurs capacités, une appréhension du chômage comme un fatalisme. Une culture spécifique aux quartiers traduit notamment le développement d’une socialisation propre construite par emprunts et de codes sociaux qui traduisent les difficultés et les discriminations subies.

164. « Les populations les plus fragiles ont tendance à rester dans ces quartiers alors que les trajectoires sociales ascendantes s’accompagnent le plus souvent d’un départ des zones urbaines sensibles » . L’immobilisme résidentiel s’étend ainsi à un immobilisme social. La population de ces types d‘habitat connaît un taux de chômage plus de deux fois supérieur au taux de chômage national , des difficultés scolaires et une moindre proportion de diplômés . Les liens entre logement, espace et situation professionnelle forment un cercle vicieux, et la situation sociale et professionnelle de l’individu se dégrade.

165. La sur-représentation du chômage et de la précarité dans les ZUS s’explique partiellement par l’existence de cette ségrégation spatiale.

5.L’inadaptation de l’école à une société plus diverse

166.Le chômage et la précarité reflètent un problème de fond qui ne débute pas avec la fin des études, à 16 ou 25 ans. L’insertion dans la vie active et le choix de ses conditions dépendent aussi des moyens donnés en amont pour réussir. L’importance de l’échec scolaire en France apparaît aujourd’hui comme l’un des obstacles importants à l’insertion professionnelle future et comme une des causes de précarité et d’exclusion.

167. En 2005, 150 000 jeunes de 15 à 24 ans sont sortis de l’école sans la moindre qualification professionnelle ni diplôme d’enseignement général. Ils étaient 15 % à ne pas maîtriser les compétences de base et 10 % à éprouver des difficultés graves en lecture . Ces problèmes concernent le plus souvent des élèves issus de classes sociales défavorisées. La prise de conscience de l’importance de l’échec scolaire mesuré en fin de scolarité obligatoire est relativement récente . Longtemps considéré comme de la seule responsabilité de l’élève, il est perçu aujourd’hui comme concernant directement le système éducatif lui-même. L’identité nationale s’était pour partie bâtie sur le mythe de l’école « creuset républicain » assurant l’accès égalitaire de tous à « l’ascenseur social ». Le premier successeur du Général de Gaulle à la présidence de la Vème République, Georges Pompidou, fils d’instituteurs de province, reçu à l’un des plus hauts concours de la fonction publique, avait fourni l’un des héros du mythe.

168. Le sociologue Pierre Bourdieu avait pourtant, très tôt, identifié l’existence d’une corrélation entre échec scolaire et milieu social, appelant à la mise en œuvre de politiques volontaristes pour compenser les handicaps sociaux : l’absence d’héritage relatif aux savoirs-faire intellectuels, alors que ces derniers sont omniprésents et essentiels dans les attentes institutionnelles, lui apparaissait comme un facteur explicatif essentiel du fait que si peu d’enfants d’ouvriers et agriculteurs accédaient aux études et aux emplois supérieurs. Les façons d’instruire et les références culturelles de l’élite demeuraient identiques à ce qu’elles étaient quand seule une infime minorité était scolarisée, alors que, depuis les années 60, la « baby-boom generation » avait provoqué une massification de l’enseignement.

169. Un second élément d’analyse est l’inadéquation d’une partie des formations dispensées dans les cursus scolaires dits professionnels aux besoins des entreprises . Selon l’enquête emploi de l’INSEE de 2003, cinq ans environ après la sortie de la formation initiale, les jeunes titulaires du CAP (Certificat d’Aptitude Professionnelle) ou du BEP (Brevet d’État Professionnel) sont deux fois plus nombreux à subir le chômage que les diplômés du supérieur. Entre 1975 et 2003, le taux de chômage des titulaires du CAP, BEP et Baccalauréat est passé de 8 % à 17 %, avec un sommet à 26 % en 1997, et celui des élèves sortis sans diplôme de 10 à plus de 35 % quand, au cours de la même période, celui des diplômés du supérieur n’augmentait que de 4 à 10 %. C’est vers les filières « professionnelles » que sont orientés, très tôt, les enfants en échec scolaire. Le système s’avère donc une machine à produire une triple exclusion : culturelle (non-accès à la dimension théorique de la connaissance), sociale (orientation vers des métiers peu considérés) et économique (le chômage).

170.Le « modèle républicain » de l’école, synonyme d’égalité des chances s’avère, en réalité, exclusif.

171.De plus, les enfants d’origine étrangère, venant de certains pays et appartenant à des milieux défavorisés, subissent encore plus vivement ses défauts. Faute de statistiques officielles par origines ethniques, qui sont interdites par la Constitution française, les chercheurs agrègent, pour appréhender les effets ségrégatifs du système scolaire français, plusieurs types de données : celles relatives aux résultats scolaires des étrangers et celles des personnes habitant dans des quartiers défavorisés, sachant que ce sont, pour une bonne partie, les mêmes. Mesurés lors de l’entrée en classe de 6ème, lors des épreuves nationales d’évaluation, les écarts de résultats entre les élèves étrangers et français sont de 6 points en mathématiques et de 9 points en français.

172.Dans son rapport 2005, le Haut Conseil à l’Intégration démontre, toutefois, que ce n’est pas la nationalité proprement dite qui influe sur la réussite , mais l’expérience personnelle de la migration et les conditions socio-économiques de vie. À condition sociale égale, les élèves d’origine immigrée réussissent aussi bien que les élèves français. Certes, la naissance et la scolarisation à l’étranger peuvent contrarier le bon déroulement de la scolarité, surtout dans le cycle primaire, mais, lorsque les familles immigrées sont économiquement défavorisées, elles ne peuvent surmonter ce handicap social, que l’école française n’est pas organisée pour dépasser. Une étude de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance du Ministère de l’éducation nationale (DEPP) a constaté que les élèves d’origine étrangère cumulent souvent un retard dans la maîtrise de la langue française et sont sur-représentés dans des filières spécialisées destinées aux personnes ayant des déficiences scolaires. Une dynamique pernicieuse s’exerce entre plusieurs facteurs : l’implantation résidentielle, l’absence de mobilité et le choix de l’établissement scolaire.

173.Les informations disponibles sur les enfants d’étrangers sont extrapolables à tous les enfants souffrant de handicaps sociaux et culturels. Le système scolaire français, bien que l’objet de politiques spécifiques, telles la mise en place de Zones d’Education Prioritaire, ne parvient pas à corriger suffisamment les inégalités sociales et économiques profondes.

174.La forte concentration des personnes défavorisées dans des quartiers périphériques de plus en plus homogènes empêche en outre le brassage social nécessaire à l’intégration que l’école publique a vocation à organiser. L’absence de mixité sociale dans les établissements scolaires a des effets cumulatifs négatifs en termes d’apprentissage et de réussite scolaire. Cette situation est aggravée par l’existence d’une offre d’écoles privées (subventionnées) non soumises au respect de la «carte scolaire », où les familles de classes moyennes et supérieures préfèrent souvent mettre leurs enfants plutôt que dans des établissements publics où les élèves issus des milieux défavorisés sont en surnombre. Cette situation produit un cercle vicieux qui accroît l’effet « ghetto » de certaines écoles publiques. Les politiques publiques menées pour rompre ce cercle vicieux ne produisent encore que des résultats modestes.

175.Le système éducatif n’empêche pas la reproduction des situations sociales héritées et ne parvient pas à endiguer la précarité et l’exclusion. Même si certains non diplômés savent trouver une place dans le monde du travail et s’intégrer socialement, l’absence de diplôme constitue un risque social réel que l’école n’arrive pas à minimiser. La prise de conscience est récente, mais particulièrement forte aujourd’hui en France, car c’est le modèle historique de la République intégratrice par l’Ecole qui se trouve, par ces constats profondément secoué. Le sujet est aujourd’hui au cœur du débat public.

B - Les facteurs explicatifs propres à certaines populations

176. On distinguera le chômage des jeunes adultes, leur mal-être, les discriminations et les causes qui poussent à devenir une personne « sans-domicile ».

1. Le chômage des jeunes adultes

177. Les jeunes adultes français sont une population plus particulièrement vulnérable sur le marché du travail. Ils y occupent une position particulière : taux de chômage élevé, part importante d’emplois de très courtes durées, phénomènes de déclassement etc. Plusieurs éléments permettent d’éclaircir les raisons de cette vulnérabilité.

178. Il a déjà été signalé que l’un des phénomènes propres aux jeunes sur le marché du travail est l’effet de déclassement qu’ils connaissent. En période durable de pénurie d’emploi, les entreprises choisissent les candidats plus diplômés que ce que les postes requièrent . Ce déclassement exerce un effet d’éviction sur les moins diplômés, et, conséquemment, leur taux d’emploi sur-réagit à l’évolution de l’activité économique : ils ne trouvent d’emploi que si les plus diplômés qu’eux les délaissent, en phase donc de redémarrage de l’économie .

179. D’autre part, les jeunes subissent plus que leurs aînés les transformations juridiques de l’emploi, dont les formes sont beaucoup plus nombreuses qu’auparavant. L’emploi est en effet en perpétuelle mutation depuis une vingtaine d’années, ce qui se traduit notamment par la création de nombreux types de contrats pour répondre aux besoins des entreprises et activer le marché du travail. Si le contrat à durée indéterminée (CDI) reste encore la norme, d’autres types de contrats foisonnent depuis le début des années 1980, comme le contrat à durée déterminée (CDD), le contrat d’intérim, le contrat à temps partiel etc. Des contrats spécifiques ont souvent été créés pour inciter les entreprises à embaucher des personnes issues de publics plus vulnérables, en particulier les chômeurs de longue durée et les jeunes. Ces innovations juridiques contribuent au fait que deux tiers des jeunes débutent avec un emploi précaire, et que la moitié est payée au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) développant ainsi la précarisation et l’exclusion, et ce d’autant plus qu’elles restreignent les perspectives de progression professionnelle et d’ascension sociale.

180. La difficile insertion des jeunes sur le marché du travail s’explique d’autre part par la faiblesse des formations professionnalisantes proposées dans les établissements universitaires, où l’enseignement demeure très théorique.

181.À ces problèmes de type structurel s’ajoute celui de la représentation de la jeunesse dans le reste de la société. En France, le passage à l’emploi pour les jeunes adultes est traditionnellement considéré comme le moment de la pleine intégration sociale. Or la représentation sociale des jeunes rend, aujourd’hui, ce passage particulièrement difficile. Selon différentes enquêtes, au lieu d’être considéré comme un élément dynamique et motivant pour l’économie et la société, le jeune adulte est souvent perçu comme un être non achevé qu’il faut encore former et à qui il est préférable de ne pas confier des responsabilités importantes.

182.Cette perception particulière de la jeunesse en France résulte de son histoire. Depuis la fin des années 60, les jeunes sont envisagés comme une population fragile, emprunte de sentiments révolutionnaires qu’elle sait faire entendre, prompte à manifester et à faire grève. Le refus véhément du « Contrat Première Embauche », au printemps 2006, à mis en valeur l’incompréhension qui règne entre les jeunes et les pouvoirs publics. Les politique publiques d’aide à l’emploi des jeunes, censées correspondre aux besoins de flexibilité des entreprises, peuvent également être perçues par leurs destinataires comme une confirmation du fait que l’embauche d’un jeune est risquée et coûteuse et une dévalorisation de leur image dans la société.

183.Les jeunes rencontrent donc en France, sur le marché du travail, des difficultés qui sont la projection des problèmes généraux de l’emploi, mais qui sont aussi liés à une représentation culturelle peu favorable.

2.« Le mal-être » des jeunes

184.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels s’est préoccupé de l’augmentation du taux de suicide des populations en âge de travailler, en laquelle il a vu une conséquence de la montée de l’insécurité de l’emploi. Il convient tout d’abord de préciser que, d’après l’étude de la DREES, de mai 2006 se rapportant au suicide et aux tentatives de suicide, le taux global de suicide a légèrement baissé depuis 1993. La situation reste toutefois préoccupante etil est pertinent de vérifier les liens possibles entre les difficultés rencontrées sur le marché du travail, telles que la perte d’un emploi ou l’insécurité récurrente face à l’emploi, et le passage à l’acte du suicide.

185.Alors que ce dernier était jusque là considéré comme un acte éminemment personnel, le sociologue Émile Durkheim a identifié le fait qu’il pouvait avoir aussi des causes sociales. Son analyse multi-variables a montré que les chiffres du suicide étaient fonction des milieux sociaux, notamment familiaux, professionnels, politiques et confessionnels. De façon générale, Durkheim a démontré le lien entre le suicide et la détérioration du lien social qui se développe au fur et à mesure qu’un pays s’enrichit, lorsque se révèlent des affrontements et des perturbations de l’ordre collectif plus intenses. Cette analyse est aujourd’hui largement reconnue.

186.Dans les sociétés modernes, le travail est la base de l’intégration sociale de l’individu. C’est principalement dans la sphère professionnelle que la socialisation d’un individu se renforce puisqu’elle donne à l’individu les moyens financiers de s’implanter géographiquement mais aussi socialement. Avec la montée de l’insécurité de l’emploi, notamment l’apparition d’emplois précaires, la situation sociale de l’individu se détériore. Pour certains, l’emploi, lorsqu’il vient à manquer ou à être instable, n’est plus un moyen de reconnaissance, ni de socialisation mais est producteur d’une tension permanente. Il se crée un processus de désocialisation qui conduit l’individu à perdre ses repères, pouvant conduire au suicide.

187.Le suicide est, en France, un phénomène qui touche l’ensemble de la population, notamment depuis les années 1975, période où le chômage de masse est apparu. C’est la première cause de mortalité chez les jeunes. La première étude réalisée par le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales des décès dénombrait, en 2003, 10.664 décès par suicide, soit 2 % des décès survenus en France métropolitaine : 7 943 étaient masculins et 2 721 féminins. S’il n’existe pas de statistique sur les suicides liés au travail, des études s’accordent à lier certains suicides au monde du travail.  Certaines professions sont plus vulnérables, celles où l’on affronte la violence et la mort. La crainte des restructurations, du licenciement ou la concurrence exacerbée entre les salariés est un autre facteur. Certaines études tendent à établir que, dans un contexte de chômage de masse, à chaque fois que celui-ci augmente de 1 % on constate une hausse des suicides de 4 à 5 %. Face à un avenir professionnel assombri, la famille ne pouvant pas toujours faire face à cette situation, le suicide devient alors l’ultime étape.

188.La précarité de l’emploi n’est, évidemment pas la seule raison d’un phénomène dont les causes plurielles sont soulignées par les spécialistes. On peut imputer aux problèmes spécifiques de logement rencontrés par les jeunes une autre part d’explication : on a vu que le parc privé de logement a eu tendance à se restreindre depuis les années 1970 ; s’y ajoutent des exigences croissantes en matière de garanties de loueurs placés dans la position confortable de pouvoir choisir leurs preneurs ; il s’ensuit, pour les jeunes, et tout particulièrement pour les plus précaires, des difficultés importantes pour trouver un logement qui les poussent soit au « Tanguyisme », soit à la vie de SDF, soit au suicide, et, dans tous les cas, à un certain mal-être.

3.Les discriminations

189. Bien que strictement interdites par la loi, plusieurs discriminations jouent de fait en défaveur de certaines populations. La France a présenté en février 2005, après l’avoir profondément actualisé, son quinzième rapport périodique au CERD, et a remis, en avril 2006, son sixième rapport périodique au Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). On pourra trouver utilement dans ces documents d’importants développements sur la situation au regard des deux types de discriminations ainsi que sur les politiques menées avec volontarisme pour y remédier. On s’en tiendra ici à quelques informations sommaires.

190. La discrimination sexuelle se manifeste dans l’accessibilité à un emploi. En 2001, 29,7 % des jeunes femmes de 15-24 ans ayant quitté l’école étaient au chômage, soit près de 50 % de plus que les jeunes hommes . 31 % de la population active féminine connaissaient le temps partiel et ce, sans l’avoir majoritairement choisi : 36 % des femmes travaillant à temps partiel déclaraient vouloir travailler à temps plein . Toutefois, l’amélioration des conditions de la femme sur le marché du travail est continue, ce que démontre le resserrement des trajectoires professionnelles entre les hommes et les femmes.

191. Bien que les discriminations à l’égard des étrangers et immigrés récents soient, elles aussi, illégales, un sondage réalisé par la Direction de la Population et des Migrations en 2005 révélait que 58 % des directions des ressources humaines d’entreprises françaises admettaient ne pas souhaiter embaucher de travailleurs étrangers. 50 % des jeunes étrangers hors Union européenne se trouvaient au chômage en 2004, soit deux fois plus que les nationaux . Si le taux de réussite des jeunes issus de l’immigration est comparable à celui des Français de même niveau social, ce constat ne se vérifie, en conséquence, pas sur le marché du travail . Par exemple, les détenteurs d’un diplôme de baccalauréat ou plus d’origine algérienne connaissent le chômage dans 32 % des cas alors que la moyenne se situe à 15 % . Autre constat : 50 % des jeunes étrangers qui ont un bac+4 occupent des postes destinés à des bac+1 .

192. Les discriminations sont donc une source de la précarité qui affecte plus particulièrement les femmes et les personnes d’origine étrangère, d’autant plus difficile à surmonter qu’elle s’enracine dans des comportements d’évitement sournois.

4.Les causes qui poussent à devenir un « sans-domicile »

193. Le phénomène des « sans-domicile » dans les grandes villes françaises n’est pas nouveau. Antérieurement, la société française a connu les « clochards », les « mendiants » et les « vagabonds ». Toute société comprend une frange désocialisée qui fait partie de l’extrême pauvreté. La nouveauté est que le phénomène, comme on l’a vu, atteint une dimension considérable, une visibilité accrue par le partage d’espaces revendiqués pour d’autres usages, et devient intolérable pour le reste de la société française du fait de l’image obsédante de précarité qu’il lui renvoie.

194. Car, en effet, l’analyse des différentes composantes de la population « sans-domicile » révèle une sorte de condensé de l’ensemble de la société, nulle catégorie sociale n’étant absente . Les raisons qui amènent un ancien cadre et un jeune non qualifié à habiter la rue sont, évidemment différentes, mais toutes ont une commune racine qui est la fragilisation des statuts professionnels et sociaux.

195.Au-delà de ce dénominateur commun, l’examen des principaux mécanismes qui conduisent à la situation de « sans-domicile » permet de discerner des politiques de prévention et de réinsertion possibles, mais aussi leurs limites. Les « sans-domicile » ne sont plus seulement, on l’a vu, des hommes mûrs sans emploi, mais aussi des jeunes, des familles avec enfant et des personnes très âgées.

196. Tout d’abord, une personne déjà très pauvre peut être conduite à la rue parce que ses ressources financières ne lui permettent plus de payer des loyers qui sont de plus en plus chers, payés à des propriétaires qui exigent des garanties, comme par exemple de disposer d’un emploi stable. 20 % des ménages les plus pauvres vivent dans une résidence sur-occupée . D’où, le fait que le phénomène des « sans-domicile » est un écho à d’autres problèmes tels que la crise du logement, le chômage, l’insuffisante qualification des diplômes . Conjugués, ces problèmes conduisent les populations, vulnérables à l’origine, à basculer dans la situation d’extrême pauvreté.

197. Aux causes économiques et institutionnelles, s’ajoutent d’autres de nature sociologique et psychologique, qui peuvent concerner des personnes qui ont précédemment appartenu à des classes sociales plus aisées. Les personnes qui vivent dans la rue n’y sont pas toujours seulement du fait de leur pauvreté au sens propre : leur situation peut aussi résulter d’une brutale évolution de leur situation affective (ménages brutalement dissous dans un contexte de cherté du marché immobilier et de pénurie d’habitat social alors que le lien familial plus large est distendu) ou sociale (licenciement, fin de revenus compensatoires), du fait de problèmes psychiatriques, d’addiction aux drogues, en raison de situations administratives inextricables comme celles des personnes non admissibles au droit d’asile mais qui ne peuvent être expulsées et à qui la loi interdit de prendre un emploi, etc. Elles ont glissé brutalement ou peu à peu vers l’état de « sans abri » faute de dispositifs sociaux adaptés à leurs besoins qui les auraient aidés au moment opportun. Elles s’inventent parfois leur propre société de secours mutuel en s’organisant en petits collectifs d’entraide. Ceux-ci recréent certains repères et codes sociaux, s’approprient une partie de la rue dont ils deviennent un élément d’animation. .

198. Le phénomène des « sans-domicile » apparaît d’une certaine façon comme le révélateur de la complexité des problèmes sociaux d’un pays développé aujourd’hui . La grande exclusion relève en partie de l’histoire personnelle de chacun, mais est également un phénomène qui illustre les difficultés profondes d’une société dans son ensemble.

199. Le développement et la persistance de formes de précarité en France trouvent au total leur origine dans une multiplicité de facteurs. Certains tiennent à des contraintes extérieures de plus en plus prégnantes, d'autres à des composantes sociologiques, voire psycho-sociologiques, et d'autres à des éléments conjoncturels. Les réponses devant être apportées à ces différents facteurs sont par nature très diverses, et surtout ne sont pas susceptibles de produire des effets dans les mêmes séquences de temps : ainsi les facteurs sociologiques déjà identifiés dans les années soixante par Pierre Bourdieu relèvent-ils de la transformation de longue période des sociétés.

III. LES POLITIQUES GOUVERNEMENTALES DE LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE, LA PRÉCARITÉ ET L’EXCLUSION EN FRANCE

200. C'est en ayant en tête ces difficultés et cette complexité que le gouvernement français a entrepris de conduire, sous forme de plans d'actions à composantes multiples et régulièrement remis à jour, des programmes s'attachant à traiter chacune des causes identifiées.

201. En France de nombreux acteurs s’efforcent depuis longtemps de connaître et comprendre les phénomènes de précarité pour permettre à l’Etat d’élaborer des politiques susceptibles de relever le défi que représentent des évolutions en contradiction avec le pacte républicain assurant à tous « Liberté, Égalité et Fraternité ». Le caractère interactif et complexe des causes du chômage et de la précarité a conduit à la mobilisation d’un grand nombre d’administrations, qui se traduit par une étroite coopération entre ministères, sous la férule de comités interministériels régulièrement réunis. La « Loi d’Orientation Relative à la Lutte Contre les Exclusions » et le « Programme de Cohésion Sociale » sont significatifs, parmi les plus récentes initiatives, de la volonté de l’État français à la fois de traiter en profondeur les problèmes en assumant ses responsabilités et d’y associer les partenaires sociaux et le tissu associatif.

202. Chômage, précarité et exclusion font l’objet de politiques à la fois anciennes et régulièrement renouvelées en fonction des indicateurs de résultat. Elles s’attachent à traiter en premier lieu les causes structurelles de la précarité et de l’exclusion, dans la limite des marges de manœuvre permises, d’une part par une société qui a fait le choix du libéralisme économique tempéré par un « modèle social », d’autre part par les contraintes externes que représentent tant les règles européennes que la libéralisation concertée du commerce international. Ces politiques s’intéressent aussi à certains publics cibles, en particulier, les personnes âgées, les chômeurs de longue durée et les jeunes , prenant en compte leurs difficultés spécifiques et dans le souci de les doter du « capital social » leur permettant de se réinsérer dans la société de bien-être et de progrès que la France s’efforce de construire depuis plus de deux cents ans.

203. La dernière partie de la présente synthèse présentera ces politiques, insistant sur les plus récentes. Dans un premier temps, seront présentées les politiques gouvernementales visant les causes structurelles des inégalités sociales et dans un second temps celles relatives à la lutte contre la précarité et les exclusions qui affectent certains publics particuliers.

A. Les mesures traitant des causes structurelles des inégalités

204. Les contraintes spécifiques d’un marché de l’emploi de plus en plus libéralisé ont amené à la production de plusieurs réformes des mécanismes d’assistance au retour à l’emploi pour les chômeurs, assorties du développement d’expériences importantes associant le secteur privé. D’autre part le phénomène d’urbanisation rapide qui s’est produit dans la seconde partie du XXe siècle ayant été, on l’a vu, en dépit des stratégies de planification, un facteur structurant de l’exclusion sociale et économique, des politiques actives de « requalification » des espaces urbains discriminants ont été mises en œuvre. Enfin, l’analyse du rôle affaibli de l’école comme acteur de l’intégration quand, au contraire, on attendait beaucoup plus des « maîtres d’école », a conduit à l’élaboration de réformes importantes combinées avec une multiplication d’expériences innovantes visant à répondre à la diversité des situations.

1.Les politiques gouvernementales incitatives pour l’emploi, plus particulièrement des jeune s

205.Souci majeur des gouvernements successifs depuis la fin des « Trente Glorieuses », accru au fur et à mesure qu’apparaissaient, dans ce domaine, des poches d’exclusion, l’emploi fait l’objet de politiques publiques régulièrement réévaluées et réorientées, mobilisant un grand nombre d’administrations, et plus récemment la société civile. Ces politiques sont désormais ciblées principalement en direction des jeunes, des chômeurs de longue durée et des personnes âgées. On rappellera ici les principales, incluses dans le Plan Emploi Jeunes de 1997, puis dans le Plan National Pour l’Emploi de 1998, pour s’attacher ensuite à présenter les initiatives plus récentes : Plan de Cohésion Sociale portant réforme du Service Public de l’Emploi (2005) et volet emploi de la Loi de Programmation pour la Cohésion Sociale (2005).

a) Le Plan Emplois-Jeunes (1997)

206. L’emploi des jeunes a été très tôt l’un des objectifs prioritaires du gouvernement français. Un Plan emplois-jeunes a été conçu et mis en œuvre dès l’automne 1997. Son objectif était de favoriser l’emploi des jeunes en soutenant financièrement pendant une certaine durée l’employeur. Il proposait aux jeunes de 18 à 26 ans des contrats à durée déterminée de cinq ans dans des secteurs considérés comme prioritaires , dont les besoins apparaissaient émergents ou en forte demande : secteurs culturel, sportif, environnemental, des services de proximité tels que la sécurité ou les transports, etc. L’Etat prenait en charge le salaire du jeune embauché à hauteur de 80 % du SMIC. L’objectif annoncé était de faciliter l’embauche de 350 000 jeunes, diplômés ou non, en trois ans. Le bilan établi en 2002 a identifié 280 000 emplois-jeunes créés depuis la mise en place du Plan, soit 80 % de ce qui était espéré.

207. C’est surtout le tissu associatif qui a bénéficié des emplois-jeunes, avec 190 000 embauches . Ce secteur étant traditionnellement assez pauvre en France, la « sortie » du Plan a été parfois difficile, une bonne partie des emplois n’ayant pu être pérennisée au-delà des cinq ans. Certaines administrations ont, elles aussi, bénéficié des emplois-jeunes, telle l’Education nationale qui a embauché dans ces conditions 67 282 jeunes en quatre ans, principalement des aides-éducateurs et des animateurs de soutien scolaire. La police a pu aussi recruter 20 000 jeunes, répondant à un fort besoin dans le cadre de la « police de proximité ». Après quelques incertitudes, la pérennisation de ces emplois a, pour l’essentiel, pu être assurée.

208. Le secteur de l’environnement a représenté le troisième secteur créateur d’emplois-jeunes : 12 000 embauches identifiées en 1999, principalement dans les collectivités territoriales, en particulier pour la collecte sélective de déchets, l’éducation à l’environnement et l’entretien d’espaces naturels . Les emplois proposés ont concerné surtout une majorité d’hommes jeunes en difficulté, de niveau peu qualifié, titulaires de CAP et de BEP (premier degré de l’enseignement secondaire). Les résultats du dispositif des emplois-jeunes ont donc été tangibles dans les secteurs public et associatif .

209.En revanche le volet du Plan Emplois-Jeunes consacré au secteur lucratif privé n’a pas véritablement fonctionné. Ce dispositif a connu des résultats mitigés qui ont conduit à plusieurs adaptations successives puis à la mise en œuvre d’autres mécanismes plus adaptés aux caractéristiques du secteur privé et qui élargissaient les possibilités d’embauche des jeunes.

b) Le Plan National d’Actions pour l’Emploi : une stratégie coordonnée pour l’emploi depuis 1998

210.Le Conseil européen de Luxembourg de novembre 1997 a arrêté la décision d’engager une démarche nouvelle et ambitieuse en faveur du développement de l’emploi et de la lutte contre le chômage en Europe. Cette convergence de vue entre tous les pays membres de l’Union européenne attestait du fait que le problème de l’emploi avait acquis, dans le cadre de la mondialisation économique et sociale, une dimension dépassant non seulement les limites des Etats, mais également les capacités de ceux-ci à y répondre seuls. Un principe de « surveillance multilatérale » et d’évaluation a été développé dans ce cadre, assorti de pratiques d’échanges pour identifier les bonnes conduites. Le Conseil de Lisbonne a, en mars 2000,confirmé cette orientation européenne, en définissant une « Stratégie de Lisbonne » avec des objectifs chiffrés : d’ici à 2010 devait se vérifier un relèvement du taux d’emploi des actifs à 70 %, du taux d’emploi des travailleurs âgés de 55 à 64ans à 50 % et du taux d’emploi des femmes à 60 %. ; l’un des moyens serait le renforcement de l’effort d’investissement consacré à la recherche et au développement pour atteindre 3 % du PIB. La Stratégie de Lisbonne visait à faire de l’Europe, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». Depuis son lancement, les objectifs ont été renforcés, notamment lors du Conseil européen de Göteborg de 2001 qui a ajouté l’environnement en tant que troisième volet de la stratégie. L’Union européenne s’est ainsi dotée d’une stratégie intégrée et volontariste, fondée sur trois piliers (économique, social et environnemental), en faveur de la compétitivité et de la croissance dans une perspective de développement durable.

211.Cette volonté européenne affirmée a conduit chaque gouvernement à définir des plans d’action pour redynamiser l’emploi. La France l’a fait tout d’abord avec le Plan National d’Actions pour l’Emploi (PNAE) adopté en 1998. Ce Plan est la matrice pluriannuelle, périodiquement remise à jour, dans laquelle se fabrique l’ensemble des modalités de la politique française de lutte contre le chômage, y compris celui des jeunes. La France a décliné, dans ce cadre, une stratégie globale construite autour de trois axes étroitement coordonnés : l’ambition d’une croissance plus forte et plus durable qui génèrerait davantage d’emplois au sein d’une économie à très forte productivité du travail, et qui profiterait à toutes les catégories socioprofessionnelles, aux deux sexes et à toutes les générations.

212.Le Conseil européen de Nice, sous la présidence française en 2001, a souhaité renforcer les objectifs de Lisbonne. Le nouveau PNAE élaboré conséquemment par la France associe de nombreuses administrations et particulièrement les Ministères de l’Emploi et de la Solidarité, de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, et de l’Education nationale, ainsi que les Secrétariats d’Etat aux Droits des Femmes et à la Formation Professionnelle, mais aussi un certain nombre des partenaires sociaux français, les collectivités territoriales et des professionnels privés. Ce PNAE 2001 ajoute aux objectifs de ses prédécesseurs celui de la prévention contre l’exclusion, avec une meilleure prise en compte des difficultés de certaines catégories de personnes, jeunes sans qualification en particulier.

213.Le Plan National d’Actions pour l’Emploi portant sur la période 2006/2010 vise en outre à améliorer le taux d’emploi des seniors, l’un des plus faibles en Europe. Depuis la fin des années 90, on a, en effet, constaté en France une éviction du marché du travail des travailleurs âgés de plus de 50 ans, suite notamment aux plans sociaux liés à des reconversions industrielles et des délocalisations. Cette évolution néfaste pour une économie de plus en plus fondée sur la connaissance a amené les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à réagir. Le nouveau PNAE précise les dispositions de l’accord signé, à ce sujet, en octobre 2005 entre le gouvernement français et les partenaires sociaux. Inscrit dans la durée, le Plan s’attache à lutter contre les facteurs qui excluent les seniors, à favoriser leur employabilité et à sécuriser leurs parcours professionnels.

c) Le Plan de Cohésion sociale portant réforme du Service Public de l’Emploi (2005)

214.Le service public de l’emploi est organisé en France principalement autour de trois organismes : l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE), l’Union Nationale pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce (UNEDIC) et les Associations pour l’Emploi dans l’Industrie et le Commerce (ASSEDIC). L’ANPE, créée par ordonnance en juillet 1967, est une institution étatique qui organise l’intervention publique sur le marché du travail à travers la prospection des emplois et le placement des demandeurs d’emploi. L’UNEDIC et l’ASSEDIC sont deux organismes privés issus d’un accord national interprofessionnel organisant un système d’assurance chômage et le soutien financier des chômeurs, qui ont été créés sous l’impulsion du Général de Gaulle, en 1958, dans l’idée de pallier les conséquences les plus graves du chômage sur la vie des individus. Depuis la Loi de Programmation pour la Cohésion Sociale de janvier 2005, ces deux organismes sont devenus des éléments du Service Public de l’Emploi.

215.La faible coordination entre l’ANPE, l’UNEDIC et les ASSEDIC, trois acteurs du retour à l’emploi dont les politiques pouvaient parfois être contradictoires (une forte indemnisation au titre de l’assurance chômage s’avérant, par exemple dissuasive pour le retour à l’emploi), auxquels s’étaient ajoutées de multiples initiatives locales, notamment dans le cadre de la Politique de la Ville (Régies de Quartier, Missions pour l’Emploi, etc.), a été mise en corrélation avec la persistance d’un chômage élevé depuis deux décennies en France. Le Gouvernement français a, conséquemment, et non sans difficulté, décidé de réformer profondément le service public de l’emploi afin de l’adapter à l’évolution du monde du travail et aux besoins des demandeurs d’emploi.

216.Cette réforme a fait partie du Plan de Cohésion sociale défini par la loi du 18 janvier 2005. Deux priorités la caractérisent. D’une part, la création de guichets uniques avec la mise en place de « Maisons de l’Emploi » formées par association entre les institutions étatiques, les collectivités territoriales et différents autres organismes. D’autre part un meilleur ciblage des bassins d’emploi, en regroupant tous les acteurs de l’emploi et veillant à leur bonne coordination et cohérence d’action. Ces guichets uniques de proximité sont progressivement mis à la disposition des demandeurs d’emploi. Fin 2006, 200 « Maisons de l’Emploi » sont opérationnelles.L’objectif est d’en créer, d’ici à la fin 2007, 300 autres.

217. L’obligation pour l’Etat, l’ANPE, l’UNEDIC, les ASSEDIC et l’AFPA de conclure des conventions pluriannuelles vise à l’amélioration de la coordination de leurs interventions. Fonctionnellement, la coordination s’organise désormais sous plusieurs formes :

- L’examen de la situation des nouvelles demandes d’emploi par l’UNEDIC et l’ANPE doit s’effectuer, depuis le 1 er juillet 2006, dans un délai de 8 jours maximum, l’objectif étant d’accélérer l’élaboration d’un «  Projet Personnalisé de Retour à l’Emploi  » proposé à chaque demandeur.

- Un dossier unique du demandeur d’emploi est constitué, auquel ont accès les principaux acteurs du service public de l’emploi, optimisant les échanges de renseignements entre les organismes.

- Une structure commune à l’ANPE et l’UNEDIC permet l’intégration de leurs systèmes d’information et leur rapprochement territorial .

218. Par ailleurs, l’ANPE mobilise, depuis 2002, d’autres moyens d’actions avec les Contrats Aidés, la signature d’accords et de convention avec des entreprises, notamment publiques telles que la SNCF et l’agence d’intérim Adecco. En juin 2006, le quatrième « Contrat de progrès » de l’ANPE signé avec l’État a défini la base financière de ce projet.

d) Le volet emploi de la Loi de Programmation pour la Cohésion sociale (2005) et le troisième Plan emploi

219.Promulguée le 18 janvier 2005, la Loi de Programmation pour la Cohésion sociale visait à accroître la cohérence des politiques dans tous les domaines où la cohésion sociale peut être améliorée : logement et égalité des chances devant l’emploi en particulier. Avec un budget de 12,7 milliards d’euros sur 5 ans (2005-2009), la loi s’articule autour de vingt programmes d’actions.

220.Les principales initiatives apportées par ce plan sont : un accompagnement « renforcé » vers l’emploi pour 800 000 jeunes en difficulté, par le biais d’incitations fiscales pour les employeurs ; l’amélioration de la rémunération et du statut de l’apprenti ; pour les chômeurs, des aides à la création de micro-entreprises ; un « contrat d’avenir » destiné aux allocataires des minima sociaux qui conjuguent temps de travail et de formation ; des « conventions de reclassement personnalisé » pour les salariés licenciés pour motif économique leur permettant de bénéficier pendant huit mois d’un ensemble de mesures facilitant le reclassement accéléré ; des contrats aidés (contrat d’avenir et contrat d’accompagnement) proposés aux entreprises ; un soutien au développement des emplois de services à la personne, avec l’objectif de parvenir à créer 500 000 emplois en trois ans dans ce secteur porteur ; le développement de la formation en alternance à travers l’apprentissage étendu aux grandes écoles.

221.Cette loi se conjugue avec le développement du programme Trajet d’Accès à l’Emploi (TRACE) défini par l’article 5 de la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Le programme a pour objectif l’insertion professionnelle des jeunes en grande difficulté âgés de 16 à 25 ans, formés et suivis pendant une durée de 18 mois maximum dans la perspective de les conduire à un emploi stable. Il a été étendu aux jeunes en grande précarité ne fréquentant pas ou peu les Missions Locales, ni les Permanences d’Accueil d’Insertion et d’Orientation. Dans la seule région parisienne, 3 539 jeunes, soit 59,47 % des entrées, avaient bénéficié avec succès de ce programme entre 1999 et 2003, les sorties en emplois durables représentant environ 37 % du total. Ce programme est peu à peu remplacé par le Contrat d’Insertion dans la Vie Sociale (CIVIS) dont les modalités sont similaires (suivi personnalisé et contrat en alternance ou formation professionnalisante).

222.Au 31 août 2006, un troisième « Plan-Emploi » a été présenté dans le cadre d’un renforcement d’une dynamique vertueuse de l’emploi. Les nouvelles mesures concernent les populations les plus vulnérables. Aux jeunes issus des quartiers sensibles sont proposés des stages rémunérés assortis d’un tuteur, et une aide à la recherche d’emploi réalisée par des intervenants privés. Ce « plan-emploi » s’adresse aussi aux chômeurs de très longue durée, bénéficiant de l’allocation spécifique de solidarité depuis plus de deux ans. D’autres mesures novatrices caractérisent ce troisième plan, notamment une exonération des cotisations de Sécurité sociale au niveau du SMIC pour les entreprises de moins de 20 salariés et l’aménagement de 50.000 « actions préparatoires au recrutement » menées dans des entreprises pour les chômeurs non indemnisés, d’une durée maximale de formation de 3 mois.

e) L’engagement nouveau des entreprises en faveur de l’emploi et contre les discriminations raciales

223.Aucune mesure de soutien public ne peut être efficace sans l’engagement corollaire des entreprises. Celles-ci jouent un rôle essentiel dans la réduction des exclusions sur le marché du travail. Elles sont l’un des vecteurs les plus importants de l’intégration et du maintien de la cohésion sociale. Les pouvoirs publics ont souhaité lancer une dynamique grâce à une campagne de sensibilisation des entreprises à l’importance de l’embauche des jeunes, notamment ceux des quartiers périphériques.

224.Une Charte de la Diversité dans l’Entreprise a été lancée en novembre 2004, initialement par 40 entreprises et l’Institut Montaigne, dans le but de témoigner de l’engagement de toute la société en faveur de la diversité culturelle, ethnique et sociale. Aujourd’hui plus de 2000 entreprises l’ont signée. Cette Charte promeut la diversité dans une logique d’égalité des chances face au marché du travail et le recrutement volontariste des « minorités visibles ». Les signataires s’engagent à sensibiliser et former dans ce sens leurs équipes, à respecter et mettre en œuvre le principe de non-discrimination et à décrire dans un rapport annuel les pratiques mises en œuvre et leurs résultats.

225.À la suite des recommandations du rapport remis par Bernard Stasi (ancien Médiateur de la République jusqu’en 2004) au Premier Ministre en février 2004 et de celles du CERD, ainsi qu’au titre de la transposition de la Directive européenne de juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique, une Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité a été créée par loi du 30 décembre 2004. La HALDE présidée par l’ancien PDG d’une grande entreprise automobile, traite les réclamations individuelles des victimes de discriminations, élabore des recommandations de modifications législatives, réglementaires ou procédurales et a lancé plusieurs initiatives en direction des entreprises. Fin février 2006, 108 entreprises avaient répondu à la proposition de la HALDE de participer à son combat contre les discriminations, en suivant une méthodologie consistant à évaluer les candidats à un recrutement au travers de grilles d’analyse des compétences objectives, supprimant la photo, toute mention d’origine, voire expérimentant le curriculum vitae anonyme (entreprise AXA). La SNCF a, à ce titre, par exemple, mis en place un « Comité Diversité et Recrutement ».

226. Par ailleurs, une initiative novatrice de l’association «  Nos quartiers ont des talents  », lancée en collaboration étroite avec l’ANPE et le MEDEF (Mouvement des entreprises de France), propose des forums organisés dans les ZUS pour permettre aux entreprises d’y recruter des jeunes diplômés de moins de 26 ans, mettant en avant le fait que cette démarche est susceptible d’apporter autant aux jeunes diplômés issus de quartiers défavorisés qu’aux entreprises. L’association organise une présélection des profils en fonction des besoins exprimés par les employeurs, et met ensuite en relation les candidats et les entreprises. Une base de données permet à l’association de suivre le parcours de chaque candidat. Un « coaching collectif » mensuel proposé aux demandeurs d’emploi et assuré par une équipe de professionnels identifie les points forts et les points faibles et prépare un diagnostic individuel d’employabilité en liaison avec l’ANPE.

227.Le rapport au Conseil économique et social de Didier Robert de 2003 a recensé la participation croissante d’entreprises aux initiatives exemplaires de nombreuses associations et collectivités locales : échanges, séminaires ou programmes d’insertion, notamment pour les jeunes.

228. L’ensemble de ces initiatives atteste de l’engagement de toutes les catégories d’acteurs, publics et privés, de favoriser à la fois l’emploi de jeunes issus de quartiers sensibles et la diversité culturelle et sociale au sein de l’entreprise.

f) Les politiques de lutte contre les discriminations de genre

229.Depuis le traité d’Amsterdam, inscrivant comme objectif dans toutes les politiques communautaires le principe d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, une profusion de dispositions législatives et réglementaires encourage en outre et accompagne ce type d’initiatives. Renvoyant aux rapports récemment remis par la France au Comité CERD et au Comité CEDEF pour de plus amples informations, on ne citera ici que quelques unes d’entre elles :

La loi sur l’Egalité Professionnelle votée en avril 2001 a ainsi visé à développer le dialogue social sur ce sujet en vue d’améliorer l’articulation de la vie familiale et de la vie professionnelle, alors que s’opérait une réduction négociée du temps de travail.

Un renforcement des services d’accueil pour les jeunes enfants a été mis en œuvre pour libérer les parents de contraintes lourdes, l’objectif 2001/2004 étant l’accueil de 250 000 enfants supplémentaires.

En mars 2004, un « accord national interprofessionnel relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » a été signé par la totalité des organisations patronales et syndicales de la France.

En juin 2004, le Gouvernement a lancé un label « égalité » délivré par le Ministère de la Parité et de l’Egalité professionnelle, destiné à mettre en valeur les pratiques exemplaires des entreprises. Son maintien est subordonné à l’organisation d’une évaluation régulière et dynamique à partir de huit critères et trois champs : a) les actions menées dans l’entreprise en faveur de l’égalité professionnelle ; b) la gestion des ressources humaines et le management ; c) la prise en compte de la parentalité dans le cadre professionnel.

La loi du 23 mars 2006 relative à l’Egalité Salariale entre les Hommes et les Femmes a ajouté à cette politique l’ambition de supprimer les écarts salariaux entre hommes et femmes avant le 31 décembre 2010, alors qu’aujourd’hui les salaires sont pour les femmes de 11 % inférieurs à profession égale.

230.La vision à long terme du développement de l’économie française, si elle se focalise sur l’excellence, veille à demeurer compatible avec le respect du principe d’égalité, fondateur du « contrat social » à la base de la nation française, selon lequel toute personne doit recevoir sa part de la richesse nationale. C’est pourquoi, l’État pratique une politique à deux volets complémentaires : faciliter d’une part au plus grand nombre l’accès aux compétences leur permettant d’être acteurs dans la compétition internationale par le biais de réformes structurelles touchant à l’éducation, à la formation et aux politiques de la ville ; d’autre part redistribuer une partie de la richesse nationale au profit des catégories de populations les plus vulnérables qui risqueraient, sinon, de rester en marge (les jeunes, les personnes âgées, les sans-domicile…).

2.Les politiques de lutte contre les discriminations territoriales : la « politique de la ville »

231. Lancées dès la fin des années 1970, des politiques gouvernementales ont visé une amélioration de l’environnement et de l’habitat des quartiers où se manifestaient de façon structurelle des problèmes d’exclusion touchant particulièrement les jeunes. Le relatif échec de cette « politique de la ville » a fait douter, à la fin des années 1990, de l’utilité de telles politiques grosses consommatrices de moyens publics. Après une large concertation, il a été décidé de relancer la politique de la ville par la Loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine adoptée en 2003. La nouveauté principale est sans doute la promotion du potentiel de développement économique et social de territoires urbains fragiles, voire ghettoïsés.

a) Les politiques en faveur des Zones Urbaines Sensibles (ZUS)

232.La « Délégation Interministérielle à la Ville », visant au développement des relations sociales dans les grands ensembles urbains, a été créée par arrêté, dès le 3 mars 1977, avec pour objectif d’associer l’État, les collectivités locales et les organismes de logement social, avec pour ambition de relever le défi des phénomènes ségrégatifs qui commençaient d’apparaître deux décennies après la naissance des « cités radieuses ». Cette délégation a élaboré au début des années 1980 un « Programme de Développement Social des Quartiers » pour la « réhabilitation » des grands ensembles dans 23 quartiers. L’ambition était d’améliorer les conditions de vie des résidents grâce au développement d’activités socio-économiques. Dans le même temps, des « conventions État-villes » ont été mises en œuvre visant à la prévention de la délinquance, avec la participation de différents ministères (Intérieur, Justice, Affaires sociales, Culture, Jeunesse et Sports) et des collectivités territoriales. Les transferts de compétences vers les régions entraînés par la politique de décentralisation lancée à partir de 1982 ont amené l’association des collectivités régionales au « développement social urbain des quartiers » au travers des « Contrats de plan État-régions ».

233.En 1984 est créé le Comité interministériel pour les villes, organe appelé à jouer durablement un rôle important dans les politiques de la ville. La Délégation interministérielle à la ville (DIV), rattachée depuis 1993 au Ministère des Affaires sociales (puis, pendant quelques années, au Ministère de la Ville) est son bras exécutif. Le Comité se compose d’une équipe pluridisciplinaire et conduit tant des actions thématiques (citoyenneté-prévention-sécurité, insertion-emploi-développement économique, gestion urbaine) que territoriales.

234.Les politiques urbaines sont une première fois redéfinies par la Loi d’Orientation pour la Ville (LOV), votée le 13 juillet 1991. Celle-ci pose les principes et détaille les moyens pour qu’un « droit à la ville » soit assuré à tous les citoyens français. Elle invite les collectivités locales à offrir des conditions de vie et d’habitat qui favorisent la cohésion sociale et permettent d’éviter les phénomènes de ségrégation.

235.En 1996, la notion « d’intégration urbaine » apparaît dans le cadre d’un Pacte de relance pour la ville articulé autour de quatre axes majeurs: « amener l’État et les services publics dans les quartiers », avec une attention particulière accordée à la sécurité des habitants ; favoriser l’emploi et les activités économiques avec des mesures pour le commerce de proximité et l’emploi des jeunes ; accroître la mixité sociale ; et renforcer le tissu associatif. Un Fond de Revitalisation économique (FRE) est créé dans le but d’allouer des aides directes aux entreprises ainsi qu’aux acteurs économiques locaux de la politique de la ville.

236.Ce Pacte est accompagné d’un corpus de textes législatifs et réglementaires. Il définit des périmètres géographiques où seront appliqués des dispositifs incitatifs d’exonération fiscale. Il distingue 700 ZUS, 350 Zones de Redynamisation Urbaine (ZRU) et 38 Zones Franches Urbaines. En réponse à la croissance de l’insécurité, l’ambition d’une « police de proximité » à même de mieux prévenir ce phénomène est affichée, avec un redéploiement de 4 000 policiers dans les quartiers de banlieues. Des unités éducatives renforcées sont en outre mises en place pour la réinsertion des mineurs multirécidivistes.

237.En 1997, le Ministère de la Ville est supprimé, son personnel étant intégré au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité qui se construit autour de six pôles : travail et emploi, santé, protection sociale, immigration et politique de la ville, dans le souci de renforcer les dispositifs du Pacte de Relance pour la Ville.

238. La Loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain de 2000 vise à rendre plus cohérentes les politiques urbaines antérieures et à favoriser les mécanismes de solidarité dans la ville. Elle cherche à relier les questions d’urbanisme, d’habitat et de transports et modifie, pour cela, simultanément le code de l’urbanisme, de la construction et de l’habitation, le code général des collectivités territoriales, celui de la santé publique, celui de la sécurité sociale, le code général des impôts et celui de l’expropriation. Elle cherche à améliorer la répartition des logements sociaux sur le territoire national et à favoriser une plus grande mixité sociale par une plus grande diversité de l’habitat. Elle impose, à cette fin, à toute commune de constituer un parc de HLM d’au moins 20 % sur son territoire .

239. Le Comité Interministériel à la Ville (CIV) assure la mise en œuvre de cette politique associant l’ensemble des acteurs publics centraux : il effectue des évaluations souvent sévères sur les grands projets urbains qui lui sont présentés et anime, en l’accélérant, un programme de démolitions de grands immeubles dont les logements sont devenus obsolètes et de rétablissement de continuités urbaines. Le FRE, initialement réservé aux ZUS, a été étendu aux territoires prioritaires des contrats de ville passés entre l’Etat et les collectivités territoriales. La circulaire du 13 décembre 2000 du Secrétariat d’Etat au budget et du Ministère délégué à la ville qui en redéfinit les missions distingue quatre volets : l’aide au démarrage d’un projet de création d’entreprise, l’aide à la réalisation d’investissements, l’aide au soutien et à la dynamisation du tissu économique existant, et enfin le soutien à l’ingénierie.

240. Une Loi d’Orientation et de Programmation pour la Ville et la Rénovation Urbaine est promulguée le 1er août 2003. Elle crée un Observatoire national visant à étudier de près les inégalités existant dans les ZUS dans le but de les réduire. Elle organise aussi un Programme de Renouvellement Urbain dans les ZUS et les territoires prioritaires doté d’un budget de 30 milliards d’euros sur cinq ans destiné à accélérer la restructuration des quartiers les plus dégradés dans un objectif de mixité sociale et de développement durable, avec retour de commerces, venue d’entreprises et amélioration de la qualité de vie. Ce programme a été prorogé jusqu’en 2011. Son objectif quantitatif sur la période 2004/2011 est de construire 250 000 logements locatifs, d’en démolir 250 000 vétustes et d’en réhabiliter 400 000 . Le dernier volet de la loi d’orientation a été la création d’une  Agence nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) chargée de la mise en œuvre de ces objectifs.

241.Le comité d’évaluation mis en place a dégagé certaines recommandations, dont l’une s’est traduite par l’élaboration par l’ANRU d’une charte qui prévoit qu’une partie des emplois générés par les chantiers de rénovation doivent bénéficier aux résidents et plus particulièrement aux jeunes.

b) Les zones franches urbaines, élément d’attractivité

242.Des Zones Franches Urbaines (ZFU) ont été créées dès 1996 par le Pacte de Relance pour la Ville afin de lutter contre le chômage dans ces quartiers défavorisés. Les quartiers concernés étaient ceux comptant plus de 10.000 habitants, considérés comme les plus en difficulté et situés dans des Zones de Redynamisation Urbaine (ZRU).

243. Leur principe est celui de la discrimination positive  : il s’agit de «  donner plus aux territoires les plus en difficulté  ». Il se traduit par l’octroi d’exonérations sociales et fiscales importantes aux petites entreprises de ces zones afin d’attirer des activités et de créer des emplois. Les ZFU ont été prorogées pour cinq ans supplémentaires par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002.

244. Les ZRU permettent en outre aux entreprises et établissements qui s’y implantent d’obtenir des dispositions dérogatoires pour l’embauche de salariés, telles que l’exonération des cotisations patronales de sécurité sociale.

245. Des mécanismes d’accès prioritaire à l’emploi ont été institués au profit des populations des ZUS, souvent exposées au risque de chômage, notamment les jeunes peu qualifiés : les « contrats aidés ». Ceux-ci ont pour vocation de favoriser l’insertion par l’activité économique des personnes à la recherche d’un emploi et, à terme, l’obtention d’emplois classiques et durables. Les « contrats aidés » sont de plusieurs types, certains s’adressant à des publics spécifiques et d’autres au public général des demandeurs d’emploi. Ils sont accessibles tant aux entreprises du secteur marchand qu’à celles du secteur non marchand. Ils offrent souvent des possibilités de formation et de qualification aux personnes intéressées.

c) Les politiques de lutte contre l’habitat vétuste

246. Une Loi portant Engagement National pour le Logement a été promulguée le 13 juillet 2006. Elle met en œuvre des mesures tant juridiques que réglementaires pour résorber le parc de « logements indignes ». Elle précise le régime juridique de la sécurité des équipements communs des immeubles collectifs d’habitation, programme des travaux de mise aux normes de sécurité de plus de 500 centres d’hébergements et interdit la pratique des coupures d’électricité, de gaz, d’eau et de chauffage pendant la période hivernale. L’article 60 de cette loi renforce le rôle des Plans Départementaux d’Actions pour le Logement des Personnes Défavorisées (PDALPD) sur le logement indigne. L’État s’engage à mobiliser les terrains du domaine public pour la construction de 30 000 nouveaux logements dans les trois prochaines années .

247. Par ailleurs, un Comité Interministériel de Lutte contre l’Exclusion , réuni le 12 mai 2006, a arrêté 23 mesures de lutte contre la précarité et l’exclusion . Concernant l’habitat indigne, les mesures concernent surtout l’accès aux droits fondamentaux par la résorption des conditions les plus iniques d’habitat. De manière générale, trois modes opératoires sont prévus. Dans le champ du code civil, les réglementations en matière de logements sont modifiées avec une importance nouvelle donnée à la notion de « décence » (Loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain, art. 187). Des mesures de police s’imposent désormais personnellement aux propriétaires, leur prescrivant des travaux obligatoires pour mettre fin à l’insécurité et à l’insalubrité. Des financements publics incitent les propriétaires et les locataires à assurer un logement décent : l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat attribue des subventions pour améliorer le confort des habitats insalubres ; l’allocation logement est désormais subordonnée à la fourniture d’un habitat décent, les prestations étant susceptibles de suspension en cas d’arrêté déclarant l’insalubrité ou le péril.

3.Les politiques visant à redonner au système éducatif son rôle intégrateur

248. L’école républicaine française est historiquement le lieu par excellence de la promotion et de l’intégration sociale. Elle est donc apparue aux pouvoirs publics, constat ayant été établi de ses carences, comme un élément indispensable des politiques gouvernementales de lutte contre les exclusions et les discriminations. Ces dernières embrassent l’ensemble du système, depuis l’école élémentaire jusqu’aux grandes écoles et à l’université. L’objectif principal qui leur est assigné, à tous les niveaux, est de surmonter les différences en égalisant les chances d’accès à la réussite scolaire par des formations plus adaptées, y compris des parcours d’excellence conduisant aux grandes écoles. Pour accompagner ces politiques gouvernementales, des mécanismes ont été mis en œuvre pour permettre aux professeurs et instituteurs de mieux comprendre et appréhender les difficultés de leurs élèves (modules spéciaux de formation à la connaissance de la grande pauvreté proposés dans le cadre des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM), distribution de plaquettes et dépliants etc.) .

a) Les mesures relatives à la lutte contre l’échec scolaire dès l’école primaire

249. Les difficultés scolaires étant souvent concentrées sur les familles pauvres et issues de l’immigration, le gouvernement français a organisé plusieurs réformes visant à répondre aux faiblesses d’un système dont les capacités d’intégration sont apparues émoussées. Plusieurs dispositifs ont, en particulier, visé à pallier des difficultés spécifiques telles que les difficultés linguistiques rencontrées par les enfants issus de l’immigration.

250. Une Loi d’Orientation et de Programme pour l’Avenir de l’École a été promulguée en avril 2005 avec pour objectif la réussite de tous les élèves. Ceux rencontrant des difficultés à acquérir le socle de connaissances et de compétences jugé nécessaire se voient proposer un dispositif de soutien prenant la forme d’un «  Programme Personnalisé de Réussite Educative  ». Les mesures concernant l’école primaire et le collège sont applicables dès la rentrée scolaire 2006.

251. Des repères annuels sont introduits à l’école primaire vérifiant l’acquisition des connaissances et compétences du socle commun et les programmes sont désormais définis par cycles permettant aux maîtres de moduler la progression pédagogique dans la durée. Le « Programme Personnalisé de Réussite Educative » est mis en œuvre dès qu’il apparaît qu’un élève risque de ne pas maîtriser les acquis essentiels correspondant au niveau scolaire où il se trouve. Les équipes pédagogiques doivent suivre et statuer sur chaque cas.

252. Ces mesures devraient permettre de produire un « cercle vertueux » d’apprentissage. Si les enfants issus de l’immigration ne font pas explicitement l’objet de mesures spécifiques, le système des Programmes personnalisés de réussite éducative les concerne tout particulièrement, compte tenu du taux élevé d’échec scolaire qui les affecte. En insistant sur les évaluations de la maîtrise de la langue française dès la classe de CE1 et sur la maîtrise de la langue française dès le plus jeune âge, le gouvernement français a implicitement défini comme prioritaire l’intégration des enfants issus de l’immigration .

253. Les dispositions nouvelles pour assurer la réussite de tous au collège sont assez proches de celles définies pour l’école primaire. La loi proroge en outre l’expérience des « lycées labellisés » visant à valoriser l’enseignement professionnel. La loi fixe quatre critères permettant d’obtenir ce label : la cohérence des formations avec les métiers possibles, l’accueil de publics variés, l’offre d’une gamme étendue de diplômes et de services de validation des acquis de l’expérience. .

254. Enfin, un Haut Conseil de l’Éducation a, été institué par l’article 14 de la loi du 23 avril 2003 en tant qu’organisme consultatif indépendant. Celui-ci peut émettre des avis et formuler des propositions sur la pédagogie, les programmes, l’organisation et les résultats du système éducatif et de la formation des enseignants.

b) Les politiques d’insertion par l’éducation au sein de la Politique de la Ville

i) Les Zones d’Education Prioritaire (ZEP), premières mesures gouvernementales pour la réussite scolaire.

255.En dépit du principe d’égalité des chances affirmé par les lois de la République, des disparités sociales sont apparues entre enfants, dont une partie résulte de la ségrégation spatiale due à la dynamique sélective d’urbanisation. Ce constat, élaboré au moment où se concevaient les premiers éléments de la Politique de la Ville, a stimulé l’élaboration de politiques visant à améliorer la réussite scolaire des populations vivant dans les quartiers défavorisés.

256. Les ZEP, premiers éléments de ces politiques, ont été mises en œuvre en 1982 . Cette initiative rompait avec le principe d’égalité de traitement de tous les citoyens. Les ZEP n’ont d’abord été créées que dans quelques régions, puis étendues régulièrement depuis. Des moyens importants ont été mobilisés pour inciter les établissements d’enseignement de ces quartiers à développer des projets éducatifs originaux et des partenariats locaux. Les ressources mobilisées sont d’environ 10 % supérieures à celles dont disposent les écoles d’autres quartiers . Des primes sont en outre accordées en compensation des conditions de travail difficiles des enseignants.

257. Les évaluations faites au début des années 1990 par l’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) ont constaté que les moyens ainsi engagés dans ces établissements, loin d’être négligeables, n’avaient toutefois pas été suffisants pour répondre aux enjeux. Une baisse relativement lente de la taille des effectifs des classes et une forte proportion de jeunes enseignants peu expérimentés étaient constatés, de même qu’une accentuation de l’homogénéité sociale des élèves. Une spécialisation de facto s’était opérée avec le regroupement en leur sein des élèves les plus en difficulté scolaire. Les ZEP étaient devenues, au fil du temps, plus un symbole politique que des instruments efficaces en faveur des plus défavorisés. Or les ZEP accueillaient un élève sur cinq et absorbaient une partie importante du budget de l’Education Nationale.

258. Ce bilan des ZEP étant apparu insatisfaisant, des inflexions radicales ont été décidées pour en corriger les faiblesses. Le 8 février 2006, un Plan de Relance de l’Education Prioritaire a été présenté par le Ministre de l’Education nationale . Il se propose d’accroître et de diversifier les moyens d’actions des ZEP et identifie plusieurs priorités : relations étroites entre l’encadrement et le tutorat pédagogique pour tous les élèves ; mise en œuvre de programmes différenciés pour les classes hétérogènes  ; amélioration de l’offre de services publics sur des territoires où leur présence est trop restreinte (dans le cadre de la relance de la Politique de la Ville). Le Ministère de l’Education nationale a décidé en outre de concentrer ses efforts budgétaires sur un nombre plus réduit d’établissements que précédemment pour répondre à la critique justifiée d’une excessive dispersion des moyens de l’éducation prioritaire, labellisés « ambition-réussite ». Cette politique s’est déployée à la rentrée de septembre 2006, 1000 enseignants supplémentaires et 3000 assistants pédagogiques supplémentaires leur étant affectés.

ii) Le Contrat éducatif local, mesure d’insertion par l’éducation.

259.L’éducation globale de l’enfant constitue un des enjeux de la réussite, de l’insertion et de la prévention de l’exclusion. C’est pourquoi d’autres ministères que celui de l’Éducation nationale se sont associés à celui-ci pour organiser une politique d’éducation globale luttant contre l’exclusion. La circulaire interministérielle du 9 juillet 1998, puis celle du 25 octobre 2000, organisent la coordination de la réponse aux difficultés d’apprentissage de l’enfant. Si le public visé est l’ensemble des enfants et adolescents scolarisés de l’école maternelle et élémentaire jusqu’à l’enseignement supérieur général et professionnel, une priorité est accordée aux zones urbaines et rurales en difficulté.

260.Au plan national, la Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative du Ministère de la Jeunesse a mis en place un outil validé par ses partenaires ministériels, le « Contrat éducatif local » (CEL). Celui-ci permet la mise en place de projets éducatifs scolaires, péri-scolaires ou extra-scolaires, proposés par les acteurs locaux et construits sur un diagnostic partagé des besoins sociaux sur un territoire donné, d’en assurer le suivi et l’évaluation et de coordonner leur financement Le principal objectif des CEL est de développer l’accès aux activités culturelles, éducatives, sportives et de loisirs au plus grand nombre. Leur budget était de 36,5 millions d’euros en 2004, financé entre autres par les Ministères de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche, des Sports, de la Culture et de la Ville, ainsi que par des crédits de collectivités locales, des aides des Caisses d’Allocations Familiales et du Fonds d’Action et de Soutien pour l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations (FASILD).

c) Pour l’égalité des chances à l’université et à l’entrée des  grandes écoles

261.L’accès aux « grandes écoles », spécificité française qui récompense l’élite scolaire, fait l’objet d’un intérêt tout particulier du fait de son impact symbolique et stratégique. Deux « grandes écoles » ont, à travers deux manières d’appréhender l’égalité des chances, récemment lancé une dynamique très importante. La réflexion conduite au sein de l’Université sur ses nécessaires réorientations n’est pas de moindre intérêt.

i) L’exemple du lycée Henri-IV.

262.Le constat avait été fait, non seulement que les candidatures d’élèves de milieu social moins favorisé étaient peu nombreuses pour les « classes préparatoires aux grandes écoles », mais qu’elles tendaient à diminuer, les familles ayant tendance d’elles-mêmes à s’interdire l’accès à ces « temples de l’élite ».

263.À la rentrée 2006, le lycée Henri-IV, l’un de ceux dont les « classes préparatoires » assurent à leurs élèves les meilleures chances de réussite aux concours des « grandes écoles », a accueilli une trentaine d’élèves boursiers de milieux sociaux défavorisés. Cette initiative s’inscrit dans le cadre de la Loi d’Orientation d’avril 2005. Appuyé par le Recteur de Paris (représentant du Ministère), ce projet a été approuvé par une décision prise le 1er décembre 2005 par le Premier Ministre d’ouvrir une « classe pilote ». Les élèves issus des ZEP bénéficient ainsi d’un encadrement personnalisé de grande qualité, d’un enseignement spécifique de culture générale ainsi que des apprentissages fondamentaux indispensables aux concours des classes préparatoires.

ii) L’institut d’études politiques (IEP) de Paris, acteur éducatif.

264.L’Institut d’études politiques de Paris, établissement d’enseignement supérieur disposant d’un statut dérogatoire, est, depuis sa fondation, l’un des points de passage privilégié pour l’accès aux carrières supérieures de la fonction publique nationale et internationale, de la finance et des médias. Il avait fait l’objet tout particulièrement des analyses décapantes de Pierre Bourdieu démontrant qu’il participait activement au système de reproduction endogène des élites de la France, très peu d’enfants de classes mal dotées en capital social pouvant y accéder du fait de ses critères de sélection. À l’initiative de son directeur, des accords ont été proposés depuis 2000 par l’IEP de Paris à des lycées situés en Zone d’Education Prioritaire pour y sélectionner et préparer des élèves à fort potentiel, dans le but d’offrir à des étudiants issus de milieux peu favorisés de plus grandes chances d’accéder à cet établissement d’enseignement supérieur très prisé

265.Une passerelle a alors été organisée entre l’établissement d’enseignement secondaire et l’IEP. Des étudiants et des enseignants de ce dernier vont régulièrement dans les lycées sélectionnés et y organisent des actions d’information et de formation. Réciproquement, 600 lycéens se rendent chaque année à l’IEP pour assister à des cours, rencontrer des étudiants et des professeurs. La direction de l’IEP a, ultérieurement, travaillé à la création d’un premier « lycée d’excellence » qui sera ouvrira en banlieue fin 2007. Cette initiative vise à dépasser la barrière psychologique qui faisait qu’inconsciemment des élèves résidents de quartiers défavorisés s’excluaient avec fatalisme du parcours d’excellence que constitue le concours d’entrée à l’IEP. L’IEP de Paris a en outre diversifié ses procédures de sélections et les profils des candidats, en créant de nouvelles conditions plus adaptées aux populations d’origine modeste ayant un bagage culturel différent. De surcroît, lorsque un manque de moyens financiers des familles est anticipé, l’IEP propose aux élèves admis de bénéficier d’une « bourse au mérite » du Ministère de l’Education nationale et d’une aide au logement. À chaque étudiant est proposée une « Convention Education Prioritaire » (CEP).

266.Les initiatives de l’IEP-Paris ont eu des répercussions significatives. Plusieurs dizaines de grandes écoles et d’établissements d’enseignement supérieur ont annoncé récemment qu’ils allaient mettre en place des dispositifs de tutorat et d’accompagnement de lycéens de ZEP durant les trois années qui précédent le baccalauréat. L’Ecole supérieure de commerce (ESSEC) propose ainsi à des lycéens volontaires de ZEP de suivre, de la seconde à la terminale, une formation préparatoire. D’autre part, des entreprises ont montré, par leur recrutement d’anciens étudiants de Sciences Po bénéficiaires de Conventions Education Prioritaire, une réelle volonté d’engagement dans cette expérience. BNP-Paribas, France télévisions et la Société Nationale de Chemin de Fer (SNCF) ont conclu des accords à ce sujet.

iii) Le débat universités-emploi.

267.Au regard des exigences actuelles du marché du travail, la qualité des formations universitaires et la valeur des diplômes représentent des enjeux majeurs pour permettre une réelle insertion professionnelle aux jeunes adultes. Le gouvernement français a décidé en conséquence d’organiser, depuis le début juin 2006, une série de débats partout en France sur le thème de l’Université et l’Emploi. Les propositions discutées tentent de répondre aux deux objectifs suivants : amélioration de la professionnalisation ; développement de l’apprentissage et de l’alternance dans les universités.

268.Pour favoriser l’acquisition par les étudiants d’outils de professionnalisation, sept réformes sont envisagées : un parcours professionnalisé dès la troisième année aux étudiants qui le souhaitent (stage, alternance, apprentissage), la rencontre de professionnels pour qu’une meilleure connaissance du monde de l’entreprise soit acquise, la précision des compétences attendues au terme des diplômes, la « traçabilité des étudiants » permettant le suivi de ceux-ci trois ans après leur sortie de l’université, la valorisation et l’encadrement des stages, enfin la fusion des masters professionnels et des masters de recherche. Une « commission des débats » anime ce mouvement pour lequel l’étudiant et son entrée sur le marché du travail sont au centre de leurs préoccupations.

d) Les établissements d'insertion de la Défense (EID)

269.Un établissement public d'insertion de la Défense (EPIDe), établissement public placé sous la double tutelle des ministères de la Défense et de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement a été créé par ordonnance n°2005-883 du 2 août 2005.

270.Les journées d'appel et de préparation à la défense permettent d'identifier chaque année environ 60 000 jeunes en difficulté sur les 800 000 qui s'y rendent. La mission de l'EPIDe est d'aider des jeunes (garçons et filles) de 18 à 21 ans en situation d'échec scolaire, sans emploi et en risque de marginalisation, à retrouver leur place dans la société et à favoriser leur entrée dans la vie active grâce à une formation adaptée. Pour réaliser cette mission, l'EPIDe crée et gère des centres de formation, les Etablissements d'Insertion de la Défense (EID) ; organise les formations dispensées dans ces centres ; accueille et héberge les jeunes dans le cadre de ces formations qui peuvent durer de six mois à deux ans.

271.L'objectif de l'EPIDe est d'ouvrir 50 EID pour recevoir 20 000 jeunes d'ici fin 2007. L'établissement public est habilité à développer des partenariats et des actions de coopération nationale ou internationale avec des collectivités publiques, des entreprises, des organismes publics ou privés de formation. La création et la mission de l'EPIDe s'inscrivent dans le cadre du plan « La bataille pour l'emploi » et du Plan de cohésion sociale initiés par le gouvernement, tout en se concentrant sur une population fragilisée composée de jeunes adultes auxquels il a été décidé d'offrir cette "deuxième chance".

272.La formation dispensée dans les EID, assurée par un corps enseignant motivé et relativement important, comprend quatre modules : une mise à niveau des fondamentaux scolaires ; une formation civique et comportementale conjuguant heures de cours et mise en application pratique quotidienne ; une formation professionnelle devant favoriser l'embauche dans des secteurs d'emploi déficitaires (tels que : hôtellerie, restauration, services à la personne, services aux entreprises, BTP, transport et logistique…) ; une formation aux premiers secours. S'y ajoutent des activités physiques, une participation aux tâches quotidiennes liées à la vie en collectivité, ainsi qu'un apprentissage du respect de l'autorité. L'objectif est de faire acquérir aux volontaires en six mois de formation un niveau de connaissance générale nécessaire à l'apprentissage d'un métier et leur donner la possibilité soit de poursuivre un apprentissage dans une filière de formation classique, soit de trouver un emploi notamment grâce à un stage en entreprise ou un contrat d'apprentissage.

B. Les mesures gouvernementales de lutte contre la précarité et l’exclusion visant les publics les plus vulnérables

273.Les politiques de redistribution au profit des plus vulnérables, qui se traduit notamment par des dispositifs inclusifs s’efforçant de les réintégrer dans le corps social, s’est organisée à partir d’une loi fondamentale, adoptée en 1998, la Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions, navire amiral d’une série de dispositions visant à garantir et assurer effectivement à tous l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels fondamentaux ; on évoquera ici  tout particulièrement ceux au travail, à la protection sociale, à la santé et au logement.

1. La Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions (1998)

274. Promulguée le 29 juillet 1998, la Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions est issue de la prise de conscience croissante de l’importance de la lutte contre une exclusion croissante. Son article premier dispose que «  la lutte contre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensemble des politiques publiques de la Nation »,

275. L’objectif de cette loi était de traiter l’exclusion sous toutes ses formes, que ce soit dans l’emploi, dans le logement, dans le domaine de la santé, à l’école, dans le cadre de la justice ou sous l’angle de la culture, etc. Une logique nouvelle a présidé à sa conception, qui a veillé à prendre en compte la situation globale des populations pauvres et à rendre effectif leur accès aux droits. L’indivisibilité des droits représente donc l’un des principaux enjeux de cette loi.

276. Quatre grandes orientations la structuraient  :

- Garantir l’accès aux droits fondamentaux, c’est-à-dire l’accès à l’emploi, au logement, aux soins, à l’éducation et à la culture,

- Prévenir les exclusions grâce à l’amélioration de la procédure de surendettement, la prévention des expulsions locatives, la garantie de moyens d’existence aux plus démunis, la lutte contre l’illettrisme, la généralisation de l’accès aux sports, l’exercice de la citoyenneté.

- Répondre efficacement aux situations d’urgence, notamment grâce à la généralisation de la veille sociale et à l’amélioration du réseau d’hébergement d’urgence.

- Renforcer et accroître les partenariats pour mettre en cohérence les outils de la lutte contre les exclusions.

277. En complément, de cette loi qui fixait des orientations générales, plusieurs textes législatifs et réglementaires l’ont, depuis, précisée et complétée : loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès aux droits et la résolution amiable des conflits ; loi du 27 juillet 1999 relative à la création de la Couverture Maladie Universelle (CMU) ; loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration ; loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain ; second Programme de Lutte contre les Exclusions de juillet 2001 visant à renforcer les dispositifs de la loi du 29 juillet 1998 ; loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ; loi du 1er août 2003 d’Orientation et de Programmation pour la Ville et la Rénovation Urbaine ; loi du 18 janvier 2005 relative à l’amélioration de la cohésion sociale dans tous les domaines concernés .

278. Un Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) a été mis en place dès 1999 pour assurer le suivi et l’évaluation de la mise en œuvre de la loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions. L’ONPES a produit régulièrement des analyses du phénomène et des causes de la pauvreté et de l’exclusion. . En février 2002, le Ministère de la Justice a créé un Service de l’Accès au Droit, à la Justice et à la Politique de la Ville visant à renforcer la cohérence entre les différentes composantes de la loi d’orientation. .

279. La mise en œuvre de la loi a encouragé le développement de plusieurs programmes collectifs de co-formations et de croisement des savoirs et des pratiques par lesquels universitaires, professionnels et personnes ayant vécu la grande précarité ont pu partager leurs expériences et chercher des solutions pour mettre en œuvre des projets innovants de lutte contre la précarité et l’exclusion. Ces programmes ont fait l'objet de publications et d'une journée de présentation publique au Conseil économique et social le 7 février 2002. Le rapport du Conseil économique et social, « L’accès de tous aux droits de tous» de 2003, décrit également quelques unes de ces initiatives.

280. Le bilan qui a été fait de la loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions, confié en particulier à l’Inspection Générale des Affaires Sociales , constate que les moyens qu’elle a mobilisés ont permis un meilleur traitement des besoins des publics prioritaires, qu’a mesuré en particulier une hausse du retour à l’emploi pour les allocataires du RMI. L’évaluation signale toutefois des objectifs insuffisamment atteints.

281.La Loi Organique relative aux Lois de Finance (LOLF) promulguée le 1er août 2001, réformant l’ensemble du système de gestion des deniers publics, a souhaité contribuer à répondre aux problèmes méthodologiques identifiés par l’évaluation de l’Inspection Générale : chaque politique publique doit désormais être clairement définie avec des objectifs et des coûts prévisionnels assortis de critères d’évaluation, un rapport annuel des performances permettant un suivi attentif. D’autre part, le collectif associatif ALERTE s’est félicité de la décision du Gouvernement d’avoir défini, fin 2005, une liste d’indicateurs de mesure de la pauvreté qui permettront d’établir des objectifs chiffrés de réduction de la pauvreté.

2.Le droit au travail articulé avec le droit à la protection sociale

282. Depuis 1945, l’État-providence joue un rôle actif dans la promotion de la croissance économique et veille simultanément à fournir une protection sociale à tous les citoyens, à commencer par les plus faibles, pour corriger les injustices sociales résultant du fonctionnement de l’économie de marché. L’État-providence est étroitement lié à la conception de « contrat social » héritée du XVIIIème siècle. La montée de la précarité et de l’exclusion dans les années 70 a conduit le gouvernement français à développer de nouveaux dispositifs.

283.Un système français de « minima sociaux » a progressivement été construit qui comporte neuf dispositifs. Leur but premier est d’assurer un revenu minimum à une personne dans le besoin ou à sa famille, c’est-à-dire dont les revenus se situent en dessous du seuil de pauvreté. Chacun des neufs minima sociaux répond à une population spécifique ou bien à une situation particulière. Le principal est le RMI, versé à 1 276 800 allocataires. En 2003 et 2004, plusieurs réformes ont visé à modifier les droits ouverts et les conditions d’accès aux minima sociaux.

284.Les dispositions de la loi du 29 juillet 1998 relatives à l’emploi ont veillé à articuler minima sociaux et incitations au retour à l’emploi. Il est apparu, en effet, important d’inciter les chômeurs à rechercher plus activement un emploi en leur laissant la possibilité, s’ils perçoivent un minimum social, de le cumuler partiellement avec le revenu issu de l’activité.A cette fin, deux priorités ont été retenues : cibler, tout en les renforçant, les dispositifs d’aide à l’emploi sur les populations en difficulté, et mieux accompagner les demandeurs d’emploi.

285.Les mesures d’accompagnement ont été mises en place par le biais du Programme d’Actions Personnalisées Pour un Nouveau Départ (PAP-ND) et du programme TRACE (réservé aux jeunes en difficulté, désormais remplacé par le CIVIS). Le PAP-ND a été créé pour réinsérer professionnellement les demandeurs d’emplois, quel que soit leur profil, en leur offrant un service et un suivi personnalisés jusqu’à leur retour à l’emploi. Il formalise un engagement réciproque entre le demandeur d’emploi et un service public avant le retour à l’emploi.

286.S’y ajoutent, on l’a vu, plusieurs dispositifs d’emplois aidés s’adressant aux personnes connaissant des difficultés d’insertion. Au moment de l’embauche, la personne allocataire conserve des droits connexes liés au dispositif du RMI, tels que l’accès à la CMU créée en 1999 (voir plus loin).

287.Une Prime Pour l’Emploi (PPE) pour les personnes reprenant une activité et rémunérées au niveau du SMIC a été instituée par la loi du 30 mai 2001, élargie en 2003 et réformée par la Loi de Finances de 2007, pour répondre en partie aux besoins financiers des « travailleurs pauvres ». Son objet est d’accroître les gains monétaires des travailleurs faiblement rémunérés afin de les inciter à conserver leur emploi.

288.La décentralisation du RMI auprès des Conseils Généraux, réalisée par la loi du 18 décembre 2003, s’est accompagnée de la création d’un nouvel outil : le Contrat d’Insertion-Revenu Minimum d’Activité. Il permet à un employeur qui embauche un allocataire du RMI de recevoir une aide versée sous condition que l’employé ait défini un Projet Personnel d’Insertion Sociale ou Professionnelle.

289.Enfin, un Contrat d’Avenir destiné à faciliter l’insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires du RMI, de l’ASS ou de l’API, a été mis en place par la loi du 18 janvier 2005. Ce contrat a été étendu aux allocataires de l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) en juillet 2005, leur donnant le droit de cumuler cette allocation avec un revenu d’activité.

3.Le droit à la santé

290.La pauvreté est productrice d’effets multiples sur la santé, de la vulnérabilité aux épidémies à l’obésité en passant par l’alcoolisme et le tabagisme. Inversement elle handicape les personnes dans leur parcours professionnel et plus largement d’insertion sociale. D’où l’importance d’une politique de santé publique dans le cadre de la lutte contre l’exclusion.

a)L’accès aux soins

291.La précarité est une situation où se cumulent le plus souvent des difficultés sociales, professionnelles et aussi de santé. Elle révèle une dégradation de la vie professionnelle et sociale qui entraîne à son tour celle de la personne en tant que telle. Déclins de la situation sociale et de la santé sont des processus imbriqués. Ainsi, par exemple, selon sa qualité matérielle, le logement protège-t-il ou non de la dégradation de la santé et accroît-il ou diminue-t-il les possibilités de guérison. Les politiques gouvernementales ont donc intérêt à développer des mesures d’amélioration de l’état de santé des personnes défavorisées, qui, souvent, sont et se sentent en moins bon état de santé que l’ensemble de la population. En effet, d’après une étude de la DREES, 12 % des bénéficiaires de la CMU, décrite ci-dessous, déclarent que leur état de santé est mauvais et 4% très mauvais.

292.Des dispositifs destinés à améliorer l’accès aux soins des personnes défavorisées existaient depuis longtemps en France. Ils ont été complétés, dans le prolongement de la loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions de 1998, les progrès de la santé étant reconnus comme une partie intrinsèque de la lutte contre la précarité et l’exclusion, car participant à la reconstruction de l’individu.

293.Instaurée par la loi du 27 juillet 1999, la CMU a cherché à répondre à une demande croissante de soins de la part de la population défavorisée établie en France. Ce dispositif comporte deux volets, la « CMU de base » et la « CMU complémentaire » (CMUC).

294.La CMU permet d’affilier au régime de l’assurance maladie toute personne résidant en France de façon stable et régulière, sous condition qu’elle n’ait pas de droits ouverts à un autre titre du régime d’assurance maladie et qu’elle soit en France depuis au moins trois mois et en situation régulière Les personnes dont le revenu fiscal est supérieur à un seuil doivent acquitter une cotisation annuelle de 8 % sur le montant des revenus supérieur à ce seuil.

295. La CMUC permet de fournir une couverture complémentaire gratuite aux personnes résidant en France de manière stable et régulière dont les revenus sont les plus faibles , les conditions de ressources étant fixées par décret. Au 1er juillet 2006 le seuil applicable s’élevait à 598,23 euros en France métropolitaine .

296. En outre, des Programmes Régionaux pour l’Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS) ont été définis pour cibler les personnes les plus démunies. La coordination entre les professionnels de santé et les services sociaux a été intensifiée . La création des permanences d’accès aux soins de santé (PASS) dans les établissements publics hospitaliers, a impulsé une amélioration de la qualité de la prise en charge sanitaire et sociale et une meilleure intégration des individus, tant dans leur environnement interne qu’externe .

297.Enfin le troisième dispositif récent, visant à la prise en charge médicale des populations défavorisées, est l’Aide Médicale de l’Etat (AME). Celle-ci est destinée à prendre en charge les frais de santé des personnes qui ne peuvent pas remplir les conditions de stabilité et de régularité de résidence pour bénéficier de la CMU et dont le revenu est inférieur au seuil d’ouverture de la CMUC. Depuis 2003, les mineurs étrangers sans papiers et les mineurs isolés relèvent également de l’AME et n’ont plus droit au dispositif couverts par l’assurance maladie. La loi de finance du 30 décembre 2003 a, pour parer à l’explosion des dépenses qui se produisaient sur ce chapitre, en particulier dans certaines collectivités d’Outre-Mer, conditionné l’accès à l’AME à une résidence ininterrompue en France de trois mois. Au 31 décembre 2005, l’AME couvrait près de 180 000 personnes, soit une progression de 20 % en un an.

b) Les actions gouvernementales de lutte contre le suicide

298.Parce qu’il est signe de rupture du lien social, le suicide demeure encore dissimulé et sous évalué. Il est donc difficile d’identifier la signification de la tentative. Toutefois, on l’a vu,le suicide s’explique souvent par des raisons sociales, telles que le chômage durable ou les difficultés d’accéder au logement, autre démonstration du lien entre difficultés sociales et problèmes de santé. Le suicide étant la deuxième cause de décès en France chez les 15-44 ans, la prévention du suicide constitue l’une des priorités de santé publique.

299.L’Union Nationale de Prévention du Suicide (UNPS), l’un des principaux acteurs de communication et de prévention du suicide, issue du regroupement, en 1996, de six associations agissant dans le domaine de prévention du suicide, a lancé une Journée Nationale pour la Prévention du Suicide qui mobilise chaque année l’ensemble des acteurs.

300.Depuis 1998, treize régions ont mis en place un programme régional de santé et de prévention du suicide qui s’attaque à la fois à la tentative de suicide et au suicide lui-même, selon une logique innovante car auparavant les deux étaient gérés séparément. En 2000, le Ministère de la Santé a donné un nouvel élan à la politique de lutte contre le suicide, avec la Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005, qui met l’accent sur l’information, la mutualisation des expériences et sur la prévention. Quatre axes définissent les objectifs de chaque établissement et des professionnels de la santé : favoriser la prévention par un dépistage accru des risques suicidaires ; diminuer l’accès aux moyens létaux couramment mis en œuvre lors de suicides ; améliorer la qualité de la prise en charge et du suivi à moyen et long terme et ; améliorer la connaissance épidémiologique.

301.La loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a confirmé et renforcé la volonté de résultats concrets en inscrivant un objectif de réduction des décès par suicide en France de 20 % dans les 5 ans suivants la publication de la loi. Le Plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008, rendu public en avril 2005, intègre en outre un programme spécifique de prévention du suicide qui insiste sur le fait que celle-ci doit s’intégrer dans une approche plus globale de prévention et de soins en santé mentale. Conformément à ce plan, le Ministère de la Santé procède actuellement à l’évaluation de la Stratégie 2000-2005 avant l’élaboration d’un nouveau plan national sur ce thème.

302.Le Ministère de la Santé s’est d’autre part lié avec le Ministère de l’Education Nationale dans le cadre d’un Partenariat en Santé Publique afin de repérer les dépressions dans les établissements scolaires. La Stratégie nationale d’actions face au suicide 2000-2005 était initialement essentiellement orientée vers les adolescents et le jeunes adultes. Elle a été étendue aux détenus en 2002 et aux personnes âgées en 2005.

4.Le droit au logement : les politiques de résorption du phénomène des sans-domicile

303.Les causes qui amènent plusieurs dizaines de milliers de personnes à vivre dans la rue dans un pays dont les hivers sont relativement rigoureux sont, on l’a vu, multiples et complexes. Les réponses gouvernementales, qui s’en sont tenues longtemps à une approche humanitaire d’urgence limitée à l’offre d’hébergements de nuit, se sont diversifiées ces dernières années, en particulier grâce à un dialogue approfondi avec le monde associatif. L’année 2006, ayant été caractérisée par une forte médiatisation du sujet, a en outre amené à une mobilisation accrue et à la définition de nouvelles mesures.

a) Les mesures gouvernementales en faveur des «  sans-domicile »

304. La Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions de 1998 comprenait aussi des dispositions relatives aux « sans-domicile », notamment un programme d’accroissement du nombre des hébergements d’urgence. Une évaluation de l’Inspection Générale des Affaires Sociales juge l’effort entrepris insuffisant, une saturation persistante de l’offre d’hébergement d’urgence ayant été constatée, celle-ci croissant moins rapidement que la demande du fait d’une paupérisation accrue d’une partie de la population et de l’augmentation à un rythme soutenu du prix des logements.

305.Depuis 1998, la prise de conscience de l’importance du phénomène et des situations des aspirations des personnes concernées a conduit les pouvoirs publics à diversifier les dispositifs d’aide aux « sans-domicile » dans le cadre d’une coordination assurée par un dispositif d’Accueil, Hébergement et Insertion (AHI). Il a été élaboré par le gouvernement en liaison avec les collectivités locales concernées et les associations, et renforcé progressivement, notamment dans le cadre de la Loi de Cohésion Sociale puis de l’application de plans élaborés par le Ministère des Affaires sociales. Le dispositif AHI s’efforce d’organiser une réponse immédiate, globale, qualifiée et adaptée aux divers publics tout en veillant à respecter une exigence de respect de la dignité des usagers, de protection de leur vie privée, de leur intimité et de leur sécurité. Il combine dispositifs d’urgence et mesures d’insertion :

306.Quatre dispositions appuient l’objectif de réponse aux situations d’urgence :

Le numéro de téléphone 115 conduit à un service d’accueil téléphonique 24h sur 24 permet, dès que l’alerte est donnée, de mobiliser des équipes spécialisées pour informer les personnes sans domicile, les orienter et rechercher pour elles un hébergement.

Des équipes mobiles vont sur le terrain à la rencontre des personnes les plus désocialisées, composées de membres d’associations telles que Médecins Du Monde, le Samu Social et la Croix Rouge, qui jouent un rôle primordial de soutien psychologique et de contact auprès des « sans-domicile », dont un grand nombre ne sollicite aucune aide. Tout en respectant leur volonté, les équipes mobiles peuvent emmener les « sans-domicile » dans un centre d’hébergement d’urgence ou un lieu d’accueil de jour ou de nuit, outre qu’elles peuvent leur offrir une aide alimentaire et des couvertures.

Les centres d‘hébergement d’urgence accueillent les personnes sans domicile fixe pour une courte durée, temps mis à profit pour évaluer leur situation, les solliciter pour entreprendre des démarches d’accès aux droits et les orienter vers une structure d’insertion adaptée.

Un dispositif supplémentaire renforce les capacités des centres d’hébergement d’urgence durant la période d’hiver. La fragilité des personnes vivant à la rue et qui, pour certaines d’entre elles, ne sont plus en mesure de formuler une demande d’aide, se trouve alors particulièrement aggravée. Selon la situation météorologique, identifiée selon une échelle de 1 à 3, des mesures différentes sont mises en œuvre. Au niveau 1, activé du 1er novembre au 31 mars, les capacités des hébergements d’urgence sont accrues, les équipements sont ouverts en permanence et des équipes de soins mobiles sont déployées. Au second niveau, « grand froid », une « cellule de veille nationale » chargée de suivre l’évolution de la situation est mobilisée et des places en hébergements sont débloquées. Au niveau 3, « froid extrême »,  des sites potentiels d’accueil sont identifiés et mobilisés pour accueillir un plus grand nombre de personnes. Le plan hiver 2006-2007 prévoit l’ouverture de 5929 places supplémentaires à niveau 1, qui ont vocation à être pérennisées à l’année, 4075 places au niveau 2, et la possibilité de mobiliser 3875 places en plus au niveau 3. Ceci correspond à 4273 places de plus par rapport au plan hiver de 2005-2006.

307.Le dispositif AHI met aussi en place des mesures durables à potentiel d’insertion.

Les Centres d’Hébergement de Réinsertion Sociale (CHRS) proposent une prise en charge des personnes et des familles sans domicile fixe pour les aider à retrouver leur autonomie à travers des actions d’accompagnement social et d’insertion vers l’emploi et le logement. Leur gestion est, dans la majorité des cas, confiée à des associations, l’accompagnement social étant assuré par une équipe pluridisciplinaire (travailleurs sociaux, psychologues…) qui propose d’autres prestations d’insertion telles que l’accès à une formation professionnelle. En 2005, 763 CHRS ont offert plus de 30.600 places sur l’ensemble du territoire français.

Les « Maisons-Relais » et « Pensions de Famille », sont des petites structures pouvant accueillir une trentaine de personnes qui offrent une solution de logement et un soutien permanent à des personnes en situation de « grande exclusion», trop fragilisées pour pouvoir vivre dans un logement individuel. Un « hôte » les accueille et joue un rôle primordial dans l’animation de la vie quotidienne, en particulier des prestations d’accès à la vie autonome liées à la cuisine, au jardinage, à l’informatique ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme. 140 Maisons-Relais et Pensions de Famille, réparties sur 80 départements, offraient 2262 places en 2005.

Les « Résidences Sociales » permettent à des personnes ou des familles isolées de disposer d’un logement temporaire avant d’accéder à un logement autonome. Elles leur facilitent l’accès à des droits tels que le statut de résident, l’aide personnalisée au logement. Les Résidences Sociales disposaient de 1200 places en 2005.

308.La Loi de Programmation pour la Cohésion Sociale, qui a parmi ses objectifs de renforcer chaque année le dispositif d’accueil, d’hébergement et d’insertion, a prévu un accroissement du nombre d’hébergements d’insertion à offrir : en 2005, 3 800 nouvelles places d’hébergement d’insertion ont, ainsi été créées, dont 800 en Centres d’Hébergement de Réinsertion Sociale, 1 000 en Maisons-Relais et 2 000 en Centres d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile.

309.Si ces dispositifs visent à accompagner chaque personne dans un parcours d’insertion et à prendre en compte l’ensemble de sa situation pour s’adapter à ses besoins, leur efficacité est contestée et la critique s’est accrue avec l’aggravation récente des situations d’exclusions et leur extension aux familles, aux jeunes et aux déboutés du droit d’asile. En dépit de l’effort significatif accompli depuis dix ans par les pouvoirs publics pour accroître et améliorer les structures d’hébergements, la demande ne parvient pas à être satisfaite ni en termes quantitatifs ni en termes qualitatifs. Les hébergements d’urgence sont saturés et l’insertion par leur biais n’apparaît pas de nature à offrir de solution durable à une partie importante des personnes sans domicile fixe.

310.Le Ministère des Affaires sociales a demandé pendant l’été 2006, suite à l’initiative de MDM de distribuer 300 tentes, la réalisation d’un rapport d’état de la situation des « sans-domicile. Plusieurs de ses propositions ont été publiquement approuvées par le gouvernement qui a annoncé leur mise en œuvre :

L’ouverture toute l’année et 24h sur 24 des lieux d’hébergements d’urgence ;

L’organisation expérimentale, au sein de quelques structures de taille moyenne, d’un travail de réadaptation pour les personnes les plus fortement désocialisées et en perte de confiance personnelle, dans un partenariat étroit entre les associations et la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales (DASS) concernée. Ces « Hébergements de Stabilisation » serviront d’intermédiaire entre l’hébergement d’urgence et les hébergements d’insertion sociale déjà existants. Dès août 2006, 103 nouvelles places de ce type ont été créées à la périphérie de Paris ; à la fin de l’année 2006, 700 autres l’avaient été et, 300 autres le seront encore d’ici la fin de l’hiver 2006-2007 par transformation de places d’hébergement de nuit (d’urgence) déjà existantes en Hébergements de Stabilisation.

L’accès à un logement autonome ou à une chambre en foyer sera accéléré pour permettre aux personnes sans-domicile d’accéder plus rapidement aux mesures d’insertion organisées par les Centres d’Hébergement de Réinsertion Sociale.

311. Des mesures nouvelles annoncées le 27 décembre 2006, impulsées par une autre initiative associative spectaculaire, celle des « Enfants de Don Quichotte », renforcent encore les dispositifs mis en place pour l’hébergement des personnes sans domicile. Les Centres d'Hébergement d’Urgence seront désormais ouverts plus longtemps et le nombre de places d'hébergements de stabilisation devrait être multiplié par quatre d'ici le 31 mars 2007. Le gouvernement se fixe par ailleurs pour objectif de transformer 80 % des places d'Hébergement d'Urgence (13 000 au total) en places d’Hébergements de Stabilisation d'ici la fin de l'année 2007. Enfin, le nombre de places en « Maisons Relais » et « Pensions de Famille », aujourd'hui de 3 000, sera porté à 12 000 d'ici la fin de l'année 2007. Ces places, créées dans des petites structures offrant un hébergement quasi autonome, seront destinées en priorité aux personnes ayant un emploi mais sans domicile fixe, les « travailleurs pauvres ».

b) Les actions du milieu associatif et caritatif en faveur des personnes sans-domicile

312.Le rôle des associations est reconnu comme fondamental dans l’apport d’aides adaptées aux besoins des « sans-domicile », leur proximité sur le terrain leur donnant une capacité à déceler la variété de ces besoins, et leur expérience leur conférant une compétence dans l’offre des services sanitaires et sociaux et la resocialisation. Les associations, agissant en faveur de l’insertion des « sans-domicile », sont des acteurs complémentaires des pouvoirs publics dans la lutte contre l’exclusion, praticiens expérimentés de l’accueil et de la réinsertion, mais aussi critiques usant de leur liberté de parole pour dénoncer les faiblesses des dispositifs publics. Le gouvernement français soutient financièrement, notamment à travers « l’Aide aux associations Logeant à titre Temporaire les personnes défavorisées » (ALT), et dans le cadre d’un dialogue actif, les activités d’un grand nombre d’entre elles ;

313.Trois exemples :

a) ONG à vocation humanitaire internationale, Médecins Du Monde, est présente en France à travers 24 Centres d’Accueil de Soins et d’Orientations, 72 Missions Mobiles et 18 Programmes Réduction des Risques. Face aux difficultés des personnes trop marginalisées et fragilisées pour se rendre d’elles-mêmes dans des structures de droit commun, Médecins Du Monde développe des actions mobiles auprès des personnes sans domicile ou vivant dans des abris de fortune. L’objectif est double : informer les personnes sur leurs droits à l’accès aux soins pour les accompagner vers des structures de droit commun et accueillir dans les centres ceux qui n’ont pas de droits ouverts en attendant qu’ils en acquièrent.

b) Cœur des Haltes s’occupe plus spécifiquement de l’exclusion dont sont victimes les personnes sans-domicile, leur proposant des activités d’accompagnement à long terme et de retour à l’emploi. L’association s’attache aussi à l’insertion professionnelle, notamment des jeunes. Depuis 2001, deux structures accueillent les jeunes de 16 à 25 ans en difficulté dans le cadre du dispositif pré-TRACE, puis des diagnostics médicaux débouchant sur une orientation vers des lieux de soins. Depuis 2002, un espace de formation permet la mise en place de projets d’insertion professionnelle des jeunes. La pratique de « maraudes » de ses bénévoles permet à ceux-ci de partager temporairement sur le terrain la vie des sans-domicile dans le but de leur apporter un soutien psychologique et de comprendre intimement leurs situations personnelles.

c) L’association Emmaüs a été créée en 1953 par l’Abbé Pierre pour répondre aux problèmes des personnes en grande difficulté sociale. L’association propose aussi bien de l’accueil humanitaire que des « actions d’insertion par l’entraide, la solidarité et l’action citoyenne ». Une équipe mobile part chaque nuit à la rencontre des personnes qui dorment dehors et qui ne veulent ou ne peuvent pas se déplacer vers les lieux d’accueil. Elle propose aux personnes sans-domicile de les emmener dans les hébergements d’urgence, dans les CHRS et autres types de logements, dans l’attente de l’accès à un logement définitif de droit commun auquel elle les prépare. Emmaüs propose des programmes de santé dans ses différents centres : dépistage de la tuberculose, sensibilisation aux méfaits de l’alcool et prévention du sida, ainsi que des consultations de médecine de droit commun. Enfin des « lits-repos » accueillent jour et nuit des personnes ne relevant pas de l’hospitalisation, mais dont l’état de santé nécessite du repos.

314.Le milieu associatif rassemble des acteurs indispensables à la prise en charge des personnes sans domicile et permet d’offrir des prestations diverses adaptées aux besoins des « sans-domicile ». 41 associations se sont regroupées pour former le « Collectif ALERTE », partant de l’analyse que si le système institutionnel tenait insuffisamment compte de leur expertise, c’était parce que l’action associative individuelle peinait à s’affirmer, demeurait donc en marge, ce qui conduisait à des résultats eux-mêmes marginaux. L’Union Nationale des Œuvres et Organismes Privés Sanitaires et Sociaux (UNIOPSS) et le collectif ALERTE ont conclu, le 26 mai 2005, un engagement de concertation avec les partenaires sociaux pour « lutter ensemble et préventivement contre l’exclusion et pour favoriser l’accès de tous aux droits fondamentaux ». Leur objectif commun est d’agir sur les origines de l’exclusion dans tous les domaines de la vie courante, notamment sur le niveau des ressources, l’emploi, le logement, la santé, l’éducation, la formation, la justice, etc. Une réflexion a été engagée sur l’indemnisation chômage et sur la politique de logement.

315.Dans le même temps, les pouvoirs publics, nationaux et décentralisés, ont donné des signes tangibles d’une volonté de coopération avec les associations qui permette de mettre en œuvre des politiques sociales plus adaptées. Le rapport du Député Jean Paul DECOOL, réalisé à la demande du gouvernement et publié en mai 2005, a souligné le souhait de ce dernier « d’accroître le rôle des associations dans l’élaboration des politiques publiques et par conséquent qu’elles puissent remplir des missions d’intérêt général ». Le Premier Ministre a ainsi débloqué des crédits destinés aux associations qui avaient été gelés dans le cadre du plan de redressement global des finances publiques, avec effet au 1er septembre 2005. ALERTE participe désormais aux conférences et réunions interministérielles qui s’efforcent de coordonner les actions.

316.Pouvoirs publics et associations conjuguent en France, dans une relation de coopération qui ne va pas sans explications publiques et franches, leurs efforts pour assurer à tous la réalisation du droit au logement.

317.Ce sont tous ces éléments qu’il convient d’intégrer lorsqu’on élabore une politique de résorption du phénomène des « sans-domicile », qui doit être diversifiée dans ses modalités et ses acteurs, et qu’on en apprécie les résultats.

CONCLUSION

318.Les questions du chômage, de la précarité et de l’exclusion évoquent une multitude de sujets complexes.

319.Alors que le chômage est un des éléments de la précarité, la précarité et l’exclusion reflètent plus largement des processus de dégradations progressives de tous les champs de la vie d’un individu. Ce triptyque touche donc autant à des problèmes d’inégalités et de clivage croissants de la société qu’à la question de l’efficience des politiques gouvernementales. Celles-ci, depuis 30 ans, par une succession de lois d’orientations, plans d’action et autres mesures s’efforcent d’y remédier, contraintes par des règles internationales et des facteurs extérieurs de plus en plus prégnants.

320.Les questions en jeu sont aussi bien le manque d’attractivité des banlieues et les difficultés d’adaptation du système scolaire républicain français que les conditions nouvelles d’employabilité des individus.

321.Les politiques qui viennent en réponse à la série des diagnostics nécessaires inscrivent leurs résultats dans des durées très diverses : du très court terme de l’urgence (celui qu’appellent les besoins urgents des « sans domicile » en plein hiver) au long terme des restructurations de l’économie et de la réforme de l’école. Simultanément, chaque problème appelle des réponses quasi-immédiates car des vies humaines sont en jeu, et des solutions fondées sur un travail de longue haleine. Ici encore, l’exemple des « sans domicile » est éclairant : les dispositifs d’urgence ont montré à la fois leur nécessité et leurs limites, la restauration d’une vie brisée appelant un effort s’inscrivant dans la patience.

322.Dresser un bilan des politiques conduites par les pouvoirs publics avec le concours de la société civile (élément de plus en plus reconnu comme déterminant dans leur succès) est dès lors, particulièrement difficile, car il s’agit simultanément de jauger ce qui est réponse de court terme au regard de solutions véritables s’inscrivant dans le long terme.

323.Cette conclusion, sans abandonner le parti pris de prudence qui a irrigué l’ensemble de cette étude, va s’efforcer de témoigner des principaux résultats connus.

324.Concernant l’emploi, on a vu la corrélation forte de la situation de l’emploi avec le taux de croissance du PIB, facteur qui, parmi d’autres, restreint la capacité d’action des pouvoirs publics. L’évaluation de la Loi d’Orientation Relative à la Lutte contre les Exclusions du 29 juillet 1998, réalisée en 2004 par l’Inspection Générale des Affaires Sociales, explique une partie des résultats mitigés de cette loi par le ralentissement de la conjoncture économique qui s’est produit à partir de 2001, entraînant une remontée du taux de pauvreté, notamment l’augmentation du nombre d’allocataires du RMI. La conjoncture économique a aussi pesé sur les finances publiques et les contrats aidés n’ont, ainsi, pas été dotés en crédits au niveau souhaitable.

325.Plusieurs éléments signalent que certaines politiques ont commencé de porter leurs fruits :

Le chômage connaît globalement une nette diminution depuis le début de l’année 2005. En décembre 2006, le nombre de demandeurs d’emploi avait diminué de 10 % par rapport à l’année précédente, et ce malgré un taux de croissance du PIB plus faible que dans les grands pays voisins. Les demandeurs d’emploi représentaient moins de 9 % de la population active. Le nombre de jeunes demandeurs d’emploi avait décru de 1,6 % en un an, celui des hommes de 1,3 % et celui des femmes de 1,1 %. Les principaux secteurs bénéficiant d’une forte progression de l’emploi sont les services à la personne et aux entreprises, l’hôtellerie et la restauration, ainsi que les transports. Le gouvernement ambitionne de faire passer le chômage sous les 8 % en 2007. Une réintégration plus rapide des personnes licenciées pour motif économique est d’autre part notée.

Les Zones Franches Urbaines ont joué leur rôle ayant permis, depuis 2003, l’embauche de nombreux résidents desZUS.

La simplification et le développement des « contrats aidés » ont permis d’embaucher 188 507 personnes depuis leur création en avril 2005. En février 2006, le nombre d’adhésions aux « conventions de reclassement personnalisé » s’élevait à 42 000 personnes. Depuis leur création, 10 295 personnes étaient déjà sorties du dispositif en juin 2006. La promotion des services à la personne a permis, de son côté, l’embauche de 97 700 postes supplémentaires entre février 2005 et février 2006.

Le Contrat d’Insertion dans la Vie Sociale (CIVIS) connaît une réussite exemplaire : au 31 juillet 2006, 231.492 jeunes l’avaient intégré, dont près de la moitié en 2006.

Dès 2007, l’État prendra en charge à 100 % les « contrats d’avenir » concernant les chômeurs de longue durée, dans le continuum des « contrats d’accompagnement » qui concernaient, en 2006, 280 000 salariés.

Depuis sa création en 1998, le dispositif ACCRE de soutien à la création d’entreprises par des chômeurs connaît une forte progression, surtout depuis l’année 2002, ayant augmenté de 32 % pour la seule année 2003. Celui-ci consiste à exonérer l’entrepreneur de tout ou en partie du paiement de charges sociales pendant un an, sachant qu’il peut continuer de bénéficier de l’allocation de solidarité spécifique. Ce dispositif est d’autant plus performant qu’il est utilisé par un nombre croissant de chômeurs de longue durée, dont le nombre s’est accru de 6 points entre 2002 et 2003. Ce dispositif été étendu et complété avec le dispositif EDEN (Encouragement au Développement d’Entreprises Nouvelles) fin 2005.

326.Si, depuis un an, les évolutions sur le marché du travail sont satisfaisantes, le gouvernement entend rester attentif aux qualités des emplois créés et à leur durée dans le temps, l’objectif étant aussi de réduire la précarité.

327.Concernant la réussite scolaire, élément qui continue de jouer un rôle clé dans l’accès à l’emploi, et au delà, à une bonne insertion sociale :

La mise en place des équipes de « réussite éducative » a permis d’engager une prévention plus effective de l’échec scolaire des enfants et des adolescents. Un soutien personnalisé pour les jeunes en difficultés met en évidence leurs carences scolaires, sociales et culturelles, réinscrivant l’enfant dans une dynamique de réussite. 1000 enseignants supplémentaires ont rejoint à la rentrée 2006 les 249 collèges et les 1600 écoles primaires classés « Ambition-Réussite » où sont concentrées les plus grandes difficultés sociales et scolaires. Ces établissements ont en outre bénéficié de 3000 assistants pédagogiques supplémentaires.

Au 31 décembre 2004, 195 lycées professionnels étaient labellisés pour la cohérence des formations qu’ils offraient au regard des métiers possibles, pour l’accueil offert à des publics variés et pour leur offre d’une gamme étendue de diplômes et de services de validation des acquis de l’expérience.

La promotion de l’égalité des chances devient une cause nationale comprise de tous, ainsi que l’exprime, et de façon exemplaire, la mobilisation de plusieurs établissements supérieurs d’excellence, quatre lycées des zones sensibles et dix-neuf grandes entreprises françaises d’une part, un nombre croissant d’acteurs économiques d’autre part. En cinq ans, 33 lycées de diverses régions de France sont devenus partenaires de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. En leur sein, 189 étudiants ont été recrutés par Science Po, dont 57 pour la seule année 2005. Les deux tiers des admis par la voie de la Convention Education Prioritaire ont au moins un parent né hors de France. Une fois à Science Po, des résultats académiques comparables aux étudiants entrés par d’autres procédures d’admissions sont notés : neuf étudiants sur dix passent directement dans l’année supérieure. On remarque aussi la parfaite intégration sociale de ces élèves. En 2003-2004, ils étaient déjà vingt sur trente-sept à être élus délégués des élèves, ce qui témoigne de leur investissement personnel et de la confiance que leur accordent leurs condisciples.

Au 1er janvier 2004, 2686 Contrats Educatifs Locaux associant les Ministères de la Jeunesse et des Sports et de l’Education Nationale aux collectivités locales ont été enregistrés impliquant 13 747 établissements scolaires, soit environ 20 % de l’ensemble des établissements français. Les CEL ont permis d’associer 55 300 intervenants et 9 934 associations dans 9 275 communes réparties sur l’ensemble du territoire français, Départements, Régions et Collectivités d’Outre-Mer compris. La plupart des actions et activités proposées dans le cadre de ces Contrats éducatifs locaux sont dans le domaine extra-scolaire, un tiers relèvent du domaine péri-scolaire. Les CEL impliquent 4 069 000 enfants et jeunes, dont 51,8 % de filles et 369 000 jeunes de plus de 16 ans. Les CEL privilégient les territoires défavorisés socio-géographiquement et sont de plus en plus présents dans les Zones d’Education Prioritaires : en 2004, 15,3 % des CEL impliquant des établissements scolaires étaient en ZEP (soit 2 103 établissements). On peut toutefois regretter que peu encore de ces contrats éducatifs locaux s’organisent en association entre les périphéries et les grandes villes où se situent pourtant la plupart des grands équipements culturels. Les évaluations de différents CEL révèlent d’autre part que les expériences des enfants et des intervenants impliqués dans les CEL peuvent être très différentes selon que le CEL est mis en place dans un milieu rural ou urbain.

328. Dans le domaine du logement , les effets des dispositifs de prévention des expulsions ainsi que les mesures destinées à favoriser l’accès au logement des personnes défavorisées n’ont encore eu que des effets réduits . Les familles pauvres ont continué d’être particulièrement touchées par la situation générale de pénurie de logements et d’augmentation des loyers. Mais plusieurs éléments indiquent des progrès :

Les politiques de la ville contre la précarité de l’habitat sont devenues une des priorités d’action dans la lutte contre les exclusions. En quinze ans, une multitude de dispositifs et d’alternatives est née pour permettre aux plus défavorisés d’obtenir un logement ou de s’y maintenir : réquisitions d’immeubles vacants, procédures de préventions des expulsions, plans de rénovations et de constructions de logements sociaux, etc. En cinq ans, le nombre d’habitations à loyers modérés (HLM) financées par l’Etat et les collectivités a été multiplié par deux, passant d’environ 42.000 en 2000 à 86.000 en 2005. Ces résultats sont essentiellement dus au soutien à l’investissement locatif (avec plafonds de baux) organisé depuis 2003 et au Plan de cohésion sociale de 2005.

Malgré leur importance et la croissance continue de construction de logements en France, les mesures favorables au logement des populations défavorisées demeurent toutefois insuffisantes pour répondre aux besoins. Il manquait environ 900.000 logements aidés mi-2006. La Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) dénonce le fait qu’en conséquence une proportion de plus en plus importante de salariés doive être accueillie dans des centres d’hébergement. La reconnaissance effective d’un « droit au logement opposable » comme le préconise les derniers rapports du Haut Comité pour le Logement des Personnes Défavorisées en 2002 et 2003 fait actuellement l’objet de nombreux débats et réflexions.

Le Gouvernement a demandé à la Caisse Nationale des Dépôts et Consignations, l’un de ses principaux instruments de politique économique, de mobiliser une plus grande partie de ses ressources au profit du logement social.

L’attractivité des banlieues tend à s’améliorer progressivement grâce aux dispositions de la Loi de Solidarité et de Renouvellement Urbain qui modifie en profondeur ses fondements juridiques. Les mutations du paysage urbain périphérique sont à leur début et exaspèrent parfois leurs habitants par leur lenteur, comme les émeutes de novembre 2005 l’ont montré, mais elles annoncent des changements significatifs dans l’amélioration et la diversification de l’habitat et la création de véritables villes multi-fonctionnelles. On comptait, à la mi-juillet 2005, 124 projets validés par l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine se décomposant, pour les cinq années à venir, en travaux programmés sur 224 quartiers prioritaires, 58.500 démolitions, plus de 55.000 constructions et 108.000 réhabilitations.

Depuis 2005, la logique de l’aide apportée aux « sans-domicile » s’est modifiée recherchant la réinsertion durable de la personne: hébergement convenable et durable, formation professionnelle, suivi constant dans le parcours de réinsertion et information sur les droits fondamentaux de la personne. La situation des « travailleurs pauvres » est clairement prise en compte dans la politique très volontariste qui a été mise en place, en deux phases au cours de l’année 2006, pour les « sans domicile », une priorité d’accès aux « Maisons Relais » et « Pensions de Famille » leur étant assurée.

329. Concernant la santé , les résultats s’inscrivent dans le long terme, mais certains sont déjà mesurables, les enquêtes fournies depuis peu par l’Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé (IRDES) et la Direction de la Recherche des Etudes et de l’Evaluation des Statistiques (DREES) rattachés au Ministère de la Santé fournissant une vision globale de l’état de santé des populations défavorisées et de son évolution :

L’amélioration du dispositif statistique a permis d’observer le caractère indispensable de la CMU et ses effets positifs : au cours de l’année 2005, le nombre de bénéficiaires de la CMU de base a progressé de près de 60.000 personnes, soit une augmentation de 3,5% par rapport à 2004. Si, en 2005, 1.692.000 personnes étaient affiliées à la CMU de base, et 70.000 à la CMUC, en progression de 2 %. Les opinions favorables sur les changements apportés par la CMU progressent depuis 2000, puisque 80% des personnes interrogées trouvent qu’il est plus facile de se faire soigner avec la CMU.

Du fait de la mise en place de la CMU et de l’AME, l’association Médecin du Monde a observé une baisse significative du nombre de personnes françaises se présentant pour consultation gratuite dans ses centres d’urgence. En revanche, le nombre global de personnes (françaises et étrangères) se présentant pour de telles consultations sans aucune couverture médicale s’est multiplié par 2,5 en 5 ans. L’association estime que 82 % des personnes ayant droit à une couverture maladie n’ont pas de droits ouverts lorsqu’ils se présentent dans un centre de soins, en conséquence du fait que l’accès à l’AME ou à la CMU serait particulièrement difficile pour les personnes les plus démunies. En effet, afin d’obtenir la CMU ou l’AME, la personne doit présenter un justificatif de domicile ou la preuve qu’elle réside en France depuis 3 mois et doit périodiquement renouveler sa demande. Les difficultés financières, la méconnaissance des droits et des structures d’aide, la complexité des démarches administratives et dans certains cas, une barrière linguistique, sont d’autres obstacles qui rendent l’accès aux soins plus difficile. Médecins du Monde précise, enfin, qu’un grand nombre de personnes bénéficiaires de la CMU se voit refuser des soins par certains médecins généralistes.

Si l’objectif d’une diminution de 20 % du nombre des suicides paraît encore loin d’être atteint, l’inflexion qui affecte depuis deux ans une courbe jusque là ascendante incite à un certain optimisme.

Le plan de lutte contre l’alcoolisme, solidement appuyé sur le renforcement des contrôles du taux d’alcoolémie des conducteurs automobiles (voir réponse à la recommandation 21), signale des progrès conséquents aux effets prioritaires sur les classes les plus populaires, celles qui consomment traditionnellement le plus de boissons alcoolisées. Dans un pays où les violences conjugales sous l’empire de la boisson sont un autre sujet de mobilisation de la part des pouvoirs publics et des associations, d’autres effets très positifs sont attendus de cette évolution.

330.Globalement, la situation française d’accès aux soins apparaît plutôt positive, grâce au fort degré d’universalité de l’assurance maladie et sa généralisation. Toutefois, des difficultés pour accéder aux soins persistent. Toutes ces informations font l’objet d’une réflexion gouvernementale qui devrait déboucher rapidement sur des initiatives nouvelles.

331. La lutte contre les discriminations de sexe et raciales a pris une tournure nettement plus offensive depuis la création de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE).

Disposant d’un pouvoir d’enquête (y compris par la méthode du « testing ») et de saisine de la justice, la HALDE produit, par ses initiatives, une dynamique de bonnes pratiques convainquant les entreprises à la fois des risques qu’elles prennent à enfreindre la loi (plusieurs d’entre elles ont été déférées devant la justice) et de l’intérêt de la diversité dans le recrutement de leurs ressources humaines. Plus d’une centaine d’entreprises ont adhéré à la Charte de la diversité qu’elle promeut, dont les plus importantes. Ses moyens ont été renforcés par la Loi pour l’Égalité des Chances du 31 mars 2006 qui lui a donné un pouvoir de médiation.

Depuis 2005, 11 labels « égalité » délivrés par le Ministère de la Parité et de l’Égalité professionnelle ont été décernés à 11 entreprises et certaines de leurs filiales, la première ayant été PSA Peugeot Citroën, suivie d’EADS et des Eaux de Paris, pour leurs pratiques exemplaires de lutte contre les discriminations fondées sur le sexe.

332.Mais, l’exclusion étant un processus global, c’est de façon globale que doivent s’apprécier les effets des politiques. Précarité et exclusion sont, en effet, des processus cumulatifs, des dynamiques promptes à s’enclencher à partir d’un accident comme le chômage, la perte d’un logement, le surendettement, avec rapidement de graves conséquences dans de nombreux domaines, en particulier la santé. Comme le précisent de nombreux rapports officiels et témoignages associations, et comme le rappelle la Commission consultative des droits de l’Homme dans ses avis à ce sujet, la précarité et l’exclusion peuvent engendrer « un cercle vicieux de la misère » qui empêche les personnes et familles d’assumer leur responsabilités et de jouir de leurs droits fondamentaux. Les analyses de Serge Paugam montrent en outre que la pauvreté « est un phénomène multidimensionnel qui correspond aujourd’hui moins à un état qu’à un processus de disqualification sociale ».

333.La croissance régulière des allocataires du RMI, depuis 2001, qui a atteint le nombre de 1 276 800 en janvier 2006, apparaît à cet égard comme un indicateur intéressant. Le nombre d’allocataires s’est heureusement stabilisé depuis le début de l’année 2006, du fait principalement de l’amélioration de la situation de l’emploi intervenue depuis près d’un an. Si la population âgée de 40 ans était la plus durablement consommatrice du RMI qui, pour elle, a connu une progression de 5,7 % en 2005, le nombre d’allocataires âgés de moins de 40 ans a connu un fort ralentissement en 2005.

334.Les minima sociaux existants étant une méthode répandue de réduction de la pauvreté, il est intéressant de comparer les résultats de la France avec ceux des autres pays de l’Union européenne. À partir de tableaux d’Eurostat, à niveau identique, la dépense sociale en France apparaît globalement moins performante pour réduire la pauvreté que dans les autres pays européens. Cela tient sans doute pour partie à la complexité de son dispositif : pendant que la France compte neuf minima sociaux, la Finlande n’en dispose que d’un seul. Tirant les leçons de cette analyse, la loi du 23 mars 2006 pour le Retour à l’Emploi et sur les Droits et les Devoirs des Allocataires de Minima Sociaux a réformé l’intéressement à la reprise d’emploi des bénéficiaires de minima sociaux en le rendant plus simple et plus attractif financièrement.

335.L’organisation propre des pouvoirs publics dans la lutte contre les exclusions explique du reste, selon l’Inspection générale des Affaires sociales, l’insuffisance en résultats positifs. La coordination entre acteurs n’a pas été suffisante, alors qu’elle est indispensable à la cohérence entre les actions des différents départements ministériels, des collectivités territoriales et des associations. Ainsi, si le traitement des problèmes de surendettement s’est amélioré, la prévention de celui-ci n’a pas trouvé toute l’attention souhaitable du côté des administrations. Des associations ont, à cet égard, dénoncé le non-respect par des établissements bancaires des dispositions relatives au droit au compte et à l’insaisissabilité de certaines prestations, se traduisant par des exclusions bancaires.

336.En dépit de la création de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), la mise en œuvre de la loi a souffert d’une insuffisance des instruments d’analyse des besoins et des résultats concrets. Les systèmes d’informations ont révélé de fortes lacunes, du fait de la multiplicité des indicateurs et de l’imprécision des définitions : les objets pour lesquels les politiques gouvernementales s’engageaient n’étaient pas assez clairement définis, facteur obérant la capacité des évaluations à renseigner sur les problèmes.Constatant la difficulté d’élaborer des politiques sans indicateurs précis et adaptés sur les objectifs et les résultats, les pouvoirs publics se sont intéressés à corriger les lacunes de l’information statistique, de sorte que les parcours de vie atypiques et les conditions de vie précaires puissent aussi être mieux appréhendés. Plusieurs administrations se sont dotés d’outils d’analyse et ont appris à travailler ensemble sur le sujet.

337.Le Plan de Cohésion sociale et la loi de Programmation pour la Cohésion sociale du 18 janvier 2005, tirant les conclusions de ce bilan, ont engagé une stratégie de restauration du lien social, traitant ensemble des problèmes de société inter-corrélés qui, jusque-là, faisaient l’objet de traitements cloisonnés. Un nouvel élan a ainsi été donné avec la rénovation du service public de l’emploi, qui a permis l’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi avec un suivi plus régulier et attentif à leurs profils, facilitant leur retour à l’emploi. Les politiques gouvernementales relatives aux minima sociaux et aux soins, qui assurent des « filets de sécurité » tant au plan financier que social, ont aussi été profondément renforcées dans ce sens. Parmi les allocataires du RMI, environ 145 100 bénéficiaient, fin mars 2006, d’au moins une mesure spécifique d’aide à l’emploi, tel le « contrat d’avenir », en progression de 4,5 % sur un an. L’évolution la plus récente est l’annonce, le 28 août 2006, par le gouvernement, de deux aides nouvelles en faveur des ménages les plus modestes afin de valoriser leur pouvoir d’achat : le doublement de la Prime Pour l’Emploi pour les personnes rémunérées au niveau du SMIC instituée en 2001 dont le montant sera passé de 538 euros à 940 euros entre 2005 et 2007. La seconde mesure est la création de « chèques transports » pour l’ensemble du territoire français qui seront mis en place à partir du 1er janvier 2007, qui permettront de régler les frais de transport des salariés du secteur privé, l’employeur prenant en charge 50 % de ceux-ci dans la limite de 200 euros, cette somme étant exonérée de charges sociales.

338. De façon générale, la précarité et l’exclusion évoquent un problème commun, celui de l’accès aux droits fondamentaux des personnes démunies. L’accès au droit est reconnu comme un facteur efficace pour reprendre pied et se réinsérer. Ainsi, une politique publique de l’accès au droit vise à favoriser l’accès de tous, et en particulier des personnes les plus en difficulté, à une information juridique personnalisée. La loi sur le surendettement des ménages ou encore les mesures de prévention de l’exclusion par le maintien dans le logement s’inscrivent dans cette stratégie. Les associations et les collectivités locales adoptent des démarches voisines, en particulier lorsqu’il s’agit des personnes sans-domicile en rupture totale de la société.

339.C’est pourquoi la lutte contre l’exclusion et la pauvreté reste une priorité pour la France qui continue d’élaborer des dispositifs pour compléter les mesures déjà mises en œuvre par les lois et plans de lutte contre les exclusions et de cohésion sociale. Ses efforts s’inscrivent dans le cadre de ses engagements internationaux. Outre les conventions internationales, la « Déclaration de Copenhague sur le développement social », les Objectifs du millénaire, ou encore les principes directeurs des Nations Unies de la résolution de la SCDH du 24 août 2006, précisent que l’élimination de la pauvreté et la lutte contre l’exclusion sont des objectifs mondiaux, auxquels la France est particulièrement attachée, comme le démontre son engagement en faveur de l’élaboration d’un protocole additionnel au Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels rendant ces derniers plus exigibles.

340.Le foisonnement des moyens mis en place afin de lutter contre la précarité et les exclusions prouve l’engagement du Gouvernement français et sa volonté d’agir durablement sur les causes. L’implication de l’ensemble des ministères et organismes publics en partenariat croissant avec des acteurs privés, entreprises et associations, atteste la prise de conscience de la société française du fait qu’un enjeu majeur se présente, auquel seul un sursaut collectif saura répondre.

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