Nations Unies

E/C.12/EST/CO/3

Conseil économique et social

Distr. générale

27 mars 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits économiques, sociaux et culturels

Observations finales concernant le troisième rapport périodique de l’Estonie *

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique de l’Estonie (E/C.12/EST/3) à ses 4e et 5e séances (voir E/C.12/2019/SR.4 et 5), les 19 et 20 février 2019, et a adopté les présentes observations finales à sa 30e séance, le 8 mars 2019.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique de l’État partie ainsi que les renseignements complémentaires fournis dans ses réponses écrites à la liste de points (E/C.12/EST/Q/3/Add.1). Il se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation interministérielle de l’État partie.

B.Aspects positifs

3.Le Comité se félicite des mesures législatives et institutionnelles et des orientations que l’État partie a prises pour renforcer le niveau de protection des droits économiques, sociaux et culturels, comme indiqué dans les présentes observations finales. Il prend note en particulier de l’augmentation sensible du salaire minimum au cours de la période considérée et de l’adoption du Plan de développement de l’aide sociale pour la période 2016-2023.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte

4.Le Comité constate que certains droits consacrés par le Pacte sont protégés par la Constitution et que l’article 123 de la Constitution consacre la primauté des traités internationaux sur le droit interne. Toutefois, il est préoccupé par l’absence d’informations sur les recours judiciaires et d’exemples de cas où les droits consacrés par le Pacte sont protégés par les tribunaux nationaux.

5. Le Comi té recommande à l ’ État partie :

a) D ’ incorporer dans son ordre juridique interne tous les droits consacrés par le Pacte ;

b) De renforcer dans son ordre juridique interne les recours judiciaires pour la protection des droits consacrés par le Pacte ;

c) D ’ améliorer la formation des juges et des avocats aux dispositions du Pacte ;

d) De sensibiliser le public au Pacte et à la justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels.

Dans ce contexte, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  9 (1998) concernant l ’ application du Pacte au niveau national .

Chancelier de justice

6.Le Comité constate que le Chancelier de justice a pour mandat de veiller à la conformité de la législation nationale avec les accords internationaux, dont le Pacte. Il est cependant préoccupé par le fait que la loi relative au Chancelier de justice ne charge pas expressément celui-ci de promouvoir et de protéger les droits économiques, sociaux et culturels. En outre, le Comité regrette l’absence d’exemples concrets relatifs à l’exercice du mandat du Chancelier de justice dans le contexte des droits économiques, sociaux et culturels.

7. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que le mandat et les fonctions du Chancelier de justice soient renforcés dans le contexte particulier de la protection et de la promotion des droits économiques, sociaux et culturels, et de sensibiliser le public au mandat et aux fonctions du Chancelier de justice afin d ’ en améliorer l ’ accessibilité par le public.

Maximum des ressources disponibles

8.Le Comité est préoccupé par le faible niveau du budget public, exprimé en pourcentage du produit intérieur brut, alloué par l’État partie aux services sociaux. Il regrette également l’absence d’informations détaillées sur les crédits alloués aux domaines liés aux droits énoncés dans le Pacte tels que les droits à la sécurité sociale, au logement, à l’alimentation, à l’eau et à l’assainissement, à la santé et à l’éducation (art. 2, par. 1).

9. Le Comité recommande à l ’ État partie de relever le niveau des dépenses sociales, en particulier dans les domaines de la sécurité sociale, du logement, de la santé et de l ’ éducation, en accordant une attention particulière aux personnes défavorisées et marginalisées ainsi qu ’ aux régions fortement touchées par le chômage et la pauvreté , en particulier le comté d ’ Ida-Viru. Il recommande également à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour mobiliser des ressources supplémentaires, notamment en réexaminant sa politique budgétaire, de façon à parvenir progressivement à la pleine réalisation des droits consacrés par le Pacte .

Non-discrimination

10.Le Comité est préoccupé par le fait que la loi sur l’égalité de traitement interdit seulement la discrimination fondée sur la religion ou les opinions, l’âge, le handicap et l’orientation sexuelle dans les domaines liés à la vie professionnelle et à l’acquisition de qualifications professionnelles. Il regrette le retard pris dans la modification de la loi afin d’en élargir la portée et l’application à d’autres secteurs sociaux. Il est également préoccupé par l’insuffisance des ressources financières et humaines qui sont allouées au Commissaire à l’égalité des sexes et à l’égalité de traitement afin qu’il s’acquitte pleinement de son mandat (art. 2, par. 2).

11. Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier sans délai la loi sur l ’ égalité de traitement de sorte qu ’ elle : a) interdise toutes les formes directes, indirectes et croisées de discrimination, pour les motifs visés au paragraphe 2 de l ’ article 2 du Pacte et dans tous les domaines touchant aux droits économiques, sociaux et culturels  ; et b) offre un recours utile aux victimes de discrimination, notamment en leur permettant de saisir les autorités judiciaires et administratives. Il recommande également à l ’ État partie d ’ allouer au Commissaire à l ’ égalité des sexes et à l ’ égalité de traitement des ressources financières et humaines suffisantes pour lui permettre de s ’ acquitter efficacement de son mandat. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  20 (2009) sur la non-discrimination dans l ’ exercice des droits économiques, sociaux et culturels .

Discrimination fondée sur la langue

12.Le Comité prend note des efforts que l’État partie a déployés pour accroître les possibilités d’apprentissage de la langue estonienne par la population ne parlant pas cette langue, mais il demeure préoccupé par la persistance de la discrimination dont cette population fait l’objet en raison de sa maîtrise insuffisante de l’estonien. Cela a conduit à une discrimination systémique affectant l’exercice des droits énoncés dans le Pacte, comme l’attestent les taux élevés de chômage et de pauvreté parmi la population de langue non estonienne (art. 2, par. 2).

13. Le Comité recommande à l ’ État partie de remédier à la discrimination systémique dont fait l ’ objet la population de langue non estonienne dans l ’ exercice des droits énoncés dans le Pacte en raison de la barrière linguistique, en particulier dans les domaines de l ’ emploi, du logement, de l ’ éducation, des soins de santé et de l ’ accès aux services indispensables pour assurer un niveau de vie suffisant et la jo uissance des droits culturels.

Personnes de nationalité indéterminée

14.Le Comité se félicite des résultats d’ensemble obtenus par l’État partie en ce qui concerne la réduction du nombre de personnes de nationalité indéterminée, mais demeure préoccupé par le grand nombre de ces personnes, qui représentaient 5,5 % de la population au 1er janvier 2019. La grande majorité d’entre elles sont des citoyens de l’ancienne Union des Républiques socialistes soviétiques qui n’ont pas pu acquérir la nationalité estonienne après le rétablissement de la souveraineté de l’Estonie en 1991 en raison de leur maîtrise insuffisante de l’estonien. Le Comité prend note avec satisfaction des modifications apportées en 2015 à la loi sur la citoyenneté, par lesquelles la citoyenneté estonienne est accordée aux enfants nés dans l’État partie et dont la nationalité est indéterminée, mais il constate avec préoccupation que ces modifications ne s’appliquent pas aux enfants apatrides âgés de 15 à 18 ans au 1er janvier 2016, aux enfants nés de parents apatrides n’ayant pas résidé légalement en Estonie durant les cinq années précédant la naissance de l’enfant, et aux enfants apatrides dont les parents ont la nationalité estonienne mais ne peuvent transmettre leur nationalité à leurs enfants. Il est en outre préoccupé par l’absence de données ventilées relatives à l’exercice par les personnes ayant une nationalité indéterminée des droits énoncés dans le Pacte (art. 2, par. 2).

15. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ accélérer l ’ acquisition de la nationalité estonienne par les personnes dont la nationalité est indéterminée, en levant pour cela les obstacles qui subsistent ;

b) D ’ accorder la nationalité estonienne aux enfants apatrides nés dans l ’ État partie, quel que soit le statut juridique de leurs parents ;

c) D ’ envisager d ’ adhérer à la Convention relative au statut des apatrides et à la Convention sur la réduction des cas d ’apatridie ;

d) De recueillir des données sur l ’ exercice par les personnes ayant une nationalité indéterminée des droits énoncés dans le Pacte et de fournir des données ventilées à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Demandeurs d’asile et réfugiés

16.Le Comité prend note avec satisfaction des efforts déployés par l’État partie en coopération avec des partenaires internationaux et des partenaires de la société civile en vue de faciliter l’accueil et l’intégration des réfugiés, mais il demeure préoccupé par :

a)Les mauvaises conditions de vie dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ;

b)La grave pénurie de logements à disposition des réfugiés, qui a conduit certains d’entre eux à rester dans des centres d’accueil même après avoir obtenu le statut de réfugié ;

c)L’absence de stratégie nationale globale d’intégration des réfugiés et de cadre d’action à cet égard (art. 2, par. 2).

17. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De faire en sorte que les demandeurs d ’ asile soient accueillis dans des conditions respectueuses de la dignité humaine et qu ’ il soit pourvu à leurs besoins économiques, sociaux et culturels fondamentaux ;

b) De redoubler d ’ efforts pour fournir aux réfugiés un logement convenable ;

c) D ’ adopter une stratégie nationale globale d ’ intégration des réfugiés et un cadre politique complet à cet égard, en pleine concertation avec les organisations qui représentent les réfugiés, les organisations non gouvernementales, les organismes internationaux compétents et les autres parties prenantes.

Égalité entre les hommes et les femmes

18.Malgré les mesures qui ont été prises pour remédier aux inégalités entre les hommes et les femmes, le Comité est préoccupé par la persistance des stéréotypes sexistes ; la ségrégation fondée sur le genre sur le marché du travail et dans l’éducation ; et le fait que la majeure partie des responsabilités familiales est assurée par les femmes (art. 3, 6, 10 et 13).

19. Le Comité recommande à l ’État partie :

a) D ’ éliminer les stéréotypes sexistes, notamment par des campagnes de sensibilisation et par l ’ instruction scolaire ;

b) De lutter contre la ségrégation fondée sur le genre sur le marché du travail, notamment au moyen de mesures temporaires spéciales ;

c) De créer un environnement favorable et des possibilités pour les étudiantes de poursuivre des études dans les domaines des sciences, de la technologie, de l ’ ingénierie et des mathématiques ;

d) De promouvoir le partage équitable des responsabilités familiales entre hommes et femmes, notamment en améliorant la disponibilité et l ’ accessibilité financière des services de garde d ’ enfants.

Écart de rémunération entre hommes et femmes

20.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour déceler et éliminer les causes profondes de l’écart de rémunération entre hommes et femmes et du léger recul enregistré ces dernières années, mais il est préoccupé par le fait que cet écart de rémunération demeure important et qu’il a des effets néfastes permanents sur l’exercice par les femmes des droits énoncés dans le Pacte, en particulier les droits à la sécurité sociale et à un niveau de vie suffisant (art. 3, 7, 9 et 11).

21.Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour venir à bout des causes profondes de l ’ écart de rémunération entre hommes et femmes et combler cet écart, notamment en adoptant rapidement les modifications en suspens qu ’ il est prévu d ’ apporter à la loi sur l ’ égalité entre les sexes et en appliquant intégralement le Plan de développement de l ’ aide sociale pour la période 2016-2023. Le Comité recommande également que le principe de l ’ égalité de rémunération pour un travail d ’ égale valeur soit effectivement appliqué, au moyen de l ’ obligation de divulgation des salaires et de la conduite d ’ inspections du travail.

Droit au travail

22.S’il se félicite de la baisse des taux de chômage, le Comité est préoccupé par les causes structurelles du chômage dans l’État partie, à savoir l’évolution rapide du marché du travail et la restructuration industrielle, en particulier dans les industries du textile et du schiste bitumineux, et par le décalage entre les compétences de la population active et celles requises sur le marché du travail (art. 6).

23. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour améliorer ses programmes de formation et d ’ enseignement professionnels afin de doter la main-d ’ œuvre des compétences et des connaissances nécessaires pour répondre à l ’ évolution des besoins du marché du travail. Il lui recommande également de veiller à ce que les travailleurs touchés par la restructuration industrielle et la transition vers les énergies renouvelables, y compris les travailleurs des industries du textile et du schiste bitumineux, soient en mesure de passer de manière effective et sans heurt à de nouveaux emplois qui leur permettent de maintenir un niveau de vie suffisant.

Sécurité et santé au travail

24.Le Comité prend note des explications fournies par la délégation selon lesquelles les écarts statistiques sont dus aux différentes méthodes de collecte de données utilisées, mais reste préoccupé par le fait que les données recueillies par l’État partie ne reflètent pas l’incidence réelle des accidents du travail et des maladies professionnelles. Il note également avec préoccupation que l’incidence des accidents du travail a augmenté au cours des dernières années. Il regrette de ne pas disposer de données complètes sur la situation en matière de sécurité et de santé au travail pour la période considérée (art. 7 et 12).

25. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) D ’ améliorer sa collecte de données sur la sécurité et la santé au travail ;

b) De prévenir et d ’ atténuer les risques d ’ accidents du travail et de maladies professionnelles ;

c) De renforcer les capacités des services d ’ inspection du travail, notamment en augmentant leurs ressources financières et humaines, de manière à contrôler les conditions de travail ;

d) De mettre en place un régime d ’ assurance contre les risques professionnels.

Droits syndicaux

26.Malgré les explications données par la délégation, le Comité reste préoccupé par le fait que l’article 59 de la loi sur la fonction publique n’autorise pas les fonctionnaires à exercer leur droit de grève ou à prendre part à des actions menées dans le but d’exercer des pressions collectives portant atteinte à l’exercice des fonctions assurées en application de la loi par l’autorité qui les a recrutés ou par toute autre autorité (art. 8).

27. Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir la loi sur la fonction publique pour que tous les agents de la fonction publique qui ne fournissent pas des services essentiels puissent exercer leur droit de grève, conformément à l ’ article 8 du Pacte et à la Convention de 1948 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical (n o  87) de l ’ Organisation internationale du Travail (OIT).

Pensions de vieillesse

28.Le Comité note avec préoccupation que le montant de l’assurance retraite de l’État (premier pilier du régime de pension de vieillesse), qui est inférieur au seuil de risque de pauvreté, n’est pas propre à assurer aux bénéficiaires un niveau de vie suffisant. Il note aussi avec préoccupation que cela explique en partie le taux élevé de pauvreté relative (47,5 %) enregistré chez les plus de 65 ans. Enfin, il constate avec préoccupation que le régime obligatoire de retraite par capitalisation (deuxième pilier) ne couvre pas les travailleurs indépendants et que sa couverture parmi les personnes nées entre 1942 et 1982 est de 62 % seulement (art. 9).

29. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que le montant des prestations de l ’ assurance retraite de l ’ État soit propre à assurer aux bénéficiaires, en particulier à ceux qui vivent seuls, un niveau de vie suffisant et à réduire le taux de risque de pauvreté chez les retraités. Il lui recommande également d ’ étendre la couverture du régime obligatoire de retraite par capitalisation aux travailleurs indépendants et de donner aux personnes nées entre 1942 et 1982 la possibilité de s ’ y affilier. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  19 (2008) sur le droit à la sécurité sociale.

Allocations de chômage

30.Le Comité constate une nouvelle fois avec préoccupation qu’une personne ne peut percevoir de prestations d’assurance chômage si son contrat de travail a été rompu pour faute professionnelle. Il est également préoccupé par la faible couverture des régimes d’assurance chômage et d’allocations de chômage et note avec préoccupation que les prestations ne sont pas propres à assurer un niveau de vie suffisant aux bénéficiaires (art. 9).

31. Le Comité recommande de nouveau à l ’ État partie de supprimer les conditions liées aux motifs de rupture du contrat de travail qui sont imposées pour la perception des prestations d ’ assurance chômage. Il lui recommande également de veiller à ce que les prestations de chômage couvrent tous les travailleurs, y compris les travailleurs indépendants et les travailleurs de l ’ économie informelle, et à ce que le niveau de ces prestations soit propre à assurer aux bénéficiaires un niveau de vie suffisant.

Âge minimum du mariage

32.S’il note que le nombre de mariages d’enfants est minime, le Comité reste préoccupé par le fait que, selon le droit de la famille, les enfants de 15 ans et plus peuvent, dans des cas exceptionnels, être autorisés par les tribunaux à se marier.

33. Le Comité recommande à l ’ État partie de revoir sa législation de façon à fixer sans ambiguïté l ’ âge minimum du mariage à 18 ans pour les filles comme pour les garçons, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les mariages d ’ enfants.

Violence familiale

34.Le Comité note avec préoccupation que la violence familiale reste répandue dans l’État partie alors qu’elle constitue une infraction pénale, qu’il n’existe pas de loi portant expressément sur la violence familiale et que, pour le grand public, la violence familiale est une affaire privée (art. 10).

35. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter une loi portant expressément sur la violence familiale et de redoubler d ’ efforts, dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de prévention de la violence pour la période 2015-2020 et de la loi sur l ’ aide aux victimes, pour :

a) Encourager le signalement des actes de violence familiale ;

b) Veiller à ce que tous les cas signalés de violence familiale fassent l ’ objet d ’ enquêtes rapides et approfondies et à ce que les auteurs des faits soient punis ;

c) Fournir aux victimes de violence familiale tout le soutien juridique, médical, financier et psychologique nécessaire ;

d) Sensibiliser le public à la gravité et au caractère délictueux de la violence familiale.

Pauvreté et inégalités

36.S’il se félicite que le taux de pauvreté absolue ait sensiblement diminué au cours de la période considérée, le Comité constate avec préoccupation que le taux de risque de pauvreté a augmenté et que les chiffres de la pauvreté, en termes absolus comme en termes relatifs, restent très élevés chez les chômeurs, les familles monoparentales et les familles nombreuses. Il craint en outre que, sachant que le seuil actuel de l’impôt négatif sur le revenu (500 euros) est inférieur au salaire minimum (540 euros en 2019) et compte tenu de l’augmentation du taux de risque de pauvreté, l’impôt à taux unique (20 %) appliqué au revenu des personnes physiques dans l’État partie ait un effet négatif sur les personnes qui sont dans une situation de risque de pauvreté et ne soit pas suffisamment progressif pour avoir un effet redistributif (art. 11).

37. Le Comité invite instamment l ’ État partie à prendre des mesures effectives pour réduire le taux de risque de pauvreté, actuellement élevé, y compris en proposant des services d ’ assistance sociale adéquats et en mettant en place des politiques de l ’ emploi actives, et de prendre toutes les mesures possibles pour cibler les personnes les plus défavorisées vivant sous le seuil de pauvreté absolue. Le Comité lui recommande également de revoir sa fiscalité en vue de réduire le taux de risque de pauvreté et de la rendre suffisamment progressive pour réduire les inégalités.

Droit au logement

38.Le Comité est préoccupé par la pénurie de logements, en particulier de logements sociaux, que connaît l’État partie malgré les investissements consentis ces dernières années dans ce domaine. Il regrette aussi de ne pas disposer de données statistiques sur le logement pour la période à l’examen, en particulier sur l’offre de logements sociaux par rapport aux besoins (par exemple, les délais d’obtention d’un logement social), le taux de sans-abrisme, le taux de logement inadéquat ou en dessous des normes, et les garanties matérielles et procédurales prévues par le droit interne en cas d’expulsion (art. 11).

39. Le Comité recommande de nouveau à l ’ État partie de remédier à la pénurie de logements, en particulier de logements sociaux pour les personnes et les groupes défavorisés et marginalisés. Il le prie également de faire figurer dans son prochain rapport périodique des informations sur le logement, en particulier sur le sans-abrisme et les personnes vivant dans un logement inadéquat ou en dessous des normes, sur l ’ offre de logements sociaux par rapport aux besoins, et sur les garanties matérielles et procédurales prévues par le droit interne en cas d ’ expulsion. Il appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  4 (1991) sur le droit à un logement adéquat et sur son observation générale n o  7 (1997) sur les expulsions forcées.

Droit à l’eau

40.Le Comité note avec préoccupation que, dans 7,2 % des systèmes d’approvisionnement en eau de l’État partie, l’eau présente une teneur excessive en fluorure et en bore. Il est également préoccupé par la forte teneur en radon des eaux souterraines dans le nord de l’Estonie, qui serait étroitement liée à des cancers de différents types chez les habitants et pourrait exposer les travailleurs chargés de nettoyer les filtres à un risque élevé de conséquences préjudiciables pour la santé (art. 11 et 12).

41. Le Comité invite instamment l ’ État partie à prendre immédiatement les mesures nécessaires pour :

a) Veiller à ce que la teneur de l ’ eau en fluorure et en bore reste inférieure à la limite dans tous les systèmes d ’ approvisionnement en eau de l ’ État partie ;

b) Fournir à toutes les personnes exposées à de l ’ eau contaminée au radon d ’ autres sources d ’ eau potable ainsi que des soins de santé appropriés, et mettre en place des programmes de surveillance et de traitement des maladies chroniques dont on sait qu ’ elles sont causées par le radon ;

c) Revoir la réglementation légale sur le radon dans l ’ eau potable afin d ’ assurer la conformité aux normes de l ’ Union européenne et de l ’ Organisation mondiale de la Santé (OMS) ;

d) Appliquer rigoureusement les lois relatives au traitement de l ’ eau et surveiller efficacement le respect de leurs dispositions.

À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur son observation générale n o  15 (2002) sur le droit à l ’ eau et sur sa déclaration sur le droit à l ’ assainissement.

Santé mentale

42.Le Comité est préoccupé par le taux de suicide constamment élevé dans l’État partie, en particulier chez les hommes, et par le nombre élevé et croissant d’adolescents présentant des troubles mentaux (art. 12).

43. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ adopter une politique nationale de santé mentale et de redoubler d ’ efforts pour s ’ attaquer aux causes profondes de la forte prévalence des problèmes de santé mentale et de son augmentation, en particulier aux causes du nombre élevé de suicides, et pour proposer aux individus et aux groupes exposés au risque de suicide des programmes de prévention et des services de soutien efficaces.

Politique en matière de drogues

44.Le Comité est préoccupé par :

a)Le fait que les consommateurs de drogues continuent d’être stigmatisés, en particulier par les policiers, les travailleurs sociaux, les agents de la protection de l’enfance et les professionnels de la santé ;

b)Le fait que la disponibilité des services de réduction des risques a diminué ces dernières années et que la couverture des programmes de traitement de substitution aux opiacés reste limitée (ils couvrent environ 20 % des personnes dans le besoin) ;

c)L’imposition d’amendes exagérées aux consommateurs de drogues, qui conduit à la criminalisation de facto de la consommation puisque bon nombre de condamnés, qui n’ont pas les moyens de payer, se retrouvent en prison ;

d)L’absence dans ce domaine de mesures expressément adaptées aux femmes, en particulier aux mères et aux femmes enceintes ;

e)Les informations selon lesquelles des mères ont été illégalement forcées d’arrêter le traitement de substitution aux opiacés qu’elles suivaient sous peine de se voir retirer l’autorité parentale ;

f)Les informations selon lesquelles la police harcèle les consommateurs de drogues, en particulier les femmes, et les oblige à se soumettre à des tests de dépistage dans la rue ou à des tests pratiqués au moyen de cathéters urinaires qui présentent de graves risques pour la santé (art. 2 (par. 1), 3, 10 et 12).

45. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De lutter contre la stigmatisation sociale des consommateurs de drogues et de garantir la confidentialité de l ’ accès aux services destinés à ces personnes en formant la police, les travailleurs sociaux, les agents de la protection de l ’ enfance et les professionnels de la santé et en sensibilisant le public, notamment en ce qui concerne le droit à la santé ;

b) D ’ élargir l ’ accès aux services de réduction des risques et aux traitements de substitution aux opiacés et d ’ allouer les ressources nécessaires aux programmes pertinents ;

c) De réduire le montant des amendes imposées aux consommateurs de drogues ;

d) D ’ éliminer les obstacles qui empêchent les consommatrices de drogues, en particulier les mères et les femmes enceintes, d ’ avoir accès aux traitements, et d ’ élaborer une politique de lutte contre les drogues tenant compte des besoins particuliers de chaque sexe ;

e) D ’ enquêter sur les allégations selon lesquelles des mères ont été illégalement forcées d ’ arrêter le traitement de substitution aux opiacés qu ’ elles suivaient sous peine de perdre l ’ autorité parentale, et d ’ offrir une réparation appropriée aux victimes ;

f) D ’ enquêter sur les mauvais traitements et le harcèlement auxquels la police soumet les consommateurs et, surtout, les consommatrices de drogues, ainsi que sur les cas de retrait de l ’ autorité parentale pour cause de consommation de drogues ; de punir les responsables ; et de mettre fin aux dépistages forcés dans la rue et aux dépistages forcés pratiqués au moyen de cathéters urinaires.

VIH/sida

46.Le Comité est préoccupé par la forte prévalence du VIH, qui touche en particulier les femmes et les consommateurs de drogues. Il est également préoccupé par le fait que de nombreuses personnes séropositives ne suivent pas de traitement antirétroviral alors que ce traitement est pourtant gratuit parce qu’elles craignent la stigmatisation et la divulgation d’informations confidentielles à leur famille et à leur employeur (art. 2 (par. 1), et 12).

47. Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour :

a) Prévenir l ’ apparition de nouveaux cas de VIH ;

b) Améliorer le dépistage du VIH et faire en sorte que les séropositifs aient plus rapidement accès à la thérapie antirétrovirale ;

c) Lutter contre la discrimination sociale à l ’ égard des personnes vivant avec le VIH/sida ;

d) Faire en sorte que les professionnels de la santé respectent la confidentialité des résultats des tests de dépistage du VIH/sida et des informations relatives aux traitements suivis.

Droit à l’éducation

48.Le Comité se félicite des progrès accomplis dans le secteur de l’éducation, notamment du taux de réussite dans le secondaire, du pourcentage d’adultes ayant un diplôme d’études supérieures et du fait que presque tous les enfants ont accès à l’enseignement préscolaire. Il reste néanmoins préoccupé par les points suivants :

a)La diminution du taux net de scolarisation en primaire ;

b)L’augmentation sensible du nombre d’enfants, surtout de garçons, non scolarisés ;

c)Les difficultés rencontrées par l’État partie pour recruter des enseignants de qualité, en particulier des professeurs de mathématiques et de sciences ;

d)L’absence de dispositions réglementaires uniformes concernant l’éducation préscolaire et le fait que cette éducation ne soit pas obligatoire ;

e)La grande disparité entre les sexes parmi les étudiants du supérieur, où les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes ;

f)Le faible pourcentage d’élèves qui sont allés jusqu’au bout de leur formation technique et la forte proportion de jeunes adultes sans qualification professionnelle ;

g)Le manque de souplesse dans l’application de la règle selon laquelle, dans les écoles secondaires et les écoles professionnelles de langue russe, 60 % des cours doivent être dispensés en estonien. Dans bien des cas, cette règle rend difficile pour les élèves russophones étudiant dans ces écoles de maîtriser les matières de base qui ne sont enseignées qu’en estonien. Elle a de surcroît pour conséquence que les écoles professionnelles n’arrivent pas à recruter suffisamment d’enseignants capables d’enseigner les matières spécialisées conformément aux critères spécifiques de l’établissement tout en respectant le quota fixé (art. 13, 14 et 15).

49. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De s ’ attaquer aux causes de la baisse du taux de scolarisation en primaire ;

b) De faire le nécessaire pour que le nombre d ’ enfants, surtout de garçons, non scolarisés diminue, notamment en s ’ attaquant aux causes profondes du problème ;

c) D ’ améliorer le statut et les avantages du métier d ’ enseignant afin qu ’ il y ait suffisamment de professeurs qualifiés, notamment en mathématiques et en sciences ;

d) D ’ adopter des règlements concernant les établissements préscolaires et de rendre l ’ éducation préscolaire obligatoire ;

e) De prendre des mesures concrètes pour encourager les étudiants de sexe masculin à faire des études postsecondaires ;

f) D ’ améliorer la qualité et l ’ utilité de l ’ enseignement professionnel afin que les diplômés possèdent de solides qualifications professionnelles ou techniques ;

g) D ’ appliquer progressivement et avec souplesse le quota de 60 % de cours enseignés en estonien dans les écoles secondaires et les écoles professionnelles russophones, de prendre des mesures pour augmenter progressivement le nombre d ’ enseignants qualifiés dans les écoles professionnelles afin de mieux prendre en considération la spécificité de ces écoles, et de faire en sorte que le quota ne porte pas atteinte au droit des enfants à l ’ éducation et soit appliqué conformément aux principes énoncés à l ’ article 13 du Pacte.

Diversité culturelle

50.Le Comité est préoccupé par :

a)L’approche punitive adoptée par l’État partie en ce qui concerne le respect de la loi sur la langue et, notamment, par le mandat et les fonctions de l’Inspection linguistique et par l’absence de contrôle de ses activités, qui risquent de nuire à l’exécution du plan de développement pour l’intégration nationale à l’horizon 2020 ;

b)Les obstacles administratifs à l’utilisation des patronymes dans les documents d’état civil, qui empêchent certaines minorités nationales de jouir du droit de protéger leur identité culturelle ;

c)Le fait que, dans les régions traditionnellement ou largement peuplées de minorités linguistiques, les citoyens ne peuvent employer une langue autre que l’estonien pour communiquer avec les autorités locales que si cette langue est celle d’au moins 50 % des habitants locuteurs d’une langue minoritaire, ce qui constitue un seuil élevé ;

d)Le fait que, dans les régions traditionnellement ou largement peuplées de minorités linguistiques, l’expression des toponymes, des noms de rue et des autres noms géographiques dans une langue minoritaire est soumise à des conditions excessivement restrictives ;

e)Le fait que les personnes ayant une citoyenneté indéterminée ne sont pas en mesure d’exercer pleinement de leur droit de participer à la vie culturelle, notamment pour ce qui concerne les droits culturels des personnes appartenant à des minorités nationales (art. 13 et 15).

51. Le Comité recommande à l ’ État partie :

a) De supprimer tous les aspects punitifs du contrôle de l ’ application de la loi sur la langue, notamment en revoyant le mandat et les fonctions de l ’ Inspection linguistique et en mettant en place, avec la participation de la société civile, un mécanisme de contrôle de ses activités, et d ’ assurer la pleine exécution du plan de développement pour l ’ intégration nationale à l ’ horizon 2020 ;

b) De supprimer tous les obstacles administratifs à l ’ utilisation des patronymes dans les documents d ’ état civil ;

c) D ’ envisager d ’ abaisser à un niveau raisonnable le seuil à partir duquel l ’ administration publique peut employer une langue minoritaire, afin de faciliter la communication avec les autorités locales dans les régions traditionnellement ou largement peuplées de minorités linguistiques ;

d) De revoir les conditions auxquelles, dans les régions traditionnellement ou largement peuplées de minorités linguistiques, les toponymes, les noms de rue et les autres noms géographiques peuvent être exprimés dans une langue minoritaire ;

e) De supprimer tous les obstacles à l ’ acquisition de la citoyenneté estonienne par les personnes de citoyenneté indéterminée afin qu ’ elles puissent exercer leur droit de participer à la vie culturelle sur un pied d ’ égalité avec les citoyens estoniens.

Technologie de l’information et de la communication

52.Notant la rapide dématérialisation des services publics de l’État partie, y compris dans les secteurs de la sécurité sociale et des soins de santé, le Comité est préoccupé par le fait qu’une grande partie de la population, principalement les personnes âgées et les personnes à faible niveau d’instruction et de revenu, n’utilise pas Internet ou ne sait pas vraiment se servir des technologies numériques, ce qui risque de l’empêcher de jouir des droits garantis dans le Pacte (art. 9, 12 et 15).

53. Le Comité recommande à l ’ État partie de faire en sorte que ceux qui n ’ ont pas accès à Internet et ne savent pas se servir des technologies numériques puissent facilement se faire aider, soit en ligne soit en personne, pour accéder aux services publics dématérialisés. Il lui recommande également de veiller à ce que le progrès scientifique et ses applications, y compris les technologies de l ’ information et de la communication (TIC), bénéficient à toutes les personnes résidant sur son territoire, sans discrimination.

D.Autres recommandations

54. Le Comité encourage l ’ État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

55. Le Comité recommande à l ’ État partie d ’ envisager de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

56.Le Comité recommande à l ’ État partie de tenir pleinement compte des obligations que lui impose le Pacte et de garantir le plein exercice des droits qui y sont énoncés dans la mise en œuvre au niveau national du Programme de développement durable à l ’ horizon 2030. La réalisation des objectifs de développement durable serait grandement facilitée si l ’ État partie établissait des mécanismes indépendants pour suivre les progrès réalisés et s ’ il considérait que les bénéficiaires des programmes publics étaient détenteurs de droits qu ’ ils peuvent faire valoir. La mise en œuvre des objectifs dans le respect des principes de participation, de responsabilité et de non-discrimination permettrait de garantir que nul n ’ est laissé à l ’ écart.

57.Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre des mesures pour mettre au point et appliquer progressivement des indicateurs appropriés à la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels, et faciliter ainsi l ’ évaluation des progrès réalisés pour se conformer aux obligations que lui impose le Pacte pour diverses catégories de la population. À cet égard, il renvoie au cadre conceptuel et méthodologique concernant les indicateurs des droits de l ’ homme mis au point par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme (HRI/MC/2008/3).

58. Le Comité prie l ’ État partie de diffuser largement les présentes observations finales à tous les niveaux de la société, aux échelons national, provincial et territorial, en particulier auprès des parlementaires, des fonctionnaires et des autorités judiciaires, et de l ’ informer dans son prochain rapport périodique des mesures prises pour y donner suite. Il l ’ encourage à associer le Chancelier de justice, ainsi que les organisations non gouvernementales et d ’ autres membres de la société civile, au suivi des présentes observations finales et au processus de consultation nationale avant la soumission de son prochain rapport périodique .

59. Conformément à la procédure de suivi des observations finales adoptées par le Comité, l ’ État partie est prié de fournir, dans un délai de vingt-quatre mois à compter de l ’ adoption des présentes observations finales, des informations sur l ’ application des recommandations formulées aux paragraphes 11 (modification de la loi sur l ’ égalité de traitement), 15 a) et b) (suppression des obstacles à l ’ acquisition de la nationalité estonienne par les apatrides) et 45 d) (élaboration d ’ une politique de lutte contre les drogues tenant compte des besoins particuliers de chaque sexe) ci-dessus .

60. Le Comité prie l ’ État partie de lui soumettre, le 31 mars 2024 au plus tard, son quatrième rapport périodique, qui sera établi conformément aux directives concernant les rapports que le Comité a adoptées en 2008 (E/C.12/2008/2). Il l ’ invite aussi à mettre à jour son document de base commun conformément aux directives harmonisées pour l ’ établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme (HRI/GEN/2/Rev.6, chap. I).