Nations Unies

E/C.12/TUN/CO/3

Conseil économique et social

Distr. générale

14 novembre 2016

Original : français

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de la Tunisie *

1.Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné le troisièmerapport périodique de la Tunisie sur l’application du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/TUN/3) à ses 57e et 58e séances (voir E/C.12/2016/SR.57 et 58), les 22 et 23 septembre2016, et a adopté, à sa 78e séance, le 7 octobre 2016, les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité se félicite de la présentation du troisième rapport périodique de la Tunisie ainsi que des réponses écrites de l’État partie à la liste de points (E/C.12/TUN/Q/3/Add.1). Il se félicite également du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie.

3.Le Comité a examiné la situation de la Tunisie au regard du Pacte alors que celle-ci est entrée dans une période de transition, marquée notamment par l’adoption d’une nouvelle Constitution en 2014. Conscient des défis que présente cette transition, le Comité encourage la Tunisie à voir cette période comme une opportunité pour renforcer la protection des droits économiques, sociaux et culturels.

B.Aspects positifs 1618936

4.Le Comité accueille avec satisfaction la nouvelle Constitution promulguée le 27 janvier 2014, qui consacre les droits économiques, sociaux et culturels, en particulier le droit syndical (art. 36), le droit à la santé (art. 38), le droit à l’éducation (art. 39), le droit au travail (art. 40) et le droit à l’eau (art. 44).

5.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié ou adhéré à la plupart des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et a retiré, en 2014, la réserve accompagnant sa ratification de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

6.Le Comité note avec satisfaction la mise en place, à la suite de la révolution de 2011, d’institutions démocratiques telles que l’Assemblée des représentants du peuple et l’Instance Vérité et Dignité, ainsi que la création du Ministère chargé des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’homme.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte

7.Tout en accueillant avec satisfaction le fait que la Constitution a prévu expressément, dans son article 20, que les traités internationaux en vigueur à l’égard de la Tunisie sont supérieurs aux lois, le Comité est préoccupé par le fait que les tribunaux tunisiens n’invoquent que très rarement le Pacte (art. 2, par. 1).

8. L e Comité engage l’État partie à prendre des mesures favorisant l ’ application du Pacte par les autorités nationales, y compris par les cours et tribunaux . Il recommande notamment de :

a) S ensibiliser les juges, les avocats , le public et les parlementaires à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels et à la possibilité d’invoquer les d ispositions du Pacte en justice ;

b) F ournir une formation spécialisée aux juges et magistrats concernant l’application du Pacte ;

c) F ournir dans son prochain rapport une compilation des décisions adoptées par les juridictions tunisien ne s en la matière.

9. Le Comité attire l’attention de l’État partie sur l’observation générale n o 9 (1998) sur l’application du Pacte au niveau national.

10. Le Comité accueille avec satisfaction le projet de loi sur l’Instance des d roits de l’ h omme , érigée en instance constitutionnelle par l’article 128 de la Constitution . Il recommande à l’ État partie d’a ssur er l a conformité de cette i nstance avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris), et de s ’ assurer que son mandat s ’ étend aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 2, par. 1).

11.Le Comité note qu’un nombre significatif de projets de loi qui concernent des droits contenus dans le Pacte sont en attente de leur adoption par l’Assemblée des représentants du peuple (art. 2, par. 1).

12. Le Comité encourage l’ État partie à accélérer l’adoption, entre autres, du projet de loi sur l’Instance de bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption, du projet de loi sur la d é l ation et la protection des témoins , ainsi que du projet de loi sur l’asile.

13. Par ailleurs, le Comité encourage l ’ État partie à finaliser la mise en place de la Cour c onstitutionnelle afin que celle-ci puisse garantir la conformité de la législation nationale avec la Constitution.

Politique fiscale

14.Le Comité observe avec préoccupation que le système fiscal actuel fait peser une charge disproportionnée sur les ménages, en particulier sur les familles comprenant un employé dans le secteur formel de l’économie (art. 2, par. 1).

15. Le Comité recommande à l’ État partie d’entamer une réforme fiscale visant à introduire davantage de justice fiscale et à répartir de manière plus égalitaire l es efforts entre les contribuables, en vue de permettre à l ’ État de progresser dans la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels et de réduire les inégalités .

Corruption

16.Le Comité note avec satisfaction la ratification par l’État partie de la Convention des Nations Unies contre la corruption, le 23 septembre 2008, et le statut constitutionnel de l’Instance de bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption. Néanmoins, les efforts visant à éradiquer la corruption doivent se poursuivre. L’État partie devrait également s’assurer que le projet de loi de réconciliation nationale économique et financière ne débouche pas sur une impunité pour les personnes s’étant rendues coupables de corruption à grande échelle avant 2011, compte tenu du message ambigu qui en résulterait pour la société tunisienne (art. 2, par. 1).

17. Le Comité recommande à l’ État partie de redoubler d’efforts dans la lutte contre la corruption et de garantir la reddition de comptes et la transparence dans la gestion des fonds publics. Le Comité recommande également à l ’ État partie de sensibiliser les responsables politiques, les parlementaires et les fonctionnaires nationaux et locaux aux coûts économique s et socia ux de la corruption, ainsi que d ’ encourager les juges, les procureurs et les agents publics à appliquer stricte ment la législation.

Accords commerciaux et d’investissement bilatéraux et multilatéraux

18.Le Comité exprime sa préoccupation quant à la faiblesse des instruments existants visant à garantir que les droits du Pacte seront pris en compte dans la négociation des accords commerciaux ou d’investissement bilatéraux et multilatéraux par l’État partie, y compris le projet d’Accord de libre-échange complet et approfondi avec l’Union européenne (art. 2, par. 1).

19.Le Comité appelle l’État partie à s ’ assurer que ses obligations à l ’ égard du Pacte seront prises en compte dans le cadre de la négociation et de la mise en œuvre des accords commerciaux et d’investissement bilatéraux et multilatéraux , en particulier par la préparation d ’ études d’impact de ces accords sur les droits économiques, sociaux et culturels, en mettant l ’ accent sur les impacts potentiels de ces accords sur les groupes en situation de vulnérabilité . L ’ Assemblée des représentants du peuple a une responsabilité spécifique à cet égard. Le Comité attire l ’ attention de l ’ État partie sur les Principes directeurs applicables aux études de l’impact des accords de commerce et d’investissement sur les droits de l’homme (A/HRC/19/59/Add.5).

Non-discrimination

20.Le Comité regrette que l’État partie ne se soit pas encore doté d’un cadre législatif contre la discrimination intégrant tous les motifs de discrimination prévus à l’article 2 du Pacte. À cet égard, il relève avec intérêt les propositions faites en vue de l’adoption d’une loi générale contre la discrimination (art. 2).

21. Le Comité recom mande à l’ État partie d’ accélér er l’adoption et de veiller à la m ise en œuvre d ’ une l égislation anti-discrimination complète qui interdise toute forme de discrimination, directe ou indirecte , conformément au p aragraphe 2 de l’article 2 du P acte et à l’observation générale n o 20 (2009) sur la non-discrimination dans l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels.

Disparités régionales

22.Le Comité note avec inquiétude qu’il existe de grandes disparités économiques et sociales entre les régions côtières et les régions de l’intérieur, que reflètent les taux de pauvreté et d’emploi, et dont les impacts différenciés en fonction des groupes ethniques ne peuvent être ignorés (art. 2).

23. Le Comité recommande à l’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour remédier aux disparités régionales , y compris en recourant au mécanisme des inégalités compensatrices inscrit dans la Constitutio n, par des investissements publics et d’infrastructure dans l es rég ions défavorisées , et en orientant les politiques sociales compte tenu de ces disparités .

Discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

24.Bien que la Constitution consacre le droit à la vie privée et à la liberté d’expression, de pensée et d’opinion, le Comité note avec inquiétude que la discrimination envers les lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués persiste dans la loi et la pratique. Le Comité relève avec préoccupation que les relations consenties entre personnes du même sexe sont incriminées par l’article 230 du Code pénal sous l’appellation de sodomie, et que l’article 226 du Code pénal réprimant l’outrage public à la pudeur est régulièrement prétexte au harcèlement des minorités sexuelles (art. 2, par. 2).

25. Le Comité recommande à l’ État partie d’abroger sans délai l’article 230 du Code pénal et de former les agents responsables de l ’ application des lois à la nécessité de respecter la diversité des orientations sexuelles et les identités de genre .

Égalité des droits entre les hommes et les femmes

26.Le Comité se félicite de l’engagement de l’État partie à poursuivre ses efforts afin d’instaurer l’égalité des sexes. Néanmoins, il relève avec inquiétude que l’accès des femmes à l’héritage demeure entravé par des dispositions discriminatoires : le livre neuf du Code du statut personnel sur la succession est en nette contradiction avec la Constitution et avec les conventions internationales ratifiées par la Tunisie (art. 3).

27. Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier sans délai toutes les dispositions légales établissant une discrimination fondée sur le sexe, y compris en matière successorale. Il réitère sur ce point les recommandations formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes ainsi que par le Groupe de travail sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes dans la législation et dans la pratique .

Droit au travail

28.Le Comité salue les mesures prises par l’État partie en vue d’améliorer la représentation des femmes dans le secteur de la justice, les instances législatives et la fonction publique. Les femmes demeurent néanmoins défavorisées dans l’accès au marché du travail, plusieurs des dispositions visant à favoriser la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale renforçant les stéréotypes de genre et la ségrégation professionnelle. Le Comité est également préoccupé par l’écart salarial entre hommes et femmes et par l’importance du travail non rémunéré des femmes dans le secteur agricole (art. 3 et 6).

29. L e Comité exhorte l’État partie à :

a) Prendre des mesures ciblé e s en faveur des femmes les plus défavorisées sur le marché du travail , notamment les femmes vivant en milieu rural ;

b) Lutter contre la ségrégation professionnelle et d évelopper des outils d’évaluation des emplois permettant de revaloriser les salaires des métiers où les femmes sont traditionnellement surreprésentées  ;

c) Accroître la représentation des femmes aux postes de décision dans les organes publics et promouvoir davantage la représentation équilibrée des sexes dans les entreprises, y compris par le biais de mesures spéciales temporaires .

Chômage

30.Le Comité salue l’adoption en 2012 de la stratégie nationale pour l’emploi. Il constate néanmoins avec préoccupation que le taux de chômage reste élevé, en particulier dans les gouvernorats de Sidi Bouzid, Gafsa et Kasserine, et que 37 % des emplois, selon certaines estimations, se trouvent dans l’économie informelle (art. 6 et 7).

31. Le C o mité recommande à l’ État partie de poursuivre et de renforcer la lutte contre le chômage en visant en priorité les régions les plus touchées et les groupes les plus défavori sés . Le Comité recommande à l’ État partie de prendre des mesures pour régulariser la situation des travailleurs du secteur informel en améliorant progressivement leurs conditions de travail et en les intégrant dans les régimes de sécurité sociale. Le renforcement du mandat de l ’ inspection du travail en vue de favoriser le processus de régularisation est une priorité à cet égard.

Réfugiés et demandeurs d’asile

32.Le Comité salue la générosité de l’assistance fournie par l’État partie aux réfugiés et demandeurs d’asile, notamment aux réfugiés ayant fui la Libye. Le Comité note cependant que l’accès des réfugiés et demandeurs d’asile enregistrés auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés au travail, aux soins de santé et à l’éducation demeure entravé en l’absence de reconnaissance d’un statut juridique provisoire pour ces personnes (art. 3, 6, 11, 12 et 13).

33. Le Comité recommande à l’ État partie d’octroyer un statut juridique officiel à titre provisoire aux réfugiés et demandeurs d ’ asile, en veillant à ce qu ’ ils soient correctement identifiés et munis de documents délivrés par les autorités tunisiennes compétentes et à favoriser par là leur accès à l ’ emploi salarié ou à une activité indépendante, ainsi que l eur accès aux soins de santé et à l ’ éducation . Il recommande également qu e l ’ adoption de la loi sur l ’ asile, pendante au moment du dialogue avec l ’ État partie , soit considérée comme une priorité .

Droit à des conditions de travail justes et favorables

34.Bien qu’un salaire minimum interprofessionnel garanti soit fixé conformément à l’article 134 de la Constitution, plusieurs catégories de travailleurs se trouvent dans une situation dérogatoire. En outre, dans le secteur agricole, où un salaire minimum garanti distinct est fixé, le travail non rémunéré demeure fréquent. Le Comité s’inquiète aussi des conditions de travail dans le secteur du textile et du manque de ressources allouées à l’inspection du travail pour conduire des visites périodiques sur l’hygiène, la santé et la sécurité au travail. Il s’étonne de ce que le mandat de l’inspection du travail paraisse ne pas s’étendre au secteur informel, ce qui expose les travailleurs et les travailleuses de l’économie informelle à l’exploitation et à des conditions de travail dangereuses (art. 3, 6 et 7).

35. Le Comité engage l’ État partie à renforcer les capacités de l’inspection générale du travail, en lui allouant les ressources financières et humaines nécessaires pour qu’elle puisse s’acquitter de sa mission. I l recommande à l’ État partie d’adopter les mesures requises pour que toutes les allégations de violations du droit du travail commises par des employeurs fassent dûment l’objet d’enquêtes et, s ’ il y a lieu, de sanctions. Le Comité recommande à l’ État partie d’étendre les services de l’inspection du travail au secteur informel , afin de garantir le droit à des conditions de travail justes et favorables pour tous. Il renvoie l’État partie à son observation général e n o 23 (201 6 ) sur le droit à des conditions de travail justes et favorables.

Droit à la sécurité sociale

36.Le Comité relève avec préoccupation que plus de 50 % de la main-d’œuvre ne bénéficie pas de couverture sociale. En outre, 37 % des travailleurs sont employés dans le secteur informel et ne disposent aujourd’hui d’aucune garantie en ce qui concerne les salaires, les heures de travail, la santé, la sécurité et les prestations sociales (art. 7 et 9).

37. L e Comité engage instamment l’ État partie à poursuivre ses efforts en vue d’élaborer un système de sécurité sociale qui garantisse une couverture sociale étendue assurant des prestations suffisantes à tous les travailleurs et à toutes les personnes et familles défavorisées, afin de garantir un niveau de vie adéquat . Le Comité se réfère à cet égard à son o bservation générale n o 19 ( 200 7 ) sur le droit à la sécurité sociale (art. 9) .

Violence à l’égard des femmes

38.Le Comité se réjouit de l’engagement pris par l’État partie d’accélérer l’adoption du projet de loi générale visant à éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, qui permettra notamment de faire bénéficier les victimes de violences de mesures de protection. Il exprime l’espoir que la loi inclura l’abolition des articles 218 et 319 du Code pénal, qui prévoient que les poursuites pour viol peuvent être abandonnées si la victime retire sa plainte contre l’époux ou le parent ; de l’article 239 du Code pénal, qui prévoit que l’auteur d’un enlèvement peut échapper aux poursuites pénales s’il épouse la victime ; ainsi que de l’article 227 bis du Code pénal, qui prévoit que le mariage de l’auteur d’un viol légal peut (y compris si la victime a moins de quinze ans) échapper aux poursuites s’il épouse la victime. Le Comité regrette cependant l’absence de données statistiques, ventilées par type d’infraction, sur la proportion de plaintes déposées qui ont donné lieu à des poursuites et des condamnations dans des cas de violence liées au genre, ainsi que sur les mesures de réparation appliquées (art. 2 et 10).

39. L e Comité recommande à l ’État partie de :

a) Hâter l’adoption de la loi contre la violence à l’égard des femmes et de s’assurer que celle-ci érige en infraction pénale toutes les formes de violence à l’égard des femm es ;

b) V eiller à ce que les cas de violence envers les femmes fassent l’objet de poursuites diligentes et impartiales, que les auteurs soient poursuivis et punis proportion nellement à la gravité de leurs actes et que les victimes bénéficient d ’ une protection et obtiennent réparation ;

c) S ensibiliser et former le corps judiciaire et les membres des forces de l’ordre au sujet de toutes les violences à l’égard des femmes et de renforcer les campagnes de sensibilisation de l’opinion publique.

Pauvreté

40.Le Comité est préoccupé par les taux de pauvreté enregistrés notamment dans les zones rurales et dans la région Centre-Ouest. Il relève qu’il manque encore une stratégie intégrée permettant de surveiller les progrès accomplis dans la lutte contre la pauvreté par des mécanismes de contrôle indépendants, et que plusieurs programmes de développement n’atteignent pas leurs objectifs, notamment à cause d’une mauvaise coordination entre différents départements, de capacités de mise en œuvre insuffisantes et d’une absence d’évaluation. Compte tenu du taux de pauvreté dans la population, le Comité est préoccupé par les conséquences pour les ménages les plus pauvres que pourrait avoir la réforme de la Caisse de compensation, qui permet de garantir l’accès à certaines denrées alimentaires de base à un prix abordable (art. 11).

41. Le Comité engage l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire la pauvreté et l’extrême pauvreté, en particulier dans les zones rurales et dans les gouvernorats de l ’ intérieur . Des efforts spécifiques devraient être consentis afin de s ’ assurer que les per sonnes sans domicile fixe sont couvertes par ces initiatives et ne rencontrent pas d ’ obstacles d ’ ordre administratif pour avoir accès aux aides publiques. Le Comité rappelle qu ’ afin d ’ être compatibles avec le Pacte, les programmes de lutte contre la pauvreté devraient reconnaître les bénéficiaires comme titulaires de droits, les informer des droits qu ’ ils peuvent revendiquer et prévoir des mécanismes de recours efficaces et indépendants permettant de contester les cas d ’ exclusion. Le Comité appelle l’attention de l’ État partie sur sa déclaration sur la pauvreté et le P acte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ( voir E/2002/22-E/C.12/2001/17, annexe VII) , adoptée le 4 mai 2001 , ainsi que s ur s a déclaration sur les socles de protection sociale  : un élément essentiel du droit à la sécurité sociale et des objectifs de développement durable (E/C.12/ 2015 / 1 ) , adoptée le 6 mars 2015 . S ’ agissant enfin de la réforme de la Caisse de compens at ion, le Comité attire l ’ attention de l ’ État partie sur les risques que comporte un ciblage plus grand des subsides favorisant l ’ accès aux produits alimentaires de base pour les familles mal informées quant à leurs droits ou dans l ’ incapacité de surmonter les obstacles administratifs à leur enregistrement comme bénéficiaires.

Droit à l’eau potable et à l’assainissement

42.Le Comité se déclare préoccupé par le déficit en eau, l’insuffisance de la mise à disposition du public de l’eau potable, en particulier dans les zones rurales, ainsi que les coupures fréquentes et prolongées d’eau dans les zones touchées. Il note avec préoccupation que le traitement d’une grande partie des eaux usées (jusqu’à 61 % selon la Cour des comptes) ne répond pas aux normes minimales, ce qui représente un danger pour la santé et l’environnement, d’autant que 25 % de ces eaux usées sont utilisées pour l’irrigation (art. 11).

43. Le Comit é demande instamment à l’ État partie d’investir davantage de ressources dans l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable et des systèmes d’assainissement, en particulier dans les zones rurales, et de prendre promptement des dispositions pour protéger l’eau, le sol et l’air contre la contamination. I l renvoie l’ État part ie à son observation générale n o 15 ( 200 2 ) sur le droit à l’eau et à sa déclaration sur le droit à l’assainissement ( E/C.12/ 2010 /1 ) , adoptée le 19 novembre 2010 .

Droit à un logement adéquat et abordable

44.Le Comité note l’existence du programme public du logement social, mis en place en 2012 pour assurer l’accès à un logement convenable et abordable. Il déplore cependant l’insuffisance des moyens investis pour soutenir les politiques publiques visant à réaliser le droit à un logement suffisant (art. 11).

45. Attirant l’attention de l’État partie sur son observation générale n o 4 (1991) sur le droit à un logement suffisant, l e Comité exhorte l’État partie à i nvestir , sur la base d ’ un ciblage géographique approprié , des ressources proportionnelles à l’ampleur des besoins en matière de logement .

Logements précaires, expulsions forcées et sans-abrisme

46.Le Comité regrette le manque d’informations concernant :

a)Le nombre important de personnes, en particulier de groupes désavantagés et vulnérables, vivant dans des logements précaires et susceptibles de faire l’objet d’expulsions forcées et de se retrouver sans abri ;

b)Les garanties juridiques contre les expulsions forcées et les expulsions entraînant le phénomène des sans-abri et les voies de recours pour les victimes de ces expulsions, ainsi que le nombre d’expulsions forcées ;

c)La portée et l’ampleur du phénomène des sans-abri.

47. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires, législatives ou autres, pour s ’ assurer que les personnes qui sont expulsées de force reçoivent un logement de substitution ou une indemnisation , conformément aux lignes directrices adoptées par le Comité dans son o bservation générale n o 7 (1997) sur les expulsions forcées. Le Comité engage également l ’ État partie à fournir , dans son prochain rapport périodique , des informations sur l ’ amp leur du phénomène des sans - abri et des données ventilées par âge, sexe et autres critères pertinents, ainsi qu’à établir des m écanismes efficaces pour mesurer les progrès accomplis.

Droit à la santé

48.Le Comité note l’existence dans l’État partie de la stratégie nationale de santé. Toutefois, il relève avec préoccupation les situations défavorables d’accès aux services de santé dans les zones rurales touchées par la désertification médicale. Il note également la perception de la population selon laquelle l’accès aux soins de santé est souvent entravé par la corruption, et les difficultés qu’éprouvent les groupes les plus défavorisés pour acheter des médicaments à un prix abordable (art. 12, par. 2).

49. Le Comité demande à l’État partie de surveiller de manière régulière l a mise en œuvre de la stratégie nationale de santé et l’efficacité des dispositifs mis en place pour améliorer l’accès aux services de santé dans les zones rurales touchées par la désertification médicale, de mesurer les retombées de ces dispositifs sur la jouissance du droit à la santé, et de prendre des mesures correctives si nécessaire. Il recommande qu ’ afin de lutter contre la corruption dans le système de soins de santé, les patients soient informés de leurs droits par la remise d ’ une «  charte de s droits du patient  » précisant les canaux par lesquels, confrontés à une tentative de corruption, il leur est loisible de porter plainte. Il attend enfin de l ’ État partie qu ’ il garantisse l ’ accès de tous, sans discrimination, à des médicaments à un prix abordable.

50. Le Comité renvoie l’État partie à son observation générale n o 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint.

Droit à l’éducation

51.Le Comité félicite l’État partie pour les progrès considérables accomplis pour ce qui est de l’égalité entre filles et garçons dans l’éducation, comme en témoigne le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire et supérieur. Toutefois, le Comité regrette :

a)Le faible taux de réussite scolaire parmi les personnes issues de groupes socialement et économiquement défavorisés ;

b)Les disparités régionales entre zones urbaines et zones rurales que révèlent les taux d’analphabétisme et un écart important dans l’accès à l’éducation préscolaire ;

c)La faible qualité de l’enseignement public, en particulier en mathématiques et en sciences, ce qui peut contribuer à expliquer la forte demande pour les écoles privées ;

d)Le taux élevé d’abandon scolaire et d’analphabétisme (art. 13, 14 et 11).

52. Le Comité en coura ge l’Éta t partie à poursuivre ses efforts visant à :

a) C orriger les inég alités sociales et économiques qui influencent la réussite scolaire  ;

b) I nvestir davantage de ressources dans l’ éducation dans les zones rurales, afin de corriger les écarts existant s , notamment en menant tous les efforts possibles pour élargir l’accès à l’éducation préscolaire  ;

c) P rendre toutes les mesures nécessaires pour augmenter, en particulier dans les zones rurales et reculées, le nombre d ’ enseignants qualifiés et les infras tructures éducatives adéquates ;

d) Remédier d’urgence au taux élevé d’abandon scolaire et d’analphabétisme.

53. Le Comité renvoie l’État partie à son observation générale n o 13 (1999) sur le droit à l’éducation.

Droits culturels

54.Le Comité exprime sa préoccupation quant aux informations reçues sur la discrimination que subirait la minorité amazigh, en particulier dans l’exercice des droits culturels, et quant au manque de données ventilées par appartenance ethnique et culturelle qui empêche d’évaluer la situation réelle des Amazighs (art. 2, par. 2, et 15). Le Comité constate que la définition de l’identité arabe et musulmane de l’État partie pourrait conduire à des violations des droits linguistiques et culturels de la minorité amazigh, notamment en imposant l’arabe comme langue exclusive dans l’enseignement public. Il constate enfin, et regrette, la faiblesse des moyens budgétaires alloués à la culture et à la protection du patrimoine culturel de la population amazigh.

55. Le Comité recommande à l ’ État partie de reconnaître la langue et la culture du peuple autochtone amazigh et d ’ en assurer la protection et la promotion comme l’a demandé le Comité pour l ’ élimination de l a discrimination raciale en 2009. Par ailleurs, l’ État partie devrait :

a) C ollecter, à partir de l’auto-identification, des statistiques ventilées par appartenance ethnique et culturelle ;

b) P rendre des mesures législatives et administratives afin d’assurer l’enseignement de la langue amazigh à tous les niveaux scolaires et encourager la connaissance de l’hi stoire et de la culture amazigh s ;

c) Abroger le décret n o 85 du 12 décembre 1962 et permettre l’enregistrement des prénoms amazighs dans les registres de l ’ é tat civil ;

d) Faciliter le déroulement des activités culturelles organisées par les ass o ciations culturelles amazighs.

D.Autres recommandations

56. Le Comité invite l’État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels .

57. Le Comité encourage l’État partie à adhérer à la Convention international e sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

58. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre pleinement en compte ses obligations en vertu du Pacte et d ’ assurer la pleine jouissance de ces droits dans la mise en œuvre du Programme de développement durable à l ’ horizon 2030 au niveau national, avec l ’ appui de l ’ aide et de la coopération internationales, le cas échéant. La réalisation des Objectifs de développement durable sera amplement facilitée par la mise en place par l ’ État partie de mécanismes indépendants de suivi des progrès, et en traitant les bénéficiaires des programmes publics comme des titulaires de droits, capables de les faire valoir. Fonder la mise en œuvre des Objectifs de développement durable sur la base de la participation, de la responsabilité et de la non-discrimination garantira que personne ne sera laissé pour compte dans ce processus.

59. Le Comité incite l’ État partie à mettre en place un système complet de collecte de données recouvrant tous les domaines visés par le Pacte, et lui demande d’inclure dans son prochain rapport périodique des données statistiques annuelles comparatives sur l’exercice de chaque droit consacré par la Convention, ventilées par âge, sexe, région, populations urbaines et rurales , ethnicité et autres critères pertinents. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre en considération le cadre méthodologique concernant les indicateurs des droits de l’homme élaboré par le Haut- C ommissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HRI/MC /2008/3) .

60. Le Comité demande à l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales dans tous les secteurs de la société, en particulier auprès des parlementaires , des agents de l’État et des autorités judiciaires, et de l’informer, dans son prochain rapport périodique, des mesures qu’il aura prises pour les mettre en œuvre. Il encourage aussi l’État partie à associer les organisations de la société civile aux discussions menées au niveau national avant la présentation de son prochain rapport périodique.

61. Le Comité prie l’État partie de soumettre son quatrième rapport périodique d’ici au 31 octobre 20 2 1 et l’invite à présenter dans les meilleurs délais un document de base commun conformément aux directives harmonisées concernant l’établissement de s rapports destinés aux organes créés en vertu d ’ instruments internationaux relatifs aux droits de l’h omme (voir HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I) .