Nations Unies

E/C.12/57/D/1/2013

Conseil économique et social

Distr. générale

20 avril 2016

Français

Original : espagnol

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Communication no 1/2013

Constatations adoptées par le Comité à sa cinquante-septième session (22 février-4 mars 2016)

Objet :

Accès d’une personne privée de liberté à des prestations d’invalidité non contributives

Question(s) de fond :

Exercice des droits énoncés dans le Pacte sans discrimination ; droit à la sécurité sociale

Question(s) de procédure :

Présentation de la communication dans le délai d’un an après épuisement des recours internes ; compétence ratione temporis du Comité

Article(s) du Pacte :

2 et 9

Article(s) du Protocole facultatif :

3 (par. 2 a) et b))

Annexe

Constatations du Comité des droits économiques, sociaux et culturels en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte (cinquante-septième session)

concernant la

Communication no 1/2013 *

P résentée par :

Miguel Ángel López Rodríguez (représenté par un avocat, Valentín J. Aguílar Villuendas, de l’Association Pro Derechos Humanos d’Andalousie)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

6 novembre 2013, transmise à l’État partie le 6 décembre 2013

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, institué en vertu de la résolution no 1985/17 du Conseil économique et social,

Réuni le 4 mars 2016,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1/2013 présentée en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif.

1.1L’auteur de la communication est Miguel Ángel López Rodríguez, majeur, de nationalité espagnole. Il se déclare victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 2 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (le Pacte). L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 6 décembre 2013, le Comité a décidé que la recevabilité de la communication serait examinée séparément du fond.

1.3Dans les présentes constatations, le Comité résume d’abord les renseignements et les arguments exposés par les parties. Il examine ensuite les questions de recevabilité et de fond qui se posent dans la communication puis formule des conclusions et des recommandations.

A.Résumé des renseignements et des arguments exposés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Au moment de la présentation de la communication, l’auteur était incarcéré au centre pénitentiaire de Séville depuis mars 2003. À une date antérieure, la Délégation provinciale de Cordoue du Conseil pour l’égalité et la protection sociale de la Junte d’Andalousie (le Conseil) lui avait accordé une prestation (pension) d’invalidité non contributive d’un montant de 301,55 euros par mois. Par décision du 23 mars 2006, le Conseil a réduit ce montant à 147,71 euros par mois, estimant que, pour fixer la pension, le montant des dépenses liées à la subsistance de l’auteur au centre pénitentiaire, soit 2 062,25 euros annuels, devait être comptabilisé dans les revenus ou les ressources de l’auteur.

2.2Le 1er octobre 2006, l’auteur a déposé une plainte administrative contestant la réduction de sa pension, qui a été rejetée le 11 octobre 2006. Le 27 novembre 2006, l’auteur a fait appel de la décision du Conseil devant le tribunal des affaires de sécurité sociale no 4 de Cordoue en demandant le rétablissement de l’intégralité de sa pension et le recouvrement des montants non versés depuis que la réduction avait été décidée. Il contestait le fait que les dépenses nécessaires à sa subsistance au centre pénitentiaire soient considérées comme des revenus personnels pour calculer ses ressources et déterminer le montant de sa pension d’invalidité non contributive.

2.3Le 17 mars 2008, le tribunal des affaires de sécurité sociale a estimé que le recours de l’auteur était partiellement fondé, a annulé la décision du Conseil du 23 mars 2006, et a ordonné le rétablissement du montant de 301,55 euros ainsi que le recouvrement des sommes non versées à l’auteur depuis que sa pension avait été réduite. Le tribunal a indiqué que la jurisprudence faisait défaut en la matière dans la mesure où le Tribunal suprême s’était prononcé sur le sujet à deux reprises seulement et de façon contradictoire. Le jugement renvoie à deux arrêts du Tribunal suprême : l’un en date du 14 décembre 1999, dans lequel le Tribunal suprême concluait que même si les coûts d’entretien d’un détenu étaient comptabilisés, celui-ci conservait le droit de percevoir la pension non contributive dans son intégralité, et l’autre en date du 20 décembre 2000, dans lequel il adoptait une position contraire. Le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale disposait que le montant correspondant aux dépenses de logement et d’alimentation du détenu au centre pénitentiaire ne constituait pas un revenu du capital ou du travail, dans la mesure où il ne provenait pas d’une activité indépendante ou salariée. Il ne faisait pas non plus partie des prestations reconnues par les divers régimes de prévoyance sociale, car le service fourni par l’administration pénitentiaire ne constituait pas un service public, mais une obligation qui incombait à l’administration en raison de la privation de liberté du détenu. Le Conseil a fait appel du jugement devant le tribunal supérieur de justice d’Andalousie.

2.4Le 10 juin 2009, le tribunal supérieur de justice d’Andalousie a annulé la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale et débouté l’auteur de sa demande. Le tribunal supérieur a indiqué que l’arrêt du Tribunal suprême du 20 décembre 2000 avait été confirmé par un autre arrêt en date du 30 janvier 2008, qui disposait que le montant des frais d’entretien des personnes incarcérées dans des établissements pénitentiaires devait être comptabilisé dans les « éléments matériels et droits […] liés à une prestation » visés à l’article 144.5 de la loi sur la sécurité sociale aux fins de déterminer les revenus et les ressources du bénéficiaire. Il était donc possible de déduire les dépenses d’entretien en prison du montant dû au titre d’une pension d’invalidité non contributive. L’auteur s’est pourvu en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence auprès du Tribunal suprême, en invoquant comme précédent un jugement du tribunal supérieur de justice de Castille-et-León en date du 29 novembre 2007.

2.5Le 27 mai 2010, le Parquet général près le Tribunal suprême a estimé que le pourvoi en cassation était recevable, dans la mesure où la pension d’invalidité non contributive était un droit des bénéficiaires, qui était soumis aux mêmes conditions que le reste des prestations du système, les seuls critères requis étant la résidence en Espagne, l’insuffisance des ressources et le degré d’invalidité établi. En outre, les frais d’entretien d’une personne incarcérée ne pouvaient pas être assimilés à un revenu remplaçant celui d’un travail ni à une prestation complémentaire financée par des ressources publiques ou privées, au sens de l’article 12.2 du décret royal no 357/1991, dans la mesure où ils ne correspondaient pas à une activité volontaire du bénéficiaire, mais constituaient une obligation incombant à l’administration pénitentiaire du fait de la privation de liberté du détenu, ainsi que le prévoyait l’article 21.2 de la loi pénitentiaire.

2.6Le 29 septembre 2010, le Tribunal suprême a rejeté le pourvoi en cassation aux fins d’unification de la jurisprudence au motif que la jurisprudence en la matière avait déjà été unifiée par ses arrêts du 20 décembre 2000 et du 15 juillet 2008. Il a estimé que la finalité des prestations non contributives était de garantir des prestations minimum aux personnes démunies, et n’avaient plus lieu d’être s’il était pourvu aux besoins de subsistance des intéressés par d’autres moyens. Par ailleurs, il a indiqué qu’une réduction éventuelle du montant de la pension non contributive d’invalidité n’avait pas d’incidence négative sur les obligations familiales du bénéficiaire, dans la mesure où ces obligations sont traitées par une autre voie. En outre, les frais d’entretien des détenus pouvaient être assimilés à une prestation d’aide sociale. À cet égard, le Tribunal suprême a indiqué que bien qu’il ne s’agisse pas d’une prestation de la sécurité sociale, l’article 144.5 de la loi sur la sécurité sociale n’imposait pas que ce soit le cas puisqu’il visait les « éléments matériels et droits […] liés à une prestation d’aide sociale » d’une manière générale. Une interprétation contraire avantagerait les détenus par rapport à d’autres bénéficiaires ou demandeurs, dont tous les revenus sont pris en considération pour déterminer le plafond des prestations auxquelles ils ont droit.

2.7Le 9 décembre 2010, l’auteur a présenté un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, en invoquant une violation des droits qu’il tenait des articles 14 (égalité devant la loi), 24.1 (droit à une protection effective) et 25.2 (droit des personnes privées de liberté aux prestations prévues par le régime de sécurité sociale) de la Constitution. En particulier, l’auteur a indiqué qu’il était porté atteinte à son droit à l’égalité devant la loi par rapport à d’autres personnes dans une situation analogue à la sienne qui se trouvaient dans d’autres communautés autonomes de l’État partie, ainsi que par rapport aux détenus non bénéficiaires de prestations non contributives et aux personnes en liberté qui peuvent bénéficier de repas dans des établissements analogues tels que les hôpitaux ou les cantines populaires sans que leurs prestations soient réduites.

2.8Le 29 octobre 2012, le Tribunal constitutionnel a débouté l’auteur de sa demande et indiqué que ses allégations de traitement discriminatoire étaient générales et insuffisantes et n’étaient pas étayées par des éléments de preuve.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les faits exposés font apparaître une violation des droits qu’il tient des articles 2 et 9 du Pacte.

3.2L’auteur fait valoir que l’État partie a porté atteinte à son droit à la sécurité sociale et à l’exercice de ce droit sans discrimination et dans des conditions d’égalité, étant donné que la mesure prise par le Conseil instaure une inégalité de traitement par rapport aux autres détenus, y compris ceux qui sont autonomes sur le plan économique, reçoivent d’autres prestations ou n’en reçoivent aucune mais ne supportent pas les frais nécessaires à leur subsistance ; par rapport aux détenus incarcérés dans d’autres communautés autonomes qui ne se voient pas appliquer de réductions de leurs prestations d’invalidé non contributives, car comme cela a été constaté lors des procédures judiciaires, au moins une communauté aurait modifié et appliqué un critère distinct pour la détermination du montant en considérant que les frais d’entretien en prison ne constituaient pas une prestation d’aide sociale ; et par rapport aux personnes libres qui fréquentent d’autres services publics comme les hôpitaux, les centres d’accueil ou les cantines sociales où ils reçoivent des repas gratuits sans pour autant que leurs prestations de sécurité sociale soient réduites.

3.3L’auteur fait valoir que les autorités n’ont pas pris en considération la Constitution de l’État partie, qui prévoit que les personnes privées de liberté jouissent de tous les droits fondamentaux, ni l’article 3 de la loi pénitentiaire, en vertu duquel les mesures voulues doivent être adoptées pour que les détenus et leur famille conservent les droits aux prestations de la sécurité sociale acquis avant l’incarcération.

3.4L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes. Bien que les faits ayant porté atteinte à ses droits se soient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, la violation en question persistait au moment où la communication a été présentée au Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 28 février 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et demandé que la communication soit déclarée irrecevable conformément à l’alinéa a)du paragraphe2 de l’article 3 du Protocole facultatif.

4.2L’auteur a présenté sa communication plus d’un an après l’épuisement des recours internes, le jugement du Tribunal constitutionnel ayant été publié le 29 octobre 2012. Les jugements du Tribunal constitutionnel qui tranchent les recours en amparo ne sont pas seulement notifiés aux parties ; ils sont également publiés au Journal officiel afin que le public en ait connaissance. Dans le cas de l’auteur, le jugement a été publié au Journal officiel le 28 novembre 2012. Le délai imparti pour la saisine d’une instance internationale doit être décompté non pas à partir de la date de publication au Journal officiel mais à partir de la date à laquelle le jugement est communiqué officiellement à l’intéressé, qui est alors réputé avoir pris connaissance de la décision finale rendue dans l’affaire qui le concerne.

4.3Comme l’a conclu le Tribunal constitutionnel, l’application des règles nationales en matière de sécurité sociale n’a pas porté atteinte aux droits garantis à l’auteur par les articles 2 et 9 du Pacte. Dans son jugement du 29 octobre 2012, le Tribunal constitutionnel a pris note de l’interprétation du Tribunal suprême selon laquelle la prestation alimentaire perçue par une personne en détention est assimilable à une prestation de service public et comptabilisée comme revenu aux fins de la détermination du droit à la pension d’invalidité non contributive.

4.4L’auteur n’a pas été défavorisé par rapport à d’autres bénéficiaires du même type de prestations exécutant une peine d’emprisonnement. Les mêmes règles s’appliquent de la même façon sur l’ensemble du territoire de l’État partie à tous les condamnés bénéficiaires d’une pension non contributive de la sécurité sociale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie au sujet de la recevabilité

5.1Le 20 mars 2014, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité.

5.2En ce qui concerne la condition prévue à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, l’auteur fait valoir qu’aux termes de l’article 164.1 de la Constitution de l’État partie, « les jugements rendus par le Tribunal constitutionnel sont publiés au Journal officiel accompagnés, le cas échéant, des opinions individuelles s’y rapportant. Ils ont l’autorité de la chose jugée à partir du lendemain de leur publication ». Sans cette formalité indispensable, le jugement est sans effet juridique et ne peut pas faire l’objet d’un recours.

5.3Par ailleurs, l’auteur indique que le jugement lui a été communiqué le 6 novembre 2012 et non, comme l’a affirmé l’État partie, le 29 octobre 2012. Il ajoute que, conformément à la réglementation nationale, les délais mensuels ou annuels commencent à courir le lendemain du jour où intervient la notification. En tout état de cause, s’agissant d’une personne privée de liberté, il convient d’opter pour une interprétation souple qui tienne compte de sa situation exceptionnelle.

Observations de l’État partie quant au fond

6.1Le 22 mai 2015, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication. Il considère qu’aucune violation du droit à la sécurité sociale ne s’est produite, et qu’il n’y a pas eu d’application discriminatoire de la loi.

6.2L’article 41 de la Constitution de l’État partie dispose que les pouvoirs publics assurent à tous les citoyens un régime public de sécurité sociale, qui garantit une assistance et des prestations sociales suffisantes pour faire face aux situations de nécessité, spécialement en cas de chômage. La loi générale sur la sécurité sociale prévoit, dans ce cadre, parmi les critères à remplir pour bénéficier des prestations non contributives, l’absence de revenus suffisants. L’article 145.2 de la loi énonce ainsi : « [l]es montants de la prestation non contributive sont compatibles avec les ressources ou les revenus annuels dont dispose individuellement chaque bénéficiaire, pour autant que ceux-ci n’excèdent pas 35 % du montant annuel de la prestation non contributive ». Par ailleurs, le paragraphe 5 de l’article 144 dispose : « seront considérés comme des ressources ou des revenus à comptabiliser les éléments matériels et les droits de toute nature, qu’ils proviennent du travail ou du capital, ou qu’ils soit liés à une prestation ». Par ailleurs, le décret royal no 3765/1991 dispose que l’on assimilera à des revenus de remplacement des revenus du travail toute autre prestation complémentaire de ces revenus à la charge de fonds publics ou privés, et que l’on prendra en considération les revenus et les ressources de toute nature dont le demandeur est en droit de bénéficier ou de disposer.

6.3La limite prévue au paragraphe 2 de l’article 145 de la loi générale sur la sécurité sociale a été librement appréciée par le législateur, après évaluation des divers intérêts économiques et de l’ensemble des droits protégés par la loi. Cette règle a pour objet d’établir des motifs d’incompatibilité raisonnables et logiques d’après lesquels une prestation publique et son montant effectif ne peuvent être perçus compte tenu des ressources ou des revenus annuels du bénéficiaire, à plus forte raison si elle est financée au moyen du budget de l’État, sans cotisation préalable du bénéficiaire.

6.4La prestation d’invalidité non contributive a été accordée à l’auteur de manière égalitaire et sans discrimination aucune par rapport à toute autre personne se trouvant dans la même situation, c’est-à-dire les autres bénéficiaires de la même catégorie de prestations qui feraient l’objet d’une privation de liberté à la suite d’une condamnation et relèveraient ainsi du régime pénitentiaire. Par son jugement du 29 septembre 2010, le Tribunal suprême a estimé que les autorités administratives avaient correctement appliqué les articles 144 et 145 de la loi générale sur la sécurité sociale au cas de l’auteur et que ce dernier n’avait subi aucun traitement différent de celui appliqué à toute personne se trouvant dans la même situation. Par la suite, le Tribunal constitutionnel a considéré, dans son jugement relatif au recours en amparo de l’auteur, qu’il n’était pas porté atteinte aux droits fondamentaux de l’auteur reconnus dans la Constitution et qu’il n’était pas privé des avantages du régime de sécurité sociale, en particulier de la prestation d’invalidité non contributive. Le Tribunal a aussi constaté que l’auteur n’avait pas reconnu au cours du procès le fait que dans d’autres cas où le bénéficiaire d’une prestation non contributive est aidé par des prestations publiques qui répondent à ses besoins fondamentaux, la situation n’est pas prise en considération aux fins du calcul de la pension non contributive reconnue.

6.5L’État partie soutient que toute personne exécutant une condamnation pénale privative de liberté dans un établissement pénitentiaire bénéficie gratuitement de son entretien à la charge de l’État, à titre de droit subjectif reconnu par la loi. Conformément aux articles 3 et 21 de la loi organique no 1/1979 du 26 septembre 1979 (loi organique générale pénitentiaire), l’administration publique est tenue de veiller à la vie, à l’intégrité et à la santé des détenus, y compris à leur entretien. Il s’agit d’un droit pour le détenu, quelle que soit sa situation personnelle ou patrimoniale. Ces règles n’empêchent pas cependant que, du point de vue de la sécurité sociale, le montant des frais d’entretien soit considéré comme déductible pour fixer le montant d’une autre catégorie de prestations publiques, telle la prestation d’incapacité non contributive. Ainsi, en cas de dépassement de la limite de ressources ou de revenus annuels en vigueur, l’excédent peut être déduit dans une proportion raisonnable compte tenu de la catégorie de prestations considérée.

6.6L’octroi d’une prestation non contributive de la sécurité sociale se fonde sur la reconnaissance d’une situation réelle et objective de nécessité et de précarité du bénéficiaire. Seule la situation personnelle est prise en considération, il n’existe aucune condition liée à l’existence d’apports préalables du bénéficiaire (versements de contrepartie, épargne ou montant des cotisations préalables au régime). Puisqu’il s’agit d’une prestation publique financée par les fonds publics – et donc, par l’effort économique générale du pays – il s’ensuit logiquement que la perception en est réglementée aux termes des articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale par un régime d’incompatibilités et de déductions. C’est la raison pour laquelle, si le bénéficiaire perçoit en même temps un autre type de prestations publiques à la charge de l’État, sans contrepartie, ni cotisations préalables, une déduction doit être opérée pour en tenir compte.

6.7Lorsqu’une personne perçoit une prestation et se trouve privée de liberté, la prestation correspondant à l’entretien du détenu dans l’établissement pénitentiaire est maintenue, tout en réduisant le montant de l’autre prestation, comme c’est le cas en l’espèce. L’option retenue par le législateur de l’État partie est légitime, au nom de l’intérêt économique de l’État partie en tant que prestataire de biens publics soumis à la rareté.

6.8En pratique, l’auteur n’a pas subi de discrimination par rapport à d’autres personnes privées de liberté dont la situation personnelle est identique et qui perçoivent une prestation d’invalidité non contributive de la sécurité sociale. L’auteur n’a pas établi que d’autres personnes se trouvant dans la même situation, dans le même centre pénitentiaire, n’ont pas fait l’objet d’une déduction de la prestation non contributive dans une proportion équivalente à celle du coût de l’entretien auquel elles ont droit au centre pénitentiaire. Il n’a pas établi non plus que la différence de traitement supposée soit intervenue par rapport à des détenus se trouvant dans d’autres centres pénitentiaires d’autres communautés autonomes, ou dans un autre type d’établissement fermé. Par ailleurs, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi non plus qu’il existe une différence de traitement comparativement aux personnes séjournant dans d’autres lieux soutenus par des fonds publics comme les hôpitaux, les orphelinats, les maisons de retraite et les centres militaires. Même s’il existait une différence, la comparaison n’est pas pertinente car la situation personnelle objective des personnes qui s’y trouvent n’est pas la même que celle d’une personne condamnée à une peine privative de liberté pour la commission d’un délit.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant au fond

7.1Par correspondance datée du 10 juillet 2015, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie quant au fond de la communication. Il indique avoir subi un traitement inégal, tant de la part des autorités chargées de la gestion des pensions non contributives que de celle des autorités pénitentiaires. La législation qui régit les prestations non contributives, en particulier les articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale, ne dispose pas expressément qu’il faille déduire du montant des prestations non contributives des personnes privées de liberté le montant correspondant au coût estimatif de leur entretien. La diminution des prestations appliquée à ces cas est imputable à une décision du Gouvernement central ou des gouvernements régionaux, lorsque les compétences dans ce domaine leur ont été transférées, d’après une certaine interprétation des normes juridiques correspondantes, comme dans le cas du Gouvernement régional de l’Andalousie. En raison du manque de clarté des normes en vigueur, les autorités ont appliqué des critères différents et les tribunaux ont rendu des jugements contradictoires.

7.2L’État partie indique d’un côté que toute personne privée de liberté a droit à son entretien, les frais étant assumés gratuitement par l’État. Néanmoins, en pratique, les personnes visées par la mesure en question supportent leur entretien par une réduction de leurs prestations non contributives. L’auteur ajoute que, conformément à l’article 3 de la loi générale pénitentiaire, des mesures doivent être adoptées pour que les détenus et les membres de leur famille conservent leurs droits aux prestations de la sécurité sociale acquis avant le placement en détention, du fait que les prestations bénéficient aussi à la famille du bénéficiaire.

7.3Au sujet de l’observation de l’État partie selon laquelle il ne serait pas pertinent de comparer le traitement reçu par les personnes privées de liberté dans un centre pénitentiaire avec celui d’autres personnes séjournant dans d’autres lieux financés par des fonds publics comme les hôpitaux, les orphelinats et les maisons de retraite, l’auteur indique qu’il s’abstient de tout commentaire dès lors que cette observation comporte en soi des connotations discriminatoires, et que les personnes privées de liberté bénéficiaires de prestations non contributives sont pénalisées dans l’État partie à titre de peine accessoire, en devant payer leur entretien, par rapport à d’autres catégories de personnes, notamment les personnes hospitalisées ou placées dans des centres de traitement de la toxicomanie. Ainsi, en pratique, les articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale sont appliqués et interprétés de manière différente pour les bénéficiaires qui seraient privés de liberté.

7.4L’auteur fait valoir que quand bien même le jugement du Tribunal suprême aurait établi que l’entretien dans les hôpitaux publics fait partie de la prestation sanitaire, celui-ci constitue également un droit subjectif, prévu dans la gamme de services communs du système national de santé, qui inclut l’alimentation dans le cas de l’hospitalisation au sein d’un établissement. Ainsi, en dépit de la similitude de situations et de circonstances des bénéficiaires, dans la pratique les personnes qui ne font pas l’objet d’une peine privative de liberté peuvent accéder à une alimentation gratuite financée par des sources publiques ou privées sans que leurs prestations sociales en soient affectées.

B.Délibérations du Comité sur la recevabilité et sur le fond

Examen de la recevabilité

8.1À sa cinquante-troisième session, le 26 novembre 2014, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

8.2À la lumière des documents mis à sa disposition par les parties en vertu du paragraphe 1 de l’article 8 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’a pas déjà fait l’objet, ni ne fait l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement au niveau international. Par conséquent, le Comité estime qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la présente communication, conformément au paragraphe 2 c) de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable du fait qu’elle a été présentée plus d’un an après l’épuisement des recours internes, soit après expiration du délai prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité a noté cependant que d’après l’attestation établie par le Tribunal constitutionnel le 12 mars 2014, le jugement du Tribunal, par lequel les recours internes ont été épuisés, a été prononcé le 29 octobre 2012 et communiqué au représentant de l’auteur au procès le 6 novembre 2012. À cet égard, le Comité a considéré que le délai prévu à l’alinéaa) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif commence à courir au moment où l’auteur ou son représentant sont suffisamment informés du jugement définitif pour pouvoir élaborer leur communication au Comité et se prévaloir de l’épuisement des recours internes. Quand l’auteur d’une communication a le droit d’être informé de la décision finale de l’instance nationale marquant l’épuisement des recours internes, ou en est informé au moyen d’une copie de la décision, il convient de considérer que le délai prévu à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif commence à courir à partir du lendemain de la date de la notification. Par conséquent, le Comité a estimé qu’il n’était pas empêché, au regard de l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif, d’examiner les griefs que tire l’auteur des articles 2 et 9 du Pacte.

8.4Le Comité a pris note de la position de l’auteur, qui fait valoir que les faits à l’origine de la violation de ses droits, bien qu’ils se soient produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, persistaient au moment où la communication a été présentée et qu’il y a donc lieu de considérer que le Comité était compétent pour examiner ses griefs. Le Comité a noté également que l’État partie n’avait pas soulevé d’objections au regard de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif. À cet égard, le Comité a constaté que les griefs de violations du Pacte formulés dans la communication ont trait aux décisions des autorités de l’État partie ayant entraîné la réduction de la pension non contributive de l’auteur ainsi qu’à la pension ainsi réduite. Bien que ces mesures, y compris l’ensemble des décisions judiciaires des autorités nationales, aient été prises avant le 5 mai 2013, date de l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’Espagne, l’auteur avait continué jusqu’à ce jour de percevoir une pension réduite. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, le Comité a estimé qu’il n’était pas empêché par l’alinéab) du paragraphe 2 de l’article 3 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

8.5Le Comité a estimé que les griefs que tire l’auteur des articles 2 et 9 du Pacte avaient été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En conséquence, il a déclaré la communication recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 2 et 9 du Pacte.

Examen au fond

Faits et points de droit

9.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toute la documentation qui lui a été soumise, conformément à l’article 8 du Protocole facultatif.

9.2L’auteur fait valoir que l’État partie a porté atteinte à son droit à la sécurité sociale du fait que le Conseil pour l’égalité et la protection sociale de la Junte d’Andalousie (le Conseil) a réduit le montant de sa prestation d’invalidité non contributive au motif qu’il était nécessaire de déduire les frais d’entretien de l’auteur au centre pénitentiaire dans lequel il exécute sa peine privative de liberté. L’auteur fait valoir que les personnes privées de liberté doivent jouir de tous leurs droits, et que les autorités doivent donc adopter les mesures voulues pour que les détenus et les membres de leur famille conservent leurs droits aux prestations de la sécurité sociale acquis avant le placement en détention. L’auteur estime également que la décision de réduire le montant de sa prestation constitue un traitement discriminatoire par rapport : a) aux autres personnes privées de liberté, qui n’ont pas à payer leurs frais d’entretien en prison ; b) par rapport aux détenus qui résident dans d’autres communauté autonomes qui ne se voient pas appliquer de réduction de leurs prestations d’invalidité non contributives ; et c) par rapport aux personnes libres qui séjournent temporairement dans des lieux financés par des fonds publics ou qui sont utilisateurs de services publics comme les hôpitaux, les centres d’accueil, les cantines sociales, et les centres de traitement de la toxicomanie, où ils sont alimentés gratuitement, sans diminution d’autres prestations accordées par la sécurité sociale.

9.3L’État partie soutient que la réduction de la prestation d’invalidité non contributive de l’auteur est conforme à la loi, en particulier aux articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale. Et que, de plus, cette réduction est justifiée puisqu’il s’agit d’une prestation non contributive, dont la reconnaissance découle de l’état de nécessité du bénéficiaire, et non de contributions préalables au système que celui-ci aurait effectuées. D’après l’État partie, comme toute personne privée de liberté a droit à des prestations d’entretien gratuitement, quelle que soit sa situation personnelle ou patrimoniale, il est donc logique que, pour protéger les ressources publiques, les coûts de cet entretien puissent être déduits du montant effectif de la prestation non contributive puisqu’il est déjà pourvu aux besoins du bénéficiaire. L’État partie soutient également qu’il n’y a pas de discrimination étant donné que la réduction a été appliquée égalitairement par rapport à toute autre personne dont la situation personnelle serait identique à celle de l’auteur. Comme il s’agit, en outre, d’une pension non contributive, la comparaison pertinente doit être faite avec les autres bénéficiaires de la même catégorie de prestations qui feraient l’objet d’une privation de liberté à la suite d’une condamnation et relèvent donc du régime pénitentiaire, dans le même centre pénitentiaire ou dans tout autre établissement. Or, d’après l’État partie, l’auteur n’a prouvé, ni devant les tribunaux nationaux ni devant le Comité, l’existence d’un traitement différent par rapport à ces personnes. Par ailleurs, selon l’État partie, l’auteur n’a pas établi non plus qu’il existe une différence de traitement, comparativement aux personnes séjournant dans d’autres lieux financés par des fonds publics, comme les hôpitaux, les orphelinats, les maisons de retraite et les centres militaires. L’État partie fait valoir que même si une telle différence avait existé, la comparaison ne serait pas pertinente dans la mesure où la situation personnelle objective des personnes qui y séjournent n’est pas la même que celle d’une personne condamnée à une peine privative de liberté pour la commission d’un délit.

9.4Le Comité note qu’il n’est contesté par aucune des parties que le Conseil a accordé à l’auteur une prestation d’invalidité non contributive d’un montant de 301,55 euros par mois ; qu’en mars 2003, l’auteur a été incarcéré au centre pénitentiaire de Séville ; et que le 26 mars 2006, le Conseil a réduit le montant de la prestation à 147,71 euros par mois, ayant estimé qu’il convenait, pour établir le montant de la prestation, de comptabiliser dans les revenus ou les ressources de l’auteur le montant correspondant à son entretien au centre pénitentiaire, soit 2 062,25 euros annuels.

9.5Le Comité ayant examiné les faits de l’espèce, vu les allégations de l’auteur et de l’État partie, il est d’avis que les deux problèmes distincts mais connexes posés par la présente communication sont de savoir : a) si la réduction du montant de la prestation d’invalidité non contributive de l’auteur, équivalente au coût de son entretien en prison, constitue en soi une violation directe du droit à la sécurité sociale prévue à l’article 9 du Pacte ; b) si cette réduction constitue un traitement discriminatoire et une violation de l’article 2 du Pacte, lu parallèlement à l’article 9. Pour répondre à ces questions, le Comité commencera par rappeler certains éléments du droit à la sécurité sociale, en particulier ceux qui concernent les prestations non contributives, les personnes handicapées et les personnes privées de liberté, avant d’analyser séparément chacune des questions.

Droit à la sécurité sociale et droit d’obtenir des prestations sociales non contributives sans discrimination

10.1Le Comité rappelle que le droit à la sécurité sociale revêt une importance fondamentale pour garantir la dignité humaine de toutes les personnes confrontées à des circonstances qui les privent de la capacité d’exercer pleinement les droits énoncés dans le Pacte. Ce droit joue un rôle important pour éviter l’exclusion sociale et favoriser l’insertion sociale. Le droit à la sécurité sociale englobe le droit d’avoir accès à des prestations, en espèces ou en nature, et de continuer à en bénéficier, sans discrimination.

10.2Les prestations, en espèces ou en nature, doivent être d’un montant et d’une durée adéquats afin que chacun puisse exercer ses droits à la protection de la famille et à l’aide à la famille, à un niveau de vie suffisant et aux soins de santé. En outre, les États parties doivent respecter pleinement le principe de la dignité humaine, énoncé dans le préambule du Pacte, et le principe de la non-discrimination, de façon à éviter toute répercussion néfaste sur le niveau et la forme des prestations.

10.3Le Comité rappelle que si l’exercice du droit à la sécurité sociale a des incidences financières importantes pour les États parties, ces derniers ont l’obligation d’assurer, au minimum, la satisfaction de l’essentiel de ce droit prévu par le Pacte. Ils doivent notamment assurer l’accès à un régime de sécurité sociale qui garantisse, au minimum, à l’ensemble des personnes et des familles un niveau essentiel de prestations, qui leur permette de bénéficier au moins des soins de santé essentiels, d’un hébergement et d’un logement de base, de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement, de denrées alimentaires et des formes les plus élémentaires d’enseignement.

10.4Les États parties sont aussi tenus d’assurer l’exercice du droit à la sécurité sociale quand des individus ou groupes sont incapables, pour des motifs jugés raisonnablement indépendants de leur volonté, de l’exercer eux-mêmes avec leurs propres moyens dans le cadre du système de sécurité sociale existant. Ils doivent adopter à cet effet des régimes non contributifs ou d’autres mesures d’assistance sociale pour aider les individus et les groupes incapables de verser des cotisations suffisantes pour assurer leur propre protection.

10.5S’agissant des personnes handicapées qui, du fait de leur incapacité ou pour des raisons qui y sont liées, ont perdu temporairement leur revenu ou l’ont vu diminuer ou se sont vu refuser un emploi ou qui sont atteintes d’une incapacité permanente, les plans de sécurité sociale et de maintien des revenus revêtent une importance particulière. Ils doivent permettre à ces personnes de bénéficier d’un niveau de vie suffisant, de mener une vie indépendante et d’être intégrées dans la collectivité, de façon digne. En outre, l’aide fournie devrait aussi couvrir les membres de la famille et les autres prestataires informels de soins.

10.6Le Comité rappelle que le Pacte interdit toute discrimination, qu’elle soit de droit ou de fait, directe ou indirecte, dont l’intention ou l’effet est de rendre impossible ou d’entraver la jouissance ou l’exercice sur un pied d’égalité du droit à la sécurité sociale. Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent adopter des mesures concrètes, et les revoir régulièrement si nécessaire, au maximum de leurs ressources disponibles, en vue de réaliser intégralement le droit de toutes les personnes sans discrimination à la sécurité sociale.

La sécurité sociale et les personnes privées de liberté dans un établissement pénitentiaire

11.1Les personnes privées de liberté dans un établissement pénitentiaire jouissent des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte sans discrimination, sauf pour ce qui est des limitations qui sont évidemment rendues nécessaires par leur incarcération. Le Comité rappelle que chacun a certes droit à la sécurité sociale, mais que les États parties devraient être spécialement attentifs aux individus et aux groupes qui de tout temps éprouvent des difficultés à exercer ce droit, dont les détenus.

11.2Le Comité rappelle également que le droit à la sécurité sociale comprend le droit de ne pas être soumis à des restrictions arbitraires et déraisonnables du bénéfice du dispositif de sécurité sociale existant, qu’il soit d’origine publique ou privée, ainsi que le droit de jouir sur un pied d’égalité d’une protection adéquate contre les risques et aléas sociaux. Les conditions d’admissibilité au bénéfice des prestations doivent être raisonnables, proportionnées et transparentes. Le retrait, la réduction ou la suspension des prestations devrait être limité, reposer sur des motifs raisonnables et faire l’objet de dispositions législatives nationales.

11.3Compte tenu de ce qui précède, une prestation non contributive ne peut, en principe, être retirée, réduite ou suspendue par suite de la privation de liberté du bénéficiaire, sauf si la mesure est prévue par la loi, est raisonnable et proportionnée, et garantit au minimum un niveau essentiel de prestations (voir supra, par. 10.3). Le caractère raisonnable et proportionné de la mesure doit être évalué cas par cas, compte tenu de la situation personnelle du bénéficiaire. En conséquence, dans le cas des personnes privées de liberté, la réduction du montant d’une prestation non contributive peut être compatible avec le Pacte si elle est prévue par la loi, et si les mêmes dépenses sont couvertes dans le cadre des services fournis aux personnes privées de liberté dans le centre pénitentiaire.

Analyse de l’affaire

12.Le Comité rappelle que sa tâche, en examinant une communication, se limite à analyser si les faits décrits dans la communication dénotent une violation par l’État partie des droits économiques, sociaux et culturels énoncés dans le Pacte. Le Comité estime qu’il appartient en premier lieu aux juridictions des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ainsi que la manière dont la législation pertinente a été appliquée, et que son rôle consiste seulement à dire si l’appréciation des éléments probants ou l’application du droit interne ont été manifestement arbitraires, ou ont constitué un déni de justice qui a porté atteinte à un droit reconnu dans le Pacte.

Analyse des griefs faisant état d’une violation du droit à la sécurité sociale

13.1Le Comité examinera en premier lieu si la réduction du montant de la prestation d’invalidité non contributive de l’auteur, équivalente au coût de son entretien en prison (soit une diminution de 301,55 à 147,71 euros par mois) constitue en soi une violation de l’article 9 du Pacte. Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels la prestation ayant un caractère non contributif et étant à la charge de l’État, il y a lieu, lorsque l’État verse concurremment des prestations qu’il prend également à sa charge, d’appliquer une déduction pour en tenir compte ; et que la réduction de la prestation de l’auteur a été effectuée conformément à la loi.

13.2Comme on l’a vu précédemment, la diminution du montant d’une prestation non contributive est compatible avec les obligations énoncées dans le Pacte, pour autant que la mesure soit prévue par la loi et soit raisonnable et proportionnée (voir supra, par. 11.2 et 11.3). Dans le cas de l’auteur, vu les articles 144 et suivants de la loi générale sur la sécurité sociale, la diminution du montant de sa prestation d’invalidité non contributive est due au fait qu’une partie des dépenses essentielles – logement et alimentation – auxquelles correspondait le montant initial de la prestation sont couvertes par l’entretien auquel pourvoit directement et gratuitement l’établissement pénitentiaire, et il apparaît donc qu’elle est autorisée par les articles susmentionnés, conformément à l’interprétation formulée par la juridiction suprême espagnole. Il s’agit donc d’une diminution autorisée par la loi.

13.3Cette diminution constitue en outre un moyen raisonnable d’atteindre un but compatible avec le Pacte, à savoir la protection des ressources publiques, lesquelles sont nécessaires à la réalisation des droits des personnes. Dans le cas particulier des prestations non contributives qui sont exclusivement à la charge de l’État et ne sont pas subordonnées à des contributions préalables du bénéficiaire, les États parties ont une certaine latitude pour disposer des ressources budgétaires de la meilleure façon possible, aux fins de garantir la pleine effectivité des droits reconnus dans le Pacte et d’assurer, notamment, un système de sécurité sociale qui offre à toutes les personnes et toutes les familles un niveau essentiel minimum de prestations (voir supra, par. 10.3). Le Comité estime donc raisonnable qu’afin de répartir plus efficacement les ressources de l’État, une prestation non contributive puisse être éventuellement réduite, si les besoins du bénéficiaire qui ont été pris en compte pour déterminer le montant de la prestation initiale changement. En l’espèce, les besoins de l’auteur ont changé en raison de l’entretien dont il bénéficie dans l’établissement pénitentiaire à la charge de l’État partie.

13.4Enfin, le Comité constate qu’après la mesure en question, l’auteur a continué de recevoir une pension non contributive de 147,71 euros, parallèlement à l’entretien dont il bénéficie dans le centre pénitentiaire où il est incarcéré. L’État partie a donc remplacé la prestation qu’il accordait en espèces lorsque l’auteur était en liberté par une prestation en nature, à savoir la prise en charge de son entretien pendant la période de privation de liberté. À cet égard, le Comité considère qu’un État partie n’a pas toute latitude pour remplacer une prestation en espèces par une autre forme d’assistance. Dans certains cas, le remplacement en lui-même ou le niveau de réduction de la prestation en espèces peut constituer une violation du droit à la sécurité sociale, si cette mesure a un effet disproportionné sur la personne. La compatibilité d’une telle mesure avec les obligations énoncées dans le Pacte doit être évaluée cas par cas. En l’espèce, le Comité considère qu’il n’est pas établi que le remplacement d’une partie de la prestation d’invalidité non contributive en espèces par l’entretien assuré dans le centre pénitentiaire ait des effets préjudiciables graves sur l’auteur. De fait, l’auteur n’a pas présenté d’éléments ou de documents qui indiquent que la mesure en question soit disproportionnée parce qu’elle aurait compromis la satisfaction des besoins essentiels auxquels la prestation non contributive vise à répondre, pour lui ou pour les membres de sa famille (voir supra, par. 10.3) ; ou que cette mesure lui serait particulièrement préjudiciable en raison de son handicap. En conséquence, vu les faits de la cause, le Comité estime que la plainte de l’auteur et les renseignements présentés par ce dernier ne lui permettent pas de conclure que la réduction du montant de la prestation non contributive de l’auteur constitue en soi une violation de l’article 9 du Pacte.

Analyse des griefs concernant le traitement discriminatoire et la jouissance du droit à la sécurité sociale

14.1En deuxième lieu, le Comité examinera si la diminution du montant de la prestation non contributive de l’auteur constitue un traitement discriminatoire en ce qui concerne son droit à la sécurité sociale. À cet égard, le Comité rappelle que toute différence de traitement n’est pas constitutive de discrimination, si les critères motivant la différenciation sont raisonnables et objectifs et si l’on cherche à atteindre un but légitime au regard du Pacte. Le Comité prend note de ce que l’auteur est une personne handicapée et qu’il est en outre privé de liberté, ce qui l’expose davantage à la discrimination que le reste de la population (voir supra, par. 10.5 et 11.1). Il s’ensuit que l’examen du Comité quant à la discrimination dont l’auteur a pu faire l’objet doit obéir à des critères plus stricts.

14.2Le Comité analyse tout d’abord les allégations de l’auteur selon lesquelles il n’aurait pas été traité sur un pied d’égalité avec certaines personnes privées de liberté dont les prestations non contributives n’auraient pas été réduites. En l’espèce, le Comité est d’avis que le critère de comparaison proposé par l’auteur paraît approprié dès lors qu’il s’agit, dans le contexte de l’affaire examinée, de personnes dont la situation est sensiblement identique à celle de l’auteur. Certes, les décisions judiciaires et la documentation communiquées par l’auteur paraissent témoigner d’une période pendant laquelle il y aurait eu des décisions judiciaires contradictoires au sujet de l’interprétation et de l’application des articles 144 et suivants et de la loi générale sur la sécurité sociale concernant la méthode de calcul de la prestation non contributive en faveur des personnes privées de liberté. Cependant, l’auteur n’a pas démontré, en se référant par exemple à des normes juridiques ou à leur application, qu’il existe effectivement un traitement différencié lié au calcul de la prestation non contributive des personnes privées de liberté dans d’autres centres pénitentiaires d’autres communautés autonomes. Qui plus est, le jugement du Tribunal suprême du 29 septembre 2010 a établi que la doctrine en la matière a été harmonisée par ses jugements du 20 décembre 2000 et du 15 juillet 2008, qui autorisent la déduction d’un certain montant correspondant aux frais d’entretien du montant des prestations. L’auteur n’a pas prouvé qu’une différence de traitement soit apparue dans la pratique entre les diverses communautés autonomes après lesdits jugements du Tribunal suprême. En conséquence, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner si le traitement inégal présumé entre les diverses communautés autonomes peut constituer une violation du Pacte. Partant, le Comité estime que les éléments dont il dispose ne lui permettent pas de conclure que la décision du Conseil par laquelle la prestation de l’auteur a été réduite constitue un traitement inégalitaire par rapport aux autres personnes privées de liberté des établissements pénitentiaires situés dans d’autres communautés autonomes.

14.3Le Comité passe à l’examen des griefs de l’auteur faisant état d’un traitement inégalitaire par rapport à d’autres personnes privées de liberté qui ne bénéficient pas d’une prestation non contributive et qui reçoivent gratuitement des prestations d’entretien au centre pénitentiaire. D’après l’auteur, il y aurait discrimination dans la mesure où lui-même paierait son propre entretien tandis que les autres détenus n’auraient pas à le faire.

14.4Le Comité est d’avis que l’auteur part en l’espèce d’une prémisse erronée, qui l’amène à établir un point de comparaison impropre. L’auteur part du principe que la prestation financière non contributive fait partie de ses revenus et constituerait un élément de son patrimoine, de sorte que la réduction de ce revenu en contrepartie de son entretien revient pour l’auteur à devoir « payer » l’entretien en question. Or, ce n’est pas le cas dans la mesure où la prestation financière dont il bénéficie est non contributive et présente des caractéristiques semblables à celles décrites au paragraphe 13.3 ci-dessus, et ne constitue donc pas un revenu de l’auteur provenant de l’épargne de ses cotisations, comme dans le cas d’une prestation contributive, mais lui a été accordée en raison de certains besoins qu’il n’était pas en mesure de satisfaire par d’autres revenus ou prestations. Telle est la raison pour laquelle le montant de la prestation initiale peut être réduit : l’auteur perçoit d’autres revenus ou prestations qui lui permettent de satisfaire auxdits besoins. Il n’est donc pas exact que l’auteur doive payer son propre entretien au centre pénitentiaire tandis que d’autres détenus n’auraient pas à le faire, étant donné que, dans son cas, le montant correspondant à l’entretien est pris en considération, en tant que ressource ou que revenu, pour calculer le montant de sa pension non contributive. La situation de l’auteur est différente de celle de personnes privées de liberté qui ne sont pas bénéficiaires d’une prestation non contributive. En conséquence, le Comité estime que les différences de traitement dont l’auteur s’affirme victime ne constituent pas une violation des articles 2 et 9 du Pacte.

14.5Le Comité examine en dernier lieu le grief de l’auteur selon lequel il aurait subi un traitement discriminatoire par rapport aux personnes en liberté qui fréquentent des lieux soutenus par les fonds publics où l’alimentation et parfois l’hébergement leur sont fournis gratuitement, tels que les hôpitaux, les centres d’accueil et les centres de traitement de la toxicomanie, sans que cela motive une réduction des prestations non contributives accordées par la sécurité sociale. Le Comité estime que l’auteur n’a présenté d’éléments pertinents ni de documents qui indiquent qu’une telle différence de traitement existe en pratique ; et que même si les cas invoqués par l’auteur étaient pertinents, il n’y aurait pas eu de traitement discriminatoire à son égard.

14.6Il existe certes des similitudes entre la situation de l’auteur et celle d’une personne en liberté qui serait titulaire d’une pension non contributive et bénéficierait de prestations d’alimentation et d’hébergement gratuites dans un établissement de soins publics, à titre d’exemple un hôpital. Il s’agit dans les deux cas de personnes qui bénéficient d’une prestation financière non contributive et reçoivent une autre prestation en nature de l’État, et l’on pourrait donc en conclure que l’État doit accorder le même traitement pour les deux situations : soit garder la prestation financière inchangée aux deux personnes, ou diminuer celle-ci proportionnellement. Le Comité estime cependant qu’en dépit de ces similitudes, il existe aussi entre les deux situations des différences sensibles qui justifient que l’État puisse leur appliquer un traitement différent sans commettre de discrimination. Le Comité est d’avis que la situation d’une personne privée de liberté en raison d’une condamnation pénale est différente de celle des autres personnes mentionnées par l’auteur (telles qu’un malade recevant des soins dans un hôpital ou une personne bénéficiant de repas dans un centre d’accueil) au moins à deux égards.

14.7En premier lieu, une personne condamnée est privée de liberté pour exécuter une peine imposée par un organe judiciaire pendant une période déterminée, généralement de quelques mois ou de quelques années. Cette personne a donc un statut juridique particulier. Qui plus est, il est relativement aisé de déterminer le coût de son entretien, le caractère suffisant de l’entretien assuré au centre pénitentiaire pour couvrir les besoins ou la partie des besoins auxquels correspondait la prestation non contributive initiale, et la période pendant laquelle l’entretien doit être accordé. À l’inverse, la situation des personnes en liberté qui fréquentent les services publics mentionnés par l’auteur, hôpitaux ou centres de soins notamment, est distincte de la situation d’une personne privée de liberté pour avoir commis un délit, car ces personnes fréquentent en principe ces services de leur propre gré et acceptent éventuellement de séjourner dans ces centres pour obtenir la protection de droits essentiels, pour des périodes dont ils ne peuvent prévoir la durée mais qui sont souvent courtes. Il est donc beaucoup plus incertain, en pareil cas, de parvenir à ce qu’une réduction du montant de la prestation n’ait pas d’incidences sur la satisfaction des besoins pour lesquels la prestation non contributive est prévue. Qui plus est, en raison du caractère indéterminé et temporaire des services, il est très probable que la réduction intervienne après que la personne bénéficiaire ait déjà quitté l’hôpital ou le centre de soins dans lequel elle recevait la prestation.

14.8En second lieu, même si les usagers bénéficient d’un hébergement et de repas dans ces lieux, ces prestations ne doivent pas être entendues comme un service supplémentaire ou autonome, mais comme un élément à part entière des services qui leur sont fournis par l’État pour leur permettre de faire face à la situation de vulnérabilité dont ils sont victimes, généralement de façon temporaire, et qui sont nécessaires pour garantir la protection de droits essentiels comme le droit à la santé ou le droit à l’alimentation.

14.9Partant, le Comité estime qu’il existe des similitudes entre la situation de l’auteur et celle des personnes libres d’après les éléments de comparaison présentés. Néanmoins, compte tenu des différences importantes indiquées dans les paragraphes précédents, l’État partie n’a pas l’obligation d’appliquer un traitement identique aux bénéficiaires de pensions non contributives qui sont privés de liberté et aux personnes libres qui fréquentent des hôpitaux, des centres de soins ou des centres d’accueil. Partant, les différences qui sont alléguées par l’auteur, même si elles étaient avérées, ne constituent pas un traitement discriminatoire eu égard aux articles 2 et 9 du Pacte.

C.Conclusion

15.Compte tenu des éléments de fait et de droit qui précèdent, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Protocole facultatif, estime que la diminution du montant de la prestation d’invalidité non contributive de l’auteur ne constitue pas une violation des droits reconnus à l’auteur en vertu des articles 2 et 9 du Pacte.