Nations Unies

E/C.12/GC/26

Conseil économique et social

Distr. générale

24 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observation générale no 26 (2022) sur la terre et les droits économiques, sociaux et culturels *

I.Introduction

La terre joue un rôle de premier plan dans la réalisation d’un ensemble de droits énoncés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Garantir que les particuliers et les communautés aient accès à la terre et puissent l’utiliser et la contrôler, le tout dans des conditions sûres et équitables, peut être essentiel à l’élimination de la faim et de la pauvreté et à la concrétisation du droit à un niveau de vie suffisant. L’utilisation durable des terres est fondamentale pour garantir le droit à un environnement propre, sain et durable et promouvoir le droit au développement, entre autres droits. Dans de nombreuses régions du monde, la terre n’est pas uniquement une ressource qui permet de produire des aliments, de générer des revenus et de construire des logements, elle sert aussi de base à diverses pratiques sociales, culturelles et religieuses et à l’exercice du droit de participer à la vie culturelle. Parallèlement, les régimes fonciers sûrs, en ce qu’ils permettent de garantir les moyens de subsistance et de prévenir et de régler les litiges, sont importants pour protéger l’accès des populations à la terre.

Cependant, les modalités actuelles d’utilisation et d’administration des terres ne sont pas propices à la réalisation des droits consacrés par le Pacte. Les principaux facteurs d’explication sont les suivants :

a)La concurrence pour l’accès à la terre et le contrôle de celle-ci s’est accrue, et la forte demande foncière et l’urbanisation rapide, qui sont des tendances à long terme dans la plupart des régions du monde, ont eu de sérieuses conséquences sur les droits de nombreuses personnes, en particulier des paysans, des populations rurales, des éleveurs, des pêcheurs et des peuples autochtones, ainsi que des personnes pauvres vivant en zone urbaine ;

b)Dans les villes, la financiarisation du marché du logement a introduit une concurrence entre différents groupes pour l’accès à la terre et le contrôle de celle-ci et a alimenté la spéculation et l’inflation, portant ainsi atteinte aux droits des personnes laissées pour compte à un niveau de vie suffisant et à un logement convenable ;

c)Dans les zones rurales, la concurrence pour les terres arables, qui résulte de la croissance démographique, de l’urbanisation, des grands projets de développement et du tourisme, a des répercussions considérables sur les moyens de subsistance et les droits des populations rurales ;

d)Conséquence de la surexploitation, de la mauvaise gestion et des pratiques agricoles non durables, la dégradation des terres engendre une insécurité alimentaire et provoque la dégradation de l’eau, en plus d’être directement liée aux changements climatiques et à la dégradation de l’environnement, venant ainsi accroître le risque de modifications généralisées, abruptes et irréversibles de l’environnement, notamment une désertification massive ;

e)Les mesures d’atténuation des changements climatiques, telles que les projets de production d’énergie renouvelable à grande échelle ou les mesures de reboisement, pourraient venir aggraver les facteurs susmentionnés si elles ne sont pas correctement gérées ;

f)Les tendances mondiales, notamment les changements climatiques et l’augmentation des migrations internes et transfrontalières qui en découle, sont susceptibles d’accroître les tensions liées à l’accès à la terre et à l’utilisation et à l’occupation de celle-ci, ce qui aura des conséquences néfastes sur les droits de l’homme ;

g)Ces problèmes sont exacerbés lorsque les cadres juridiques et institutionnels de gouvernance des régimes fonciers sont faibles, mal gérés, corrompus ou inexistants, ce qui entraîne des litiges et des conflits fonciers et une recrudescence des inégalités sociales, de la faim et de la pauvreté.

Les préoccupations relatives à l’accès à la terre et à l’utilisation et au contrôle de celle‑ci ont conduit, ces dernières années, à l’adoption de plusieurs instruments internationaux qui ont été largement approuvés par les États et ont profondément influencé la législation et les politiques publiques nationales. En 2004, le Conseil de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture a adopté les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale, qui contiennent plusieurs dispositions relatives à l’accès aux ressources naturelles, y compris à la terre et à l’eau. En 2012, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale a approuvé les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ; ces directives ont acquis une grande légitimité, notamment du fait de la nature inclusive du Comité. En 2014, ce même Comité a approuvé les Principes pour un investissement responsable dans l’agriculture et les systèmes alimentaires, qui traitent notamment des conséquences des investissements agricoles sur les droits de l’homme. En 2007, par sa résolution 61/295, l’Assemblée générale a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et en 2018, par sa résolution 73/165, elle a adopté la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, dans lesquelles elle a reconnu le droit à la terre des populations concernées. L’importance que revêt la terre pour la réalisation de nombreux droits de l’homme a conduit des universitaires et rapporteurs spéciaux et des organisations de la société civile à considérer le droit à la terre comme un droit de l’homme, en référence à tous les droits et à toutes les obligations des États qui ont trait à la terre. À titre d’exemple, on peut citer les Principes de base et directives concernant les expulsions et les déplacements liés au développement, qui ont été élaborés par le Rapporteur spécial sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant.

Le Comité a élaboré la présente observation générale en se fondant sur l’expérience qu’il a acquise à l’occasion de l’examen des rapports des États parties et à la lumière de ses autres observations générales et de ses constatations et décisions concernant des communications. Elle vise à expliciter les obligations des États s’agissant de l’incidence de l’accès à la terre et de l’utilisation et du contrôle de celle-ci sur la jouissance des droits consacrés par le Pacte, en particulier pour les individus et les groupes les plus défavorisés et marginalisés. Elle a donc pour objet de préciser les obligations énoncées dans le Pacte qui concernent particulièrement la terre, en particulier les droits visés par les articles 1er, 2, 3, 11, 12 et 15.

II.Dispositions du Pacte qui ont trait à la terre

L’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci, le tout dans des conditions sûres et équitables, peuvent avoir des répercussions directes et indirectes sur la jouissance d’un ensemble de droits consacrés par le Pacte.

Premièrement, la terre est essentielle pour garantir l’exercice du droit à une alimentation adéquate, car elle est utilisée dans les zones rurales à des fins de production alimentaire. Par conséquent, si les exploitants sont privés des terres qu’ils utilisent à des fins productives, leur droit à une alimentation adéquate pourrait être menacé. L’article 11 (par. 2) du Pacte dispose que les États parties, conscients du lien entre le droit d’être à l’abri de la faim et l’utilisation des ressources naturelles, y compris des terres, devraient développer ou réformer leurs régimes agraires de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles. L’observation générale no 12 (1999) du Comité sur le droit à une nourriture suffisante et les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale insistent sur l’importance de l’accès aux ressources productives en tant qu’élément indispensable à la réalisation du droit à une alimentation adéquate, en particulier dans les zones rurales, où vivent la plupart des paysans et des éleveurs et où la faim sévit le plus.

Deuxièmement, comme la terre fournit des espaces pour le logement, l’exercice du droit à un logement convenable est largement tributaire de la sécurité d’accès à la terre, sans laquelle les personnes peuvent être soumises à des déplacements et à des expulsions susceptibles de porter atteinte à leur droit à un logement convenable. Dans les zones rurales, la sécurité d’accès à la terre concourt à la réalisation du droit à une alimentation adéquate et du droit à un logement convenable, étant donné que les habitations sont souvent construites sur des terres utilisées pour produire des denrées alimentaires.

Troisièmement, la terre est directement liée à l’exercice du droit à l’eau. Par exemple, la fermeture des terrains communaux empêche les habitants d’avoir accès aux sources d’eau nécessaires à la satisfaction de leurs besoins personnels et domestiques.

Quatrièmement, l’utilisation des terres peut avoir des répercussions sur la jouissance du droit au meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint. Par exemple, les utilisations des terres qui reposent sur les pesticides, les engrais et les régulateurs de croissance ou qui entraînent la production de déchets animaux et d’autres micro-organismes contribuent à l’apparition de diverses maladies respiratoires.

Cinquièmement, la terre est étroitement et souvent intrinsèquement liée à l’exercice du droit de participer à la vie culturelle en raison de son caractère spirituel ou religieux particulier pour de nombreuses communautés, par exemple lorsqu’elle sert de base à des pratiques sociales, culturelles et religieuses ou à l’expression de l’identité culturelle. Ce qui précède est particulièrement vrai pour les peuples autochtones, les paysans et les autres communautés qui ont des modes de vie traditionnels.

Sixièmement, la terre est également étroitement liée au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, qui est consacré par l’article premier du Pacte et dont l’importance a été soulignée dans la Déclaration sur le droit au développement (1986). La réalisation de ce droit est une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de l’homme ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits. Les peuples autochtones ne peuvent assurer librement leur développement politique, économique, social et culturel, et disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles pour atteindre leurs fins que s’ils ont des terres ou territoires sur lesquels ils peuvent exercer leur droit à disposer d’eux‑mêmes. La présente observation générale ne traite que de la dimension interne du droit des peuples autochtones à l’autodétermination, qui doit être exercé conformément au droit international et dans le respect de l’intégrité territoriale des États. Dans ce contexte, la propriété collective des terres, territoires et ressources des peuples autochtones doit être respectée, ce qui suppose que ces terres et territoires soient délimités et protégés par les États parties.

III.Obligations des États parties au titre du Pacte

A.Non-discrimination, égalité et groupes ou personnes nécessitant une attention particulière

En application des articles 2 (par. 2) et 3 du Pacte, les États parties sont tenus d’éliminer toutes les formes de discrimination et d’assurer une égalité réelle. Par conséquent, ils doivent réexaminer régulièrement leurs lois et politiques nationales afin de garantir qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée sur des motifs interdits. Ils devraient également adopter des mesures particulières, y compris des dispositions légales, en vue d’éliminer la discrimination dont les entités publiques comme privées peuvent faire l’objet dans le contexte des droits liés à la terre énoncés dans le Pacte. Les femmes, les peuples autochtones, les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales méritent une attention particulière, soit parce qu’ils ont traditionnellement été victimes de discrimination s’agissant d’accéder à la terre, de l’utiliser et de la contrôler, soit parce qu’ils entretiennent une relation particulière avec elle.

1.Les femmes

Les femmes font partie des personnes qui sont touchées de manière disproportionnée par le manque d’accès à la terre, les difficultés associées à l’utilisation et au contrôle de celle‑ci et la mauvaise gouvernance des terres, qui compromettent l’exercice des droits qu’elles tiennent du Pacte et peuvent être source de discrimination, y compris de discriminations croisées. Dans plusieurs de ses observations finales, le Comité a appelé l’attention des États sur la discrimination dont les femmes font l’objet en ce qui concerne la sécurité de l’occupation des terres, l’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle celle-ci, les régimes matrimoniaux, la succession et l’exclusion des processus décisionnels, y compris dans le contexte des régimes fonciers communaux. Dans son observation générale no 16 (2005), il a fait observer que les femmes avaient le droit de posséder, d’utiliser ou de gérer un logement, des terres et des biens dans des conditions d’égalité avec les hommes, et d’avoir accès aux ressources nécessaires à ces fins (par. 28). Dans son observation générale no 12 (1999), il a souligné l’importance d’un accès sans restriction et en pleine égalité aux ressources économiques, en particulier pour les femmes, y compris le droit de posséder des terres et d’en hériter (par. 26).

Pour les femmes, la terre est une ressource indispensable pour répondre à leurs besoins vitaux et pouvoir accéder à d’autres biens et services, notamment au crédit. La terre est également importante en ce qu’elle permet de renforcer la participation des femmes à la prise de décisions dans leur ménage, ainsi que leur représentation au sein des institutions rurales susceptibles d’accroître leur pouvoir décisionnel et leur influence sur les ressources et droits collectifs. En outre, la propriété féminine contribue à améliorer le bien-être des enfants et l’accès aux services de soins de santé sexuelle et procréative. Elle réduit aussi l’exposition des femmes à la violence, en partie parce que celles qui bénéficient de la sécurité d’occupation peuvent plus facilement fuir la violence domestique et demander une protection, mais aussi parce que les femmes propriétaires ont un foyer plus sûr, ont davantage confiance en elles et en leurs capacités, sont associées plus étroitement à la prise des décisions et sont davantage soutenues par leur cercle social et familial et par la communauté. C’est pourquoi toute réforme agraire ou toute activité de redistribution des terres devrait être menée dans le strict respect du droit des femmes d’obtenir, à égalité avec les hommes et indépendamment de leur statut matrimonial, une partie des terres ainsi redistribuées. Les États devraient aussi contrôler et réglementer l’application du droit coutumier − qui est très suivi dans de nombreux pays pour les questions d’administration des terres − afin de protéger les droits des femmes et des filles qui sont soumises à la règle traditionnelle de la primogéniture masculine en matière de succession.

Cependant, certaines lois et coutumes sociales, dont celles qui prévoient qu’à la mort d’un homme, les terres qui lui appartenaient sont transmises à ses fils et non à sa femme ou à ses filles, continuent de s’appliquer alors qu’elles constituent une violation flagrante des droits que les femmes tiennent du Pacte. Pour que les femmes puissent exercer les droits consacrés par le Pacte dans des conditions d’égalité avec les hommes, il faut supprimer les réglementations et les structures foncières traditionnelles qui sont discriminatoires à leur égard, notamment en associant aux régimes de gouvernance foncière traditionnels des régimes plus modernes.

2.Les peuples autochtones

Le droit des peuples autochtones aux terres et territoires qu’ils occupent traditionnellement est reconnu par le droit international. La Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (no 169) de l’Organisation internationale du Travail et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (art. 25 à 28) reconnaissent toutes deux le droit des peuples autochtones à la terre et aux territoires. Ces sources du droit international des droits de l’homme consacrent le respect et la protection des liens qui unissent les peuples autochtones à leurs terres, territoires et ressources, et disposent que les États sont tenus de délimiter ces terres, de prévenir tout empiétement et de respecter le droit de ces peuples de gérer leurs terres selon leurs propres modes d’organisation. Le lien spirituel que les peuples autochtones entretiennent avec la terre recouvre non seulement les cérémonies spirituelles, mais aussi toutes les activités menées sur la terre, notamment la chasse, la pêche, l’élevage et la cueillette à des fins médicinales et alimentaires. Les États parties devraient donc garantir le droit des peuples autochtones de conserver et de renforcer leur lien spirituel avec leurs terres, territoires et ressources, y compris les eaux et les mers qu’ils possèdent ou qu’ils ne possèdent plus mais qu’ils ont acquises et utilisées par le passé. Les peuples autochtones ont le droit de faire délimiter leurs terres, et la réinstallation ne devrait être autorisée que dans certaines circonstances très restreintes et sous réserve du consentement préalable des groupes concernés, donné librement et en connaissance de cause. Les lois et politiques publiques devraient protéger les peuples autochtones contre le risque d’empiétement de l’État sur leurs terres, notamment dans le cadre de projets industriels ou de grands investissements dans la production agricole. Les tribunaux régionaux compétents en matière de droits de l’homme ont contribué à asseoir le droit des peuples autochtones à leurs terres et territoires. Aussi bien la Cour interaméricaine des droits de l’homme que la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples ont estimé que les peuples autochtones qui, sans leur consentement libre et préalable, avaient été dépossédés de leurs terres lorsque celles-ci avaient été légalement cédées à des tiers avaient le droit de récupérer ces terres ou d’en obtenir d’autres d’une superficie et d’une qualité égales.

Récemment, des tribunaux régionaux compétents en matière de droits de l’homme ont étendu certains des droits liés à la terre dont jouissent les peuples autochtones à certaines communautés traditionnelles qui entretiennent un rapport analogue à leurs terres ancestrales, à savoir un rapport centré davantage sur le groupe que sur l’individu.

3.Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales

L’accès à la terre revêt une importance particulière pour la réalisation des droits des paysans et des autres personnes qui travaillent dans les zones rurales partout dans le monde. Pour les paysans, l’accès à la terre et aux autres ressources productives est d’une importance telle pour la réalisation de la plupart des droits énoncés dans le Pacte qu’il implique pour eux un droit à la terre. Les articles 5 et 17 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales reconnaissent le droit à la terre de toutes ces personnes, y compris des travailleurs agricoles, des éleveurs et des pêcheurs. Susceptible d’être exercé individuellement et collectivement, le droit à la terre inclut pour les groupes concernés le droit d’avoir accès à la terre et de l’utiliser et de la gérer de manière durable afin de jouir d’un niveau de vie suffisant, d’avoir un endroit où vivre en sécurité, dans la paix et la dignité et de développer leurs cultures. Les États devraient prendre des mesures pour aider les paysans à utiliser la terre d’une manière durable, à préserver la fertilité du sol et ses ressources productives et à faire en sorte que leurs méthodes de culture ne compromettent pas la jouissance de l’environnement pour autrui, notamment pour ce qui est de l’accès à l’eau potable et de la protection de la biodiversité.

Les États doivent mettre en place des mécanismes permettant le règlement des litiges fonciers susceptibles d’opposer des peuples autochtones ou des paysans et faire tout leur possible pour garantir le droit à la terre de ces groupes, qui sont tous deux largement tributaires de l’accès aux terres communales ou à la propriété collective. Respecter le droit des peuples autochtones à disposer d’eux-mêmes et leur régime foncier coutumier suppose de reconnaître leur propriété collective sur les terres, territoires et ressources. Il y a également d’autres groupes, notamment les paysans, les éleveurs et les pêcheurs, pour lesquels l’accès aux terres communales ou au patrimoine naturel est essentiel, notamment pour collecter du bois de chauffage, de l’eau ou des plantes médicinales ou encore pour chasser ou pêcher. Les modalités coutumières de propriété peuvent offrir une sécurité aux personnes qui sont tributaires du patrimoine naturel ou pour lesquelles l’obtention de droits de propriété en bonne et due forme n’est généralement pas la bonne solution. Néanmoins, toute tentative malavisée de formaliser les droits fonciers coutumiers en procédant à l’attribution de titres de propriété et en clôturant les terres communales pourrait empêcher ces personnes d’accéder aux ressources dont elles dépendent, ce qui porterait atteinte à leur droit à l’alimentation et à l’eau et à d’autres droits consacrés par le Pacte. Par conséquent, les États ont l’obligation de garantir la sécurité de l’accès à la terre à tous les utilisateurs légitimes sans discrimination, y compris à ceux qui dépendent des terres collectives ou communales.

B.Participation, consultation et transparence

La participation, la consultation et la transparence sont des principes fondamentaux de l’exécution des obligations découlant du Pacte, y compris celles qui concernent la terre. Les particuliers et les communautés doivent être correctement informés des processus de prise de décisions susceptibles d’influer sur leur jouissance des droits liés à la terre énoncés dans le Pacte et être autorisés à y participer véritablement, sans subir de représailles. Pour que la participation aux processus décisionnels soit fondée sur les droits de l’homme, il est indispensable que toutes les parties concernées aient accès dans des conditions d’égalité à des informations suffisantes et transparentes. Les États parties devraient élaborer les lois, stratégies et procédures qui s’imposent pour garantir le respect des principes de transparence, de participation et de consultation dans les processus décisionnels touchant à la terre, notamment à l’enregistrement, à l’administration et au transfert des terres, ainsi qu’avant toute mesure d’expulsion. Les processus de prise de décisions doivent être transparents, organisés dans les langues des personnes concernées, ne pas présenter d’obstacles et offrir les aménagements raisonnables nécessaires à toutes les personnes impliquées.

Les processus décisionnels devraient être largement portés à la connaissance du public et permettre l’accès à tous les documents pertinents. Les personnes concernées doivent être contactées avant que toute décision susceptible d’avoir une incidence sur les droits qu’elles tiennent du Pacte soit prise. Pour les peuples autochtones, la norme juridique internationale applicable est celle du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui doit être obtenu dans le cadre d’un dialogue et de négociations à cette fin. Les peuples autochtones ne doivent pas seulement être associés aux processus décisionnels, ils doivent également être en mesure d’influencer directement leurs résultats. Ainsi que le dispose l’article 10 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, aucune réinstallation ne peut avoir lieu sans consentement. Il n’y a de droit de participation véritable que si celui ou celle qui l’exerce ne risque aucune forme de représailles.

C.Obligations particulières des États parties

1.Obligation de respecter

L’obligation de respect impose aux États parties de ne pas porter atteinte, directement ou indirectement, aux droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre, notamment l’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci. Cette obligation signifie que les États doivent s’abstenir : a) de porter atteinte aux droits d’occupation des détenteurs légitimes, en particulier en expulsant leurs occupants des terres dont ils dépendent pour vivre ; b) de recourir à des expulsions forcées et à la démolition de logements à titre punitif ; c) de se livrer à une quelconque discrimination dans le cadre de l’enregistrement et de l’administration des terres, y compris en lien avec la situation matrimoniale, la capacité juridique ou l’accès à des ressources économiques ; ou d) de commettre tout acte de corruption en ce qui concerne l’administration foncière et le transfert des droits d’occupation. L’obligation de respect implique également de respecter tout accès existant à la terre de tout détenteur légitime de droits d’occupation et de respecter les décisions des communautés concernées de gérer leurs terres selon leurs propres modes d’organisation.

Les États devraient assurer à toute personne un niveau acceptable de sécurité d’occupation garantissant une protection légale contre les expulsions forcées. Plus généralement, le Pacte impose aux États l’obligation de s’abstenir de porter atteinte aux droits d’occupation légitimes des utilisateurs des terres, en particulier en expulsant leurs occupants des terres dont ils dépendent pour vivre. Les décisions d’expulsion forcée sont à première vue incompatibles avec les dispositions du Pacte. Les autorités compétentes doivent veiller à ce que les expulsions soient exécutées conformément à une législation compatible avec le Pacte et aux principes généraux qui veulent que toutes mesures prises soient raisonnables et proportionnées au regard de l’objectif légitime de l’expulsion et des conséquences de l’expulsion pour les personnes expulsées. Cette obligation découle de l’interprétation des obligations de l’État partie au regard de l’article 2 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 11, et compte tenu des critères définis à l’article 4, qui précise les conditions dans lesquelles l’exercice des droits consacrés par le Pacte peut être limité. Premièrement, la limitation doit être établie par la loi. Deuxièmement, elle doit servir l’intérêt général ou répondre à un motif « d’utilité publique » dans une société démocratique. Troisièmement, elle doit être proportionnée au but légitime invoqué. Quatrièmement, elle doit être nécessaire, en ce sens qu’il doit s’agir de la mesure la moins restrictive pour atteindre l’objectif légitime. Enfin, les avantages obtenus en opérant la limitation dans le but de servir l’intérêt général ne doivent pas avoir d’effet néfaste sur l’exercice du droit soumis à la limitation. Les États parties doivent définir précisément la notion d’utilité publique dans le droit, de façon à permettre un contrôle judiciaire. Ils doivent adopter et appliquer des lois nationales qui interdisent expressément les expulsions forcées et établissent un cadre pour que les procédures d’expulsion et de réinstallation soient menées dans le respect des normes et du droit international des droits de l’homme.

Lorsque des personnes ont été réinstallées, le logement de remplacement qui leur a été attribué doit être sûr et offrir une sécurité d’occupation, garantissant l’accès aux services publics, notamment d’éducation et de santé, la participation à la vie locale et la possibilité de gagner sa vie. Tout doit être fait pour ne pas séparer les membres d’une communauté, la collectivité contribuant pour beaucoup à soutenir les réseaux de voisinage et à assurer des moyens de subsistance. Avant de procéder à quelque expulsion que ce soit, ou quelque changement que ce soit dans l’utilisation des terres qui risquerait de priver des personnes de l’accès à leurs ressources productives, les États parties devraient veiller à ce que toutes les autres solutions possibles soient étudiées en consultation avec les personnes concernées, dans le souci d’éviter autant que possible le recours à une mesure d’expulsion. Dans tous les cas, des procédures ou des recours légaux efficaces doivent être offerts aux personnes visées par des décisions d’expulsion.

Lorsque l’État détient la propriété ou le contrôle des terres, il devrait veiller à ce que les droits d’occupation légitimes des individus et des communautés sur ces terres, même en vertu d’un régime foncier coutumier, soient reconnus, respectés et protégés. Les systèmes collectifs d’utilisation et de gestion des terres, qu’il s’agisse de systèmes traditionnels, de coopératives ou d’autres formes de gestion commune, devraient être recensés, reconnus et enregistrés. Les politiques visant à accorder des droits d’occupation de terres publiques à des paysans sans terre devraient répondre à des objectifs sociaux et environnementaux plus vastes, dans le respect des obligations relatives aux droits de l’homme. La priorité devrait être donnée aux communautés locales qui utilisent traditionnellement les terres au moment de la réattribution des droits d’occupation.

2.Obligation de protéger

L’obligation de protection impose aux États parties d’adopter des mesures pour empêcher toute personne ou entité de porter atteinte aux droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre, notamment l’accès à la terre et l’utilisation et le contrôle de celle-ci. Les États parties doivent protéger l’accès à la terre en veillant à ce que nul ne soit expulsé arbitrairement et à ce que ses droits d’accès à la terre ne soient pas bafoués par l’action de tiers. Les États parties devraient aussi veiller à ce que les droits d’occupation légitimes soient protégés dans tous les processus relatifs au transfert de droits d’occupation existants, y compris les transactions volontaires ou involontaires qui résultent d’investissements, de politiques de remembrement ou d’autres mesures de réajustement et de redistribution liées au foncier.

Indépendamment du type de régime foncier en place, les États parties doivent prendre des mesures pour veiller à ce que toutes les personnes disposent d’un niveau de sécurité acceptable dans le domaine foncier et pour protéger les détenteurs légitimes de droits fonciers contre l’expulsion, la spoliation illégale, l’accaparement, le harcèlement et d’autres menaces. Les États parties devraient en outre prendre immédiatement des mesures en vue d’assurer la sécurité légale de l’occupation aux individus et aux familles qui ne bénéficient pas encore de cette protection, en procédant à de véritables consultations avec les personnes et les groupes concernés. Les États parties devraient reconnaître et protéger la dimension collective de l’occupation des terres, particulièrement dans le cas des peuples autochtones, des paysans et d’autres communautés traditionnelles qui entretiennent avec leurs terres traditionnelles des liens matériels et spirituels qui sont indispensables à leur existence, leur bien-être et leur plein épanouissement. Cette dimension implique un droit collectif d’accès aux terres, territoires et ressources qu’ils possèdent ou occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis, ainsi que d’utilisation et de contrôle de ceux-ci. Les cadres juridiques devraient donc empêcher que les régimes d’occupation des terres ne favorisent une concentration accrue de la propriété et des privilèges fonciers, y compris lorsque la modification du cadre juridique est motivée par des accords internationaux.

Les États parties devraient élaborer des lois et des politiques propres à garantir des pratiques d’investissement responsables dans le domaine foncier, ce qui passe par une participation précoce de toutes les parties concernées et une réglementation équitable des processus de transfert. Dans tous ces processus, les personnes ou les groupes concernés doivent avoir accès à des mécanismes de recours qui leur permettent de contester les décisions émanant des autorités locales, des conseils d’administration d’investisseurs ou d’autres parties avant que la mise en œuvre ne débute et jusqu’à ce qu’une indemnisation équitable soit versée. Des études d’impact sur les droits de l’homme doivent être effectuées pour déterminer le préjudice possible et des options pour y remédier. Des principes de responsabilité des investisseurs et des investissements doivent être définis par la loi et leur application doit pouvoir être contrôlée. Les pratiques d’investissement responsables doivent respecter les droits d’occupation légitimes et ne pas porter atteinte aux droits de l’homme et à des objectifs de politique générale comme la sécurité alimentaire et l’utilisation durable des ressources naturelles. Les États parties devraient prévoir des règles transparentes sur l’échelle, l’ampleur et le type de transactions autorisées pour les droits d’occupation, et définir à partir de quelle échelle une transaction est considérée comme importante dans le contexte national.

Les États parties devraient mettre en place des garanties et des politiques visant à protéger les droits d’occupation légitimes contre les risques qui peuvent survenir en cas de transactions de grande ampleur liée à des droits d’occupation. Les investissements fonciers de grande ampleur peuvent porter atteinte aux droits consacrés par le Pacte car ils ont habituellement des conséquences pour un grand nombre de petits exploitants, dont les titres informels d’utilisation des terres sont souvent mal reconnus. Les garanties en question pourraient consister à plafonner les transactions foncières autorisées et à faire obligatoirement approuver les transferts par le gouvernement ou par le parlement national au-delà d’une certaine limite. Les États devraient étudier la possibilité de promouvoir une série de modèles de production et d’investissement qui n’entraînent pas le déplacement massif d’occupants fonciers, y compris des modèles favorisant des partenariats avec les détenteurs locaux de droits d’occupation.

L’obligation de protéger recouvre une obligation positive de prendre des mesures législatives et autres pour établir des normes précises à l’intention d’acteurs non étatiques comme les entreprises et les investisseurs privés, en particulier dans le contexte des acquisitions et baux fonciers d’échelle importante dans le pays et à l’étranger. Les États parties doivent adopter un cadre juridique obligeant les entreprises à faire diligence raisonnable en matière de droits de l’homme de façon à recenser, prévenir et atténuer les effets préjudiciables de leurs décisions et activités sur les droits consacrés par le Pacte.

D’aucuns préconisent depuis quelques années la délivrance de titres afin de protéger les utilisateurs de terres contre des mesures d’expulsion de l’État et l’empiètement par des acteurs privés, particulièrement de grands propriétaires fonciers, ou par des investisseurs. Ce processus, que l’on appelle parfois « formalisation », consiste à délimiter les terres effectivement occupées et utilisées par chaque utilisateur (et reconnues généralement par le droit coutumier), de plus en plus à l’aide de techniques numériques, et à attribuer à l’utilisateur un acte le protégeant de l’expropriation, tout en lui permettant de vendre ses terres. Le bilan des politiques de délivrance de titres est contrasté. La clarification des droits de propriété devait assurer la sécurité d’occupation, pour permettre aux habitants d’établissements informels d’être reconnus comme propriétaires ou protéger les petits exploitants contre des mesures d’expulsion. Elle a aussi été justifiée par la nécessité d’établir un marché des droits fonciers, qui permette de transférer plus facilement les droits de propriété et de diminuer les coûts de transaction dans les pays considérés. Ces deux objectifs peuvent être contradictoires dans la mesure où la marchandisation des droits de propriété peut être une source d’exclusion et accroître l’insécurité d’occupation. Dès lors, les États devraient adopter des lois et des politiques pour faire en sorte que les programmes de délivrance de titres ne visent pas seulement à faciliter la vente de terres et la marchandisation de l’occupation des terres. En l’absence de lois ou de règlements, la délivrance de titres de propriété pour des formes préexistantes d’occupation coutumière risque d’aggraver les différends au lieu de clarifier les choses et de diminuer la sécurité au lieu d’améliorer celle‑ci, ce qui pourrait avoir des effets néfastes sur les droits énoncés dans le Pacte, en particulier le droit à un niveau de vie suffisant. Les États doivent veiller à ce que toute procédure d’attribution de titres de propriété impliquant l’examen de revendications foncières concurrentes protège les droits des personnes les plus exposées à la marginalisation et à la discrimination, tout en réparant les injustices historiques.

3.Obligation de réaliser

L’obligation de réalisation impose aux États d’adopter des mesures législatives, administratives, budgétaires et autres et d’établir des recours efficaces visant à assurer le plein exercice des droits fonciers prévus par le Pacte, notamment l’accès à la terre, l’utilisation de la terre et le contrôle sur celle-ci. Les États parties doivent ménager aux personnes qui en dépendent pour exercer leurs droits économiques, sociaux et culturels un accès à la terre et une utilisation et un contrôle de celle-ci qui soient sûrs, équitables et durables. Cela est particulièrement important pour les personnes sans terre ou vivant dans la pauvreté, notamment les femmes et les personnes marginalisées.

Au moment de l’enregistrement des terres et dans le cadre de l’administration des terres, il ne doit être pratiqué aucune discrimination, notamment liée au changement de situation matrimoniale, à l’absence de capacité juridique et à un accès insuffisant à des ressources économiques. La reconnaissance juridique et l’attribution des droits d’occupation aux individus, quel que soit leur genre, aux familles et aux communautés concernés, doit faire l’objet d’un processus systématique, qui offre pleinement la possibilité aux personnes vivant dans la pauvreté et aux autres groupes défavorisés et marginalisés d’obtenir la reconnaissance juridique de leurs droits d’accès existants. Les États parties devraient répertorier l’ensemble des droits d’occupation et des détenteurs de droits existants, sans se limiter à ce qui figure dans les registres écrits. Ils doivent, au moyen de règles publiques, fixer la définition des droits d’utilisation qui sont légitimes, conformément à toutes les dispositions pertinentes du Pacte et aux définitions figurant dans les Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale.

L’administration foncière doit reposer sur des services accessibles et non discriminatoires dont l’exécution est assurée par des organismes qui rendent des comptes et dont les décisions sont contrôlées par les organes judiciaires. Ces services devraient être accessibles et leur exécution devrait être rapide et efficace. Les individus et les groupes défavorisés et marginalisés doivent bénéficier d’une aide pour pouvoir utiliser ces services et l’accès à la justice doit leur être garanti. Cette assistance devrait s’étendre à l’aide devant la justice, y compris une aide judiciaire abordable et d’autres mesures d’assistance, en particulier pour les personnes qui vivent dans des zones très isolées. Les États parties devraient prévenir la corruption en ce qui concerne l’administration foncière et le transfert des droits d’occupation en adoptant et en appliquant des mesures de lutte contre la corruption visant notamment les conflits d’intérêts.

Les États parties doivent aussi reconnaître la valeur sociale, culturelle, spirituelle, économique, environnementale et politique des terres pour les communautés appliquant un régime foncier coutumier, et respecter les formes existantes de gouvernance autonome des terres. Les institutions traditionnelles des régimes fonciers collectifs doivent garantir à tous les membres de la collectivité, y compris aux femmes et aux jeunes, une participation véritable aux décisions qui intéressent la répartition des droits d’utilisation. Garantir l’accès aux ressources naturelles ne peut se limiter à accorder certaines protections pour les terres et les territoires des peuples autochtones. D’autres groupes dépendent du patrimoine commun, c’est-à-dire des biens publics mondiaux. Les pêcheurs doivent avoir accès aux zones de pêche, mais le renforcement des droits de propriété individuelle peut nécessiter la délimitation des terres qui leur donnent accès à la mer ou aux cours d’eau. Les éleveurs constituent aussi un groupe particulièrement important en Afrique subsaharienne, où vivent près de la moitié des 120 millions d’éleveurs ou agriculteurs-éleveurs que compte la planète. En outre, dans les régions en développement, nombre de paysans et de ménages ruraux restent tributaires de la collecte du bois pour cuisiner et se chauffer, et accèdent à l’eau par des puits ou des sources d’eau publics. La régularisation des droits de propriété et la création de registres fonciers ne devraient pas aggraver la situation de tous ces groupes, car en les coupant des ressources dont ils dépendent, on menacerait leurs moyens d’existence.

La réforme agraire est une mesure importante pour la réalisation des droits liés la terre énoncés dans le Pacte. Une distribution plus équitable des terres à la faveur d’une réforme agraire peut aider grandement à faire reculer la pauvreté et contribuer à l’inclusion sociale et à l’autonomisation économique. Elle améliore la sécurité alimentaire, car elle rend l’alimentation plus accessible et abordable, ce qui constitue un amortisseur contre les chocs extérieurs. Les programmes de répartition des terres devraient aussi soutenir les petites exploitations familiales, qui peuvent souvent utiliser les terres de manière plus durable et contribuer au développement rural en raison de leur intensité de main-d’œuvre. Toutefois, dans le cadre de ces programmes, les États devraient veiller à ce que les bénéficiaires reçoivent un soutien suffisant pour être mieux à même d’utiliser les terres de manière productive et d’adopter des pratiques agricoles durables afin de maintenir la productivité des terres. L’éducation sur l’accès au crédit, l’aide à l’utilisation des débouchés commerciaux et la mise en commun du matériel devraient figurer parmi les politiques possibles pour appuyer la réussite économique des exploitants familiaux. Les politiques devraient être formulées d’une manière qui permette aux bénéficiaires de tirer parti des terres qu’ils acquièrent et ne les incite pas à les vendre pour subvenir à leurs besoins minimums. Dans le cadre de la redistribution des terres et des réformes agraires, il faudrait accorder une attention particulière à l’accès à la terre des jeunes, des femmes, des communautés victimes de discrimination fondée sur la race et l’ascendance et des autres personnes appartenant à des groupes marginalisés, et respecter et protéger les régimes collectifs et coutumiers d’occupation des terres.

Les États doivent agir au maximum des ressources dont ils disposent pour réaliser progressivement les droits prévus par le Pacte en ce qui concerne l’accès aux ressources productives, en particulier pour aider les individus et les groupes à accéder à un niveau de vie suffisant. L’article 11 (par. 2 a)) du Pacte impose aux États parties l’obligation d’améliorer les méthodes de production, de conservation et de distribution des denrées alimentaires par l’établissement de régimes agraires ou la réforme des régimes existants, de manière à assurer au mieux la mise en valeur et l’utilisation des ressources naturelles. Il s’ensuit que les États doivent appuyer des programmes de réforme agraire qui garantissent un accès suffisant à la terre, en particulier aux petits agriculteurs qui dépendent de l’accès à la terre pour vivre. Les politiques et les lois devraient être accompagnées de mesures d’appui appropriées tenant compte des questions de genre, conçues à l’aide de processus participatifs, et devraient viser à pérenniser les réformes agraires. Ces politiques et lois devraient prévoir des garanties appropriées contre toute reconcentration des terres après la réforme, notamment des dispositions instaurant un plafonnement et des garanties légales visant à protéger le régime d’occupation collective et coutumière des terres.

Les États parties devraient mener une planification régionale à long terme afin de préserver la fonction environnementale des terres. Ils devraient privilégier et favoriser une utilisation de la terre reposant sur une approche fondée sur les droits de l’homme de la conservation, de la biodiversité et de l’utilisation durable des terres et des autres ressources naturelles. Ils devraient aussi, notamment, favoriser l’utilisation durable des ressources naturelles en reconnaissant, protégeant et promouvant les utilisations traditionnelles de la terre, et en adoptant des politiques et mesures visant à renforcer les moyens d’existence fondés sur les ressources naturelles et la conservation à long terme des terres. Ce faisant, ils devraient prévoir des mesures pour aider les communautés et les populations à prévenir les effets du réchauffement de la planète, ainsi qu’à les atténuer et à s’y adapter. Les États devraient créer les conditions nécessaires à la régénération des capacités et des cycles biologiques et autres capacités naturelles et devraient coopérer avec les communautés locales, les investisseurs et d’autres acteurs pour faire en sorte que l’utilisation des terres à des fins agricoles et autres respecte l’environnement et n’accélère pas l’appauvrissement des sols et l’épuisement des réserves d’eau.

Les États parties doivent élaborer des lois et des politiques qui permettent de reconnaître les régimes informels, grâce à des processus participatifs qui tiennent compte de la question du genre, en accordant une attention particulière aux locataires, aux paysans et aux autres petits producteurs alimentaires.

D.Obligations extraterritoriales

Les obligations extraterritoriales revêtent une importance particulière pour l’exécution des obligations que prévoit le Pacte en matière d’accès à la terre et d’utilisation et de contrôle de celle-ci. Les transferts de terres sont bien souvent financés ou suscités par des acteurs internationaux, qu’il s’agisse d’investisseurs publics tels que les banques de développement qui financent des projets de développement nécessitant des terres comme les barrages ou les parcs d’énergie renouvelable, ou d’investisseurs privés. En examinant les rapports soumis par les États parties, le Comité a constaté qu’il était de plus en plus souvent fait mention des effets sur l’accès des individus, des groupes, des paysans et des peuples autochtones aux ressources productives que peuvent avoir les négociations, les accords et les pratiques d’investissement international qui prennent parfois la forme de partenariats public‑privé entre des organismes publics et des investisseurs privés étrangers.

1.Obligation extraterritoriale de respecter

L’obligation extraterritoriale de respecter impose aux États parties de s’abstenir de tout acte qui porte atteinte, directement ou indirectement, à l’exercice des droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre en dehors de leur territoire. Elle leur impose aussi de prendre des mesures concrètes pour empêcher que leurs politiques et mesures intérieures et internationales, notamment leurs politiques relatives au commerce, à l’investissement, à l’énergie, à l’agriculture, au développement et à l’atténuation des changements climatiques, n’entravent, directement ou indirectement, la jouissance des droits de l’homme. Cela vaut pour toutes les formes de projets exécutés par des organismes de développement ou financés par des banques de développement. Les politiques de garanties établies par la Banque mondiale et d’autres banques internationales de développement, notamment en ce qui concerne les investissements dans le domaine foncier, découlent d’une certaine façon de cette obligation. À la suite de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008, le nombre d’investissements fonciers de grande ampleur a augmenté partout dans le monde, occasionnant divers problèmes pour les habitants ou les utilisateurs de terres concernés, notamment des expulsions forcées ou non consenties sans indemnisation appropriée. Les Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale ont été établies dans le but d’atténuer ou d’empêcher ce type de situations. Les normes de performance de la Société financière internationale et les politiques de garanties de la Banque mondiale ont été actualisées. En outre, les États parties qui sont membres d’institutions financières internationales, notamment de la Banque mondiale, du Fonds international de développement agricole et de banques régionales de développement, devraient prendre des dispositions pour veiller à ce que leurs politiques et autres pratiques de prêt ne compromettent pas l’exercice des droits énoncés dans le Pacte qui concernent la terre.

2.Obligation extraterritoriale de protéger

L’obligation extraterritoriale de protéger veut que les États parties instituent les mécanismes réglementaires nécessaires pour veiller à ce que les entreprises, y compris les sociétés transnationales, et les autres acteurs non étatiques qu’ils sont en mesure d’encadrer, n’entravent pas l’exercice des droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre à l’étranger. Ainsi, les États parties doivent prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations des droits de l’homme liés à la terre commises à l’étranger par des acteurs non étatiques sur lesquels ils peuvent exercer une influence, sans porter atteinte à la souveraineté ni diminuer les obligations des États d’accueil.

Dans le contexte de l’acquisitions de terres et d’autres activités économiques qui ont des effets sur la jouissance de l’accès aux ressources productives, y compris la terre, les États parties doivent veiller à ce que les investisseurs domiciliés à l’étranger et qui investissent dans des terres agricoles à l’étranger ne privent pas les individus ou les communautés de l’accès à la terre ou aux ressources connexes dont ils dépendent pour vivre. Une obligation de diligence raisonnable peut ainsi devoir être imposée aux investisseurs pour veiller à ce que des terres ne soient pas acquises ou prises à bail en violation des normes et principes internationaux applicables.

Les États parties qui soutiennent ou opèrent des investissements fonciers à l’étranger, notamment par l’intermédiaire d’entreprises publiques ou semi-publiques ou dont l’État détient le contrôle, y compris des fonds souverains et des fonds de pension publics, ainsi que des partenariats public-privé, doivent faire en sorte de ne pas diminuer la capacité d’autres États de s’acquitter des obligations que leur fait le Pacte. Les États parties doivent mener des études d’impact sur les droits de l’homme préalablement à tout investissement de cette nature et les réévaluer et les réviser à intervalles réguliers. Ces évaluations doivent être menées en y associant véritablement le public et les résultats doivent en être publiés et éclairer toute mesure visant à empêcher toute violation des droits de l’homme ou atteinte à ces droits, à faire cesser les violations ou atteintes et à y remédier.

Les États parties doivent faire en sorte que l’élaboration, la conclusion, l’interprétation et l’application des accords internationaux relatifs à des domaines comme le commerce, l’investissement, le financement, la coopération pour le développement et les changements climatiques, notamment, soient conformes aux obligations que leur fait le Pacte et ne soient pas préjudiciables à l’accès aux ressources productives dans d’autres pays.

3.Obligation extraterritoriale de réaliser

Conformément à l’article 2 (par. 1) du Pacte, les États devraient agir par l’assistance et la coopération internationales en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits énoncés dans le Pacte qui concernent la terre, ce qui peut aussi avoir des retombées positives pour des personnes et des communautés vivant à l’extérieur de leur territoire. Il faudrait prévoir une coopération technique, un appui financier et un renforcement des capacités institutionnelles en ce qui concerne des questions comme l’administration des terres, le partage de connaissances et la mise au point de politiques nationales dans le domaine foncier, ainsi que le transfert des technologies utiles.

L’assistance et la coopération internationales devraient viser à soutenir des politiques nationales propres à garantir la sécurité d’occupation à ceux dont les droits d’utilisation légitimes n’ont pas été reconnus. Il faudrait éviter que ces politiques n’aboutissent à la concentration ou à la marchandisation des terres, mais faire en sorte qu’elles visent à améliorer l’accès et la sécurité d’occupation des individus et groupes défavorisés et marginalisés. Il faut prévoir des garanties appropriées et les personnes et les groupes concernés par les mesures d’assistance et de coopération internationales doivent avoir accès à des mécanismes de recours indépendants. L’assistance et la coopération internationales peuvent soutenir les efforts menés pour parvenir au niveau des États à des politiques foncières durables, qui fassent ou deviennent partie intégrante des plans officiels d’utilisation des terres ou de la politique d’aménagement du territoire en général.

IV.Thèmes particuliers intéressant l’application des droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre

A.Conflits armés internes et situations d’après conflit

Il existe des liens entre les conflits armés internes, la terre et la jouissance des droits reconnus dans le Pacte. Parfois, les litiges fonciers, en particulier s’ils sont liés à une répartition structurellement inéquitable des droits d’occupation des terres qui provient, par exemple, d’un système colonial ou d’apartheid, peuvent faire partie des causes profondes d’un conflit ou en constituer un élément déclencheur. Dans d’autres cas, les conflits peuvent provoquer des déplacements forcés et l’accaparement ou la spoliation de terres, en particulier lorsqu’il s’agit de populations vulnérables comme les paysans, les peuples autochtones, les minorités ethniques ou les femmes. Il convient de noter que le règlement des différends et des litiges fonciers peut être une des clefs pour bâtir une société résiliente et préserver la paix. Ainsi, les États devraient tout mettre en œuvre pour empêcher la spoliation de terres pendant les conflits armés. Si des spoliations se produisent cependant, les États doivent établir des programmes de restitution pour garantir à tous les réfugiés et personnes déplacées le droit à la restitution de toute terre qui leur aurait été retirée arbitrairement ou illégalement. Les États devraient aussi remédier à tous les litiges fonciers susceptibles de raviver un conflit armé.

Aux fins de l’adoption de mesures visant à prévenir la spoliation de terres en période de conflit armé, il importe de prendre en considération au moins ce qui suit : a) des mécanismes de protection des droits d’occupation des populations vulnérables doivent être mis en place ; b) l’aide humanitaire et l’application du droit humanitaire international doivent être accompagnés de mesures visant à empêcher la spoliation de terres ; c) des systèmes d’information doivent répertorier tout le patrimoine exposé à un risque de spoliation, non seulement pour prévenir les spoliations, mais aussi pour faciliter la restitution future des terres ; et d) la possibilité de bloquer le marché foncier là où les risques de déplacement de populations et de spoliation de terres sont élevés doit être examinée. Toutes ces mesures préventives devraient protéger non seulement la propriété, mais aussi toutes les formes d’occupation des terres, y compris le régime coutumier, car ceux qui risquent le plus d’être spoliés de leurs terres n’en sont pas nécessairement les propriétaires formels.

Les programmes de restitution des terres doivent prévoir des mesures pour garantir le droit des réfugiés et des personnes déplacées au retour volontaire sur leurs anciennes terres ou à l’endroit où ils avaient leur résidence habituelle, dans des conditions de sécurité et dans le respect de leur dignité. Si la restitution n’est pas possible, les États devraient mettre en place des mécanismes d’indemnisation appropriés. Ils doivent établir et soutenir des procédures, des institutions et des mécanismes équitables, rapides, indépendants, transparents et non discriminatoires pour évaluer toutes les demandes de restitution de terres et faire droit à ces demandes. Devraient être couverts non seulement les droits de propriété, mais aussi toutes les formes d’occupation des terres, surtout si elles sont liées à la jouissance des droits énoncés dans le Pacte. Une attention particulière devrait être accordée au traitement approprié de la question des « occupants secondaires », qui sont pour la plupart des acheteurs de bonne foi, et des personnes en situation vulnérable qui occupent des terres quand les occupants légitimes ont fui à la suite d’un conflit armé. Une procédure régulière doit être garantie aux occupants secondaires ; si leur expulsion s’impose, elle doit faire intervenir une consultation véritable et les États doivent, si nécessaire, fournir à ces personnes un logement de remplacement et l’accès à des services sociaux afin qu’elles puissent avoir un niveau de vie suffisant.

Dans bien des situations d’après conflit, les programmes de restitution des terres, même s’ils sont couronnés de succès, risquent d’être insuffisants pour prévenir de nouveaux litiges et garantir aux réfugiés et personnes déplacées les droits consacrés par le Pacte, car ces personnes étaient déjà souvent pauvres et étaient exclues des droits fonciers avant le conflit. En pareilles circonstances, la restitution ou l’indemnisation des terres ne suffisent pas à elles seules, car ces mesures ne permettraient pas d’extraire de la pauvreté les réfugiés et personnes déplacées, ni ne diminueraient les inégalités sociales et celles liées au genre dans le domaine foncier. Dans de tels contextes, les réparations en faveur des victimes de déplacement dans leur propre pays ou de violence devraient aller au-delà de la restitution. Elles devraient avoir une finalité transformatrice, en ce sens qu’elles devraient prévoir des politiques et des mesures visant à réduire les inégalités et à améliorer le niveau de vie des personnes concernées. Des mesures concrètes devraient être prises pour améliorer l’égalité entre les sexes en ce qui concerne l’occupation des terres, notamment en accordant la préférence aux femmes dans l’attribution de droits fonciers. En outre, les États devraient faire en sorte que les programmes de restitution de terres prévoient des politiques de réforme rurale sous la forme d’une aide technique, financière et éducative aux bénéficiaires.

B.Corruption

L’administration foncière est l’un des domaines où la corruption est très répandue. Cette corruption, qui a des effets néfastes, peut survenir dans les cas suivants : au moment de la délimitation des terres et dans le cadre des programmes de délivrance de titres ; au stade de la conception des programmes d’utilisation des terres et de la désignation de terres comme « sous-utilisées » ou « vacantes » ; pour justifier l’expropriation de terres au moyen de dispositions relatives à l’« utilité publique » ou au « domaine éminent » ; et au moment de la vente ou de la location à bail de terres à des investisseurs par les pouvoirs publics.

Les États doivent intégrer dans toutes les politiques foncières nécessaires les mécanismes de responsabilité voulus pour empêcher la corruption et devraient s’efforcer d’empêcher la corruption sous toutes ses formes, à tous les niveaux et en toutes circonstances. Ils devraient réexaminer et contrôler les politiques et les cadres juridiques et institutionnels à intervalles réguliers pour s’assurer de leur efficacité. Les organismes d’exécution et les autorités judiciaires devraient dialoguer avec la société civile, les représentants des utilisateurs et le public pour améliorer les services et s’attacher à empêcher la corruption par des procédures et des décisions transparentes. Ce faisant, les États devraient en particulier recourir à la consultation et à la participation et respecter la primauté du droit et les principes de transparence et de responsabilité.

C.Défenseurs et défenseuses des droits de l’homme

La situation des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme est particulièrement difficile dans les situations de litige liées à la terre. Le Comité a été régulièrement informé de menaces et d’agressions dont auraient fait l’objet des personnes qui cherchaient à protéger les droits que le Pacte leur reconnaît ou reconnaît à d’autres. Certaines d’entre elles auraient ainsi fait l’objet d’actes de harcèlement, de poursuites judiciaires et d’actes de diffamation et d’autres auraient été tuées, en particulier dans le cadre de projets d’extraction et de développement. Nombre de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme défendent également la fonction environnementale de la terre et la durabilité de l’utilisation des terres qui constitue une condition préalable au respect des droits de l’homme à l’avenir. Conformément à la Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus, les États doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour respecter les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme et leur action, y compris s’agissant des questions foncières, et s’abstenir de leur infliger des sanctions pénales ou de prévoir de nouvelles infractions pénales dans le but d’entraver leur action.

Les États devraient adopter des mesures concrètes pour protéger le travail des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme mais le faire selon le contexte propre à chaque pays. Toutefois, les mesures ci-après sont essentielles : a) la reconnaissance publique, par les plus hautes autorités de l’État, de l’importance et de la légitimité de l’action des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme et l’engagement de ne tolérer aucun acte de violence ni aucune menace à l’encontre de ces personnes ; b) le retrait de toute législation nationale ou la suppression de toute mesure qui pénalise ou entrave l’action des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme ; c) le renforcement des institutions publiques chargées de protéger le travail des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme ; d) la réalisation d’enquêtes sur tout acte de violence et toute menace visant des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, et l’adoption de sanctions si nécessaire ; et e) en consultation avec les bénéficiaires potentiels, l’élaboration et l’exécution de programmes qui soient dotés des ressources suffisantes et de mécanismes de coordination internes pour s’assurer que les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme en danger bénéficient de mesures de protection adaptées dès que besoin.

D.Changements climatiques

Dans de nombreux pays, les changements climatiques entravent grandement l’accès à la terre, ce qui a des répercussions sur les droits des utilisateurs. Dans les zones côtières, l’élévation du niveau de la mer a des effets sur le logement, l’agriculture et l’accès aux zones de pêche. Les changements climatiques entraînent également la dégradation des sols et la désertification. La hausse des températures, la modification du régime des précipitations et l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes comme les sécheresses et les inondations influent de plus en plus sur l’accès à la terre. Les États doivent coopérer à l’échelon international et s’acquitter de leur obligation d’atténuer les émissions et de tenir les engagements qu’ils ont pris au titre de l’Accord de Paris. Ces obligations leur sont aussi faites par le droit des droits de l’homme, comme le Comité a déjà eu l’occasion de le souligner. En outre, les États doivent éviter d’adopter des politiques visant à atténuer les changements climatiques, telles que le piégeage du carbone par un reboisement massif ou la protection des forêts existantes, qui conduisent à différentes formes d’accaparement des terres, en particulier lorsqu’elles touchent les terres et territoires de populations en situation de vulnérabilité, comme les paysans ou les peuples autochtones. Les politiques d’atténuation devraient conduire à des réductions absolues des émissions grâce à l’abandon progressif de la production et de l’utilisation des combustibles fossiles.

Les États ont l’obligation de concevoir à l’échelon national des politiques d’adaptation aux changements climatiques qui prennent en considération toutes les formes de changement d’affectation des terres induites par les changements climatiques, d’enregistrer toutes les personnes touchées et d’agir au maximum des ressources dont ils disposent pour remédier aux effets des changements climatiques, particulièrement à leurs effets sur les groupes défavorisés.

Les changements climatiques touchent tous les pays, y compris ceux qui y ont le moins contribué. Ainsi, les pays qui ont historiquement contribué le plus à ces changements et ceux qui en sont les principaux contributeurs à l’heure actuelle doivent aider ceux qui en souffrent le plus, mais qui sont le moins en mesure d’y faire face, notamment en soutenant et en finançant des mesures d’adaptation relatives aux terres. Les mécanismes de coopération pour les mesures d’atténuation des changements climatiques et d’adaptation à ces changements doivent prévoir un ensemble solide de garanties environnementales et sociales pour faire en sorte qu’aucun projet ne porte préjudice aux droits de l’homme et à l’environnement et pour garantir l’accès à l’information et l’organisation de consultations véritables avec les personnes concernées par les projets. Ils doivent également respecter le consentement préalable − donné librement et en connaissance de cause − des peuples autochtones.

V.Application et recours

Les États devraient veiller à ce que les individus et les groupes soient en mesure de recevoir et de diffuser l’information relative à la jouissance des droits liés à la terre consacrés par le Pacte. Ils doivent contrôler régulièrement l’application des régimes d’occupation des terres et de toutes les politiques, lois et mesures qui ont des effets sur la réalisation des droits énoncés dans le Pacte qui sont liés à la terre. Ces processus devraient passer par des données qualitatives et des données quantitatives ventilées recueillies par les communautés locales, entre autres acteurs, être inclusifs et participatifs, et accorder une attention particulière aux individus et groupes marginalisés et défavorisés. Dans les pays où il existe des régimes collectifs et coutumiers d’occupation des terres en milieu rural, le contrôle devrait passer par des mécanismes participatifs permettant de surveiller les effets de certaines politiques sur l’accès à la terre pour les habitants des zones concernées.

Les États parties devraient veiller à disposer de systèmes administratifs et judiciaires efficaces pour appliquer les politiques et les cadres juridiques relatifs à la terre, et faire en sorte que leurs autorités administratives et judiciaires agissent conformément aux obligations que le Pacte impose à l’État. Des mesures devraient ainsi être prises pour fournir des services non discriminatoires, rapides et accessibles à tous les titulaires de droits de façon à protéger les droits d’occupation et à promouvoir et à faciliter l’exercice de ces droits, y compris dans les zones rurales isolées. Il est essentiel de disposer d’un accès à la justice : les États parties doivent faire en sorte que, même dans les zones isolées, la justice soit accessible et abordable, particulièrement aux groupes défavorisés et marginalisés. Les recours judiciaires doivent être adaptés aux conditions des zones rurales et aux besoins des victimes de violations, celles-ci devant avoir accès à tous les renseignements utiles et à des mesures suffisantes de réparation et d’indemnisation, y compris, s’il y a lieu, à la restitution des terres et au retour dans le cas des réfugiés et des personnes déplacées. Comme il est indiqué dans l’article 28 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la restitution des terres est souvent la première voie de recours qui s’offre aux peuples autochtones. L’accès à la justice doit comprendre l’accès à des procédures permettant de remédier aux effets des activités des entreprises, aussi bien dans les pays où ces entreprises ont leur siège, que partout où des violations ont été commises.

Les États parties doivent renforcer les moyens dont disposent leurs autorités administratives et judiciaires pour garantir l’accès à des moyens rapides, abordables et efficaces de règlement des différends portant sur les droits d’occupation, grâce à des organes judiciaires et administratifs impartiaux et compétents, en particulier dans les zones rurales isolées. Les États parties devraient reconnaître les mécanismes coutumiers et autres formes de règlement des différends qui existent et coopérer avec ceux-ci, en veillant à ce qu’ils offrent des moyens équitables, fiables, accessibles et non discriminatoires de régler rapidement les différends portant sur les droits d’occupation, dans le respect des droits de l’homme. Lorsque les terres, les zones de pêche et les forêts sont utilisées par plusieurs communautés, il convient de renforcer et de développer les moyens de régler les litiges entre elles. Il est primordial de fournir un accès sûr et équitable à la terre ainsi que de respecter et de protéger l’utilisation et le contrôle de celle-ci si l’on veut garantir la jouissance d’un grand nombre des droits consacrés par le Pacte. Des recours efficaces sont essentiels.